Titre : Figaro : journal non politique
Éditeur : Figaro (Paris)
Date d'édition : 1886-06-12
Contributeur : Villemessant, Hippolyte de (1810-1879). Directeur de publication
Contributeur : Jouvin, Benoît (1810-1886). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 12 juin 1886 12 juin 1886
Description : 1886/06/12 (Numéro 163). 1886/06/12 (Numéro 163).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG63 Collection numérique : BIPFPIG63
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Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Description : Collection numérique : France-Brésil Collection numérique : France-Brésil
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k279693n
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
32' Année - 3* Série - Numéro 163
te Numéro avec le Supplément : 20 cent, à Paris* 25 cent. dans les Départements
Sam edi 12 Juin 1886
FRANCIS MAGNARD
Rédacteur en chef
A. PÉRIVIER
Secrétaire de la Rédaction
RÉDACTION
De midi à minuit, rue Drouot, 23
Les manuscrits ne sont pas rendus
BUREAUX
26, rue Drouot, 20
1 I ?? . . M HgM ! f|^ Ï S
IHfl H iKtWHi H gggg nfflN ESË3T ^n99&; < MSn
H. DE VILLEMESSANT
Fondateur
FERNAND DE RODAT»
Administrateur
ABONNEM ENTS
Uépartem-.ts : Trois Mois f 9 'r' 50
Paris : Trois Mois | 6 fr"
ANNONCES, RÉCLAMES t PETITES ANNONCES
DOLUNCES FILS, Siiouv ET C'«, 16, KUE GRANOE-BATKUÈILI
EX AU FIGARO, 26, RUE DROUOT
. tA
Première Proscription
C'est fini I Dans Une phrase type que
l'on a rappelée au cours de la discussion,
M. Grévy, président de la République
française, a dit : « La proscription est
toujours un crime et quelquefois une
faute! » Malgré l'autorité d'un si sage
conseil, crime et faute sont commis, et
c'est la loi elle-même qui les consacre.
Le Sénat n'y mettra point son veto. On
peut dès aujourd'hui considérer lés Prin-
ces français comme chassés de France
parce qu'ils sont princes 1
Ainsi qu'on peut s'en convaincre par le
compte rendu des débats, nos pronostics
se sont absolument réalisés, le pro-
gramme a été suivi de point en point.
Les jacobins violents ont réclamé une
proscription radicale et franche ; les ja-
cobins modérés, dont le cabinet fait par-
tie, ontproposé une proscription mitigée
et hypocrite. Une proscription mixte
s'est glissée entre les deux, et l'accord
s'est fait, entre proscripteurs, sur cette
cote mal taillée, considérée par les uns
et lés autres comme une nécessité de
salut public.
Ce qui juge une mesure quelconque
dont un parti prétend se faire une arme
contre ses adversaires, ce n'est pas l'in-
dignation naturelle qu'elle soulève chez
ceux qui sont frappés, c'est l'opposition
inattendue qu'elle rencontre chez ceux-là
mômes qui frappent.
Or, l'exil des Princes a été publique-
ment flétri par les plus honnêtes répu-
blicains, par ceux qui dédaignent ou
condamnent l'art de substituer les pas-
sions aux principes et de sacrifier la
conscience à la raison d'Etat.
Ce sont les passions qui triomphent,
des passions qui ne pardonnent et ne
s'arrêtent jamais.
Nous voilà tous menacés par cette
première loi des suspects, par cette
première liste de proscrits.
Tous lés sophismes et toutes les sub-
tilités ne réussiront pas, en cette affaire,
à tromper la bonne foi publique, à faire
fléchir la rectitude du bon sens national.
On n'y a vu, et on n'y verra que ce qui
s'y cache.: une intrigue ourdie par la
haine et subie par la peur.
Ce ne sont pas les Princes qui sont in-
quiétants, ce sont les ministres qui sont
inquiets. On exile des citoyens à tort et
à travers pour déshonorer un cabinet
qui aime mieux être complice que vic-
time.
Quant à la République, on aperçoit
bien ce qu'elle perd à cette mauvaise
action, on n'aperçoit pas ce qu'elle y
gagne. Les griefs qu'on a contre elle
subsistent, avec l'odieux que la pros-
cription y ajoute.
Ils sont aujourd'hui ce qu'ils étaient
hier, et quand l'ostracisme sera devenu
définitif par l'adhésion du Sénat, il n'y
aura rien d'amélioré en France, il n'y
aura que quelques Français de moins.
LE FIGARO.
LA LOI VOTÉE
Par 31SC voix contre 839
la Chambre a adopté l'article
premier s l'ensemble «le la
loi a été voté sans scrutin.
Article premier. - Le territoire de la
République est et demeure interdit aux
chefs des familles ayant régné sur la
France et à leurs héritiers directs dans
l'ordre de primogéniture.
Art. 2. - Le Gouvernement est auto-
risé à interdire le territoire de la Répu-
blique aux autres membres de ces f amilles.
L'interdiction est prononcée par décret
du Président de la République, rendu en
Conseil des ministres.
Art. 3. - Celui qui, en violation de la
loi, sera trouvé en France, en Algérie ou
dans les colonies, sera puni d'un empri-
sonnement de deux à cinq ans.
A l'expiration de sa peine, il sera re-
conduit à la frontière.
Art. 4. - Les membres des familles
ayant régné en France ne pourront entrer
dans les armées de terre et de mer, ni
exercer aucune fonction publique ni au-
cun mandat électif.
AU CHATEAU D'EU
En raison de l'intérêt qui s'attache aux
victimes de la loi d'expulsion, nous croyons
devoir faire précéder le compte-rendu de la
séance parla curieuse correspondance qu'on
va lire et qui a été envoyée hier matin au
Times par M. de Blowitz, son correspondant
parisien.
Je reviens du château d'Eu, où j'ai eu
l'honneur d'être reçu par Mgr le comte
de Paris.
Ce n'est pas une vaine curiosité qui
m'a inspiré l'idée de cette visite. Au mo-
ment où va s'accomplir, au nom d'un
régime de liberté, cette iniquité liberti-
cide, il m'a semblé que j'accomplissais
un devoir en fixant dans les lignes qu'on
va lire le tableau de cette famille prin-
cière prête à partir pour l'exil ; en recti-
fiant d'une façon incontestable quelques-
unes des erreurs qu'on. s'est plu à ré-
pandre et en montrant à ceux qui me
liront de quelle façon des âmes, vrai-
ment haut placées,, envisagent les coups
de l'adversité qui les atteint et de l'in-
justice qui les persécute.
Pendant la soirée d'hier que j'ai pas-
sée, au Tréport, j'ai pu me réconforter
au spectacle de cette population d'hon-
nêtes pêcheurs, qui sont atterrés par la
menace d'expulsion qui plane sur la
tête de.la famille du comte de Paris.
, Aussitôt que l'on a su que j'étais ar-
rivé de Paris, et que je me proposais
d'aller à Eu, on se pressait autour de moi,
on m'interrogeait pour savoir si vrai-
ment cette loi serait vôtée ; si la famille
du Prince serait contrainte à quitter la
France? Et, sur ma réponse affirmative,
j'ai vu ces figures hâlées s'assombrir
davantage encore, et les femmes, rudes
comme des hommes, accoutumées
qu'elles sont aux plus durs labeurs,
verser des larmes sur le sort de « cette
belle famille, » comme elles l'appellent.
Le comte de Paris m'ayant fait infor-
mer qu'il me recevrait ce matin, j'entrais
dans la cour au moment où dix heures
sonnaient à l'horloge du château.
Le comte Othenin d'Haussonville, qui
était de service auprès du Prince, me
conduisit dans un petit salon du rez-de-
chaussée, où il me pria d'attendre.
C'est une petite bibliothèque, simple-
ment meublée, attenant au cabinet de
travail du comte de Paris.
Celui-ci entra quelques minutes plus
tard. Je le remerciai de me recevoir et
je me hâtât de lui dire; què je n'étais pas
venu pour l'interviewer, mais simple-
ment pour lui ,exprimer de vive voix la
part que je prenais aux amertumes de
l'exil dont il était menacé.
-Oh ! me répondit-il, pas plus en cette
circonstance qu'en tant d'autres, je n'ai
pas besoin de demander le secret. Je n'ai
pas à cacher que je me suis entretenu
avec vous, de même que je ne vous de-
mande pas de le cacher. Quand j'ai appris
à Talavera que le projet d'une loi d'ex-
pulsion avait été déposé à la Chambre,
ce n'est pas à moi que j'ai pensé, ce
n'est même pas à ma famille; j'ai pensé
à mon pays, je me suis senti envahi par
une tristesse immense, en songeant
que, après cent ans de luttes et de dis-
cordes, l'ère des proscriptions n'était
pas fermée, et que l'on verrait encore
des enfants de la France errer sans asile
sur la terre étrangère !
- Et où comptez-vous aller, Monsei-
gneur, si, comme je le crois, la loi est
votée, en ce qui vous concerne person-
nellement, ainsi que le duc d'Orléans?
. -Je ne suis pas absolument fixé encore.
Cependant, je penche sérieusement pour
l'Angleterre. Je reçois de ce pays des té-
moignages si nombreux et si pressants,
d'une sympathie presque générale.; il
m'arrive des lettres si touchantes, même
de personnes que je ne connais pas, qu'il
me sera bien difficile de choisir, pour le
moment, un autre refuge. Je ne puis pas
aller en Allemagne ; l'Autriche nous éloi-
gnerait trop de notre chère France et je
sais trop bien, par une expérience que
je n'ai pas eu le temps d'oublier, que le
centre d'intelligence se trouve à Lon-
dres, pour ne pas y être impérieusement
entraîné.
J'ai bien pensé à la Suisse, mais je
pourrai y aller plus tard, car je ne
compte pas me fixer définitivement en
un endroit déterminé. Je ne compte, ni
acheter une maison, ni créer un établis-
sement définitif. Autrefois, pendant mon
exil, j'avais choisi une résidence fixe,
parce que je n'étais pas dans les condi-
tions actuelles. Je n'étais pas le chef
incontesté de la maison de France, et je
pouvais attendre, sans manquer à un
devoir, que les événements se décident.
Aujourd'hui, cela n'est pas la même
chose, je ne renonce pas du tout à l'es-
poir de revoir mon pays, car, même sous
sa forme actuelle, je ne puis admettre
que cette persécution se perpétue et que
la France ne rouvre pas ses portes à
tous ses enfants.
Voilà pourquoi je neveux pas me fixer
d'une façon définitive. Je me déplace-
rai, nous nous figurerons que nous
voyageons, et nous changerons de place
sans changer d'espérance.
- Est-il vrai, Monseigneur, qu'un gé-
néral vous ait dit, lors de la réception
du 15 mai : « Monseigneur, ce ne sont
pas des soldats que vous avez, mais une
armée ? »
- Jamais un tel propos n'a été tenu.
D'ailleurs, il n'y avait là que deux géné-
raux en retraite et aucun d'eux ne s'est
entretenu avec moi dans le courant de
la soirée; aucun des deux n'a prononcé
cette phrase. On a fait courir beaucoup
de bruits à cette occasion, on y a cher-
ché beaucoup de prétextes. On m'a dit
que le chef du cabinet avait été formalisé
parce que j'avais invité des ambassa-
deurs. Je ne pouvais pourtant pas l'en
aviser; cela eût donné à ces invitations
un caractère d'intention politique qu'elles
n'avaient pas. Je n'ai pas invité le corps
diplomatique. J'ai invité à une soirée de
famille des diplomates avec lesquels
j'avais des relations personnelles.
Ainsi, par exemple, je connais depuis
vingt-cinq ans lord Lyons avec lequel
j'ai toujours eu les meilleurs rapports.
J'aurais manqué à toutes les convenan-
ces, et j'aurais affecté de donner à mes
invitations un caractère politique, si
j'en avais exclu lord Lyons parce qu'il
était ambassadeur d'Angleterre. On m'a
reproché aussi certains articles de jour-
naux. C'était trop montrer combien on
était à court d'arguments. Je n'ai connu
ni inspiré aucun de ces articles, car si
cela avait été, j'aurais dit à leurs au-
teurs ce que j'ai dit à tous mes amis :
« Ne souffrez pas que l'on dénature le
caractère de cette fête. C'est un père de
famille qui invite ses amis : cette réu-
nion n'est pas dictée par une autre pen -
sée. »
-Monseigneur,comme il est probable
que l'on acceptera le projet d'après le-
quel vous seul et le duc d'Orléans serez
exilés, et qu'on permettra aux autres
princes de rester d'une façon plus ou
moins toi Arable, ces Princes vous sui-
vront-^ f
- Quant à mon frère, je lui ai d'ores et
déjà communiqué mon formel désir de le
voir rester, puisqu'il aura le droit de le
faire. Je tiens à ce qu'il demeure ici où je
ne puis plus demeurer, et à ce qu'il habite
ce pays d'où l'on m'exile. Je vous ai déjà
dit que je ne compte me fixer définitive-
ment nulle part.
Je no puis pas lui imposer de se dé-
placer à ma suite et de tenir pour siens
les lieux où je résiderai suivant les cirr
constances, ou suivant mes préférences.
Ce-sera pour moi'une consolation de le
savoir ici, et je connais trop son affec-
tion pour moi pour ne pas user, de mon-
autorité "pour lui imposer le séjour en
France. On a- beaucoup parlé du duc
d'Aumale et lorsqu'il a su de quelle fa-
çon il avait été défendu contre l'exil, il
en a éprouvé une véritable amertume.
Aussi s'est-il hâté de venir me voir et
de le faire annoncer partout.
C'était la seule et la meilleure façon
de répondre à cette justification de son
séjour en France. Je dirai de lui ce que
j'ai dit du duc de Chartres. Je ne puis
lui imposer des pérégrinations. Il n'a
pas, comme moi, les devoirs de la si-
tuation exceptionnelle que me fait cette
loi ; car elle me traite d'une façon telle-
ment exceptionnelle et tellement dis-
tincte, que, si je l'avais adoptée moi-
même, on me l'aurait imputé à crime.En
me séparant du reste de ma famille, on
me qualifieplusostensiblement queje ne
l'ai jamais fait, et si mon orgueil dépas-
sait mon amour du pays, je ne pourrais
qu'en être ravi. Quant aux autres Prin-
ces, ils n'ont jamais fait oeuvre politique
et se sont bornés à vouloir servir leur
pays. Il est donc juste qu'on les laisse
en dehors de tout attentat, et il serait
étrange que je me montrasse envers eux
plus exigeant que nos adversaires.
- On a dit, Monseigneur, que Vous
vouliez attendre qu'on vous expulse de
force, et rie pas- céder à un simple
ordre ?
-C'était me connaître mal que de dire
cela. Je ne connais que deux façons de
procéder. Il y trois siècles, un Prince,
dans ma situation/aurait tué celui qui lui
aurait apporté un tel ordre, et se serait
jeté dans la campagne avec ses compa-
gnons pour engager la guerre civile.
Mais cela n'est ni de mon temps ni de
mon caractère. J'obéirai à la loi. Je dois
cet exemple à mes amis, et je le dois à
mes adversaires. Je le dois à mon pays,
à qui on s'efforce trop d'inculquer le
mépris de la loi. Je partirai en obéissant
à la loi qui me sera signifiée.
- Cacherez-vous le jour de votre dé-
part, Monseigneur?
- Non certes 1 à moins, qu'on ne
m'empêche d'agir autrement. Je parti-
rai au grand jour, et je connais assez
mes amis pour être certain qu'ils gar-
deront à mon départ l'attitude recueillie
qui convient devant une famille amie
qui part pour l'exil. Je serai heureux de
serrer les mains qui se tendront vers
moi, mais je ne chercherai, à l'heure dé
ce départ, que des consolations du coeur,
et non des satisfactions bruyantes.
A ce moment on vint annoncer que le
déjeuner était servi, au premier étage,
où se trouve la salle à manger.
Outre le comte et la comtesse de
Paris, il y avait à table : le duc d'Or-
léans, la princesse Hélène, la princesse
Isabelle, le comte et la comtesse d'Haus-
sonville et leurs deux filles, le docteur
Guénaud de Mussy, l'inséparable et
fidèle ami de la famille ; M. Emmanuel
Bocher, le fils du dévoué sénateur qui a
toujours défendu avec tant d'éloquence
la cause de la famille d'Orléans ; M. Fro-
ment, le précepteur du jeune duc d'Or-
léans, et un autre ami et familier de la
maison dont le nom m'échappe. Le jeune
duc d'Orléans a dix-sept ans. Il s'est
beaucoup développé dans ces dernières
années. Sa physionomie est intelligente,
pleine d'énergie et de vivacité, et ses
yeux noirs regardent en face avec une
mâle franchise.
C'est un tempérament énergique et
robuste, marcheur infatigable, très fort
à l'escrime, à la nage, en équitation,
tirant avec une adresse rare ; il parle
4 ou 5 langues modernes d'une façon
correcte et facile ; et.bien qu'il n'ait pas
une grande passion pour les lettres, il
aime beaucoup Horace et Virgile, connaît
assez la littérature française et contem-
poraine, et assez d'histoire pour n'être
étranger à aucune conversation.
La princesse Hélène, qui a quinze ans,
est, comme tous les enfants du comte et
de la comtesse de Paris, grande, mince,
d'une physionomie charmante, a un sou-
rire plein de grâce et de bonté, avec un
teint d'une pureté éclatante et une che-
velure blonde qui entoure sa jolie figure
d'une façon tout à fait lumineuse.
La petite princesse Isabelle a huit ans.
C'est la plus délicieuse petite personne
que l'on "puisse imaginer : Une tête de
chérubin, éveillée, avec des cheveux
blonds et fins, coupés court sur le front
et retombant en longues boucles à refle ts
d'or sur le cou.
Une adorable petite figure de Keep-
seake. Elle parle couramment et distinc-
tement l'anglais et exerce un charme
indicible par la gentillesse de ses ma-
nières et la bonté intelligente de ses
yeux et de son sourire. Le comte de Pa-
ris a encore deux enfants plus jeunes, la
princesse Louise qui a quatre ans, qui
rie paraît pas à table, mais qui est un
baby dont tout le monde raffole, et le
dernier petit prince qui a deux ans et.
que l'on dit plein de force et de santé. '
En voyant cette famille rare, si unie
dans son affection, si simple et si cor-
diale dans ses allures, si admirablement
douée sous tous les rapports, dans cette'
demeure paisible, loin du bruit, patriar-
cale et sans morgue, et en songeant qu'à
l'heure même où je la voyais ainsi, on
se préparait, au Palais-Bourbon, à la
chasser de son pays, à la rendre er-
rante, étrangère à son sol, à sa langue,
à ses amis, sans patrie et sans repos, un
sentiment d'involontaire amertume en-
vahissait mon coeur, et, comme si tous
ceux qui m'entouraient fussent saisis de
la même impression, il se fit un grand
silence autour de cette table, et le maître
de la maison, frappé de la tristesse si-
lencieuse qui se lisait sur:toutes les figu-
res, fit un signe à la confesse de Paris,
assise en face de lui, et On se leva.
Nous descendîmes dans le cabinet de
travail du Prince, au rez-de-chaussée
donnant sur le parc, pièce simple où
i deux tables de travail sont placées l'une
à côté de l'autre, et où, sur deux meu-
bles bas, se trouvent rangés des por-
traits; des souvenirs et des dessins.
L'un de ces dessins, de la main de la
nouvelle duchesse de Bragance, encadre
par Un bouquet composé d'un bleuet,
d'une rose blanche et d'un oeillet rouge,
les vers de Coppée sur les trois couleurs
françaises, copiés de la main de la du-
chesse Amélie elle-même. C'est pourtant
au nom de ces trois couleurs qu'on exi-
lera ses parents. J ..
Au moment où je vais prendre congé
de mes nobles hôtes, le duc d'Orléans
s'avance vers.moi, et,.me fixant de son
oeil pénétrant;.
- M. de Freycinet n'a pas de fils,
n'est-ce pas ?
- Monseigneur, vous voulez dire,sans
doute, que, s'il avait un fils, il n'aurait
pas voulu lui léguer le souvenir de la
loi d'ostracisme qu'il présente ?
- Précisément !...
LA SEANCE
La loi de proscription a été votée au-
jourd'hui, vers neuf heures du soir, à la
majorité de 83 voix, 315contre 232. Cette
interminable séance, qui a duré aussi
longtemps'que deux séances ordinaires,
marque une étape décisive, sur la route
de la tyrannie jacobine,et inaugure une
politique riouvelle dont la France récol-
tera, les fruits amers dansquelques
mois ; mais .il s'en . faut de beaucoup
qu'elle ait offert l'intérêt oratoire- de ,1a
précédente- Le.s tribunes, encore plus
remplies-que la veille, si c'est possible,
n'ont joui que d'un spectacle médiocre,
et les ambassadeurs, qui s'étaient donné
rendez-vous dans la loge diplomatique,
n'emporteront de cette fin de bataille
qu'un assez pauvre souvenir. Même
dans ces mêlées parlementaires, nous
baissons !
Ainsi qu'il arrive presque toujours au
commencement de ces secondes jour-
nées, la fatigue se manifestait sur tous
les bancs, et il semblait qu'on n'eût con-
servé de force que pour interrompre.
C'est M. Henry Maret qui a ouvert le
feu par un discours excellent, plein de
faits et de raisons, que ses amis de la
gauche ont refusé d'entendre parce
qu'ils y ont senti comme une flétrissure
aussi indélébile que méritée. Les cris,
les apostrophes, les invectives n'ont pas
arrêté M. Henry Maret dans son oeuvre
vengeresse; il s'était juré de tout dire,
et il" a eu.du courage jusqu'au bout,:
M. Henry Maret. - Eh quoi !? Simplement
parce qu'un spectacle -vous est désagréable,
parce que des journaux publien t des articles,
parcé que je ne sais quelle sorcière dit aii
nouveau Macbeth : i lin jour tu seras roi »,
pour cela seulement vous nous demandez des
lois d'exil. Cela nous est désagréable ! cela
produit un. mauvais effet !
Ali! si vous étiez venus nous dire : République est en péril », j'aurais à mon
tour trouvé votre projet de loi insuffisant et
j'aurais demandé que la justice mit la main
au collet des prétendants.
Une voix à gauche. - Vous attendez qu'ils
commencent par vous prendre vous-même
au collet !
M. Henry Maret.- Mon cher collègue,
comment voulez-vous qu'ils puissent le faire,
n'ayant ni le pouvoir ni la force publique?
Avez-vous songé jusqu'où peut vous con-
duire cette nouvelle raison d'Etat? Il y a
beaucoup d'autres choses gênantes pour le
gouvernement. Il y en aune surtout, laliberté
de la presse. Et ici j'ouvre une parenthèse
à l'usage des républicains qui parlent de dé-
fendre la République contre les monarchistes.
Les monarchies n'ont jamais pu vivre avec
la liberté de la presse. Est-ce une raison pour
que la République la supprime ?
Ici M. Goblet proteste, et se déclare
partisan résolu de la liberté delà presse ;
mais on commence à soupçonner que le
libéralisme de M. Goblet n'est pas bon
teint. Soyez tranquille, monsieur Maret,
comme on n'a rien fait tant qu'on n'a pas
supprimé la liberté de la presse; un jour
viendra, qui n'est pas loin, où on trou-
vera qu'elle menace la République, et
où la République menacée se délivrera
de ce petit ennui. Déjà elle a fièrement
arboré, dans ces deux jours, la formule
des vestiaires dont le Figaro, s'était servi
l'autre jour pour qualifier sa politique :
« Débarrassez-vous de ce qui vous
gêne! » Au lieu de s'en défendre, elle
s'en est fièrement prévalue sans même
en récuser les termes, et cet aphorisme
des gardiens de parapluies a couru,
durant toute la discussion, sur les lèvres
républicaines; nous n'en sommes pas
plus fiers pour cela 1
L'éloquente conclusion de M. Maret a
produit beaucoup d'effet sur ceux qui
l'ont entendue, et elle en aurait produit
beaucoup sur toute la Chambre si les
interruptions de la gauche n'étaient par-
venues à couvrir presque complètement
la voix de l'orateur. Un seul homme ne
peut pas lutter contre deux, cents éner-
gumènes qui sont en même temps des
braillards. uU ; .
M. Henry Maret. -Vous dites, dans le
rapport, que la République a autre chose à
faire qu'à s'occuper des princes, je suis de
cet avis et c'est pour cela que je regrette que
vous vous en occupiez.
.. yous .appelez un acte de faiblesse la tolé
rance que montre la République vis-à-vis des
princes ; nous l'appelons, nous, un acte de
force,.et c'est ce que vous proposez aujour-
d'hui qui est un acte faiblesse. (Très bien !
très bien 1 sur divers bancs. - Interrup-
tions.)
D'ailleurs, que vous votiez ou non l'expul-
sion, je n'ai aucune inquiétude pour la Répu-
blique; dans un cas comme dans l'autre, elle
vivra; seulement, dans le premiet cas, je
crains que nous ne fassions une singulière
figure devant l'histoire.
L'histoire dira : Pendant quinze ans la
République, sapée de toutes parts, résista à
tous ses adversaires; vainement ceux-ci eu-
rent pour eux le Parlement, le ministère, un
général illustre, des princes commandant les
armées, les processions, le pape, la coalition
de tous les intérêts, rien ne put prévaloir
contre elle. Puis, un jour, quand tout cela
eut croulé,.quand le gouvernement, comme
les Chambres, fut républicain, quand les
princes furent rentrés dans la vie privée,
quand tout péril eut disparu, les républi-
cains s'effarèrent à propos d'un mariage et
prirent des messes de salut alors qu'il n'y
avait rien
Je crains qUe l'histoire lie dise encore quel-
le chose déplus fâcheux; qu'après une série
de fautes, le gouvernement d'alors crut tout
réparer en jetant au peuple, comme os à
ronger, l'expulsion de princes impopulaires.
La nation ne prendra pa* le change, et vous
vous trompez singulièrement si vous vous
imaginez reconstruire sur ce sable votre po-
pularité ébranlée. (Applaudissements sur di-
vers bancs.) .
A ce moment on attendait qu'un pros-
cripteur osât répondre à. M. Henry Ma-,
ret ; mais on l'a vainement attendu : les
vrais proscripteurs parlent peu; ils vo-
tent. De telle sorte que c'est encore un
adversaire du projet de loi, encore un
républicain, M. Frédéric Passy, qui, sans
contradicteur ostensible, s'est vu obligé
de prendre la parole pour réfuter tous
les sophismes de la commission et du
cabinet. Défenseur de toutes les causes
nobles, M. Frédéric Passy, étant donné
le temps où nous vivons, doit se rési-
gner à prêcher dans le désert, mais les
prédications qu'une Chambre dédaigne
retentissent au loin dans le pays. La
France ne serait plus la France si des
paroles comme celles-ci n'y trouvaient
de l'écho :
M. Frédéric Passy. - On a dit : Il faut
nous débarrasser de ce qui nous gêne ! Oui,
il faut nous débarrasser de toutes ces pué-
rilités, de ces agitations, de ces troubles
qui sont entretenus par nos intolérances
mutuelles.
Mais si, quand vous venez nous dire qu'il
faut nous débarrasser de tout ce qui nous
gêne, vous entendez dire qu'il faut vous dé-
barrasser des personnes qui peuvent vous
embarrasser ou vous gêner, je viens vous
dire, monsieur Madier de Montjau, avec le
respect qui est dû à votre grand talent et à
tout ce .que vous avez depuis si longtemps
souffert pour la'liberté, je viens vous, dire :.
Prenez garde ! vous avez prononcé là la pa-
role la plus imprudente et la plus en désac -
cord avec toute idée de liberté et de justice .
Vous avez prononcé une parole qui est la
justification de toutes les tyrannies et de
tous les arbitraires.
Vous voulez vous débarrasser de ce qui
vous gène! Mais vous gêniez l'Empire, mon-
sieur Madier de Montjau. (Exclamations à
gauche.) Mais tous les hommes qui, sous tous
les régimes, ont eu des idées différentes de
celles des hommes qui étaient au pouvoir
gênaient les gouvernements, et, selon vous,
ces gouvernements n'auraient donc eu qu'une
chose à faire, les proscrire ?
Voix à gauche.- Ils l'ont fait!
M. Frédéric Passy. - Je le répète, c'est
là la justification de toutes les tyrannies et
de-tous les arbitraires, c'est la glorification
de la force et la négation du droit sur lequel
repose toute société régulière.
Si pareille doctrine était admise, il n'y au-
rait plus de sécurité pour le lendemain.
L'honneur d'une société, d'une société ré-
publicaine, c'est au contraire de savoir accep-
ter ce qui gêne, de savoir que la vie publi-
que-comme la vie privée' est un combat
incessant et que c'est à nous, par la supé-
riorité de nos doctrines, par l'ascendant de
notre talent, par la propagande des idées
libérales et justes, à gagner de plus en plus
les. opinions etles suffrages qui, quoi qu'on
puisse faire et dire, ont toujours le dernier
mot. (Très bien ! très bien ! )
Après M. Frédéric Passy, un troisième
orateur se présente, et c'est encore un
adversaire de la loi de proscription, c'est
un membre de la commission, le bon
Michou en personne. Décidément les
proscripteurs ne veulent pas parler, un
discours individuel est une trop grosse
affaire. Ils se réservent pour cette mau-
vaise action collective qui s'appelle un
scrutin de bannissement. Le bon Michou
leur fait honte de cette tactique pusilla-
nime, et descend de la tribune trans-
formée en sellette après avoir engagé
ces belles âmes à effacer du drapeau
français les mots de liberté et d'égalité.
Enfin, M. de Freycinet sent que cette
comédie a trop duré et qu'il est temps
que le gouvernement se montre. Il quitte
son banc avec sa nonchalance ordinaire
et se dirige lentement vers cette espèce
de boîte rectangulaire que vient d'aban-
donner M. Michou. Il est tombé de là,
depuis qu'elle existe, plus de menson-
ges qu'il ne s'en est dit auparavant dans
tout le cours des siècles. M. de Freyci-
net, très calme, presque souriant," re-
commence la fameuse antienne usée au-
jourd'hui jusqu'à la corde : « Les mo-
narchies se sont proscrites les unes les
autres I » Je vous demande un peu qu'est-
ce que cela prouve, puisque nous som-
mes en République ! Sommes-nous donc
condamnés à tourner éternellement dans
le même cercle... éternellement vicieux?
Les amis même du Président du Con-
seil- ce n'est pas de M. Jules Ferry
que je parle - espéraient de lui une
argumentation un peu plus solide, un
peu plus sérieuse, un peu moins effilo-
quée que celle-là. Devant la froideur d e
sa majorité, il le comprend et développe
cette idée qu'il n'y a pas de droit com-
mun pour les princes, conspirateurs
malgré eux :
M. de Freycinet, président du Conseil. -
Est-ce que les membres des dynasties dé-
chues sont véritablement dans la situation
de simples citoyens, le voulussent-ils eux-
mêmes ? N'y a-t-il pas fatalement en eux,
parce qu'ils sont dépositaires de ce que beau-
coup considèrent encore comme le droit mo-
narchique, obligation de représenter partout,
le principe d'un gouvernement en opposition
avec le gouvernement établi? (Applaudisse-
ments à gauche.)
Mais j'entends dire : Est-ce que les prin-
ces conspirent? Et, s'ils conspirent, pourquoi
ne pas employer à leur égard le droit com-
mun? Ne voit-on pas qu'il y a là, de leur
part, quelque chose qui échappe au droit
commun? Ils ne conspirent pas, mais il y a
ee fait capital, qu'ils le veuillent ou non, et
surtout quand ils y travaillent (Bruit à droite) :
par cela même qu'ils représentent cette si-
tuation exceptionnelle, ils incarnent en eux
un principe de gouvernement, ils sont, à
côté du gouvernement établi, comme la pro-
messe d'un gouvernement nouveau ; que ce
gouvernement nouveau tend à affaiblir, à
discréditer le gouvernement établi.
Il n'y a pas d'exemple que jamais aucun
gouvernement ait consenti à tolérer un pareil
état de choses. (Très bien ! très bien !)
J'entendais hier M. Piou, dans un discours
éloquent, dire : « Nous tournons toujours
dans le même cercle; nous recourons tou-
jours aux lois d'oppression. Les lois mau-
vaises que la Monarchie a faites, que l'Em-
pire a reprises pour lui, quoi ! la République,
ce régime de justice, retombant dans les
mêmes errements, va les revendiquer à son
tour? Ï Et M. Piou ajoutait : « Pourquoi, au
lieu d'employer la force, la République ne
s'enveloppe-t-elle pas dans la force du droit?»
Je réponds : Si la République songe à em-
ployer les mêmes moyens que les gouverne-
ments qui l'ont précédée, c'est qu'il y a des
nécessités supérieures qui s'imposent à tous
les gouvernements, et que de même que tous
sont obligés de recourir à la force matérielle
pour réprimer des faits, ils doivent employer
des mesures spéciales pour combattre des
situations spéciales. (Très bien! très bien ! à
gauche.)
Il n'y a pas un gouvernement régulier qui
puisse supporter cette situation d'un gouver-
nement ayant à côté de lui un autre gouver-
j nement qui fait douter de la durée d'un ré-
gime assez faible pour le tolérer. (Applaudis-
sements.)
Conspirateurs malgré eux, et, par
conséquent, proscrits forcés : c'est la
thèse. Elle est libérale, elle est noble,
elle nous promet enco re de beaux jours;
elle fait honneur au ministre qui, la dé-
fend et qui osera encore, après l'avoir
défendue, ambitionner - sans succès
d'ailleurs, car le voilà impossible ! - la
présidence de la République. Et quand
on lui demande quelle mouche lë pique
de se faire proscripteur si tard, d'exiler,
après quinze ans, ceux qui, revenus un
jour de l'exil, commençaient à savourer
cette ineffable douceur du séjour de la
patrie, oh I il n'est pas embarrassé pour
répondre, et il trouve à l'instant même
de prétendues raisons dont il ne soup-
çonne même pasl'énormité.
S'il a recours aujourd'hui à cette insi-
gne violence, vous ne voyez pas tout de
suite pourquoi : c'est qu'il y a quinze
ans elle était à peu près inutile tandis
qu'en l'an de grâce 1886, elle est devenue
nécessaire. Autrefois, il y avait trois
prétendants qui se neutralisaient, se pa-
ralysaient l'un l'autre et dispensaient la
République du soin de se garder en les
exilant; A cette heure, i?s ne sont plus
qu'un, au peu s'en faut,' et celui-là dé-
vient uri danger; là mort du 'prince im-
périal et du comte de Chambord con-
damne le comte de Paris.
Alors on poussel'auteurdecet honnête
raisonnement, on le presse, on l'accule
aux derniers retranchements de sa lo-
gique. On lui dit : « mais vous ne pen-
siez pas ainsi il y a trois mois ; et cepen-
dant le prince impérial et Henri Vêtaient
morts ! » C'est le point délicat, c'est la
grosse arête; il fait une pirouette, et
l'avale :
M. de Freycinet, président du Conseil.-
Voilà la situation qui s'est créée et perpé-
tuée depuis 1883.
Voix à droite. - Et il y a trois mois ?
M. le président du Conseil.- J'y arrivais.
Oui, il y a trois mois, je me suis opposé à
une mesure de ce genre, et cela pour deux
raisons. La première, c'était surtout qu'une
pareille mesure, à mon avis, relève du pou-
voir exécutif, qui, seul, doit en prendre l'ini-
tiative.
Ace propos, on commet une erreur quand
on prétend que: j'aurais déclaré que cette
mesure-d'expulsion était du domaine du pou-
voir exécutif.
Relisez mon discours et vous verrez que
je n'ai rien dit de semblable; j'ai déclaré
que si, à un moment donné, les prétendants
faisaient courir un danger à la République,
le gouvernement viendrait ici et proposerait
à la Chambre les mesures nécessaires.
(Très bien ! très bien ! à gauche.)
Mon deuxième motif, c'est que j'avais l'es-
poir en ce moment, qu'après le grand ébran-
lement qui s'était produit à la suite des
élections du 4 octobre, après le renouvelle-
ment des pouvoirs du Président de la Répu -
blique et ia constitution d'un nouveau mi-
nistère dont je faisais partie, et qui prenait
le pouvoir dans une pensée de conciliation
et de modération, l'apaisement se produi-
rait.
Vous pouvez discuter mes actes, mais
vous n'avez pas le droit de contester mes
intentions. (Bruit à droite.)
J'affirme que j'arrivais au pouvoir avec une
pensée d'apaisement et d'oubli. (Bruit à
droite.)
Encore une fois, vous ne pouvez pas con-
tester mes intentions.
Nous espérions que des devoirs nouveaux
s'imposeraient à un Parlement nouveau
comme à un cabinet nouveau. Nous avions
cru surtout que l'avertissement récemment
donné aux prétendants par une fraction du
parti républicain, qui avait déposé une pro-
position plus radicale que notre projet actuel,
ne serait pas perdu.
Nous pensions qu'il était temps enfin,pour
les Princes, de prendre une attitude correcte
et réservée dont ils n'auraient jamais dû se
départir. (Très bien ! très bien ! à gauche).
J'estime, en effet, que quand les Princes
veulent Vivre sur le territoire, ils doivent se
montrer plus réservés que de simples ci-
toyens. (Nouvelles approbation à gauche).
Nous vous reconnaissons à vous tous le
droit de combattre la Républi |ue ; ee droit,
nous ne le reconnaissons pas à des Princes.
S'ils veulent en user, qu'ils imitent la conT
duite du comte de Chambord : qu'ils sortent
du territoire. (Applaudissements àgauche).
M. Michelin. - Ils n'ont pas son carac-
tère. -
M. le président du conseil. - Cet aver-
tissement solennel qui était parti de ces
bancs et en présence duquel nous avons eu
le courage - car c'en était un - découvrir,
comme on nous l'a reproché, ceux qu'on
voulait éloigner, cet avertissement n'a pas
été entendu.
A ce moment, dans notre confiance exa-
gérée pour leur réserve et leur prudence,
nous avons dit : Laissez-nous essayer ; nous
avons l'espoir qu'aucun danger ne se pro-
duira; nous voulons épuiser tous les moyens
avant d'en arriver à certaines mesures, qui
ne sont une satisfaction pour personne (Bruit
à droite): ce sont là des devoirs doulou-
reux qu'on remplit (Applaudissements à
gauche) ; on les recule le plus longtemps
qu'on peut, quoiqu'on soit décidé, le moment
venu, à y apporter toute la fermeté néces-
saire.
Je n'ai négligé aucune occasion de faire
savoir, dé dire à ceux dont la voix pouvait
être entendue : Ce que j'ai fait une fois, je
ne le ferai pas deux; je ne me mettrai pas
de nouveau à rencontre du sentiment de
mon parti, et si les Princes ne savent pas
se faire oublier, je n'attendrai pas qu'une
initiative se produise, je la prendrai moi-
même. (Applaudissements à gauche.)
Et il l'a prise !, A mesure que le minis-
tre parle, sa majorité se dessine à vue
d'oeil. Ce n'est pas qu'un seul député
sur 580 ajoute ombre de foi à ce roman
rétrospectif. Personne n'ignore quels
sont les motifs qui ont déterminé M.
de Freycinet à présenter sa loi. Les
huissiers et les garçons de bureau eux-
mêmes savent comment M. Jules Ferry
l'a conduit comme par la main dans ce
guêpier des Princes d'où un peu de fierté
et de droiture auraient suffi à le tirer.
Mais peu importe! La majorité qui a
besoin de prétextes accepte ceux-là sans
y çroire, vaille que vaille, et elle applau-
dit, avec une vivacité qui lui tient lieu
de conviction, les dernières paroles de M.
de Freycinet.
M. de Freycinet, président du conseil. -
Nous ne demandons pas de rigueurs exces-
te Numéro avec le Supplément : 20 cent, à Paris* 25 cent. dans les Départements
Sam edi 12 Juin 1886
FRANCIS MAGNARD
Rédacteur en chef
A. PÉRIVIER
Secrétaire de la Rédaction
RÉDACTION
De midi à minuit, rue Drouot, 23
Les manuscrits ne sont pas rendus
BUREAUX
26, rue Drouot, 20
1 I ?? . . M HgM ! f|^ Ï S
IHfl H iKtWHi H gggg nfflN ESË3T ^n99&; < MSn
H. DE VILLEMESSANT
Fondateur
FERNAND DE RODAT»
Administrateur
ABONNEM ENTS
Uépartem-.ts : Trois Mois f 9 'r' 50
Paris : Trois Mois | 6 fr"
ANNONCES, RÉCLAMES t PETITES ANNONCES
DOLUNCES FILS, Siiouv ET C'«, 16, KUE GRANOE-BATKUÈILI
EX AU FIGARO, 26, RUE DROUOT
. tA
Première Proscription
C'est fini I Dans Une phrase type que
l'on a rappelée au cours de la discussion,
M. Grévy, président de la République
française, a dit : « La proscription est
toujours un crime et quelquefois une
faute! » Malgré l'autorité d'un si sage
conseil, crime et faute sont commis, et
c'est la loi elle-même qui les consacre.
Le Sénat n'y mettra point son veto. On
peut dès aujourd'hui considérer lés Prin-
ces français comme chassés de France
parce qu'ils sont princes 1
Ainsi qu'on peut s'en convaincre par le
compte rendu des débats, nos pronostics
se sont absolument réalisés, le pro-
gramme a été suivi de point en point.
Les jacobins violents ont réclamé une
proscription radicale et franche ; les ja-
cobins modérés, dont le cabinet fait par-
tie, ontproposé une proscription mitigée
et hypocrite. Une proscription mixte
s'est glissée entre les deux, et l'accord
s'est fait, entre proscripteurs, sur cette
cote mal taillée, considérée par les uns
et lés autres comme une nécessité de
salut public.
Ce qui juge une mesure quelconque
dont un parti prétend se faire une arme
contre ses adversaires, ce n'est pas l'in-
dignation naturelle qu'elle soulève chez
ceux qui sont frappés, c'est l'opposition
inattendue qu'elle rencontre chez ceux-là
mômes qui frappent.
Or, l'exil des Princes a été publique-
ment flétri par les plus honnêtes répu-
blicains, par ceux qui dédaignent ou
condamnent l'art de substituer les pas-
sions aux principes et de sacrifier la
conscience à la raison d'Etat.
Ce sont les passions qui triomphent,
des passions qui ne pardonnent et ne
s'arrêtent jamais.
Nous voilà tous menacés par cette
première loi des suspects, par cette
première liste de proscrits.
Tous lés sophismes et toutes les sub-
tilités ne réussiront pas, en cette affaire,
à tromper la bonne foi publique, à faire
fléchir la rectitude du bon sens national.
On n'y a vu, et on n'y verra que ce qui
s'y cache.: une intrigue ourdie par la
haine et subie par la peur.
Ce ne sont pas les Princes qui sont in-
quiétants, ce sont les ministres qui sont
inquiets. On exile des citoyens à tort et
à travers pour déshonorer un cabinet
qui aime mieux être complice que vic-
time.
Quant à la République, on aperçoit
bien ce qu'elle perd à cette mauvaise
action, on n'aperçoit pas ce qu'elle y
gagne. Les griefs qu'on a contre elle
subsistent, avec l'odieux que la pros-
cription y ajoute.
Ils sont aujourd'hui ce qu'ils étaient
hier, et quand l'ostracisme sera devenu
définitif par l'adhésion du Sénat, il n'y
aura rien d'amélioré en France, il n'y
aura que quelques Français de moins.
LE FIGARO.
LA LOI VOTÉE
Par 31SC voix contre 839
la Chambre a adopté l'article
premier s l'ensemble «le la
loi a été voté sans scrutin.
Article premier. - Le territoire de la
République est et demeure interdit aux
chefs des familles ayant régné sur la
France et à leurs héritiers directs dans
l'ordre de primogéniture.
Art. 2. - Le Gouvernement est auto-
risé à interdire le territoire de la Répu-
blique aux autres membres de ces f amilles.
L'interdiction est prononcée par décret
du Président de la République, rendu en
Conseil des ministres.
Art. 3. - Celui qui, en violation de la
loi, sera trouvé en France, en Algérie ou
dans les colonies, sera puni d'un empri-
sonnement de deux à cinq ans.
A l'expiration de sa peine, il sera re-
conduit à la frontière.
Art. 4. - Les membres des familles
ayant régné en France ne pourront entrer
dans les armées de terre et de mer, ni
exercer aucune fonction publique ni au-
cun mandat électif.
AU CHATEAU D'EU
En raison de l'intérêt qui s'attache aux
victimes de la loi d'expulsion, nous croyons
devoir faire précéder le compte-rendu de la
séance parla curieuse correspondance qu'on
va lire et qui a été envoyée hier matin au
Times par M. de Blowitz, son correspondant
parisien.
Je reviens du château d'Eu, où j'ai eu
l'honneur d'être reçu par Mgr le comte
de Paris.
Ce n'est pas une vaine curiosité qui
m'a inspiré l'idée de cette visite. Au mo-
ment où va s'accomplir, au nom d'un
régime de liberté, cette iniquité liberti-
cide, il m'a semblé que j'accomplissais
un devoir en fixant dans les lignes qu'on
va lire le tableau de cette famille prin-
cière prête à partir pour l'exil ; en recti-
fiant d'une façon incontestable quelques-
unes des erreurs qu'on. s'est plu à ré-
pandre et en montrant à ceux qui me
liront de quelle façon des âmes, vrai-
ment haut placées,, envisagent les coups
de l'adversité qui les atteint et de l'in-
justice qui les persécute.
Pendant la soirée d'hier que j'ai pas-
sée, au Tréport, j'ai pu me réconforter
au spectacle de cette population d'hon-
nêtes pêcheurs, qui sont atterrés par la
menace d'expulsion qui plane sur la
tête de.la famille du comte de Paris.
, Aussitôt que l'on a su que j'étais ar-
rivé de Paris, et que je me proposais
d'aller à Eu, on se pressait autour de moi,
on m'interrogeait pour savoir si vrai-
ment cette loi serait vôtée ; si la famille
du Prince serait contrainte à quitter la
France? Et, sur ma réponse affirmative,
j'ai vu ces figures hâlées s'assombrir
davantage encore, et les femmes, rudes
comme des hommes, accoutumées
qu'elles sont aux plus durs labeurs,
verser des larmes sur le sort de « cette
belle famille, » comme elles l'appellent.
Le comte de Paris m'ayant fait infor-
mer qu'il me recevrait ce matin, j'entrais
dans la cour au moment où dix heures
sonnaient à l'horloge du château.
Le comte Othenin d'Haussonville, qui
était de service auprès du Prince, me
conduisit dans un petit salon du rez-de-
chaussée, où il me pria d'attendre.
C'est une petite bibliothèque, simple-
ment meublée, attenant au cabinet de
travail du comte de Paris.
Celui-ci entra quelques minutes plus
tard. Je le remerciai de me recevoir et
je me hâtât de lui dire; què je n'étais pas
venu pour l'interviewer, mais simple-
ment pour lui ,exprimer de vive voix la
part que je prenais aux amertumes de
l'exil dont il était menacé.
-Oh ! me répondit-il, pas plus en cette
circonstance qu'en tant d'autres, je n'ai
pas besoin de demander le secret. Je n'ai
pas à cacher que je me suis entretenu
avec vous, de même que je ne vous de-
mande pas de le cacher. Quand j'ai appris
à Talavera que le projet d'une loi d'ex-
pulsion avait été déposé à la Chambre,
ce n'est pas à moi que j'ai pensé, ce
n'est même pas à ma famille; j'ai pensé
à mon pays, je me suis senti envahi par
une tristesse immense, en songeant
que, après cent ans de luttes et de dis-
cordes, l'ère des proscriptions n'était
pas fermée, et que l'on verrait encore
des enfants de la France errer sans asile
sur la terre étrangère !
- Et où comptez-vous aller, Monsei-
gneur, si, comme je le crois, la loi est
votée, en ce qui vous concerne person-
nellement, ainsi que le duc d'Orléans?
. -Je ne suis pas absolument fixé encore.
Cependant, je penche sérieusement pour
l'Angleterre. Je reçois de ce pays des té-
moignages si nombreux et si pressants,
d'une sympathie presque générale.; il
m'arrive des lettres si touchantes, même
de personnes que je ne connais pas, qu'il
me sera bien difficile de choisir, pour le
moment, un autre refuge. Je ne puis pas
aller en Allemagne ; l'Autriche nous éloi-
gnerait trop de notre chère France et je
sais trop bien, par une expérience que
je n'ai pas eu le temps d'oublier, que le
centre d'intelligence se trouve à Lon-
dres, pour ne pas y être impérieusement
entraîné.
J'ai bien pensé à la Suisse, mais je
pourrai y aller plus tard, car je ne
compte pas me fixer définitivement en
un endroit déterminé. Je ne compte, ni
acheter une maison, ni créer un établis-
sement définitif. Autrefois, pendant mon
exil, j'avais choisi une résidence fixe,
parce que je n'étais pas dans les condi-
tions actuelles. Je n'étais pas le chef
incontesté de la maison de France, et je
pouvais attendre, sans manquer à un
devoir, que les événements se décident.
Aujourd'hui, cela n'est pas la même
chose, je ne renonce pas du tout à l'es-
poir de revoir mon pays, car, même sous
sa forme actuelle, je ne puis admettre
que cette persécution se perpétue et que
la France ne rouvre pas ses portes à
tous ses enfants.
Voilà pourquoi je neveux pas me fixer
d'une façon définitive. Je me déplace-
rai, nous nous figurerons que nous
voyageons, et nous changerons de place
sans changer d'espérance.
- Est-il vrai, Monseigneur, qu'un gé-
néral vous ait dit, lors de la réception
du 15 mai : « Monseigneur, ce ne sont
pas des soldats que vous avez, mais une
armée ? »
- Jamais un tel propos n'a été tenu.
D'ailleurs, il n'y avait là que deux géné-
raux en retraite et aucun d'eux ne s'est
entretenu avec moi dans le courant de
la soirée; aucun des deux n'a prononcé
cette phrase. On a fait courir beaucoup
de bruits à cette occasion, on y a cher-
ché beaucoup de prétextes. On m'a dit
que le chef du cabinet avait été formalisé
parce que j'avais invité des ambassa-
deurs. Je ne pouvais pourtant pas l'en
aviser; cela eût donné à ces invitations
un caractère d'intention politique qu'elles
n'avaient pas. Je n'ai pas invité le corps
diplomatique. J'ai invité à une soirée de
famille des diplomates avec lesquels
j'avais des relations personnelles.
Ainsi, par exemple, je connais depuis
vingt-cinq ans lord Lyons avec lequel
j'ai toujours eu les meilleurs rapports.
J'aurais manqué à toutes les convenan-
ces, et j'aurais affecté de donner à mes
invitations un caractère politique, si
j'en avais exclu lord Lyons parce qu'il
était ambassadeur d'Angleterre. On m'a
reproché aussi certains articles de jour-
naux. C'était trop montrer combien on
était à court d'arguments. Je n'ai connu
ni inspiré aucun de ces articles, car si
cela avait été, j'aurais dit à leurs au-
teurs ce que j'ai dit à tous mes amis :
« Ne souffrez pas que l'on dénature le
caractère de cette fête. C'est un père de
famille qui invite ses amis : cette réu-
nion n'est pas dictée par une autre pen -
sée. »
-Monseigneur,comme il est probable
que l'on acceptera le projet d'après le-
quel vous seul et le duc d'Orléans serez
exilés, et qu'on permettra aux autres
princes de rester d'une façon plus ou
moins toi Arable, ces Princes vous sui-
vront-^ f
- Quant à mon frère, je lui ai d'ores et
déjà communiqué mon formel désir de le
voir rester, puisqu'il aura le droit de le
faire. Je tiens à ce qu'il demeure ici où je
ne puis plus demeurer, et à ce qu'il habite
ce pays d'où l'on m'exile. Je vous ai déjà
dit que je ne compte me fixer définitive-
ment nulle part.
Je no puis pas lui imposer de se dé-
placer à ma suite et de tenir pour siens
les lieux où je résiderai suivant les cirr
constances, ou suivant mes préférences.
Ce-sera pour moi'une consolation de le
savoir ici, et je connais trop son affec-
tion pour moi pour ne pas user, de mon-
autorité "pour lui imposer le séjour en
France. On a- beaucoup parlé du duc
d'Aumale et lorsqu'il a su de quelle fa-
çon il avait été défendu contre l'exil, il
en a éprouvé une véritable amertume.
Aussi s'est-il hâté de venir me voir et
de le faire annoncer partout.
C'était la seule et la meilleure façon
de répondre à cette justification de son
séjour en France. Je dirai de lui ce que
j'ai dit du duc de Chartres. Je ne puis
lui imposer des pérégrinations. Il n'a
pas, comme moi, les devoirs de la si-
tuation exceptionnelle que me fait cette
loi ; car elle me traite d'une façon telle-
ment exceptionnelle et tellement dis-
tincte, que, si je l'avais adoptée moi-
même, on me l'aurait imputé à crime.En
me séparant du reste de ma famille, on
me qualifieplusostensiblement queje ne
l'ai jamais fait, et si mon orgueil dépas-
sait mon amour du pays, je ne pourrais
qu'en être ravi. Quant aux autres Prin-
ces, ils n'ont jamais fait oeuvre politique
et se sont bornés à vouloir servir leur
pays. Il est donc juste qu'on les laisse
en dehors de tout attentat, et il serait
étrange que je me montrasse envers eux
plus exigeant que nos adversaires.
- On a dit, Monseigneur, que Vous
vouliez attendre qu'on vous expulse de
force, et rie pas- céder à un simple
ordre ?
-C'était me connaître mal que de dire
cela. Je ne connais que deux façons de
procéder. Il y trois siècles, un Prince,
dans ma situation/aurait tué celui qui lui
aurait apporté un tel ordre, et se serait
jeté dans la campagne avec ses compa-
gnons pour engager la guerre civile.
Mais cela n'est ni de mon temps ni de
mon caractère. J'obéirai à la loi. Je dois
cet exemple à mes amis, et je le dois à
mes adversaires. Je le dois à mon pays,
à qui on s'efforce trop d'inculquer le
mépris de la loi. Je partirai en obéissant
à la loi qui me sera signifiée.
- Cacherez-vous le jour de votre dé-
part, Monseigneur?
- Non certes 1 à moins, qu'on ne
m'empêche d'agir autrement. Je parti-
rai au grand jour, et je connais assez
mes amis pour être certain qu'ils gar-
deront à mon départ l'attitude recueillie
qui convient devant une famille amie
qui part pour l'exil. Je serai heureux de
serrer les mains qui se tendront vers
moi, mais je ne chercherai, à l'heure dé
ce départ, que des consolations du coeur,
et non des satisfactions bruyantes.
A ce moment on vint annoncer que le
déjeuner était servi, au premier étage,
où se trouve la salle à manger.
Outre le comte et la comtesse de
Paris, il y avait à table : le duc d'Or-
léans, la princesse Hélène, la princesse
Isabelle, le comte et la comtesse d'Haus-
sonville et leurs deux filles, le docteur
Guénaud de Mussy, l'inséparable et
fidèle ami de la famille ; M. Emmanuel
Bocher, le fils du dévoué sénateur qui a
toujours défendu avec tant d'éloquence
la cause de la famille d'Orléans ; M. Fro-
ment, le précepteur du jeune duc d'Or-
léans, et un autre ami et familier de la
maison dont le nom m'échappe. Le jeune
duc d'Orléans a dix-sept ans. Il s'est
beaucoup développé dans ces dernières
années. Sa physionomie est intelligente,
pleine d'énergie et de vivacité, et ses
yeux noirs regardent en face avec une
mâle franchise.
C'est un tempérament énergique et
robuste, marcheur infatigable, très fort
à l'escrime, à la nage, en équitation,
tirant avec une adresse rare ; il parle
4 ou 5 langues modernes d'une façon
correcte et facile ; et.bien qu'il n'ait pas
une grande passion pour les lettres, il
aime beaucoup Horace et Virgile, connaît
assez la littérature française et contem-
poraine, et assez d'histoire pour n'être
étranger à aucune conversation.
La princesse Hélène, qui a quinze ans,
est, comme tous les enfants du comte et
de la comtesse de Paris, grande, mince,
d'une physionomie charmante, a un sou-
rire plein de grâce et de bonté, avec un
teint d'une pureté éclatante et une che-
velure blonde qui entoure sa jolie figure
d'une façon tout à fait lumineuse.
La petite princesse Isabelle a huit ans.
C'est la plus délicieuse petite personne
que l'on "puisse imaginer : Une tête de
chérubin, éveillée, avec des cheveux
blonds et fins, coupés court sur le front
et retombant en longues boucles à refle ts
d'or sur le cou.
Une adorable petite figure de Keep-
seake. Elle parle couramment et distinc-
tement l'anglais et exerce un charme
indicible par la gentillesse de ses ma-
nières et la bonté intelligente de ses
yeux et de son sourire. Le comte de Pa-
ris a encore deux enfants plus jeunes, la
princesse Louise qui a quatre ans, qui
rie paraît pas à table, mais qui est un
baby dont tout le monde raffole, et le
dernier petit prince qui a deux ans et.
que l'on dit plein de force et de santé. '
En voyant cette famille rare, si unie
dans son affection, si simple et si cor-
diale dans ses allures, si admirablement
douée sous tous les rapports, dans cette'
demeure paisible, loin du bruit, patriar-
cale et sans morgue, et en songeant qu'à
l'heure même où je la voyais ainsi, on
se préparait, au Palais-Bourbon, à la
chasser de son pays, à la rendre er-
rante, étrangère à son sol, à sa langue,
à ses amis, sans patrie et sans repos, un
sentiment d'involontaire amertume en-
vahissait mon coeur, et, comme si tous
ceux qui m'entouraient fussent saisis de
la même impression, il se fit un grand
silence autour de cette table, et le maître
de la maison, frappé de la tristesse si-
lencieuse qui se lisait sur:toutes les figu-
res, fit un signe à la confesse de Paris,
assise en face de lui, et On se leva.
Nous descendîmes dans le cabinet de
travail du Prince, au rez-de-chaussée
donnant sur le parc, pièce simple où
i deux tables de travail sont placées l'une
à côté de l'autre, et où, sur deux meu-
bles bas, se trouvent rangés des por-
traits; des souvenirs et des dessins.
L'un de ces dessins, de la main de la
nouvelle duchesse de Bragance, encadre
par Un bouquet composé d'un bleuet,
d'une rose blanche et d'un oeillet rouge,
les vers de Coppée sur les trois couleurs
françaises, copiés de la main de la du-
chesse Amélie elle-même. C'est pourtant
au nom de ces trois couleurs qu'on exi-
lera ses parents. J ..
Au moment où je vais prendre congé
de mes nobles hôtes, le duc d'Orléans
s'avance vers.moi, et,.me fixant de son
oeil pénétrant;.
- M. de Freycinet n'a pas de fils,
n'est-ce pas ?
- Monseigneur, vous voulez dire,sans
doute, que, s'il avait un fils, il n'aurait
pas voulu lui léguer le souvenir de la
loi d'ostracisme qu'il présente ?
- Précisément !...
LA SEANCE
La loi de proscription a été votée au-
jourd'hui, vers neuf heures du soir, à la
majorité de 83 voix, 315contre 232. Cette
interminable séance, qui a duré aussi
longtemps'que deux séances ordinaires,
marque une étape décisive, sur la route
de la tyrannie jacobine,et inaugure une
politique riouvelle dont la France récol-
tera, les fruits amers dansquelques
mois ; mais .il s'en . faut de beaucoup
qu'elle ait offert l'intérêt oratoire- de ,1a
précédente- Le.s tribunes, encore plus
remplies-que la veille, si c'est possible,
n'ont joui que d'un spectacle médiocre,
et les ambassadeurs, qui s'étaient donné
rendez-vous dans la loge diplomatique,
n'emporteront de cette fin de bataille
qu'un assez pauvre souvenir. Même
dans ces mêlées parlementaires, nous
baissons !
Ainsi qu'il arrive presque toujours au
commencement de ces secondes jour-
nées, la fatigue se manifestait sur tous
les bancs, et il semblait qu'on n'eût con-
servé de force que pour interrompre.
C'est M. Henry Maret qui a ouvert le
feu par un discours excellent, plein de
faits et de raisons, que ses amis de la
gauche ont refusé d'entendre parce
qu'ils y ont senti comme une flétrissure
aussi indélébile que méritée. Les cris,
les apostrophes, les invectives n'ont pas
arrêté M. Henry Maret dans son oeuvre
vengeresse; il s'était juré de tout dire,
et il" a eu.du courage jusqu'au bout,:
M. Henry Maret. - Eh quoi !? Simplement
parce qu'un spectacle -vous est désagréable,
parce que des journaux publien t des articles,
parcé que je ne sais quelle sorcière dit aii
nouveau Macbeth : i lin jour tu seras roi »,
pour cela seulement vous nous demandez des
lois d'exil. Cela nous est désagréable ! cela
produit un. mauvais effet !
Ali! si vous étiez venus nous dire :
tour trouvé votre projet de loi insuffisant et
j'aurais demandé que la justice mit la main
au collet des prétendants.
Une voix à gauche. - Vous attendez qu'ils
commencent par vous prendre vous-même
au collet !
M. Henry Maret.- Mon cher collègue,
comment voulez-vous qu'ils puissent le faire,
n'ayant ni le pouvoir ni la force publique?
Avez-vous songé jusqu'où peut vous con-
duire cette nouvelle raison d'Etat? Il y a
beaucoup d'autres choses gênantes pour le
gouvernement. Il y en aune surtout, laliberté
de la presse. Et ici j'ouvre une parenthèse
à l'usage des républicains qui parlent de dé-
fendre la République contre les monarchistes.
Les monarchies n'ont jamais pu vivre avec
la liberté de la presse. Est-ce une raison pour
que la République la supprime ?
Ici M. Goblet proteste, et se déclare
partisan résolu de la liberté delà presse ;
mais on commence à soupçonner que le
libéralisme de M. Goblet n'est pas bon
teint. Soyez tranquille, monsieur Maret,
comme on n'a rien fait tant qu'on n'a pas
supprimé la liberté de la presse; un jour
viendra, qui n'est pas loin, où on trou-
vera qu'elle menace la République, et
où la République menacée se délivrera
de ce petit ennui. Déjà elle a fièrement
arboré, dans ces deux jours, la formule
des vestiaires dont le Figaro, s'était servi
l'autre jour pour qualifier sa politique :
« Débarrassez-vous de ce qui vous
gêne! » Au lieu de s'en défendre, elle
s'en est fièrement prévalue sans même
en récuser les termes, et cet aphorisme
des gardiens de parapluies a couru,
durant toute la discussion, sur les lèvres
républicaines; nous n'en sommes pas
plus fiers pour cela 1
L'éloquente conclusion de M. Maret a
produit beaucoup d'effet sur ceux qui
l'ont entendue, et elle en aurait produit
beaucoup sur toute la Chambre si les
interruptions de la gauche n'étaient par-
venues à couvrir presque complètement
la voix de l'orateur. Un seul homme ne
peut pas lutter contre deux, cents éner-
gumènes qui sont en même temps des
braillards. uU ; .
M. Henry Maret. -Vous dites, dans le
rapport, que la République a autre chose à
faire qu'à s'occuper des princes, je suis de
cet avis et c'est pour cela que je regrette que
vous vous en occupiez.
.. yous .appelez un acte de faiblesse la tolé
rance que montre la République vis-à-vis des
princes ; nous l'appelons, nous, un acte de
force,.et c'est ce que vous proposez aujour-
d'hui qui est un acte faiblesse. (Très bien !
très bien 1 sur divers bancs. - Interrup-
tions.)
D'ailleurs, que vous votiez ou non l'expul-
sion, je n'ai aucune inquiétude pour la Répu-
blique; dans un cas comme dans l'autre, elle
vivra; seulement, dans le premiet cas, je
crains que nous ne fassions une singulière
figure devant l'histoire.
L'histoire dira : Pendant quinze ans la
République, sapée de toutes parts, résista à
tous ses adversaires; vainement ceux-ci eu-
rent pour eux le Parlement, le ministère, un
général illustre, des princes commandant les
armées, les processions, le pape, la coalition
de tous les intérêts, rien ne put prévaloir
contre elle. Puis, un jour, quand tout cela
eut croulé,.quand le gouvernement, comme
les Chambres, fut républicain, quand les
princes furent rentrés dans la vie privée,
quand tout péril eut disparu, les républi-
cains s'effarèrent à propos d'un mariage et
prirent des messes de salut alors qu'il n'y
avait rien
Je crains qUe l'histoire lie dise encore quel-
le chose déplus fâcheux; qu'après une série
de fautes, le gouvernement d'alors crut tout
réparer en jetant au peuple, comme os à
ronger, l'expulsion de princes impopulaires.
La nation ne prendra pa* le change, et vous
vous trompez singulièrement si vous vous
imaginez reconstruire sur ce sable votre po-
pularité ébranlée. (Applaudissements sur di-
vers bancs.) .
A ce moment on attendait qu'un pros-
cripteur osât répondre à. M. Henry Ma-,
ret ; mais on l'a vainement attendu : les
vrais proscripteurs parlent peu; ils vo-
tent. De telle sorte que c'est encore un
adversaire du projet de loi, encore un
républicain, M. Frédéric Passy, qui, sans
contradicteur ostensible, s'est vu obligé
de prendre la parole pour réfuter tous
les sophismes de la commission et du
cabinet. Défenseur de toutes les causes
nobles, M. Frédéric Passy, étant donné
le temps où nous vivons, doit se rési-
gner à prêcher dans le désert, mais les
prédications qu'une Chambre dédaigne
retentissent au loin dans le pays. La
France ne serait plus la France si des
paroles comme celles-ci n'y trouvaient
de l'écho :
M. Frédéric Passy. - On a dit : Il faut
nous débarrasser de ce qui nous gêne ! Oui,
il faut nous débarrasser de toutes ces pué-
rilités, de ces agitations, de ces troubles
qui sont entretenus par nos intolérances
mutuelles.
Mais si, quand vous venez nous dire qu'il
faut nous débarrasser de tout ce qui nous
gêne, vous entendez dire qu'il faut vous dé-
barrasser des personnes qui peuvent vous
embarrasser ou vous gêner, je viens vous
dire, monsieur Madier de Montjau, avec le
respect qui est dû à votre grand talent et à
tout ce .que vous avez depuis si longtemps
souffert pour la'liberté, je viens vous, dire :.
Prenez garde ! vous avez prononcé là la pa-
role la plus imprudente et la plus en désac -
cord avec toute idée de liberté et de justice .
Vous avez prononcé une parole qui est la
justification de toutes les tyrannies et de
tous les arbitraires.
Vous voulez vous débarrasser de ce qui
vous gène! Mais vous gêniez l'Empire, mon-
sieur Madier de Montjau. (Exclamations à
gauche.) Mais tous les hommes qui, sous tous
les régimes, ont eu des idées différentes de
celles des hommes qui étaient au pouvoir
gênaient les gouvernements, et, selon vous,
ces gouvernements n'auraient donc eu qu'une
chose à faire, les proscrire ?
Voix à gauche.- Ils l'ont fait!
M. Frédéric Passy. - Je le répète, c'est
là la justification de toutes les tyrannies et
de-tous les arbitraires, c'est la glorification
de la force et la négation du droit sur lequel
repose toute société régulière.
Si pareille doctrine était admise, il n'y au-
rait plus de sécurité pour le lendemain.
L'honneur d'une société, d'une société ré-
publicaine, c'est au contraire de savoir accep-
ter ce qui gêne, de savoir que la vie publi-
que-comme la vie privée' est un combat
incessant et que c'est à nous, par la supé-
riorité de nos doctrines, par l'ascendant de
notre talent, par la propagande des idées
libérales et justes, à gagner de plus en plus
les. opinions etles suffrages qui, quoi qu'on
puisse faire et dire, ont toujours le dernier
mot. (Très bien ! très bien ! )
Après M. Frédéric Passy, un troisième
orateur se présente, et c'est encore un
adversaire de la loi de proscription, c'est
un membre de la commission, le bon
Michou en personne. Décidément les
proscripteurs ne veulent pas parler, un
discours individuel est une trop grosse
affaire. Ils se réservent pour cette mau-
vaise action collective qui s'appelle un
scrutin de bannissement. Le bon Michou
leur fait honte de cette tactique pusilla-
nime, et descend de la tribune trans-
formée en sellette après avoir engagé
ces belles âmes à effacer du drapeau
français les mots de liberté et d'égalité.
Enfin, M. de Freycinet sent que cette
comédie a trop duré et qu'il est temps
que le gouvernement se montre. Il quitte
son banc avec sa nonchalance ordinaire
et se dirige lentement vers cette espèce
de boîte rectangulaire que vient d'aban-
donner M. Michou. Il est tombé de là,
depuis qu'elle existe, plus de menson-
ges qu'il ne s'en est dit auparavant dans
tout le cours des siècles. M. de Freyci-
net, très calme, presque souriant," re-
commence la fameuse antienne usée au-
jourd'hui jusqu'à la corde : « Les mo-
narchies se sont proscrites les unes les
autres I » Je vous demande un peu qu'est-
ce que cela prouve, puisque nous som-
mes en République ! Sommes-nous donc
condamnés à tourner éternellement dans
le même cercle... éternellement vicieux?
Les amis même du Président du Con-
seil- ce n'est pas de M. Jules Ferry
que je parle - espéraient de lui une
argumentation un peu plus solide, un
peu plus sérieuse, un peu moins effilo-
quée que celle-là. Devant la froideur d e
sa majorité, il le comprend et développe
cette idée qu'il n'y a pas de droit com-
mun pour les princes, conspirateurs
malgré eux :
M. de Freycinet, président du Conseil. -
Est-ce que les membres des dynasties dé-
chues sont véritablement dans la situation
de simples citoyens, le voulussent-ils eux-
mêmes ? N'y a-t-il pas fatalement en eux,
parce qu'ils sont dépositaires de ce que beau-
coup considèrent encore comme le droit mo-
narchique, obligation de représenter partout,
le principe d'un gouvernement en opposition
avec le gouvernement établi? (Applaudisse-
ments à gauche.)
Mais j'entends dire : Est-ce que les prin-
ces conspirent? Et, s'ils conspirent, pourquoi
ne pas employer à leur égard le droit com-
mun? Ne voit-on pas qu'il y a là, de leur
part, quelque chose qui échappe au droit
commun? Ils ne conspirent pas, mais il y a
ee fait capital, qu'ils le veuillent ou non, et
surtout quand ils y travaillent (Bruit à droite) :
par cela même qu'ils représentent cette si-
tuation exceptionnelle, ils incarnent en eux
un principe de gouvernement, ils sont, à
côté du gouvernement établi, comme la pro-
messe d'un gouvernement nouveau ; que ce
gouvernement nouveau tend à affaiblir, à
discréditer le gouvernement établi.
Il n'y a pas d'exemple que jamais aucun
gouvernement ait consenti à tolérer un pareil
état de choses. (Très bien ! très bien !)
J'entendais hier M. Piou, dans un discours
éloquent, dire : « Nous tournons toujours
dans le même cercle; nous recourons tou-
jours aux lois d'oppression. Les lois mau-
vaises que la Monarchie a faites, que l'Em-
pire a reprises pour lui, quoi ! la République,
ce régime de justice, retombant dans les
mêmes errements, va les revendiquer à son
tour? Ï Et M. Piou ajoutait : « Pourquoi, au
lieu d'employer la force, la République ne
s'enveloppe-t-elle pas dans la force du droit?»
Je réponds : Si la République songe à em-
ployer les mêmes moyens que les gouverne-
ments qui l'ont précédée, c'est qu'il y a des
nécessités supérieures qui s'imposent à tous
les gouvernements, et que de même que tous
sont obligés de recourir à la force matérielle
pour réprimer des faits, ils doivent employer
des mesures spéciales pour combattre des
situations spéciales. (Très bien! très bien ! à
gauche.)
Il n'y a pas un gouvernement régulier qui
puisse supporter cette situation d'un gouver-
nement ayant à côté de lui un autre gouver-
j nement qui fait douter de la durée d'un ré-
gime assez faible pour le tolérer. (Applaudis-
sements.)
Conspirateurs malgré eux, et, par
conséquent, proscrits forcés : c'est la
thèse. Elle est libérale, elle est noble,
elle nous promet enco re de beaux jours;
elle fait honneur au ministre qui, la dé-
fend et qui osera encore, après l'avoir
défendue, ambitionner - sans succès
d'ailleurs, car le voilà impossible ! - la
présidence de la République. Et quand
on lui demande quelle mouche lë pique
de se faire proscripteur si tard, d'exiler,
après quinze ans, ceux qui, revenus un
jour de l'exil, commençaient à savourer
cette ineffable douceur du séjour de la
patrie, oh I il n'est pas embarrassé pour
répondre, et il trouve à l'instant même
de prétendues raisons dont il ne soup-
çonne même pasl'énormité.
S'il a recours aujourd'hui à cette insi-
gne violence, vous ne voyez pas tout de
suite pourquoi : c'est qu'il y a quinze
ans elle était à peu près inutile tandis
qu'en l'an de grâce 1886, elle est devenue
nécessaire. Autrefois, il y avait trois
prétendants qui se neutralisaient, se pa-
ralysaient l'un l'autre et dispensaient la
République du soin de se garder en les
exilant; A cette heure, i?s ne sont plus
qu'un, au peu s'en faut,' et celui-là dé-
vient uri danger; là mort du 'prince im-
périal et du comte de Chambord con-
damne le comte de Paris.
Alors on poussel'auteurdecet honnête
raisonnement, on le presse, on l'accule
aux derniers retranchements de sa lo-
gique. On lui dit : « mais vous ne pen-
siez pas ainsi il y a trois mois ; et cepen-
dant le prince impérial et Henri Vêtaient
morts ! » C'est le point délicat, c'est la
grosse arête; il fait une pirouette, et
l'avale :
M. de Freycinet, président du Conseil.-
Voilà la situation qui s'est créée et perpé-
tuée depuis 1883.
Voix à droite. - Et il y a trois mois ?
M. le président du Conseil.- J'y arrivais.
Oui, il y a trois mois, je me suis opposé à
une mesure de ce genre, et cela pour deux
raisons. La première, c'était surtout qu'une
pareille mesure, à mon avis, relève du pou-
voir exécutif, qui, seul, doit en prendre l'ini-
tiative.
Ace propos, on commet une erreur quand
on prétend que: j'aurais déclaré que cette
mesure-d'expulsion était du domaine du pou-
voir exécutif.
Relisez mon discours et vous verrez que
je n'ai rien dit de semblable; j'ai déclaré
que si, à un moment donné, les prétendants
faisaient courir un danger à la République,
le gouvernement viendrait ici et proposerait
à la Chambre les mesures nécessaires.
(Très bien ! très bien ! à gauche.)
Mon deuxième motif, c'est que j'avais l'es-
poir en ce moment, qu'après le grand ébran-
lement qui s'était produit à la suite des
élections du 4 octobre, après le renouvelle-
ment des pouvoirs du Président de la Répu -
blique et ia constitution d'un nouveau mi-
nistère dont je faisais partie, et qui prenait
le pouvoir dans une pensée de conciliation
et de modération, l'apaisement se produi-
rait.
Vous pouvez discuter mes actes, mais
vous n'avez pas le droit de contester mes
intentions. (Bruit à droite.)
J'affirme que j'arrivais au pouvoir avec une
pensée d'apaisement et d'oubli. (Bruit à
droite.)
Encore une fois, vous ne pouvez pas con-
tester mes intentions.
Nous espérions que des devoirs nouveaux
s'imposeraient à un Parlement nouveau
comme à un cabinet nouveau. Nous avions
cru surtout que l'avertissement récemment
donné aux prétendants par une fraction du
parti républicain, qui avait déposé une pro-
position plus radicale que notre projet actuel,
ne serait pas perdu.
Nous pensions qu'il était temps enfin,pour
les Princes, de prendre une attitude correcte
et réservée dont ils n'auraient jamais dû se
départir. (Très bien ! très bien ! à gauche).
J'estime, en effet, que quand les Princes
veulent Vivre sur le territoire, ils doivent se
montrer plus réservés que de simples ci-
toyens. (Nouvelles approbation à gauche).
Nous vous reconnaissons à vous tous le
droit de combattre la Républi |ue ; ee droit,
nous ne le reconnaissons pas à des Princes.
S'ils veulent en user, qu'ils imitent la conT
duite du comte de Chambord : qu'ils sortent
du territoire. (Applaudissements àgauche).
M. Michelin. - Ils n'ont pas son carac-
tère. -
M. le président du conseil. - Cet aver-
tissement solennel qui était parti de ces
bancs et en présence duquel nous avons eu
le courage - car c'en était un - découvrir,
comme on nous l'a reproché, ceux qu'on
voulait éloigner, cet avertissement n'a pas
été entendu.
A ce moment, dans notre confiance exa-
gérée pour leur réserve et leur prudence,
nous avons dit : Laissez-nous essayer ; nous
avons l'espoir qu'aucun danger ne se pro-
duira; nous voulons épuiser tous les moyens
avant d'en arriver à certaines mesures, qui
ne sont une satisfaction pour personne (Bruit
à droite): ce sont là des devoirs doulou-
reux qu'on remplit (Applaudissements à
gauche) ; on les recule le plus longtemps
qu'on peut, quoiqu'on soit décidé, le moment
venu, à y apporter toute la fermeté néces-
saire.
Je n'ai négligé aucune occasion de faire
savoir, dé dire à ceux dont la voix pouvait
être entendue : Ce que j'ai fait une fois, je
ne le ferai pas deux; je ne me mettrai pas
de nouveau à rencontre du sentiment de
mon parti, et si les Princes ne savent pas
se faire oublier, je n'attendrai pas qu'une
initiative se produise, je la prendrai moi-
même. (Applaudissements à gauche.)
Et il l'a prise !, A mesure que le minis-
tre parle, sa majorité se dessine à vue
d'oeil. Ce n'est pas qu'un seul député
sur 580 ajoute ombre de foi à ce roman
rétrospectif. Personne n'ignore quels
sont les motifs qui ont déterminé M.
de Freycinet à présenter sa loi. Les
huissiers et les garçons de bureau eux-
mêmes savent comment M. Jules Ferry
l'a conduit comme par la main dans ce
guêpier des Princes d'où un peu de fierté
et de droiture auraient suffi à le tirer.
Mais peu importe! La majorité qui a
besoin de prétextes accepte ceux-là sans
y çroire, vaille que vaille, et elle applau-
dit, avec une vivacité qui lui tient lieu
de conviction, les dernières paroles de M.
de Freycinet.
M. de Freycinet, président du conseil. -
Nous ne demandons pas de rigueurs exces-
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