Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche
Éditeur : Le Figaro (Paris)
Date d'édition : 1923-01-14
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 14 janvier 1923 14 janvier 1923
Description : 1923/01/14 (Numéro 197). 1923/01/14 (Numéro 197).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k273466g
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
Di mandhe^ 14 Janvier 192* #.
(Notu^lles4rf
«. DE VIL.LEMESSANT
Fondateur [1854-1879) •-
RÉDACTION & ADMINISTRATION
86, Rue Drouot, Paris (9e Arr.)
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ABONNEMENT SPÉCIAL
AU SUPPLÉMENT LITTÉRAIRE
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Directeur {1902-1914j
-^RÉDACTION & ADMINISTRATIO»
26, Rue Drouot, Paris (9° Arr.)
m
Ce Supplément ne doit pas être vendu à part,
II est délivré, sans augmentation de prix, à tout
acheteur et envoyé gratuitement à tous les abonnés
̃ du FIGARO quotidien.
SXJI>I>I-iÉ3S^:B3Sri3? LITTÉRAIRE
AU SOMMAIRE
DE NOTRE SUPPLÉMENT
0, 'od,
MM. Marcel Boulënger, Fernaiiâ Vatidé-
rèm ̃ '̃ Alexandre Léty-Couf bière, Miguel Za-
mà'dcïs, Jean- ̃ -Péllerin; Henri Dehérain, Jean
Gaunieiit 'et Camille Ce; Raymond Eschb-
lier, Maurice Magre, Edmond Cieray, Ki-
Yun, comte Hubert de la Massue, Jack
Pencil, Maurice Levaillant, Ladvocat, Jac-
ques Patin.
PAGE musicale
Gabriel Pierné Cydalise et le Chèvrepiéd
̃(Danse de Cydalise).
UNE MYSTIFICATION LITTERAIRE
Les ~t~f~
~!I-
Conte inédit de Charles Perrault
Dans une grande et magnifique édition,
récemment parue, des fameux Contes de
Charles Perrault édition colligée par M. E.
Tisserand, et illustrée par Drian se trouve
un conte inédit, inconnu jusqu'à ce jour, une
véritable curiosité littéraire et bibliographi-
que.
Or, ce conte nouveau, intitulé Les œufs, et
frèreunpeu.ircniquede Peau d'âne et de La
Belle au bois dormant, est tout simplement
un pastiché que se divertit à composer un
jour notre collaborateur Marcel Boulenger.
Ce pastiche avait paru, en septembre 191-2,
chez l'éditeur Champion, tiré à% quelques
exemplaires. seulement dans la petite Collec-
tion des dinis d'Edouard collection rarissime
et non mise dans lë commerce.
Nous croyons amuser nos lecteurs en leur
présentant aujourd'hui ce prétendu « conte
de Perrault », avec l'avant-propos dont l'avait
fait précéder le malicieux auteur. On verra
que le style et le ton du vieux conteur en
sont assez bien imités pour qu'on ait pu ef-
fectivement s'y tromper.
..̃̃' .̃, ® © ®
Sur la volonté du défunt, la bibliothè-
que immense de feu Spœlberg de Loven.-
joui a été remise à l'Institut, et installée
dans Chantilly.
Un érudit, non moins actif que savant,
M. Georges Vicaire, a bien voulu accep-
ter la tâche de mettre sur fiches' cette pro-
digieuse collection de manuscrits, de let-
tres, de journaux, de volumes, de revues
et de magazines, tous relatifs à la littéra-
ture du xixssîècle.' C'est là un- travail re-
doutable. Quiconque pénètre dans les sal-
les où repose aujourd'hui cet océan de pa-
pier, paraît émerveillé de le voir en ordre,
et, si -l'on- peut, dire, canalisé.
Toutefois,, M. Georges Vicaire connaît
quelques plaisirs exquis, tels que les' Mu-
ses en réservent parfois à quiconque les
sert avec zèle. C'est ainsi 'qu'au milieu
d'une liasse de lettres 'et de papiers com-,
merciaux adressés par des libraires àï
Sainte-Beuve, le patient conservateur de'
la bibliothèque Lovenjoul éprouva, cer-
tain soir, l'indicible'et charmante surprise
de trouver un conte inédit de Charles Per-
rault.
Que ce petit conte fût bien l'œuvre de
Charles Perrault, l'on n'en saurait douter.
Non que celui-ci l'eût copié de sa main
sur ce papier jauni, tel que M. Vicaire
me le montra manuscrit, mais à cause
d'une correction faite à l'avant-dernière
ligne les mots par charité figurent, en
effet, au-dessus du texte, transcrits par
une main différente, que nous n'eûmes
point de peine à reconnaître pour celle
même de Perrault, dont les originaux
abondent dans la bibliothèque du Musée
Condé. C'était donc preuve au moins que
le grand conteur eût relu' cette fable lé-
gère. Et s'il s'était permis de la relire
assez délibérément pour aller jusqu'à y
îjouter deux mots, ne voudra-t-on pas
qu'il en eût été précisément l'auteur ?'
Joignons que les noms propres, le style,
,6t certains- détails' matériels eux-mêmes1
évoquent impérieusement la manière de
,Charles Perrault. ̃ ,̃
̃ Reste l'invention, qui est presque ga-
jante, et dont le. ton, surprend. Mais- l'on
yeut admettre que Perrault voulut flatter
une""darrië"eri lui offrant ce conte, oùl'oir
discernerait aisément toutes sortes d'allti-
sions. •
C'était probablement un jour qu'il por-
tait mille rubans, des plumes en. nombre,
des gants parfumés, et qu'il prétendit
plaire il iniagina ce récit, le fit mettre
au net, et puis, une fois lu ou donné, n'y
pensa plus. Comment donc dater un pa-
reil badinage ?
̃ J'y renoncerai, pour ma part. Qu'un
plus érudit le tente. Il me faut seulement
remercier M. Vicaire (1), dont l'obligeance
m'a permis, de publier ce conte. Aussi
bien n'est-il pas utile d'aller le déranger
pour obtenir des communications analo-
gues il me prie d'assurer qu'il n'en fera
nulle autre.
o ® ®
5 II étoit une fois une reine, la plus va-
niteuse qu'on eût jamais vue. Elle ne
daignoit abaisser les yeux vers le sol, si-
non quand elle étoit seule, et pour con-
sidéréj> si c'étoit toujours la terre
qu'elle fouloit, et non la nue. Son pre-
mier ministre, qui étoit plein d'étourde-
rie, lui demanda un jour si elle se sentoit
incommodée d'une chaleur extrême
àu'il faisoit elle répondit en rougis-
sant qu'une princesse aussi .? puissante
qu'elle ne pouvoit être incommodée par
îïen, et chassa de sa cour l'imprudent,
qui dut gagner les Etats de l'empereur
Mandabutte, et en mourut de chagrin.
Or cette reine avoit une fille nommée
Qrmette, belle comme le jour, mais non
moins glorieuse que sa. mère. Elle repre-
noit sans cesse les courtisans sur ce
qu'ils ne lui témoignoient point assez de
respect l'on voyoit pourtant ceux-ci
courbés jusqu'aux tapis, et les tailleurs
de la tour n'étoient occupés qu'à rem-
placer les plumes des chapeaux usées à
force' de toucher terre, comme les
médecins ne faisoient que de soigner
les maux de reins et les courbatures, tant
les pauvres gens saluoient sans cesse.
Un jour que la reine étoit allée ache-
(1) Ces lignes furent écrites en 1912, c'est-à-dire
lu. vivant de M. Georges Vicaire.
ter du drap d'argent à la foire, une poule
qui piquoit çà et là des miettes de; pain
vint à passer sur la, traîne de sa robe,
qui étoit longue de trente-trois1 âunës,
et que, des pages port oient tout Je long
de la rue; et en passant, la poule fit une
crotte, dont la traîne se trouva fort oi-
fensée. On juge du dépit qui enragea la
reine. Elle commanda, d'un ton à faire
trembler, que toutes les poules du royau-
me fussent tuées, et que jamais on n'eût
l'audace de présenter dorénavant un
œuf même à sa vue. v
Ha! madame, fit le cuisinier de la
cour, comment donc m'y prendroi-je
pour accommoder des fricassées de cail-
les que vous aimez tant, et pour atten-
drir la viande à la sauce Robert ? Il m'y
faut des oeufs.
Maître Léonard, répondit la reine,
si vous cassez seulement un œuf en vo-
tre pot, vous serez jeté dans un puits
avec des loups, des vipères et des hi-
boux.
Maître Léonard se lé tint pour dit.
Cependant, comme il étoit bon homme
et plein d'honnêteté, il eut encore l'au-
dace de murmurer, comme s'il se par-
loit à lui-même
J'ai grand'pitié des pauvres pay-
sans et des bourgeois de la ville, qui
n'auront. point les peufs de Pâques, cette
année. Les femmes montreront mine
confite et cornette basse, et mon petit
Guillaumet pleurera, quand il viendra
me demander l'œuf écarlate et l'œuf
d'azur desquels j'avois accoutumé de
lui faire présent.
MAis la reine ne s'opiniâtra que da-
vantage
Tirez, s'écria-t-elle, tirez hors
d'ici, maître Léonard, et n'en faites pas
à deux fois
Sur quoi elle se rendit dans son appar-
tement avec la princesse Ormette, qui
n'étoit pas moins courroucée qu'elle, et
les dames d'honneur eurent beaucoup
de peine à calmer leurs esprits avec des
oranges, des citrons et de l'eau de la
reine de Hongrie.
Comme le temps de Pâques appro-
choit dans cette contrée, où l'on n'eût
pu désormais rencontrer coq ni poule
jusqu'en la plus humble cabane, l'em-
pereur Maxidabutte proposa que le prin-
ce Crépuscule, son fils, prît pour femme
la jeune princesse'Ormette, dont il avoit
entendu parler par ses ambassadeurs
Elle est arrogante dans la perfec-
tion, disoient ceux-ci, mais belle com-
me les Grâces..
f) {^érnp^eu^ MJ^abûtfé ;Jsôngea. 'cfiiè
la mère cTOrmëtte "aybit-des biens irh-:
menses, et. qu'au surplus iLn'y, a si roide,
humeur de femme dont ne vienne à bout.
un bâton bien solide. Aussi le mariage
fut-il décidé,, car l'empereur Mandabut-
te régnait sur les pays sans nombre et
sur les Iles dont il étoit régent au nom
des fées. Il fit charger la dot de son fils
Crépuscule sur dix mille chariots, cent
autruches et cent éléphants, et l'on dé-
cida de faire la noce le dimanche même
de Pâques, dans la cathédrale de la
ville, au son de toutes les cloches d'a-
lentour.
Pourtant il n'y avoit toujours point
d'eeufs, et malgré les fêtes qui étoient
préparées, malgré tous les bœufs et co-
chons gras qui étoient tués à cet effet,
la consternation régnait partout.
Hélas faisoient les femmes en
pleurant, nous n'aurons point d'œufs
remplis de rubans.-Hi! balbutioient les
marmots, nous ne verrons dimanche les
œufs jaunes, verts ou incarnats
Ils en virent de blancs et roses, toute-
fois, et auxquels nul n'avoit songé. La
reine et sa fille Ormette n'étoient certes
-point femmes à se contenter de parures
à la manière des princesses ordinaires,
encore que celles-ci fussent le plus sou.
vent magnifiques; mais il fallut qu'Or-
mette portât, le jour de ses noces, une
robe d'or .sur or, rehaussée d'argent et
surchargée d'un autre or, et si ornée de
pierres précieuses que les courtisans
n'en pouvoient supporter la vue, sinon,
en plaçant le gant sur les yeux. Et quand
Ormette entra ainsi chamarrée dans la
cathédrale, tandis que le prince ..Crépus-
cule lui donnoit la main, l'ajustement
de la pauvre princesse étoit si alourdi
par tout cet or et ces pierreries, que le
corsage se rompit tout net et tomba sur
le parvis. Si bien que la fière Ormette
demeura quasi-nue en la cathédrale, aux
yeux de tout le peuple; et sur sa poi-
trine, il y avoit ses retins eh bonne place,
ainsi que deux jolis œufs de Pâques
blancs et roses.
Le prince Crépuscule étoit plus char-
mé qu'on ne sauroit dire. Mais la prin-
cesse Ormette et la reine sa mère éprou-
vèrent tant de honte; qu'elles se sauve-,
rent au fond des bois, et furent encore
heureuses de trouver un pauvre Bûche-
ron qui les recueillit, et voulut bien par
charitét les employer à soigner ses
poules. v;
poules. CHARLES Perrault. t
Publié par Marcel Boulenger. v
J J!
PETIT POÈME
Sombres ruines, fleuves d'or, imaginaires >
Cités, où des jets d'eau dessinent le plaisir,
Sa douceur, son tourment, cette splendeur amère
~c d'oueeur, son ~our/nen~, ce~e s~/e/x/eur amere
Et tout le vierge azur où flamba ton désir!
Un diamant s'érige au fond du ciel nocturne
Et l'amour a percé de mille traits l'amour.
Ah! vers ma bouche avide encor penche cette urne
Qù je boirai le calme au déclin d'un beau jour.
Les moissons ont croulé sous les âpres faucilles
Et le monde enivré succombe à son ardeur,
Dans tes yeux étoiles soudain'voici que brille
Tout le tendre mystère où Jaillissent les pleurs.
Gilbert Charles.
ARTHUR RIMBAUD EN AFRIQUE
:̃̃ y.: ,̃_̃, .;̃ ~~i B .).-J. '»» ̃'̃ft -U & ,<̃̃ ̃• '̃ ̃>•̃•' ï- ̃̃̃"•̃' '>
La scène se passe-à Harar, la grande
ville de transit de l'Afrique Orientai,
où les produits apportés d'Abyssinie et
des pays gallas sont concentrés pour
être expédiés vers les ports de la. mer
Rouge. Un blanc en costume colonial'est
entouré d'hommes de couleur. II. fait pe-
ser du café, de l'ivoire, des cuirs et il
en discute le prix avec les vendeurs in-
digènes, avec l'un en harari, le dialecte
local, avec un autre en galla qui se parle
sur les. plateaux du Sud, avec un troi-
sième en amhara, la langue des monta-'
gnards de l'Abyssinie.
Ce négociant si attentivement appliqué
à sa besogne mercantile, cet Européen
qui s'exprime si aisément en ces étran-
ges idiomes africains, c'est Arthur
Rimbaud cas rare, unique proba-
blement dans notre, histoire colonia-
le, pourtant si féconde en destinées ex-
traordinaires, d'un. poète transformé en
traitant et en explorateur.
La vie africaine d'Arthur Rimbaud
n'est pas inconnue, mais quelques do-
cuments nouveaux nous ayant été obli-
geamment commu*niqués, notamment
par M. Georges-Emmanuel Lang, l'oc-
casion nous a paru propice pour reve-
nir sur son aventure.
l
On sait-que -Rimbaud,, après avoir en-
tièrement rompu avec les milieux litté-
raires où il avait fréquenté dans sa pri-
me jeunesse, erra. longtemps, à travers
le monde. En août 1880, il arriva à Aden,
et- l'Orient éthiopien s'empara de lui. Il
entra comme employé dans la maison
de commerce Mazeran, Viannay et Bar-
dey, aux appointements mensuels de
330 francs, portés'.en 18834" M6- francs,
plus la nourriture et 2 0/Ô sur les bé-
néfices. Cette ^maison ayante oifyer^ un
comptoir à Harar, il y fut envoyé!
« Je suis arrivé dans ce pays •̃ après,
vingt jours' de cheval à travers le désert1
-çoina-H,- écrivait-il à sa famille lr"13 dé-
cembre 1880. Harar est une ville coloni-
sée par les Egyptiens et dépendant, de
leur gouvernement. La garnison^est de
plusieurs milliers d'hommes. Là se trou-
vent notre agence et nos magasins. Les
produits marchands de la contrée sont
le café, l'ivoire, les (parfiiiins, "d'or, etc. »
Ces pays d'où il tirait ce café, cet ivoi-
re, ces parfums, il voulut les connaître.
Par nécessité professionnelle, il devint
explorateur et géographe. Au sud de'
Harar s'étend, dans la direction de l'0-
céan Indien, un pays nommé l'Ogaden,
qui est traverse par le Ouabi Ghebeli. Ce
grand fleuve a en quelque sorte man-
qué sa donnée. 14' se dirige vers l'Océan
Indien, mais avant de l'atteindre, il s'é-
vapore et disparaît. Dépourvu de voie
d'accès côtière, protégé en outre par la
xénophobie de ses habitants, l'Ogaden
resta terre inconnue jusque .dans le der-
nier quart du xixe siècle. 'A Rimbaud
revient le mérite d'avoir apporté les pre-
mières notions sur ce pays:
Lui-môme fit plusieurs expéditions au
sud de Harar, dans le Boubassa, où il
créa des marchés d'ivoire ,et de cuirs.
Il fallait du-- courage pour y pénétrer,1
,car,ies,,4popuIa|iQns de ,ces contréesshaïs-.
sent l'étranger, et vers cette même épo-
q«e,fe Français Lucereau et l'Italien
Sacconi y furent assassinés.
..Rimbaud organisait" aussi ̃ des^voya-
ges pour le compté dé sa maison. « II
dirige toutes nos expéditions dû Coma)
et des pays gallas, écrivait son patron,
Bardey, le 24 novembre 1883. L'initiati-
ve de l'exportation du Ouabi, qui coule
dans le pays d'Ogaden, lui est due. » Le
plus fructueux de ces ypyag.es fut celui
du Grec Gonstantinu Sottiro qui s'avan-
ça, véritable exploit, jusqu'à une distàn-
ce de 140 kilomètres au sud de Harar.
DesJ observations qu'il avait faites, des
notions rapportées par les agents subal-
ternes ou données par les indigènes,
Rimbaud composa une notice sur l'Oga-
den, succintfe ri>âis pleine de. substance,
que Bardey eut la bonne idée d'adres-
ser à la. Société de Géographie de Paris,
laquelle s'empressa de la publier.
Rimbaud réussit auprès des indigè-"
nes. H- se rendit Dromptement maitre de
leurs langues, dont., comme il récrivait
un jour, « il se remplit la mémoire ».
̃̃̃' 'Et puis,, il traitait, les hommes de cou-
leur en hommes et qui méritent des
égards. il réussit à apprivoiser ce.s Ço-
malis de caractère pourtant si ombra-
geux. Il se fit des relations parmi les
chefs de l'Ogaden, et il appelle quelque
part Voughaz des Malingour « notre ami
Aram Hussein ». Les opérations eom-
-merciales auxquelles Rimbaud se .livra
furent assez fructueuses. Il fit des éco-
nomies. En juillet 1884, il. pensait en-
voyer à sa famille « au moins dix mille
francs». Et pendant plus d'une année,
il continua," à ramasser quelques sous ».
Après; une « yiolen le discussion », il
se sépara' de son patron, RàrSey, en oc-
tobre 1885. Il s'associa alors h' un négo-
ciant français, nommé Pierre Labatut,
qui faisait des affaires au Choa. ,)
II
Ménélik. commença sa carrière comme
simple chef de la province la plus mé-
ridionale de l'Abyssinie le Choa. Quand
il mourut, il était empereur d'Ethiopie,
souverain par conséquent de toute l'A-
byssinie et il avait conquis au sud du
Choa urr immense territoire qui confi-
nait à la colonie anglaise de l'Afrique
.(Xriajitale. Or, l'instrument de cette for-
tuné .politique et de ces conquêtes, ce
-fut le fusil. Avoir des fusils, beaucoup
de fùsils avec les munitions nécessaires,
telle était alors, les récits de" tous les
voyageurs concordent sur ce point, la
préoccupation principale de tous les
Abyssins, depuis Ménélik jusqu'au plus
humble de ses sujets. °
Labatut. avait justement reçu de Mé-
nélik; en-i885, :.iuiaeimpoi!tante.<:oomman-
de d'armes. Rimbaud participa à l'affai-
rejjèi-'jl F mit la plus grande partie de
ses économies.
"Pour recevoir les caisses, d'armes et
©#£6'nfsér.Ia caravane qui devait-les'
4rmois, de décembre 1885 à octobre 1886,
sur les rivages de la mer Rouge, à Tad-
jourah, localité siluée en face de Dji-
bouti, malsaine et très désagréable. Que
de difficultés il eut à surmonter avec
les indigènes toujours, avec le gouver-
nement français, qui croyait devoir in-
terdire lé transport d'armes au Choà.
Et puis, son associé Labatut tomba ma-
lade, partit pour la France et y mourut.
Rimbaud pensa alors faire le voyage
avec Paul Soleillet, un africaniste d'une
certaine notoriété, qui avait jadis explo-
ré le.Soudan et récemment. passe deux
années en Abyssinie. Mais, à son tour,
Soleillet succomba à Aden. En définiti-
ve;- Rimbaud partit seul en octobre 1886.
11 traversa l'affreux, et dangereux dé-
sert Danakil,. gravit les pentes du mas-
sif abyssin et, le 9 février 1887, il attei-
gnit xAnkober, l'ancienne capitale du
Choa." Il y rencontra Jules Borelli, un
Français qui fit d'importants voya-
ges en Abyssinie, de 1885 à 1888. De
prime abord, Rimbaud donna une im-
pression d'énergie à Borelli, qui écrit
dans son journal
« M. Rimbaud sait l'arabe et parle
rarnharigna et, l'oromo. Il, est infatiga-
blé. Son* aptitude !pour les langues, une
:|rrâ'ndé force de volonté et une patience
a.- foute épreuve le classent parimi les
voyageurs accoimpJi s., »-
.Rimbaud séjourna trois mois en Abys-
sinie. D'Ankober, il se rendit à Entotto,
où Ménélik résidait avant la fondation
d'Addis-Ababa. Il y reçut la lettre 'sui-
vante, que 'nous croyons peu connue
« Envoyé par le roi Ménélik.
» Parvienne à M. Rimbaud.
». Comment te portes-tu ? Moi, par'la
grâce de Dieu, je me porte bien.
nTa lettre m'est parvenue. Je suis
arrivé hier à Fel-Ouha (près d'Entotto).
Cinq jours me suffiront, pour voie les
marchandises. Tu pourras/partir en-
suite.
n Ecrit le 3 myarzya (février ou:ma'rs'
1887). »..
Financièrement, l'expédition échoua
« Mon affaire a très- mal tourné et j'ai
baud. Mais sous un tout autre rapport, il;
•̃réussit- Il redescendit en effet à Harar
par un itinéraire qu'aucun Européen
craint quelgue temps de redescendre
sans un thaler », écrivait plus fard Rim-
n'avait encore suivi. Accompagné de
Borelli, il psrtiid'Entotto le Ier mai 1887
et arriva à Harar le 21, après ,avoir tra-
versé le plateau du Mindjar « pays ma-
gnifique », puis le Carayou, halliers cou-
verts d'arbres épineux, séjour des buf-
fles et des élépha-fits, et finalement sui-
vit la crête du.Tchercher « où la végéta-
tion est incomparablement belle ». U
La découverte de cette voie nouvelle
fut très remarquée dans les milieux géo-
graphiques français et étrangers suc-
cès. auquel assurément Rimbaud ne s'at-
tendait pas. Cette nouvelle route fut dé-
sormais fréquemment suivie, et notam-
ment par la mission du commandant
Marchand, pendant la dernière étape tie
sa célèbre traversée de l'Afrique.
III
Revenu d'Abyssinie, Rimbaud, après
un court séjour au Caire, se fixa définiti-
vement à Harar, non plus comme agent
commercial, mais comme chef de fac-
torerie. Le régime du pays avait changé
depuis qu'il l'avait quitté. Les Egyptiens
l'avaient évacué et tes Abyssins l'occu-
paient « Le gouvernement est le gou-
vernement abyssin du roi Ménélik. c'est-
à-dire un gouvernement négro-chrétien,
mais' somme toute on est en paix et en
sûreté relative. »
Grâce à ,Ja position importante qu'il
s'était faite à Harar, grâce à ses relations
avec le ras Makonnen et à son expérien-
ce, Rimbaud rendit des services aux
Français et aux étrangers qui y passè-
rent en ces années 1888-1890. Il exerçait
largement l'hospitalité. Il .reçut, par
exemple, pendant six semaines le Suisse
Alfred 11g, qui, arrivé en Abyssinie com-
me ingénieur y devint le conseiller et le
ministre d'Etat de Ménélik. De ses rap-
ports avec Rimbaud, llg avait surtout
conservé le souvenir d'un homme ren-
fermé et taciturne, ainsi qu'il nous l'écri-
vait il y a quelques années. Bardey a,
plus tard, rappelé la bonté de Rimbaud
pour les imprudents qui, pleins d'illu-
sions, se lancent dans les pays exotiques
et qui n'y éprouvent que déboires.
Jamais, dans ses lettres, Rimbaud
ne faisait allusion ̃• à son passé, et,
dans cette vie de la brousse pourtant fa-
vorable à l'abandon, il ne se laissait al-
ler à aucune confidence. Que Verlaine
ait ipensé à Rimbaud, le poème Lasti et
errabundi permet de ie supposer
Nous allions, vous en souvient-il,
Voyaçieur où en disparu ?
Filant légers dans l'air subtil,
Deux spectres joyeux on eût cru.
Mais de ses anciennes amitiés, lui,
Rimbaud, pe parlait.jamai.s.•
Qui ne connaît le martyre de ses der-
"riiëfs"hï'6is "? "En février' 1891, "il éprouva
dans le genou des douleurs qui, chaque
jour," devinrent plus vives. Aucun méde-
cin européen n'exerçant à Harar, il réso-
lut d'aller se faire soigner à Aden. Il par-
tit le 8 avril 1891, transporte dans une
civière ,car il était incapable de se. tenir
à cheval. La traversée du désert çomali
dura quinze jours. A Zéila il est hissé à
bord d'un bateau, et il arrive à Aden où
le médecin de l 'hôpital diagnostique
a une tumeur synovite arrivée à un point
très dangereux ».
Rimbaud décide alors de s'embarquer
pour la France. En novembre 1891, il ex-
pire, à l'hôpital de la. Conception de
Marseille.
Or, ce fut vers ces temps-là .que la re-
nommée littéraire d'Arthur Rimbaud
commença de poindre et de s'élever au-
dessus de l'horizon.
Henri Dehérain.
D'UNE FENÊTRE
« ;'».Çellerdu toit delà maison
D'où je puis, entre tes deux hêtres,
Contempler longtemps l'horizon.
Pour' expliquer ma longue pause
Je dis ceci, je dis cela. ̃-•̃
Je mens. La véritable cause
̃̃̃ C'est que vous'habitez par là.
Je vous aime et l'on vous surveille,
Mais les jardiniers importuns
S'ils sont maîtres de la corbeille,
Sont-ils maîtres de ses parfums ?-
les barrières interposées,
Le temps, l'espace et le grand mur,
Empêchent-ils nos deux pensées
̃ 'De se rejoindre par l'azur? '•
C'est en vain que la jalousie
Mous croit l'un e l'autre isolés
Par là naïve minutie
Ces obstacles accumulés;
Car tandis que votre pensée
Prend les nuages pour vaisseaux
1- La mienne'fait la traversée
̃ Sur les ailes des grands oiseaux!
'• Miguel Zamacoïs.
_I_ '̃ SS-S-S^. ̃
LA RELÈVE1^
̃ ̃
-~aa~-
Relève!: talisman magique! Dans la boue
Avoir rampé desjours et des nuits; sur h joue"
Porter le hâle épais des soleils, l'obsédant
Stigmate de la brume; au front sentir lâ'dent
Ou destin s'enfoncer, morsure souveraine;
N'entendre rien ne point parler; penser à peine;
Trembler de lassitude; avoir si peu dormi
Que, même en combattant, l'on sommeille à demi;
Avoir jeûné longtemps, au point que l'on oublie
Son corps, et que le spectre ardent de la folie
Vienne heurter du doigt votre raison; enfin,
Quand la Mort apparaît à vos yeux, et qu'en vain
Vous invoquez l'appui d'un être qui vous aime.
.Voir le salut étinceler; plus de blasphème;
Chanter presque, en humant un souffle de printemps
Etreindre l'avenir comme on fait à vingt ans;
Croire que l'Univers existe pour vous plaire,
Que lés astres pour vous brillent dans l'aube claire
Vivre, mourir, fi donc.' Ressusciter, bien mieux!
Vivre n'était qu'humain or vous êtes des dieux 1
N'avez-vous point créé l'édén de votre rêve ?
0 miracle, qui tient en ces mots la. relève
Alexandre Léty-Cburbière.
fl)' Extrait de Souvenez-vous A paraître aux
Editions Alhéna.
Choses et Gens de Lettres
~jH'
V ii DEUX CENTENAIRES
Mon ami, M. Albert Thibaudet, chez
qui le critique remarquable se double de-
l'homme le plus spirituel, me signale
deux centenaires qu'il ne faudra pas ou-
blier en 1923 ceux des deux Manuel.
Le premier, J. A. Manuel, c'est
l'orateur parlementaire. Idole de tous
les libéraux de la Restauration, qui lui
firent de splendides funérailles, son cen-
tenaire fournira la plus belle 'matière à
nos discouréurs officiels. Qu'ils pren-
nent garde, cependant, de ne pas trop
forcer le libéralisme de Manuel, moins
profond, il me semble, que ne le veut la,
légende. Ayant débuté dans la, vie poli-
tique comme créature et homme de
paille de Fouché, on voit Manuel, du-
rant les Cent-Jours, se débattre tel
un diable pour faire reconnaître
Napoléon II. Ensuite, Fouché devenu
ministre de Louis XVIII, Manuel lui
continue sa collaboration, se fait même
proposer par lui comme conseiller
d'Etat et il ne prendra ouvertement
posture de libéral qu'après la disgrâce
de son patron, entrainant, la sienne.
N'exagérons donc pas le républicanis-
me de cet habile politicien, car, après-
tout, ce ne fut peut-être qu'un de ces dé-
mocrates « à la noix », comme il
en pullule dans nos Parlements et que
.n'Importe quel régime peut avoir pour
un morceau de maroquin.
Le second, c'est. Eugène Manuel, éti-
queté jusqu'ici comme poète. Mais a
l'éclatante résurrection que lui accorda
1922, je me demande ce qu'ajoutera lai
célébration de son centenaire. Tout au
plus pourrait-on organiser une petite
cérémonie de vulgarisation devant son
buste qui, comme vous savez, afflige la
cour intérieure de l'infortuné lycée Jan-
son-de-Sailly. On y réciterait quelques
morceaux de ses meilleurs recueils,
quelques scènes de ses meilleures piè-
ces. Et le public apprendrait ainsi à la
fois ce que valaient et le poète des Ou-
vriers et tant d'illustres critiques qui le
saluèrent si bas.
Fernand Vandérem.
« Âmori et dderi sacrum »
par JEAN GAUMENT et CAMILLE CÉ
1 A travers sa carrière ingrate de pro-
fesseur pauvre, M. Decharme avait
traîné ce rêve trop beau pour ne pas de-
venir .une.; souffrance voir. au,. moins
une des sept merveilles d'Italie, du mon-
de Rome, Florence, Venise. Le songe
un peu fade de Mignon' ne chantait pas
en lui, et ce n'était point d'orangers, de
citronniers chargés d'or, que ce rêve
était fait. C'était un désir de beauté qui'
le brûlait, à force d'avoir couvé sous
les cendres de ses grises années provin-'
ciales. Chaque fois qu'il allait se réali-
ser, une fatalité arrachait l'espoir bru-
talement une lourde note ù payer, un
enfant malade.
A cinquante-sept ans, enfin, il fai-
sait son voyage de noces amertume
sans elle qui venait de mourir. Il était
libre maintenant puisque le vide s'é-
tait fait dans sa vie, sa femme morte, sa
aile mariée, au loin, ses fils dispersés
par les hasards.
1 Il était parti avec de minces écono-
mies cinq cents francs un voyage de
huit jours en simplifiant les repas, en
allant, comme le pèlerin passionné, vè-
.tu de pauvreté et de ferveur. Et. il. se
.lu.de pauvreté et de ferveur. Et.il, se
rappelait, avec un sourire triste une'
Course folle de sa jeunesse d'étudiant à
Lille avec un camarade, en trois
jours il avait parcouru les musées, de
Belgique, déjeunant d'une pomme sur
un banc devant les canaux morts, au'
tintement lent des béguinages, au mi-
lieu du vol des" feuilles mortes. Ils s'é-,
taient surtout nourris de peinture dans
cette ruée de Bruges à Gand, de Gand.
à Anvers, dans un désir fou de tout
voir, de tout étreindre dans un regafdv
A son âge, M. Decharme ne re-
commencerait point cette folie, cette in- 1-
suite à la beauté qui veut la contempla-
tion pensive. Il visiterait l'unique Ve-
nise puisqu'elle est irisée, inépuisable-
et que dés ombres de douleur 'et d'a-
mour y ont sanctifié les marbres et les
eaux. Seul dans 'ses souvenirs, ses
longs regrets qui gardaient dans leurs
plis un reste de mélancolie romanti-
que, il erra des belles agonies du Rio*
délie Erbe aux splendeurs roses dit
Palais -ftucal, dés Carpaccio .candides de'
l'Académie aux troublants Tintoret dô
San Rocco, dé l'humble San Giorgio
gli Schiûvoni à ce grand coquillage d'è
nacré pôsé sur la ce, grand cOqmllag, eQ.
nacre posé sur la mer qu'est Maria demi
Salute. Il allait, lisant une page, se ré-
citant une 'phrase de Barrès, de d'AfiJ-
nunzio ou de Ruskin, .parmi ces pierres
de Venise imprégnées de tous les rê-
ves, de toutes les voluptés, de tputeè
les larmes de générations d'amants ou
d'artistes.
Le dernier matin, après avoir rôdé au
fond du Ghetto, il avait pris une gon-
dole pour laisge-r sa rêverie descendre
une dernière fois au fil de l'eau, dajis
cette avenue souveraine d,u Çanfflte
Grande. Il regardait défiler avec je é
lancolie des choses trop bell'es qui p*à\
sent et qu'on ne reverra plus, les déii-
cates colonnettes de la Cà d'Oro ou (Jti
palais Foscari il se retour n ait pour ils
suivre longtemps ou les regarder venir
devant le fer de proue. Ses yeux topfc-
bèrent un instant sur l'homme -qui, d'è*
bout, ceinture rouge aux flancs, maniait
l'aviron, .et son regard qui détaillait le
costume remonta vers le visage et se
fixa sur lui. A la différence des autres,
il était roux, à peine hâlé, avec des
yeux bleus à fleur de tête, inquiets sous
le rectangle d'un front large. Et. Dechar»
medul:se rappeler une physionomie.
mais laquelle, mais où, dans la brume
du souvenir ? Il murmura, pour attirer
(Notu^lles4rf
«. DE VIL.LEMESSANT
Fondateur [1854-1879) •-
RÉDACTION & ADMINISTRATION
86, Rue Drouot, Paris (9e Arr.)
Hi
ABONNEMENT SPÉCIAL
AU SUPPLÉMENT LITTÉRAIRE
France et Colonies. 15 fr. par an
Etranger. 25 fr.
GASTON CALMETTE •' ̃̃:
Directeur {1902-1914j
-^RÉDACTION & ADMINISTRATIO»
26, Rue Drouot, Paris (9° Arr.)
m
Ce Supplément ne doit pas être vendu à part,
II est délivré, sans augmentation de prix, à tout
acheteur et envoyé gratuitement à tous les abonnés
̃ du FIGARO quotidien.
SXJI>I>I-iÉ3S^:B3Sri3? LITTÉRAIRE
AU SOMMAIRE
DE NOTRE SUPPLÉMENT
0, 'od,
MM. Marcel Boulënger, Fernaiiâ Vatidé-
rèm ̃ '̃ Alexandre Léty-Couf bière, Miguel Za-
mà'dcïs, Jean- ̃ -Péllerin; Henri Dehérain, Jean
Gaunieiit 'et Camille Ce; Raymond Eschb-
lier, Maurice Magre, Edmond Cieray, Ki-
Yun, comte Hubert de la Massue, Jack
Pencil, Maurice Levaillant, Ladvocat, Jac-
ques Patin.
PAGE musicale
Gabriel Pierné Cydalise et le Chèvrepiéd
̃(Danse de Cydalise).
UNE MYSTIFICATION LITTERAIRE
Les ~t~f~
~!I-
Conte inédit de Charles Perrault
Dans une grande et magnifique édition,
récemment parue, des fameux Contes de
Charles Perrault édition colligée par M. E.
Tisserand, et illustrée par Drian se trouve
un conte inédit, inconnu jusqu'à ce jour, une
véritable curiosité littéraire et bibliographi-
que.
Or, ce conte nouveau, intitulé Les œufs, et
frèreunpeu.ircniquede Peau d'âne et de La
Belle au bois dormant, est tout simplement
un pastiché que se divertit à composer un
jour notre collaborateur Marcel Boulenger.
Ce pastiche avait paru, en septembre 191-2,
chez l'éditeur Champion, tiré à% quelques
exemplaires. seulement dans la petite Collec-
tion des dinis d'Edouard collection rarissime
et non mise dans lë commerce.
Nous croyons amuser nos lecteurs en leur
présentant aujourd'hui ce prétendu « conte
de Perrault », avec l'avant-propos dont l'avait
fait précéder le malicieux auteur. On verra
que le style et le ton du vieux conteur en
sont assez bien imités pour qu'on ait pu ef-
fectivement s'y tromper.
..̃̃' .̃, ® © ®
Sur la volonté du défunt, la bibliothè-
que immense de feu Spœlberg de Loven.-
joui a été remise à l'Institut, et installée
dans Chantilly.
Un érudit, non moins actif que savant,
M. Georges Vicaire, a bien voulu accep-
ter la tâche de mettre sur fiches' cette pro-
digieuse collection de manuscrits, de let-
tres, de journaux, de volumes, de revues
et de magazines, tous relatifs à la littéra-
ture du xixssîècle.' C'est là un- travail re-
doutable. Quiconque pénètre dans les sal-
les où repose aujourd'hui cet océan de pa-
pier, paraît émerveillé de le voir en ordre,
et, si -l'on- peut, dire, canalisé.
Toutefois,, M. Georges Vicaire connaît
quelques plaisirs exquis, tels que les' Mu-
ses en réservent parfois à quiconque les
sert avec zèle. C'est ainsi 'qu'au milieu
d'une liasse de lettres 'et de papiers com-,
merciaux adressés par des libraires àï
Sainte-Beuve, le patient conservateur de'
la bibliothèque Lovenjoul éprouva, cer-
tain soir, l'indicible'et charmante surprise
de trouver un conte inédit de Charles Per-
rault.
Que ce petit conte fût bien l'œuvre de
Charles Perrault, l'on n'en saurait douter.
Non que celui-ci l'eût copié de sa main
sur ce papier jauni, tel que M. Vicaire
me le montra manuscrit, mais à cause
d'une correction faite à l'avant-dernière
ligne les mots par charité figurent, en
effet, au-dessus du texte, transcrits par
une main différente, que nous n'eûmes
point de peine à reconnaître pour celle
même de Perrault, dont les originaux
abondent dans la bibliothèque du Musée
Condé. C'était donc preuve au moins que
le grand conteur eût relu' cette fable lé-
gère. Et s'il s'était permis de la relire
assez délibérément pour aller jusqu'à y
îjouter deux mots, ne voudra-t-on pas
qu'il en eût été précisément l'auteur ?'
Joignons que les noms propres, le style,
,6t certains- détails' matériels eux-mêmes1
évoquent impérieusement la manière de
,Charles Perrault. ̃ ,̃
̃ Reste l'invention, qui est presque ga-
jante, et dont le. ton, surprend. Mais- l'on
yeut admettre que Perrault voulut flatter
une""darrië"eri lui offrant ce conte, oùl'oir
discernerait aisément toutes sortes d'allti-
sions. •
C'était probablement un jour qu'il por-
tait mille rubans, des plumes en. nombre,
des gants parfumés, et qu'il prétendit
plaire il iniagina ce récit, le fit mettre
au net, et puis, une fois lu ou donné, n'y
pensa plus. Comment donc dater un pa-
reil badinage ?
̃ J'y renoncerai, pour ma part. Qu'un
plus érudit le tente. Il me faut seulement
remercier M. Vicaire (1), dont l'obligeance
m'a permis, de publier ce conte. Aussi
bien n'est-il pas utile d'aller le déranger
pour obtenir des communications analo-
gues il me prie d'assurer qu'il n'en fera
nulle autre.
o ® ®
5 II étoit une fois une reine, la plus va-
niteuse qu'on eût jamais vue. Elle ne
daignoit abaisser les yeux vers le sol, si-
non quand elle étoit seule, et pour con-
sidéréj> si c'étoit toujours la terre
qu'elle fouloit, et non la nue. Son pre-
mier ministre, qui étoit plein d'étourde-
rie, lui demanda un jour si elle se sentoit
incommodée d'une chaleur extrême
àu'il faisoit elle répondit en rougis-
sant qu'une princesse aussi .? puissante
qu'elle ne pouvoit être incommodée par
îïen, et chassa de sa cour l'imprudent,
qui dut gagner les Etats de l'empereur
Mandabutte, et en mourut de chagrin.
Or cette reine avoit une fille nommée
Qrmette, belle comme le jour, mais non
moins glorieuse que sa. mère. Elle repre-
noit sans cesse les courtisans sur ce
qu'ils ne lui témoignoient point assez de
respect l'on voyoit pourtant ceux-ci
courbés jusqu'aux tapis, et les tailleurs
de la tour n'étoient occupés qu'à rem-
placer les plumes des chapeaux usées à
force' de toucher terre, comme les
médecins ne faisoient que de soigner
les maux de reins et les courbatures, tant
les pauvres gens saluoient sans cesse.
Un jour que la reine étoit allée ache-
(1) Ces lignes furent écrites en 1912, c'est-à-dire
lu. vivant de M. Georges Vicaire.
ter du drap d'argent à la foire, une poule
qui piquoit çà et là des miettes de; pain
vint à passer sur la, traîne de sa robe,
qui étoit longue de trente-trois1 âunës,
et que, des pages port oient tout Je long
de la rue; et en passant, la poule fit une
crotte, dont la traîne se trouva fort oi-
fensée. On juge du dépit qui enragea la
reine. Elle commanda, d'un ton à faire
trembler, que toutes les poules du royau-
me fussent tuées, et que jamais on n'eût
l'audace de présenter dorénavant un
œuf même à sa vue. v
Ha! madame, fit le cuisinier de la
cour, comment donc m'y prendroi-je
pour accommoder des fricassées de cail-
les que vous aimez tant, et pour atten-
drir la viande à la sauce Robert ? Il m'y
faut des oeufs.
Maître Léonard, répondit la reine,
si vous cassez seulement un œuf en vo-
tre pot, vous serez jeté dans un puits
avec des loups, des vipères et des hi-
boux.
Maître Léonard se lé tint pour dit.
Cependant, comme il étoit bon homme
et plein d'honnêteté, il eut encore l'au-
dace de murmurer, comme s'il se par-
loit à lui-même
J'ai grand'pitié des pauvres pay-
sans et des bourgeois de la ville, qui
n'auront. point les peufs de Pâques, cette
année. Les femmes montreront mine
confite et cornette basse, et mon petit
Guillaumet pleurera, quand il viendra
me demander l'œuf écarlate et l'œuf
d'azur desquels j'avois accoutumé de
lui faire présent.
MAis la reine ne s'opiniâtra que da-
vantage
Tirez, s'écria-t-elle, tirez hors
d'ici, maître Léonard, et n'en faites pas
à deux fois
Sur quoi elle se rendit dans son appar-
tement avec la princesse Ormette, qui
n'étoit pas moins courroucée qu'elle, et
les dames d'honneur eurent beaucoup
de peine à calmer leurs esprits avec des
oranges, des citrons et de l'eau de la
reine de Hongrie.
Comme le temps de Pâques appro-
choit dans cette contrée, où l'on n'eût
pu désormais rencontrer coq ni poule
jusqu'en la plus humble cabane, l'em-
pereur Maxidabutte proposa que le prin-
ce Crépuscule, son fils, prît pour femme
la jeune princesse'Ormette, dont il avoit
entendu parler par ses ambassadeurs
Elle est arrogante dans la perfec-
tion, disoient ceux-ci, mais belle com-
me les Grâces..
f) {^érnp^eu^ MJ^abûtfé ;Jsôngea. 'cfiiè
la mère cTOrmëtte "aybit-des biens irh-:
menses, et. qu'au surplus iLn'y, a si roide,
humeur de femme dont ne vienne à bout.
un bâton bien solide. Aussi le mariage
fut-il décidé,, car l'empereur Mandabut-
te régnait sur les pays sans nombre et
sur les Iles dont il étoit régent au nom
des fées. Il fit charger la dot de son fils
Crépuscule sur dix mille chariots, cent
autruches et cent éléphants, et l'on dé-
cida de faire la noce le dimanche même
de Pâques, dans la cathédrale de la
ville, au son de toutes les cloches d'a-
lentour.
Pourtant il n'y avoit toujours point
d'eeufs, et malgré les fêtes qui étoient
préparées, malgré tous les bœufs et co-
chons gras qui étoient tués à cet effet,
la consternation régnait partout.
Hélas faisoient les femmes en
pleurant, nous n'aurons point d'œufs
remplis de rubans.-Hi! balbutioient les
marmots, nous ne verrons dimanche les
œufs jaunes, verts ou incarnats
Ils en virent de blancs et roses, toute-
fois, et auxquels nul n'avoit songé. La
reine et sa fille Ormette n'étoient certes
-point femmes à se contenter de parures
à la manière des princesses ordinaires,
encore que celles-ci fussent le plus sou.
vent magnifiques; mais il fallut qu'Or-
mette portât, le jour de ses noces, une
robe d'or .sur or, rehaussée d'argent et
surchargée d'un autre or, et si ornée de
pierres précieuses que les courtisans
n'en pouvoient supporter la vue, sinon,
en plaçant le gant sur les yeux. Et quand
Ormette entra ainsi chamarrée dans la
cathédrale, tandis que le prince ..Crépus-
cule lui donnoit la main, l'ajustement
de la pauvre princesse étoit si alourdi
par tout cet or et ces pierreries, que le
corsage se rompit tout net et tomba sur
le parvis. Si bien que la fière Ormette
demeura quasi-nue en la cathédrale, aux
yeux de tout le peuple; et sur sa poi-
trine, il y avoit ses retins eh bonne place,
ainsi que deux jolis œufs de Pâques
blancs et roses.
Le prince Crépuscule étoit plus char-
mé qu'on ne sauroit dire. Mais la prin-
cesse Ormette et la reine sa mère éprou-
vèrent tant de honte; qu'elles se sauve-,
rent au fond des bois, et furent encore
heureuses de trouver un pauvre Bûche-
ron qui les recueillit, et voulut bien par
charitét les employer à soigner ses
poules. v;
poules. CHARLES Perrault. t
Publié par Marcel Boulenger. v
J J!
PETIT POÈME
Sombres ruines, fleuves d'or, imaginaires >
Cités, où des jets d'eau dessinent le plaisir,
Sa douceur, son tourment, cette splendeur amère
~c d'oueeur, son ~our/nen~, ce~e s~/e/x/eur amere
Et tout le vierge azur où flamba ton désir!
Un diamant s'érige au fond du ciel nocturne
Et l'amour a percé de mille traits l'amour.
Ah! vers ma bouche avide encor penche cette urne
Qù je boirai le calme au déclin d'un beau jour.
Les moissons ont croulé sous les âpres faucilles
Et le monde enivré succombe à son ardeur,
Dans tes yeux étoiles soudain'voici que brille
Tout le tendre mystère où Jaillissent les pleurs.
Gilbert Charles.
ARTHUR RIMBAUD EN AFRIQUE
:̃̃ y.: ,̃_̃, .;̃ ~~i B .).-J. '»» ̃'̃ft -U & ,<̃̃ ̃• '̃ ̃>•̃•' ï- ̃̃̃"•̃' '>
La scène se passe-à Harar, la grande
ville de transit de l'Afrique Orientai,
où les produits apportés d'Abyssinie et
des pays gallas sont concentrés pour
être expédiés vers les ports de la. mer
Rouge. Un blanc en costume colonial'est
entouré d'hommes de couleur. II. fait pe-
ser du café, de l'ivoire, des cuirs et il
en discute le prix avec les vendeurs in-
digènes, avec l'un en harari, le dialecte
local, avec un autre en galla qui se parle
sur les. plateaux du Sud, avec un troi-
sième en amhara, la langue des monta-'
gnards de l'Abyssinie.
Ce négociant si attentivement appliqué
à sa besogne mercantile, cet Européen
qui s'exprime si aisément en ces étran-
ges idiomes africains, c'est Arthur
Rimbaud cas rare, unique proba-
blement dans notre, histoire colonia-
le, pourtant si féconde en destinées ex-
traordinaires, d'un. poète transformé en
traitant et en explorateur.
La vie africaine d'Arthur Rimbaud
n'est pas inconnue, mais quelques do-
cuments nouveaux nous ayant été obli-
geamment commu*niqués, notamment
par M. Georges-Emmanuel Lang, l'oc-
casion nous a paru propice pour reve-
nir sur son aventure.
l
On sait-que -Rimbaud,, après avoir en-
tièrement rompu avec les milieux litté-
raires où il avait fréquenté dans sa pri-
me jeunesse, erra. longtemps, à travers
le monde. En août 1880, il arriva à Aden,
et- l'Orient éthiopien s'empara de lui. Il
entra comme employé dans la maison
de commerce Mazeran, Viannay et Bar-
dey, aux appointements mensuels de
330 francs, portés'.en 18834" M6- francs,
plus la nourriture et 2 0/Ô sur les bé-
néfices. Cette ^maison ayante oifyer^ un
comptoir à Harar, il y fut envoyé!
« Je suis arrivé dans ce pays •̃ après,
vingt jours' de cheval à travers le désert1
-çoina-H,- écrivait-il à sa famille lr"13 dé-
cembre 1880. Harar est une ville coloni-
sée par les Egyptiens et dépendant, de
leur gouvernement. La garnison^est de
plusieurs milliers d'hommes. Là se trou-
vent notre agence et nos magasins. Les
produits marchands de la contrée sont
le café, l'ivoire, les (parfiiiins, "d'or, etc. »
Ces pays d'où il tirait ce café, cet ivoi-
re, ces parfums, il voulut les connaître.
Par nécessité professionnelle, il devint
explorateur et géographe. Au sud de'
Harar s'étend, dans la direction de l'0-
céan Indien, un pays nommé l'Ogaden,
qui est traverse par le Ouabi Ghebeli. Ce
grand fleuve a en quelque sorte man-
qué sa donnée. 14' se dirige vers l'Océan
Indien, mais avant de l'atteindre, il s'é-
vapore et disparaît. Dépourvu de voie
d'accès côtière, protégé en outre par la
xénophobie de ses habitants, l'Ogaden
resta terre inconnue jusque .dans le der-
nier quart du xixe siècle. 'A Rimbaud
revient le mérite d'avoir apporté les pre-
mières notions sur ce pays:
Lui-môme fit plusieurs expéditions au
sud de Harar, dans le Boubassa, où il
créa des marchés d'ivoire ,et de cuirs.
Il fallait du-- courage pour y pénétrer,1
,car,ies,,4popuIa|iQns de ,ces contréesshaïs-.
sent l'étranger, et vers cette même épo-
q«e,fe Français Lucereau et l'Italien
Sacconi y furent assassinés.
..Rimbaud organisait" aussi ̃ des^voya-
ges pour le compté dé sa maison. « II
dirige toutes nos expéditions dû Coma)
et des pays gallas, écrivait son patron,
Bardey, le 24 novembre 1883. L'initiati-
ve de l'exportation du Ouabi, qui coule
dans le pays d'Ogaden, lui est due. » Le
plus fructueux de ces ypyag.es fut celui
du Grec Gonstantinu Sottiro qui s'avan-
ça, véritable exploit, jusqu'à une distàn-
ce de 140 kilomètres au sud de Harar.
DesJ observations qu'il avait faites, des
notions rapportées par les agents subal-
ternes ou données par les indigènes,
Rimbaud composa une notice sur l'Oga-
den, succintfe ri>âis pleine de. substance,
que Bardey eut la bonne idée d'adres-
ser à la. Société de Géographie de Paris,
laquelle s'empressa de la publier.
Rimbaud réussit auprès des indigè-"
nes. H- se rendit Dromptement maitre de
leurs langues, dont., comme il récrivait
un jour, « il se remplit la mémoire ».
̃̃̃' 'Et puis,, il traitait, les hommes de cou-
leur en hommes et qui méritent des
égards. il réussit à apprivoiser ce.s Ço-
malis de caractère pourtant si ombra-
geux. Il se fit des relations parmi les
chefs de l'Ogaden, et il appelle quelque
part Voughaz des Malingour « notre ami
Aram Hussein ». Les opérations eom-
-merciales auxquelles Rimbaud se .livra
furent assez fructueuses. Il fit des éco-
nomies. En juillet 1884, il. pensait en-
voyer à sa famille « au moins dix mille
francs». Et pendant plus d'une année,
il continua," à ramasser quelques sous ».
Après; une « yiolen le discussion », il
se sépara' de son patron, RàrSey, en oc-
tobre 1885. Il s'associa alors h' un négo-
ciant français, nommé Pierre Labatut,
qui faisait des affaires au Choa. ,)
II
Ménélik. commença sa carrière comme
simple chef de la province la plus mé-
ridionale de l'Abyssinie le Choa. Quand
il mourut, il était empereur d'Ethiopie,
souverain par conséquent de toute l'A-
byssinie et il avait conquis au sud du
Choa urr immense territoire qui confi-
nait à la colonie anglaise de l'Afrique
.(Xriajitale. Or, l'instrument de cette for-
tuné .politique et de ces conquêtes, ce
-fut le fusil. Avoir des fusils, beaucoup
de fùsils avec les munitions nécessaires,
telle était alors, les récits de" tous les
voyageurs concordent sur ce point, la
préoccupation principale de tous les
Abyssins, depuis Ménélik jusqu'au plus
humble de ses sujets. °
Labatut. avait justement reçu de Mé-
nélik; en-i885, :.iuiaeimpoi!tante.<:oomman-
de d'armes. Rimbaud participa à l'affai-
rejjèi-'jl F mit la plus grande partie de
ses économies.
"Pour recevoir les caisses, d'armes et
©#£6'nfsér.Ia caravane qui devait-les'
4r
sur les rivages de la mer Rouge, à Tad-
jourah, localité siluée en face de Dji-
bouti, malsaine et très désagréable. Que
de difficultés il eut à surmonter avec
les indigènes toujours, avec le gouver-
nement français, qui croyait devoir in-
terdire lé transport d'armes au Choà.
Et puis, son associé Labatut tomba ma-
lade, partit pour la France et y mourut.
Rimbaud pensa alors faire le voyage
avec Paul Soleillet, un africaniste d'une
certaine notoriété, qui avait jadis explo-
ré le.Soudan et récemment. passe deux
années en Abyssinie. Mais, à son tour,
Soleillet succomba à Aden. En définiti-
ve;- Rimbaud partit seul en octobre 1886.
11 traversa l'affreux, et dangereux dé-
sert Danakil,. gravit les pentes du mas-
sif abyssin et, le 9 février 1887, il attei-
gnit xAnkober, l'ancienne capitale du
Choa." Il y rencontra Jules Borelli, un
Français qui fit d'importants voya-
ges en Abyssinie, de 1885 à 1888. De
prime abord, Rimbaud donna une im-
pression d'énergie à Borelli, qui écrit
dans son journal
« M. Rimbaud sait l'arabe et parle
rarnharigna et, l'oromo. Il, est infatiga-
blé. Son* aptitude !pour les langues, une
:|rrâ'ndé force de volonté et une patience
a.- foute épreuve le classent parimi les
voyageurs accoimpJi s., »-
.Rimbaud séjourna trois mois en Abys-
sinie. D'Ankober, il se rendit à Entotto,
où Ménélik résidait avant la fondation
d'Addis-Ababa. Il y reçut la lettre 'sui-
vante, que 'nous croyons peu connue
« Envoyé par le roi Ménélik.
» Parvienne à M. Rimbaud.
». Comment te portes-tu ? Moi, par'la
grâce de Dieu, je me porte bien.
nTa lettre m'est parvenue. Je suis
arrivé hier à Fel-Ouha (près d'Entotto).
Cinq jours me suffiront, pour voie les
marchandises. Tu pourras/partir en-
suite.
n Ecrit le 3 myarzya (février ou:ma'rs'
1887). »..
Financièrement, l'expédition échoua
« Mon affaire a très- mal tourné et j'ai
baud. Mais sous un tout autre rapport, il;
•̃réussit- Il redescendit en effet à Harar
par un itinéraire qu'aucun Européen
craint quelgue temps de redescendre
sans un thaler », écrivait plus fard Rim-
n'avait encore suivi. Accompagné de
Borelli, il psrtiid'Entotto le Ier mai 1887
et arriva à Harar le 21, après ,avoir tra-
versé le plateau du Mindjar « pays ma-
gnifique », puis le Carayou, halliers cou-
verts d'arbres épineux, séjour des buf-
fles et des élépha-fits, et finalement sui-
vit la crête du.Tchercher « où la végéta-
tion est incomparablement belle ». U
La découverte de cette voie nouvelle
fut très remarquée dans les milieux géo-
graphiques français et étrangers suc-
cès. auquel assurément Rimbaud ne s'at-
tendait pas. Cette nouvelle route fut dé-
sormais fréquemment suivie, et notam-
ment par la mission du commandant
Marchand, pendant la dernière étape tie
sa célèbre traversée de l'Afrique.
III
Revenu d'Abyssinie, Rimbaud, après
un court séjour au Caire, se fixa définiti-
vement à Harar, non plus comme agent
commercial, mais comme chef de fac-
torerie. Le régime du pays avait changé
depuis qu'il l'avait quitté. Les Egyptiens
l'avaient évacué et tes Abyssins l'occu-
paient « Le gouvernement est le gou-
vernement abyssin du roi Ménélik. c'est-
à-dire un gouvernement négro-chrétien,
mais' somme toute on est en paix et en
sûreté relative. »
Grâce à ,Ja position importante qu'il
s'était faite à Harar, grâce à ses relations
avec le ras Makonnen et à son expérien-
ce, Rimbaud rendit des services aux
Français et aux étrangers qui y passè-
rent en ces années 1888-1890. Il exerçait
largement l'hospitalité. Il .reçut, par
exemple, pendant six semaines le Suisse
Alfred 11g, qui, arrivé en Abyssinie com-
me ingénieur y devint le conseiller et le
ministre d'Etat de Ménélik. De ses rap-
ports avec Rimbaud, llg avait surtout
conservé le souvenir d'un homme ren-
fermé et taciturne, ainsi qu'il nous l'écri-
vait il y a quelques années. Bardey a,
plus tard, rappelé la bonté de Rimbaud
pour les imprudents qui, pleins d'illu-
sions, se lancent dans les pays exotiques
et qui n'y éprouvent que déboires.
Jamais, dans ses lettres, Rimbaud
ne faisait allusion ̃• à son passé, et,
dans cette vie de la brousse pourtant fa-
vorable à l'abandon, il ne se laissait al-
ler à aucune confidence. Que Verlaine
ait ipensé à Rimbaud, le poème Lasti et
errabundi permet de ie supposer
Nous allions, vous en souvient-il,
Voyaçieur où en disparu ?
Filant légers dans l'air subtil,
Deux spectres joyeux on eût cru.
Mais de ses anciennes amitiés, lui,
Rimbaud, pe parlait.jamai.s.•
Qui ne connaît le martyre de ses der-
"riiëfs"hï'6is "? "En février' 1891, "il éprouva
dans le genou des douleurs qui, chaque
jour," devinrent plus vives. Aucun méde-
cin européen n'exerçant à Harar, il réso-
lut d'aller se faire soigner à Aden. Il par-
tit le 8 avril 1891, transporte dans une
civière ,car il était incapable de se. tenir
à cheval. La traversée du désert çomali
dura quinze jours. A Zéila il est hissé à
bord d'un bateau, et il arrive à Aden où
le médecin de l 'hôpital diagnostique
a une tumeur synovite arrivée à un point
très dangereux ».
Rimbaud décide alors de s'embarquer
pour la France. En novembre 1891, il ex-
pire, à l'hôpital de la. Conception de
Marseille.
Or, ce fut vers ces temps-là .que la re-
nommée littéraire d'Arthur Rimbaud
commença de poindre et de s'élever au-
dessus de l'horizon.
Henri Dehérain.
D'UNE FENÊTRE
« ;'».Çellerdu toit delà maison
D'où je puis, entre tes deux hêtres,
Contempler longtemps l'horizon.
Pour' expliquer ma longue pause
Je dis ceci, je dis cela. ̃-•̃
Je mens. La véritable cause
̃̃̃ C'est que vous'habitez par là.
Je vous aime et l'on vous surveille,
Mais les jardiniers importuns
S'ils sont maîtres de la corbeille,
Sont-ils maîtres de ses parfums ?-
les barrières interposées,
Le temps, l'espace et le grand mur,
Empêchent-ils nos deux pensées
̃ 'De se rejoindre par l'azur? '•
C'est en vain que la jalousie
Mous croit l'un e l'autre isolés
Par là naïve minutie
Ces obstacles accumulés;
Car tandis que votre pensée
Prend les nuages pour vaisseaux
1- La mienne'fait la traversée
̃ Sur les ailes des grands oiseaux!
'• Miguel Zamacoïs.
_I_ '̃ SS-S-S^. ̃
LA RELÈVE1^
̃ ̃
-~aa~-
Relève!: talisman magique! Dans la boue
Avoir rampé desjours et des nuits; sur h joue"
Porter le hâle épais des soleils, l'obsédant
Stigmate de la brume; au front sentir lâ'dent
Ou destin s'enfoncer, morsure souveraine;
N'entendre rien ne point parler; penser à peine;
Trembler de lassitude; avoir si peu dormi
Que, même en combattant, l'on sommeille à demi;
Avoir jeûné longtemps, au point que l'on oublie
Son corps, et que le spectre ardent de la folie
Vienne heurter du doigt votre raison; enfin,
Quand la Mort apparaît à vos yeux, et qu'en vain
Vous invoquez l'appui d'un être qui vous aime.
.Voir le salut étinceler; plus de blasphème;
Chanter presque, en humant un souffle de printemps
Etreindre l'avenir comme on fait à vingt ans;
Croire que l'Univers existe pour vous plaire,
Que lés astres pour vous brillent dans l'aube claire
Vivre, mourir, fi donc.' Ressusciter, bien mieux!
Vivre n'était qu'humain or vous êtes des dieux 1
N'avez-vous point créé l'édén de votre rêve ?
0 miracle, qui tient en ces mots la. relève
Alexandre Léty-Cburbière.
fl)' Extrait de Souvenez-vous A paraître aux
Editions Alhéna.
Choses et Gens de Lettres
~jH'
V ii DEUX CENTENAIRES
Mon ami, M. Albert Thibaudet, chez
qui le critique remarquable se double de-
l'homme le plus spirituel, me signale
deux centenaires qu'il ne faudra pas ou-
blier en 1923 ceux des deux Manuel.
Le premier, J. A. Manuel, c'est
l'orateur parlementaire. Idole de tous
les libéraux de la Restauration, qui lui
firent de splendides funérailles, son cen-
tenaire fournira la plus belle 'matière à
nos discouréurs officiels. Qu'ils pren-
nent garde, cependant, de ne pas trop
forcer le libéralisme de Manuel, moins
profond, il me semble, que ne le veut la,
légende. Ayant débuté dans la, vie poli-
tique comme créature et homme de
paille de Fouché, on voit Manuel, du-
rant les Cent-Jours, se débattre tel
un diable pour faire reconnaître
Napoléon II. Ensuite, Fouché devenu
ministre de Louis XVIII, Manuel lui
continue sa collaboration, se fait même
proposer par lui comme conseiller
d'Etat et il ne prendra ouvertement
posture de libéral qu'après la disgrâce
de son patron, entrainant, la sienne.
N'exagérons donc pas le républicanis-
me de cet habile politicien, car, après-
tout, ce ne fut peut-être qu'un de ces dé-
mocrates « à la noix », comme il
en pullule dans nos Parlements et que
.n'Importe quel régime peut avoir pour
un morceau de maroquin.
Le second, c'est. Eugène Manuel, éti-
queté jusqu'ici comme poète. Mais a
l'éclatante résurrection que lui accorda
1922, je me demande ce qu'ajoutera lai
célébration de son centenaire. Tout au
plus pourrait-on organiser une petite
cérémonie de vulgarisation devant son
buste qui, comme vous savez, afflige la
cour intérieure de l'infortuné lycée Jan-
son-de-Sailly. On y réciterait quelques
morceaux de ses meilleurs recueils,
quelques scènes de ses meilleures piè-
ces. Et le public apprendrait ainsi à la
fois ce que valaient et le poète des Ou-
vriers et tant d'illustres critiques qui le
saluèrent si bas.
Fernand Vandérem.
« Âmori et dderi sacrum »
par JEAN GAUMENT et CAMILLE CÉ
1 A travers sa carrière ingrate de pro-
fesseur pauvre, M. Decharme avait
traîné ce rêve trop beau pour ne pas de-
venir .une.; souffrance voir. au,. moins
une des sept merveilles d'Italie, du mon-
de Rome, Florence, Venise. Le songe
un peu fade de Mignon' ne chantait pas
en lui, et ce n'était point d'orangers, de
citronniers chargés d'or, que ce rêve
était fait. C'était un désir de beauté qui'
le brûlait, à force d'avoir couvé sous
les cendres de ses grises années provin-'
ciales. Chaque fois qu'il allait se réali-
ser, une fatalité arrachait l'espoir bru-
talement une lourde note ù payer, un
enfant malade.
A cinquante-sept ans, enfin, il fai-
sait son voyage de noces amertume
sans elle qui venait de mourir. Il était
libre maintenant puisque le vide s'é-
tait fait dans sa vie, sa femme morte, sa
aile mariée, au loin, ses fils dispersés
par les hasards.
1 Il était parti avec de minces écono-
mies cinq cents francs un voyage de
huit jours en simplifiant les repas, en
allant, comme le pèlerin passionné, vè-
.tu de pauvreté et de ferveur. Et. il. se
.lu.de pauvreté et de ferveur. Et.il, se
rappelait, avec un sourire triste une'
Course folle de sa jeunesse d'étudiant à
Lille avec un camarade, en trois
jours il avait parcouru les musées, de
Belgique, déjeunant d'une pomme sur
un banc devant les canaux morts, au'
tintement lent des béguinages, au mi-
lieu du vol des" feuilles mortes. Ils s'é-,
taient surtout nourris de peinture dans
cette ruée de Bruges à Gand, de Gand.
à Anvers, dans un désir fou de tout
voir, de tout étreindre dans un regafdv
A son âge, M. Decharme ne re-
commencerait point cette folie, cette in- 1-
suite à la beauté qui veut la contempla-
tion pensive. Il visiterait l'unique Ve-
nise puisqu'elle est irisée, inépuisable-
et que dés ombres de douleur 'et d'a-
mour y ont sanctifié les marbres et les
eaux. Seul dans 'ses souvenirs, ses
longs regrets qui gardaient dans leurs
plis un reste de mélancolie romanti-
que, il erra des belles agonies du Rio*
délie Erbe aux splendeurs roses dit
Palais -ftucal, dés Carpaccio .candides de'
l'Académie aux troublants Tintoret dô
San Rocco, dé l'humble San Giorgio
gli Schiûvoni à ce grand coquillage d'è
nacré pôsé sur la ce, grand cOqmllag, eQ.
nacre posé sur la mer qu'est Maria demi
Salute. Il allait, lisant une page, se ré-
citant une 'phrase de Barrès, de d'AfiJ-
nunzio ou de Ruskin, .parmi ces pierres
de Venise imprégnées de tous les rê-
ves, de toutes les voluptés, de tputeè
les larmes de générations d'amants ou
d'artistes.
Le dernier matin, après avoir rôdé au
fond du Ghetto, il avait pris une gon-
dole pour laisge-r sa rêverie descendre
une dernière fois au fil de l'eau, dajis
cette avenue souveraine d,u Çanfflte
Grande. Il regardait défiler avec je é
lancolie des choses trop bell'es qui p*à\
sent et qu'on ne reverra plus, les déii-
cates colonnettes de la Cà d'Oro ou (Jti
palais Foscari il se retour n ait pour ils
suivre longtemps ou les regarder venir
devant le fer de proue. Ses yeux topfc-
bèrent un instant sur l'homme -qui, d'è*
bout, ceinture rouge aux flancs, maniait
l'aviron, .et son regard qui détaillait le
costume remonta vers le visage et se
fixa sur lui. A la différence des autres,
il était roux, à peine hâlé, avec des
yeux bleus à fleur de tête, inquiets sous
le rectangle d'un front large. Et. Dechar»
medul:se rappeler une physionomie.
mais laquelle, mais où, dans la brume
du souvenir ? Il murmura, pour attirer
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