Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche
Éditeur : Le Figaro (Paris)
Date d'édition : 1887-12-24
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 24 décembre 1887 24 décembre 1887
Description : 1887/12/24 (Numéro 52). 1887/12/24 (Numéro 52).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k272421x
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
!3e Année Numéro 52
Ce Supplément ne doit pas être vendu à part
Samedi 2i Décembre 1887
RÉDACTION DU SUPPLÉMENT
A. PÉEÛ^IER
SECRÉTAIRE
AUGUSTE MARCADB
Paris 26, rue Drouot Parla
Piix da Supplément aTec le Numéro;
20 CENTIMES A PABIS 25 CENTIMES HORS PÀttltf
Abonneissnt spécial du SïïFPLÉHENT LITTEHAIHB
Numéro ordinaire compris
,12 FH. PAR AN
SXJFFIL,Ê33^CEISrT nLtfTTiÉJIR-AJilCE
Si DÉCEMBRE 1837 31 DÉCEMBRE 1887
LE JUBILE
DE
LEON XIII
SOMMA-IRE
La famille fecct CARPINETO. LES
Ancêtres. L'acte DE naissance. LE
PALAIS PECCI A CARPINETO. LA MÈRE
DU PAPE.
Années de Jeunesse Au COLLÈGE DES
Jésuites. ETUDES théologiques.
PENDANT LE CHOLÉRA DE 1837.
Débuts dans la Carrière eccléiltas-
ttque LA première messe. Me* PECCI
DÉLÉGUÉ A BÉNÉVENT. A PÉROUSE.
Carrière diplomatique S La. NONCIA-
TURE DE BRUXELLES. A. Londres ET A
Paris. Première entrevue avec. tE
CARDINAL MASTAÏ (PlE Wj.
Années d'épiecopat A L'ARCHEVÊCHÉ
DE Pérouse. L'archevêque de PÉROUSE
ET LES généraux. italiens. le CARDI-
Kal PECCI APPELÉ. DEVANT LES tribunaux.
IL EST NOMMÉ CAMERLINGUE.
Le Conclave.
La politique de Mon »U LA Paix,
AVEC LES gouvernements. RAPPORTS
AVEC LA FRANCE.
La Vie Intime au Vattcam LA JOUR-
NÉE DU PAPE. Léon XIII DANS L'INTI-
mité. L'Appartement PONTIFICAL.
LES TRAVAUX DU Souverain-Pontife.
LA SANTÉ DU Pape. Léon XIII POÈTE.
La FORTUNE DE Léon XIII.
Le Jubilé et l'Exposition au Vatican.
LA FAMILLE PECCI
CARPINETO
Léon XIII étant névà-Cârpineto, j'ai
voulu, en biographe consciencieux, aller
avant tout visiter cette localité. Quand
je fis part de mon projet à un neveu de
Sa Sainteté avec lequel je suis lié, il me
regarda d'un air étonné, en me disant
Vous aurez ce courage?.
Cette question à brûle-pourpoint m'eût
peut-être donné à réfléchir, dans d'au-
tres circonstances mais mon plan était
bien arrêté. Depuis, cependant, au cours
du voyagé accidenté que je viens de faire,
j'avoue que ces paroles me sont revenues
plus-d'une fois à la mémoire et que j'ai
pu en apprécier la portée.
Il faut, en effet, du courage pour arri-
ver jusqu'à ce nid d'aigle où naquit le
successeur de Pie IX I
Carpineto est une petite ville d'environ
cinq mille habitants, bâtie sur la crête
d'une montagne faisant partie de la
chaîne des monts Lepini, dans l'ancien
pays des Volsques. Le sommet sur le-
quel est perché Carpineto est entouré de
montagnes encore plus élevées et que
recouvre, chaque hiver, un blanc man-
teau de neiges.
Le voyageur pour Carpineto descend
du chemin de fer à Segni, sur la ligne de
Naples'; il lui faut ensuite, pour arriver
à destination, cinq heures de diligence.
par une route affreuse.
Passe encore si le malheureux excur-
sionniste en était quitte pour être horri-
blement cahoté, avec la perspective de
verser en maintendroitdangereux; mais
il risque aussi d'être, arrêté par les bri-
gands.
C'est ce que j'appris en demandant
pourquoi notre patache avait l'honneur
d'être escortée par des carabiniers. ̃
Très surveillée, d'ailleurs, cette route
si pittoresque; ce qui n'empêche que des
peintres, envoyés à Carpineto par
Léon XIII pour décorer une église,
ayant voulu revenir sans escorte, dans
une petite voiture; furent attaqués par
six individus masqués et armés de fu-
sils. L'aventure m'a été contée par notre
conducteur, que les brigands invitèrent
lui-même à descendre, après quoi il dut
se coucher dans la poussière, la tête pla-
cée devant une roue de sa voiture, pour
lui ôter toute idée de résistance.
Ceci se passait il y a deux ans, et, cha-
que fois qu'il arrive à cet endroit de la
route, le malheureux automédon fait le
signe de la croix et récite une prière.
Je dois ajouter que ces bandits -ne se
recrutent pas parmi les habitants de
Carpineto, les plus honnêtes gens du
monde, mais bien dans les villages
environnants, repaires de voleurs et
d'assassins. Artena, par exemple, est la
ville d'Italie qui, relativement à sa po-
pulation, fournit le plus nombreux con-
tingent de condamnés pour crime di-
gression à main armée. Ce sont ces
gens-là qui rendraient un voyage dans
les monts Lepini très dangereux, sans
l'escorte des carabiniers.
Mais puisque nous. avons le bonheur
d'en posséder une, continuons ensem-
ble notre route vers le pays où naquit
le 263e successeur de saint Pierre.
Elle va toujours en montant, cette
route accidentée qui serpente à travers
les montagnes et semble avoir pris pour
devise ExoelsiorX Mais en vain le re-
gard curieux interroge l'espace pour y
découvrir Carpineto. Cachée par une
colline dont il faut contourner les
flancs, la petite ville désormais histori-
que n'apparaît qu'à la fin du voyage,
quand on est arrivé. On est alors dédom-
xnagé de ses fatigues, car elle est vrai-
ment pittoresque, avec ce couronnement
de.montagnes que recouvrent de belles
forêts de châtaigniers. Une petite décep-
tion, seulement "c'est de ne plus ren-
contrer là aucun spécimen de cette es-
pèce de cyprès, carpinus, d'où lui vient
son nom de Carpineto.
L'air qu'on y respire est sain et forti-
fiant. Le type des habitants est assez
beau, surtout celui des femmes, bien
qu'elles se livrent à un travail obstiné.
1 Le pays est pauvre; il ne compte guère
que des bergers. Les femmes partent de
grand. matin et vont jusqu'à vingt kilo-
mètres de distance, à, travers les monts,
pour ramasser un peu de bois. Quand on
les emploie aux travaux des champs,
elles sont payées à raison de quarante ou
cinquante centimes par jour.
Carpineto fut autrefois une ville des
Volsques, détruite, comme tant d'autres,
par les Romains. Au moyen âge, ses sei-
gneurs furent les Caetani, les Conti et
autres familles puissantes. C'était alors
un duché, qui passa plus tard aux Aldo-
brandini. Mais, depuis deux siècles, la
famille la plus importante est celle des
Pecci, qui possède un palais et environ
la moitié de la propriété générale, en-
tre autres une belle maison de campa-
gne qu'on aperçoit à gauche de la
route, un peu avant d'arriver à Carpi-
neto, au milieu d'un site verdoyant, en-
tourée de châtaigniers centenaires.
La moderne école de philosophie amis
à la mode la « théorie des milieux ».
Leur influence me paraît recevoir ici une
éclatante confirmation. Léon XIII, dont
on connaît la piété profonde et l'ardente
foi religieuse, est né et a grandi dans un
pays qui s'est fait de tout temps remar-
quer par la sincère dévotion de ses habi-
tants.
Deux faits, entre mille, pour le prou-
ver •̃̃••' ̃̃••̃ ̃ • -̃ ̃• ̃ ̃̃ ̃̃•"̃̃
11 y a environ trois cents ans, une
épidémie fit d'effroyables ravages dans
la population. Sur l'avis du bienheureux
Carlo daSezze,on fit un vœu àlamadone
de l'église de Sainte-Marie-'ïiu-Peuple à
Carpineto. On promit que, dans chaque
famille, il y aurait au moins un membre
qui jeûnerait un jour'de l'année. Puis,
on fit une procession solennelle, et la
tradition rapporte que le miracle s'opéra.
L'épidémie disparut aussitôt.
Notez qu'il y a trois siècles de cela, et
pourtant ce vœu a toujours été pieuse-
ment respecté; tous les ans, on observe
un jour de jeûne dans chaque famille,
sans en-excepter celle des Pecci.
Autre fait. Chaque année, à l'époque
de la moisson, on voit une troupe de
paysans s'arrêter, le soir, devant une
église, en criant Viva Marta Viva la
Madonna! Ils s'avancent ensuite vers
l'autel dé la Vierge, où' chacun dépose
une gerbe de blé surmontée. d'une croix.
Le produit de la vente de ces gerbes est
affecté au service du culte et à l'entretien
de l'église.
LES ANCÊTRES
J'ai dit que la famille Pecci était, de-
puis deux siècles, la plus importante du
pays.
Cette famille vénérable entre toutes
est originaire de Sienne. Les renseigne-
ments que je vais donner sur elle, j'ai
eu la bonnêTortune de les pouvoir tirer
d'un manuscrit, relié en maroquin, et
écrit en 1832. par le futur successeur
de Pierre lui-même Bien qu'il n'eût
alors que vingt-deux ans, il a composé
ce mémoire dans une langue remarqua-
ble par l'élégance, la clarté et la pureté
du style.
Dans ce manuscrit, Léon XIII déclare
qu'il ignore ce qui a trait à sa famille
avant 1300.
Le premier Pecci dont on ait retrouvé
les traces avait pour prénom Benve-
nuto, sous lequel iLfut inscrit à l'ordre
des Chevaliers de Malte. Il était né
en 1340.
Au commencement du seizième siècle,
on trouve un autre Pecci (Pietro) en Es-
pagne, où son père avait émigré. Il fut
proclamé bienheureux.
Il y eut aussi une bienheureuse Mar-
guerite Pecci, dont la famille possède un
portrait.
Je poursuis la lecture du manuscrit,
qu'accompagnent les pièces justifica-
tives.
Un Pecci (Bartolomeo) fut envoyé vers
le pape Eugène IV pour demander et
soutenir la canonisation de saint Ber-
nardino de Sienne. Il reçut l'accueil le
plus flatteur, fut créé chevalier, et re-
tourna à Sienne après avoir réussi dans
sa mission.
On trouve un P. Pecci, de la Compa-
gnie de Jésus, qui s'employa pendant
plusieurs années, avec zèle, à la conver-
sion des infidèles dans les Indes, et
mourut avec l'auréole du martyre.
Lorsque, pendant les tristes événe-
ments qui précédèrent le règne de
Cosme Ier, Sienne était en proie aux agi-
tations des partis, une des branches de
la famille Pecci qui était favorable aux
Médicis dut émigrer dans les Etats Pon-
tificaux, sous Clément VII (1523-34), et
alla s'établir à Carpineto.
Le chef de la famille était alors Anto-
nio Pecci. Un de ses fils fut nommé, par
Clément VII, gouverneur de Foligno.
Pendant trois siècles, la famille Pecci
tint un rang distingué à Carpineto, four-
nissant tour à tour, à Rome et aux pays
voisins, des hommes remarquables par
leur intelligence et leur savoir.
Je cite, en passant Ferdinando Pecci,
célèbre jurisconsulte, que Benoît XIV
estimait tout particulièrement; Giam-
battista Pecci, qui fut vicaire-général
d'Anagni, d'où il allait passer à l'évêché
de Segni quand la mort vint le surpren-
dre Carlo Pecci, né en 1733, qui
épousa une demoiselle noble Jacoacci,
et fut, comme son père, colonel des mi-
lices féodales.
• Giuseppe Pecci, un dés fils de
Carlo, 'entré dans les ordres, jouissait
de l'entière confiance de Pie VI. Pendant
l'invasion française, il fut chargé de
mettre à l'abri le trésor de Lorette. Pour
le récompenser des services qu'il rendit
à cette occasion, le Pape le nomma coin-
missaire-général de la Reverenda Ca-
mera Ayostoiica,
L'ACTE DE NAISSANCE
Au commencement de ce siècle* le
chef de la famille Pecfci était Domenico
LudovieO, qui, 'suivant -Fexemple
de quelques-uns de ses ancêtres, -em-
brassa la carrière des armes, Il fut colo-
nel sous Napoléon I". On conserve un
beau portrait de lui, à Carpineto.
C'est ce colonel de Napoléon qui est
le père de Léon XIII.
Sur un registre où sont notés, depuis
fort longtemps, les événements les plus
importants relatifs à la famille Pecci,
j'ai lu* à la date du 27 novembre 1791:
« Ce jour, M. Ludovico Pecci a épousé
Mlle Anna-Francesca Prosperi de Cori.
La nouvelle mariée fut amenée à Carpi-
neto en calèche, par Mme Marianna
Prosperi, sa mère, par le comte de Ca-
taldi et plusieurs notables du pays. Les
fêtes de ce mariage durèrent quinze
jours de suite. »
De cette union naquirent sept en-
fants
1. Carlo Ludovico, né" le 23 novem-
bre 1793; "̃
2. Anna-Giovanna-Francesca, née
le 23 mai 1798;
3. Caterina-Maria-Flaminià, 3 no-
vembre 1800
i. Jean-Baptiste, 27 octobre 1802;
5. Joseph 13 décembre 1807 (le car-
dinal actuel);
6. Vincent-Joachim 2 mars 1810
(Léon XIII);
7. Ferdinand, 6 janvier 1816.
Voici comment le registre de la famille
annonce la naissance de celui qui était
appelé à de si hautes destinées
« 2 mars 1810. Vers les vingt-trois
heures et demie "(c'est-à-dire quatre heu-
res et demie) est venu au monde un en-
fant du sexe masculin, auquel ont été
donnés les prénoms dé Vincent-Joachim-
Raphaël-Louis. Il a été tenu sur les fonts
baptismaux par Mgr Joachim Tosi, évê-
que d'Anàgni, qui, ne pouvant venir per-
sonnellement, envoya àsa place lecharioi-
ne don Giacinto Gaporossi.La marraine fut
Mme Candida Caldarossi. La cérémonie
a étécélébrée dans la chapelle de la mai-
son, par le chanoine Cattoni. »
Le prénom de Vincenzo fut donné à
rénfàntsuK là demande de sa mère, qui
avait une grande vénération pour le cé-
lèbre missionnaire dominicain saint
Vincent-Ferrieri, évêque de Valence.
Tant que sa mère vécut, celui quidevait!
être Pape ne porta que ce nom de Vin-,
cenzo; il prit ensuite, pour ne plus le
quitter, celui de Gioacchino.
Le plus jeune des frères de Léon XIII,
Ferdinando, mourut en bas-âge. Les
deux sœurs épousèrent des nobles des
environs de Carpineto.
L'aîné, Carlo, fut nommé chevalier par
Pie IX; plus tard, Léon XIII le-fit comte
avec extension de ce titre à tous les mem-
bres de la famille. Il est mort en 1878,
à l'âge de quatre-vingt-quatre ans.
Le quatrième fils, Jean-Baptiste, s'oc-
cupa surtout de l'administration, des
biens de la famille. Il épousa Mlle An-
gela Salina, et mourut en 1883, âgé de
quatre-vingt-un ans. Les neveux actuels
du Pape, dont il a été si souvent parlé
dans ces derniers temps, sont les fils de
Jean-Baptiste,
Quant au cardinal Pecci, iL est main-
tenant octogénaire.
Vous voyez qu'on arrive à. un âge très
avancé, dans la famille de Léon XIII.
LE PALAIS PECCI X CABPIHETO
Lorsqu'on arrive au pied de la monta-
gne sur laquelle est bâti Carpineto, on
voit, de la diligence, toute la ville éche-
lonnée sur la crête, et le regard est solli-
cité par une maison beaucoup plus
grande que les autres, de belle appa-
rence et nouvellement restaurée. C'est le
palais Pecci, -le seul palais du pays.
Le comte Pecci, à qui j'étais recom-
mandé, aurait voulu que ma voiture ar-
rivât jusque devant son palais; mais les
rues avoisinantes sont trop étroites. Je
dus descendre et cheminer pédestre-
ment, en faisant bien attention où je
mettais le pied, parce qu'on court vingt
fois le risque de se rompre le cou durant
ce petit trajet. Le pavé est formé de
quartiers de roche extrêmement glis-
sants..
Depuis que Léon XIII est monté sur le
trône pontifical, d'importants travaux de
restauration ont été faits au palais
Pecci et l'ont rendu confortable, presque
luxueux.
Après avoir gravi les marches d'un es-
calier, assez large, on en prend un autre,
plus étroit et plus raide, qui con-
duit aux appartements du premier
étage.
En entrant, on est tout étonné de voir,
dans un immeuble situé au milieu
de tant de petites masures, un intérieur
aussi beau, avec vastes antichambres et
salons grandioses. Le premier de ces sa-
lons, à tapisserie rouge, est orné des
portraits de la famille celui du Pape est
très ressemblant, et celui du cardinal
l'est. suffisamment, ce qui est déjà un'
tour de force de la part de l'artiste, le
frère de Léon XIII n'ayant jamais con-
senti à poser, pas plus devant la palette
d'un peintre que devant' l'ôbjectif d'un
photographe. C'est ce qu'on m'a appris,
à Carpineto, quand j'ai demandé pour-
quoi le cardinal ne figurait pas dans un
groupe photographique représentant
toute la famille, et qui a été fait, à Rome,
à l'occasion du Jubilé sacerdotal de
Pie IX..
Parmi les portraits de famille qui or-
nent le salon rouge du palais Pecci à
Carpineto, j'ai aussi remarqué celui de
la mère du Pape, une très belle per-
sonne, et celui de son-mari, en cos-
tume de colonel.
Toujours dans le salon rouge, et au
milieu de la pièce, une grande cloche
abritant -d'admirables oiseaux rempaillés,
aux'vives couleurs. C'est un présent des
catholiques australiens.
:Dç, ce salon, on-passe dans un autre
encore plus vaste et sur lequel s'ouvre la
chambre qu'occupait le Pape pendant
son séjour à Carpineto. On l'appelait
Camera di î»ônsignore; quand le Saint-
Père était simple prélat, et ce nom lui
est resté. > • •
La dernière fois'que Léon XIII y vint,
ce fut en i857; il était déjà cardinal.
Cette chambre est bien modeste un pe-
tit lit-de fer avec rideau; une toute pe-
tite table servant de bureau, près d'une
fenêtre de laquelle le Pape, qui a tou-
jours été très: matinal; assistait au le-
ver du soleil; une Madone; un tableau
représentant ta bienheureuse Margue-
rite Pecci; un portrait du Pape quand il
n'était encore que prélat.
Au-dessous de ce portrait est enca-
drée une lettre qui offre un grand inté-
rêt la' première que Léon XIII écrivit
après son élévation au trône pontifical.
Adressée par le nouveau. Pape à sa fa-
mille, cette lettre est ainsi conçue:
Du Vatican, 20. février 1878.
Mes très chers frères,
Je vous annonce que, dans le scrutin de
ce matin,. le Sacre-Collège a voulu élever
mon humblé personne à la chaire de Saint-
Pierre.. Ma première lettre est .celle-ci que
j'adresse ma famille, pour laquelle j'im-
plore toute sorte dé bonheurs et à laquelle
j'envoie, avec affection, la bénédiction apos
tolique. Priez beaucoup le Seigneur pour
moi.
LEO, PP. XIII.
N'est-ce pas que cette lettre est belle
et touchante, en sa cordiale simplicité ? 2
La chambre dans laquelle est né le
Pape vit naître également ses frères et
ses sœurs et tous ses neveux.
Nous sommes tous nés dans cette
chambre I me disait le comte Ludovico,
qui m'a fait un accueil si sympathique.
Toute remplie de souvenirs, cette
chambre est on ne peut plus simple; les
murs sont nus; il -n'y a que deux ins-
criptions latines rappelant la naissance
.du Pape et celle du cardinal. Un seul
meuble: une grande armoire dans la-
quelle le comte Ludovico garde précieu-
sement quelques documents relatifs à la
famille, ainsi que des lettres du cardi-
nal et du Pape.
Les lettres de Léon XIII à sa famille
sont très nombreuses, plus d'un mil-
lier il m'a "été permis d'en lire "quel-
ques-unes, et j'ai pu constater avec quel
respect il parle à ses parents, dans
quels termes affectueux il s'adresse à ses
frères I
Sur une table ronde qui est au milieu
de la pièce que je décris, se. trouve un
album de photographies, offert au Saint-
Père par la Communauté des Sœurs de
Saint-Aignan-Orléans.
Ces bonnes soeurs ne se doutent pro-
bablement pas que les vues de leur « Com-
munauté» constituent l'ornement de la
chambre dans laquelle est né Léon XIII.
LA HÈRE DU PAPE
Sur le registre de famille dont j'ai
parlé plus haut, la mort de la mère de
Sa Sainteté est annoncée par ces lignes
que Léon XIII a tracées de ses propres
mains.
« Addi, 5 agosto 1824, circa le ore 4 14
passe in Roma agit ultimi riposi la si-
gnora Anna, nioglie di Ludovico, dell'et à
di anni 51 e mesi 8, e fù tumulata nella.
chiesa parrochiale di San Venanlio dei
Catnerinesi poscia, sotto il giorno s gen-
naiq. 1825, fuir asportato il cadavére nella
chiesa délia Stimmate, ed ivi, con apposito
scavo, tumulata di fianco a Mgr Giuseppe e
e Rçsa Pecci, \ii carnali, dov_e al pari di
los analoga iscri\ione lapidaria, composta
dal stto figlio Giuseppe Pecci, ora a gesuita,
ne éterno i rari pregi e l'esimie virtù. »
Cette mère regrettée ins pira à Léon XIII,
comme aussi à tous ses autres enfants,
une affection extrême. L'attachement
filial s'alliait, chez eux, à la vénération
que leur commandait sa grande intelli-
gence et son absolu dévouement. Elle
aidait son mari dans l'administration de
ses biens et montait même à cheval pour
aller visiter ses propriétés.
Pour montrer combien elle était
énergique, laborieuse et dévouée, on m'a
contéuneanecdotecaractéristique. Ayant
mis ses fils Peppino et Vincenzino (c'est
ainsi qu'on appelait le cardinal et le
Pape. de l'avenir) dans un collège de
jésuites, à Viterbe, elle s'ingénia pour
que la dépense de l'éducation ne fût pas
à charge à la famille. Dans ce but, elle
éleva des vers à soie, et le produit
qu'elle en retira servit à payer la pen-
sion de ses deux fils 1 Je laisse à penser
quelle patience, quelle intelligence et
que|.eourage il lui fallait pour élever
;ainsir pendant quarante jours, ces vers
à soie,, dans un pays où cette industrie
était absolument inconnue.
La., mère de Léon XIII était la provi-
deneedes pauvres elle faisait distribuer
chaque jour du pain et du maïs aux plus
nécessiteux. Tous ceux qui l'ont connue,
et; d'ailleurs, son portrait en fait foi,
-disent que c'était une belle personne,
au port majestueux. A ce propos, on m'a
cité, à Carpincto, un trait prouvant
à quel point elle savait inspirer le
respect.
Un bande de brigands se trouvait, un
jour, sur la route qui mène à Carpineto.
La mère du Pape vint à passer, seule, au
retour d'une visite qu'elle venait de faire
à une pauvre famille des environs. Au
lieu de l'arrêter, les bandits lui livrè-
rent passage et se découvrirent respec-
tueusement devant elle.
La mère de Léon XIII Continua sa mar-
che, fière et droite mais, à peine arri-
véedevant sa maison, elle tomba évar
nouie.
/ANNÉES DE JEUNESSE
s ̃-̃̃. ̃̃-
I~ AU COLLÈGE DES JÉSUITES
J'ai eu la curiosité d'aller visiter la
maison d'élégante apparence qui appar-
tient à la famillejPecci et qu'on remar-
que, à gauche de la route,- sur une
petite colline, au milieu d'une grande
quantité de hauts châtaigniers,– quand
onarrive en vue de Carpineto.
On l'appelle le « Casino ». C'est là que,
dans sa jeunesse, le futur Pape venait
étudier ses auteurs latins. Le gardien
m'a montré le chêne favori de Léon XIII.
Que de fois, disait un jour Léon XIII
à son neveu le comte Ludovico Pecci,
que de fois ne suis-je pas allé lire le De
Officiis à l'ombre de ce grand chêne 1
Mais n'anticipons pas. Celui qui de-
vait,être élevé au souverain pontificat
apprit à lire de sa mère,- ainsi que son
frère plus âgé que lui de deux ans. Puis,
comme il n'y avait pas d'école assez
bonne à Carpineto,,on envoya les deux
enfants à Rome, où ils passèrent une an-
née auprès d'unde leurs oncles, avant
d'entrer dans une pension tenue par les
Jésuites, à Viterbe.
Gioacchino Pecciy resta six ans,c'est-
à-dire qu'il y fit ses classes jusqu'en
troisième. Il avait pour directeur le P.
Ubaldini, qui-, dans ses lettres à la fa-
mille, montre qu'il eut le pressentiment
des hautes destinées réservées à son stu-
dieux et intelligent élève. Mais ce qui
est encore plus caractéristique, c'est le
désir d'arriver, la noble ambition que
sentait déjà naître en lui l'enfant si heu-
reusement doué. Je n'en veux pourpreuve
que ce quatrain composé par lui'à l'âge
de douze ans, quand il était encore à
Viterbe.
Ce quatrain fut écrit en l'honneur du
P. Vincenzo Pâvani, provincial de l'Or-
dre, venu pour inspecter le collège
Nornine Vincenti, quo tu, Pavane vocaris
Paruulus atque infans Peccius ipse vocor.
Quas es virtutes magnas, Pavane, secutus,
O utinam possem Peccius ipse sequi 1
C'est également à cette époque qu'un
parent de la famille Pecci, Mgr Carmine
Lolli, étant allé voir les deux enfants
à Viterbe, et ayant interrogé sur leur
compte leP. Ubaldini,- écrività Carpi-
neto « Si Dieu leur prête vie, et s'ils
continuent à bien se conduire, ils feront
l'honneur et la gloire d'eux-mêmes, de
leur famille et de leur.pays. »
Une autre lettre du P. Ubaldini.ditque
Vincenzinb est « un petit ange' », mais
que Giuseppe est « un malin ». Si Vin-
cenzino remportait tous les prix de sa
classe, Giuseppe était toujours premier
dans la .sienne. Et: il. en fut de même à
Rome, où vinrent les deux brillants éco-
liers en quittant Viterbe.
Chose digne de remarque dans toutes
leurs lettres, pieusement conservées
par la famille, perce la même ardente
volonté dé bien faire, de se distinguer,
et cela moins encore pour eux-mêmes
que pour leurs chers parents.
On était arrivé à l'an 1824. Le pape
Léon XII, ayant succédé à Pie VII,
rouvrit le fameux Collège romain, et en
confia la direction aux Jésuites. 1,400 élè-
ves se firent inscrire dès la première an-
née, et parmi eux les deux frères Pecci.
Gioacchino y fit sa rhétorique et trois
années de. philosophie, sous la direction
de professeurs célèbres. A la fin de sa
rhétorique, ayant été chargé de pronon-
cer un discours latin devant ses profes-
seurs et ses condisciples, il choisit har-
diment pour sujet Rome chrétienne et
Rome païenne, faisant ainsi allusion au
triomphe de la papauté, qui' était retour-
née à Rome en la. personne de Pie VII.
En fouillant dans les archives du Col-
lège romain, j'ai retrouvé les palmarès
de cette époque. J'y ai vu qu'en 1828, par
exemple, Gioacchino Pecci eut pour
ainsi dire tous les premiers.prix de sa
classe, entre autres celui de poésie
latine.
Détail curieux: pendant le laps de
temps, relativement assez court, accordé
aux élèves pour ce concours, le jeune
Gioacchino ne composa pas moins de
120 hexamètres t
Le cours de philosophie achevé, il fut
appelé à prendre part à la disputa publi-
que qui avait lieu, chaque année, en
l'église de Saint-Ignace. Il se mit à l'œu-
vre avec une telle ardeur que sa santé,
déjà délicate, ne put résister à cet excès
de travail; il tomba malade si gravement
qu'il resta longtemps suspendu entre la
vie et la mort. Le jeune et érudit philo-
sophe fut donc empêché de prendre part
à la disputa mais le préfet des études
du Collège romain insista pour lui déli-
vrer un certificat dans lequel il déclarait
que, si la maladie ne l'avait empêché de
se mesurer avec ses rivaux dans cette
joute philosophique, il y aurait obtenu
les plus grands succès.
C'est probablement de cette époque
que date le plaisir de Léon XIII d'assis.-
ter à ces disputes. Quand il était arche-
véque de Pérouse, il se plaisait,– comme
aujourd'hui encore, à organiser de
ces tournois de philosophie qui rappel-
lent un peu les célèbres « disputes » du
moyen âge.
Au temps dont je viens de parler.
Gioacchino Pecci ne portait pas encore la
soutane il demeurait chez son oncle
Antonio, au palais Muti, tout près du
Capitole.
L'année 1825, où il .fit sa rhétorique
au Collège romain, fut une année de
Jubilé. Le dernier avait eu lieu en 1800,
après la mort de Pie VI en exil. Le Ju-
bilé de 1825, proclamé par Léon XII, fut
un des plus beaux dont i'histoire ecclé-
siastique nous ait gardé le souvenir. Au
sortir des troubles et des convulsions
que l'Europe venait de traverser, les pè-
lerins accoururent en foule à Rome. On
se pressait en masse sur les pas du Sou-
verain-Pontife entrant dans les églises,
souvent pieds nus 1
L'âme du jeune Pecci se sentit profon-
dément remuée par cette grande ferveur
des multitudes et cet exemple d'humilité
chrétienne donné par Léon -XÏf, pour le-
quel il professait la plus grande ye'iîérâ-"
tion, la plus sincère admiration. Ces sen-
timents ne se démentirent jamais en lui-
aussi, en 1878, après la mort de Pie IX,
lorsque, le Sacré-Collège ayant, par 44
voix, nommé pape le cardinal Pecci,
le sous-doyen lui demanda quel nom il
avait l'intention de prendre, le nouvel
élu répondit:
Celui de Léon XIII, à cause de la
gratitude et'de la déférence que j'ai tou-
jours. eu^$ envers Léon XII. -̃
Uri jour, pendant ce jubilé de 1825, les
étudiants du Collège romain, après avoir
visite la basilique de Saint-Pierre, fu-
rent admis à entrer au Vatican. Ils péné-
trèrent dans la cour du Belvédère et im-
plorèrent la bénédiction du Pape. Léon
XII parut à la loggia centrale et les bé-
nit. Gioacchino Pecci, bien que très
jeune encore, fut choisi pour conduire la
députation qui devait monter remercier
le Pape. De plus, il eut l'honneur d'être
chargé de porter la parole au nom des
étudiants. Il a toujours gardé un souve-
nir ému de cette mission qui le mit en
rapport avec le Saint-Père.
ÉTUDES THÉOLOGIQUES
Ce fut après les vacances de cette
année 1829 que se fit sentir d'une fa-
çôn irrésistible sa vocation ecclésiasti-
que. Il entreprit donc le cours de théo-
logie et eut, entre autres professeurs
éminents, le P. Perrone et le P. Patrizi.
Ce dernier eut l'heureuse fortune, dans
sa vénérable vieillesse, de voir son
ancien élève arriver au souverain Pontifi-
cat, c'est-à-dire à la plus haute dignité
qu'on puisse ambitionner sur la terre.
En théologie, l'intelligent et infati-
gable travailleur retrouva les triomphes
qu'il avait obtenus en littérature^ et en
philosophie. Bien plus, dans une mémo-
rable discussion publique, il se fit telle-
ment remarquer que cette séance acadé-
mique se trouve ainsi mentionnée en ce
qui le concerne « Le jeune adolescent
a prouvé un tel talent, dans cette discus-
sion, qu'il a fait naître la conviction
qu'il arrivera aux situations les plus
élevées. ut ad aitiora proludere vis2as
sit. »
A la suite de cet éclatant succès, 1e
jeune homme étudiant en théologie fut
chargé de donner des répétitions de
philosophie aux élèves du Collège Ger-
manique, -ce qui prouve bien le grand
cas qu'on faisait de son savoir.
Peu de temps après, en 1832, il était
nommé laureato en théologie. C'est à
dater de cette époque qu'il prit le nom
de Grioacchino.
Une fois en possession de son di-
plôme de théologien, que devait-il faire?
Entrerait-il dans les ordres pour y rem-
plir le simple office de prêtre, ou bien
se mettrait-il au service du Sâint-Siège,
pour suivre la carrière diplomatique ou
administrative? Il embrassa ce dernier
parti et, avec le consentement de son
père ( il avait eu la douleur de perdre sa
mère), il entra à l'Académie des nobles
ecclésiastiques, pépinière d'illustres pré-
lats et de cardinaux.
A cette Académie renommée, il sui-
vit les cours de droit canon et de droit
civil, ce qui lui fournit l'occasion de
nouveaux triomphes. En effet, en 1835,
il remporta un prix de ^0 sequins^S'or,
destiné à celui qui. ferait la' meilleure
thèse sur un sujeiTEiré au sort. Voici le
sujet qui lui échut « De l'appel immé-
diat à la personne du Pontife romain. »
Sa thèse, reconnue la plus remarquable,
attira l'attention des hauts personnages
et des principaux dignitaires de l'E-
glise.
Parmi les cardinaux qui lui témoi-
gnèrent le plus de bienveillance, il faut
citer le cardinal Sala, qui accompagna
le cardinal Caprara dans la malheureuse
Légation à Paris, en 1808, et qui, comme
Pie VII, avait beaucoup souffert.
Gioacchino Pecci avait alors 27 ans. TI
quitta l'Académie des nobles ecclésias-
tiques et fut nommé référendaire au tri-
bunal de la signature, qui s'occupait
surtout de l'administration des Commu-
nes. Le cardinal Sala se l'attacha, en le
faisant entrer dans la congrégation du
Buon Governo, spécialement chargé,
comme son nom l'indique, -de l'admi-
nistration des communes dans les Etats
pontificaux.
Ayant fait part de cet avancement à
son frère Charles, l'ainé de la famille, il
en reçut une lettre de félicitations, à la-
quelle il fit une réponse que je ne peux
m'empêcher de traduire ici textuelle-
ment, au risque de commettre une
indiscrétion.
Rome, 3 juillet 1837.
« Votre lettre du i". courant m'a fait
» le plus grand plaisir. J'ai été particu-
» lièrement heureux d'entendre de votre
» bouche des félicitations et des souhaits,
» à l'occasion de mon avancement. Avec
» cette franchise que j'apporte en toute
» chose, surtout dans mes relations aveo
» mes parents, je peux vous donner l'as-
» surance que, depuis le premier jour
» où, selon les désirs de notre père, j'ai
» embrassé l'honorable carrière que je
» suis, j'ai eu sans cesse présentes à l'es-
» pritdeuxpréoccupationsprincipales.La
» première.c'est de diminuer les lourdes
» charges que la famille s'est jusqu'à
» présent imposées pour moi, et de faire
» que les sommes ainsi dépensées fas-
» sent retour à la maison paternelle de
» façon à pouvoir être employées sans
» retard au profit de mes autres frères
» et sœurs. La seconde de mes préoccu-
» pations, c'est, grâce à une conduite
» louable, et en avançant dans la car-
» rièredelaprélature, de faire tout mon
» possible pour que notre famille, au
» lieu de déchoir du rang qu'avec la
» permission de Dieu elle a tenu jus-
» qu'ici, voie plutôt grandir la bonne ré-
» putation dont elle jouit dans la contrée.
» En arrivant à ce double résultat avec
» le temps et les années ( car -vouloir
» l'obtenir d'un seul coup serait une chi-
» mère ), je croirai me conformer plei-
» nement aux intentions de notre excel-
» lent père, qui feront toujours loi pour
» moi, et dont je ne m'écarterai à aucun
» moment de ma vie.
» Jeune comme je suis, je ne peux
» manquer de parcourir une carrière de
» nature à honorer ma famille, si j'ai
Ce Supplément ne doit pas être vendu à part
Samedi 2i Décembre 1887
RÉDACTION DU SUPPLÉMENT
A. PÉEÛ^IER
SECRÉTAIRE
AUGUSTE MARCADB
Paris 26, rue Drouot Parla
Piix da Supplément aTec le Numéro;
20 CENTIMES A PABIS 25 CENTIMES HORS PÀttltf
Abonneissnt spécial du SïïFPLÉHENT LITTEHAIHB
Numéro ordinaire compris
,12 FH. PAR AN
SXJFFIL,Ê33^CEISrT nLtfTTiÉJIR-AJilCE
Si DÉCEMBRE 1837 31 DÉCEMBRE 1887
LE JUBILE
DE
LEON XIII
SOMMA-IRE
La famille fecct CARPINETO. LES
Ancêtres. L'acte DE naissance. LE
PALAIS PECCI A CARPINETO. LA MÈRE
DU PAPE.
Années de Jeunesse Au COLLÈGE DES
Jésuites. ETUDES théologiques.
PENDANT LE CHOLÉRA DE 1837.
Débuts dans la Carrière eccléiltas-
ttque LA première messe. Me* PECCI
DÉLÉGUÉ A BÉNÉVENT. A PÉROUSE.
Carrière diplomatique S La. NONCIA-
TURE DE BRUXELLES. A. Londres ET A
Paris. Première entrevue avec. tE
CARDINAL MASTAÏ (PlE Wj.
Années d'épiecopat A L'ARCHEVÊCHÉ
DE Pérouse. L'archevêque de PÉROUSE
ET LES généraux. italiens. le CARDI-
Kal PECCI APPELÉ. DEVANT LES tribunaux.
IL EST NOMMÉ CAMERLINGUE.
Le Conclave.
La politique de Mon »U LA Paix,
AVEC LES gouvernements. RAPPORTS
AVEC LA FRANCE.
La Vie Intime au Vattcam LA JOUR-
NÉE DU PAPE. Léon XIII DANS L'INTI-
mité. L'Appartement PONTIFICAL.
LES TRAVAUX DU Souverain-Pontife.
LA SANTÉ DU Pape. Léon XIII POÈTE.
La FORTUNE DE Léon XIII.
Le Jubilé et l'Exposition au Vatican.
LA FAMILLE PECCI
CARPINETO
Léon XIII étant névà-Cârpineto, j'ai
voulu, en biographe consciencieux, aller
avant tout visiter cette localité. Quand
je fis part de mon projet à un neveu de
Sa Sainteté avec lequel je suis lié, il me
regarda d'un air étonné, en me disant
Vous aurez ce courage?.
Cette question à brûle-pourpoint m'eût
peut-être donné à réfléchir, dans d'au-
tres circonstances mais mon plan était
bien arrêté. Depuis, cependant, au cours
du voyagé accidenté que je viens de faire,
j'avoue que ces paroles me sont revenues
plus-d'une fois à la mémoire et que j'ai
pu en apprécier la portée.
Il faut, en effet, du courage pour arri-
ver jusqu'à ce nid d'aigle où naquit le
successeur de Pie IX I
Carpineto est une petite ville d'environ
cinq mille habitants, bâtie sur la crête
d'une montagne faisant partie de la
chaîne des monts Lepini, dans l'ancien
pays des Volsques. Le sommet sur le-
quel est perché Carpineto est entouré de
montagnes encore plus élevées et que
recouvre, chaque hiver, un blanc man-
teau de neiges.
Le voyageur pour Carpineto descend
du chemin de fer à Segni, sur la ligne de
Naples'; il lui faut ensuite, pour arriver
à destination, cinq heures de diligence.
par une route affreuse.
Passe encore si le malheureux excur-
sionniste en était quitte pour être horri-
blement cahoté, avec la perspective de
verser en maintendroitdangereux; mais
il risque aussi d'être, arrêté par les bri-
gands.
C'est ce que j'appris en demandant
pourquoi notre patache avait l'honneur
d'être escortée par des carabiniers. ̃
Très surveillée, d'ailleurs, cette route
si pittoresque; ce qui n'empêche que des
peintres, envoyés à Carpineto par
Léon XIII pour décorer une église,
ayant voulu revenir sans escorte, dans
une petite voiture; furent attaqués par
six individus masqués et armés de fu-
sils. L'aventure m'a été contée par notre
conducteur, que les brigands invitèrent
lui-même à descendre, après quoi il dut
se coucher dans la poussière, la tête pla-
cée devant une roue de sa voiture, pour
lui ôter toute idée de résistance.
Ceci se passait il y a deux ans, et, cha-
que fois qu'il arrive à cet endroit de la
route, le malheureux automédon fait le
signe de la croix et récite une prière.
Je dois ajouter que ces bandits -ne se
recrutent pas parmi les habitants de
Carpineto, les plus honnêtes gens du
monde, mais bien dans les villages
environnants, repaires de voleurs et
d'assassins. Artena, par exemple, est la
ville d'Italie qui, relativement à sa po-
pulation, fournit le plus nombreux con-
tingent de condamnés pour crime di-
gression à main armée. Ce sont ces
gens-là qui rendraient un voyage dans
les monts Lepini très dangereux, sans
l'escorte des carabiniers.
Mais puisque nous. avons le bonheur
d'en posséder une, continuons ensem-
ble notre route vers le pays où naquit
le 263e successeur de saint Pierre.
Elle va toujours en montant, cette
route accidentée qui serpente à travers
les montagnes et semble avoir pris pour
devise ExoelsiorX Mais en vain le re-
gard curieux interroge l'espace pour y
découvrir Carpineto. Cachée par une
colline dont il faut contourner les
flancs, la petite ville désormais histori-
que n'apparaît qu'à la fin du voyage,
quand on est arrivé. On est alors dédom-
xnagé de ses fatigues, car elle est vrai-
ment pittoresque, avec ce couronnement
de.montagnes que recouvrent de belles
forêts de châtaigniers. Une petite décep-
tion, seulement "c'est de ne plus ren-
contrer là aucun spécimen de cette es-
pèce de cyprès, carpinus, d'où lui vient
son nom de Carpineto.
L'air qu'on y respire est sain et forti-
fiant. Le type des habitants est assez
beau, surtout celui des femmes, bien
qu'elles se livrent à un travail obstiné.
1 Le pays est pauvre; il ne compte guère
que des bergers. Les femmes partent de
grand. matin et vont jusqu'à vingt kilo-
mètres de distance, à, travers les monts,
pour ramasser un peu de bois. Quand on
les emploie aux travaux des champs,
elles sont payées à raison de quarante ou
cinquante centimes par jour.
Carpineto fut autrefois une ville des
Volsques, détruite, comme tant d'autres,
par les Romains. Au moyen âge, ses sei-
gneurs furent les Caetani, les Conti et
autres familles puissantes. C'était alors
un duché, qui passa plus tard aux Aldo-
brandini. Mais, depuis deux siècles, la
famille la plus importante est celle des
Pecci, qui possède un palais et environ
la moitié de la propriété générale, en-
tre autres une belle maison de campa-
gne qu'on aperçoit à gauche de la
route, un peu avant d'arriver à Carpi-
neto, au milieu d'un site verdoyant, en-
tourée de châtaigniers centenaires.
La moderne école de philosophie amis
à la mode la « théorie des milieux ».
Leur influence me paraît recevoir ici une
éclatante confirmation. Léon XIII, dont
on connaît la piété profonde et l'ardente
foi religieuse, est né et a grandi dans un
pays qui s'est fait de tout temps remar-
quer par la sincère dévotion de ses habi-
tants.
Deux faits, entre mille, pour le prou-
ver •̃̃••' ̃̃••̃ ̃ • -̃ ̃• ̃ ̃̃ ̃̃•"̃̃
11 y a environ trois cents ans, une
épidémie fit d'effroyables ravages dans
la population. Sur l'avis du bienheureux
Carlo daSezze,on fit un vœu àlamadone
de l'église de Sainte-Marie-'ïiu-Peuple à
Carpineto. On promit que, dans chaque
famille, il y aurait au moins un membre
qui jeûnerait un jour'de l'année. Puis,
on fit une procession solennelle, et la
tradition rapporte que le miracle s'opéra.
L'épidémie disparut aussitôt.
Notez qu'il y a trois siècles de cela, et
pourtant ce vœu a toujours été pieuse-
ment respecté; tous les ans, on observe
un jour de jeûne dans chaque famille,
sans en-excepter celle des Pecci.
Autre fait. Chaque année, à l'époque
de la moisson, on voit une troupe de
paysans s'arrêter, le soir, devant une
église, en criant Viva Marta Viva la
Madonna! Ils s'avancent ensuite vers
l'autel dé la Vierge, où' chacun dépose
une gerbe de blé surmontée. d'une croix.
Le produit de la vente de ces gerbes est
affecté au service du culte et à l'entretien
de l'église.
LES ANCÊTRES
J'ai dit que la famille Pecci était, de-
puis deux siècles, la plus importante du
pays.
Cette famille vénérable entre toutes
est originaire de Sienne. Les renseigne-
ments que je vais donner sur elle, j'ai
eu la bonnêTortune de les pouvoir tirer
d'un manuscrit, relié en maroquin, et
écrit en 1832. par le futur successeur
de Pierre lui-même Bien qu'il n'eût
alors que vingt-deux ans, il a composé
ce mémoire dans une langue remarqua-
ble par l'élégance, la clarté et la pureté
du style.
Dans ce manuscrit, Léon XIII déclare
qu'il ignore ce qui a trait à sa famille
avant 1300.
Le premier Pecci dont on ait retrouvé
les traces avait pour prénom Benve-
nuto, sous lequel iLfut inscrit à l'ordre
des Chevaliers de Malte. Il était né
en 1340.
Au commencement du seizième siècle,
on trouve un autre Pecci (Pietro) en Es-
pagne, où son père avait émigré. Il fut
proclamé bienheureux.
Il y eut aussi une bienheureuse Mar-
guerite Pecci, dont la famille possède un
portrait.
Je poursuis la lecture du manuscrit,
qu'accompagnent les pièces justifica-
tives.
Un Pecci (Bartolomeo) fut envoyé vers
le pape Eugène IV pour demander et
soutenir la canonisation de saint Ber-
nardino de Sienne. Il reçut l'accueil le
plus flatteur, fut créé chevalier, et re-
tourna à Sienne après avoir réussi dans
sa mission.
On trouve un P. Pecci, de la Compa-
gnie de Jésus, qui s'employa pendant
plusieurs années, avec zèle, à la conver-
sion des infidèles dans les Indes, et
mourut avec l'auréole du martyre.
Lorsque, pendant les tristes événe-
ments qui précédèrent le règne de
Cosme Ier, Sienne était en proie aux agi-
tations des partis, une des branches de
la famille Pecci qui était favorable aux
Médicis dut émigrer dans les Etats Pon-
tificaux, sous Clément VII (1523-34), et
alla s'établir à Carpineto.
Le chef de la famille était alors Anto-
nio Pecci. Un de ses fils fut nommé, par
Clément VII, gouverneur de Foligno.
Pendant trois siècles, la famille Pecci
tint un rang distingué à Carpineto, four-
nissant tour à tour, à Rome et aux pays
voisins, des hommes remarquables par
leur intelligence et leur savoir.
Je cite, en passant Ferdinando Pecci,
célèbre jurisconsulte, que Benoît XIV
estimait tout particulièrement; Giam-
battista Pecci, qui fut vicaire-général
d'Anagni, d'où il allait passer à l'évêché
de Segni quand la mort vint le surpren-
dre Carlo Pecci, né en 1733, qui
épousa une demoiselle noble Jacoacci,
et fut, comme son père, colonel des mi-
lices féodales.
• Giuseppe Pecci, un dés fils de
Carlo, 'entré dans les ordres, jouissait
de l'entière confiance de Pie VI. Pendant
l'invasion française, il fut chargé de
mettre à l'abri le trésor de Lorette. Pour
le récompenser des services qu'il rendit
à cette occasion, le Pape le nomma coin-
missaire-général de la Reverenda Ca-
mera Ayostoiica,
L'ACTE DE NAISSANCE
Au commencement de ce siècle* le
chef de la famille Pecfci était Domenico
LudovieO, qui, 'suivant -Fexemple
de quelques-uns de ses ancêtres, -em-
brassa la carrière des armes, Il fut colo-
nel sous Napoléon I". On conserve un
beau portrait de lui, à Carpineto.
C'est ce colonel de Napoléon qui est
le père de Léon XIII.
Sur un registre où sont notés, depuis
fort longtemps, les événements les plus
importants relatifs à la famille Pecci,
j'ai lu* à la date du 27 novembre 1791:
« Ce jour, M. Ludovico Pecci a épousé
Mlle Anna-Francesca Prosperi de Cori.
La nouvelle mariée fut amenée à Carpi-
neto en calèche, par Mme Marianna
Prosperi, sa mère, par le comte de Ca-
taldi et plusieurs notables du pays. Les
fêtes de ce mariage durèrent quinze
jours de suite. »
De cette union naquirent sept en-
fants
1. Carlo Ludovico, né" le 23 novem-
bre 1793; "̃
2. Anna-Giovanna-Francesca, née
le 23 mai 1798;
3. Caterina-Maria-Flaminià, 3 no-
vembre 1800
i. Jean-Baptiste, 27 octobre 1802;
5. Joseph 13 décembre 1807 (le car-
dinal actuel);
6. Vincent-Joachim 2 mars 1810
(Léon XIII);
7. Ferdinand, 6 janvier 1816.
Voici comment le registre de la famille
annonce la naissance de celui qui était
appelé à de si hautes destinées
« 2 mars 1810. Vers les vingt-trois
heures et demie "(c'est-à-dire quatre heu-
res et demie) est venu au monde un en-
fant du sexe masculin, auquel ont été
donnés les prénoms dé Vincent-Joachim-
Raphaël-Louis. Il a été tenu sur les fonts
baptismaux par Mgr Joachim Tosi, évê-
que d'Anàgni, qui, ne pouvant venir per-
sonnellement, envoya àsa place lecharioi-
ne don Giacinto Gaporossi.La marraine fut
Mme Candida Caldarossi. La cérémonie
a étécélébrée dans la chapelle de la mai-
son, par le chanoine Cattoni. »
Le prénom de Vincenzo fut donné à
rénfàntsuK là demande de sa mère, qui
avait une grande vénération pour le cé-
lèbre missionnaire dominicain saint
Vincent-Ferrieri, évêque de Valence.
Tant que sa mère vécut, celui quidevait!
être Pape ne porta que ce nom de Vin-,
cenzo; il prit ensuite, pour ne plus le
quitter, celui de Gioacchino.
Le plus jeune des frères de Léon XIII,
Ferdinando, mourut en bas-âge. Les
deux sœurs épousèrent des nobles des
environs de Carpineto.
L'aîné, Carlo, fut nommé chevalier par
Pie IX; plus tard, Léon XIII le-fit comte
avec extension de ce titre à tous les mem-
bres de la famille. Il est mort en 1878,
à l'âge de quatre-vingt-quatre ans.
Le quatrième fils, Jean-Baptiste, s'oc-
cupa surtout de l'administration, des
biens de la famille. Il épousa Mlle An-
gela Salina, et mourut en 1883, âgé de
quatre-vingt-un ans. Les neveux actuels
du Pape, dont il a été si souvent parlé
dans ces derniers temps, sont les fils de
Jean-Baptiste,
Quant au cardinal Pecci, iL est main-
tenant octogénaire.
Vous voyez qu'on arrive à. un âge très
avancé, dans la famille de Léon XIII.
LE PALAIS PECCI X CABPIHETO
Lorsqu'on arrive au pied de la monta-
gne sur laquelle est bâti Carpineto, on
voit, de la diligence, toute la ville éche-
lonnée sur la crête, et le regard est solli-
cité par une maison beaucoup plus
grande que les autres, de belle appa-
rence et nouvellement restaurée. C'est le
palais Pecci, -le seul palais du pays.
Le comte Pecci, à qui j'étais recom-
mandé, aurait voulu que ma voiture ar-
rivât jusque devant son palais; mais les
rues avoisinantes sont trop étroites. Je
dus descendre et cheminer pédestre-
ment, en faisant bien attention où je
mettais le pied, parce qu'on court vingt
fois le risque de se rompre le cou durant
ce petit trajet. Le pavé est formé de
quartiers de roche extrêmement glis-
sants..
Depuis que Léon XIII est monté sur le
trône pontifical, d'importants travaux de
restauration ont été faits au palais
Pecci et l'ont rendu confortable, presque
luxueux.
Après avoir gravi les marches d'un es-
calier, assez large, on en prend un autre,
plus étroit et plus raide, qui con-
duit aux appartements du premier
étage.
En entrant, on est tout étonné de voir,
dans un immeuble situé au milieu
de tant de petites masures, un intérieur
aussi beau, avec vastes antichambres et
salons grandioses. Le premier de ces sa-
lons, à tapisserie rouge, est orné des
portraits de la famille celui du Pape est
très ressemblant, et celui du cardinal
l'est. suffisamment, ce qui est déjà un'
tour de force de la part de l'artiste, le
frère de Léon XIII n'ayant jamais con-
senti à poser, pas plus devant la palette
d'un peintre que devant' l'ôbjectif d'un
photographe. C'est ce qu'on m'a appris,
à Carpineto, quand j'ai demandé pour-
quoi le cardinal ne figurait pas dans un
groupe photographique représentant
toute la famille, et qui a été fait, à Rome,
à l'occasion du Jubilé sacerdotal de
Pie IX..
Parmi les portraits de famille qui or-
nent le salon rouge du palais Pecci à
Carpineto, j'ai aussi remarqué celui de
la mère du Pape, une très belle per-
sonne, et celui de son-mari, en cos-
tume de colonel.
Toujours dans le salon rouge, et au
milieu de la pièce, une grande cloche
abritant -d'admirables oiseaux rempaillés,
aux'vives couleurs. C'est un présent des
catholiques australiens.
:Dç, ce salon, on-passe dans un autre
encore plus vaste et sur lequel s'ouvre la
chambre qu'occupait le Pape pendant
son séjour à Carpineto. On l'appelait
Camera di î»ônsignore; quand le Saint-
Père était simple prélat, et ce nom lui
est resté. > • •
La dernière fois'que Léon XIII y vint,
ce fut en i857; il était déjà cardinal.
Cette chambre est bien modeste un pe-
tit lit-de fer avec rideau; une toute pe-
tite table servant de bureau, près d'une
fenêtre de laquelle le Pape, qui a tou-
jours été très: matinal; assistait au le-
ver du soleil; une Madone; un tableau
représentant ta bienheureuse Margue-
rite Pecci; un portrait du Pape quand il
n'était encore que prélat.
Au-dessous de ce portrait est enca-
drée une lettre qui offre un grand inté-
rêt la' première que Léon XIII écrivit
après son élévation au trône pontifical.
Adressée par le nouveau. Pape à sa fa-
mille, cette lettre est ainsi conçue:
Du Vatican, 20. février 1878.
Mes très chers frères,
Je vous annonce que, dans le scrutin de
ce matin,. le Sacre-Collège a voulu élever
mon humblé personne à la chaire de Saint-
Pierre.. Ma première lettre est .celle-ci que
j'adresse ma famille, pour laquelle j'im-
plore toute sorte dé bonheurs et à laquelle
j'envoie, avec affection, la bénédiction apos
tolique. Priez beaucoup le Seigneur pour
moi.
LEO, PP. XIII.
N'est-ce pas que cette lettre est belle
et touchante, en sa cordiale simplicité ? 2
La chambre dans laquelle est né le
Pape vit naître également ses frères et
ses sœurs et tous ses neveux.
Nous sommes tous nés dans cette
chambre I me disait le comte Ludovico,
qui m'a fait un accueil si sympathique.
Toute remplie de souvenirs, cette
chambre est on ne peut plus simple; les
murs sont nus; il -n'y a que deux ins-
criptions latines rappelant la naissance
.du Pape et celle du cardinal. Un seul
meuble: une grande armoire dans la-
quelle le comte Ludovico garde précieu-
sement quelques documents relatifs à la
famille, ainsi que des lettres du cardi-
nal et du Pape.
Les lettres de Léon XIII à sa famille
sont très nombreuses, plus d'un mil-
lier il m'a "été permis d'en lire "quel-
ques-unes, et j'ai pu constater avec quel
respect il parle à ses parents, dans
quels termes affectueux il s'adresse à ses
frères I
Sur une table ronde qui est au milieu
de la pièce que je décris, se. trouve un
album de photographies, offert au Saint-
Père par la Communauté des Sœurs de
Saint-Aignan-Orléans.
Ces bonnes soeurs ne se doutent pro-
bablement pas que les vues de leur « Com-
munauté» constituent l'ornement de la
chambre dans laquelle est né Léon XIII.
LA HÈRE DU PAPE
Sur le registre de famille dont j'ai
parlé plus haut, la mort de la mère de
Sa Sainteté est annoncée par ces lignes
que Léon XIII a tracées de ses propres
mains.
« Addi, 5 agosto 1824, circa le ore 4 14
passe in Roma agit ultimi riposi la si-
gnora Anna, nioglie di Ludovico, dell'et à
di anni 51 e mesi 8, e fù tumulata nella.
chiesa parrochiale di San Venanlio dei
Catnerinesi poscia, sotto il giorno s gen-
naiq. 1825, fuir asportato il cadavére nella
chiesa délia Stimmate, ed ivi, con apposito
scavo, tumulata di fianco a Mgr Giuseppe e
e Rçsa Pecci, \ii carnali, dov_e al pari di
los analoga iscri\ione lapidaria, composta
dal stto figlio Giuseppe Pecci, ora a gesuita,
ne éterno i rari pregi e l'esimie virtù. »
Cette mère regrettée ins pira à Léon XIII,
comme aussi à tous ses autres enfants,
une affection extrême. L'attachement
filial s'alliait, chez eux, à la vénération
que leur commandait sa grande intelli-
gence et son absolu dévouement. Elle
aidait son mari dans l'administration de
ses biens et montait même à cheval pour
aller visiter ses propriétés.
Pour montrer combien elle était
énergique, laborieuse et dévouée, on m'a
contéuneanecdotecaractéristique. Ayant
mis ses fils Peppino et Vincenzino (c'est
ainsi qu'on appelait le cardinal et le
Pape. de l'avenir) dans un collège de
jésuites, à Viterbe, elle s'ingénia pour
que la dépense de l'éducation ne fût pas
à charge à la famille. Dans ce but, elle
éleva des vers à soie, et le produit
qu'elle en retira servit à payer la pen-
sion de ses deux fils 1 Je laisse à penser
quelle patience, quelle intelligence et
que|.eourage il lui fallait pour élever
;ainsir pendant quarante jours, ces vers
à soie,, dans un pays où cette industrie
était absolument inconnue.
La., mère de Léon XIII était la provi-
deneedes pauvres elle faisait distribuer
chaque jour du pain et du maïs aux plus
nécessiteux. Tous ceux qui l'ont connue,
et; d'ailleurs, son portrait en fait foi,
-disent que c'était une belle personne,
au port majestueux. A ce propos, on m'a
cité, à Carpincto, un trait prouvant
à quel point elle savait inspirer le
respect.
Un bande de brigands se trouvait, un
jour, sur la route qui mène à Carpineto.
La mère du Pape vint à passer, seule, au
retour d'une visite qu'elle venait de faire
à une pauvre famille des environs. Au
lieu de l'arrêter, les bandits lui livrè-
rent passage et se découvrirent respec-
tueusement devant elle.
La mère de Léon XIII Continua sa mar-
che, fière et droite mais, à peine arri-
véedevant sa maison, elle tomba évar
nouie.
/ANNÉES DE JEUNESSE
s ̃-̃̃. ̃̃-
I~ AU COLLÈGE DES JÉSUITES
J'ai eu la curiosité d'aller visiter la
maison d'élégante apparence qui appar-
tient à la famillejPecci et qu'on remar-
que, à gauche de la route,- sur une
petite colline, au milieu d'une grande
quantité de hauts châtaigniers,– quand
onarrive en vue de Carpineto.
On l'appelle le « Casino ». C'est là que,
dans sa jeunesse, le futur Pape venait
étudier ses auteurs latins. Le gardien
m'a montré le chêne favori de Léon XIII.
Que de fois, disait un jour Léon XIII
à son neveu le comte Ludovico Pecci,
que de fois ne suis-je pas allé lire le De
Officiis à l'ombre de ce grand chêne 1
Mais n'anticipons pas. Celui qui de-
vait,être élevé au souverain pontificat
apprit à lire de sa mère,- ainsi que son
frère plus âgé que lui de deux ans. Puis,
comme il n'y avait pas d'école assez
bonne à Carpineto,,on envoya les deux
enfants à Rome, où ils passèrent une an-
née auprès d'unde leurs oncles, avant
d'entrer dans une pension tenue par les
Jésuites, à Viterbe.
Gioacchino Pecciy resta six ans,c'est-
à-dire qu'il y fit ses classes jusqu'en
troisième. Il avait pour directeur le P.
Ubaldini, qui-, dans ses lettres à la fa-
mille, montre qu'il eut le pressentiment
des hautes destinées réservées à son stu-
dieux et intelligent élève. Mais ce qui
est encore plus caractéristique, c'est le
désir d'arriver, la noble ambition que
sentait déjà naître en lui l'enfant si heu-
reusement doué. Je n'en veux pourpreuve
que ce quatrain composé par lui'à l'âge
de douze ans, quand il était encore à
Viterbe.
Ce quatrain fut écrit en l'honneur du
P. Vincenzo Pâvani, provincial de l'Or-
dre, venu pour inspecter le collège
Nornine Vincenti, quo tu, Pavane vocaris
Paruulus atque infans Peccius ipse vocor.
Quas es virtutes magnas, Pavane, secutus,
O utinam possem Peccius ipse sequi 1
C'est également à cette époque qu'un
parent de la famille Pecci, Mgr Carmine
Lolli, étant allé voir les deux enfants
à Viterbe, et ayant interrogé sur leur
compte leP. Ubaldini,- écrività Carpi-
neto « Si Dieu leur prête vie, et s'ils
continuent à bien se conduire, ils feront
l'honneur et la gloire d'eux-mêmes, de
leur famille et de leur.pays. »
Une autre lettre du P. Ubaldini.ditque
Vincenzinb est « un petit ange' », mais
que Giuseppe est « un malin ». Si Vin-
cenzino remportait tous les prix de sa
classe, Giuseppe était toujours premier
dans la .sienne. Et: il. en fut de même à
Rome, où vinrent les deux brillants éco-
liers en quittant Viterbe.
Chose digne de remarque dans toutes
leurs lettres, pieusement conservées
par la famille, perce la même ardente
volonté dé bien faire, de se distinguer,
et cela moins encore pour eux-mêmes
que pour leurs chers parents.
On était arrivé à l'an 1824. Le pape
Léon XII, ayant succédé à Pie VII,
rouvrit le fameux Collège romain, et en
confia la direction aux Jésuites. 1,400 élè-
ves se firent inscrire dès la première an-
née, et parmi eux les deux frères Pecci.
Gioacchino y fit sa rhétorique et trois
années de. philosophie, sous la direction
de professeurs célèbres. A la fin de sa
rhétorique, ayant été chargé de pronon-
cer un discours latin devant ses profes-
seurs et ses condisciples, il choisit har-
diment pour sujet Rome chrétienne et
Rome païenne, faisant ainsi allusion au
triomphe de la papauté, qui' était retour-
née à Rome en la. personne de Pie VII.
En fouillant dans les archives du Col-
lège romain, j'ai retrouvé les palmarès
de cette époque. J'y ai vu qu'en 1828, par
exemple, Gioacchino Pecci eut pour
ainsi dire tous les premiers.prix de sa
classe, entre autres celui de poésie
latine.
Détail curieux: pendant le laps de
temps, relativement assez court, accordé
aux élèves pour ce concours, le jeune
Gioacchino ne composa pas moins de
120 hexamètres t
Le cours de philosophie achevé, il fut
appelé à prendre part à la disputa publi-
que qui avait lieu, chaque année, en
l'église de Saint-Ignace. Il se mit à l'œu-
vre avec une telle ardeur que sa santé,
déjà délicate, ne put résister à cet excès
de travail; il tomba malade si gravement
qu'il resta longtemps suspendu entre la
vie et la mort. Le jeune et érudit philo-
sophe fut donc empêché de prendre part
à la disputa mais le préfet des études
du Collège romain insista pour lui déli-
vrer un certificat dans lequel il déclarait
que, si la maladie ne l'avait empêché de
se mesurer avec ses rivaux dans cette
joute philosophique, il y aurait obtenu
les plus grands succès.
C'est probablement de cette époque
que date le plaisir de Léon XIII d'assis.-
ter à ces disputes. Quand il était arche-
véque de Pérouse, il se plaisait,– comme
aujourd'hui encore, à organiser de
ces tournois de philosophie qui rappel-
lent un peu les célèbres « disputes » du
moyen âge.
Au temps dont je viens de parler.
Gioacchino Pecci ne portait pas encore la
soutane il demeurait chez son oncle
Antonio, au palais Muti, tout près du
Capitole.
L'année 1825, où il .fit sa rhétorique
au Collège romain, fut une année de
Jubilé. Le dernier avait eu lieu en 1800,
après la mort de Pie VI en exil. Le Ju-
bilé de 1825, proclamé par Léon XII, fut
un des plus beaux dont i'histoire ecclé-
siastique nous ait gardé le souvenir. Au
sortir des troubles et des convulsions
que l'Europe venait de traverser, les pè-
lerins accoururent en foule à Rome. On
se pressait en masse sur les pas du Sou-
verain-Pontife entrant dans les églises,
souvent pieds nus 1
L'âme du jeune Pecci se sentit profon-
dément remuée par cette grande ferveur
des multitudes et cet exemple d'humilité
chrétienne donné par Léon -XÏf, pour le-
quel il professait la plus grande ye'iîérâ-"
tion, la plus sincère admiration. Ces sen-
timents ne se démentirent jamais en lui-
aussi, en 1878, après la mort de Pie IX,
lorsque, le Sacré-Collège ayant, par 44
voix, nommé pape le cardinal Pecci,
le sous-doyen lui demanda quel nom il
avait l'intention de prendre, le nouvel
élu répondit:
Celui de Léon XIII, à cause de la
gratitude et'de la déférence que j'ai tou-
jours. eu^$ envers Léon XII. -̃
Uri jour, pendant ce jubilé de 1825, les
étudiants du Collège romain, après avoir
visite la basilique de Saint-Pierre, fu-
rent admis à entrer au Vatican. Ils péné-
trèrent dans la cour du Belvédère et im-
plorèrent la bénédiction du Pape. Léon
XII parut à la loggia centrale et les bé-
nit. Gioacchino Pecci, bien que très
jeune encore, fut choisi pour conduire la
députation qui devait monter remercier
le Pape. De plus, il eut l'honneur d'être
chargé de porter la parole au nom des
étudiants. Il a toujours gardé un souve-
nir ému de cette mission qui le mit en
rapport avec le Saint-Père.
ÉTUDES THÉOLOGIQUES
Ce fut après les vacances de cette
année 1829 que se fit sentir d'une fa-
çôn irrésistible sa vocation ecclésiasti-
que. Il entreprit donc le cours de théo-
logie et eut, entre autres professeurs
éminents, le P. Perrone et le P. Patrizi.
Ce dernier eut l'heureuse fortune, dans
sa vénérable vieillesse, de voir son
ancien élève arriver au souverain Pontifi-
cat, c'est-à-dire à la plus haute dignité
qu'on puisse ambitionner sur la terre.
En théologie, l'intelligent et infati-
gable travailleur retrouva les triomphes
qu'il avait obtenus en littérature^ et en
philosophie. Bien plus, dans une mémo-
rable discussion publique, il se fit telle-
ment remarquer que cette séance acadé-
mique se trouve ainsi mentionnée en ce
qui le concerne « Le jeune adolescent
a prouvé un tel talent, dans cette discus-
sion, qu'il a fait naître la conviction
qu'il arrivera aux situations les plus
élevées. ut ad aitiora proludere vis2as
sit. »
A la suite de cet éclatant succès, 1e
jeune homme étudiant en théologie fut
chargé de donner des répétitions de
philosophie aux élèves du Collège Ger-
manique, -ce qui prouve bien le grand
cas qu'on faisait de son savoir.
Peu de temps après, en 1832, il était
nommé laureato en théologie. C'est à
dater de cette époque qu'il prit le nom
de Grioacchino.
Une fois en possession de son di-
plôme de théologien, que devait-il faire?
Entrerait-il dans les ordres pour y rem-
plir le simple office de prêtre, ou bien
se mettrait-il au service du Sâint-Siège,
pour suivre la carrière diplomatique ou
administrative? Il embrassa ce dernier
parti et, avec le consentement de son
père ( il avait eu la douleur de perdre sa
mère), il entra à l'Académie des nobles
ecclésiastiques, pépinière d'illustres pré-
lats et de cardinaux.
A cette Académie renommée, il sui-
vit les cours de droit canon et de droit
civil, ce qui lui fournit l'occasion de
nouveaux triomphes. En effet, en 1835,
il remporta un prix de ^0 sequins^S'or,
destiné à celui qui. ferait la' meilleure
thèse sur un sujeiTEiré au sort. Voici le
sujet qui lui échut « De l'appel immé-
diat à la personne du Pontife romain. »
Sa thèse, reconnue la plus remarquable,
attira l'attention des hauts personnages
et des principaux dignitaires de l'E-
glise.
Parmi les cardinaux qui lui témoi-
gnèrent le plus de bienveillance, il faut
citer le cardinal Sala, qui accompagna
le cardinal Caprara dans la malheureuse
Légation à Paris, en 1808, et qui, comme
Pie VII, avait beaucoup souffert.
Gioacchino Pecci avait alors 27 ans. TI
quitta l'Académie des nobles ecclésias-
tiques et fut nommé référendaire au tri-
bunal de la signature, qui s'occupait
surtout de l'administration des Commu-
nes. Le cardinal Sala se l'attacha, en le
faisant entrer dans la congrégation du
Buon Governo, spécialement chargé,
comme son nom l'indique, -de l'admi-
nistration des communes dans les Etats
pontificaux.
Ayant fait part de cet avancement à
son frère Charles, l'ainé de la famille, il
en reçut une lettre de félicitations, à la-
quelle il fit une réponse que je ne peux
m'empêcher de traduire ici textuelle-
ment, au risque de commettre une
indiscrétion.
Rome, 3 juillet 1837.
« Votre lettre du i". courant m'a fait
» le plus grand plaisir. J'ai été particu-
» lièrement heureux d'entendre de votre
» bouche des félicitations et des souhaits,
» à l'occasion de mon avancement. Avec
» cette franchise que j'apporte en toute
» chose, surtout dans mes relations aveo
» mes parents, je peux vous donner l'as-
» surance que, depuis le premier jour
» où, selon les désirs de notre père, j'ai
» embrassé l'honorable carrière que je
» suis, j'ai eu sans cesse présentes à l'es-
» pritdeuxpréoccupationsprincipales.La
» première.c'est de diminuer les lourdes
» charges que la famille s'est jusqu'à
» présent imposées pour moi, et de faire
» que les sommes ainsi dépensées fas-
» sent retour à la maison paternelle de
» façon à pouvoir être employées sans
» retard au profit de mes autres frères
» et sœurs. La seconde de mes préoccu-
» pations, c'est, grâce à une conduite
» louable, et en avançant dans la car-
» rièredelaprélature, de faire tout mon
» possible pour que notre famille, au
» lieu de déchoir du rang qu'avec la
» permission de Dieu elle a tenu jus-
» qu'ici, voie plutôt grandir la bonne ré-
» putation dont elle jouit dans la contrée.
» En arrivant à ce double résultat avec
» le temps et les années ( car -vouloir
» l'obtenir d'un seul coup serait une chi-
» mère ), je croirai me conformer plei-
» nement aux intentions de notre excel-
» lent père, qui feront toujours loi pour
» moi, et dont je ne m'écarterai à aucun
» moment de ma vie.
» Jeune comme je suis, je ne peux
» manquer de parcourir une carrière de
» nature à honorer ma famille, si j'ai
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