Titre : Figaro : journal non politique
Éditeur : Figaro (Paris)
Date d'édition : 1884-04-16
Contributeur : Villemessant, Hippolyte de (1810-1879). Directeur de publication
Contributeur : Jouvin, Benoît (1810-1886). Directeur de publication
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Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 16 avril 1884 16 avril 1884
Description : 1884/04/16 (Numéro 107). 1884/04/16 (Numéro 107).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
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MB. FIGARO - MERCREDI 16 AVRIL 1884
OBSÈQUES DE J.-B. DUMAS
Une foule nombreuse, appartenant au
monde de la politique, de la littérature,
de la finance, des sciences et des arts,
se pressait hier matin, à onze heures, à
l'église Sainte-Clotilde, où se célébraient
les obsèques de M. J.-B. Dumas, secré-
taire perpétuel de l'Académie des Scien-
ces, membre de l'Académie française,
grand-croix de la Légion d'honneur.
L'église était tendue de noir extérieu-
rement et intérieurement. Au milieu de
la nef se dressait un magnifique catafal-
que, entouré de bouquets et de couron-
nes, sous lesquels disparaissait le
cercueil.
Pendant le service religieux, la maî-
trise, renforcée dé quelques artistes, a
chanté les chants funèbres.
La messe a été dite par le premier
vicaire; le vénérable curé, ami de M.
J.-B. Dumas, à donné l'absoute. A son
grand regret, Mgr Perraud, évêque
d'Autun, collègue du défunt à l'Acadé-
mie française, n'avait pu quitter son
diocèse pour venir donner l'absoute.
Au sortir -1" l'église, les troupes, char-
gées de rendre les honneurs et qui sta-
tionnaient au dehors, ont présenté les
armes, tandis que la musique jouait des
marches funèbres. Ces troupes, placées
sous le commandement du général de
brigade Cholleton, se composaient des
5° et 119° régiments d'infanterie de ligne,
du 16e régiment de dragons et du 31°
d'artillerie.
' Le deuil était conduit par MM. Ernest
Dumas, Hervé-Mangon et Noël Dumas,
fils, gendre et petit-fils du défunt.
Les cordons du poêle étaient tenu s par
MM. le comte d'Haussonville, de l'Aca-
démie française; Eugène Rolland, prési-
dent de l'Académie des sciences ; Adolphe
Wurtz, amiral Mouchez, directeur de
l'Observatoire; Cauvet, directeur de l'E-
cole centrale, .et Melsens, membre de
l'Académie de Belgique, tous en uni-
forme officiel.
L'habit, le chapeau et l'épée d'acadé-
micien 'du' défunt 'étaient placés sur le
cercueil. .
Après la cérémonie religieuse, Mmes
J.-B. Dumas, E. Dumas, Hervé Mangon
et Noël J.-B. Dumas sont rentrées, en
voilure, à l'hôtel de la rue Saint-Domi-
nique, où plusieurs registres étaient dé-
posés pour recevoir les noms des visi-
teurs. .
Le Président de la République s'était
fait représenter par M. le lieutenant-
colonel Cance. Le gouvernement avait
également tenu à rendre un dernier
hommage à l'illustre savant. M. Fal-
lières, ministre de l'instruction publique
et des beaux-arts; M. Méline, ministre
de l'agriculture et du commerce, et M.
Cochery, ministre des postes et des télé-
graphes, étaient au nombre des assis-
tants.
Nous avons, en outre, reconnu dans
la foule : MM. Nisard, Legouvé, Emile
Augier, le duc de Broglie, Emile Ollivier,
Xavier Marinier, Camille Rousset, Viel-
Castel, John Lemioinne, Jules' Simon, E.'
Renan, Taine", Maxime Du Camp, le duc
d'Audiffret-Pasquier, Cherbuliez, de M.a- j
zade, Pailleron, de l'Académie française. I
MM. Serret, Chevreul, Bonnet, Tresca,
Resal, Maurice Levy, Paye, Janssen,
Loewy, Tisserand, les amiraux Paris et
Jurien de la Gravière, le colonel Perrier,
Becquerel,Berthelot,Cornu, Fremy, Dau-
brée, Hébert, Trécul, Chatin, Van Tie-
ghem, Bouley, le baron Thenard, Milne
Edwards, Blanchard, Robin, Gosselin
Vulpian, Charcot, de l'Académie des
.sciences et de médecine.
MM. Wallon, Rossignol, Renier, De-
cisle, Hauréau,Guicherat, Rozière, de Heu-
?ey, Perrot, Schefer, Riant, Dumont,
Weil, Meyer, de l'Académie des inscrip-
tions et belles-lettres,
. MM. Signol, Muller, Baudry, Bougue-
reau, Boulanger, Guillaume, Cordier,
Paul Dubois, Ballu, Garnier, Vaudre-
mer, Ginain, François Bertinot, Cha-
plain, Gounod, Ambroise Thomas, Ro-
?er, Delalande, E. Perrin, du. Somme-,
rard, de; Chennevières, de l'Académie
des Beaux-Arts.
MM. Barthélémy Saint-Hilaire, Lévê-
que, Ravaisson, Lucas, Gréard, Pont,
Aucoc, Desjardins, Levasseur, F. Passy,
L. Say, Ziller, Fustel de Coulanges, Pi-
cot» Victor Duruy, Calmon, Boutmy,
Carnot, de l'Académie des sciences mo-
rales et politiques.
Puis, MM. le maréchal Canrobert,
marquis de Turenne, Isaac Péreire,
Emile Péreire, Gustave Péreire, Ha-
chette, vicomte de Luynes, Feuillet de
Conches, Firmin Didot, comte Daru, Elie
'de Beaumont, Vallery-Radot, Orfila,
marquis de Grammont, Ed. Brame,
marquis de Dampierre, Pingard, Geof-
froy Saint-Hilaire, général Fleury, géné-
ral Favé, baron Haussmann, baron de
Watteville, général Farre, général de
iRivière, général Guillemot, général Pour-
rat, etc., etç. _ . , .
Les trois promotions de l'Ecole cen-
trale des Arts et Manufactures, dont
huit élèves portaient une splendide cou-
ronne, formaient la tête du cortège avec
leur directeur, leurs professeurs et tout
le personnel dé l'Ecole.
Une délégation de l'Ecole polytech-
nique.
La ville d'Alais, où est né M. Dumas,
avait tenu à se faire représenter à ses
obsèques. Dans la délégation très nom-
breuse, nous avons remarqué des chefs
d'usine, des membres de la Société scien-
tifique d'Alais, des amis personnels "de'
la famille et, parmi eux : M. Escalle, di-
recteur de Tamaris; M. de Roux-Larcy,
M. Fernand de Ramel, avocat à la cour
de Cassation; M. le comte de Retz et M.
Léopold Balme, architecte, qui a déposé
unç magnifique couronne sur la tombe.
; Cette manifestation sympathique de
la population alaisienne contraste avec
l'indifférence du conseil municipal ré-
publicain de cette ville, qui n'a pas cru
devoir se faire représenter aux obsè-
ques.
Ajoutons que les membres de la délé-
gation alaisienne, avec le concours de
plusieurs illustres savants, collègues et
amis dugrand chimiste Dumas, doivent
prendre l'initiative d'une souscription
universelle pour lui élever un .monument»
Signe de lui.
L'inhumation a eu lieu au cimetière de
Montparnasse, dans le caveau de la fa-
mille Brongniart.
, Six discours ont été prononcés sur la
(tombe. .
; M. le comte d'Haussonville, au nom
de l'Académie française, a parlé en ter-
mes éloquents de la vie littéraire du dé-
funt; M. Eugène Rolland, au nom de
l'Académie des sciences, a énuméré ses
diverses inventions ; M. Cauvet, direc-
teur de l'Ecole centrale des Arts et Manu-
factures^ rappelé, en termes émus,qu'il
était le dernier survivant des trois fonda-
teurs de l'Ecole; puis,M. Joseph Bertrand,
secrétaire perpétuel de l'Académie des
sciences; M. Wurtz, au nom de l'Aca-
démie de médecine ; M-Melsens,au nom
de l'Académie de Belgique et des savants
étrangers ; M. G.Denis, sénateur, au nom
des anciens élèves de l'Ecole centrale,
ont pris successivement la parole. M.
Arsène Houssaye, empêché par un acci-
dent n'a pu prononcer le discours qu'il
avait préparé.
J. v.
VOYAGE
DE
l'Ardue Rodolphe en Orient
PAR DEPECHE
Budapest, 15 avril, 6 heures du matin.
L'archiduc Rodolphe et l'archidu-
chesse; Stéphanie avec leur suite ont
quitté Vienne hier soir â dix heures et
demie, par la gare de l'Est. L'archidu-
chesse portait un costume de voyage
gris, serré à la taille et pour coiffure un
chapeau de paille gris. La suite, peu
nombreuse, se compose des comtesses
de Sylva-Taroucca et Thérèse Palffy, des
comtes Charles de Bombelles, contre-
amiral, chef de la maison de l'archiduc,
et André de Palffy, général, chef de la
maison de l'archiduchesse, de deux aides
de camp, du chef de l'état-major de l'ar-
chiduc-, de son médecin, et de M. le cheva-
lier de Klaudy, directeur des voyages de
la famille impériale.
Le train spécial se composait de cinq
wagons, dont un wagon-salon destiné
à Leurs Altesses, deux wagons pour la
suite, un pour le service et un fourgon.
Les augustes voyageurs arriveront à
Constantinople jeudi 17 avril,.à bord du
Miramar, yacht impérial, sur lequel
s'embarqueront aussi les pachas Mouk-
tar et Soleiman, délégués par le sultan
pour saluer l'héritier des couronnes
d'Autriche et de Hongrie. Le débarque-
ment se fera vers neuf heures du matin,
et les voyageurs se rendront immédia-
tement au Yildizkiosk, où ils seront re-
çus par le sultan.
Le séjour à Constantinople durera
jusqu'au 24 avril, et le programme de
ces journées est rempli par toutes sortes
de fêtes et d'excursions qui promettent
d'être aussi intéressantes que fati-
gantes. Comme le programme officiel
peut changer très facilement et que des
changements considérables sont même
prévus, je préfère ne pas vous le com-
muniquer d'avance, quitte à vous tenir
au courant au jour le jour de tout ce
que nous aurons vu.
Dans les cercles politiques de Vienne
on attribue une grande importance poli-
tique à ce voyage. Quoique l'archidu-
chesse Stéphanie accompagne son époux,
cela n'a pas suffi pour donner le change
sur le caractère réel de cette excursion.
La visite de l'archiduc-héritier aux cours
de Constantinople, de Bucharest et de
Belgrade et son entrevue à Roustchouk,
avec le prince Alexandre de Bulgarie, ne
peuvent qu'affermir les liens d'amitié qui
unissent surtout les cours de Roumanie
et de Serbie à la cour austro-hongroise.
Les capitales de ces deux pays, qui
ont eu si souvent les visites de plusieurs
membres de l'a famille impériale do Rus-
sie, n'ont jamais été visitées par les
princes de la maison de Habsbourg.
Le voyage de l'archiduc Rodolphe est
donc pour le moins un symptôme très
significatif, qui semble inaugurer une
ère de relations plus suivies et plus étroi-
tes entre les pays des anciens vassaux
de la Turquie et la monarchie austro-
hongroise, dont la politique paraît de
plus en plus s'inspirer de sa « mission
orientale. »
Le départ de Leurs Altesses s'est fait
dans le plus strict incognito. Toute ré-
ception officielle était interdite, proba-
blement il n'y en aura qu'une ce soir, à
Orsova, la dernière station avant la fron-
tière roumaine, où le dîner de l'Archiduc
sera servi. C'est la Compagnie interna-
tionale des Wagons-Lits de l'Orient-
express qui fournit les somptueux wa-
gons-salons dans lesquels voyagent l'ar-
chiduc et sa suite.
Emeric de Huszar.
LE DISCOURS DE PÉRIGUEUX
Périgueux, 15 avril.
Tout le monde a quitté Cahors ce ma-
tin, qui avec une indigestion, qui avec
une dyssenterie, qui avec une fluxion
de poitrine, le tout pris au banquet de la
Halle.
Pendant que M. Ferry s'arrête à Pé-
rigueux vers midi, pour présider la dis-
tribution des récompenses à trois cents
gymnastes, et en réalité prononcer un
discours sur les questions pendantes, le
général Campenon, accompagné du gé-
néral Pittié, continue sur Paris. Seuls,
Waldeck et Martin-Feuillée flanquent, au
banquet périgourdin, le président du
Conseil.
Rien à dire des cérémonies banales de
cette après-midi.
? Le préfet a présenté au ministre en-
viron cinq cents instituteurs du dépar-
tement. M. Jules Ferry exprime sa sa-
tisfaction de se trouver aveceux.L'oeuvre
à laquelle ils se consacrent a été, assure-
t-il, la haute préoccupation de toute sa
vie. Il aurait voulu achever l'oeuvre en-
treprise en améliorant leur situation
pécuniaire trop modeste.
Mais vous êtes assez clairvoyants, dit le
président du Conseil, vous connaissez suffi-
samment l'état financier du pays pour com-
prendre que toute charge nouvelle est im-
possible à établir. Nous sommes donc obligés
d'ajourner une réforme que je considère
comme indispensable. Je suis de ceux à. qui
ce sacrifice a le plus coûté. Ce n'est certaine-
ment ni par caprice ni volontairement que j'ai
demandé àla Chambre et que je vous demande
d'attendre le temps très prochain où notre
budget se relevant de lui-môme, nous per-
mettra de vous mettre tous dans la situation
de dignité et d'indépendance qui vous est
due. Je n'insiste pas, parce que j'étais sûr
que vous aviez compris d'avance et que vous
sauriez résister aux excitations malsaines qui
ont saisi ce prétexte.
Vous savez que les intérêts du gouverne-
ment républicain et les vôtres sont solidaires.
Si la République était menacée, l'enseigne-
ment laïque tout entier saurait la défendre.
Les instituteurs se sont contentés de
« ce bon billet » et ont applaudi M. Ferry. |
ta ville est jolie, coquettement dé-
corée. Le banquet a lieu dans la salle
des Pas-Perdus du Palais de Justice.
C'est tout. J'allais omettre la mésa-
venture arrivée à plusieurs personnes,
hier, à Cahors. Il paraît qu'une bande
de pickpockets s'est abattue autour
du monument Gambetta. ' Le sculp-
teur Falguière a été volé de son porte-
feuille qui contenait trois mille francs ;
le vénérable Pierre Laffitte, qui a fait un
?si malheureux discours hier, a été volé
d'une somme de dix mille francs qu'il
portait sur lui. Pourquoi avait-il sur lui
dix mille francs? C'est une somme vrai-
ment exagérée pour venir à Cahors. Je
n'en sais rien. Il est probable qu'étant
philosophe, le père Laffitte a pour de-
vise : Omnia mecum porto. On cite en-
core plusieurs vols moins importants.
Nous voici donc suspendus aux lèvres
du président du Conseil ; dans la salle
du banquet, quatre cents personnes,
d^nt trois cents maires, le doyen de ces
maires va être décoré, tant mieux pour
lui -s'il l'a bien mérité. A 10 h. 1/2, M.
Ferry daigne se lever et prononcer le
speech attendu. Je passe sur les rocam-
bolès accessoires, les toasts à Grévy, à
la gymnastique, aux biceps et au colonel
Amoros.
Dans un exorde assez calme, M. Ferry
dit que le gouvernement n'a pas à faire
de programme, ou plutôt que son pro-
gramme consiste à résoudre une aune
des questions qui se posaient toutes à
lafois; il estimequ'il en a résolu beau-
coup: celle des travaux publics, celle de
la réforme de la magistrature. L'élection
des juges est une utopie, et il faut s'en
tenir à l'épuration actuelle ; toute autre
tentative serait impossible de notre
temps.
M. Ferry se félicite d'avoir fait les ex-
péditions de Tunis et du Tonkin, il agite
une dépêche victorieuse du général Mil-
lot sur la prise de Hong Iloa et fait voter
par les banqueteurs des félicitations au
corps expéditionnaire. Si l'on veut avoir
un bon gouvernement, il faut avoir
un ministère qui dure longtemps.
Ainsi, si la France est, d'après M.
Ferry, dans une situation meilleure qu'il
y a plusieurs années, c'est qu'on n'a pas
depuis plusieurs mois remercié le mi-
nistère.Rappelant son discours du Havre,
il déclare que le gouvernement reste fi-
dèle à cette politique qui s'appuie sur
les opportunistes et combat les intran-
sigeants. Gambetta n'a-t-il pas été la
première victime de. ces dissidents, il
faut profiter de la leçon.
M. Ferry n'est pas avec les hommes
qui travaillent à la revision en Corse
avec les bonapartistes; il n'est pas avec
certains républicains qui, par la violence
de leurs opinions, inquiètent la grande
masse républicaine. Cette grande masse
qui a besoin d'ordre et de tranquillité et
qu'on peut appeler aujourd'hui « laRépu-
blique des paysans. » Il n'est pas non
plus avec les gens qui piétinent sur
place. Dans quelques semaines on s'oc-
cupera de la révision. Mais M. Ferry
estime qu'on doit être tiède dans cette
opération, parce que la foule elle-même
est tiède et modérément révisionniste.
Limilons, limitons la révision! tel est le
cri du jour. Gambetta aussi avait poussé
ce cri à Cahors.
M. Ferry est certain d'avance que les
élections municipales seront universel-
lement républicaines. Il engage cepen-
dant les électeurs à ne nommer que des
conseillers qui s'occupent exclusive-
ment de leurs affaires locales et non de
politique. Limitons la révision, votons
pour des conseillers municipaux qui ne
fassent pas de politique. Le meilleur
ministère est celui qui dure le plus
longtemps.
Tel est, en substance, le thème peu
nouveau sur lequel M. Ferry brode des
variations bien anciennes et souvent-en-
tendues. On applaudit sans excès. On at-
tendait je ne sais quoi de plus vif sur le
service de trois ans et sur plusieurs
autres questions agitées au Palais-Bour-
bon. Les politiciens vont donc être con-
traints de noircir du papier et de contro-
verser là-dessus pendant les vacances.
Maigre, maigre pitance.
Ainsi se termine ce voyage de trois
jours. M. Ferry et ses collègues rentrent
demain soir à Paris, harassés, moulus
et un peu désappointés, je le suppose, de
l'accueil glacial qu'ils on reçu partout et
surtout ici où le voyage du Maréchal
avait été si triomphal en 1877. /
Pierre Giffard.
FIGARO m SOUDAN
Assyout, lo 8 avril, 1884.
S'il est vrai que tous les chemins
conduisent à Rome, il est non moins
exact que toutes les routes mènent à El
Obeïd. L'hostilité de M. Clifford Lloyd
me contraint de m'écarter de la voie la
plus rapide et d'en choisir une entre les
plus incommodes, les plus longues et les
plus périlleuses.
J'ai opté.
Je vous ai fait savoir les tracas aux-
quels j'étais en butte. Mes télégrammes
vous ont annoncé que j'avais dû rétro-
grader; me rabattre d'Ôuady Halfah sur
Korosko; de Korosko sur Assouan; d'As-
souan sur Assyout; d'Assyout enfin sur
le Caire. Le ministre anglais eût désiré
sans doute que mon mouvement de re-
traite, semblable à celui auquel seront
prochainement soumis les Anglais, con-
tinuât indéfiniment. Après le Caire,
Alexandrie;'après Alexandrie, Naples,
Marseille et Paris. ,
Lorsque vous recevrez cette lettre, je
me serai remis en marche pour le quar-
tier général de Mohamed Ahmed
Ça n'a pas été un des côtés les moins
curieux de mon voyage que ce brusque
et pénible retour sur mes pas. Au fur et
à mesure que j'opérais les diverses
étapes du recul, j'étais signalé, au jour
le jour. Le télégraphe jouait un jeu d'en-
fer. Les mudirs de tous les districts re-
cevaient du Caire l'ordre de s'enquérir
de ce que je méditais, des endroits où
j'avais l'intention de faire halte, des pro-
pos que je tenais aux cheiks arabes
dans les localités où l'on relâche. Un
peu plus on eût informé son « Excel-
lence » du menu de mon déjeuner et de
mon dîner l
Gordon pacha cerné à Khartoum, ne
pouvant plus, par suite de l'interruption
de la ligne télégraphique, encombrer de
ses élucubrations la Nubie, la Haute, la
Moyenne et la Basse-Egype, l'enregis-
trement quotidien des allées et venues
de votre correspondant a occupé les
loisirs des employés du télégraphe !
Le côté piquant de l'affaire, c'est que
les Anglais jouissent en Egypte d'un tel
crédit qu'on les trahissait sans cesse à
mon profit et que j'étais avisé, dès
qu'elles arrivaient à un endroit quel-
conque, des instructions ministérielles I
###
Toutefois encore, ce voyage d'Ouàdy
Halfah à Assyout n'aura pas été accom-
pli en pure perte. La situation, depuis
mon premier passage, a changé.
A Korosko, d'abord, je trouve le village
et la plaine bondés de pauvres soldats
égyptiens éclopés. Ils viennent de Ber-
ber, sous l'escorte de Salah bey, l'un des
fils de Hussein pacha Halifa. Les uns
sont malades, les autres horriblement
blessés. Un grand nombre sont amputés
des bras.C'est la suite des terribles coups
d'estoc et de taille donnés par les Sou-
daniens à leurs ennemis, avecces sabres
gigantesques que les nègres agiles et
puissants manient à deux mains, à la
façon de nos lourdes épées anciennes.
Malgré le chiffre considérable de cha-
meaux affectés au transport de ces mal-
heureux, "leur transport s'exécute très
lentement. Et c'est sous, le soleil ardent,
sans pansements, je ne dis pas réitérés
mais journaliers au moins, qu'il leur
faut attendre la date fixée pour la se-
conde et fatigante étape. Je n'insiste pas
sur les cas de mortalité et les effets dé-
sastreux que peut avoir à l'avenir un
état de choses aussi déplorable, Puisse
une nouvelle épidémie ne point éclater
dans quelques mois!
###
Mais si l'encombrement et le désarroi
le plus complet régnent à Korosko qui
ne constitue qu'une sorte de caserne-
ment de passage, que sera-ce à As-
souan qui est le lieu do concentration
général des victimes de la guerre que-
l'Angleterre a déchaînée? C'est encore
une assez triste idée dans l'état d'esprit
où se trouvent les soldats égyptiens d'a-
voir fait défiler devant leurs yeux toute
la foule de leurs frères d'armes, mutilés
aux environs de Berber ou de Khar-
toum.
Depuis quinze jours, en effet, dix-sept
cents hommes de troupes indigènes
campent sur les hauteurs du désert qui
sépare Assouan de Mahata et borde la
première cataracte. De loin, on aperçoit
les tentes disséminées sur les flancs
arides des montagnes sombres qu'elles
tachent de points blancs éclatants. Çà et
là des retranchements et des fortins
d'une confection et d'une efficacité pro-
tectrice assez douteuse. En voyant, ma-
tin et soir, défiler, sur la route qui con-
duit d'Assouan à Mahata, le long cortège
des éclopés, je vous laisse à penser les
réflexions qui doivent assiéger déjà le
coeur hésitant des pauvres diables et je-
ter le trouble dans leurs cerveaux
comme dans leurs intestins peu solides.
Le lâche-pied des troupes égyptiennes -
et une nouvelle preuve vient d'en être
fournie à Khartoum dans une tentative
de sortie de Gordon - est si bien admis
qu'il ne fait plus doute pour ceux même
qui ont sous leurs ordres ces forces
d'une instabilité si navrante. Les offi-
ciers supérieurs sont désolés, mais ils
en glosent et je ne puis mieux faire que
de vous citer ce mot d'un des chefs
chargé de; mettre du .chien au ventre
de cette milice arabe cantonnée à As-
souan : . . '
- Qu'allez-vous faire, monsieur? s'é- j
criait en riant le colonel à qui je parlais
de mon intention de chasser quelques
tourterelles, excellent gibier qui devait
rompre un peu la monotonie de mon or-
dinaire de conserves si écoeurant. Tirer
un coup de fusil, ici, sans que les postes
soient avertis ! Mais tous vont croire à
une attaque et s'enfuir dare-dare, en un
clin d'oeil, vers le Delta !
.TV -N-
.
Assyout après Assouan doit servir de
seconde barrière, au cas où les succès de
Mohamed Ahmed s'affirmeraient et l'in-
surrection gagnerait de proche en pro-
che, ainsi qu'une traînée de poudre, la
Nubie et la Haute-Egypte. Sept cent cin-
quante fantassins anglais sont préposés
à la garde de cette importante cité dont
la population n'est pas inférieure à
35,000 âmes. C'est à Assyout, dans le
principe, que l'état-major anglais avait
résolu de concentrer les forces qu'il des-
tinait au mouvement convergent sur
Berber, combiné avec l'action partant
de Souakim. Les événements en ont dé-
cidé différemment, et le rappel des trou-
pes, de la mer Rouge fait ajourner cette
tactique. Les opérations seront-elles re-
prises quand la saison et quand les cir-
constances le permettront? Je l'ignore,
mais je le crois. On ne néglige rien,
effectivement, pour être prêt au premier
signal. En dépit de l'état stationnaire et
expectant dans lequel on se renferme,
on travaille et l'on s'entoure de rensei-
gnements précis. Des officiers supé-
rieurs de la marine - le commandant
et le second du vaisseau de guerre Y In-
vincible - avec lesquels j'ai fait la ma-
jeure partie de la route, sont allés jus-
qu'à Ouady-Halfah relever exactement
les moindres sinuosités du Nil, les
obstacles que présente son cours, les
profondeurs d'eau et les hauteurs des
monticules entre lesquels le fleuve de
temps à autre coule encavé.
A toutes les stations, c'étaient d'inter-
minables conciliabules avec les mudirs
et des questions d'une minutie extraor-
dinaire. La mission militaire et hydro-
graphiqu3 était doublée d'une mission
politique de propagande et de rensei-
gnements moraux.
- Que pensent les Arabes de votre
Mudirieh de l'occupation anglaise? de-
mandaient invariablement,, en termi-
nant, les officiers aux chefs des districts
par l'intermédiaire des drogmans.
Malgré les réponses satisfaisantes ou
équivoques, voici des faits certains et
qui parlent haut.
Quand l'état-major anglais arriva à
Assouan, c'est à peine s'il put se procu-
rer de quoi manger. Lorsque les sept
cent cinquante hommes de troupes an-
glo-saxonnes vinrent camper à Assyout,
la population fit disparaître des bouti-
ques et des bazars toute espèce d'appro-
visionnements. C'est à ce point que le
pain et les divers objets de consomma-
tion journalière sont expédiés par le
train chaque malin et débarqués au
camp anglais chaque soir. Gela même
est fort intéressant pour les voyageurs.
Le campement anglais étant installé à
quatre milles de la ville, en plein désert,
le train s'arrête à l'aller et au retour à
cette station provisoire et de contre-
bande. Là on débarque les marchandises
et l'on attend le courrier des hauts et
puissants seigneurs du lieu. Partout où
l'autorité supérieure a un pied à terre,
sur le parcours, on s'attarde, et c'est ainsi
que le train, qui doit entrer en gare de
Boulacq-Dakerour à 7 heures, n'y arrive
qu'à huit heures et demie!
Je comprends maintenant, avec les
embarras qui surgissent et l'hostilité
sourde qui se manifeste, que les occu-
pants aient renoncé à une marche sur
Berber. Hussein pacha Halifa, à qui l'on
avait enjoint d'abord d'envoyer toute
une armée de chanceliers jusqu'à moitié
route de Souakim pour mettre les puits
du chemin de caravane à même de four-
nir de l'eau, a reçu contre-ordre quel-
ques jours avant le réembarquement du
corps expéditionnaire pour Suez et pour
le Caire. Il fallait-être atteint, d'ailleurs,
d'aberration mentale, pour oser s'enga-
ger ainsi, alors qu'on était contraint de
transporter tout le matériel de bouche
et de guerre, dans une expédition loin-
taine à l'époque des grandes chaleurs!
Les politiciens de Londres peuvent se
récrier à l'aise sur les avantages d'une
politique « plus énergique ». S'il leur
était donné de voir l'état d'épuisement
dans lequel reviennent les troupes de
Souakim, ils se rendraient compte de
l'insanité de l'oeuvre qu'ils préconisent
et des responsabilités qu'ils assument.
Quelque opposés que- soient les inté-
rêts de peuple à peuple dans la question
égyptienne, on ne peut marchander sa
pitié aux malheureux soldats, instru-
ments aveugles d'une cause mauvaise,
irresponsables des fautes commises, qui
se battent, qui meurent sur les champs
d'El Tel ou de Tokkar, ou qui reviennent
dangereusement atteints par la fièvre,
frappés par les meurtrières ardeurs du
climat l
. . .
Quos vult perdere Jupiter dementat.
Je ne sais si Jupin veut la ruine de
l'Angleterre, mais ce que je puis vous
assurer, c'est que l'administration du
Caire a totalement perdu la tête. Les
nouvelles les plus contradictoires circu-
lent ; les mesures les plus opposées sont
prises pour être bientôt abandonnées et
quelquefois reprises encore ! Le mécon-
tentement général est le résultat de ces
tergiversations inquiétantes. Un jour,on
fait le matamore et, le poing posé sur la
hanche, on se déclare prêt à tout pour-
fendre. Le lendemain,on parlemente; on
se fait doux d'arrogant qu'on était. Ceux
à qui l'on parlait en maître sont sollici-
tés platement. On cherche des alliances
inouïes. L'Abyssinie, que Londres me-
naçait, voit "maintenant généraux et
amiraux à ses pieds. On envoie des ca-
daux au Negous Jean, auprès duquel se
nouent des intrigues en sens contraire.
Et ces pourparlers surlesquels on ponte,
ces alliances dans 'lesquelles on place
ses espérances comme un joueur affolé
met sur une carte tout son espoir, on les
entame, au lendemain d'une retraite
inattendue et stupéfiante, qui fait som-
brer, aux yeux des Orientaux, respec-
tueux de la force, le prestige, seul argu-
ment pour réussir dans ces pays.
Et la misère croît dans les campagnes
où les fellahs tiraillés dans tous les sens,
harcelés par la crainte des événements,
délaissent la culture, et attendent dans
l'inaction que l'imbroglio se résolve. Et
pourquoi travailleraient-ils et lutteraient-
ils en vérité? Le commerce'tué, l'Egypte
anéantie, les impôts accableront l'agri-
culteur endetté déjà. Les produits de ses
récoltes lui échapperont pour payer les
frais de la guerre.
Pauvre Egypte qu'on disait vouloir
sauver I Ancien grenier d'abondance au-
jourd'hui vide ! Malheureux fellahs d'hu-
meur si tranquille et si douce, j'excuse
presque votre haine actuelle contre l'Eu-
rope, qui assiste égoïste impassible à
votre agonie muette et à votre fataliste
résignation!
Si patient que soit un peuple, il ne
meurt pas d'inanition et ne s'enveloppe
pas dans le linceul sans convulsions.Déjà
à Ouady-Halfah, à Korosko, mais sur-
tout à Assouan et à Assyout, des indices
nombreux de fermentation et de révolte
se remarquent. La moindre étincelle
suffira pour mettre le feu aux poudres
et pour provoquer l'explosion. Je ne
doute pas que l'étincelle ne jaillisse et à
courte date. N'avez-vous pas vu, tout
dernièrement, des rixes, entre officiers
arabes et soldats anglais éclater jusque
dans les casernes de la capitale d'Egypte,
au Caire même? Et les vols de tout genre
se commettent, audacieusement, jour-
nellement, sans qu'il soit possible de
trouver ni de punir les vrais coupables,
protégés par la connivence générale.
Hier, c'était le traitement des magis-
trats, 30.000 francs, déposés dans la
caisse du tribunal et représentant un
mois de la solde de ces fonctionnai-
res, qui disparaissait subitement extor-
qué en plein jour par d'habiles coquins !
On voit cependant que ce qui se passe
en Egypte est un peu la conséquence du
mode de procéder des occupants. Lors-
qu'on vient, au nom d'une grande na-
tion, envahir un pays qu'on prétend ar-
racher au désarroi de sa propre admi-
nistration, peut-être serait-il bon, dès
le principe, de ne point troubler davan-
tage encore, par d'incessants appels à la
cupidité et àla trahison, la conscience du
peuple que l'on proclame si troublée et
si peu scrupuleuse déjà ! Or, pour "les
besoins momentanés de sa. cause, l'An-
gleterre ne s'est efforcée, depuis le bom-
bardement d'Alexandrie et le débarque-
ment du corps expéditionnaire, qu'à
éveiller dans le coeur des Egyptiens ou
des cheiks influents du Soudan des sen-
timents de bassesse contre lesquels
toutes les idées civilisatrices s'élèvent.
Un jour, c'est la tête d'un chef - Osman
Digma - que l'amiral Hewet met à prix.
Le lendemain, c'est le roi Jean d'Abyssinie
qu'on cherche à aveugler par une pluie
d'or. La veille - et je tiens ces détails
d'agents revenus de Souakim et que l'on
chargeait de ces louches paiements -
c'était le cheik des Aoukas, tribu impor-
tante de 12,000 combattants, que l'on
bombardait de guinées, que l'on cou-
vrait de thalaris afin d'obtenir des ren-
seignements précis et des dénonciations
répugnantes.
Philippe,roi deMacédoine, s'écriait : il
n'y a pas de forteresse imprenable si
l'on y peut faire entrer un mulet chargé
d'or. L'Angleterre se fait plagiaire. Les
Anglais ont toutefois inauguré une poli-
tique qui leur est propre. Philippe réus-
sissait et faisait ensuite chasser ignomi-
nieusement de son camp le traître dont
il avait acheté les services. L'amiral
Hewet échoue, mais il prodigue les hon-
neurs à ceux qu'il suppose à tort du
reste capables d'une odieuse trahison.
A la dernière affaire de Tamanieh, la
stupéfaction de l'état-major anglais a at-
teint son comble. Durant la semaine qui
précéda l'action, plusiers cheiks présents
à Souakim courbaient le front devant les
« protecteurs » et dispensaient chaque
matin à ceux-ci les protestations d'ami-
tié les plus vives. Or que se passe-t-il
tout à coup? Le soir qui précède la ba-
taille, les cheiks amis s'enfoncent dans
l'ombre et disparaissent. On essaie vai-
nement de trouver leurs traces dans la
ville.
Et après la lutte, parmi les corps des
indigènes qui ont succombé et qui ont
le plus énergiquement combattu, on re-
lève les cadavres de ces mêmes cheiks,
évadés la nuit de Souakim, et tombés
avec leurs frères musulmans dont OB
les croyait sottement les ennemis.
La mission de Gordon pacha, à Khar-
toum à subi la même défaite que les pro-
cédés do l'amirauté à Souakim. Mais on,
quitte plus aisément les bord de la mer"
Rouge que l'intérieur du Soudan.
Incapable de franchir seulement les
défilés de Tamanieh et d'ouvrir la route
de Berber - son objectif - l'Angleterre?
lance ou cherche à lancer aujourd'hui
contre le Mahdi l'Abyssinie, comme.-
elle tentera demain d'appeler à la res-
cousse, si cette démarche échoue, n'im-
porte quelle autre peuplade de l'Afrique-,
###
Je vous ai signalé une première foi?
la tactique qui faisait l'avantage réel de'i
Mohamed-Ahmed. Les Anglais s'en ren-
dent compte maintenant quoique un peu
tard. Ce n'est pas en déplaçant des corps
d'armée- qui pour vivre sont obligés de"
traîner à leur remorque des impedimenta
presque insensés que le Mahdi a fait la
guerre. Il savait qu'en opérant de cette
façon il courrait à un insuccès certain.
Allez donc, au milieu des sables, dans
des montagnes arides, impraticables,
jeter des troupes qu'il faudre approvi-
sionner de munitions, de denrées ali-
mentaires, d'eau môme, chaque matin!
Chaque soldat, sous peine de périr, de-
vra être pourvu du nécessaire p,our toute
la durée de la campagne. Or, voilà la vé-
rité : une armée de quatre mille Hom-
mes par exemple, placée dans de telles
conditions, devra être suivie d'un cortège
de quatre mille chameaux au moins
chargés .du matériel et des vivres indis-
pensables. Et en cas d'attaque, qui pro-
tégera tout ces bagages? Qui s'assurera
des chameliers si prompts d'ordinaire à'
lâcher pied? - ^ :
Aussi, est-ce saris déplacer de forces,
mais en gagnant les tribus, par là pro-
pagande de ses émissaires, et en faisant
combattre l'ennemi par les habitants
mêmes des contrées a travers lesquelles
celui-ci doit effectuer sa marche que
Mohamed Ahmed a réglé la question si
difficile des subsistances et contraint
ses adversaires inexpérimentés à la re
traite.Outre que les tribus qui luttaient d
la sorte, avaient à leur portée et leurs'
moyens d'existence et leurs huttes, "ci
système présentait encore cette énorme
supériorité ; livrant bataille dans leui
pays, les indigènes connaissaient les
moindres accidents de terrain dont ils
tiraient tout bénéfice ; ils pouvaient de
proche en proche faire surveiller les
mouvements anglais . et la preuve que
sous ce rapport, rien ne laissait à dési-
rer, c'est que jamais Osman Digma
campé presque sous les murs de Soua-
kim, n'a pu être surpris, ni même re-
jointe
Quels seront les résultats des négo-
dations avec l'Abyssinie? Ce qu'on af-'
firme ici, c'est que les Abyssiniens ac-
cepteront cadeaux, décorations, argent,
et finalement se tiendront cois. Le gou-
verneur du Choaest plus puissant que le
Negous en personne. Or, tandis que 1e
roi Jean et plusieurs de ses subordon-
nés se sont rendus à l'invitation de l'en-
voyé anglais, le roi du Choa n'a point
bougé et son hostilité, tacite au moins,
est, dès ce jour, une chose parfaitement
acquise. ,
Quoiqu'il on soit, les Anglais ont l'in-
tention de reprendre la campagne au
mois d'octobre.
La situation de Gordon les contraindra
peut-être à risquer plus tôt, mais partiel-
lement, une nouvelle et triste aventure.
Mais parce que les protecteurs s'ar-
rêtent, la déduction fatale n'est point
que les protégés adoptent la même ré-
serve. Les chaleurs torrides qui ramè-
nent au Caire l'amiral Hewet et le géné-
ral Graham n'empêchent aucunement la
rébellion de s'étendre ni l'influence du
Mahdi de s'imposer.
Après Kasala, Khartoum ; après Khar-
toum, Dongola, Berber. Et bientôt peut-, .
être Ouady Halfah, puis Korosko et As-;
souan. w
La logique qui préside aux actes de
Mohamed Ahmed permet de donner ces
pronostics.
D'ailleurs, pourquoi n'en serait-il pa;
ainsi? Il est dans les habitudes que dam
un duel, lorsque l'un des champions cède
le terrain, l'autre s'en empare et qu'il»
avance.
« Ouvrez mon coeur, vous y trouverez
Calais » disait une reine d'Angleterre-
au lendemain de la perte de cette ville,
la dernière que les Anglo-Saxons aient
occupée dans notre beau pays de France.
Qui sait si dans le coeur de lord Har-
tington, que je n'ai nulle envie de dissé-
quer, on ne trouvera pas bientôt le non:
du Caire?
Olivier Tolcès.
P.-S. - Non seulement les commun^ .
cations avec Khartoum ont cessé, mais
le fil télégraphique entre Korosko et As-
souan vient d'être coupé. A quand l'in-
terception entre Assouan et Assyout ?...
Et les Ecossais, retour de Souakim, font
au Caire une entrée triomphale au son
du fifre et des binious !
Cependant, Osman Digma occupe de
nouveau les hauteurs de Tokar, d'El-Teb
et de Tamanieh, ,et le gouverneur égyp-
tien de Kasala, prêt de périr, implore
vainement des secours. Ses cris ne par-
viennent pas aux oreilles du gouverne-
ment assourdi par le cuivre des fanfares
ou des musiques, sonnant des « re-
traites» aux flambeaux et jouant l'hymne
des Scottmen ou le chant national an-
glais : God save the Queen!
O. T.
On a exécuté au Concert spirituel du
Vendredi-Saint, au Cirque d'hiver, la
Prière du Matin, t>de symphonique, dont
la musique a .été inspirée à M. G. de
Saint-Quentin par une des plus belles
poésies de Lamartine.
Cette oeuvre, couronnée au dernier
concours de la Société des compositeurs,
vient d'être éditée par MM. Durand,-
Schoenewerk et Cie, qui ont bien voulu
nous autoriser à en reproduire un frag-
ment. Nous offrons aujourd'hui à nos
lecteurs la Cantilène de l'enfant, qui les
mettra à même d'apprécier le style*
simple et l'heureuse expression de cette
oeuvre poétique et élevée,
MB. FIGARO - MERCREDI 16 AVRIL 1884
OBSÈQUES DE J.-B. DUMAS
Une foule nombreuse, appartenant au
monde de la politique, de la littérature,
de la finance, des sciences et des arts,
se pressait hier matin, à onze heures, à
l'église Sainte-Clotilde, où se célébraient
les obsèques de M. J.-B. Dumas, secré-
taire perpétuel de l'Académie des Scien-
ces, membre de l'Académie française,
grand-croix de la Légion d'honneur.
L'église était tendue de noir extérieu-
rement et intérieurement. Au milieu de
la nef se dressait un magnifique catafal-
que, entouré de bouquets et de couron-
nes, sous lesquels disparaissait le
cercueil.
Pendant le service religieux, la maî-
trise, renforcée dé quelques artistes, a
chanté les chants funèbres.
La messe a été dite par le premier
vicaire; le vénérable curé, ami de M.
J.-B. Dumas, à donné l'absoute. A son
grand regret, Mgr Perraud, évêque
d'Autun, collègue du défunt à l'Acadé-
mie française, n'avait pu quitter son
diocèse pour venir donner l'absoute.
Au sortir -1" l'église, les troupes, char-
gées de rendre les honneurs et qui sta-
tionnaient au dehors, ont présenté les
armes, tandis que la musique jouait des
marches funèbres. Ces troupes, placées
sous le commandement du général de
brigade Cholleton, se composaient des
5° et 119° régiments d'infanterie de ligne,
du 16e régiment de dragons et du 31°
d'artillerie.
' Le deuil était conduit par MM. Ernest
Dumas, Hervé-Mangon et Noël Dumas,
fils, gendre et petit-fils du défunt.
Les cordons du poêle étaient tenu s par
MM. le comte d'Haussonville, de l'Aca-
démie française; Eugène Rolland, prési-
dent de l'Académie des sciences ; Adolphe
Wurtz, amiral Mouchez, directeur de
l'Observatoire; Cauvet, directeur de l'E-
cole centrale, .et Melsens, membre de
l'Académie de Belgique, tous en uni-
forme officiel.
L'habit, le chapeau et l'épée d'acadé-
micien 'du' défunt 'étaient placés sur le
cercueil. .
Après la cérémonie religieuse, Mmes
J.-B. Dumas, E. Dumas, Hervé Mangon
et Noël J.-B. Dumas sont rentrées, en
voilure, à l'hôtel de la rue Saint-Domi-
nique, où plusieurs registres étaient dé-
posés pour recevoir les noms des visi-
teurs. .
Le Président de la République s'était
fait représenter par M. le lieutenant-
colonel Cance. Le gouvernement avait
également tenu à rendre un dernier
hommage à l'illustre savant. M. Fal-
lières, ministre de l'instruction publique
et des beaux-arts; M. Méline, ministre
de l'agriculture et du commerce, et M.
Cochery, ministre des postes et des télé-
graphes, étaient au nombre des assis-
tants.
Nous avons, en outre, reconnu dans
la foule : MM. Nisard, Legouvé, Emile
Augier, le duc de Broglie, Emile Ollivier,
Xavier Marinier, Camille Rousset, Viel-
Castel, John Lemioinne, Jules' Simon, E.'
Renan, Taine", Maxime Du Camp, le duc
d'Audiffret-Pasquier, Cherbuliez, de M.a- j
zade, Pailleron, de l'Académie française. I
MM. Serret, Chevreul, Bonnet, Tresca,
Resal, Maurice Levy, Paye, Janssen,
Loewy, Tisserand, les amiraux Paris et
Jurien de la Gravière, le colonel Perrier,
Becquerel,Berthelot,Cornu, Fremy, Dau-
brée, Hébert, Trécul, Chatin, Van Tie-
ghem, Bouley, le baron Thenard, Milne
Edwards, Blanchard, Robin, Gosselin
Vulpian, Charcot, de l'Académie des
.sciences et de médecine.
MM. Wallon, Rossignol, Renier, De-
cisle, Hauréau,Guicherat, Rozière, de Heu-
?ey, Perrot, Schefer, Riant, Dumont,
Weil, Meyer, de l'Académie des inscrip-
tions et belles-lettres,
. MM. Signol, Muller, Baudry, Bougue-
reau, Boulanger, Guillaume, Cordier,
Paul Dubois, Ballu, Garnier, Vaudre-
mer, Ginain, François Bertinot, Cha-
plain, Gounod, Ambroise Thomas, Ro-
?er, Delalande, E. Perrin, du. Somme-,
rard, de; Chennevières, de l'Académie
des Beaux-Arts.
MM. Barthélémy Saint-Hilaire, Lévê-
que, Ravaisson, Lucas, Gréard, Pont,
Aucoc, Desjardins, Levasseur, F. Passy,
L. Say, Ziller, Fustel de Coulanges, Pi-
cot» Victor Duruy, Calmon, Boutmy,
Carnot, de l'Académie des sciences mo-
rales et politiques.
Puis, MM. le maréchal Canrobert,
marquis de Turenne, Isaac Péreire,
Emile Péreire, Gustave Péreire, Ha-
chette, vicomte de Luynes, Feuillet de
Conches, Firmin Didot, comte Daru, Elie
'de Beaumont, Vallery-Radot, Orfila,
marquis de Grammont, Ed. Brame,
marquis de Dampierre, Pingard, Geof-
froy Saint-Hilaire, général Fleury, géné-
ral Favé, baron Haussmann, baron de
Watteville, général Farre, général de
iRivière, général Guillemot, général Pour-
rat, etc., etç. _ . , .
Les trois promotions de l'Ecole cen-
trale des Arts et Manufactures, dont
huit élèves portaient une splendide cou-
ronne, formaient la tête du cortège avec
leur directeur, leurs professeurs et tout
le personnel dé l'Ecole.
Une délégation de l'Ecole polytech-
nique.
La ville d'Alais, où est né M. Dumas,
avait tenu à se faire représenter à ses
obsèques. Dans la délégation très nom-
breuse, nous avons remarqué des chefs
d'usine, des membres de la Société scien-
tifique d'Alais, des amis personnels "de'
la famille et, parmi eux : M. Escalle, di-
recteur de Tamaris; M. de Roux-Larcy,
M. Fernand de Ramel, avocat à la cour
de Cassation; M. le comte de Retz et M.
Léopold Balme, architecte, qui a déposé
unç magnifique couronne sur la tombe.
; Cette manifestation sympathique de
la population alaisienne contraste avec
l'indifférence du conseil municipal ré-
publicain de cette ville, qui n'a pas cru
devoir se faire représenter aux obsè-
ques.
Ajoutons que les membres de la délé-
gation alaisienne, avec le concours de
plusieurs illustres savants, collègues et
amis dugrand chimiste Dumas, doivent
prendre l'initiative d'une souscription
universelle pour lui élever un .monument»
Signe de lui.
L'inhumation a eu lieu au cimetière de
Montparnasse, dans le caveau de la fa-
mille Brongniart.
, Six discours ont été prononcés sur la
(tombe. .
; M. le comte d'Haussonville, au nom
de l'Académie française, a parlé en ter-
mes éloquents de la vie littéraire du dé-
funt; M. Eugène Rolland, au nom de
l'Académie des sciences, a énuméré ses
diverses inventions ; M. Cauvet, direc-
teur de l'Ecole centrale des Arts et Manu-
factures^ rappelé, en termes émus,qu'il
était le dernier survivant des trois fonda-
teurs de l'Ecole; puis,M. Joseph Bertrand,
secrétaire perpétuel de l'Académie des
sciences; M. Wurtz, au nom de l'Aca-
démie de médecine ; M-Melsens,au nom
de l'Académie de Belgique et des savants
étrangers ; M. G.Denis, sénateur, au nom
des anciens élèves de l'Ecole centrale,
ont pris successivement la parole. M.
Arsène Houssaye, empêché par un acci-
dent n'a pu prononcer le discours qu'il
avait préparé.
J. v.
VOYAGE
DE
l'Ardue Rodolphe en Orient
PAR DEPECHE
Budapest, 15 avril, 6 heures du matin.
L'archiduc Rodolphe et l'archidu-
chesse; Stéphanie avec leur suite ont
quitté Vienne hier soir â dix heures et
demie, par la gare de l'Est. L'archidu-
chesse portait un costume de voyage
gris, serré à la taille et pour coiffure un
chapeau de paille gris. La suite, peu
nombreuse, se compose des comtesses
de Sylva-Taroucca et Thérèse Palffy, des
comtes Charles de Bombelles, contre-
amiral, chef de la maison de l'archiduc,
et André de Palffy, général, chef de la
maison de l'archiduchesse, de deux aides
de camp, du chef de l'état-major de l'ar-
chiduc-, de son médecin, et de M. le cheva-
lier de Klaudy, directeur des voyages de
la famille impériale.
Le train spécial se composait de cinq
wagons, dont un wagon-salon destiné
à Leurs Altesses, deux wagons pour la
suite, un pour le service et un fourgon.
Les augustes voyageurs arriveront à
Constantinople jeudi 17 avril,.à bord du
Miramar, yacht impérial, sur lequel
s'embarqueront aussi les pachas Mouk-
tar et Soleiman, délégués par le sultan
pour saluer l'héritier des couronnes
d'Autriche et de Hongrie. Le débarque-
ment se fera vers neuf heures du matin,
et les voyageurs se rendront immédia-
tement au Yildizkiosk, où ils seront re-
çus par le sultan.
Le séjour à Constantinople durera
jusqu'au 24 avril, et le programme de
ces journées est rempli par toutes sortes
de fêtes et d'excursions qui promettent
d'être aussi intéressantes que fati-
gantes. Comme le programme officiel
peut changer très facilement et que des
changements considérables sont même
prévus, je préfère ne pas vous le com-
muniquer d'avance, quitte à vous tenir
au courant au jour le jour de tout ce
que nous aurons vu.
Dans les cercles politiques de Vienne
on attribue une grande importance poli-
tique à ce voyage. Quoique l'archidu-
chesse Stéphanie accompagne son époux,
cela n'a pas suffi pour donner le change
sur le caractère réel de cette excursion.
La visite de l'archiduc-héritier aux cours
de Constantinople, de Bucharest et de
Belgrade et son entrevue à Roustchouk,
avec le prince Alexandre de Bulgarie, ne
peuvent qu'affermir les liens d'amitié qui
unissent surtout les cours de Roumanie
et de Serbie à la cour austro-hongroise.
Les capitales de ces deux pays, qui
ont eu si souvent les visites de plusieurs
membres de l'a famille impériale do Rus-
sie, n'ont jamais été visitées par les
princes de la maison de Habsbourg.
Le voyage de l'archiduc Rodolphe est
donc pour le moins un symptôme très
significatif, qui semble inaugurer une
ère de relations plus suivies et plus étroi-
tes entre les pays des anciens vassaux
de la Turquie et la monarchie austro-
hongroise, dont la politique paraît de
plus en plus s'inspirer de sa « mission
orientale. »
Le départ de Leurs Altesses s'est fait
dans le plus strict incognito. Toute ré-
ception officielle était interdite, proba-
blement il n'y en aura qu'une ce soir, à
Orsova, la dernière station avant la fron-
tière roumaine, où le dîner de l'Archiduc
sera servi. C'est la Compagnie interna-
tionale des Wagons-Lits de l'Orient-
express qui fournit les somptueux wa-
gons-salons dans lesquels voyagent l'ar-
chiduc et sa suite.
Emeric de Huszar.
LE DISCOURS DE PÉRIGUEUX
Périgueux, 15 avril.
Tout le monde a quitté Cahors ce ma-
tin, qui avec une indigestion, qui avec
une dyssenterie, qui avec une fluxion
de poitrine, le tout pris au banquet de la
Halle.
Pendant que M. Ferry s'arrête à Pé-
rigueux vers midi, pour présider la dis-
tribution des récompenses à trois cents
gymnastes, et en réalité prononcer un
discours sur les questions pendantes, le
général Campenon, accompagné du gé-
néral Pittié, continue sur Paris. Seuls,
Waldeck et Martin-Feuillée flanquent, au
banquet périgourdin, le président du
Conseil.
Rien à dire des cérémonies banales de
cette après-midi.
? Le préfet a présenté au ministre en-
viron cinq cents instituteurs du dépar-
tement. M. Jules Ferry exprime sa sa-
tisfaction de se trouver aveceux.L'oeuvre
à laquelle ils se consacrent a été, assure-
t-il, la haute préoccupation de toute sa
vie. Il aurait voulu achever l'oeuvre en-
treprise en améliorant leur situation
pécuniaire trop modeste.
Mais vous êtes assez clairvoyants, dit le
président du Conseil, vous connaissez suffi-
samment l'état financier du pays pour com-
prendre que toute charge nouvelle est im-
possible à établir. Nous sommes donc obligés
d'ajourner une réforme que je considère
comme indispensable. Je suis de ceux à. qui
ce sacrifice a le plus coûté. Ce n'est certaine-
ment ni par caprice ni volontairement que j'ai
demandé àla Chambre et que je vous demande
d'attendre le temps très prochain où notre
budget se relevant de lui-môme, nous per-
mettra de vous mettre tous dans la situation
de dignité et d'indépendance qui vous est
due. Je n'insiste pas, parce que j'étais sûr
que vous aviez compris d'avance et que vous
sauriez résister aux excitations malsaines qui
ont saisi ce prétexte.
Vous savez que les intérêts du gouverne-
ment républicain et les vôtres sont solidaires.
Si la République était menacée, l'enseigne-
ment laïque tout entier saurait la défendre.
Les instituteurs se sont contentés de
« ce bon billet » et ont applaudi M. Ferry. |
ta ville est jolie, coquettement dé-
corée. Le banquet a lieu dans la salle
des Pas-Perdus du Palais de Justice.
C'est tout. J'allais omettre la mésa-
venture arrivée à plusieurs personnes,
hier, à Cahors. Il paraît qu'une bande
de pickpockets s'est abattue autour
du monument Gambetta. ' Le sculp-
teur Falguière a été volé de son porte-
feuille qui contenait trois mille francs ;
le vénérable Pierre Laffitte, qui a fait un
?si malheureux discours hier, a été volé
d'une somme de dix mille francs qu'il
portait sur lui. Pourquoi avait-il sur lui
dix mille francs? C'est une somme vrai-
ment exagérée pour venir à Cahors. Je
n'en sais rien. Il est probable qu'étant
philosophe, le père Laffitte a pour de-
vise : Omnia mecum porto. On cite en-
core plusieurs vols moins importants.
Nous voici donc suspendus aux lèvres
du président du Conseil ; dans la salle
du banquet, quatre cents personnes,
d^nt trois cents maires, le doyen de ces
maires va être décoré, tant mieux pour
lui -s'il l'a bien mérité. A 10 h. 1/2, M.
Ferry daigne se lever et prononcer le
speech attendu. Je passe sur les rocam-
bolès accessoires, les toasts à Grévy, à
la gymnastique, aux biceps et au colonel
Amoros.
Dans un exorde assez calme, M. Ferry
dit que le gouvernement n'a pas à faire
de programme, ou plutôt que son pro-
gramme consiste à résoudre une aune
des questions qui se posaient toutes à
lafois; il estimequ'il en a résolu beau-
coup: celle des travaux publics, celle de
la réforme de la magistrature. L'élection
des juges est une utopie, et il faut s'en
tenir à l'épuration actuelle ; toute autre
tentative serait impossible de notre
temps.
M. Ferry se félicite d'avoir fait les ex-
péditions de Tunis et du Tonkin, il agite
une dépêche victorieuse du général Mil-
lot sur la prise de Hong Iloa et fait voter
par les banqueteurs des félicitations au
corps expéditionnaire. Si l'on veut avoir
un bon gouvernement, il faut avoir
un ministère qui dure longtemps.
Ainsi, si la France est, d'après M.
Ferry, dans une situation meilleure qu'il
y a plusieurs années, c'est qu'on n'a pas
depuis plusieurs mois remercié le mi-
nistère.Rappelant son discours du Havre,
il déclare que le gouvernement reste fi-
dèle à cette politique qui s'appuie sur
les opportunistes et combat les intran-
sigeants. Gambetta n'a-t-il pas été la
première victime de. ces dissidents, il
faut profiter de la leçon.
M. Ferry n'est pas avec les hommes
qui travaillent à la revision en Corse
avec les bonapartistes; il n'est pas avec
certains républicains qui, par la violence
de leurs opinions, inquiètent la grande
masse républicaine. Cette grande masse
qui a besoin d'ordre et de tranquillité et
qu'on peut appeler aujourd'hui « laRépu-
blique des paysans. » Il n'est pas non
plus avec les gens qui piétinent sur
place. Dans quelques semaines on s'oc-
cupera de la révision. Mais M. Ferry
estime qu'on doit être tiède dans cette
opération, parce que la foule elle-même
est tiède et modérément révisionniste.
Limilons, limitons la révision! tel est le
cri du jour. Gambetta aussi avait poussé
ce cri à Cahors.
M. Ferry est certain d'avance que les
élections municipales seront universel-
lement républicaines. Il engage cepen-
dant les électeurs à ne nommer que des
conseillers qui s'occupent exclusive-
ment de leurs affaires locales et non de
politique. Limitons la révision, votons
pour des conseillers municipaux qui ne
fassent pas de politique. Le meilleur
ministère est celui qui dure le plus
longtemps.
Tel est, en substance, le thème peu
nouveau sur lequel M. Ferry brode des
variations bien anciennes et souvent-en-
tendues. On applaudit sans excès. On at-
tendait je ne sais quoi de plus vif sur le
service de trois ans et sur plusieurs
autres questions agitées au Palais-Bour-
bon. Les politiciens vont donc être con-
traints de noircir du papier et de contro-
verser là-dessus pendant les vacances.
Maigre, maigre pitance.
Ainsi se termine ce voyage de trois
jours. M. Ferry et ses collègues rentrent
demain soir à Paris, harassés, moulus
et un peu désappointés, je le suppose, de
l'accueil glacial qu'ils on reçu partout et
surtout ici où le voyage du Maréchal
avait été si triomphal en 1877. /
Pierre Giffard.
FIGARO m SOUDAN
Assyout, lo 8 avril, 1884.
S'il est vrai que tous les chemins
conduisent à Rome, il est non moins
exact que toutes les routes mènent à El
Obeïd. L'hostilité de M. Clifford Lloyd
me contraint de m'écarter de la voie la
plus rapide et d'en choisir une entre les
plus incommodes, les plus longues et les
plus périlleuses.
J'ai opté.
Je vous ai fait savoir les tracas aux-
quels j'étais en butte. Mes télégrammes
vous ont annoncé que j'avais dû rétro-
grader; me rabattre d'Ôuady Halfah sur
Korosko; de Korosko sur Assouan; d'As-
souan sur Assyout; d'Assyout enfin sur
le Caire. Le ministre anglais eût désiré
sans doute que mon mouvement de re-
traite, semblable à celui auquel seront
prochainement soumis les Anglais, con-
tinuât indéfiniment. Après le Caire,
Alexandrie;'après Alexandrie, Naples,
Marseille et Paris. ,
Lorsque vous recevrez cette lettre, je
me serai remis en marche pour le quar-
tier général de Mohamed Ahmed
Ça n'a pas été un des côtés les moins
curieux de mon voyage que ce brusque
et pénible retour sur mes pas. Au fur et
à mesure que j'opérais les diverses
étapes du recul, j'étais signalé, au jour
le jour. Le télégraphe jouait un jeu d'en-
fer. Les mudirs de tous les districts re-
cevaient du Caire l'ordre de s'enquérir
de ce que je méditais, des endroits où
j'avais l'intention de faire halte, des pro-
pos que je tenais aux cheiks arabes
dans les localités où l'on relâche. Un
peu plus on eût informé son « Excel-
lence » du menu de mon déjeuner et de
mon dîner l
Gordon pacha cerné à Khartoum, ne
pouvant plus, par suite de l'interruption
de la ligne télégraphique, encombrer de
ses élucubrations la Nubie, la Haute, la
Moyenne et la Basse-Egype, l'enregis-
trement quotidien des allées et venues
de votre correspondant a occupé les
loisirs des employés du télégraphe !
Le côté piquant de l'affaire, c'est que
les Anglais jouissent en Egypte d'un tel
crédit qu'on les trahissait sans cesse à
mon profit et que j'étais avisé, dès
qu'elles arrivaient à un endroit quel-
conque, des instructions ministérielles I
###
Toutefois encore, ce voyage d'Ouàdy
Halfah à Assyout n'aura pas été accom-
pli en pure perte. La situation, depuis
mon premier passage, a changé.
A Korosko, d'abord, je trouve le village
et la plaine bondés de pauvres soldats
égyptiens éclopés. Ils viennent de Ber-
ber, sous l'escorte de Salah bey, l'un des
fils de Hussein pacha Halifa. Les uns
sont malades, les autres horriblement
blessés. Un grand nombre sont amputés
des bras.C'est la suite des terribles coups
d'estoc et de taille donnés par les Sou-
daniens à leurs ennemis, avecces sabres
gigantesques que les nègres agiles et
puissants manient à deux mains, à la
façon de nos lourdes épées anciennes.
Malgré le chiffre considérable de cha-
meaux affectés au transport de ces mal-
heureux, "leur transport s'exécute très
lentement. Et c'est sous, le soleil ardent,
sans pansements, je ne dis pas réitérés
mais journaliers au moins, qu'il leur
faut attendre la date fixée pour la se-
conde et fatigante étape. Je n'insiste pas
sur les cas de mortalité et les effets dé-
sastreux que peut avoir à l'avenir un
état de choses aussi déplorable, Puisse
une nouvelle épidémie ne point éclater
dans quelques mois!
###
Mais si l'encombrement et le désarroi
le plus complet régnent à Korosko qui
ne constitue qu'une sorte de caserne-
ment de passage, que sera-ce à As-
souan qui est le lieu do concentration
général des victimes de la guerre que-
l'Angleterre a déchaînée? C'est encore
une assez triste idée dans l'état d'esprit
où se trouvent les soldats égyptiens d'a-
voir fait défiler devant leurs yeux toute
la foule de leurs frères d'armes, mutilés
aux environs de Berber ou de Khar-
toum.
Depuis quinze jours, en effet, dix-sept
cents hommes de troupes indigènes
campent sur les hauteurs du désert qui
sépare Assouan de Mahata et borde la
première cataracte. De loin, on aperçoit
les tentes disséminées sur les flancs
arides des montagnes sombres qu'elles
tachent de points blancs éclatants. Çà et
là des retranchements et des fortins
d'une confection et d'une efficacité pro-
tectrice assez douteuse. En voyant, ma-
tin et soir, défiler, sur la route qui con-
duit d'Assouan à Mahata, le long cortège
des éclopés, je vous laisse à penser les
réflexions qui doivent assiéger déjà le
coeur hésitant des pauvres diables et je-
ter le trouble dans leurs cerveaux
comme dans leurs intestins peu solides.
Le lâche-pied des troupes égyptiennes -
et une nouvelle preuve vient d'en être
fournie à Khartoum dans une tentative
de sortie de Gordon - est si bien admis
qu'il ne fait plus doute pour ceux même
qui ont sous leurs ordres ces forces
d'une instabilité si navrante. Les offi-
ciers supérieurs sont désolés, mais ils
en glosent et je ne puis mieux faire que
de vous citer ce mot d'un des chefs
chargé de; mettre du .chien au ventre
de cette milice arabe cantonnée à As-
souan : . . '
- Qu'allez-vous faire, monsieur? s'é- j
criait en riant le colonel à qui je parlais
de mon intention de chasser quelques
tourterelles, excellent gibier qui devait
rompre un peu la monotonie de mon or-
dinaire de conserves si écoeurant. Tirer
un coup de fusil, ici, sans que les postes
soient avertis ! Mais tous vont croire à
une attaque et s'enfuir dare-dare, en un
clin d'oeil, vers le Delta !
.TV -N-
.
Assyout après Assouan doit servir de
seconde barrière, au cas où les succès de
Mohamed Ahmed s'affirmeraient et l'in-
surrection gagnerait de proche en pro-
che, ainsi qu'une traînée de poudre, la
Nubie et la Haute-Egypte. Sept cent cin-
quante fantassins anglais sont préposés
à la garde de cette importante cité dont
la population n'est pas inférieure à
35,000 âmes. C'est à Assyout, dans le
principe, que l'état-major anglais avait
résolu de concentrer les forces qu'il des-
tinait au mouvement convergent sur
Berber, combiné avec l'action partant
de Souakim. Les événements en ont dé-
cidé différemment, et le rappel des trou-
pes, de la mer Rouge fait ajourner cette
tactique. Les opérations seront-elles re-
prises quand la saison et quand les cir-
constances le permettront? Je l'ignore,
mais je le crois. On ne néglige rien,
effectivement, pour être prêt au premier
signal. En dépit de l'état stationnaire et
expectant dans lequel on se renferme,
on travaille et l'on s'entoure de rensei-
gnements précis. Des officiers supé-
rieurs de la marine - le commandant
et le second du vaisseau de guerre Y In-
vincible - avec lesquels j'ai fait la ma-
jeure partie de la route, sont allés jus-
qu'à Ouady-Halfah relever exactement
les moindres sinuosités du Nil, les
obstacles que présente son cours, les
profondeurs d'eau et les hauteurs des
monticules entre lesquels le fleuve de
temps à autre coule encavé.
A toutes les stations, c'étaient d'inter-
minables conciliabules avec les mudirs
et des questions d'une minutie extraor-
dinaire. La mission militaire et hydro-
graphiqu3 était doublée d'une mission
politique de propagande et de rensei-
gnements moraux.
- Que pensent les Arabes de votre
Mudirieh de l'occupation anglaise? de-
mandaient invariablement,, en termi-
nant, les officiers aux chefs des districts
par l'intermédiaire des drogmans.
Malgré les réponses satisfaisantes ou
équivoques, voici des faits certains et
qui parlent haut.
Quand l'état-major anglais arriva à
Assouan, c'est à peine s'il put se procu-
rer de quoi manger. Lorsque les sept
cent cinquante hommes de troupes an-
glo-saxonnes vinrent camper à Assyout,
la population fit disparaître des bouti-
ques et des bazars toute espèce d'appro-
visionnements. C'est à ce point que le
pain et les divers objets de consomma-
tion journalière sont expédiés par le
train chaque malin et débarqués au
camp anglais chaque soir. Gela même
est fort intéressant pour les voyageurs.
Le campement anglais étant installé à
quatre milles de la ville, en plein désert,
le train s'arrête à l'aller et au retour à
cette station provisoire et de contre-
bande. Là on débarque les marchandises
et l'on attend le courrier des hauts et
puissants seigneurs du lieu. Partout où
l'autorité supérieure a un pied à terre,
sur le parcours, on s'attarde, et c'est ainsi
que le train, qui doit entrer en gare de
Boulacq-Dakerour à 7 heures, n'y arrive
qu'à huit heures et demie!
Je comprends maintenant, avec les
embarras qui surgissent et l'hostilité
sourde qui se manifeste, que les occu-
pants aient renoncé à une marche sur
Berber. Hussein pacha Halifa, à qui l'on
avait enjoint d'abord d'envoyer toute
une armée de chanceliers jusqu'à moitié
route de Souakim pour mettre les puits
du chemin de caravane à même de four-
nir de l'eau, a reçu contre-ordre quel-
ques jours avant le réembarquement du
corps expéditionnaire pour Suez et pour
le Caire. Il fallait-être atteint, d'ailleurs,
d'aberration mentale, pour oser s'enga-
ger ainsi, alors qu'on était contraint de
transporter tout le matériel de bouche
et de guerre, dans une expédition loin-
taine à l'époque des grandes chaleurs!
Les politiciens de Londres peuvent se
récrier à l'aise sur les avantages d'une
politique « plus énergique ». S'il leur
était donné de voir l'état d'épuisement
dans lequel reviennent les troupes de
Souakim, ils se rendraient compte de
l'insanité de l'oeuvre qu'ils préconisent
et des responsabilités qu'ils assument.
Quelque opposés que- soient les inté-
rêts de peuple à peuple dans la question
égyptienne, on ne peut marchander sa
pitié aux malheureux soldats, instru-
ments aveugles d'une cause mauvaise,
irresponsables des fautes commises, qui
se battent, qui meurent sur les champs
d'El Tel ou de Tokkar, ou qui reviennent
dangereusement atteints par la fièvre,
frappés par les meurtrières ardeurs du
climat l
. . .
Quos vult perdere Jupiter dementat.
Je ne sais si Jupin veut la ruine de
l'Angleterre, mais ce que je puis vous
assurer, c'est que l'administration du
Caire a totalement perdu la tête. Les
nouvelles les plus contradictoires circu-
lent ; les mesures les plus opposées sont
prises pour être bientôt abandonnées et
quelquefois reprises encore ! Le mécon-
tentement général est le résultat de ces
tergiversations inquiétantes. Un jour,on
fait le matamore et, le poing posé sur la
hanche, on se déclare prêt à tout pour-
fendre. Le lendemain,on parlemente; on
se fait doux d'arrogant qu'on était. Ceux
à qui l'on parlait en maître sont sollici-
tés platement. On cherche des alliances
inouïes. L'Abyssinie, que Londres me-
naçait, voit "maintenant généraux et
amiraux à ses pieds. On envoie des ca-
daux au Negous Jean, auprès duquel se
nouent des intrigues en sens contraire.
Et ces pourparlers surlesquels on ponte,
ces alliances dans 'lesquelles on place
ses espérances comme un joueur affolé
met sur une carte tout son espoir, on les
entame, au lendemain d'une retraite
inattendue et stupéfiante, qui fait som-
brer, aux yeux des Orientaux, respec-
tueux de la force, le prestige, seul argu-
ment pour réussir dans ces pays.
Et la misère croît dans les campagnes
où les fellahs tiraillés dans tous les sens,
harcelés par la crainte des événements,
délaissent la culture, et attendent dans
l'inaction que l'imbroglio se résolve. Et
pourquoi travailleraient-ils et lutteraient-
ils en vérité? Le commerce'tué, l'Egypte
anéantie, les impôts accableront l'agri-
culteur endetté déjà. Les produits de ses
récoltes lui échapperont pour payer les
frais de la guerre.
Pauvre Egypte qu'on disait vouloir
sauver I Ancien grenier d'abondance au-
jourd'hui vide ! Malheureux fellahs d'hu-
meur si tranquille et si douce, j'excuse
presque votre haine actuelle contre l'Eu-
rope, qui assiste égoïste impassible à
votre agonie muette et à votre fataliste
résignation!
Si patient que soit un peuple, il ne
meurt pas d'inanition et ne s'enveloppe
pas dans le linceul sans convulsions.Déjà
à Ouady-Halfah, à Korosko, mais sur-
tout à Assouan et à Assyout, des indices
nombreux de fermentation et de révolte
se remarquent. La moindre étincelle
suffira pour mettre le feu aux poudres
et pour provoquer l'explosion. Je ne
doute pas que l'étincelle ne jaillisse et à
courte date. N'avez-vous pas vu, tout
dernièrement, des rixes, entre officiers
arabes et soldats anglais éclater jusque
dans les casernes de la capitale d'Egypte,
au Caire même? Et les vols de tout genre
se commettent, audacieusement, jour-
nellement, sans qu'il soit possible de
trouver ni de punir les vrais coupables,
protégés par la connivence générale.
Hier, c'était le traitement des magis-
trats, 30.000 francs, déposés dans la
caisse du tribunal et représentant un
mois de la solde de ces fonctionnai-
res, qui disparaissait subitement extor-
qué en plein jour par d'habiles coquins !
On voit cependant que ce qui se passe
en Egypte est un peu la conséquence du
mode de procéder des occupants. Lors-
qu'on vient, au nom d'une grande na-
tion, envahir un pays qu'on prétend ar-
racher au désarroi de sa propre admi-
nistration, peut-être serait-il bon, dès
le principe, de ne point troubler davan-
tage encore, par d'incessants appels à la
cupidité et àla trahison, la conscience du
peuple que l'on proclame si troublée et
si peu scrupuleuse déjà ! Or, pour "les
besoins momentanés de sa. cause, l'An-
gleterre ne s'est efforcée, depuis le bom-
bardement d'Alexandrie et le débarque-
ment du corps expéditionnaire, qu'à
éveiller dans le coeur des Egyptiens ou
des cheiks influents du Soudan des sen-
timents de bassesse contre lesquels
toutes les idées civilisatrices s'élèvent.
Un jour, c'est la tête d'un chef - Osman
Digma - que l'amiral Hewet met à prix.
Le lendemain, c'est le roi Jean d'Abyssinie
qu'on cherche à aveugler par une pluie
d'or. La veille - et je tiens ces détails
d'agents revenus de Souakim et que l'on
chargeait de ces louches paiements -
c'était le cheik des Aoukas, tribu impor-
tante de 12,000 combattants, que l'on
bombardait de guinées, que l'on cou-
vrait de thalaris afin d'obtenir des ren-
seignements précis et des dénonciations
répugnantes.
Philippe,roi deMacédoine, s'écriait : il
n'y a pas de forteresse imprenable si
l'on y peut faire entrer un mulet chargé
d'or. L'Angleterre se fait plagiaire. Les
Anglais ont toutefois inauguré une poli-
tique qui leur est propre. Philippe réus-
sissait et faisait ensuite chasser ignomi-
nieusement de son camp le traître dont
il avait acheté les services. L'amiral
Hewet échoue, mais il prodigue les hon-
neurs à ceux qu'il suppose à tort du
reste capables d'une odieuse trahison.
A la dernière affaire de Tamanieh, la
stupéfaction de l'état-major anglais a at-
teint son comble. Durant la semaine qui
précéda l'action, plusiers cheiks présents
à Souakim courbaient le front devant les
« protecteurs » et dispensaient chaque
matin à ceux-ci les protestations d'ami-
tié les plus vives. Or que se passe-t-il
tout à coup? Le soir qui précède la ba-
taille, les cheiks amis s'enfoncent dans
l'ombre et disparaissent. On essaie vai-
nement de trouver leurs traces dans la
ville.
Et après la lutte, parmi les corps des
indigènes qui ont succombé et qui ont
le plus énergiquement combattu, on re-
lève les cadavres de ces mêmes cheiks,
évadés la nuit de Souakim, et tombés
avec leurs frères musulmans dont OB
les croyait sottement les ennemis.
La mission de Gordon pacha, à Khar-
toum à subi la même défaite que les pro-
cédés do l'amirauté à Souakim. Mais on,
quitte plus aisément les bord de la mer"
Rouge que l'intérieur du Soudan.
Incapable de franchir seulement les
défilés de Tamanieh et d'ouvrir la route
de Berber - son objectif - l'Angleterre?
lance ou cherche à lancer aujourd'hui
contre le Mahdi l'Abyssinie, comme.-
elle tentera demain d'appeler à la res-
cousse, si cette démarche échoue, n'im-
porte quelle autre peuplade de l'Afrique-,
###
Je vous ai signalé une première foi?
la tactique qui faisait l'avantage réel de'i
Mohamed-Ahmed. Les Anglais s'en ren-
dent compte maintenant quoique un peu
tard. Ce n'est pas en déplaçant des corps
d'armée- qui pour vivre sont obligés de"
traîner à leur remorque des impedimenta
presque insensés que le Mahdi a fait la
guerre. Il savait qu'en opérant de cette
façon il courrait à un insuccès certain.
Allez donc, au milieu des sables, dans
des montagnes arides, impraticables,
jeter des troupes qu'il faudre approvi-
sionner de munitions, de denrées ali-
mentaires, d'eau môme, chaque matin!
Chaque soldat, sous peine de périr, de-
vra être pourvu du nécessaire p,our toute
la durée de la campagne. Or, voilà la vé-
rité : une armée de quatre mille Hom-
mes par exemple, placée dans de telles
conditions, devra être suivie d'un cortège
de quatre mille chameaux au moins
chargés .du matériel et des vivres indis-
pensables. Et en cas d'attaque, qui pro-
tégera tout ces bagages? Qui s'assurera
des chameliers si prompts d'ordinaire à'
lâcher pied? - ^ :
Aussi, est-ce saris déplacer de forces,
mais en gagnant les tribus, par là pro-
pagande de ses émissaires, et en faisant
combattre l'ennemi par les habitants
mêmes des contrées a travers lesquelles
celui-ci doit effectuer sa marche que
Mohamed Ahmed a réglé la question si
difficile des subsistances et contraint
ses adversaires inexpérimentés à la re
traite.Outre que les tribus qui luttaient d
la sorte, avaient à leur portée et leurs'
moyens d'existence et leurs huttes, "ci
système présentait encore cette énorme
supériorité ; livrant bataille dans leui
pays, les indigènes connaissaient les
moindres accidents de terrain dont ils
tiraient tout bénéfice ; ils pouvaient de
proche en proche faire surveiller les
mouvements anglais . et la preuve que
sous ce rapport, rien ne laissait à dési-
rer, c'est que jamais Osman Digma
campé presque sous les murs de Soua-
kim, n'a pu être surpris, ni même re-
jointe
Quels seront les résultats des négo-
dations avec l'Abyssinie? Ce qu'on af-'
firme ici, c'est que les Abyssiniens ac-
cepteront cadeaux, décorations, argent,
et finalement se tiendront cois. Le gou-
verneur du Choaest plus puissant que le
Negous en personne. Or, tandis que 1e
roi Jean et plusieurs de ses subordon-
nés se sont rendus à l'invitation de l'en-
voyé anglais, le roi du Choa n'a point
bougé et son hostilité, tacite au moins,
est, dès ce jour, une chose parfaitement
acquise. ,
Quoiqu'il on soit, les Anglais ont l'in-
tention de reprendre la campagne au
mois d'octobre.
La situation de Gordon les contraindra
peut-être à risquer plus tôt, mais partiel-
lement, une nouvelle et triste aventure.
Mais parce que les protecteurs s'ar-
rêtent, la déduction fatale n'est point
que les protégés adoptent la même ré-
serve. Les chaleurs torrides qui ramè-
nent au Caire l'amiral Hewet et le géné-
ral Graham n'empêchent aucunement la
rébellion de s'étendre ni l'influence du
Mahdi de s'imposer.
Après Kasala, Khartoum ; après Khar-
toum, Dongola, Berber. Et bientôt peut-, .
être Ouady Halfah, puis Korosko et As-;
souan. w
La logique qui préside aux actes de
Mohamed Ahmed permet de donner ces
pronostics.
D'ailleurs, pourquoi n'en serait-il pa;
ainsi? Il est dans les habitudes que dam
un duel, lorsque l'un des champions cède
le terrain, l'autre s'en empare et qu'il»
avance.
« Ouvrez mon coeur, vous y trouverez
Calais » disait une reine d'Angleterre-
au lendemain de la perte de cette ville,
la dernière que les Anglo-Saxons aient
occupée dans notre beau pays de France.
Qui sait si dans le coeur de lord Har-
tington, que je n'ai nulle envie de dissé-
quer, on ne trouvera pas bientôt le non:
du Caire?
Olivier Tolcès.
P.-S. - Non seulement les commun^ .
cations avec Khartoum ont cessé, mais
le fil télégraphique entre Korosko et As-
souan vient d'être coupé. A quand l'in-
terception entre Assouan et Assyout ?...
Et les Ecossais, retour de Souakim, font
au Caire une entrée triomphale au son
du fifre et des binious !
Cependant, Osman Digma occupe de
nouveau les hauteurs de Tokar, d'El-Teb
et de Tamanieh, ,et le gouverneur égyp-
tien de Kasala, prêt de périr, implore
vainement des secours. Ses cris ne par-
viennent pas aux oreilles du gouverne-
ment assourdi par le cuivre des fanfares
ou des musiques, sonnant des « re-
traites» aux flambeaux et jouant l'hymne
des Scottmen ou le chant national an-
glais : God save the Queen!
O. T.
On a exécuté au Concert spirituel du
Vendredi-Saint, au Cirque d'hiver, la
Prière du Matin, t>de symphonique, dont
la musique a .été inspirée à M. G. de
Saint-Quentin par une des plus belles
poésies de Lamartine.
Cette oeuvre, couronnée au dernier
concours de la Société des compositeurs,
vient d'être éditée par MM. Durand,-
Schoenewerk et Cie, qui ont bien voulu
nous autoriser à en reproduire un frag-
ment. Nous offrons aujourd'hui à nos
lecteurs la Cantilène de l'enfant, qui les
mettra à même d'apprécier le style*
simple et l'heureuse expression de cette
oeuvre poétique et élevée,
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