Titre : Figaro : journal non politique
Éditeur : Figaro (Paris)
Date d'édition : 1894-03-01
Contributeur : Villemessant, Hippolyte de (1810-1879). Directeur de publication
Contributeur : Jouvin, Benoît (1810-1886). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34355551z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 164718 Nombre total de vues : 164718
Description : 01 mars 1894 01 mars 1894
Description : 1894/03/01 (Numéro 60). 1894/03/01 (Numéro 60).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG63 Collection numérique : BIPFPIG63
Description : Collection numérique : BIPFPIG69 Collection numérique : BIPFPIG69
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine commune
Description : Collection numérique : La Commune de Paris Collection numérique : La Commune de Paris
Description : Collection numérique : France-Brésil Collection numérique : France-Brésil
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k282829f
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
.8
LE FIGARO - JBtJDI i" MARS 1894
sades de l'Europe et les plus petites
légations elles-mêmes connaissaient
avant nous.
Gaston Calmette.
P.-S. - A une heure du matin, l'A-
gence Havas a reçu la protestation sui-
vante, de M. le comte d'Aunay :
'. Paris, 28 février, 11 heures du soir.
Monsieur Je Directeur,
J'apprends indirectement par les feuilles
de l'Agence Havas que je viens d'être révo-
qué de' mes fonctions de ministre plénipoten-
tiaire, comme étant l'auteur des divulgations
du Figaro sur l'incident Beauchamp.
J'ai déclaré à M. le président du Conseil et
à messieurs les directeurs que je répondais à
cette accusation par le démenti le plus for-
mel. Ces messieurs ne m'ont pas fait connaî-
tre d'où venait l'accusation dont j'étais l'objet.
Je suis donc révoqué sans explications
alors que l'incident qui a été raconté par le
Figaro défraie les conversations de toutes les
chancelleries depuis plusieurs semaines. A
Copenhague, trois ministres plénipotentiaires
m'en ont entretenu tour à tour. À Paris, plu-
sieurs diplomates en ont parlé à diverses per-
sonnes. -
Jé ne puis me laisser frapper dans ces con-
ditions. En conséquence, je vais me pourvoir
immédiatement devant le Conseil d'Etat.
Agréez, monsieur le directeur, l'assurance
de ma considération très distinguée.
Comte D'AUNAY.
Autre décision ministérielle : le capi-
taine de Beauchamp, ancien attaché mi-
litaire à la légation de Danemark, est af-
fecté à l'atelier de construction de
Bourges.
Au Jour le Jour
LA MI-CIRËME EN 1832
Certains pessimistes outranciers émettent un
doute sur la réussite d'une fête qui va grouper,
aujourd'hui; dans sa cavalcade, les blanchis-
seuses et les étudiants. Pour faire partager
leur idée noire, ils évoquent, avec mélancolie,
le. souvenir des galas dfe jadis qui -l'ignorent-
ils donc ? - furent toujours gais en dépit des
tristesses du moment.
La Mi-Carême de 1832 le prouve par une eu-,
rieuse similitude de faits et de noms.
Le jeudi 5 avril de cette année du règne
de Louis-Philippe, M. Casimir Perier étant
président du Conseil, la-Cour d'assises, prési-
dée par M. Hardouin, juge « le nommé Henry,
« arrêté le 2 février rue Montorgueil, vis-à-vis
» du Rocher de Cancale. Le prévenu faisait
> partie d'une bande de quinze à vingt jeunes
» gens qui mêlaient au chant de la Parisienne
» et de la Marseillaise plusieurs cris séditieux.
». M. Dulac, chef d'escadron, s'interposa. Il
» reçut à la tête un baril d'huîtres marinées.Le
» jeune Henry est condamné, pour offense en-
, » vers le Roi, à six mois de prison et trois
cents francs d'amende ».
" Pour adoucir la fâcheuse impression de ce
tendre arrêt, Louis-Philippe gracie Eugène
Desmares, condamné à six mois de prison pour
délit de presse.
Répondant à la bonté du Roi, les prisonniers
de Sainte-Pélagie s'insurgent et occasionnent
la mort de Jacobus, un détenu pour dettes.
A la Chambre, après avoir longuement dis-
cuté la loi sur les céréales, M. Pataille, com-
battant M. Demarçay - le Méline d'alors -
on s'étonne du rôle de MM. Thiers et Guizot,
lesquels viennent de voter des fonds secrets au
ministére.
L'opposition vante l'occupation d'Ancône -
le Tombouctou de l'époque-, la duchesse de
Berry conspire en Vendée-, à Grenoble, un
bria de guerre civile amène le licenciement de
la garde nationale, et, pour comble de mal-
heur, le choléra-morbus fait son apparition;
L'élite, rongée d'anglomanie, déclare qu'il
vient de Londres ; le peuple, encore fiévreux
de l'insomnie des trois glorieuses, croit à l'em-
poisonnement des fontaines et massacre des
innocents.
Rue Saint-André-des-Arts, un individu re-
garde dans un puits, on le tue ; à Vaugirard
deux jeunes gens subissent le même sort ; aux
Halles une poissarde invective un passant qui
portait une tabatière de camphre ; sans expli-
cation, sans même avoir visité sa boîte, les
marchandes le lardent de coups de couteau.
Les médecins,accusés de propager le mal, se dé-
guisent en ouvriers pour aller chez leurs clients.
Le désarroi grandit avec la révolte des chif-
fonniers et le lendemain de la mi-carême on
comptait 395 morts et 1,053 malades de la peste,
plus particulièrement dans la classe populaire.
Louis-Philippe donne cent huit mille francs
aux pestiférés. Mme Casimir Perier et la ba-
ronne de Rothschild tricotent des bas de laine
pour les indigents.
?Certes ! l'horizon est noir, mais le plaisir suit
son chemin, et la mode son cours. Les fa-
shionables vont au Cirque olympique applau-
dir les Polonnais, à l'Opéra écouter Robert le
Diable dont la trente-huitième fait 7,800 fr.
Tout le-monde achète Le Crapaud, roman es-
pagnol nouvellement paru ; les jeunes poètes
préludent dans la Lyre -fidèle ou dans le Tyrtèe;
et les femmes, sans souci des larmes et des
deuils, chiffonnent dans leurs doigts légers des
étoffes de fête. Sur leurs cheveux coiffés à la
bacchante, les plumes frïmatées succèdent aux
plumets russes, aux bonnets à la Taglioni, aux
turbans odalisques. Elles s'habillent de robes
vert-acanthe, bleu-azur, jaune-oiseau, écorcé-
de-cèdre ; des canezous à dessins grecs cui-
rassent leur poitrine. Les pieds serrés dans la
guêtre de bombazine, elles vont suivre, capi-
teuses et minaudières, les chars et les enterre-
ments.
Grâce à elles, les Parisiens de 1832 fêtèrent
la Mi-Carême avec enjouement au milieu de
préoccupations absorbantes , toujours les
mêmes : ils avaient les microbes. Nous avons
les bombes et les confetti.
Louis Gaillard.
--- - -JL
L'INCIDENT BRUNETIÈRE
Le nouvel académicien devait conti-
nuer hier son cours sur « Bossuet et le
mouvement des idées au dix-septième
siècle ».
Dès son arrivée à la nouvelle Sorbonne,
il était informé d'une manifestation pro-
jetée contre lui.
Depuis la veille, en effet, ce papier cir-
culait dans le quartier Latin :
GRAND CHAHUT
Mercredi 28 février\ à 2 heures
CHEZ BRUNETIÈRE
GRAND AMPHITHÉÂTRE (SORBONNE)
Serpentins, etc.
Rendez-vous à l'Ecole de Médecine, à 2 h. moins 1/4
On partira en monôme et sans bruit
PAIRS CIRCULER S. V. P.
M. Brunetière ne s'émeut point faci-
lement Los menaces le laissèrent assez
froid. .
LS avec m certain intérêt que
I hémicycle était plein de son public ha-
bituel, éminemment distingué, que beau-
coup.de femmes du monde étaient prê- j
tes a l applaudir, mais que les tribunes, 1
les couloirs, le vestibule même étaient
A ^ d etudiants à l'air très décidé.
A dçux heures, en effet, la Sorbonne I
avait été envahie par une foule d'étu-
diants en gaîté, faisant alterner les re-
frains populaires du quartier avec des
cris d'animaux. ,
Deux heures et demie sonnèrent,
l'heure fixée pour le cours.
M. Brunetière entra dans la salle."Une
bordée de sifflets, de cris l'accueillirent
pendant que des tribunes tombait une
pluie de confetti, de serpentins, de flè-
ches en papier. i
Les dames, très braves, répliquèrent
par des applaudissements.
Alors ce cri, - bien inattendu au
quartier Latin, - retentit:
- Conspuez, conspuez... LES FEMMES!
M. Brunetière fit signe qu'il atten-
drait que le silence se rétablît.
Des cintres tomba ce refrain, jadis
boulangiste :
C'est Zola, Zola, Zolaââ. C'est Zo-
laâââ qu'il nous faut, oh, oh, oh I
M. Brunetière, profitant d'une accal-
mie, dit en souriant :
- Je ne savais pas, messieurs, que ce
fût déjà aujourd'hui la Mi-Carême.
Les dames applaudissent. Les étu-
diants protestent par des cris. Quelques-
uns pourtant, appartenant, dit-on, à la
Faculté .des lettres, demandent le si-
1 lence, mais la majorité, venue pour
faire du bruit, n'est point disposée à
céder.
M. Himly, doyen de la Faculté; M.
Lantoine, secrétaire, se tiennent debout
à droite et à gauche de l'orateur.
Les étudiants crient : « Vive Gréard !
C'est Gréard qu'il nous faut. »
Et même tapage pendant vingt minu-
tes après lesquelles M. Brunetière pro-
nonce ces-mots qui, naturellement, ne
sont entendus que de ses voisins :
- Il vous est facile de m'empêcher de par-
ler. Mais comme mon cours est un cours li-
bre, je puis l'interrompre et le continuer ail-
leurs.
Si la semaine prochaine je ne puis parler
ici, je louerai une autre salle.
Les dames applaudissent. Plusieurs
personnes serrent la main du profes-
seur, qui se retire.
Les étudiants sont les maîtres de la
place. Ils veulent néanmoins suivre l'o-
rateur.
Aux cris de : « A bas Brunetière.' » ils
descendent dans l'immense salle d'en-
trée où ils se livrent à une sarabande
effrénée. C'est un tumulte de sauvages,
une succession de cris divers: « Vive
Zola i Vive Gréard '. » et môme : « Vive
Brunetière! »
Après dix minutes de cacophonie, un
monôme se forme, monte le grand esca-
lier, pénètre dans l'amphithéâtre où sont
restées quelques femmes épouvantées,
les plus zélées admiratrices de l'acadé-
micien. La trombe, ayant pénétré par
erreur dans la grande loggia 1e face,
franchit la balustrade de pierre, des-
cend dans l'hémicycle, bouscule la table
et le fauteuil de l'orateur.
Ces deux meubles, emportés par des
bras vigoureux, sont sortis de la salle et
transportés au premier étage où, par la
vaste baie qui éclaire le grand escalier,
ils sont précipités dans l'amphithéâtre.
La table se brise en menus morceaux.
Lé fauteuil, lui, ne perd que son dos-
sier.
« A l'Institut ! » crient ceux qui d'en
bas ont assisté à cette double exécution.
Quatre d'entre eux s'emparent du fau-
teuil, le hissent sur leurs épaules et se
dirigent vers la porte. Un cinquième
ouvre son parapluie et l'étend au-dessus
du meuble vide. En route vers l'Insti-
tut ! Sur le boulevard, un monôme se
forme pour faire escorte au. trône im-
provisé, mais les agents, qui laissaient
faire au dedans, s'opposent au monôme
extérieur. Ils confisquent le fauteuil
qu'un officier de paix met sous la garde
d'un agent.
Pendant ce temps, à l'intérieur de la
Sorbonne, M. Gréard tente de reprocher
aux manifestants leur intolérance et les
dégâts auxquels ils se sont livrés; il
n'arrive pas à se faire entendre. Dans
les couloirs, des partisans de M. Brune-
tière, ayant lancé le mot de «voyous»,
reçoivent et rendent des coups de poing
et de canne. Une mêlée générale s'en-
suit, les chapeaux volent, on se prend
aux cheveux.
Aussitôt prévenu, M. Lépine, préfet
de police, accourut, accompagné de M.
Gaillot, chef de la police municipale.
Il donne aux agents l'ordre de faire
évacuer la Sorbonne et de dégager le
boulevard.
A quatre heures de ce côté tout est
calme.
Depuis longtemps, M. Brunetière s'é-
tait retiré. Il était monté en voiture pour
se rendre rue de l'Université, à la Revue
des Deux Mondes.
Plus de trois cents jeunes gens le sui-
vent. Ils arrivent devant la solennelle
demeure de la placide Revue en criant
toujours : « C'est Zola, Zola, Zoloââ »,
et veulent envahir les bureaux.
Le concierge, affolé, en ferme la porte
où les passants pourront demain se ren-
dre compte de la vigueur avec laquelle
certain coup de canne a été lancé.
On téléphone au commissariat de po-
lice qui envoie des agents. Ceux-ci ré-
tablissent l'ordre tout le long, le long de
la rue de l'Université.
Dans les bureaux de la Revue, M. Bru-
netière est toujours très calme.
Nous lui demandons à quoi il attribue
un tel tumulte.
- Je ne puis pas m'en douter. Ni le
sujet que je traite : « Bossuet et le mou-
vement des idées au dix-septième siè-
cle », ni ma personne ne justifient pareil
esclandre. Ma leçon d'aujourd'hui eût
été la onzième. Les dix premières n'ont
soulevé aucune protestation. Quant à
M. Zola, je ne suis en rien responsable
de son échec ; il y avait deux fauteuils.. .
Comme je l'ai dit, j'essaieraimercredi
prochain de recommencer. Si on ne m'é-
coute pas, j'aviserai. Je n'ai pas besoin de
vous rappeler que je ne suis point pro-
fesseur à la Sorbonne, que mes leçons
ne me sont point payées, que je ne suis
nullement tenu de les donner. En les
préparant, ce qui me procure quelque
.mal ; en les rendant publiques, je fais
uniquement oeuvre de lettré et de philo-
sophe. Si on m'empêche de parler ici ou
là, on me rendra service. Je suis, en
effet, tellement occupé que j'ai sur mon
bureau un grand nombre de lettres qui
attendent des réponses qu'il ne m'est
point permis de faire.
Et, le soir, nous nous rendions au
quartier Latin dans l'intention d'avoir
le mot de l'énigme.
- Pourquoi cette guerre à M. Brune-1
tière ? i
- Parce qu'il représente l'esprit an- i
cien et que nous sommes, nous, pour
l'esprit nouveau.
Charles Chincholle.
- ?*- ?
, L'abondance des matières nous oblige
a renvoyer à demain la suite de notre
Roman.
LES ANARCHISTES
Emile Henry à la. Compagnie de
..Carmaux j,.
M. Espinas, juge d'instruction, veut
vérifier, dans leurs plus' petits détails,
les allégations d'Emile Henry, en ce qui
concerne l'explosion de la rue des Bons-
Enfants.
Après' avoir fait faire et refaire, par
des agents d'abord, par un commissaire
ensuite, le fameux trajèt en quatre voi-
tures, raconté par l'inculpé, le juge a
voulu qu'Henry répétât, rue Véron, la
scène du chargement de la bombe. Di-
sons en passant que la « marmite »
qu'on lui avait donnée pour cette re-
constitution n'était pas du même mo-
dèle que la « cocotte » trouvée dans le
couloir de Carmaux, et qu'il n'a pas
paru s'apercevoir de cette différence, ce
qui ferait croire qu'il ment en s'accusant
seul.
Hier matin, c'était à la Compagnie de
Carmaux qu'on lui faisait représenter
la scène du dépôt de la bombe.
A huit heures, un certain nombre
d'agents, les uns en uniforme, d'autres
en bourgeois, venaient se poster aux
abords des bureaux de la Compagnie,
II, avenue de l'Opéra. A neuf heures,
trois voitures amenaient M. Espinas et
son greffier, M. Clément, commissaire,
et Emile Henry conduit par des inspec-
teurs.
L'inculpé était vêtu d'un pardessus
marron foncé, assez usé, et d'un panta-
lon de couleur sombre, coiffé d'une cas-
quette plate en drap noir. Il avait l'air
indifférent, presque souriant, qu'il a
conservé tous ces jours derniers. II a re-
gardé avec une certaine satisfaction la
foule qui s'était amassée, de plus en plus
considérable.
A peine était-il entré, que la porte a
été fermée. On a remis à Henry la mar-
mite qui avait servi aux constatations
de la veille. Elle était fermée par le cou-
j vercle retourné - comme celle de l'at-
tentat - et une grosse corde était passée
dans les deux anses.
L'inculpé l'a prise et l'a placée sur le
palier, à droite de la porte d'entrée.
C'était là, a-t-il dit, et c'était en effet là
qu'on l'avait ramassée pour la porter
au commissariat de la rue des Bons-
Enfants.
On a ensuite vérifié, au chronomètre,
le temps exact qu'il avait fallu pour
aller de la rne à ce palier. Henry a ou-
vert la porte vitrée, a gravi les deux
marches et a feint de se cogner contre
une glace que, lors de sa venue, il avait
prise, dit-il, pour pne porte et qu'il
avait, ce jour-là, effectivement heurtée.
Ces constatations terminées, le pri-
i sonnier, toujours encadré des deux ins-
pecteurs et ayant derrière lui un briga-
dier, a été conduit à la voiture à quatre
places qui l'avait amené et qui l'a
ramené à la Gonciergerie.
M. Espinas, resté un instant pour
classer ses notes, a demandé à la con-
cierge si elle reconnaissait Henry pour
l'homme qui était venu lui parler le
matin de l'explosion. Elle n'a pu se
prononcer. Cet homme qu'elle n'a, du
reste, qu'entrevu, lui avait paru plus
I grand.
Nous donnons ici deux portraits
d'Emile Henry - face et profil - faits
d'après nature, par un de nos collabora-
teurs, au moment de la descente de
justice.
! M. Espinas s'est rendu dans la jour-
née, accompagné de M. Fédée, officier
de paix des brigades de recherches, au
domicile du cordonnier Bonnard, rue
Thévenot, et y a pratiqué une perqui-
sition. On en ignore le résultat.
Perquisitions et Arrestations
La série des perquisitions, suivies
d'arrestations, continue. Voici le bilan
d'hier matin :
Rabouin (Paul-Pierre-Augustin), né le
29 août 1860, à Ouzouer-sur-Loira (Loi-
ret,), palefrenier, demeurant rue Saint-
Louis, 26, à Choisy-le-Roi.
Rabouin (Pierre-Emile); frère du pré-
cédent, né a Ouzouer, le 4 mars 1853,
distillateur, demeurant rue de l'Epi-
nette, 15, à Choisy-le-Roi.
Derossy (Pierre), né à Lherme (Haute-
Garonne) , le 23 juillet 1854, cordonnier,
demeurant 6, rue Fauvet (Montmartre).
Derossy, méridional plein de faconde,
passe dans le quartier pour être fort cau-
seur, mais peu dangereux. Il avait été,
au 1" janvier, l'objet d'une perquisi-
tion infructueuse.
Jacob (Georges-Gustave), né à Paris le
24 juillet 1850, demeurant rue de la Bou-
langerie, à Saint-Denis.
Jamard (Alphonse-Ernest), né à Paris
le 22 septembre 1842, distillateur, de-
meurant 6,Petit passage Stainville, voie
qui donne dans la rue de Reuilly. Déjà
perquisitionné le 1er janvier. Jamard,
alcoolique par suite de son métier,a été
interné trois fois à Bicêtre. Il est peu 1
communicatif et vit très renfermé chez
lui.
Bernardt (Victor-Joseph), né à Paris'
le 13 juillet 1850, coupeur en cravates,
demeurant 52, rue du Chemin-Vert.
D'Auby (Henri), né à Montmédy ]
(Meuse), le 14 mai 1845, menuisier-ébé-
niste, demeurant 14, impasse Rolle-
boise. A travaillé avec Mérigeau, à l'ate-
lier de Dagrenet; arrêté i) y a deux
jours.
Guilmard(Isidore),né le 19 juillet 1847,
à Saint-Michel-des-Andaines (Orne),
menuisier, demeurant 8, rue des Lom-
bards. Guilmard, marié et père de trois
enfants, ne travaillait pas et vivait fort
retiré.
Chavanne (Gaston), né à Paris en 1867,
graveur-sculpteur, demeurant 7, rue
Gît-le-Coeur. Il est marié, sans enfants.
A cette liste devait se joindre le nom
de Jules Perron, 32, cours Ragot, à
Saint-Denis. Mais Perron, chez qui on
avait trouvé 150 brochures lors des per-
quisitions du 1" janvier, n'a pas, cette
fois, attendu la police.
La maltresse d'Ortiz
Ajoutons que, hier soir, à la dernière
heure, on a annoncé l'arrestation de la
maîtresse d'Ortiz.
Ortiz, on le sait, est considéré comme
le complice d'Emile Henry dans l'atten-
tat de la rue des Bons-Enfants.
Le plus grand mystère est gardé sur
cette dernière arrestation, opérée uni-
quement dans l'espoir d'arriver à Ortiz
par sa maîtresse.
Celle-ci n'est connue que sous le sobri-
quet de Trognette, qu'elle tient de son
amant Ortiz dit Trognon.
£
M. Joachim Magot, frère du directeur
d'une importante manufacture de chaus-
sures, 59, rue Marcadet, a trouvé dans
un couloir, au bas de l'escalier qui va
des ateliers aux bureaux, une boîte à
sardines ficelée, de laquelle émergeait
une mèche.
M. Archer, commissaire de police, fut
prévenu et fit enlever cet engin. Au
Laboratoire municipal,on a constaté que
la boîte ne contenait rien d'explosible.
On croit être en présence d'une mau-
vaise plaisanterie faite par un employé
récemment congédié.
Du même genre, la boîte de conserves
trouvée hier matin au pavillon de Flore,
avec cette étiquette maintenue par des
ficelles roùges : « Vive l'anarchie ! Vive
Vaillant! » et celle découverte rue Au-
guste-Comte devant le lycée Montaigne.
Ïj'Affaire de la rne Saint-Denis
L'affaire de l'explosion de la rue Saint-
Denis est aujourd'hui expliquée. Con-
chon a avoué à M. Orsatti, commissaire
de police, qu'il achetait souvent des pe-
tites boîtes de fulminate,jouets d'enfants
qu'on vend dans les bazars,et qu'il s'amu-
sait à les faire partir soit avec un petit
pistolet de treize sous, soit avec le pied,
sur son parquet ou dans la rue. C'est
une de ces boîtes qu'il avait dans ses
poches et qui, s'ouvrant probablement,
a détoné sous un choc quelconque.
Conchon qui, à part certaines petites
manies, est un brave garçon inoffensif,
ne sera pas poursuivi.
XXX»
V
LA MESSE DE LA CROIX-ROUGE
Hier a èlé célébrée, à la Madeleine, la messe
' de Requiem pour les soldats et les marins
morts au service de la France.
Ken avant midi, l'église était remplie jus-
qu'aux marches du sanctuaire,et dans la foule
recueillie on remarquait nombre de généraux
et d'officiers de terre et de mer en tenue ci-
vile. Les représentants militaires de la Pré-
sidence, en uniforme, occupaient des sièges
réservés au pied de l'autel.
Les murs de l'église étaient garnis de tro-
phées de drapeaux et d'écussons entourés
de crêpe aux armes du maréchal de Mac-
Mahon.
Les invitations à la cérémonie avaient été
faites : « De la part de M. le général duc d'Au-
male, président de la Société. » Le prince est
arrive â midi moins quelques minutes en ha-
bit de ville et cravate blanche, avec le grand
cordon de la Légion d'honneur en sautoir.
Peu après, sont arrivés :1e cardinal Richard,
puis les Dames faisant partie du Comité des
patronnesses, uniformément vêtues de noir,
avec les insignes de la Croix-Rouge au cor-
sage ; à leur tête, les deux présidentes : Mme
la générale Février et Mme Taine, veuve de
l'illustre académicien.
Après l'office, très imposant et admirable-
ment accompagné par la chapelle de la pa-
roisse , tout l'auditoire s'est tourné vers la
chaire, où le cardinal Thomas, archevêque de
Rouen, devait prononcer le panégyrique du
maréchal de Mac-Mahon; Mais l'éminent pré-
lat, retenu par une indisposition compliquée
d'extinction de voix, a dù se résigner à faire
lire son discours.C'est un des prédicateurs de
Rouen qui a été chargé de cette mission déli-
cate, et il s'en est acquitté avec un art, une
onction, une flamme qui ont vraiment fait
illusion. Le morceau, d'ailleurs, est superbe,
tout vibrant de patriotisme et de l'éloquence
la plus entraînante. Certainement, en tout au-
tre lieu, il eût été souvent interrompu par
d'unanimes applaudissements.
On a particulièrement remarqué une belle
apostrophe « aux Africains » et aux deuxder-
niers survivants de cette grande pléiade : le
maréchal Canrobert et le prince qui, après
s'être signalé à vingt ans par une inspiration
de génie et une victoire étincelante, a été arrê-
té par les événements dans sa destinée glo-
rieuse, mais qui, du moins, a su faire par la
plume ce qu'il ne lui avait pas été donné d'a-
chever par l'épée. « Quand on a été marqué
pour la gloire, a dit l'orateur, on trouve tou-
jours son chemin. »
L'ensemble du discours a montré avec éclat
quelle inspiration supérieure a guidé,en toute
circonstance, la conduite du Maréchal, et com-
ment, même à travers le dédale et les intri-
gues de la politique, il est demeuré constam-
ment l'homme du Devoir et de l'Honneur. -
Un de ses compagnons d'armes lui disait un
jour : « Comment faire, quand on se trouve
obligé de choisir entre l'honneur et le de-
voir ?» - Jamais ils ne sont séparés ni con-
traires, répondit le noble soldat : en faisant
son devoir on est toujours assuré de rencon-
trer l'honneur ! »
Et sa vie entière l'a bien prouvé.
Après avoir vécu en preux, il est mort en
chrétien convaincu. Le panégyrique raconte
qu'il s'est confessé humblement, qu'il a com-
munié au milieu des siens, puis que, pris de
délire dans les derniers moments, à cette
heure où la vie se résume et se condense pour
ainsi dire dans une vision suprême, il s'écria
avec un geste enlevant : : « A moi, turcos,
en avant !... » comme si, dit l'orateur, il avait
voulu monter à l'assaut du ciel...
Ce discours, un des plus beaux que nous
ayons entendus, a produit une impression
profonde et nous avons vu des larmes couler j
de bien des yeux.
Mme la duchesse de Magenta ne s'était pas
senti la force d'assister à la cérémonie; elle
est restée au château de La Forêt : mais elle
éprouvera des émotionsbien consolantes en li-
sant la magnifique oraison funèbre du cardi-
nal de Rouen.
A la fin de la cérémonie, les dames patron-
nesses ont passé dans les rangs de l'assis-
tance, en quêtant pour les blessés militaires.
Mme la générale Février a présenté d'abord
son aumôniére au délégué du président de la
République, puis à Mgr le duc d'Aumale. -
D'autres dames du Comité quêtaient à* la
sortie.
L'émotion était vive et les offrandes ont dû
être généreuses.
D.
LA VIE PARLEMENTAIRE
L'extrême gauche a résolu» dans sa réunion
d'hier, de ne pas laisser sans solution parle-
mentaire l'incident Dupuy-Duoret. j
Il a été convenu que M. Camille Pelletan
porterait la question à la tribune. Le repré-
sentant du groupe a été chargé de trouver,
avant la séance de la Chambre de samedi, la ,
formule qui lui permette de saisir ses collé- ,
gues de l'incident.
Pas moyen, en effet, de questionner ou d'in-
terpeller le président de la Chambre; il faut
par un procédé quelconque engager le débat
qui sera peut-être assez vif.
Il est probable que M. Pelletan déposera
un projet de résolution tendant à réduire les
fonds secrets d'une certaine somme, il deman-
dera l'urgence, ce qui lui permettra, grâce au
règlement, de prendre la parole et de dire
tout ce qu'il voudra.
M. Dupuy sera sans doute obligé d'interve-
nir, mais il paraît que plus que jamais il est
décidé à s'en tenir à sa réponse déjà connue :
« Etant donnée la nature de la question, je
» n'ai aucune explication à fonrnir. »
La discussion du rapport sur l'élection de
M. de Vogué viendra lundi ou mardi.
L'éminent académicien ne prendra proba-
blement pas part à cette discussion, laissant à
M. Descubes, rapporteur de la Commission
d'enquête, et à son président l'honorable
M. Riotteau, le soin de soutenir les conclu-
sions favorables à la validation.
# #
Le groupe de la gauche progressiste a dé-
cidé d'intervenir dans la discussion de la re-
vision pour soutenir son projet de revision
limité à la modification des droits du Sénat
en matière financière, mais en accordant au
Sénat le droit de veto suspensif temporaire.
On nous communique le procès-verbal sui-
vant :
La Commission de l'armée vient de se réunir,
sous la présidence de M. Mézières.
Elle a entendu les explications complémen-
taires que lui a données M. le ministre de la
guerre sur les précautions qui ont été prises
pour la défense de la frontière sud-est de la
France.
M. César Duval, député de la Haute-Savoie, a
insisté particulièrement sur la question du Cha-
blais et du Faucigny.
Ces territoires doivent avoir, suivant lui, une
garnison de deux bataillon, afin de pouvoir faire
respecter leur neutralité en temps de guerre:
D'accord avec ses collègues, MM. Orsat et Tho-
non, il a déposé un projet de loi en ce sens : il
a développé les raisons qui l'ont décidé à pren-
dre cette initiative. C'est sur ce point particu-
lier que le général Mercier s'est expliqué devant
la Commission.
La Commission de l'armée a résolu de don-
ner à la presse, pour chacune de ses réunions,
un compte rendu officiel et sommaire.
La Commission du travail a entendu M.
Marguery, président de l'association de l'ali-
mentation parisienne, qui a demandé que les
sociétés coopératives soient soumises aux
mêmes patentes que les commerçants.
P. H.
4
A L'ÉTRANGER
AU reichstag ALLEMAND
La discussion du traité de commerce
à signer avec la Russie continue au
Reichstag et a dépassé hier la limite
habituelle des discussions économiques.
On a fait de la politique et les déclara-
tions du chancelier de Caprivi sont de
celles qu'il ne faut pas oublier.
Au point de vue de la politique inté-
rieure de l'Allemagne, il est piquant de
voir M. de Caprivi, qu'on avait toujours
représenté comme un adversaire de la
politique bismarckienne, se placer sous
l'égide de son prédécesseur et s'éerier :
Mes efforts tendent à créer un rapproche-
ment économique avec la Russie, qui puisse
durer prés d'un siècle. Aujourd'hui, la majo-
rité de la nation se réjouit de voir atteint le
but que le prince de Bismarck montrait, en
1873, comme le principal à atteindre.
Je persévérerai, sans me lasser, à continuer
les négociations avec la Russie; et moi, ou
mon successeur, nous finirons bien par arri-
ver au but. Il m'appartenait, comme au suc-
cesseur du prince de Bismarck, d'accomplir la
promesse qu'il avait donnée.
C'est là un langage qui n'aurait pas
été tenu il y a un mois, et qui est la
première preuve publique de l'impor-
tance politique de la réconciliation sur-
venue entre l'ex-chancelier et son sou-
verain. Voilà le prince de Bismarck
condamné à protéger et approuver la po-
litique de son successeur 1 C'est un ré-
sultat qui vaut bien un voyage à Fried-
richsruh! Et c'est aussi le retour à ce
qui fut pendant si longtemps la politi-
que allemande, c'est-à-dire le désir, le
besoin de s'appuyer sur la Russie. Mais
cependant on ne songe pas à renoncer
au système actuel des alliances, car
M. de Caprivi ajoute :
Les hommes d'Etat de l'Autriche et de l'Ita-
lie n'ont trouvé que des félicitations à nous
adresser sur l'heureuse issue de nos efforts.
Le traité sert les intérêts de la politique alle-
mande et consolide la paix, qu'assuraient
déjà la triple alliance et la loi sur l'armée.
Si le traité a été reconnu valable pour dix
ans, c'est par une conséquence logique des
traités précédents. Voter contre le traité serait
vouloir la continuation de la guerre doua-
nière el briser tous points d'attache avec la
Russie.
Le présent traité est le dernier anneau de
la chaîne Originellement formée par le traité
avec l'Autriche.
Du reste, ce sont en l'espèce des con-
sidérations de peu d'importance, car
l'on voit,parmi les plus chauds partisans
du traité, les libéraux qui sont les ad-
versaires de l'alliance politique avec la
Russie,tandis que les conservateurs qui,
eux, ne veulent que de la polique à la
russe, ne veulent pas entendre parler de
traités à cause de leurs blés. Mais ce qui
est plus important encore, c'est le pas-
sage que voici :
Nous n'aspirons pas à la gloire guerrière,
la gloire que nous désirons est celle de résou-
dre les problèmes que nous pose la civilisa-
tion, de faciliter les rapports pacifiques entre
les peuples et de contribuer à l'union entre
les forces de l'Europe, afin de préparer cette
union pour l'avenir, dans le cas où il serait
nécessaire d'établir une politique économi-
que commune dans un groupe de grands
Etats.
Cette orientation politique a accru le pres-
tige de l'Allemagne.
C'est la première fois qu'un chance-
lier de l'Empire allemand tient un pa-
reil langage. Et nous n'étions pas ha-
bitués à entendre dire que l'Allema-
gne est pacifique, sans qu'il ne soit
dit aussitôt quelle est forte et dé-
cidée à donner tout son sang et son
or pour abattre les ennemis... héréditai-
res, bien entendu ! Je sais bien qu'un
ministre qui veut triompher n'est pas
chiche de promesses pacifiques ; mais"
cependant c'est là un symptôme nou- j
veau et l'évidente preuve que le système
politique allemand est en train d'évoluer.
Quels seront les résultats de cette évo-
lution? Nous le verrons plus tard !
Jacques St-Cere. '
nOUVELlES
PAR DÉPÊCHES DE NOS CORRESPONDANTS
Berlin, 28 février.
Le Reichstag a continué la discussion du
traité de commerce germano-russe.M. Richter
dit que c'est une question d'honnêteté inter-
nationale que de sanctionner définitivement
le traité.
M. Luber déclare que le centre est divisé.
« Les partisans du traité, dit-il, font dépen-
dre leur adhésion de l'abolition des tarifs mo-
biles des chemins de.fer. Une autre partie du
centre, également considérable, croit devoir
repousser le traité en vertu de scrupules au
sujet de l'agriculture. »
M. Schultz, au nom des socialistes, déclare
qu'ils voteront le traité.
De même M. Stumm, du parti de l'Empire,
et M. Bernstoeff, guelfe.
La discussion continuera demain.
Londres, 28 février.
M. Gladstone s'est rendu aujourd'hui &
Buckingham-Palace, où il a été immédiate-
ment reçu par la Reine qui l'a retenu una
demi-heure.
M. Gladstone n'a, jusqu'à présent, pas
donné sa démission.
v, Toulon, 28 février.
Une dépêche de New-York arrivée ici ce soir
confirme la nouvelle que les vaisseaux des
troupes insurgées : Mercurio, Vénus et Ju-
piter, ont sauté et coulé bas.
Budapest, 28 février.
Interpellé par M. Ujron, M- Weckerlé,
premier ministre, a déclaré aujourd'hui à la
Chambre des députés que les nouvelles d'une
mobilisation partielle ou de changement de
troupes sont fausses.
Le ministre a ajouté : « Nos relations exté-
rieures sont en ce moment telles qu'il n'existe
aucune nécessité de pareilles dispositions et,
autant que les prévisions humaines peuvent
l'assurer, cette nécessité ne se produira de
longtemps.»
Saint-Pétersbourg, 28 février.
M. Ermoloff, ministre russe de l'agricul-
ture et des domaines, se propose de créer
prochainement en France un poste d'agent
de son ministère dont la mission sera de
s'efforcer de développer les relations commer-
ciales entre la Russie et la France. M. Ermo-
loff vient, en outre, de décider l'envoi de
quatre hauts fonctionnaires de son ministère
dans le département de la Gironde et en
Bourgogne, pour étudier dans tous ses détails
le mode français de culture de la vigne.
{Agence russe.)
-A. .. .
mm DES JOURNAUX
Une lettre de Cotonou, publiée par le
XIXe Siècle, donne d'intéressants dé-
tails sur la capture de Behanzin.
L'ex-roi du Dahomey errait dans la
brousse, aux environs d'Abomey, pour-
chassé par nos colonnes, quand il ap-
prit l'avènement au trône de son demi-
frère, Agoliagbo, un des fils de Glé-Glé.
Il comprit que toute résistance devenait
impossible, du moment que ses sujets
l'abandonnaient et il offrit sa soumis-
sion au général Dodds.
. Par amour-propre, cependant, il ne
voulut pas se rendre et il exigea qu'on
vînt le prendre à un endroit qu'il dési-
gna, le village d'Oumbégané, près d'At-
chéribé. Le capitaine Privé, de l'état-
major, fut envoyé avec un petit détache-
ment; le 26, il trouva Behanzin qui se
laissa amener auprès du général Dodds.
Prévenu de la capture de notre ennemi, le
général reçut Behanzin devant la porte de sa
tente et la main tendue.
Celui-ci se présentait sans armes et accom-
pagné seulement de quelques-unes de ses
femmes. Puis après l'échange des banales for-
mules de politesse,il signifia au général « s'être
rendu à la condition de ne pas être livré au
nouveau roi, ajoutant préférer la mort à une
humiliation, après sa déchéance, vis-à-vis de
celui qu'il avait naguère dépossédé ».
Le générai l'assura des bonnes intentions
du gouvernement français à son égard et lui
donna la certitude qu'il serait simplement
exilé et pourvu d'honorables moyens d'exis-
tence. Puis il lui assigna, près de la sienne,
une tente où le prisonnier de guerre fut dès
lors l'objet d'une active surveillance de jour
et de nuit.
Behanzin fut dirigé ensuite sur Da-
nou, sur l'Ouémé, où la canonnière Onyx
était venue l'attendre pour le conduire
à Cotonou. L'arrivée de la canonnière à
Cotonou eut lieu le 2 février, à huit
heures du matin.Une foule considérable
se trouvait massée sur la berge.
Au moment du débarquement, une immense
clameur s'élève de la foule des noirs massés
sur la berge. « Ah! le voilà donc, le cochon!.,
c'est bien fait ! » (sic), telles sont les expres-
sions hurlées par des milliers de bouches hai-
neuses, heureuses de pouvoir insulter un
tyran réduit à l'impuissance.
Il ne faut rien moins qu'une intervention
de la milice civile pour faire taire les brail-
lards et obtenir d'eux un silence relatif.
Behanzin est seul à l'avant de la baleinière,
n'ayant près de lui que sa favorite qui l'évente
avec un mouchoir ; en face s'est placé le ca-
pitaine Privé. Puis la barque atterrit sous
les feux croisés des regards dévisageant cu-
rieusement le despote et l'insultant dans sa
défaite.
Behanzin est de stature moyenne, plutôt
grand que petit. Sa physionomie, bien que
portant l'empreinte des fatigues physiques et
morales auxquelles l'a contraint pendant de
longs mois son existence de fugitif, ne man-
que pas d'une certaine grandeur et respire
l'énergie et la férocité; l'oeil est méchant, le
nez recourbé en bec d'aigle, le visage étroit
et allongé, le teint bronzé plutôt que cuivré.
La tête couverte d'un bonnet dahoméen en
soie bleue, il s'avance fièrement drapé dans
un splendide pagne de satin Loïe Fuller, ap-
puyé sur l'épaule de sa favorite qui ne cesse
de l'éventer, ayant à la bouche une pipe au
tuyau démesuré dont le port le gêne dans
ses mouvements, obligé qu'il est de se servir
de ses mains pour gravir la berge.
Trente-six femmes et esclaves le suivent,
portant du linge et divers ustensiles de cui-
sine. La plupart sont des amazones restées
fidèles à leur roi, anciennes épouses dont il
a eu des enfants. Elles ne sont pas jolies, mais
à leur tenue et aux soins qu'elles ont de
leur peau elles se distinguent des femmes du
vulgaire.
Tout à coup on perçoit un gémissement:
c'est la dernière fille de Behanzin, âgée d'en-
viron deux ans, qui,se voyant séparée de son
père,pousse des cris que l'on parvient à apai-
ser en l'amenant près de lui.
Behanzin s'avance vers l'autorité militaire
de Cotonou; on échange des poignées de main
et l'on fait croire à l'ex-roi étonné de la force
déployée en la circonstance, que les soldats
sous les armes sont là pour lui rendre les
honneurs militaires. Le prisonnier sourit, sa-
tisfait, flatté dans son amour-propre, puis il
fait demander le commandant de l'Onyx
pour le remercier des attentions qu'il a eues
pour lui à son bord.
Le débarquement de ses bagages terminé,
Behanzin monte dans un wagonnet de l'artil-
lerie préparé pour le conduire au blockhaus
qui lui est assigné comme lieu de détention
provisoire.
Le correspondant du XIX° Siècle
ajoute que le lendemain Behanzin a
éprouvé une vive douleur. La plupart
de ses femmes ont déclaré, en effet,
qu'elles ne Voulaient pas le suivre, pré-
férant faire du commerce à Cotonou.
Behanzin a demandé en grâce qu'on les
contraignît à l'accompagner. Ses voeux
n'ont pu être exaucés que dans une cer-
taine mesure, car le croiseur Segond,
qui a emmené Behanzin à Dakar, n'a-
vait à bord qu'une douzaine de noirs et
de négresses. N'est-ce pas très Suffi-
sant ?
L» Liseur
LE FIGARO - JBtJDI i" MARS 1894
sades de l'Europe et les plus petites
légations elles-mêmes connaissaient
avant nous.
Gaston Calmette.
P.-S. - A une heure du matin, l'A-
gence Havas a reçu la protestation sui-
vante, de M. le comte d'Aunay :
'. Paris, 28 février, 11 heures du soir.
Monsieur Je Directeur,
J'apprends indirectement par les feuilles
de l'Agence Havas que je viens d'être révo-
qué de' mes fonctions de ministre plénipoten-
tiaire, comme étant l'auteur des divulgations
du Figaro sur l'incident Beauchamp.
J'ai déclaré à M. le président du Conseil et
à messieurs les directeurs que je répondais à
cette accusation par le démenti le plus for-
mel. Ces messieurs ne m'ont pas fait connaî-
tre d'où venait l'accusation dont j'étais l'objet.
Je suis donc révoqué sans explications
alors que l'incident qui a été raconté par le
Figaro défraie les conversations de toutes les
chancelleries depuis plusieurs semaines. A
Copenhague, trois ministres plénipotentiaires
m'en ont entretenu tour à tour. À Paris, plu-
sieurs diplomates en ont parlé à diverses per-
sonnes. -
Jé ne puis me laisser frapper dans ces con-
ditions. En conséquence, je vais me pourvoir
immédiatement devant le Conseil d'Etat.
Agréez, monsieur le directeur, l'assurance
de ma considération très distinguée.
Comte D'AUNAY.
Autre décision ministérielle : le capi-
taine de Beauchamp, ancien attaché mi-
litaire à la légation de Danemark, est af-
fecté à l'atelier de construction de
Bourges.
Au Jour le Jour
LA MI-CIRËME EN 1832
Certains pessimistes outranciers émettent un
doute sur la réussite d'une fête qui va grouper,
aujourd'hui; dans sa cavalcade, les blanchis-
seuses et les étudiants. Pour faire partager
leur idée noire, ils évoquent, avec mélancolie,
le. souvenir des galas dfe jadis qui -l'ignorent-
ils donc ? - furent toujours gais en dépit des
tristesses du moment.
La Mi-Carême de 1832 le prouve par une eu-,
rieuse similitude de faits et de noms.
Le jeudi 5 avril de cette année du règne
de Louis-Philippe, M. Casimir Perier étant
président du Conseil, la-Cour d'assises, prési-
dée par M. Hardouin, juge « le nommé Henry,
« arrêté le 2 février rue Montorgueil, vis-à-vis
» du Rocher de Cancale. Le prévenu faisait
> partie d'une bande de quinze à vingt jeunes
» gens qui mêlaient au chant de la Parisienne
» et de la Marseillaise plusieurs cris séditieux.
». M. Dulac, chef d'escadron, s'interposa. Il
» reçut à la tête un baril d'huîtres marinées.Le
» jeune Henry est condamné, pour offense en-
, » vers le Roi, à six mois de prison et trois
cents francs d'amende ».
" Pour adoucir la fâcheuse impression de ce
tendre arrêt, Louis-Philippe gracie Eugène
Desmares, condamné à six mois de prison pour
délit de presse.
Répondant à la bonté du Roi, les prisonniers
de Sainte-Pélagie s'insurgent et occasionnent
la mort de Jacobus, un détenu pour dettes.
A la Chambre, après avoir longuement dis-
cuté la loi sur les céréales, M. Pataille, com-
battant M. Demarçay - le Méline d'alors -
on s'étonne du rôle de MM. Thiers et Guizot,
lesquels viennent de voter des fonds secrets au
ministére.
L'opposition vante l'occupation d'Ancône -
le Tombouctou de l'époque-, la duchesse de
Berry conspire en Vendée-, à Grenoble, un
bria de guerre civile amène le licenciement de
la garde nationale, et, pour comble de mal-
heur, le choléra-morbus fait son apparition;
L'élite, rongée d'anglomanie, déclare qu'il
vient de Londres ; le peuple, encore fiévreux
de l'insomnie des trois glorieuses, croit à l'em-
poisonnement des fontaines et massacre des
innocents.
Rue Saint-André-des-Arts, un individu re-
garde dans un puits, on le tue ; à Vaugirard
deux jeunes gens subissent le même sort ; aux
Halles une poissarde invective un passant qui
portait une tabatière de camphre ; sans expli-
cation, sans même avoir visité sa boîte, les
marchandes le lardent de coups de couteau.
Les médecins,accusés de propager le mal, se dé-
guisent en ouvriers pour aller chez leurs clients.
Le désarroi grandit avec la révolte des chif-
fonniers et le lendemain de la mi-carême on
comptait 395 morts et 1,053 malades de la peste,
plus particulièrement dans la classe populaire.
Louis-Philippe donne cent huit mille francs
aux pestiférés. Mme Casimir Perier et la ba-
ronne de Rothschild tricotent des bas de laine
pour les indigents.
?Certes ! l'horizon est noir, mais le plaisir suit
son chemin, et la mode son cours. Les fa-
shionables vont au Cirque olympique applau-
dir les Polonnais, à l'Opéra écouter Robert le
Diable dont la trente-huitième fait 7,800 fr.
Tout le-monde achète Le Crapaud, roman es-
pagnol nouvellement paru ; les jeunes poètes
préludent dans la Lyre -fidèle ou dans le Tyrtèe;
et les femmes, sans souci des larmes et des
deuils, chiffonnent dans leurs doigts légers des
étoffes de fête. Sur leurs cheveux coiffés à la
bacchante, les plumes frïmatées succèdent aux
plumets russes, aux bonnets à la Taglioni, aux
turbans odalisques. Elles s'habillent de robes
vert-acanthe, bleu-azur, jaune-oiseau, écorcé-
de-cèdre ; des canezous à dessins grecs cui-
rassent leur poitrine. Les pieds serrés dans la
guêtre de bombazine, elles vont suivre, capi-
teuses et minaudières, les chars et les enterre-
ments.
Grâce à elles, les Parisiens de 1832 fêtèrent
la Mi-Carême avec enjouement au milieu de
préoccupations absorbantes , toujours les
mêmes : ils avaient les microbes. Nous avons
les bombes et les confetti.
Louis Gaillard.
--- - -JL
L'INCIDENT BRUNETIÈRE
Le nouvel académicien devait conti-
nuer hier son cours sur « Bossuet et le
mouvement des idées au dix-septième
siècle ».
Dès son arrivée à la nouvelle Sorbonne,
il était informé d'une manifestation pro-
jetée contre lui.
Depuis la veille, en effet, ce papier cir-
culait dans le quartier Latin :
GRAND CHAHUT
Mercredi 28 février\ à 2 heures
CHEZ BRUNETIÈRE
GRAND AMPHITHÉÂTRE (SORBONNE)
Serpentins, etc.
Rendez-vous à l'Ecole de Médecine, à 2 h. moins 1/4
On partira en monôme et sans bruit
PAIRS CIRCULER S. V. P.
M. Brunetière ne s'émeut point faci-
lement Los menaces le laissèrent assez
froid. .
LS avec m certain intérêt que
I hémicycle était plein de son public ha-
bituel, éminemment distingué, que beau-
coup.de femmes du monde étaient prê- j
tes a l applaudir, mais que les tribunes, 1
les couloirs, le vestibule même étaient
A ^ d etudiants à l'air très décidé.
A dçux heures, en effet, la Sorbonne I
avait été envahie par une foule d'étu-
diants en gaîté, faisant alterner les re-
frains populaires du quartier avec des
cris d'animaux. ,
Deux heures et demie sonnèrent,
l'heure fixée pour le cours.
M. Brunetière entra dans la salle."Une
bordée de sifflets, de cris l'accueillirent
pendant que des tribunes tombait une
pluie de confetti, de serpentins, de flè-
ches en papier. i
Les dames, très braves, répliquèrent
par des applaudissements.
Alors ce cri, - bien inattendu au
quartier Latin, - retentit:
- Conspuez, conspuez... LES FEMMES!
M. Brunetière fit signe qu'il atten-
drait que le silence se rétablît.
Des cintres tomba ce refrain, jadis
boulangiste :
C'est Zola, Zola, Zolaââ. C'est Zo-
laâââ qu'il nous faut, oh, oh, oh I
M. Brunetière, profitant d'une accal-
mie, dit en souriant :
- Je ne savais pas, messieurs, que ce
fût déjà aujourd'hui la Mi-Carême.
Les dames applaudissent. Les étu-
diants protestent par des cris. Quelques-
uns pourtant, appartenant, dit-on, à la
Faculté .des lettres, demandent le si-
1 lence, mais la majorité, venue pour
faire du bruit, n'est point disposée à
céder.
M. Himly, doyen de la Faculté; M.
Lantoine, secrétaire, se tiennent debout
à droite et à gauche de l'orateur.
Les étudiants crient : « Vive Gréard !
C'est Gréard qu'il nous faut. »
Et même tapage pendant vingt minu-
tes après lesquelles M. Brunetière pro-
nonce ces-mots qui, naturellement, ne
sont entendus que de ses voisins :
- Il vous est facile de m'empêcher de par-
ler. Mais comme mon cours est un cours li-
bre, je puis l'interrompre et le continuer ail-
leurs.
Si la semaine prochaine je ne puis parler
ici, je louerai une autre salle.
Les dames applaudissent. Plusieurs
personnes serrent la main du profes-
seur, qui se retire.
Les étudiants sont les maîtres de la
place. Ils veulent néanmoins suivre l'o-
rateur.
Aux cris de : « A bas Brunetière.' » ils
descendent dans l'immense salle d'en-
trée où ils se livrent à une sarabande
effrénée. C'est un tumulte de sauvages,
une succession de cris divers: « Vive
Zola i Vive Gréard '. » et môme : « Vive
Brunetière! »
Après dix minutes de cacophonie, un
monôme se forme, monte le grand esca-
lier, pénètre dans l'amphithéâtre où sont
restées quelques femmes épouvantées,
les plus zélées admiratrices de l'acadé-
micien. La trombe, ayant pénétré par
erreur dans la grande loggia 1e face,
franchit la balustrade de pierre, des-
cend dans l'hémicycle, bouscule la table
et le fauteuil de l'orateur.
Ces deux meubles, emportés par des
bras vigoureux, sont sortis de la salle et
transportés au premier étage où, par la
vaste baie qui éclaire le grand escalier,
ils sont précipités dans l'amphithéâtre.
La table se brise en menus morceaux.
Lé fauteuil, lui, ne perd que son dos-
sier.
« A l'Institut ! » crient ceux qui d'en
bas ont assisté à cette double exécution.
Quatre d'entre eux s'emparent du fau-
teuil, le hissent sur leurs épaules et se
dirigent vers la porte. Un cinquième
ouvre son parapluie et l'étend au-dessus
du meuble vide. En route vers l'Insti-
tut ! Sur le boulevard, un monôme se
forme pour faire escorte au. trône im-
provisé, mais les agents, qui laissaient
faire au dedans, s'opposent au monôme
extérieur. Ils confisquent le fauteuil
qu'un officier de paix met sous la garde
d'un agent.
Pendant ce temps, à l'intérieur de la
Sorbonne, M. Gréard tente de reprocher
aux manifestants leur intolérance et les
dégâts auxquels ils se sont livrés; il
n'arrive pas à se faire entendre. Dans
les couloirs, des partisans de M. Brune-
tière, ayant lancé le mot de «voyous»,
reçoivent et rendent des coups de poing
et de canne. Une mêlée générale s'en-
suit, les chapeaux volent, on se prend
aux cheveux.
Aussitôt prévenu, M. Lépine, préfet
de police, accourut, accompagné de M.
Gaillot, chef de la police municipale.
Il donne aux agents l'ordre de faire
évacuer la Sorbonne et de dégager le
boulevard.
A quatre heures de ce côté tout est
calme.
Depuis longtemps, M. Brunetière s'é-
tait retiré. Il était monté en voiture pour
se rendre rue de l'Université, à la Revue
des Deux Mondes.
Plus de trois cents jeunes gens le sui-
vent. Ils arrivent devant la solennelle
demeure de la placide Revue en criant
toujours : « C'est Zola, Zola, Zoloââ »,
et veulent envahir les bureaux.
Le concierge, affolé, en ferme la porte
où les passants pourront demain se ren-
dre compte de la vigueur avec laquelle
certain coup de canne a été lancé.
On téléphone au commissariat de po-
lice qui envoie des agents. Ceux-ci ré-
tablissent l'ordre tout le long, le long de
la rue de l'Université.
Dans les bureaux de la Revue, M. Bru-
netière est toujours très calme.
Nous lui demandons à quoi il attribue
un tel tumulte.
- Je ne puis pas m'en douter. Ni le
sujet que je traite : « Bossuet et le mou-
vement des idées au dix-septième siè-
cle », ni ma personne ne justifient pareil
esclandre. Ma leçon d'aujourd'hui eût
été la onzième. Les dix premières n'ont
soulevé aucune protestation. Quant à
M. Zola, je ne suis en rien responsable
de son échec ; il y avait deux fauteuils.. .
Comme je l'ai dit, j'essaieraimercredi
prochain de recommencer. Si on ne m'é-
coute pas, j'aviserai. Je n'ai pas besoin de
vous rappeler que je ne suis point pro-
fesseur à la Sorbonne, que mes leçons
ne me sont point payées, que je ne suis
nullement tenu de les donner. En les
préparant, ce qui me procure quelque
.mal ; en les rendant publiques, je fais
uniquement oeuvre de lettré et de philo-
sophe. Si on m'empêche de parler ici ou
là, on me rendra service. Je suis, en
effet, tellement occupé que j'ai sur mon
bureau un grand nombre de lettres qui
attendent des réponses qu'il ne m'est
point permis de faire.
Et, le soir, nous nous rendions au
quartier Latin dans l'intention d'avoir
le mot de l'énigme.
- Pourquoi cette guerre à M. Brune-1
tière ? i
- Parce qu'il représente l'esprit an- i
cien et que nous sommes, nous, pour
l'esprit nouveau.
Charles Chincholle.
- ?*- ?
, L'abondance des matières nous oblige
a renvoyer à demain la suite de notre
Roman.
LES ANARCHISTES
Emile Henry à la. Compagnie de
..Carmaux j,.
M. Espinas, juge d'instruction, veut
vérifier, dans leurs plus' petits détails,
les allégations d'Emile Henry, en ce qui
concerne l'explosion de la rue des Bons-
Enfants.
Après' avoir fait faire et refaire, par
des agents d'abord, par un commissaire
ensuite, le fameux trajèt en quatre voi-
tures, raconté par l'inculpé, le juge a
voulu qu'Henry répétât, rue Véron, la
scène du chargement de la bombe. Di-
sons en passant que la « marmite »
qu'on lui avait donnée pour cette re-
constitution n'était pas du même mo-
dèle que la « cocotte » trouvée dans le
couloir de Carmaux, et qu'il n'a pas
paru s'apercevoir de cette différence, ce
qui ferait croire qu'il ment en s'accusant
seul.
Hier matin, c'était à la Compagnie de
Carmaux qu'on lui faisait représenter
la scène du dépôt de la bombe.
A huit heures, un certain nombre
d'agents, les uns en uniforme, d'autres
en bourgeois, venaient se poster aux
abords des bureaux de la Compagnie,
II, avenue de l'Opéra. A neuf heures,
trois voitures amenaient M. Espinas et
son greffier, M. Clément, commissaire,
et Emile Henry conduit par des inspec-
teurs.
L'inculpé était vêtu d'un pardessus
marron foncé, assez usé, et d'un panta-
lon de couleur sombre, coiffé d'une cas-
quette plate en drap noir. Il avait l'air
indifférent, presque souriant, qu'il a
conservé tous ces jours derniers. II a re-
gardé avec une certaine satisfaction la
foule qui s'était amassée, de plus en plus
considérable.
A peine était-il entré, que la porte a
été fermée. On a remis à Henry la mar-
mite qui avait servi aux constatations
de la veille. Elle était fermée par le cou-
j vercle retourné - comme celle de l'at-
tentat - et une grosse corde était passée
dans les deux anses.
L'inculpé l'a prise et l'a placée sur le
palier, à droite de la porte d'entrée.
C'était là, a-t-il dit, et c'était en effet là
qu'on l'avait ramassée pour la porter
au commissariat de la rue des Bons-
Enfants.
On a ensuite vérifié, au chronomètre,
le temps exact qu'il avait fallu pour
aller de la rne à ce palier. Henry a ou-
vert la porte vitrée, a gravi les deux
marches et a feint de se cogner contre
une glace que, lors de sa venue, il avait
prise, dit-il, pour pne porte et qu'il
avait, ce jour-là, effectivement heurtée.
Ces constatations terminées, le pri-
i sonnier, toujours encadré des deux ins-
pecteurs et ayant derrière lui un briga-
dier, a été conduit à la voiture à quatre
places qui l'avait amené et qui l'a
ramené à la Gonciergerie.
M. Espinas, resté un instant pour
classer ses notes, a demandé à la con-
cierge si elle reconnaissait Henry pour
l'homme qui était venu lui parler le
matin de l'explosion. Elle n'a pu se
prononcer. Cet homme qu'elle n'a, du
reste, qu'entrevu, lui avait paru plus
I grand.
Nous donnons ici deux portraits
d'Emile Henry - face et profil - faits
d'après nature, par un de nos collabora-
teurs, au moment de la descente de
justice.
! M. Espinas s'est rendu dans la jour-
née, accompagné de M. Fédée, officier
de paix des brigades de recherches, au
domicile du cordonnier Bonnard, rue
Thévenot, et y a pratiqué une perqui-
sition. On en ignore le résultat.
Perquisitions et Arrestations
La série des perquisitions, suivies
d'arrestations, continue. Voici le bilan
d'hier matin :
Rabouin (Paul-Pierre-Augustin), né le
29 août 1860, à Ouzouer-sur-Loira (Loi-
ret,), palefrenier, demeurant rue Saint-
Louis, 26, à Choisy-le-Roi.
Rabouin (Pierre-Emile); frère du pré-
cédent, né a Ouzouer, le 4 mars 1853,
distillateur, demeurant rue de l'Epi-
nette, 15, à Choisy-le-Roi.
Derossy (Pierre), né à Lherme (Haute-
Garonne) , le 23 juillet 1854, cordonnier,
demeurant 6, rue Fauvet (Montmartre).
Derossy, méridional plein de faconde,
passe dans le quartier pour être fort cau-
seur, mais peu dangereux. Il avait été,
au 1" janvier, l'objet d'une perquisi-
tion infructueuse.
Jacob (Georges-Gustave), né à Paris le
24 juillet 1850, demeurant rue de la Bou-
langerie, à Saint-Denis.
Jamard (Alphonse-Ernest), né à Paris
le 22 septembre 1842, distillateur, de-
meurant 6,Petit passage Stainville, voie
qui donne dans la rue de Reuilly. Déjà
perquisitionné le 1er janvier. Jamard,
alcoolique par suite de son métier,a été
interné trois fois à Bicêtre. Il est peu 1
communicatif et vit très renfermé chez
lui.
Bernardt (Victor-Joseph), né à Paris'
le 13 juillet 1850, coupeur en cravates,
demeurant 52, rue du Chemin-Vert.
D'Auby (Henri), né à Montmédy ]
(Meuse), le 14 mai 1845, menuisier-ébé-
niste, demeurant 14, impasse Rolle-
boise. A travaillé avec Mérigeau, à l'ate-
lier de Dagrenet; arrêté i) y a deux
jours.
Guilmard(Isidore),né le 19 juillet 1847,
à Saint-Michel-des-Andaines (Orne),
menuisier, demeurant 8, rue des Lom-
bards. Guilmard, marié et père de trois
enfants, ne travaillait pas et vivait fort
retiré.
Chavanne (Gaston), né à Paris en 1867,
graveur-sculpteur, demeurant 7, rue
Gît-le-Coeur. Il est marié, sans enfants.
A cette liste devait se joindre le nom
de Jules Perron, 32, cours Ragot, à
Saint-Denis. Mais Perron, chez qui on
avait trouvé 150 brochures lors des per-
quisitions du 1" janvier, n'a pas, cette
fois, attendu la police.
La maltresse d'Ortiz
Ajoutons que, hier soir, à la dernière
heure, on a annoncé l'arrestation de la
maîtresse d'Ortiz.
Ortiz, on le sait, est considéré comme
le complice d'Emile Henry dans l'atten-
tat de la rue des Bons-Enfants.
Le plus grand mystère est gardé sur
cette dernière arrestation, opérée uni-
quement dans l'espoir d'arriver à Ortiz
par sa maîtresse.
Celle-ci n'est connue que sous le sobri-
quet de Trognette, qu'elle tient de son
amant Ortiz dit Trognon.
£
M. Joachim Magot, frère du directeur
d'une importante manufacture de chaus-
sures, 59, rue Marcadet, a trouvé dans
un couloir, au bas de l'escalier qui va
des ateliers aux bureaux, une boîte à
sardines ficelée, de laquelle émergeait
une mèche.
M. Archer, commissaire de police, fut
prévenu et fit enlever cet engin. Au
Laboratoire municipal,on a constaté que
la boîte ne contenait rien d'explosible.
On croit être en présence d'une mau-
vaise plaisanterie faite par un employé
récemment congédié.
Du même genre, la boîte de conserves
trouvée hier matin au pavillon de Flore,
avec cette étiquette maintenue par des
ficelles roùges : « Vive l'anarchie ! Vive
Vaillant! » et celle découverte rue Au-
guste-Comte devant le lycée Montaigne.
Ïj'Affaire de la rne Saint-Denis
L'affaire de l'explosion de la rue Saint-
Denis est aujourd'hui expliquée. Con-
chon a avoué à M. Orsatti, commissaire
de police, qu'il achetait souvent des pe-
tites boîtes de fulminate,jouets d'enfants
qu'on vend dans les bazars,et qu'il s'amu-
sait à les faire partir soit avec un petit
pistolet de treize sous, soit avec le pied,
sur son parquet ou dans la rue. C'est
une de ces boîtes qu'il avait dans ses
poches et qui, s'ouvrant probablement,
a détoné sous un choc quelconque.
Conchon qui, à part certaines petites
manies, est un brave garçon inoffensif,
ne sera pas poursuivi.
XXX»
V
LA MESSE DE LA CROIX-ROUGE
Hier a èlé célébrée, à la Madeleine, la messe
' de Requiem pour les soldats et les marins
morts au service de la France.
Ken avant midi, l'église était remplie jus-
qu'aux marches du sanctuaire,et dans la foule
recueillie on remarquait nombre de généraux
et d'officiers de terre et de mer en tenue ci-
vile. Les représentants militaires de la Pré-
sidence, en uniforme, occupaient des sièges
réservés au pied de l'autel.
Les murs de l'église étaient garnis de tro-
phées de drapeaux et d'écussons entourés
de crêpe aux armes du maréchal de Mac-
Mahon.
Les invitations à la cérémonie avaient été
faites : « De la part de M. le général duc d'Au-
male, président de la Société. » Le prince est
arrive â midi moins quelques minutes en ha-
bit de ville et cravate blanche, avec le grand
cordon de la Légion d'honneur en sautoir.
Peu après, sont arrivés :1e cardinal Richard,
puis les Dames faisant partie du Comité des
patronnesses, uniformément vêtues de noir,
avec les insignes de la Croix-Rouge au cor-
sage ; à leur tête, les deux présidentes : Mme
la générale Février et Mme Taine, veuve de
l'illustre académicien.
Après l'office, très imposant et admirable-
ment accompagné par la chapelle de la pa-
roisse , tout l'auditoire s'est tourné vers la
chaire, où le cardinal Thomas, archevêque de
Rouen, devait prononcer le panégyrique du
maréchal de Mac-Mahon; Mais l'éminent pré-
lat, retenu par une indisposition compliquée
d'extinction de voix, a dù se résigner à faire
lire son discours.C'est un des prédicateurs de
Rouen qui a été chargé de cette mission déli-
cate, et il s'en est acquitté avec un art, une
onction, une flamme qui ont vraiment fait
illusion. Le morceau, d'ailleurs, est superbe,
tout vibrant de patriotisme et de l'éloquence
la plus entraînante. Certainement, en tout au-
tre lieu, il eût été souvent interrompu par
d'unanimes applaudissements.
On a particulièrement remarqué une belle
apostrophe « aux Africains » et aux deuxder-
niers survivants de cette grande pléiade : le
maréchal Canrobert et le prince qui, après
s'être signalé à vingt ans par une inspiration
de génie et une victoire étincelante, a été arrê-
té par les événements dans sa destinée glo-
rieuse, mais qui, du moins, a su faire par la
plume ce qu'il ne lui avait pas été donné d'a-
chever par l'épée. « Quand on a été marqué
pour la gloire, a dit l'orateur, on trouve tou-
jours son chemin. »
L'ensemble du discours a montré avec éclat
quelle inspiration supérieure a guidé,en toute
circonstance, la conduite du Maréchal, et com-
ment, même à travers le dédale et les intri-
gues de la politique, il est demeuré constam-
ment l'homme du Devoir et de l'Honneur. -
Un de ses compagnons d'armes lui disait un
jour : « Comment faire, quand on se trouve
obligé de choisir entre l'honneur et le de-
voir ?» - Jamais ils ne sont séparés ni con-
traires, répondit le noble soldat : en faisant
son devoir on est toujours assuré de rencon-
trer l'honneur ! »
Et sa vie entière l'a bien prouvé.
Après avoir vécu en preux, il est mort en
chrétien convaincu. Le panégyrique raconte
qu'il s'est confessé humblement, qu'il a com-
munié au milieu des siens, puis que, pris de
délire dans les derniers moments, à cette
heure où la vie se résume et se condense pour
ainsi dire dans une vision suprême, il s'écria
avec un geste enlevant : : « A moi, turcos,
en avant !... » comme si, dit l'orateur, il avait
voulu monter à l'assaut du ciel...
Ce discours, un des plus beaux que nous
ayons entendus, a produit une impression
profonde et nous avons vu des larmes couler j
de bien des yeux.
Mme la duchesse de Magenta ne s'était pas
senti la force d'assister à la cérémonie; elle
est restée au château de La Forêt : mais elle
éprouvera des émotionsbien consolantes en li-
sant la magnifique oraison funèbre du cardi-
nal de Rouen.
A la fin de la cérémonie, les dames patron-
nesses ont passé dans les rangs de l'assis-
tance, en quêtant pour les blessés militaires.
Mme la générale Février a présenté d'abord
son aumôniére au délégué du président de la
République, puis à Mgr le duc d'Aumale. -
D'autres dames du Comité quêtaient à* la
sortie.
L'émotion était vive et les offrandes ont dû
être généreuses.
D.
LA VIE PARLEMENTAIRE
L'extrême gauche a résolu» dans sa réunion
d'hier, de ne pas laisser sans solution parle-
mentaire l'incident Dupuy-Duoret. j
Il a été convenu que M. Camille Pelletan
porterait la question à la tribune. Le repré-
sentant du groupe a été chargé de trouver,
avant la séance de la Chambre de samedi, la ,
formule qui lui permette de saisir ses collé- ,
gues de l'incident.
Pas moyen, en effet, de questionner ou d'in-
terpeller le président de la Chambre; il faut
par un procédé quelconque engager le débat
qui sera peut-être assez vif.
Il est probable que M. Pelletan déposera
un projet de résolution tendant à réduire les
fonds secrets d'une certaine somme, il deman-
dera l'urgence, ce qui lui permettra, grâce au
règlement, de prendre la parole et de dire
tout ce qu'il voudra.
M. Dupuy sera sans doute obligé d'interve-
nir, mais il paraît que plus que jamais il est
décidé à s'en tenir à sa réponse déjà connue :
« Etant donnée la nature de la question, je
» n'ai aucune explication à fonrnir. »
La discussion du rapport sur l'élection de
M. de Vogué viendra lundi ou mardi.
L'éminent académicien ne prendra proba-
blement pas part à cette discussion, laissant à
M. Descubes, rapporteur de la Commission
d'enquête, et à son président l'honorable
M. Riotteau, le soin de soutenir les conclu-
sions favorables à la validation.
# #
Le groupe de la gauche progressiste a dé-
cidé d'intervenir dans la discussion de la re-
vision pour soutenir son projet de revision
limité à la modification des droits du Sénat
en matière financière, mais en accordant au
Sénat le droit de veto suspensif temporaire.
On nous communique le procès-verbal sui-
vant :
La Commission de l'armée vient de se réunir,
sous la présidence de M. Mézières.
Elle a entendu les explications complémen-
taires que lui a données M. le ministre de la
guerre sur les précautions qui ont été prises
pour la défense de la frontière sud-est de la
France.
M. César Duval, député de la Haute-Savoie, a
insisté particulièrement sur la question du Cha-
blais et du Faucigny.
Ces territoires doivent avoir, suivant lui, une
garnison de deux bataillon, afin de pouvoir faire
respecter leur neutralité en temps de guerre:
D'accord avec ses collègues, MM. Orsat et Tho-
non, il a déposé un projet de loi en ce sens : il
a développé les raisons qui l'ont décidé à pren-
dre cette initiative. C'est sur ce point particu-
lier que le général Mercier s'est expliqué devant
la Commission.
La Commission de l'armée a résolu de don-
ner à la presse, pour chacune de ses réunions,
un compte rendu officiel et sommaire.
La Commission du travail a entendu M.
Marguery, président de l'association de l'ali-
mentation parisienne, qui a demandé que les
sociétés coopératives soient soumises aux
mêmes patentes que les commerçants.
P. H.
4
A L'ÉTRANGER
AU reichstag ALLEMAND
La discussion du traité de commerce
à signer avec la Russie continue au
Reichstag et a dépassé hier la limite
habituelle des discussions économiques.
On a fait de la politique et les déclara-
tions du chancelier de Caprivi sont de
celles qu'il ne faut pas oublier.
Au point de vue de la politique inté-
rieure de l'Allemagne, il est piquant de
voir M. de Caprivi, qu'on avait toujours
représenté comme un adversaire de la
politique bismarckienne, se placer sous
l'égide de son prédécesseur et s'éerier :
Mes efforts tendent à créer un rapproche-
ment économique avec la Russie, qui puisse
durer prés d'un siècle. Aujourd'hui, la majo-
rité de la nation se réjouit de voir atteint le
but que le prince de Bismarck montrait, en
1873, comme le principal à atteindre.
Je persévérerai, sans me lasser, à continuer
les négociations avec la Russie; et moi, ou
mon successeur, nous finirons bien par arri-
ver au but. Il m'appartenait, comme au suc-
cesseur du prince de Bismarck, d'accomplir la
promesse qu'il avait donnée.
C'est là un langage qui n'aurait pas
été tenu il y a un mois, et qui est la
première preuve publique de l'impor-
tance politique de la réconciliation sur-
venue entre l'ex-chancelier et son sou-
verain. Voilà le prince de Bismarck
condamné à protéger et approuver la po-
litique de son successeur 1 C'est un ré-
sultat qui vaut bien un voyage à Fried-
richsruh! Et c'est aussi le retour à ce
qui fut pendant si longtemps la politi-
que allemande, c'est-à-dire le désir, le
besoin de s'appuyer sur la Russie. Mais
cependant on ne songe pas à renoncer
au système actuel des alliances, car
M. de Caprivi ajoute :
Les hommes d'Etat de l'Autriche et de l'Ita-
lie n'ont trouvé que des félicitations à nous
adresser sur l'heureuse issue de nos efforts.
Le traité sert les intérêts de la politique alle-
mande et consolide la paix, qu'assuraient
déjà la triple alliance et la loi sur l'armée.
Si le traité a été reconnu valable pour dix
ans, c'est par une conséquence logique des
traités précédents. Voter contre le traité serait
vouloir la continuation de la guerre doua-
nière el briser tous points d'attache avec la
Russie.
Le présent traité est le dernier anneau de
la chaîne Originellement formée par le traité
avec l'Autriche.
Du reste, ce sont en l'espèce des con-
sidérations de peu d'importance, car
l'on voit,parmi les plus chauds partisans
du traité, les libéraux qui sont les ad-
versaires de l'alliance politique avec la
Russie,tandis que les conservateurs qui,
eux, ne veulent que de la polique à la
russe, ne veulent pas entendre parler de
traités à cause de leurs blés. Mais ce qui
est plus important encore, c'est le pas-
sage que voici :
Nous n'aspirons pas à la gloire guerrière,
la gloire que nous désirons est celle de résou-
dre les problèmes que nous pose la civilisa-
tion, de faciliter les rapports pacifiques entre
les peuples et de contribuer à l'union entre
les forces de l'Europe, afin de préparer cette
union pour l'avenir, dans le cas où il serait
nécessaire d'établir une politique économi-
que commune dans un groupe de grands
Etats.
Cette orientation politique a accru le pres-
tige de l'Allemagne.
C'est la première fois qu'un chance-
lier de l'Empire allemand tient un pa-
reil langage. Et nous n'étions pas ha-
bitués à entendre dire que l'Allema-
gne est pacifique, sans qu'il ne soit
dit aussitôt quelle est forte et dé-
cidée à donner tout son sang et son
or pour abattre les ennemis... héréditai-
res, bien entendu ! Je sais bien qu'un
ministre qui veut triompher n'est pas
chiche de promesses pacifiques ; mais"
cependant c'est là un symptôme nou- j
veau et l'évidente preuve que le système
politique allemand est en train d'évoluer.
Quels seront les résultats de cette évo-
lution? Nous le verrons plus tard !
Jacques St-Cere. '
nOUVELlES
PAR DÉPÊCHES DE NOS CORRESPONDANTS
Berlin, 28 février.
Le Reichstag a continué la discussion du
traité de commerce germano-russe.M. Richter
dit que c'est une question d'honnêteté inter-
nationale que de sanctionner définitivement
le traité.
M. Luber déclare que le centre est divisé.
« Les partisans du traité, dit-il, font dépen-
dre leur adhésion de l'abolition des tarifs mo-
biles des chemins de.fer. Une autre partie du
centre, également considérable, croit devoir
repousser le traité en vertu de scrupules au
sujet de l'agriculture. »
M. Schultz, au nom des socialistes, déclare
qu'ils voteront le traité.
De même M. Stumm, du parti de l'Empire,
et M. Bernstoeff, guelfe.
La discussion continuera demain.
Londres, 28 février.
M. Gladstone s'est rendu aujourd'hui &
Buckingham-Palace, où il a été immédiate-
ment reçu par la Reine qui l'a retenu una
demi-heure.
M. Gladstone n'a, jusqu'à présent, pas
donné sa démission.
v, Toulon, 28 février.
Une dépêche de New-York arrivée ici ce soir
confirme la nouvelle que les vaisseaux des
troupes insurgées : Mercurio, Vénus et Ju-
piter, ont sauté et coulé bas.
Budapest, 28 février.
Interpellé par M. Ujron, M- Weckerlé,
premier ministre, a déclaré aujourd'hui à la
Chambre des députés que les nouvelles d'une
mobilisation partielle ou de changement de
troupes sont fausses.
Le ministre a ajouté : « Nos relations exté-
rieures sont en ce moment telles qu'il n'existe
aucune nécessité de pareilles dispositions et,
autant que les prévisions humaines peuvent
l'assurer, cette nécessité ne se produira de
longtemps.»
Saint-Pétersbourg, 28 février.
M. Ermoloff, ministre russe de l'agricul-
ture et des domaines, se propose de créer
prochainement en France un poste d'agent
de son ministère dont la mission sera de
s'efforcer de développer les relations commer-
ciales entre la Russie et la France. M. Ermo-
loff vient, en outre, de décider l'envoi de
quatre hauts fonctionnaires de son ministère
dans le département de la Gironde et en
Bourgogne, pour étudier dans tous ses détails
le mode français de culture de la vigne.
{Agence russe.)
-A. .. .
mm DES JOURNAUX
Une lettre de Cotonou, publiée par le
XIXe Siècle, donne d'intéressants dé-
tails sur la capture de Behanzin.
L'ex-roi du Dahomey errait dans la
brousse, aux environs d'Abomey, pour-
chassé par nos colonnes, quand il ap-
prit l'avènement au trône de son demi-
frère, Agoliagbo, un des fils de Glé-Glé.
Il comprit que toute résistance devenait
impossible, du moment que ses sujets
l'abandonnaient et il offrit sa soumis-
sion au général Dodds.
. Par amour-propre, cependant, il ne
voulut pas se rendre et il exigea qu'on
vînt le prendre à un endroit qu'il dési-
gna, le village d'Oumbégané, près d'At-
chéribé. Le capitaine Privé, de l'état-
major, fut envoyé avec un petit détache-
ment; le 26, il trouva Behanzin qui se
laissa amener auprès du général Dodds.
Prévenu de la capture de notre ennemi, le
général reçut Behanzin devant la porte de sa
tente et la main tendue.
Celui-ci se présentait sans armes et accom-
pagné seulement de quelques-unes de ses
femmes. Puis après l'échange des banales for-
mules de politesse,il signifia au général « s'être
rendu à la condition de ne pas être livré au
nouveau roi, ajoutant préférer la mort à une
humiliation, après sa déchéance, vis-à-vis de
celui qu'il avait naguère dépossédé ».
Le générai l'assura des bonnes intentions
du gouvernement français à son égard et lui
donna la certitude qu'il serait simplement
exilé et pourvu d'honorables moyens d'exis-
tence. Puis il lui assigna, près de la sienne,
une tente où le prisonnier de guerre fut dès
lors l'objet d'une active surveillance de jour
et de nuit.
Behanzin fut dirigé ensuite sur Da-
nou, sur l'Ouémé, où la canonnière Onyx
était venue l'attendre pour le conduire
à Cotonou. L'arrivée de la canonnière à
Cotonou eut lieu le 2 février, à huit
heures du matin.Une foule considérable
se trouvait massée sur la berge.
Au moment du débarquement, une immense
clameur s'élève de la foule des noirs massés
sur la berge. « Ah! le voilà donc, le cochon!.,
c'est bien fait ! » (sic), telles sont les expres-
sions hurlées par des milliers de bouches hai-
neuses, heureuses de pouvoir insulter un
tyran réduit à l'impuissance.
Il ne faut rien moins qu'une intervention
de la milice civile pour faire taire les brail-
lards et obtenir d'eux un silence relatif.
Behanzin est seul à l'avant de la baleinière,
n'ayant près de lui que sa favorite qui l'évente
avec un mouchoir ; en face s'est placé le ca-
pitaine Privé. Puis la barque atterrit sous
les feux croisés des regards dévisageant cu-
rieusement le despote et l'insultant dans sa
défaite.
Behanzin est de stature moyenne, plutôt
grand que petit. Sa physionomie, bien que
portant l'empreinte des fatigues physiques et
morales auxquelles l'a contraint pendant de
longs mois son existence de fugitif, ne man-
que pas d'une certaine grandeur et respire
l'énergie et la férocité; l'oeil est méchant, le
nez recourbé en bec d'aigle, le visage étroit
et allongé, le teint bronzé plutôt que cuivré.
La tête couverte d'un bonnet dahoméen en
soie bleue, il s'avance fièrement drapé dans
un splendide pagne de satin Loïe Fuller, ap-
puyé sur l'épaule de sa favorite qui ne cesse
de l'éventer, ayant à la bouche une pipe au
tuyau démesuré dont le port le gêne dans
ses mouvements, obligé qu'il est de se servir
de ses mains pour gravir la berge.
Trente-six femmes et esclaves le suivent,
portant du linge et divers ustensiles de cui-
sine. La plupart sont des amazones restées
fidèles à leur roi, anciennes épouses dont il
a eu des enfants. Elles ne sont pas jolies, mais
à leur tenue et aux soins qu'elles ont de
leur peau elles se distinguent des femmes du
vulgaire.
Tout à coup on perçoit un gémissement:
c'est la dernière fille de Behanzin, âgée d'en-
viron deux ans, qui,se voyant séparée de son
père,pousse des cris que l'on parvient à apai-
ser en l'amenant près de lui.
Behanzin s'avance vers l'autorité militaire
de Cotonou; on échange des poignées de main
et l'on fait croire à l'ex-roi étonné de la force
déployée en la circonstance, que les soldats
sous les armes sont là pour lui rendre les
honneurs militaires. Le prisonnier sourit, sa-
tisfait, flatté dans son amour-propre, puis il
fait demander le commandant de l'Onyx
pour le remercier des attentions qu'il a eues
pour lui à son bord.
Le débarquement de ses bagages terminé,
Behanzin monte dans un wagonnet de l'artil-
lerie préparé pour le conduire au blockhaus
qui lui est assigné comme lieu de détention
provisoire.
Le correspondant du XIX° Siècle
ajoute que le lendemain Behanzin a
éprouvé une vive douleur. La plupart
de ses femmes ont déclaré, en effet,
qu'elles ne Voulaient pas le suivre, pré-
férant faire du commerce à Cotonou.
Behanzin a demandé en grâce qu'on les
contraignît à l'accompagner. Ses voeux
n'ont pu être exaucés que dans une cer-
taine mesure, car le croiseur Segond,
qui a emmené Behanzin à Dakar, n'a-
vait à bord qu'une douzaine de noirs et
de négresses. N'est-ce pas très Suffi-
sant ?
L» Liseur
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 98.5%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 98.5%.
- Collections numériques similaires Baudrillart Alfred Baudrillart Alfred /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Baudrillart Alfred" or dc.contributor adj "Baudrillart Alfred")Le Très Révérend Père Raphaël Delarbre d'Aurillac, franciscain, 1843-1924 (2e éd.) / R. P. M.-Lucien Dané,... ; [lettres-préfaces du cardinal E. Pacelli, du cardinal Alfred Baudrillart, du cardinal Charles Salotti, de Mgr Colomban-Marie Dreyer, du P. Agostino Gemelli et du P. Raymond Giscard] ; [préface du P. Léonard-Marie Bello] /ark:/12148/bpt6k3379945q.highres La vie à Paris pendant la Révolution : [1789-1793] / G. Lenotre,... ; préface de S. Em. le cardinal A. Baudrillart /ark:/12148/bd6t5386470t.highresGuibert Jean Guibert Jean /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Guibert Jean" or dc.contributor adj "Guibert Jean") Lesêtre Henri Lesêtre Henri /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Lesêtre Henri" or dc.contributor adj "Lesêtre Henri") Verdier Jean Verdier Jean /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Verdier Jean" or dc.contributor adj "Verdier Jean")
- Auteurs similaires Baudrillart Alfred Baudrillart Alfred /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Baudrillart Alfred" or dc.contributor adj "Baudrillart Alfred")Le Très Révérend Père Raphaël Delarbre d'Aurillac, franciscain, 1843-1924 (2e éd.) / R. P. M.-Lucien Dané,... ; [lettres-préfaces du cardinal E. Pacelli, du cardinal Alfred Baudrillart, du cardinal Charles Salotti, de Mgr Colomban-Marie Dreyer, du P. Agostino Gemelli et du P. Raymond Giscard] ; [préface du P. Léonard-Marie Bello] /ark:/12148/bpt6k3379945q.highres La vie à Paris pendant la Révolution : [1789-1793] / G. Lenotre,... ; préface de S. Em. le cardinal A. Baudrillart /ark:/12148/bd6t5386470t.highresGuibert Jean Guibert Jean /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Guibert Jean" or dc.contributor adj "Guibert Jean") Lesêtre Henri Lesêtre Henri /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Lesêtre Henri" or dc.contributor adj "Lesêtre Henri") Verdier Jean Verdier Jean /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Verdier Jean" or dc.contributor adj "Verdier Jean")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 2/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k282829f/f2.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k282829f/f2.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k282829f/f2.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k282829f/f2.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k282829f
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k282829f
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k282829f/f2.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest