Titre : Figaro : journal non politique
Éditeur : Figaro (Paris)
Date d'édition : 1868-09-06
Contributeur : Villemessant, Hippolyte de (1810-1879). Directeur de publication
Contributeur : Jouvin, Benoît (1810-1886). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34355551z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 06 septembre 1868 06 septembre 1868
Description : 1868/09/06 (Numéro 250). 1868/09/06 (Numéro 250).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG63 Collection numérique : BIPFPIG63
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Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Description : Collection numérique : France-Brésil Collection numérique : France-Brésil
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k2712334
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
Dimanche 6 Septembre 1868
Un numéfo t 15 centimes.'
15* Année 3e Série Numéro 250
Administrateur
UGOSTE DUMONT
ABONNEMENTS
ABONN&~IBNTS
Paris 3 moi» ta fr. 80 £
Départements 3 mois. 16 fr. •»
ANNONCES
MM. DOLLINGEN fils et A. SÉGUT
Passage des Princes, Escalier C
BUREAUX :̃
S, SCB COOjBÉRON ET RUE BOSSUrtTs S
Rédacteur en chef
H. DE VILLEMESSANT
RÉDACTION
de ©heures h 11 heures, rue Coq-Héron, 5
de midi à S heures, rue Rossini, 3
Us manuscrits ne sont pas rendus /xsN'
Départements et gares 20 centiiMB1^: [<
| ~^z
BUREAUX \Z> <̃
S, BOB COQ-HÉROH ET BUE HO88I*t3
COURRIER DE PARIS
Une des études les plus intéressantes
pour l'homme qui veut en quelque sorte
tâter le pouls au public et savoir si son
sang bat lentement ou fort, c'est une sta-
tion dans une boutique de libraire. Je ne
dis pas un libraire de hlgh life, un de ceux
qui vendent les livres gris d'Eugénie et
Maurice de Guérin, les petites images
chères à Veuillot et les statuettes en stéa-
rine, mais un libraire populaire, avec éta-
lage en plein vent, cet étalage tout pavoisé
;deibr;ocliuresrouges ou vertes, de petits
livres de la RibliotMquë utile et de jour-
naux, qui sentent bon.
On voit entrer, vers midi, lorsqu'on dé-
jeune, ou le soir, la journée finie, les ou-
vriers du quartier, tête nue, et à toute
lïeure, les passants et les fillettes. Ils jet-
tent sur le comptoir quelques sous, pren-
nent un journal, souvent deux, et empor-
tent cela pour le lire. Ce sera la pâture
du soir. Cette profusion de feuilles à bon
marché a décidément- «abitué-l«*peuple à
dévorer deux sortes de pain quotidien.
Après les journaux viennent les ouvra-
ges en vogue; les livres qu'on publie par
livraisons. Ils ont leur public aussi, qui
est nombreux. J'ai désiré savoir je suis
curieux ceux qu'on achetait le plus vo-
lontiers. Il n'y a pas longtemps, m'a-t'on
dit, le roman-feuilleton triomphait sur
toute la ligne. Les aventures improbables,
lès combinaisons étonnantes, les crimes
les plus atroces ou les plus fous tenaient
le public attentif. Il y avait de la fièvre
dans le geste hâtif avec lequel on ouvrait
le journal qui devait vous apprendre si
tel forçat illustre était mort.
Mais le temps marche.
On1 s'inquiète aujourd'hui d'autre chose.
Il y a dans l'air comme un souffle nou-
veau. Ce qui intéresse, ce qui séduit, ce
qui passionne, ce n'est plus leroman, c'est
l'histoire; ce n'est plus la fiction, c'est
la vérité. On veut d'autres 'drames que
ceux qui sortenfsanglants ou bouffons du
cerveau d'un homme. Il faut au public le
spectacle de ces drames éclatants qui sont
nés, tout écrits, du cœur d'un peuple.
Tout ce qui parle à la foule du passé
glorieux, tout ce qui évoque quelque date
magique et immortelle, tout ce qui porte
ce nom foudroyant, Révolution, est cer-
tain du succès. Oh va droit à ces livres;
ce sont eux que le peuple achète; ils
comptent des lecteurs par milliers.
"Ces mouvements de réveil ont leur im-
portance. M. Germer-Pages publie-t-il en
livraisons son Histoire de 1848? On la tire
à cinquante mille exemplaires. Daniel
Stern fait illustrer la sienne? Elle s'enlève
avec une rapidité qui étonne. Thiers après
Lamartine, Louis Blanc après les Giron-
dins vont partout sous cette forme popu-
laire, et composent le fond de la biblio-
thèque de tous.
Erckmann-Chatrian, avec leurs romans
patriotiques publiés ainsi, avaient ouvert
la marche. Puis les historiens de la Révo-
lution sont venus, et, après 89, 1848.
̃ On annonce justement que M. Louis
Blanc prépare, lui aussi, à cette heure,
une Histoire de la Révolution de 1848. Il
avait déjà dit son mot sur cette époque,
mais le livre, ou plutôt le mémoire justi-
Feuilleton dn FIGARO du 6 septembre 1868
r"r"l:T-7"^ 3 .̃T.io.
MADELEINE BERTIN
PAR
JULES CLARETIE
̃['̃̃ .•; fà-v; ̃ I
,•• Suita
Madeleine fit un mouvement pour reti-
rer sa main je la tenais doucement pres-
sée.
Madeleine, lui dis-je, mon amitié est
à vous tout entière, et je ne vous pardon-
nerais jamais si vous ne me donniez point
une part dans vos souffrances 1
Dites mes caprices répondit-elle
avec un sourire soudain. Oui, ce ne sont
là que des caprices peut-être. Après tout
ne suis-je pas heureuse et mon sort n'est-il
point de ceux qui font envie? M. de Puy-
renier obéit à mes moindres gestes comme
jadis, lorsque j'étais enfant. Ma mère m'a-
dore. J'ai mes flatteurs aussi et mes cour-
tisans. On s'est imaginé de me découvrir
un grand talent de peintre. Vous verrez
mon atelier et mes toiles. Je n'aurais qu'à
me laisser vivre. Lorsque jevois des gens
ramer pour remonter le courant, je suis
tentée de les traiter de fous. Cela est si
charmant de se coucher dans sa-barque,
les yeux sur le ciel, et d'oublier tandis
que les deux rives disparaissent à nos
côtés, comme des songes. Et voilà cepen-
dant ce que je ne puis me décider à faire.
Oublier? C'est impossible. Allons, laissons
cela.
Elle se pencha vers un petit griffon qui
Reproduction interdite, excepté pour les
journaux qui ont traité avec la Sooiété des
Gens de lettree.
ficatif, imprimé à la fois en anglais et en
français, n'a point ses entrées en France.
Cette histoire nouvelle sera un événe-
ment. '[̃'̃̃ ̃-̃̃' '̃ '̃" '•̃••̃̃'•
Depuis qu'il a achevé la publication du
livre qui, avec l'ouvrage de Michelet, est
le plus beau des monuments élevés à la
Révolution française, M. Louis Blanc n'a
pas donné d'œuvre inédite. On nous pro-
met depuis trois ans un Tableau des Salons
au diX-huitième siècle, où sa verve de colo-
riste vient en aide à son érudition de
lettré et d'homme de goût et:à sa science
de philosophe.
En attendant, il envoie tous les huit
jours d'Angleterre une de ces études qui,
publiées dans le Temps, sont comme les
pages détachées d'un beau livre tracé au
courant de la plume et des événements.
En vérité, on serait tenté de pardonner à
l'exil et de moins l'exécrer lorsqu'on songe
que c'est à lui qu'on doit tant de choses et
des plus sublimes. C'est l'exil qui dictait à
Bœrne et à Heine leurs lettres sur la Fran-
ce c'est l'exil qui a fait connaître l'An-
gleterre à la France par Louis Blanc et
par Êsquiros. Ainsi les peuples fraterni-
sent et s'embrassent par les malheureux
et les proscritSjJaes fleurs qui coulent en
ces rencontresjwBÉfiient, dirait-on, le sang
versé sur les champs de bataille^
II y a déjà vingt ans que Louis Blanc
est hors de France. Vingt ans de labeur
assidu, de travail et aussi de travail sur
soi-même, vin^t ans de longues heures où
le chœur des regrets, des espérances dé-
truites, des souvenirs défunts vient tour-
noyer autour ''de? tempes qui grisonnent,
comme une ro»de de fantômes..
Il y a vingt an$ qu'arraché de son banc
par l'émeute, qui, en le portant en triom-
phe, le désignait clairement à la haine, il
a choisi à Brighton un coin de rivage où
il peut parfois véiç. frissonner au mât d'un
navire notre dnapeau aux trois cou-
leurs.
Il vit là-bas, «allant souvent à Londres
où il est à la fois respecté et admiré, où
l'on écoutait jadis son éloquente parole de
speaker (il parle l'anglais avec la même
correction que notre langue et il est le
collaborateur de journaux britanniques,
VÂthœneum, etc.), mais il n'oublie point la
France; il se souvient de Paris.
Il écrivait, l'an dernier, dans le Paris-
Guide, à propos des embellissements de
M. Haussmann, qui a substitué sur les
armes municipales une pioche au vaisseau
légendaire
« Tous les souvenirs sont-ils donc des-
» tinés à disparaître? Parmi ceux des en-
» fants de la France qui l'ont quittée de-
n puis longtemps, j'en connais qui pâlis-
» sent d'effroi quand on leur dit « Si
» vous reveniez à Paris demain, vous ne
n le reconnaîtriez plus » Quoi! déjà?.
» Paris hélas 1 c'est pourfa~tt bov ~t recon-
» naître » Il
Paris était bon à reconnaître Cette
simple ligne mélancolique m'a profondé-
ment touché quand je l'ai lue. LouisBlanc
a souvent d'ailleurs de ces retours atten-
dris, de ces accès d'émotion sobre et juste.
Il n'a pas été gâté par la vie, et celui-là,
comme tant d'autres, a payé cher sa
gloire1
Il a cinquante-cinq ans. Il est né à Ma-
venait d'entrer, et qui la tirait par sa jupe,
mordillant l'étoffe de ses dents impatien-
tes. Elle le prit sur son bras gauche, lui
souriant en l'agaçant dé la main et en
fronçant vers lui ses lèvres
Tenez, voilà mon seul ami. Je vous
présente sir Love, un gentleman qui me
vient de Londres. Kis me, Love Je vous
avertis, Régis, qu'il ne faut pas être ja-
loux de lui. Il est le souverain maître ici.
Et comme le chien, en aboyant, avan-
çait vers moi sa tête de lord insulté
Love, dit-elle, il faut être poli pour
$e nouveau venu. C'est mon meilleur ami.
"Vous voilà présenté, ajouta-t-elle en re-
mettant sur le parquet le griffon qui se
prit à bondir, tout en déchirant le tapis.
Quand je songe à cette première entre-
vue (car c'était comme une autre Made-
leine que je retrouvais là) je me demande
s'il n'y a point dans la vie de chacun une
part de fatalité. Jusqu'alors je n'avais en-
trevu dans cette ieune fille qu'une compa-
gne de jeux, une amie, et, comme je le
lui disais, une sœur. Il m'était bien sou-
vent venu cette pensée, et j'avais plus
d'une fois adressé cette question à mon
père Quand Madeleine se mariera-t-
elle ? Il me semblait qu'elle était un peu
de la famille.
En la voyant, j'éprouvai un sentiment
tout nouveau et qui me surprit, carj'es-
sayai de l'analyser dès le premier mo-
ment. Sa vue me troubla et je dus lui pa-
raître intimidé. Il m'était resté dans l'idée
que j'étais un peu pour elle comme un
conseiller et comme un guide. Tout au
contraire, elle prit aussitôt l'autorité et je
n'éprouvai plus qu'un désir, qui n'était
plus celui de commander, mais d'obéir.
Elle en fut flattée, je le vis bien, et m'en
témoigna par d'involontaires paroles' sa
satisfaction. Il y avait toujours eu dans
cet esprit si rapide et si net quelque chose
d'impératif. L'enfant aimait à imposer son
caprice. Je compris tout d'abord qu'il
plaisait à la femme de dominer autant
que de séduire.
Ëh bien me demanda madame de
drid. Son père inspectait les finances es-
pagnoles sous le roi Joseph. Sa mère était
proche parente de Pozzo di Borgo, le gé-
néral. « J'ai été élevé, dit-il, par des pa-
» rents royalistes. L'horreur de la Révo-
n lution est le premier sentiment fort qui
» m'ait agité! Pour porter le deuil et em-
» brasser le culte des victimes, je n'avais
» nul besoin de sortir de ma propre fa-
» mille, car mon grand-père fut guillotiné
» pendant la Révolution, et mon père eût
» été guillotiné comme lui, s'il n'eut réussi
» à s'évader de prison la veille du jour
» où il devaitpasser en jugemeqt. Ce n'est
» donc pas sans quelque peine que je suis
» parvenu à me faire une âme capable de
» rendre hommage aux grandes choses de
» la Révolution et à ses grands hommes.
» Maudire les crimes qui l'ont souillée,
» n'exigeait certes de moi aucun effort. »
Je plains quiconque, en lisant ce livre,
(l'Histoire de la Révolution), n'y reconnaî-
trait pas l'accent d'une voix sincère et les
palpitations d'un cœur affamé de justice.
Louis Blanc était venu à Paris en 1830.
Il était pauvre et il avait à nourrir son
père et son frère, Charles Blanc, plus jeu-
ne que lui. Il avait alors vingt-sept ans.
Daniel Stern a conté que parfois, les dures
journées étant fréquentes, Louis Blanc,
qui donnait des leçons ou écrivait des
prospectus pour vivre, feignant d'avoir
pris son repas au dehors, répondait j'ai
mangé, quand on lui disait pourquoi ne'
manges-tu pas? et laissait à son frère une
part plus grande delà nourriture du jour.
Il faut faire connaitre ces histoires. Ce
sont des traits qui amènent les larmes.
Unjour, Pozzo di Borgo fait appeler son
neveu, lui annonce qu'il va se charger de
son avenir, lui parle avec une certaine
hauteur et, par un valet, l'entretien fini
lui fait remettre une bourse.
Une aumône à moi Le frère de ma
mère! 1
Louis Blanc jeta la bourse à terre et
sortit de cet hôtel, où on ne le voit ja-
mais, la colère dans ses grands yeux
noirs.
Aujourd'hui Louis Blanc est riche. Mais
il n'a jamais rien sacrifié de sa dignité
pour le devenir. Lorsqu'après son grand
succès de l'Histoire de Dix ans, il entreprit
d'écrire Y Histoire de la Révolution, il passa
un traité avec les éditeurs Pagnerre, Furne
et Leclercq. Il leur vendait les dix volu-
mes de l'ouvrage moyennant deux cent
mille francs.
1848 arriva. Les affaires subirent une
notable atteinte pendant un moment,
moment assez court, car le commerce n'a
jamais mieux prospéré qu'à la fin de la
République. Les éditeurs soumirent le cas
à M. Louis Blanc.
Eh bien! dit-il, partageons cela. Rien
n'est plus simple. Au lieu de 200,000 fr.,
vous ne me donnerez que 100,000 francs,
et l'Histoire de la Révolution aura douze
volumes.
Il devait mettre dix-huit ans à les ache-
ver. Ce livre fut, a-t-il dit, pendant ces
dix-huit ans « l'occupation, le charme et le
tourment de ma vie. »
Avec le poëme merveilleux de Michelet,
qui met au premier plan le peuple, avec
le livre concis et comme marmoréen de
Mignet et les volumes pleins de menus
faits de Thiers, cette Histoire de la Révolu-
tion doit occuper et occupera un des rayons
choisis de la bibliothèque du citoyen.
Nous attendons aussi cette Histoire de là
Puyrenier, comment trouvez-vous Made-
leine ?
C'est votre douceur devenue viva-
cité, votre bonté devenue énergie.
Trouvez-vous qu'elle me ressemble?
Je cherchais avant de répondre.
-• Elle ressemble à son père, dit Louise
Bertin avec une franchise simple.
Elle ressemble à son père! Il y avait
dans ces mots doucement prononcés un
monde de souffrances. L'absent était tou-
jours présent aux yeux de madame de
Puyrenier dans le visage de Madeleinç,
Le mort (s'il était mort) survivait d%s
son enfant. Assurément, la mère aussi^e-
vait avoir, comme la fille, ses heures
tortures et de larmes.
Cette maison n'était point changée. Le
temps avait passé sans cicatriser la plaie.
Madeleine, devenue femme se taisait sans
rien oublier; Louise cachait sa blessure,
et M. de Puyrenier las, un peu concentré,
s'était fait doucement à cette existence
décl'assée dont il ne paraissait plus souf-
frir. Il avait assez profondément modifié
sa vie.
Ce n'était plus le reclus volontaire d'au-
trefois. Il avait repris peu à peu son rang,
sinon dans le monde, au moins dans quel-
qu'une de ces fractions de monde qui
changent de nom à Paris selon les quar-
tiers. Son cercle intime tenait légèrement
à la religion, à cette société bienfaisante
et aimable qui danse avec dévotion pour
les pauvres et invite les comédiens qu'elle
fait jouer pour des gens dont elle veut opé-
rer le salut.
M. de Puyrenier, je m'en aperçus bien
vite, avait d'ailleurs tempéré son ironie
d'autrefois par une sorte de gravité, élé-
gante qui lui permettait de tout voir et de
tout entendre en ayant l'air de tout ap-
prouver. Le sceptique était devenu indiffé-
rent au point de renoncer à affirmer son
scepticisme même. Il se montrait, au sur-
plus, fort accueillant et me témoignait une
certaine sympathie; il m'avait offert d'ha-
biter dans l'hôtel un petit pavillon, au
fond du jardin. J'avais refusé. J'aimais
mieux être totft à fait Tibre, Je m'étais*
Révolutùm de 1848 où l'auteur nous dira
sans doute tout ce que3^ temps, l'expé-
rience, les longues réfl|Sions de l'exil ont
apporté dé changements dans ses idées
d'autrefois. La vie est lavande maîtresse.
Quelles modifications #ingulières, Louis
Blanc, qui, apr«s le 1É| mai, était l'effroi
de la bourgeoisie, et qu%J.es gardes natio-
naux voulaient fusille#" sans jugement
(la belle conseillère qjj£e la peur!), l'auteur
de l'Organision du tf^pail est devenu une
des autorités de cette |ncme bourgeoisie.
Instruite par les aujiles, elle regrette
peut-être ses ardeur*, d'autrefois, elle a
signé l'acte de réconcilf|tion, et l'écrivain
du Temps est maintenait un de ceux qu'elle
a adoptés et qu'elle honore. ̃
r.J
C'était la transaction inévitable. Toute
révolution est en même temps un problème
qui pourra t s'appeler Faute de s'entendre.
Et lui-même, sans renier rien de son
passé, Louis Blanc est devenu comme un
homme nouveau dont le nom est à la fois
une autorité et une leçon. C'est un poli-
tique assagi, comme dirait le vieux fran-
çais, mais qui conserve encore et gardera
toujours les ardeurs et les vaillances de
sa jeunesse, cette flamme, cette verve,
cette pétulance méridionale qui entrai-
nait.
Petit, quasi imberbe, le regard brûlant,
à trente ans il avait l'air d'en avoir quinze.
A cinquante ans, il a l'air d'eu avoir
trente. £
On parle de lui offrir une candidature
aux élections prochaines. Sa nomination
serait certaine. Mail'Vauteur de la Hero-
lution française prétèrait-il serment à son
ancien collaborateur du Progrès dit Pas-
de-Calais? ̃'̃
Candide.
La Ville et le Théâtre
HIER AUJOURD'HUI DEMAIN
Le Prince Impérial, accompagné du fils
du prince Joachin| Murât et, du jeune
:Conneau, a chasse-' mercredi. La vérité
nous force à dire qilè, malgré l'atfluenoe
en gibier dans les tijpés de Fontainebleau,
le Prince est rentré hredouille au châ-
teau.
Fontainebleau et ses environs viennent
d'être, durant un mois, sillonnés par une
locomotive traînant à sa 'suite quatre voi-
tures. On a cru d'abord à un essai d'une
machine à vapeur routière, semblable à
l'omnibus dont nous avons parlé; mais
l'odeur répandue dans les airs par co train
qui s'arrêtait à la porte des maisons le soir
et en tirait certaines matières à l'aide de
tuyaux pompe, a fait cesser cette illusion.
Après avoir opéré, le convoi filait dans les
campagnes environnantes et vendait son
chargement aux fermiers désireux d'en
graisser leurs terres.
Jusque-là, tout est bien; mais on a cons-
taté que soit par jalousie, soit par timi-
dité les chevaux ne voyaient pas cette
innovation avec plaisir. Ceux-ci se ca-
braient, ceux-là s'emportaient.
On a eu à déplorer des accidents nom-
breux et très graves.
D'autre part, les routes s'effondrent sous
les roues massives et sous les chars pe-
sants traînés par le chaudron-locomobile.
De là, criaillerie des cochers et plaintes
des ponts et chaussées.
Disons pourtant que l'aspect de ces voi-
tures, filant sur les chemins avec grand
tapage, force coups de sifflets et une ra-
pidité étonnante, est surprenant et pro-
installé avenue Frochot, dans cette cité
pleine d'arbres, de fleurs, et qui est
comme une petite province, au cœur de
Paris. J'y travaillais.
Bien souvent aussi je descendais vers
le faubourg Saint-Honoré, j'entrais, non
plus d'un pas délibéré comme jadis, mais
avec une vague émotion, presque de l'in-
quiétude. J'apportais à madame de Puy-
renier, qui sortait peu, les nouvelles du
dehors, les bruits parisiens, le chœur tapa-
geur des « on dit. » J'échangeais avec Ma-
deleine quelque propos rapide qui me sem-
blait furtif, quelque banalité qui me pa-
raissait une confidence. C'est que les pen-
sées comme les choses n'ont d'autre valeur
que celle qu'on leur prête.
Déjà un seul mot de Madeleine, tout bas
murmuré, déjà un de ses sourires, un sou-
pir surpris, une larme devinée, un pli du
front, un signe de tête prenaient pour moi
un sens important et nouveau. J'essayais
d'analyser tout, de tout deviner, de tout
traduire. Le rêve, chaque jour, se faisait
plus puissant et s'imposait à moi. Pour
tout dire, et sans, prolonger ici l'explica-
tion d'une passion qu'on devine, j'aimais
Madeleine et chaque jour je 1 aimais da-
vantage.
Je me sentais peu à peu gagné, envahi
par ce sentiment que j'aurais voulu com-
battre. Mais il y a dans la naissance de
l'amour une part d'abdication on se
laisse aller, comme au cours de l'eau,
avec une volupté tremblante. On voudrait
résister et l'on n'ose. On ressemble à un
homme qui écouterait une musique de si-
rènes et qui, comprenant le danger, vou-
drait d'un cri faire cesser la mélodie, j
mais se tairait, de peur de ne plus enten-
dre ce concert qui l'attire et l'enivre. Je
ne sais comment ce soudain changement
devint si fort. Il me prenait parfois des
envies de fuir, de ne plus reparaître à
l'hôtel Puyrenier, de passer une année en
voyages, dans les distractions et dans
l'ouBli. Ces hésitations ou ces résolutions
duraient peu; je revenais chaque jour au
poison, me payant moi-même de prétextes,
tantôt me disant que je revenais voir ma-
voque des réflexions A l'avantage du génie
humain. •
Je vois d'ici votre étdnnernent.
M. Paul Fév'al a diné l'autre jour à
Marly chez Victorien Sardou. et les deux
amis ont célébré gaiement les funérailles
de leur rancune. Embrassons-nous et
que çailnisse! ,̃
Ce sont généralement les petits Etats
qui donnent les grands exemples, ce dont
je les félicite sincèrement. Que ne som-
mes-nous hélas! les Français d'une France
en miniature, sans armée, sans Constitu-
tion, sans ambition! Après tout, ça
viendra peut-être ?# ̃-
L'Assemblée^#lfstituante de Zurich
vient d'abolir fflàm&e de mort à l'unani-
mité. Voilà de ^mr^gens -̃
Les Américains qui sont venus chez
nous faire la traite des actrices quittent au-
jourd'hui la France avec leur cargaison.
Un navire est au Havre qui attend les
chanteuses et les comédiennes pêchées
dans nos scènes par ces messieurs, avec
des hameçons amorcés de billets de
banque.
Les pauvrettes versent des larmes en
faisant leurs malles. C'est dur de quitter
Paris, où on laisse des amis et des parents.
Ah! si l'on avait pas signé! mais il est
trop tard.
Du reste, les raccoleurs ont bien fait les
choses. Mademoiselle Desclauzas a déjà
touché quinze mille francs, et l'on a battu
ses hésitations en brèche en lui promet-
tant sur papier timbré S. V, P. des
émoluments faramineux.
De toutes celles qui nous quittent made-
moiselle Desclauzas est celle qui laissera
le plus de regrets à Paris.
Il y a bien longtemps que l'on n'a parlé
du zouave Jacob 1. Et pourtant ce trom-
bone illustre continue ses cures. Je me
suis trouvé l'autre jour dans l'omnibus de
Passy avec une vieille femme qui sortait
du cabinet du fameux guérisseur.
Elle ne tarissait point d'éloges sur son
compte. Domiciliée à Pontoise, un lom-
bago la retenait collée à une chaise depuis
quinze jours. Sur les instances d'une com-
mère de ses amies, elle se décida à venir
trouver Jacob, qui commença par jeter les
béquilles de sa cliente par la fenêtre, et
qui la contraignit à se baisser, à ra-
masser des pièces de monnaie à terre et à
lever les bras. ttrp.C, il força les muscles
roidis de la boiteuse à reprendre leurs
fonctions. et quelques minutes après il
n'y paraissait pas. elle marchait droite
comme un I. Ce résultat n'excite en rien
mon admiration. Tout le monde sait que
les bobos de ce genre (torticolis ou autres)
se guérissent avec un peu d'énergie et
sans zouave. On n'a qu'à lutter contre
l'engourdissement de certains nerfs. C'est
l'affaire d'une minute et d'un cri.
Néanmoins la vieille emplissait la voi-
ture de ses actions de grâce et de ses pro-
sopopées. Elle conta que Jacob ne se fait
pas payer. Mais il y a un mais il
exige qu'on achète sa photographie avant
d'entrer dans son cabinet; et la bonne
femme, dans son ravissement, en avait
acheté deux: une en entrant, et l'autre
en sortant-total 2 fr. Bénéfice net pour
le rebouteux 30 sous. Nélaton est vrai-
ment plus cher i
M. de Solms, chargé d'aftaires de Prusse
en France, pendant la maladie de M. de
Goltz, est également chargé par son gou-
vernement d'assurances tellement paci-
fiques, tellement conciliantes. que la
Bourse est capable de baisser.
Le cabinet de Berlin déclare qu'il est
prêt à renoncer à ses recrues de 1868; en
d'autres termes à ne pas lever de cons-
cription cette année.
Et M. le maréchal Niel qui demandait
dame de Puyrenier, cette mère, tantôt
que je ne pouvais m'éloigner ainsi, brus-
quement et brutalement de Madeleine,
cette sœur.
D'autres fois, je me sentais tout à coup
pris d'accès de complète sagesse. Je cal-
culais, avec la froideur d'un commis aux
écritures, l'état de ma petite fortune, le
revenu que pouvait me donner mon mé-
tier d'avocat, et si j'étais en mes re d'of-
frir à Madeleine une situation pareille à I
celle qu'elle occupait. Je n'ai jamais tant
souhaité la richesse qu'en ces heures de
doute où, par des prodiges d'équilibre,
j'établissais mon budget, faisant ma part
la plus mince possible et donnant tout,
dans ma pensée, à cette compagne rêvée,
trouvée, et (je ne me le cachais même plus
maintenant) adorée.
Vingt fois, cent fois, me trouvant au-
près d'elle, pendant ces causeries qui ¡
m'étonnaient toujours, et où elle passait,
soudain, d'une gaieté d'enfant à une mé-
lancolie qui-me faisait mal, il me vint aux f
lèvres cette prière que je lui adressais Is
tout haut quand elle n'était plus là « Vou-
lez-vous m'épouser, Madeleine?» Mais,
comme si elle eut compris ma pensée i
toujours, au moment on j'allais parler,
elle m'arrêtait, soit par un de ces éclats de
rire nerveux qu'elle avait, soit par un mot
attristé et d'une tristesse sans cause.
Elle me rendait fou, d'ailleurs, par cette
humeur bizarre qui m'étonnait et m'obsé-
dait comme un problème. Tout ce qu'elle
avait de charmant se trouvait aidé de
tout ce qu'elle avait de mystérieux. Elle
m'eût attiré par sa grâce, elle nie retenait
par sa mélancolie ou sa gaieté souffran-
tes. Ali le rêve de la vie à deux avec Ma-
deleine, combien de fois l'ai-je bercé à
l'écart, adorable chimère qui me troublait
et m'emplissait d'une joie craintive! L'é-
pouser, lui donner mon nom, l'emmener,
l'emporter au loin, passer ma vie à ses
genoux, la cacher et nous cacher dans un
coin perdu, lui faire un univers de mon
̃ amour, trouver un monde dans un de ses
sourires, oublier et aimer:
cent mille hommes àveffiant d'éloquence 1
Qui croire? -'̃;
Un dernier mot sur le Persan rfùi.ifienfi
de mourir. C'était l'homme Je.plus.sraplffi
du monde. Il vivait très sobremeiite peut même dire qu'il se soumettaifmuMj
régime diététique. Un restaurateurferllj
quartier lui apportait son souper. \T1
quartier lui a son souper.
Il ne sortait jamais sans avoir dans se
poches une trentaine de sous pour distri-
bueraux pauvres.
Il envoya cent vingt francs pour les
inondés de Lyon; une somme relativement
forte pour les victimes du tremblemetit-.de
terre de la Pointe-â-Pitré, etc.*
Quand il faisait du bien, il n'embouchait
point la trompette. -<: •
Les meubles de son appartement: ne lui
appartenaient pas; il Jes ̃ àyail loués
moyennant douze cents francs=par an, et
les faisait réparer à ses frais:,
En sorte qu'il a payé près de trente
mille francs des meubles qu'on ne tro.uje-
rait pas à, vendre pour douze cents francs.
# ̃ ̃̃•̃. »
.yi. î, ## -» .• ••; /<-
Etait-ce travers d'esprit, ressentiment
contre le sexe perfide ou toute autre
cause? toujours est-il qu'il ne pouvait
souffrir de femme.
Il était expressément défendu à la J'em
me de son valet de chambre de pénétrer
dans ses appartements.
Et pourtant il avait été marié. Il laisse
un fils qui réside à Bombay.
Nous ignorons encore s'il a laissé un
testament.
Des détails suisses sur le voyage de Vic-
toria 1™
La reine d'Angleterre est installée à
Lucerne, dans une maison de campagne
bien connue des touristes, et qui s'appejl»
le Gùtsoh. Elle ne reçoit personne et passe
son temps en excursions et en ascensions
fatigantes. Elle a gravi lé Saint-Gothard
et le Righi ces jours derniers. Sa Majesté
britannique, durant ces promenades", n'en-
tre jamais dans les hôtels qui émaillent les
flancs des montagnes helvétiques. Elle aime
à boire et à manger en plein air, assise
sur l'herbe, et s'efforce d'éviter le bruit
des auberges et la gênante curiosité des
voyageurs. Avant-hier, elle a fait 1 ascen-
sion du Pilate. '̃ '•"̃ e
~#
:/)
Mais, si la souveraine est dons la joie,
les habitants du pays sont navrés. Sa
présence à Lucerne en a chasse les An-
glais qui y affluent tous les ans el qui, par
discrétion, se sont portés ailleurs durant,
cette saison. D'autre part, la reine ne fait
pas beaucoup de dépenses. et uu parci-
monie n'est pas faite pour .rétabli i1 .l"efjui-
libre dans les recettes des riverains du
Lac des quatre cantons. vt^
C'est aujourd'hui samedi. 31 septembre,
que Bade entend pour la première fo'S ls
Lohengrin de Wagner. •
MM, Perrin, de Leimm et 1'éd.it'eur,
sont partis pour assister à cette, représen-
tation. '̃ r'
On annonce à Madrid l'apparition, aux
côtés de la reine, d'une nouvelle sœur
Patrocinio, Dona Pilar, dont on dit le plus
grand bien, une-sainte personne détachée
des appétits terrestres.
Allons, allons, il y a encore de beaux
jours pour l'Espagne ,-•
Les photographes-artistes (ne pas con-
fondre avec les autres) pestent contre M.
de Nieuverkerke qui leur a interdit l'en-
trée des galeries du Louvre. Les .repro-
dnctions des maîtres vont devenir très
rares, mais c'est la faute à ces messieurs
ils abreuvaient les planchers de solutions
acides et de produits violents. S'ils avaient
eu la pcéçautiQn de mgttre.sous ley.rs ap-
pareils des tapis de toile cirée le musée
serait resté accessible à leurs objectifs.
Puis, l'ivresse passée, une maison quel-
que part, à Paris, la vie paisible en pleine
fournaise, la lutte durant le jour, le re-
tour chaque soir, auprès d'elle, les longues
soirées d'hiver, la main dans la main et
les yeux sur les yeux, une tête d'enfant
souriant à la clarté de la lampe, des cris
de joie sur le tapis ou le baby se roule <
avec le chien, qui se laisse faire du i#al
sans grogner. Combien de fois ai-je évo-
qué ces tableaux d'une simplicité sa-
crée, bonheur banal et facile, banal com-
me tout ce qui est saint; calme, pur, éter-
nel
C'est que, tout jeune, j'étais apaisé déjà
et que j'avais soif de calme. Mon enfance
éprouvée m'avait t'ait une jeunesse sévère.
L'idéal avait toujours été pour moi le juste
et le vrai. Et il me semblait que dans Fàrae
de Madeleine pareil besoin de repos et de
tendresse devait exister. J'expliquais par
une lassitude et une série de réflexions
déçues, son humeur changeante qui m'af-
fligeait. Je la plaignais sérieusement, cette
enfant, élevée ainsi, loin de son père, chez
un étranger, et qui, pour ne pas effleurer
la respectueuse tendresse qu'elle devait à
sa mère, était forcée de ne jamais évoquer
le passé. Madeleine avait-elle souvenir
d'autrefois ? 1
Ne revoyait-elle point, dans ses journées
d'enfant, le visage irrité de son père qui
semblait lui dire de qud droit: m'oublies-
tu? Et à qui, si elle souffrait de ces visions,
pouvait-elle confier ses souffrances? Elle
eut frappé au cœur sa mère et M. de Puy-
renier en laissant échapper une allusion,
un regret, un soupir. Quel Mippiire pour
cette pauvre fille I II se mêlait de la pitié
dans mon amour. Je me disais encore qu'il
fallait l'arracher à ce milieu faux, à cette
maison où la douleur, pour elle, était
comme tapie à tous les angles.
I Ali vraiment oui, je l'aimais 1
1 JULES CLA.RRTTK
[La suite à demain).
Un numéfo t 15 centimes.'
15* Année 3e Série Numéro 250
Administrateur
UGOSTE DUMONT
ABONNEMENTS
ABONN&~IBNTS
Paris 3 moi» ta fr. 80 £
Départements 3 mois. 16 fr. •»
ANNONCES
MM. DOLLINGEN fils et A. SÉGUT
Passage des Princes, Escalier C
BUREAUX :̃
S, SCB COOjBÉRON ET RUE BOSSUrtTs S
Rédacteur en chef
H. DE VILLEMESSANT
RÉDACTION
de ©heures h 11 heures, rue Coq-Héron, 5
de midi à S heures, rue Rossini, 3
Us manuscrits ne sont pas rendus /xsN'
Départements et gares 20 centiiMB1^: [<
| ~^z
BUREAUX \Z> <̃
S, BOB COQ-HÉROH ET BUE HO88I*t3
COURRIER DE PARIS
Une des études les plus intéressantes
pour l'homme qui veut en quelque sorte
tâter le pouls au public et savoir si son
sang bat lentement ou fort, c'est une sta-
tion dans une boutique de libraire. Je ne
dis pas un libraire de hlgh life, un de ceux
qui vendent les livres gris d'Eugénie et
Maurice de Guérin, les petites images
chères à Veuillot et les statuettes en stéa-
rine, mais un libraire populaire, avec éta-
lage en plein vent, cet étalage tout pavoisé
;deibr;ocliuresrouges ou vertes, de petits
livres de la RibliotMquë utile et de jour-
naux, qui sentent bon.
On voit entrer, vers midi, lorsqu'on dé-
jeune, ou le soir, la journée finie, les ou-
vriers du quartier, tête nue, et à toute
lïeure, les passants et les fillettes. Ils jet-
tent sur le comptoir quelques sous, pren-
nent un journal, souvent deux, et empor-
tent cela pour le lire. Ce sera la pâture
du soir. Cette profusion de feuilles à bon
marché a décidément- «abitué-l«*peuple à
dévorer deux sortes de pain quotidien.
Après les journaux viennent les ouvra-
ges en vogue; les livres qu'on publie par
livraisons. Ils ont leur public aussi, qui
est nombreux. J'ai désiré savoir je suis
curieux ceux qu'on achetait le plus vo-
lontiers. Il n'y a pas longtemps, m'a-t'on
dit, le roman-feuilleton triomphait sur
toute la ligne. Les aventures improbables,
lès combinaisons étonnantes, les crimes
les plus atroces ou les plus fous tenaient
le public attentif. Il y avait de la fièvre
dans le geste hâtif avec lequel on ouvrait
le journal qui devait vous apprendre si
tel forçat illustre était mort.
Mais le temps marche.
On1 s'inquiète aujourd'hui d'autre chose.
Il y a dans l'air comme un souffle nou-
veau. Ce qui intéresse, ce qui séduit, ce
qui passionne, ce n'est plus leroman, c'est
l'histoire; ce n'est plus la fiction, c'est
la vérité. On veut d'autres 'drames que
ceux qui sortenfsanglants ou bouffons du
cerveau d'un homme. Il faut au public le
spectacle de ces drames éclatants qui sont
nés, tout écrits, du cœur d'un peuple.
Tout ce qui parle à la foule du passé
glorieux, tout ce qui évoque quelque date
magique et immortelle, tout ce qui porte
ce nom foudroyant, Révolution, est cer-
tain du succès. Oh va droit à ces livres;
ce sont eux que le peuple achète; ils
comptent des lecteurs par milliers.
"Ces mouvements de réveil ont leur im-
portance. M. Germer-Pages publie-t-il en
livraisons son Histoire de 1848? On la tire
à cinquante mille exemplaires. Daniel
Stern fait illustrer la sienne? Elle s'enlève
avec une rapidité qui étonne. Thiers après
Lamartine, Louis Blanc après les Giron-
dins vont partout sous cette forme popu-
laire, et composent le fond de la biblio-
thèque de tous.
Erckmann-Chatrian, avec leurs romans
patriotiques publiés ainsi, avaient ouvert
la marche. Puis les historiens de la Révo-
lution sont venus, et, après 89, 1848.
̃ On annonce justement que M. Louis
Blanc prépare, lui aussi, à cette heure,
une Histoire de la Révolution de 1848. Il
avait déjà dit son mot sur cette époque,
mais le livre, ou plutôt le mémoire justi-
Feuilleton dn FIGARO du 6 septembre 1868
r"r"l:T-7"^ 3 .̃T.io.
MADELEINE BERTIN
PAR
JULES CLARETIE
̃['̃̃ .•; fà-v; ̃ I
,•• Suita
Madeleine fit un mouvement pour reti-
rer sa main je la tenais doucement pres-
sée.
Madeleine, lui dis-je, mon amitié est
à vous tout entière, et je ne vous pardon-
nerais jamais si vous ne me donniez point
une part dans vos souffrances 1
Dites mes caprices répondit-elle
avec un sourire soudain. Oui, ce ne sont
là que des caprices peut-être. Après tout
ne suis-je pas heureuse et mon sort n'est-il
point de ceux qui font envie? M. de Puy-
renier obéit à mes moindres gestes comme
jadis, lorsque j'étais enfant. Ma mère m'a-
dore. J'ai mes flatteurs aussi et mes cour-
tisans. On s'est imaginé de me découvrir
un grand talent de peintre. Vous verrez
mon atelier et mes toiles. Je n'aurais qu'à
me laisser vivre. Lorsque jevois des gens
ramer pour remonter le courant, je suis
tentée de les traiter de fous. Cela est si
charmant de se coucher dans sa-barque,
les yeux sur le ciel, et d'oublier tandis
que les deux rives disparaissent à nos
côtés, comme des songes. Et voilà cepen-
dant ce que je ne puis me décider à faire.
Oublier? C'est impossible. Allons, laissons
cela.
Elle se pencha vers un petit griffon qui
Reproduction interdite, excepté pour les
journaux qui ont traité avec la Sooiété des
Gens de lettree.
ficatif, imprimé à la fois en anglais et en
français, n'a point ses entrées en France.
Cette histoire nouvelle sera un événe-
ment. '[̃'̃̃ ̃-̃̃' '̃ '̃" '•̃••̃̃'•
Depuis qu'il a achevé la publication du
livre qui, avec l'ouvrage de Michelet, est
le plus beau des monuments élevés à la
Révolution française, M. Louis Blanc n'a
pas donné d'œuvre inédite. On nous pro-
met depuis trois ans un Tableau des Salons
au diX-huitième siècle, où sa verve de colo-
riste vient en aide à son érudition de
lettré et d'homme de goût et:à sa science
de philosophe.
En attendant, il envoie tous les huit
jours d'Angleterre une de ces études qui,
publiées dans le Temps, sont comme les
pages détachées d'un beau livre tracé au
courant de la plume et des événements.
En vérité, on serait tenté de pardonner à
l'exil et de moins l'exécrer lorsqu'on songe
que c'est à lui qu'on doit tant de choses et
des plus sublimes. C'est l'exil qui dictait à
Bœrne et à Heine leurs lettres sur la Fran-
ce c'est l'exil qui a fait connaître l'An-
gleterre à la France par Louis Blanc et
par Êsquiros. Ainsi les peuples fraterni-
sent et s'embrassent par les malheureux
et les proscritSjJaes fleurs qui coulent en
ces rencontresjwBÉfiient, dirait-on, le sang
versé sur les champs de bataille^
II y a déjà vingt ans que Louis Blanc
est hors de France. Vingt ans de labeur
assidu, de travail et aussi de travail sur
soi-même, vin^t ans de longues heures où
le chœur des regrets, des espérances dé-
truites, des souvenirs défunts vient tour-
noyer autour ''de? tempes qui grisonnent,
comme une ro»de de fantômes..
Il y a vingt an$ qu'arraché de son banc
par l'émeute, qui, en le portant en triom-
phe, le désignait clairement à la haine, il
a choisi à Brighton un coin de rivage où
il peut parfois véiç. frissonner au mât d'un
navire notre dnapeau aux trois cou-
leurs.
Il vit là-bas, «allant souvent à Londres
où il est à la fois respecté et admiré, où
l'on écoutait jadis son éloquente parole de
speaker (il parle l'anglais avec la même
correction que notre langue et il est le
collaborateur de journaux britanniques,
VÂthœneum, etc.), mais il n'oublie point la
France; il se souvient de Paris.
Il écrivait, l'an dernier, dans le Paris-
Guide, à propos des embellissements de
M. Haussmann, qui a substitué sur les
armes municipales une pioche au vaisseau
légendaire
« Tous les souvenirs sont-ils donc des-
» tinés à disparaître? Parmi ceux des en-
» fants de la France qui l'ont quittée de-
n puis longtemps, j'en connais qui pâlis-
» sent d'effroi quand on leur dit « Si
» vous reveniez à Paris demain, vous ne
n le reconnaîtriez plus » Quoi! déjà?.
» Paris hélas 1 c'est pourfa~tt bov ~t recon-
» naître » Il
Paris était bon à reconnaître Cette
simple ligne mélancolique m'a profondé-
ment touché quand je l'ai lue. LouisBlanc
a souvent d'ailleurs de ces retours atten-
dris, de ces accès d'émotion sobre et juste.
Il n'a pas été gâté par la vie, et celui-là,
comme tant d'autres, a payé cher sa
gloire1
Il a cinquante-cinq ans. Il est né à Ma-
venait d'entrer, et qui la tirait par sa jupe,
mordillant l'étoffe de ses dents impatien-
tes. Elle le prit sur son bras gauche, lui
souriant en l'agaçant dé la main et en
fronçant vers lui ses lèvres
Tenez, voilà mon seul ami. Je vous
présente sir Love, un gentleman qui me
vient de Londres. Kis me, Love Je vous
avertis, Régis, qu'il ne faut pas être ja-
loux de lui. Il est le souverain maître ici.
Et comme le chien, en aboyant, avan-
çait vers moi sa tête de lord insulté
Love, dit-elle, il faut être poli pour
$e nouveau venu. C'est mon meilleur ami.
"Vous voilà présenté, ajouta-t-elle en re-
mettant sur le parquet le griffon qui se
prit à bondir, tout en déchirant le tapis.
Quand je songe à cette première entre-
vue (car c'était comme une autre Made-
leine que je retrouvais là) je me demande
s'il n'y a point dans la vie de chacun une
part de fatalité. Jusqu'alors je n'avais en-
trevu dans cette ieune fille qu'une compa-
gne de jeux, une amie, et, comme je le
lui disais, une sœur. Il m'était bien sou-
vent venu cette pensée, et j'avais plus
d'une fois adressé cette question à mon
père Quand Madeleine se mariera-t-
elle ? Il me semblait qu'elle était un peu
de la famille.
En la voyant, j'éprouvai un sentiment
tout nouveau et qui me surprit, carj'es-
sayai de l'analyser dès le premier mo-
ment. Sa vue me troubla et je dus lui pa-
raître intimidé. Il m'était resté dans l'idée
que j'étais un peu pour elle comme un
conseiller et comme un guide. Tout au
contraire, elle prit aussitôt l'autorité et je
n'éprouvai plus qu'un désir, qui n'était
plus celui de commander, mais d'obéir.
Elle en fut flattée, je le vis bien, et m'en
témoigna par d'involontaires paroles' sa
satisfaction. Il y avait toujours eu dans
cet esprit si rapide et si net quelque chose
d'impératif. L'enfant aimait à imposer son
caprice. Je compris tout d'abord qu'il
plaisait à la femme de dominer autant
que de séduire.
Ëh bien me demanda madame de
drid. Son père inspectait les finances es-
pagnoles sous le roi Joseph. Sa mère était
proche parente de Pozzo di Borgo, le gé-
néral. « J'ai été élevé, dit-il, par des pa-
» rents royalistes. L'horreur de la Révo-
n lution est le premier sentiment fort qui
» m'ait agité! Pour porter le deuil et em-
» brasser le culte des victimes, je n'avais
» nul besoin de sortir de ma propre fa-
» mille, car mon grand-père fut guillotiné
» pendant la Révolution, et mon père eût
» été guillotiné comme lui, s'il n'eut réussi
» à s'évader de prison la veille du jour
» où il devaitpasser en jugemeqt. Ce n'est
» donc pas sans quelque peine que je suis
» parvenu à me faire une âme capable de
» rendre hommage aux grandes choses de
» la Révolution et à ses grands hommes.
» Maudire les crimes qui l'ont souillée,
» n'exigeait certes de moi aucun effort. »
Je plains quiconque, en lisant ce livre,
(l'Histoire de la Révolution), n'y reconnaî-
trait pas l'accent d'une voix sincère et les
palpitations d'un cœur affamé de justice.
Louis Blanc était venu à Paris en 1830.
Il était pauvre et il avait à nourrir son
père et son frère, Charles Blanc, plus jeu-
ne que lui. Il avait alors vingt-sept ans.
Daniel Stern a conté que parfois, les dures
journées étant fréquentes, Louis Blanc,
qui donnait des leçons ou écrivait des
prospectus pour vivre, feignant d'avoir
pris son repas au dehors, répondait j'ai
mangé, quand on lui disait pourquoi ne'
manges-tu pas? et laissait à son frère une
part plus grande delà nourriture du jour.
Il faut faire connaitre ces histoires. Ce
sont des traits qui amènent les larmes.
Unjour, Pozzo di Borgo fait appeler son
neveu, lui annonce qu'il va se charger de
son avenir, lui parle avec une certaine
hauteur et, par un valet, l'entretien fini
lui fait remettre une bourse.
Une aumône à moi Le frère de ma
mère! 1
Louis Blanc jeta la bourse à terre et
sortit de cet hôtel, où on ne le voit ja-
mais, la colère dans ses grands yeux
noirs.
Aujourd'hui Louis Blanc est riche. Mais
il n'a jamais rien sacrifié de sa dignité
pour le devenir. Lorsqu'après son grand
succès de l'Histoire de Dix ans, il entreprit
d'écrire Y Histoire de la Révolution, il passa
un traité avec les éditeurs Pagnerre, Furne
et Leclercq. Il leur vendait les dix volu-
mes de l'ouvrage moyennant deux cent
mille francs.
1848 arriva. Les affaires subirent une
notable atteinte pendant un moment,
moment assez court, car le commerce n'a
jamais mieux prospéré qu'à la fin de la
République. Les éditeurs soumirent le cas
à M. Louis Blanc.
Eh bien! dit-il, partageons cela. Rien
n'est plus simple. Au lieu de 200,000 fr.,
vous ne me donnerez que 100,000 francs,
et l'Histoire de la Révolution aura douze
volumes.
Il devait mettre dix-huit ans à les ache-
ver. Ce livre fut, a-t-il dit, pendant ces
dix-huit ans « l'occupation, le charme et le
tourment de ma vie. »
Avec le poëme merveilleux de Michelet,
qui met au premier plan le peuple, avec
le livre concis et comme marmoréen de
Mignet et les volumes pleins de menus
faits de Thiers, cette Histoire de la Révolu-
tion doit occuper et occupera un des rayons
choisis de la bibliothèque du citoyen.
Nous attendons aussi cette Histoire de là
Puyrenier, comment trouvez-vous Made-
leine ?
C'est votre douceur devenue viva-
cité, votre bonté devenue énergie.
Trouvez-vous qu'elle me ressemble?
Je cherchais avant de répondre.
-• Elle ressemble à son père, dit Louise
Bertin avec une franchise simple.
Elle ressemble à son père! Il y avait
dans ces mots doucement prononcés un
monde de souffrances. L'absent était tou-
jours présent aux yeux de madame de
Puyrenier dans le visage de Madeleinç,
Le mort (s'il était mort) survivait d%s
son enfant. Assurément, la mère aussi^e-
vait avoir, comme la fille, ses heures
tortures et de larmes.
Cette maison n'était point changée. Le
temps avait passé sans cicatriser la plaie.
Madeleine, devenue femme se taisait sans
rien oublier; Louise cachait sa blessure,
et M. de Puyrenier las, un peu concentré,
s'était fait doucement à cette existence
décl'assée dont il ne paraissait plus souf-
frir. Il avait assez profondément modifié
sa vie.
Ce n'était plus le reclus volontaire d'au-
trefois. Il avait repris peu à peu son rang,
sinon dans le monde, au moins dans quel-
qu'une de ces fractions de monde qui
changent de nom à Paris selon les quar-
tiers. Son cercle intime tenait légèrement
à la religion, à cette société bienfaisante
et aimable qui danse avec dévotion pour
les pauvres et invite les comédiens qu'elle
fait jouer pour des gens dont elle veut opé-
rer le salut.
M. de Puyrenier, je m'en aperçus bien
vite, avait d'ailleurs tempéré son ironie
d'autrefois par une sorte de gravité, élé-
gante qui lui permettait de tout voir et de
tout entendre en ayant l'air de tout ap-
prouver. Le sceptique était devenu indiffé-
rent au point de renoncer à affirmer son
scepticisme même. Il se montrait, au sur-
plus, fort accueillant et me témoignait une
certaine sympathie; il m'avait offert d'ha-
biter dans l'hôtel un petit pavillon, au
fond du jardin. J'avais refusé. J'aimais
mieux être totft à fait Tibre, Je m'étais*
Révolutùm de 1848 où l'auteur nous dira
sans doute tout ce que3^ temps, l'expé-
rience, les longues réfl|Sions de l'exil ont
apporté dé changements dans ses idées
d'autrefois. La vie est lavande maîtresse.
Quelles modifications #ingulières, Louis
Blanc, qui, apr«s le 1É| mai, était l'effroi
de la bourgeoisie, et qu%J.es gardes natio-
naux voulaient fusille#" sans jugement
(la belle conseillère qjj£e la peur!), l'auteur
de l'Organision du tf^pail est devenu une
des autorités de cette |ncme bourgeoisie.
Instruite par les aujiles, elle regrette
peut-être ses ardeur*, d'autrefois, elle a
signé l'acte de réconcilf|tion, et l'écrivain
du Temps est maintenait un de ceux qu'elle
a adoptés et qu'elle honore. ̃
r.J
C'était la transaction inévitable. Toute
révolution est en même temps un problème
qui pourra t s'appeler Faute de s'entendre.
Et lui-même, sans renier rien de son
passé, Louis Blanc est devenu comme un
homme nouveau dont le nom est à la fois
une autorité et une leçon. C'est un poli-
tique assagi, comme dirait le vieux fran-
çais, mais qui conserve encore et gardera
toujours les ardeurs et les vaillances de
sa jeunesse, cette flamme, cette verve,
cette pétulance méridionale qui entrai-
nait.
Petit, quasi imberbe, le regard brûlant,
à trente ans il avait l'air d'en avoir quinze.
A cinquante ans, il a l'air d'eu avoir
trente. £
On parle de lui offrir une candidature
aux élections prochaines. Sa nomination
serait certaine. Mail'Vauteur de la Hero-
lution française prétèrait-il serment à son
ancien collaborateur du Progrès dit Pas-
de-Calais? ̃'̃
Candide.
La Ville et le Théâtre
HIER AUJOURD'HUI DEMAIN
Le Prince Impérial, accompagné du fils
du prince Joachin| Murât et, du jeune
:Conneau, a chasse-' mercredi. La vérité
nous force à dire qilè, malgré l'atfluenoe
en gibier dans les tijpés de Fontainebleau,
le Prince est rentré hredouille au châ-
teau.
Fontainebleau et ses environs viennent
d'être, durant un mois, sillonnés par une
locomotive traînant à sa 'suite quatre voi-
tures. On a cru d'abord à un essai d'une
machine à vapeur routière, semblable à
l'omnibus dont nous avons parlé; mais
l'odeur répandue dans les airs par co train
qui s'arrêtait à la porte des maisons le soir
et en tirait certaines matières à l'aide de
tuyaux pompe, a fait cesser cette illusion.
Après avoir opéré, le convoi filait dans les
campagnes environnantes et vendait son
chargement aux fermiers désireux d'en
graisser leurs terres.
Jusque-là, tout est bien; mais on a cons-
taté que soit par jalousie, soit par timi-
dité les chevaux ne voyaient pas cette
innovation avec plaisir. Ceux-ci se ca-
braient, ceux-là s'emportaient.
On a eu à déplorer des accidents nom-
breux et très graves.
D'autre part, les routes s'effondrent sous
les roues massives et sous les chars pe-
sants traînés par le chaudron-locomobile.
De là, criaillerie des cochers et plaintes
des ponts et chaussées.
Disons pourtant que l'aspect de ces voi-
tures, filant sur les chemins avec grand
tapage, force coups de sifflets et une ra-
pidité étonnante, est surprenant et pro-
installé avenue Frochot, dans cette cité
pleine d'arbres, de fleurs, et qui est
comme une petite province, au cœur de
Paris. J'y travaillais.
Bien souvent aussi je descendais vers
le faubourg Saint-Honoré, j'entrais, non
plus d'un pas délibéré comme jadis, mais
avec une vague émotion, presque de l'in-
quiétude. J'apportais à madame de Puy-
renier, qui sortait peu, les nouvelles du
dehors, les bruits parisiens, le chœur tapa-
geur des « on dit. » J'échangeais avec Ma-
deleine quelque propos rapide qui me sem-
blait furtif, quelque banalité qui me pa-
raissait une confidence. C'est que les pen-
sées comme les choses n'ont d'autre valeur
que celle qu'on leur prête.
Déjà un seul mot de Madeleine, tout bas
murmuré, déjà un de ses sourires, un sou-
pir surpris, une larme devinée, un pli du
front, un signe de tête prenaient pour moi
un sens important et nouveau. J'essayais
d'analyser tout, de tout deviner, de tout
traduire. Le rêve, chaque jour, se faisait
plus puissant et s'imposait à moi. Pour
tout dire, et sans, prolonger ici l'explica-
tion d'une passion qu'on devine, j'aimais
Madeleine et chaque jour je 1 aimais da-
vantage.
Je me sentais peu à peu gagné, envahi
par ce sentiment que j'aurais voulu com-
battre. Mais il y a dans la naissance de
l'amour une part d'abdication on se
laisse aller, comme au cours de l'eau,
avec une volupté tremblante. On voudrait
résister et l'on n'ose. On ressemble à un
homme qui écouterait une musique de si-
rènes et qui, comprenant le danger, vou-
drait d'un cri faire cesser la mélodie, j
mais se tairait, de peur de ne plus enten-
dre ce concert qui l'attire et l'enivre. Je
ne sais comment ce soudain changement
devint si fort. Il me prenait parfois des
envies de fuir, de ne plus reparaître à
l'hôtel Puyrenier, de passer une année en
voyages, dans les distractions et dans
l'ouBli. Ces hésitations ou ces résolutions
duraient peu; je revenais chaque jour au
poison, me payant moi-même de prétextes,
tantôt me disant que je revenais voir ma-
voque des réflexions A l'avantage du génie
humain. •
Je vois d'ici votre étdnnernent.
M. Paul Fév'al a diné l'autre jour à
Marly chez Victorien Sardou. et les deux
amis ont célébré gaiement les funérailles
de leur rancune. Embrassons-nous et
que çailnisse! ,̃
Ce sont généralement les petits Etats
qui donnent les grands exemples, ce dont
je les félicite sincèrement. Que ne som-
mes-nous hélas! les Français d'une France
en miniature, sans armée, sans Constitu-
tion, sans ambition! Après tout, ça
viendra peut-être ?# ̃-
L'Assemblée^#lfstituante de Zurich
vient d'abolir fflàm&e de mort à l'unani-
mité. Voilà de ^mr^gens -̃
Les Américains qui sont venus chez
nous faire la traite des actrices quittent au-
jourd'hui la France avec leur cargaison.
Un navire est au Havre qui attend les
chanteuses et les comédiennes pêchées
dans nos scènes par ces messieurs, avec
des hameçons amorcés de billets de
banque.
Les pauvrettes versent des larmes en
faisant leurs malles. C'est dur de quitter
Paris, où on laisse des amis et des parents.
Ah! si l'on avait pas signé! mais il est
trop tard.
Du reste, les raccoleurs ont bien fait les
choses. Mademoiselle Desclauzas a déjà
touché quinze mille francs, et l'on a battu
ses hésitations en brèche en lui promet-
tant sur papier timbré S. V, P. des
émoluments faramineux.
De toutes celles qui nous quittent made-
moiselle Desclauzas est celle qui laissera
le plus de regrets à Paris.
Il y a bien longtemps que l'on n'a parlé
du zouave Jacob 1. Et pourtant ce trom-
bone illustre continue ses cures. Je me
suis trouvé l'autre jour dans l'omnibus de
Passy avec une vieille femme qui sortait
du cabinet du fameux guérisseur.
Elle ne tarissait point d'éloges sur son
compte. Domiciliée à Pontoise, un lom-
bago la retenait collée à une chaise depuis
quinze jours. Sur les instances d'une com-
mère de ses amies, elle se décida à venir
trouver Jacob, qui commença par jeter les
béquilles de sa cliente par la fenêtre, et
qui la contraignit à se baisser, à ra-
masser des pièces de monnaie à terre et à
lever les bras. ttrp.C, il força les muscles
roidis de la boiteuse à reprendre leurs
fonctions. et quelques minutes après il
n'y paraissait pas. elle marchait droite
comme un I. Ce résultat n'excite en rien
mon admiration. Tout le monde sait que
les bobos de ce genre (torticolis ou autres)
se guérissent avec un peu d'énergie et
sans zouave. On n'a qu'à lutter contre
l'engourdissement de certains nerfs. C'est
l'affaire d'une minute et d'un cri.
Néanmoins la vieille emplissait la voi-
ture de ses actions de grâce et de ses pro-
sopopées. Elle conta que Jacob ne se fait
pas payer. Mais il y a un mais il
exige qu'on achète sa photographie avant
d'entrer dans son cabinet; et la bonne
femme, dans son ravissement, en avait
acheté deux: une en entrant, et l'autre
en sortant-total 2 fr. Bénéfice net pour
le rebouteux 30 sous. Nélaton est vrai-
ment plus cher i
M. de Solms, chargé d'aftaires de Prusse
en France, pendant la maladie de M. de
Goltz, est également chargé par son gou-
vernement d'assurances tellement paci-
fiques, tellement conciliantes. que la
Bourse est capable de baisser.
Le cabinet de Berlin déclare qu'il est
prêt à renoncer à ses recrues de 1868; en
d'autres termes à ne pas lever de cons-
cription cette année.
Et M. le maréchal Niel qui demandait
dame de Puyrenier, cette mère, tantôt
que je ne pouvais m'éloigner ainsi, brus-
quement et brutalement de Madeleine,
cette sœur.
D'autres fois, je me sentais tout à coup
pris d'accès de complète sagesse. Je cal-
culais, avec la froideur d'un commis aux
écritures, l'état de ma petite fortune, le
revenu que pouvait me donner mon mé-
tier d'avocat, et si j'étais en mes re d'of-
frir à Madeleine une situation pareille à I
celle qu'elle occupait. Je n'ai jamais tant
souhaité la richesse qu'en ces heures de
doute où, par des prodiges d'équilibre,
j'établissais mon budget, faisant ma part
la plus mince possible et donnant tout,
dans ma pensée, à cette compagne rêvée,
trouvée, et (je ne me le cachais même plus
maintenant) adorée.
Vingt fois, cent fois, me trouvant au-
près d'elle, pendant ces causeries qui ¡
m'étonnaient toujours, et où elle passait,
soudain, d'une gaieté d'enfant à une mé-
lancolie qui-me faisait mal, il me vint aux f
lèvres cette prière que je lui adressais Is
tout haut quand elle n'était plus là « Vou-
lez-vous m'épouser, Madeleine?» Mais,
comme si elle eut compris ma pensée i
toujours, au moment on j'allais parler,
elle m'arrêtait, soit par un de ces éclats de
rire nerveux qu'elle avait, soit par un mot
attristé et d'une tristesse sans cause.
Elle me rendait fou, d'ailleurs, par cette
humeur bizarre qui m'étonnait et m'obsé-
dait comme un problème. Tout ce qu'elle
avait de charmant se trouvait aidé de
tout ce qu'elle avait de mystérieux. Elle
m'eût attiré par sa grâce, elle nie retenait
par sa mélancolie ou sa gaieté souffran-
tes. Ali le rêve de la vie à deux avec Ma-
deleine, combien de fois l'ai-je bercé à
l'écart, adorable chimère qui me troublait
et m'emplissait d'une joie craintive! L'é-
pouser, lui donner mon nom, l'emmener,
l'emporter au loin, passer ma vie à ses
genoux, la cacher et nous cacher dans un
coin perdu, lui faire un univers de mon
̃ amour, trouver un monde dans un de ses
sourires, oublier et aimer:
cent mille hommes àveffiant d'éloquence 1
Qui croire? -'̃;
Un dernier mot sur le Persan rfùi.ifienfi
de mourir. C'était l'homme Je.plus.sraplffi
du monde. Il vivait très sobremeiite
régime diététique. Un restaurateurferllj
quartier lui apportait son souper. \T1
quartier lui a son souper.
Il ne sortait jamais sans avoir dans se
poches une trentaine de sous pour distri-
bueraux pauvres.
Il envoya cent vingt francs pour les
inondés de Lyon; une somme relativement
forte pour les victimes du tremblemetit-.de
terre de la Pointe-â-Pitré, etc.*
Quand il faisait du bien, il n'embouchait
point la trompette. -<: •
Les meubles de son appartement: ne lui
appartenaient pas; il Jes ̃ àyail loués
moyennant douze cents francs=par an, et
les faisait réparer à ses frais:,
En sorte qu'il a payé près de trente
mille francs des meubles qu'on ne tro.uje-
rait pas à, vendre pour douze cents francs.
# ̃ ̃̃•̃. »
.yi. î, ## -» .• ••; /<-
Etait-ce travers d'esprit, ressentiment
contre le sexe perfide ou toute autre
cause? toujours est-il qu'il ne pouvait
souffrir de femme.
Il était expressément défendu à la J'em
me de son valet de chambre de pénétrer
dans ses appartements.
Et pourtant il avait été marié. Il laisse
un fils qui réside à Bombay.
Nous ignorons encore s'il a laissé un
testament.
Des détails suisses sur le voyage de Vic-
toria 1™
La reine d'Angleterre est installée à
Lucerne, dans une maison de campagne
bien connue des touristes, et qui s'appejl»
le Gùtsoh. Elle ne reçoit personne et passe
son temps en excursions et en ascensions
fatigantes. Elle a gravi lé Saint-Gothard
et le Righi ces jours derniers. Sa Majesté
britannique, durant ces promenades", n'en-
tre jamais dans les hôtels qui émaillent les
flancs des montagnes helvétiques. Elle aime
à boire et à manger en plein air, assise
sur l'herbe, et s'efforce d'éviter le bruit
des auberges et la gênante curiosité des
voyageurs. Avant-hier, elle a fait 1 ascen-
sion du Pilate. '̃ '•"̃ e
~#
:/)
Mais, si la souveraine est dons la joie,
les habitants du pays sont navrés. Sa
présence à Lucerne en a chasse les An-
glais qui y affluent tous les ans el qui, par
discrétion, se sont portés ailleurs durant,
cette saison. D'autre part, la reine ne fait
pas beaucoup de dépenses. et uu parci-
monie n'est pas faite pour .rétabli i1 .l"efjui-
libre dans les recettes des riverains du
Lac des quatre cantons. vt^
C'est aujourd'hui samedi. 31 septembre,
que Bade entend pour la première fo'S ls
Lohengrin de Wagner. •
MM, Perrin, de Leimm et 1'éd.it'eur,
sont partis pour assister à cette, représen-
tation. '̃ r'
On annonce à Madrid l'apparition, aux
côtés de la reine, d'une nouvelle sœur
Patrocinio, Dona Pilar, dont on dit le plus
grand bien, une-sainte personne détachée
des appétits terrestres.
Allons, allons, il y a encore de beaux
jours pour l'Espagne ,-•
Les photographes-artistes (ne pas con-
fondre avec les autres) pestent contre M.
de Nieuverkerke qui leur a interdit l'en-
trée des galeries du Louvre. Les .repro-
dnctions des maîtres vont devenir très
rares, mais c'est la faute à ces messieurs
ils abreuvaient les planchers de solutions
acides et de produits violents. S'ils avaient
eu la pcéçautiQn de mgttre.sous ley.rs ap-
pareils des tapis de toile cirée le musée
serait resté accessible à leurs objectifs.
Puis, l'ivresse passée, une maison quel-
que part, à Paris, la vie paisible en pleine
fournaise, la lutte durant le jour, le re-
tour chaque soir, auprès d'elle, les longues
soirées d'hiver, la main dans la main et
les yeux sur les yeux, une tête d'enfant
souriant à la clarté de la lampe, des cris
de joie sur le tapis ou le baby se roule <
avec le chien, qui se laisse faire du i#al
sans grogner. Combien de fois ai-je évo-
qué ces tableaux d'une simplicité sa-
crée, bonheur banal et facile, banal com-
me tout ce qui est saint; calme, pur, éter-
nel
C'est que, tout jeune, j'étais apaisé déjà
et que j'avais soif de calme. Mon enfance
éprouvée m'avait t'ait une jeunesse sévère.
L'idéal avait toujours été pour moi le juste
et le vrai. Et il me semblait que dans Fàrae
de Madeleine pareil besoin de repos et de
tendresse devait exister. J'expliquais par
une lassitude et une série de réflexions
déçues, son humeur changeante qui m'af-
fligeait. Je la plaignais sérieusement, cette
enfant, élevée ainsi, loin de son père, chez
un étranger, et qui, pour ne pas effleurer
la respectueuse tendresse qu'elle devait à
sa mère, était forcée de ne jamais évoquer
le passé. Madeleine avait-elle souvenir
d'autrefois ? 1
Ne revoyait-elle point, dans ses journées
d'enfant, le visage irrité de son père qui
semblait lui dire de qud droit: m'oublies-
tu? Et à qui, si elle souffrait de ces visions,
pouvait-elle confier ses souffrances? Elle
eut frappé au cœur sa mère et M. de Puy-
renier en laissant échapper une allusion,
un regret, un soupir. Quel Mippiire pour
cette pauvre fille I II se mêlait de la pitié
dans mon amour. Je me disais encore qu'il
fallait l'arracher à ce milieu faux, à cette
maison où la douleur, pour elle, était
comme tapie à tous les angles.
I Ali vraiment oui, je l'aimais 1
1 JULES CLA.RRTTK
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