Titre : Figaro : journal non politique
Éditeur : Figaro (Paris)
Date d'édition : 1868-01-23
Contributeur : Villemessant, Hippolyte de (1810-1879). Directeur de publication
Contributeur : Jouvin, Benoît (1810-1886). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34355551z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 23 janvier 1868 23 janvier 1868
Description : 1868/01/23 (Numéro 23). 1868/01/23 (Numéro 23).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Description : Collection numérique : France-Brésil Collection numérique : France-Brésil
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k2710070
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
Jeudi 23 Janvier 1868
ift numérp | §$ penuiiiw
15* Année –.3» Série Numéro 23
J^dmlrti^trateur
AUGUSTE pu MONT
ABONNEMENTS •
Paris 3 mois .13 fr. 50 ci
Départements 3 mois, 16 Cr.
ANNONCES
VU. DOLfclNGEN fils et A. SÈGDÎ
passage des Princes, Escalier C
6, BUE COC-HÉUCK El SCE BOSSIHIjî
Rédacteur en chef
H. DE VILLEMESSANT
S1-i; RÉDACTION
de 9 heures à 11 heures, rue Rossini,ty
de midi à S heures, rue Coq-Héron, 5/\
» tu manuscrits ne sont pas rendus •
Départements et gares 20 centimes >
BUREAUX >
8, *BB COQ-HÉRON ET KOB BOSSINI 3
Fenilletonda FIGARO dn 23 Janvier 4868
rr–
1
LE ROI MISÈRE
PAR
M. PAUL SAUNIÈRE
PREMIÈRE PARTIE
1
LA FETE DE SAINT-CLOUD
De tous les mois de l'année, Septembre
est certainement le plus aimé, le plus
choyé, le plus impatiemment attendu.
Pourquoi? î
Serait-ce que les loisirs que nous nua~
sommes créés nous le rendent plus at-
trayant ? Serait-ce que réellement la na-
ture se pare de couleurs plus riantes et
plus harmonieuses, à mesure qu'elle dé-
pouille les verdoyantes crudités d'une vé-
gétation trop opulente?
Ce qui n'est pas douteux, c'est que de
tous et partout le mois de septembre est
acclamé. C'est lui que, de préférence,
chantera la lyre du poète et reproduira le
pinceau du peintre, lui qui provoquera
ch''zle' négociant fourbu un soupir de
joie satisfaite, lui que convoiteront l'avo-
cat épuisé et le sage magistrat lui-même,
désireux de ranger parmi les accessoires
leur col empesé, leur cravate rigide et
leur toge aux plis sévères.
(i) Reproduction in. iite, à moins d'un
traité avec la Société dei éas de lettres.
TRES DE FERRAGUS
III
La Littérature putride
J'ai reçu, à propos de ma dernière lettre,
le compliment anonyme d'un étranglé ^qui
m'envoie un sonnet presque sans défaut.
Je regrette de ne pouvoir le citer, tout en-
tier il vaut mieux que le sonnet d'Oronte,
̃et Alceste n'en blâmerait pas le tour vif et
hardi.
En voici la conclusion
Ton article est viril et ferme, Ferragus,
Il'est beau de flétrir ce misérable abus
De la force essayant de tuer la pensée
Mais il ne faudrait pas désespérer sitôt,
On ne nous brûle pas pour sentir le fagot,
Etaotro honneurestssuf, si notre âme estblesséel 1
En êtes-vous bien sûr, jeune poëte,
jeune rêveur, jeune étranglé, que l'hon-
neur soit sauf! Si nous mourons de la
maladie de François I", ce n'est pas" hé-
las de la maladie de Pavie. Nous ne
sommes pas seulement captifs nous
sommes gangrenés.
C'est là le sujet intéressant que je me
propose de. traiter aujourd'hui, et nous
jugerons de la blessure par l'infection qui
s'en exhale.
L'obscénité elle-même, il faut bien le
'dire, a sa pudeur; c'est la santé. Admirer
dans son ensemble et dans ses détails le
corps, plus ou moins bien fait, de made-
moiselle Delval, le comparer à celui de
mademoiselle Silly, sa sœur, ce n'est pas
d'une moralité littéraire bien élevée mais
'enfin, l'illusion plastique est satisfaite, et
ces exhibitions vivantes sont après tout
un hymne brutal à la vie. °
Mais il s'est établi depuis quelques an-
nées, une école monstrueuse de roman-
ciers, qui prétend substituer l'éloquence
du charmer à l'éloquence de la chair, qui
fait appel aux curiosités les plus chirurgi-
cales, qui groupe les pestiférés pour nous
en faii-e admirer les marbrures, qui s'ins-
pirts directement du choléra, son maitre,
et qui fait jaillir le pus de la conscience.
Les dalles de la Morgue ont remplacé le
BOpha de Crébillon Manon Lescaut est
devenue une cuisinière sordide, quittant
le graillon pour la boue des trottoirs. Fau-
fclas a besoin d'assassiner et de voir pour-
rir ses victimes pour rêver d'amour ou
.bien, cravachant les dames du meilleur
monde, lui qui n'a rien lu, il met les livres
du marquis de Sade en action.
"Germinie Lacerteux, Thérèse Raquin, la
Comtesse de Chalis, bien d'autres romans
'qui ne valent pas l'honneur d'être nom-
més (car je ne me dissimule pas que je fais
une réclame à ceux-ci) vont prouver ce
que j'avance.
Je ne mets pas en cause les intentions
elles sont bonnes; mais je tiens à démon-
trer que dans une époque à ce point bla-
sée, pervertie, assoupie, malade, les vo-
lontés les meilleures se fourvoient et veu-
lent corriger par des moyens qui corrom-
pent. On cherche le succès pour avoir des
auditeurs, et on met à sa porte des linges
hideux en guise de drapeaux pour atti-
rer les passants.
J'estime les écrivains dont je vais pié-
tiner les œuvres; ils croient à la régéné-
ration sociale; mais en faisant leur petit
tas de boue, ils s'y mirent, avant de le
balayer; ils veulent qu'on le flaire et que
chacun s'y mire à son tour; ils'ont la co-
"quetterie de leur besogne, et ils oublient
l'égoût, en retenant l'ordure au dehors.
Je dois, en bonne. conscience, faire une
exception pour M. Feydeau. Ce n'est qua
faute d'un peu ^esprit qu'il dépasse la
mesure; mais je louerais beaucoup plus
son dernier roman, qui a des parties
excellentes si l'auteur n'avait l'habitude
de ne laisser rien à dire à ses lecteurs, en
fait de compliments, et si je ne me souve-
nais de la Fille aux yeux d'or. Quoi qu'il
en soit, M. Feydeau a voulu, voyant les
mœurs de son temps, écrire à son tour les
Liaisons dangereuses. Il est parti d'un point'
de vue austère; il flétrit sans ambages
les belles façons des grandes dames il a
dépeint avec une sûreté de coloris incon-
testable le portrait de son .héroïne; mais
il n'a pu se garer du défaut commun.
C'est un Joseph Prudhomme faisandé. En
deux ou trois endroits il souligne trop, et
on peut lui appliquer ce moyen de com-
paraison qui condamne les autres roman-
ciers trivialistes il lui serait impossible de
mettre son héroïne au théâtre.
Remarquez bien que c'est la pierre de
touche. Balzac, le sublime fumier sur le-
quel poussent tous ces champignons-là, a
amassé dans madame Marnéfie toutes les
corruptions, toutes les infamies; et pour-
tant, comme il n'a jamais mis madame*
Marneffe dans une position si visiblement
grotesque ou triviale que son image pût
faire rire ou soulever le goût, on a repré-
senté madame Marneffe sur un théâtre.
Je vous défie d'y mettre Fanny; la scène
principale la rîdicaliserait! Je vous défie
d'y mettre la comtesse de Chalis Je vous
-défie d'y laisser passer Germinie Lace
teux, Thérèse Raquin, tous ces fantômes
impossibles qui suintent la mort, sans
avoir respiré' la vie, qui ne sont quo des
cauchemars de la réalité.
Le second reproche que j'adresserai à
cette littérature violente, c'est qu'elle se
croit bien malicieuse et qu'elle est bien
naïve elle n'est qu'un trompe-l'œil.
Il est plus facile de faire un roman bru«
tal, plein de sanie, de crimes et de prosti-
tutions, que d'écrire un roman contenu,
mesuré, moiré, indiquant les hontes sans
les découvrir, émouvant sans écœurer.Le
beau procédé que celui d'étaler des chairs
meurtries! Les pourritures sont à la por-
tée de tout le monde, et ne manquent ja-
mais leur-effet. Le plus niais des réalistes,
en décrivant platement le vieux Montfau-
con, donnerait des nausées à toute une
génération.
Attacher par le dégoût, plaire par l'hor-
rible, c'est un procédé qui malheureuse-
ment répond à un instinct humain, mais à
l'instinct le plus bas, le moins avouable,
le plus universel, le plus bestial. Les fou-
les qui courent à la guillotine, ou qui se
pressent à la Morgue, sont-elles le public
qu'il faille séduire, encouragér, maintenir
dans le culte des épouvantes et des puru-
lences g
La chasteté, la candeur, l'amour dans
ses hérôïsmes, la haine dans ses liypocri-
sies, la vérité de la vie, après tout, ne se
montrent pas sans vernis, coûtent plus de
travail, exigent plus d'observation et pro-
fitent davantage aji lecteur. Je ne prétends
pas restreindre le domaine de l'écrivain.
Tout, jusqu'à l'épiderme, lui appartient
arracher là peau, ce n'est plus de l'obser-
vation, c'est de la chirurgie; et si une fois
par hasard un écorché peut être indispen-
sable à la démonstration psychologique,
l'écorché mis en système n'est plus que de
la folie et de la dépravation.
Je disais que toutes ces imaginations
malsaines étaient dés imaginations pau-
Aussi celui-là a eu bien raison, qui a
écrit « Le véritable mois-de mai, c'est le
mois de septembre. » Septembre ressem-
ble-t-il en effet à ce Mai pluvieux, hu-
mide et froid, où l'Amour court-vêtu gre-
lotte sous les arbustes en pleurs, à l'abri
des rosiers stériles ou sur le gazon clair-
semé? Que donne-t-il en effet ce Mai si
vanté? Des primevères obscures, quelques
violettes timides, des lilas.éphémères, des
giroflées au parfum fort et vulgaire, peu
d'asperges et pas encore de petits pois 1
Enveloppés prudemment dans leurs vê-
tements d'hiver, hommes et femmes
épient le premier rayon du soleil comme
un brigand des Calabres guette le voya-
geur égaré dans ses montagnes. Le nez
rougi, les yeux gonflés, le cerveau encom-
bré, ils toussent, crachent, éternuent ou
se mouchent à faire trembler, sinon tom-
ber, les murailles de Jéricho.
Le mois de mai est un enfant spirituel et
mal élevé; il promet beaucoup, mais il ne
C_¡;'
n'a rien promis.
Sur les riches moissons que ses ardeurs
ont fécondées, le soleil a passé, dorant de
ses tons chauds les arbres de la forêt. Sur
les coteaux mûrit lentement la vigne; le
grain se gonfle comme pour accroître les
gaietés qu'il prépare dans les vergers les
fruits se colorent, les branches fléchissent
sous le poids des pulpes savoureuses.
Nulle primeur insapide ne s'étiole plus
dans les serres tout vit au grand air, au
grand soleil et respire un parfum de force
et de liberté. On sent que l'année tout en-
tière s'est liguée pour donner plus de san-
té, de vie et de gloire, à ce général du ca-
lendrier, qui se couronne des lauriers que
ses officiers ont cueillis.
A ce moment là aussi s'élancent plus
volontiers au dehors les forçats du travail
vres ou paresseuses. Je n'ai besoin que
de citer les procédés pour le prouver^
Elles vivent d'imitation. Madame Bovary,
lanny, V Affaire Clemenceau, ont l'em-
preinte d'un talent original et personnel;' I
aussi ces trois livres supérieurs sont-ils
restés les types -que l'on imite, que l'on
parodie, que l'on allonge en les faisant
grimacer. Combiner l'élément judiciaire
avec l'élément pornographique, voilà tout
le fonds de la science. Mystère et hysté-
rie voilà la devise.
Il y a un piège, d'ailleurs, dans ces
deux mots.; les tribunaux sont un lieu
commun de péripéties variées et faciles,
et, à une époque d'énervement, comme on
n'a plus le secret de la passion, on la rem-
place par des spasmes maladifs; c'est
aussi bruyant, et c'est plus commode.
Ceci expliqué, je dois avouer le-motif
spécial de ma colère. Ma curiosité a glissé
ces jours-ci dans une flaque de boue et
de sang qui s'appelle Thérèse Raquin, et
dont l'auteur, M. Zola, passe pour un
jeune homme de talent. Je sais, du moins,
qu'il vise avec ardeur à la renommée. En-
thousiaste des crudités, il a publié déjà
la Confession de Claude qui était l'idylle
d'un étudjant et d'une prostituée; il voit
la femme comme M. Manet la peint, cou-
leur de boue avec des' maquillages rosés.
Intolérant pour la critique il l'exerce
lui-même avec intolérance, et à l'âge où
l'on ne sait encore que suivre son désir,"
il intitule ses prétendues études littérai-
res -Mes haines 1 t
Je ne sais si M.Zola a la force d'écrire un
livre fin, délicat, substantiel et décent. 11
faut de la volonté, de l'esprit, des idées et
du style pour renoncer aux violences;
mais je puis déjà indiquer à l'auteur de
Thérèse Raquin une conversion.
M. Jules Glaretie. avait écrit, lui aussi,
son livre de frénésie amoureuse et assas-
sine mais il.s'est dégoûté du genre après
son propre succès, et il a demandé à l'his-
toire des tragédies plus vraies, des pas-
sions plus héroïques et non moins terri-
bles. On meurt beaucoup dans ses Der-
niers Montagnards, mais avec un cri d'es-
pérance et d'amour pour la liberté La
rage n'y est pas ménagée, mais celle-là
rend doux et tolérant
Quant à Thérèse Raquin, c'est le résidu
de toutes les horreurs publiées précédem-
ment. On y a égoutté tout le sang et
toutes les infamies c'est' le baquet de la
mère Bancal.
Le sujet est simple, d'ailleurs, le re-
mords physique de deux amants qui tuent
le mari pour être plus libres de le trom-
per, mais qui, ce mari tué (il s'appelait
Camille), n'osent plus s'étreindre, car
voici, selon l'auteur, le supplice délicat
qui les attend « Ils poussèrent un cri et
» se pressèrent davantage afin de ne pas
» laisser entre leur chair de place pour le
» noyé. Etils sentaient toujours des lam-
» beaux de Camille qui s'écrasaientignoble-
» ment entre eux, glaçant leur peau par
» endroits, tandis que le reste de leur
» corps brûlait. »
A la fin, ne parvenant pas à écraser suffi-
samment la noyé dans leurs baisers, ils se
mordent, se font horreur, et se tuent en-
semble de désespoir de ne pouvoir se tuer
réciproquement. v
Si je disais à l'auteur que son idée est
immorale, il bondirait, car la description
du remords passe généralement pour un
spectacle moralisateur; mais si le remords
se bornait toujours à des impressions phy-
siques, à des répugnances charnelles, il
que leurs occupations sédentaires tien-
nent rivés au boulet de l'exactitude.
Il semble que rien ne puisse plus les
retenir dans la sphère étroite où ces Si-
syphes roulent leur rocher. Ils se préci-
pitent au hasard. Tout leur est bon,
pourvu que ce ne soit pas l'endroit où ils
ont l'habitude de vivre les eaux, les
bains de mer, l'Allemagne, la Suisse, l'I-
talie. ils iraient au diable, s'ils n'avaient
déjà fait vers lui tant de chemin qu'ils
craindraient d'arriver trop tôt.
Il n'est ici question bien entendu que
des Crésus de la Bourse, de la denrée co-
loniale ou du calicot. Mais les pauvres î
Ceux-là vont où ils peuvent, mais il faut
qu'ils aillent quelque part. Plus le gousset
est plat, plus les excursions sont cir-
conscrites dans un rayon anodin.
De toutes parts, dans les environs de
Paris, surgissent des fêtes afifrio&ntes.
Les affiches pompeuses, vêtues de blanc-
ce qui est la couleur officielle (?) -se pa-
vanent sur les murs, dans les gares, par-
tout où la colle a droit d'asile.
Le cou tendu, rajustant ses lunettes sur
• r!1e. dilatée, le petit bourgeois dé-
T%4nt ce programme éblouis-
sant. oute la semaine qui pré-
cède, il éch&: > plan de campagne
sa femme fait u.. l'anse du panier
pour glisser quelque' sous dans sa tire-
lire, sa fille repasse "*̃̃?̃ blanche qui
date de sa première e^ T^ di-
manche arrive, on part. Eàûa
Ah 1 comme ils vont s'amuser l
Suant à grosses gouttes, le châle et la
redingote sur le bras, par une chaleur
torride, à travers une poussière aveu-
glante, ils marchent souriants et joyeux.
Ils ont la foi, ces martyrs du plaisir.
C'est par économie qu'ils n'ont pas pris K
le chemin de fer ou la voiture, et qu'ils
s'en vont sur la route crayeuse, bravant
les ardeurs de la canicule. Dame avant
de s'amuser, il faut vivre. i
iHe serait plus qu'une révolte du tempé-
rament, et il ne serait pas le remords. Ce
qui fait la puissance et le triomphe du
bien, c'est que même la chair assouvie,. la
passion satisfaite, il s'éveille et brûle dans
le cerveau. Une tempête sou^s un crâne est
un spectacle sublime: une tempête dans
les reins est un spectacle ignoble
La première fois que Thérèse aperçoit
l'homme qu'elle doit aimer, voici comment
s'annonce la sympathie « La nature san-
» guine de ce garçon, sa voix pleine, ses
n rires gras, les senteurs acres et puissan-
» tes qui s'échappaient de lui troublaient
» la jeune femme et la jetaient dans une
» sorte d'angoisse nerveuse. »
0 Roméo 1 Juliette! quel flair subtil
et prompt aviez-vous pour vous aimer si
vite? Thérèse est une femme qui a besoin
d'un amant. D'un autre côté, Laurent, son
complice, se décide à noyer le mari après
une promenade où il subit la tentation
suivante « Il sifliait, il' poussait du pied
» les cailloux, et par moments il regar-
» dait avec des yeux fauves les balance-
s ments des hanches de sa maîtresse. »
'^Comment ne pas asgassiner ce pauvre
Camille, cet être maladif et gluant, dont
le nom rime avec camomille, après une
-telle excitation? Y
On jette le mari à l'eau. A partir de ce
moment, Laurent fréquente la Morgue
jusqu'à ce que son noyé soit admis à l'ex-
position. L'auteur profite de l'occasion
pour nous décrire les voluptés de la Mor-
gue et ses amateurs.
Laurent s'yidélecte à voir les femmes
assassinées. Un jour il s'éprend du cada-
vre d'une fille qui s'est pendue; il est vrai
que le corps de celle-ci, « frais et gras,
» blanchissait avec des douceurs de teinte
» d'une grande délicatesse. Laurent la
n regarda longtemps, promenant ses re-
n gards sur la chair, absorbé dans une
» sorte de désir peureux. »
Les dames du monde vont à la Morgue,
paraît-il; «Une d'elles y tombe en con-
» templation devant le corps robuste .d'un
» maçon. La dame,- dit l'auteur, l'exami-
» nait, le retournait en quelque sorte, dn
a regard, le, pesait, s'absorbait dans le
» spectacle de cet homme. Elle leva un
» coin de sa voilette, regarda encore, puis
» s'en alla. »
Quant aux gamins, « c'est à la Morgue
f> que les jeunes voyous ont leur première
» maîtresse. »
Comme ma»lettre peut être lue après
déjeuner, je passe sur la description de la
jolie pourriture de Camille. On y sent
grouiller les vers.
Une fois le noyé bien enterré, les amants
se marient. C'est ici que commence leur
supplice.
Je ne suis pas injuste et je reconnais
que certaines parties de cette analyse des»
sensations de deux assassins sont bien
observées. La nuit de ces noces hideuses
est un tableau frappant. Je ne blâme »pàs
systématiquement les notes criardes, les
coups de pinceau violents et violets; je
me plains qu'ils soient seuls et sans mé-
lange ce qui fait le tort de ce livre pou-
vait en être le mérite.
Mais la monotonie de l'ignoble est la
pire des monotonies. Il semble, pour res-
ter dans. les comparaisons de ce livre,
qu'on soit étendu sous le robinet d'un des
lits de la Morgue, et jusqu.'à la dernière
page, on sent couler, tomber goutte à
goutte sur soi cette eau faite pour délayer
des cadavres.
Les deux époux, de fureur en fureur,
'de dépravations en dépravations, en vien-
nent à se battre, à vouloir se dénoncer.
Parfois une grappe d'enfants grimpe le
long des épaules du père, ou se suspend
aux jupes de la mère. Ils ont faim, ils ont
soif, ils crient, ils pleurent. n'importe
On les console ou on les calotte, mais on
avance^ Voyez, on est arrivé.
Ah! les tristes joies du prolétaire Et
pendant que ceux-là suivent rayonnants
le chemin poudreux, d'autres,'plus mal-
heureux encore, dans leur mansarde cel-
lulaire, sous la tuile ou l'ardoise embra-
sées, les regardent passer d'un oeil d'en-
vie, songent à leur bourse épuisée, à leur
huche vide, et se demandent de Iquel la-
beur ils pétriront le pain du lendemain!
Devant ceux-là le flot se déroule indif-
férent. Où ira-t-il? A la fête des Loges? Y
àja fête de Saint-Cloud Pouvoir choisir,
quelle richesse 1
Car ces deux fêtes-là offrent un attrait
irrésistible au Parisien. Vingt fois il les a
vues, vingt fois il les verra encore. Est-ce
une raison? Non. Chaque année il y re-
tourne, et chaque année il les-trouve plus
fastidieuses. Il ne s'aperçoit pas qu'il
vieillit, que sa jeunesse s'est envolée,
̃ qu'il a pris le goût des joies tranquilles.
Les aigres modulations du mirliton,
qu'il aimait tant jadis, lui sont devenues
insupportables. Il trouve que le bal est
mal composé, celui-là même où il gesti-
culait quelque vingt ans plus tôt avec les
Turlurettes de son temps. Il'est blasé sur
les somnambules lucides, les Hercules du
'No :•*<], les athlètes du Midi, les veaux à
u b 'êtes, lés phénomènes, les chiens et
les savants, les phoques qui disent
« paj "'aman. » II parcourt d'un pas
lent et 'er ces allées où il s'égarait
sivolonti guère, et promèae un re-
gard distrais, £ s1 la voûte feuillue dont
l'ombre protcfiù **> lui fut si chèra autre-
fois.
C'est dans le p :̃ de Saint-CIoud, plus
Thérèse se prostitue, et Laurent, « dont
la chair est morte, » regrette de ne pou-
voir en faire autant.
Enfin, un jour, ces deux forçats de la
morgue tombent épuisés, empoisonnés,
l'un sur l'autre, devant le fauteuil de la
vieille mère paralytique de Camille Ra-
quin, qui jouit intérieurement de ce châ-
timent par lequel son fils est vengé.
Ce livre résume trop fidèlement toutes
les putridités de la littérature contempo-
raine pour ne pas soulever un peu de
colère. Je n'aurais rien dit d'une fantaisie
individuelle, mais à cause de là conta-
gion, il y va de toutes nos lectures. For-
çons les romanciers à prouver leur talent
autrement que par des emprunts aux tri-
bunaux et à.la voirie.
A la vente de ce pacha qui vient de li-
quider sa galerie tout comme un Euro-
péen, M. Courbet représentait le dernier,
mot de la volupté dans les arts par un
tableau qu'on laissait voir, et par un au-
tré suspendu dans un cabinet de toilette
qu'on montrait seulement aux Marnes in-"
discrètes et aux amateurs. Toute la honte
de l'école est là dans ces deux toiles,
comme elle est ailleurs dans les romans
la débauche lassée et l'anatomie crue.
C'est bien peint, c'est d'une réalité incon-
testable, mais c'est horriblement bête.
Quand la littérature dont j'ai parlé vou-
dra une enseigne, elle se fera faire par
M. Courbet une' copie de ces deux toiles.
Le tableau possible attirera les chalands
à'la porte; l'autre sera dans le sanc-
tuaire, comme la muse, le génie, l'oracle.
Ferragus. s
HHctt0nuairc feu Jigaro
B
Bastille (la). Prison d'Etat, où
l'on n'enfermait guère que des gentils-
hommes et démolie par le peuple.
^indigné, sans doute, de cette préfé-
rence.
Ballon. La tour de Babel du
progrès.
Bébé. Un petit sultan dont les
pleurs sont des perles et les cris des
chansons!
Bedaine. Petit temple portatif.
Bade, Hombourg. ^Bade, un
endroit où l'on joue cinq louis;
Hombourg, une maison où l'on joue
cent francs.
Bohème. Un flâneur qui prend
l'ivresse pour le génie, la rime pour la
poésie et la paresse pour la rêverie.
Boutique. Petite caverne au
rez-de-chaussée.
Bifurcation: L'endroit où le de-
voir et l'intérêt se trouvent en pré-
sence.
Dr GRtSGOIRB,
encore qu'à l'extrémité de la forêt de
Saint-Germain, que se rue le plus volon-
tiers cette foule bariolée. Bien plus que
les saltimbanques, qui la font sourire de
pitié, elle contribue à l'éclat de la fête,
dont elle anime la mise en scène. Nulle
part on ne verra société plus mélangée,
plus chamarrée. Toutes les couleurs de
l'arc-en-ciel ont été mises en réquisition
pour nuancer les costumes dont les fem-
mes parent leur extravagante coquetterie.
Si tous leurs visages ne sourient pas, on
voit qu'ils ne demandent qu'à s'épanouir.
Dans ce tohu-bohu général, les enfants
poussent des cris de convoitise et d'admi-
ration, les consciencieux se font peser, les
badauds écoutent la parade du pître
gouailleur et grossier. C'est une immense
tour de Babel dans laquelle se confondent
les classes, les opinions, lés goûts, les lan-
gages, mais dont le but est le même se
divertir.
Pour y parvenir, quels moyens n'em-
ploieront-ils pas! La bonne volonté ne leur
manquera pas pour le tenter. Quant à
réussir, c'est autre chose.
Donc, le 12 septembre i85. à dix heures
du matin, quelques visiteurs précoces er-
raient déjà dans le parc de Saint-Cloud.
Parmi ceux-là, un homme âgé de cin-
quante-cinq ans environ, le visage cou-
vert d'une épaisse et longue barbe gri-
sonnante, donnait le bras à une ravissante
jeune fille de dix-huit ans, qui contemplait
avec un étonnement rniïf le singulier spec-
tacle auquel elle assistait évidemment
pour la première fois.
L'homme était couvert d'habits luisants
et d'une propreté irréprochable. La coupe
n'en était ni très moderne ni très élé-
gante. On devinait que ces véterflents, un
peu surannés, ne vonaient pas de chez le
grand faiseur et ne sortaient de leur ar-
moire que dans les grands jours. Une
paire de gants trop larges, de couleur
Hier Aujourd'hui Demara 1
L'Empereur et l'Impératrice, engagée
par la température extraordinairement
douce de la journée d'hier, se sont prome-
nés à pied ̃plus d'une heure dans les
Champs-Elysées.
L'Impératrice portait une robe grise
garnie de fourrures.
L'association- amicale des anciens élé*
ves ducollége Bourbon et du lycée Bona-'
parte, qui vient d'être décrétée Société
d'utilité publique, donnera sqn dixième `
banquet annuel le 28 janvier, au Grand-
Hôtel, sous la présidence de M. Allou, bâ-
tonnier des avocats.
On souscrit chez les président et tréso-
rier de l'œuvre, MM. Sibire, avoué, 25, rue
du Four-Saint-Germain, et Clavel, tréso-
rier au Corps législatif.
On a donné trop tôt la nouvelle du mal-
heur qui vient de frapper notre confrère
Léo Lespès. Au moment où les. jour-
naux l'annonçaient, cette nouvelle étaif
inexacte.
Ce n'est qu'hier mardi, à cinq heures,
qu'est morte là mère dé M. Lespès.
Par une erreur typographique, le nom dU'
célèbre sculpteur Mairidron, auteur de la
Velîeda, a été horriblement défiguré qua-
tre fois de suite on. a imprimé Mandron.
Le lecteur aura déjà excusé cette co-
quille, si grosse qu'elle n'existe plus,
Le violoncelliste Dunkler vient de par-
tir pour la Belgique et la Hollande, où il
est engagé pour une série de concerts,
dont le premier aura lieu dema'in 23, à
Gand.
L'autre jour, en parlant ici de la télé-*
graphie et du mode de distribution adopté
à Londres pour les dépêches privées, nous
avons fait uns confusion, chose excusable
chez un Français à qui il est bien permis
de ne pas connaître parfaitement les cou-
tumes d'une ville où il n'a fait en toute
sa vie qu'un séjour d'une semaine.
Un de nos abonnés nous écrit de Lon-
dres, Devonshire Place, le 18 janvier.
Monsieur le rédacteur,
Permettez-moi de rectifier une erreur danf
vos renseignements au sujat de la remise dee
dépôohes télégraphiques à Londres.
Le facteur ne jette pas la dépêche dans la
boite aux lettres (dont chaque maison est mu?
nie), mais il sonne ou frappe, et doit attendre i
pour la quittance que l'on doit signer en la re-
cevant, absolument comme cela se pratique en-
core à Paris.
L'expérience a prouvé qu'une dépêche expê-
diée du continent est remise en moins de temps
à domicile, qu'une dépêche de Londres' pour
Londres I
Agréez, etc.
Il y a à peine deux ans que le baronM..r
est marié; sa femme est jeune et jolie, et
eharmante, et c'est de bien mauvais `
goût, n'est-ce pas, entre gens du grand
monde? elle aime son mari.
Et pourtant, celui-ci est déjà revenu £
à ses habitudes de garçon; il est redevenu
un dès piliers de son cercle, il y joue, il y
dîne, il y passe les nuits, absolument
comme s'il n'était pas marié légitimement
à une jeune femme qui mérite à coup sûr
une lune de miel plus longue que celle
qu'elle a eue.
Le sans-gêne du baron est arrivé à un
tel point qu'on s'en est étojiné au# cercle
L'autre jour, à quatre heures du matin,
le baron taillait encore un bac. forcené
commencé à neuf heures du soir.
Comment vous êtes encore là s'é-
foncée, recouvrait les mains épaisses du
vieillard, qui s'appuyait fièrement sur un
jonc sans valeur.
Là jeune fille était mise avec une sim-
plicité puritaine mais pleine de charmes.
Sa robe de jaconas, empesée, blanchie et
repassée avec un soin minutieux, se dra-
pait autour d'elle en plis opulents.
Sur sa tête, un chapeau de paille, garni
de rubans bleus, faisait ressortir la blan-
cheur de son teint et le blond doré de ses
cheveux soyeux. Nul bijou ne tranchait
sur cette toilette primitive, mais il s'en
exhalait comme un parfum de jeunesse,
de candeur, £e grâce et de virginité.
Appuyée sur le bras du vieillard, chaus-
sée de cette façon spéciale dont les Pari-
siennes ont le secret, elle marchait en
sautillant, semblable à l'oisillon qui, pour
la première fois, sort de son nid.
Son attention était vivement excitée.
Tout ce qu'elle voyait était nouveau pour
elle. On le devinait à ses grands yeux
noirs dilatés, à son regard errant, à sa
bouche entr'ouverte, qui laissait voir les
deux rangs de perles que faisait ressortir
le corail de ses lèvres rebondies.
De temps à autre elle levait les yeux
vers celui qui l'accompagnait, comme
pour lui demander l'explication de ce tu-
multe inconnu.
Celui-ci lui souriait paternellement et
l'entraînait doacement. l'arrachant à ses
admirations iiraides. Il semblait heureux
de la voir ainsi. Il n'avait de regards pour
rien de ce qui passait autour de lui. Dans
la foule dés promeneurs, dans les tableaux
insensés qui fe sollicitaient, dans te son `
discordant des trombones accompagnés
par la grosse caisse, il ne voyait et n'en-
tendait rien. Il ne vivait que dés impres-
sions que ressentait cette belle et fraîche
jeune fille. Pour elle seule il était tout
yeux, tout oreilles. Elle était son monde,
son soloil; le reste n'était que néant e1
ift numérp | §$ penuiiiw
15* Année –.3» Série Numéro 23
J^dmlrti^trateur
AUGUSTE pu MONT
ABONNEMENTS •
Paris 3 mois .13 fr. 50 ci
Départements 3 mois, 16 Cr.
ANNONCES
VU. DOLfclNGEN fils et A. SÈGDÎ
passage des Princes, Escalier C
6, BUE COC-HÉUCK El SCE BOSSIHIjî
Rédacteur en chef
H. DE VILLEMESSANT
S1-i; RÉDACTION
de 9 heures à 11 heures, rue Rossini,ty
de midi à S heures, rue Coq-Héron, 5/\
» tu manuscrits ne sont pas rendus •
Départements et gares 20 centimes >
BUREAUX >
8, *BB COQ-HÉRON ET KOB BOSSINI 3
Fenilletonda FIGARO dn 23 Janvier 4868
rr–
1
LE ROI MISÈRE
PAR
M. PAUL SAUNIÈRE
PREMIÈRE PARTIE
1
LA FETE DE SAINT-CLOUD
De tous les mois de l'année, Septembre
est certainement le plus aimé, le plus
choyé, le plus impatiemment attendu.
Pourquoi? î
Serait-ce que les loisirs que nous nua~
sommes créés nous le rendent plus at-
trayant ? Serait-ce que réellement la na-
ture se pare de couleurs plus riantes et
plus harmonieuses, à mesure qu'elle dé-
pouille les verdoyantes crudités d'une vé-
gétation trop opulente?
Ce qui n'est pas douteux, c'est que de
tous et partout le mois de septembre est
acclamé. C'est lui que, de préférence,
chantera la lyre du poète et reproduira le
pinceau du peintre, lui qui provoquera
ch''zle' négociant fourbu un soupir de
joie satisfaite, lui que convoiteront l'avo-
cat épuisé et le sage magistrat lui-même,
désireux de ranger parmi les accessoires
leur col empesé, leur cravate rigide et
leur toge aux plis sévères.
(i) Reproduction in. iite, à moins d'un
traité avec la Société dei éas de lettres.
TRES DE FERRAGUS
III
La Littérature putride
J'ai reçu, à propos de ma dernière lettre,
le compliment anonyme d'un étranglé ^qui
m'envoie un sonnet presque sans défaut.
Je regrette de ne pouvoir le citer, tout en-
tier il vaut mieux que le sonnet d'Oronte,
̃et Alceste n'en blâmerait pas le tour vif et
hardi.
En voici la conclusion
Ton article est viril et ferme, Ferragus,
Il'est beau de flétrir ce misérable abus
De la force essayant de tuer la pensée
Mais il ne faudrait pas désespérer sitôt,
On ne nous brûle pas pour sentir le fagot,
Etaotro honneurestssuf, si notre âme estblesséel 1
En êtes-vous bien sûr, jeune poëte,
jeune rêveur, jeune étranglé, que l'hon-
neur soit sauf! Si nous mourons de la
maladie de François I", ce n'est pas" hé-
las de la maladie de Pavie. Nous ne
sommes pas seulement captifs nous
sommes gangrenés.
C'est là le sujet intéressant que je me
propose de. traiter aujourd'hui, et nous
jugerons de la blessure par l'infection qui
s'en exhale.
L'obscénité elle-même, il faut bien le
'dire, a sa pudeur; c'est la santé. Admirer
dans son ensemble et dans ses détails le
corps, plus ou moins bien fait, de made-
moiselle Delval, le comparer à celui de
mademoiselle Silly, sa sœur, ce n'est pas
d'une moralité littéraire bien élevée mais
'enfin, l'illusion plastique est satisfaite, et
ces exhibitions vivantes sont après tout
un hymne brutal à la vie. °
Mais il s'est établi depuis quelques an-
nées, une école monstrueuse de roman-
ciers, qui prétend substituer l'éloquence
du charmer à l'éloquence de la chair, qui
fait appel aux curiosités les plus chirurgi-
cales, qui groupe les pestiférés pour nous
en faii-e admirer les marbrures, qui s'ins-
pirts directement du choléra, son maitre,
et qui fait jaillir le pus de la conscience.
Les dalles de la Morgue ont remplacé le
BOpha de Crébillon Manon Lescaut est
devenue une cuisinière sordide, quittant
le graillon pour la boue des trottoirs. Fau-
fclas a besoin d'assassiner et de voir pour-
rir ses victimes pour rêver d'amour ou
.bien, cravachant les dames du meilleur
monde, lui qui n'a rien lu, il met les livres
du marquis de Sade en action.
"Germinie Lacerteux, Thérèse Raquin, la
Comtesse de Chalis, bien d'autres romans
'qui ne valent pas l'honneur d'être nom-
més (car je ne me dissimule pas que je fais
une réclame à ceux-ci) vont prouver ce
que j'avance.
Je ne mets pas en cause les intentions
elles sont bonnes; mais je tiens à démon-
trer que dans une époque à ce point bla-
sée, pervertie, assoupie, malade, les vo-
lontés les meilleures se fourvoient et veu-
lent corriger par des moyens qui corrom-
pent. On cherche le succès pour avoir des
auditeurs, et on met à sa porte des linges
hideux en guise de drapeaux pour atti-
rer les passants.
J'estime les écrivains dont je vais pié-
tiner les œuvres; ils croient à la régéné-
ration sociale; mais en faisant leur petit
tas de boue, ils s'y mirent, avant de le
balayer; ils veulent qu'on le flaire et que
chacun s'y mire à son tour; ils'ont la co-
"quetterie de leur besogne, et ils oublient
l'égoût, en retenant l'ordure au dehors.
Je dois, en bonne. conscience, faire une
exception pour M. Feydeau. Ce n'est qua
faute d'un peu ^esprit qu'il dépasse la
mesure; mais je louerais beaucoup plus
son dernier roman, qui a des parties
excellentes si l'auteur n'avait l'habitude
de ne laisser rien à dire à ses lecteurs, en
fait de compliments, et si je ne me souve-
nais de la Fille aux yeux d'or. Quoi qu'il
en soit, M. Feydeau a voulu, voyant les
mœurs de son temps, écrire à son tour les
Liaisons dangereuses. Il est parti d'un point'
de vue austère; il flétrit sans ambages
les belles façons des grandes dames il a
dépeint avec une sûreté de coloris incon-
testable le portrait de son .héroïne; mais
il n'a pu se garer du défaut commun.
C'est un Joseph Prudhomme faisandé. En
deux ou trois endroits il souligne trop, et
on peut lui appliquer ce moyen de com-
paraison qui condamne les autres roman-
ciers trivialistes il lui serait impossible de
mettre son héroïne au théâtre.
Remarquez bien que c'est la pierre de
touche. Balzac, le sublime fumier sur le-
quel poussent tous ces champignons-là, a
amassé dans madame Marnéfie toutes les
corruptions, toutes les infamies; et pour-
tant, comme il n'a jamais mis madame*
Marneffe dans une position si visiblement
grotesque ou triviale que son image pût
faire rire ou soulever le goût, on a repré-
senté madame Marneffe sur un théâtre.
Je vous défie d'y mettre Fanny; la scène
principale la rîdicaliserait! Je vous défie
d'y mettre la comtesse de Chalis Je vous
-défie d'y laisser passer Germinie Lace
teux, Thérèse Raquin, tous ces fantômes
impossibles qui suintent la mort, sans
avoir respiré' la vie, qui ne sont quo des
cauchemars de la réalité.
Le second reproche que j'adresserai à
cette littérature violente, c'est qu'elle se
croit bien malicieuse et qu'elle est bien
naïve elle n'est qu'un trompe-l'œil.
Il est plus facile de faire un roman bru«
tal, plein de sanie, de crimes et de prosti-
tutions, que d'écrire un roman contenu,
mesuré, moiré, indiquant les hontes sans
les découvrir, émouvant sans écœurer.Le
beau procédé que celui d'étaler des chairs
meurtries! Les pourritures sont à la por-
tée de tout le monde, et ne manquent ja-
mais leur-effet. Le plus niais des réalistes,
en décrivant platement le vieux Montfau-
con, donnerait des nausées à toute une
génération.
Attacher par le dégoût, plaire par l'hor-
rible, c'est un procédé qui malheureuse-
ment répond à un instinct humain, mais à
l'instinct le plus bas, le moins avouable,
le plus universel, le plus bestial. Les fou-
les qui courent à la guillotine, ou qui se
pressent à la Morgue, sont-elles le public
qu'il faille séduire, encouragér, maintenir
dans le culte des épouvantes et des puru-
lences g
La chasteté, la candeur, l'amour dans
ses hérôïsmes, la haine dans ses liypocri-
sies, la vérité de la vie, après tout, ne se
montrent pas sans vernis, coûtent plus de
travail, exigent plus d'observation et pro-
fitent davantage aji lecteur. Je ne prétends
pas restreindre le domaine de l'écrivain.
Tout, jusqu'à l'épiderme, lui appartient
arracher là peau, ce n'est plus de l'obser-
vation, c'est de la chirurgie; et si une fois
par hasard un écorché peut être indispen-
sable à la démonstration psychologique,
l'écorché mis en système n'est plus que de
la folie et de la dépravation.
Je disais que toutes ces imaginations
malsaines étaient dés imaginations pau-
Aussi celui-là a eu bien raison, qui a
écrit « Le véritable mois-de mai, c'est le
mois de septembre. » Septembre ressem-
ble-t-il en effet à ce Mai pluvieux, hu-
mide et froid, où l'Amour court-vêtu gre-
lotte sous les arbustes en pleurs, à l'abri
des rosiers stériles ou sur le gazon clair-
semé? Que donne-t-il en effet ce Mai si
vanté? Des primevères obscures, quelques
violettes timides, des lilas.éphémères, des
giroflées au parfum fort et vulgaire, peu
d'asperges et pas encore de petits pois 1
Enveloppés prudemment dans leurs vê-
tements d'hiver, hommes et femmes
épient le premier rayon du soleil comme
un brigand des Calabres guette le voya-
geur égaré dans ses montagnes. Le nez
rougi, les yeux gonflés, le cerveau encom-
bré, ils toussent, crachent, éternuent ou
se mouchent à faire trembler, sinon tom-
ber, les murailles de Jéricho.
Le mois de mai est un enfant spirituel et
mal élevé; il promet beaucoup, mais il ne
C_¡;'
n'a rien promis.
Sur les riches moissons que ses ardeurs
ont fécondées, le soleil a passé, dorant de
ses tons chauds les arbres de la forêt. Sur
les coteaux mûrit lentement la vigne; le
grain se gonfle comme pour accroître les
gaietés qu'il prépare dans les vergers les
fruits se colorent, les branches fléchissent
sous le poids des pulpes savoureuses.
Nulle primeur insapide ne s'étiole plus
dans les serres tout vit au grand air, au
grand soleil et respire un parfum de force
et de liberté. On sent que l'année tout en-
tière s'est liguée pour donner plus de san-
té, de vie et de gloire, à ce général du ca-
lendrier, qui se couronne des lauriers que
ses officiers ont cueillis.
A ce moment là aussi s'élancent plus
volontiers au dehors les forçats du travail
vres ou paresseuses. Je n'ai besoin que
de citer les procédés pour le prouver^
Elles vivent d'imitation. Madame Bovary,
lanny, V Affaire Clemenceau, ont l'em-
preinte d'un talent original et personnel;' I
aussi ces trois livres supérieurs sont-ils
restés les types -que l'on imite, que l'on
parodie, que l'on allonge en les faisant
grimacer. Combiner l'élément judiciaire
avec l'élément pornographique, voilà tout
le fonds de la science. Mystère et hysté-
rie voilà la devise.
Il y a un piège, d'ailleurs, dans ces
deux mots.; les tribunaux sont un lieu
commun de péripéties variées et faciles,
et, à une époque d'énervement, comme on
n'a plus le secret de la passion, on la rem-
place par des spasmes maladifs; c'est
aussi bruyant, et c'est plus commode.
Ceci expliqué, je dois avouer le-motif
spécial de ma colère. Ma curiosité a glissé
ces jours-ci dans une flaque de boue et
de sang qui s'appelle Thérèse Raquin, et
dont l'auteur, M. Zola, passe pour un
jeune homme de talent. Je sais, du moins,
qu'il vise avec ardeur à la renommée. En-
thousiaste des crudités, il a publié déjà
la Confession de Claude qui était l'idylle
d'un étudjant et d'une prostituée; il voit
la femme comme M. Manet la peint, cou-
leur de boue avec des' maquillages rosés.
Intolérant pour la critique il l'exerce
lui-même avec intolérance, et à l'âge où
l'on ne sait encore que suivre son désir,"
il intitule ses prétendues études littérai-
res -Mes haines 1 t
Je ne sais si M.Zola a la force d'écrire un
livre fin, délicat, substantiel et décent. 11
faut de la volonté, de l'esprit, des idées et
du style pour renoncer aux violences;
mais je puis déjà indiquer à l'auteur de
Thérèse Raquin une conversion.
M. Jules Glaretie. avait écrit, lui aussi,
son livre de frénésie amoureuse et assas-
sine mais il.s'est dégoûté du genre après
son propre succès, et il a demandé à l'his-
toire des tragédies plus vraies, des pas-
sions plus héroïques et non moins terri-
bles. On meurt beaucoup dans ses Der-
niers Montagnards, mais avec un cri d'es-
pérance et d'amour pour la liberté La
rage n'y est pas ménagée, mais celle-là
rend doux et tolérant
Quant à Thérèse Raquin, c'est le résidu
de toutes les horreurs publiées précédem-
ment. On y a égoutté tout le sang et
toutes les infamies c'est' le baquet de la
mère Bancal.
Le sujet est simple, d'ailleurs, le re-
mords physique de deux amants qui tuent
le mari pour être plus libres de le trom-
per, mais qui, ce mari tué (il s'appelait
Camille), n'osent plus s'étreindre, car
voici, selon l'auteur, le supplice délicat
qui les attend « Ils poussèrent un cri et
» se pressèrent davantage afin de ne pas
» laisser entre leur chair de place pour le
» noyé. Etils sentaient toujours des lam-
» beaux de Camille qui s'écrasaientignoble-
» ment entre eux, glaçant leur peau par
» endroits, tandis que le reste de leur
» corps brûlait. »
A la fin, ne parvenant pas à écraser suffi-
samment la noyé dans leurs baisers, ils se
mordent, se font horreur, et se tuent en-
semble de désespoir de ne pouvoir se tuer
réciproquement. v
Si je disais à l'auteur que son idée est
immorale, il bondirait, car la description
du remords passe généralement pour un
spectacle moralisateur; mais si le remords
se bornait toujours à des impressions phy-
siques, à des répugnances charnelles, il
que leurs occupations sédentaires tien-
nent rivés au boulet de l'exactitude.
Il semble que rien ne puisse plus les
retenir dans la sphère étroite où ces Si-
syphes roulent leur rocher. Ils se préci-
pitent au hasard. Tout leur est bon,
pourvu que ce ne soit pas l'endroit où ils
ont l'habitude de vivre les eaux, les
bains de mer, l'Allemagne, la Suisse, l'I-
talie. ils iraient au diable, s'ils n'avaient
déjà fait vers lui tant de chemin qu'ils
craindraient d'arriver trop tôt.
Il n'est ici question bien entendu que
des Crésus de la Bourse, de la denrée co-
loniale ou du calicot. Mais les pauvres î
Ceux-là vont où ils peuvent, mais il faut
qu'ils aillent quelque part. Plus le gousset
est plat, plus les excursions sont cir-
conscrites dans un rayon anodin.
De toutes parts, dans les environs de
Paris, surgissent des fêtes afifrio&ntes.
Les affiches pompeuses, vêtues de blanc-
ce qui est la couleur officielle (?) -se pa-
vanent sur les murs, dans les gares, par-
tout où la colle a droit d'asile.
Le cou tendu, rajustant ses lunettes sur
• r!1e. dilatée, le petit bourgeois dé-
T%4nt ce programme éblouis-
sant. oute la semaine qui pré-
cède, il éch&: > plan de campagne
sa femme fait u.. l'anse du panier
pour glisser quelque' sous dans sa tire-
lire, sa fille repasse "*̃̃?̃ blanche qui
date de sa première e^ T^ di-
manche arrive, on part. Eàûa
Ah 1 comme ils vont s'amuser l
Suant à grosses gouttes, le châle et la
redingote sur le bras, par une chaleur
torride, à travers une poussière aveu-
glante, ils marchent souriants et joyeux.
Ils ont la foi, ces martyrs du plaisir.
C'est par économie qu'ils n'ont pas pris K
le chemin de fer ou la voiture, et qu'ils
s'en vont sur la route crayeuse, bravant
les ardeurs de la canicule. Dame avant
de s'amuser, il faut vivre. i
iHe serait plus qu'une révolte du tempé-
rament, et il ne serait pas le remords. Ce
qui fait la puissance et le triomphe du
bien, c'est que même la chair assouvie,. la
passion satisfaite, il s'éveille et brûle dans
le cerveau. Une tempête sou^s un crâne est
un spectacle sublime: une tempête dans
les reins est un spectacle ignoble
La première fois que Thérèse aperçoit
l'homme qu'elle doit aimer, voici comment
s'annonce la sympathie « La nature san-
» guine de ce garçon, sa voix pleine, ses
n rires gras, les senteurs acres et puissan-
» tes qui s'échappaient de lui troublaient
» la jeune femme et la jetaient dans une
» sorte d'angoisse nerveuse. »
0 Roméo 1 Juliette! quel flair subtil
et prompt aviez-vous pour vous aimer si
vite? Thérèse est une femme qui a besoin
d'un amant. D'un autre côté, Laurent, son
complice, se décide à noyer le mari après
une promenade où il subit la tentation
suivante « Il sifliait, il' poussait du pied
» les cailloux, et par moments il regar-
» dait avec des yeux fauves les balance-
s ments des hanches de sa maîtresse. »
'^Comment ne pas asgassiner ce pauvre
Camille, cet être maladif et gluant, dont
le nom rime avec camomille, après une
-telle excitation? Y
On jette le mari à l'eau. A partir de ce
moment, Laurent fréquente la Morgue
jusqu'à ce que son noyé soit admis à l'ex-
position. L'auteur profite de l'occasion
pour nous décrire les voluptés de la Mor-
gue et ses amateurs.
Laurent s'yidélecte à voir les femmes
assassinées. Un jour il s'éprend du cada-
vre d'une fille qui s'est pendue; il est vrai
que le corps de celle-ci, « frais et gras,
» blanchissait avec des douceurs de teinte
» d'une grande délicatesse. Laurent la
n regarda longtemps, promenant ses re-
n gards sur la chair, absorbé dans une
» sorte de désir peureux. »
Les dames du monde vont à la Morgue,
paraît-il; «Une d'elles y tombe en con-
» templation devant le corps robuste .d'un
» maçon. La dame,- dit l'auteur, l'exami-
» nait, le retournait en quelque sorte, dn
a regard, le, pesait, s'absorbait dans le
» spectacle de cet homme. Elle leva un
» coin de sa voilette, regarda encore, puis
» s'en alla. »
Quant aux gamins, « c'est à la Morgue
f> que les jeunes voyous ont leur première
» maîtresse. »
Comme ma»lettre peut être lue après
déjeuner, je passe sur la description de la
jolie pourriture de Camille. On y sent
grouiller les vers.
Une fois le noyé bien enterré, les amants
se marient. C'est ici que commence leur
supplice.
Je ne suis pas injuste et je reconnais
que certaines parties de cette analyse des»
sensations de deux assassins sont bien
observées. La nuit de ces noces hideuses
est un tableau frappant. Je ne blâme »pàs
systématiquement les notes criardes, les
coups de pinceau violents et violets; je
me plains qu'ils soient seuls et sans mé-
lange ce qui fait le tort de ce livre pou-
vait en être le mérite.
Mais la monotonie de l'ignoble est la
pire des monotonies. Il semble, pour res-
ter dans. les comparaisons de ce livre,
qu'on soit étendu sous le robinet d'un des
lits de la Morgue, et jusqu.'à la dernière
page, on sent couler, tomber goutte à
goutte sur soi cette eau faite pour délayer
des cadavres.
Les deux époux, de fureur en fureur,
'de dépravations en dépravations, en vien-
nent à se battre, à vouloir se dénoncer.
Parfois une grappe d'enfants grimpe le
long des épaules du père, ou se suspend
aux jupes de la mère. Ils ont faim, ils ont
soif, ils crient, ils pleurent. n'importe
On les console ou on les calotte, mais on
avance^ Voyez, on est arrivé.
Ah! les tristes joies du prolétaire Et
pendant que ceux-là suivent rayonnants
le chemin poudreux, d'autres,'plus mal-
heureux encore, dans leur mansarde cel-
lulaire, sous la tuile ou l'ardoise embra-
sées, les regardent passer d'un oeil d'en-
vie, songent à leur bourse épuisée, à leur
huche vide, et se demandent de Iquel la-
beur ils pétriront le pain du lendemain!
Devant ceux-là le flot se déroule indif-
férent. Où ira-t-il? A la fête des Loges? Y
àja fête de Saint-Cloud Pouvoir choisir,
quelle richesse 1
Car ces deux fêtes-là offrent un attrait
irrésistible au Parisien. Vingt fois il les a
vues, vingt fois il les verra encore. Est-ce
une raison? Non. Chaque année il y re-
tourne, et chaque année il les-trouve plus
fastidieuses. Il ne s'aperçoit pas qu'il
vieillit, que sa jeunesse s'est envolée,
̃ qu'il a pris le goût des joies tranquilles.
Les aigres modulations du mirliton,
qu'il aimait tant jadis, lui sont devenues
insupportables. Il trouve que le bal est
mal composé, celui-là même où il gesti-
culait quelque vingt ans plus tôt avec les
Turlurettes de son temps. Il'est blasé sur
les somnambules lucides, les Hercules du
'No :•*<], les athlètes du Midi, les veaux à
u b 'êtes, lés phénomènes, les chiens et
les savants, les phoques qui disent
« paj "'aman. » II parcourt d'un pas
lent et 'er ces allées où il s'égarait
sivolonti guère, et promèae un re-
gard distrais, £ s1 la voûte feuillue dont
l'ombre protcfiù **> lui fut si chèra autre-
fois.
C'est dans le p :̃ de Saint-CIoud, plus
Thérèse se prostitue, et Laurent, « dont
la chair est morte, » regrette de ne pou-
voir en faire autant.
Enfin, un jour, ces deux forçats de la
morgue tombent épuisés, empoisonnés,
l'un sur l'autre, devant le fauteuil de la
vieille mère paralytique de Camille Ra-
quin, qui jouit intérieurement de ce châ-
timent par lequel son fils est vengé.
Ce livre résume trop fidèlement toutes
les putridités de la littérature contempo-
raine pour ne pas soulever un peu de
colère. Je n'aurais rien dit d'une fantaisie
individuelle, mais à cause de là conta-
gion, il y va de toutes nos lectures. For-
çons les romanciers à prouver leur talent
autrement que par des emprunts aux tri-
bunaux et à.la voirie.
A la vente de ce pacha qui vient de li-
quider sa galerie tout comme un Euro-
péen, M. Courbet représentait le dernier,
mot de la volupté dans les arts par un
tableau qu'on laissait voir, et par un au-
tré suspendu dans un cabinet de toilette
qu'on montrait seulement aux Marnes in-"
discrètes et aux amateurs. Toute la honte
de l'école est là dans ces deux toiles,
comme elle est ailleurs dans les romans
la débauche lassée et l'anatomie crue.
C'est bien peint, c'est d'une réalité incon-
testable, mais c'est horriblement bête.
Quand la littérature dont j'ai parlé vou-
dra une enseigne, elle se fera faire par
M. Courbet une' copie de ces deux toiles.
Le tableau possible attirera les chalands
à'la porte; l'autre sera dans le sanc-
tuaire, comme la muse, le génie, l'oracle.
Ferragus. s
HHctt0nuairc feu Jigaro
B
Bastille (la). Prison d'Etat, où
l'on n'enfermait guère que des gentils-
hommes et démolie par le peuple.
^indigné, sans doute, de cette préfé-
rence.
Ballon. La tour de Babel du
progrès.
Bébé. Un petit sultan dont les
pleurs sont des perles et les cris des
chansons!
Bedaine. Petit temple portatif.
Bade, Hombourg. ^Bade, un
endroit où l'on joue cinq louis;
Hombourg, une maison où l'on joue
cent francs.
Bohème. Un flâneur qui prend
l'ivresse pour le génie, la rime pour la
poésie et la paresse pour la rêverie.
Boutique. Petite caverne au
rez-de-chaussée.
Bifurcation: L'endroit où le de-
voir et l'intérêt se trouvent en pré-
sence.
Dr GRtSGOIRB,
encore qu'à l'extrémité de la forêt de
Saint-Germain, que se rue le plus volon-
tiers cette foule bariolée. Bien plus que
les saltimbanques, qui la font sourire de
pitié, elle contribue à l'éclat de la fête,
dont elle anime la mise en scène. Nulle
part on ne verra société plus mélangée,
plus chamarrée. Toutes les couleurs de
l'arc-en-ciel ont été mises en réquisition
pour nuancer les costumes dont les fem-
mes parent leur extravagante coquetterie.
Si tous leurs visages ne sourient pas, on
voit qu'ils ne demandent qu'à s'épanouir.
Dans ce tohu-bohu général, les enfants
poussent des cris de convoitise et d'admi-
ration, les consciencieux se font peser, les
badauds écoutent la parade du pître
gouailleur et grossier. C'est une immense
tour de Babel dans laquelle se confondent
les classes, les opinions, lés goûts, les lan-
gages, mais dont le but est le même se
divertir.
Pour y parvenir, quels moyens n'em-
ploieront-ils pas! La bonne volonté ne leur
manquera pas pour le tenter. Quant à
réussir, c'est autre chose.
Donc, le 12 septembre i85. à dix heures
du matin, quelques visiteurs précoces er-
raient déjà dans le parc de Saint-Cloud.
Parmi ceux-là, un homme âgé de cin-
quante-cinq ans environ, le visage cou-
vert d'une épaisse et longue barbe gri-
sonnante, donnait le bras à une ravissante
jeune fille de dix-huit ans, qui contemplait
avec un étonnement rniïf le singulier spec-
tacle auquel elle assistait évidemment
pour la première fois.
L'homme était couvert d'habits luisants
et d'une propreté irréprochable. La coupe
n'en était ni très moderne ni très élé-
gante. On devinait que ces véterflents, un
peu surannés, ne vonaient pas de chez le
grand faiseur et ne sortaient de leur ar-
moire que dans les grands jours. Une
paire de gants trop larges, de couleur
Hier Aujourd'hui Demara 1
L'Empereur et l'Impératrice, engagée
par la température extraordinairement
douce de la journée d'hier, se sont prome-
nés à pied ̃plus d'une heure dans les
Champs-Elysées.
L'Impératrice portait une robe grise
garnie de fourrures.
L'association- amicale des anciens élé*
ves ducollége Bourbon et du lycée Bona-'
parte, qui vient d'être décrétée Société
d'utilité publique, donnera sqn dixième `
banquet annuel le 28 janvier, au Grand-
Hôtel, sous la présidence de M. Allou, bâ-
tonnier des avocats.
On souscrit chez les président et tréso-
rier de l'œuvre, MM. Sibire, avoué, 25, rue
du Four-Saint-Germain, et Clavel, tréso-
rier au Corps législatif.
On a donné trop tôt la nouvelle du mal-
heur qui vient de frapper notre confrère
Léo Lespès. Au moment où les. jour-
naux l'annonçaient, cette nouvelle étaif
inexacte.
Ce n'est qu'hier mardi, à cinq heures,
qu'est morte là mère dé M. Lespès.
Par une erreur typographique, le nom dU'
célèbre sculpteur Mairidron, auteur de la
Velîeda, a été horriblement défiguré qua-
tre fois de suite on. a imprimé Mandron.
Le lecteur aura déjà excusé cette co-
quille, si grosse qu'elle n'existe plus,
Le violoncelliste Dunkler vient de par-
tir pour la Belgique et la Hollande, où il
est engagé pour une série de concerts,
dont le premier aura lieu dema'in 23, à
Gand.
L'autre jour, en parlant ici de la télé-*
graphie et du mode de distribution adopté
à Londres pour les dépêches privées, nous
avons fait uns confusion, chose excusable
chez un Français à qui il est bien permis
de ne pas connaître parfaitement les cou-
tumes d'une ville où il n'a fait en toute
sa vie qu'un séjour d'une semaine.
Un de nos abonnés nous écrit de Lon-
dres, Devonshire Place, le 18 janvier.
Monsieur le rédacteur,
Permettez-moi de rectifier une erreur danf
vos renseignements au sujat de la remise dee
dépôohes télégraphiques à Londres.
Le facteur ne jette pas la dépêche dans la
boite aux lettres (dont chaque maison est mu?
nie), mais il sonne ou frappe, et doit attendre i
pour la quittance que l'on doit signer en la re-
cevant, absolument comme cela se pratique en-
core à Paris.
L'expérience a prouvé qu'une dépêche expê-
diée du continent est remise en moins de temps
à domicile, qu'une dépêche de Londres' pour
Londres I
Agréez, etc.
Il y a à peine deux ans que le baronM..r
est marié; sa femme est jeune et jolie, et
eharmante, et c'est de bien mauvais `
goût, n'est-ce pas, entre gens du grand
monde? elle aime son mari.
Et pourtant, celui-ci est déjà revenu £
à ses habitudes de garçon; il est redevenu
un dès piliers de son cercle, il y joue, il y
dîne, il y passe les nuits, absolument
comme s'il n'était pas marié légitimement
à une jeune femme qui mérite à coup sûr
une lune de miel plus longue que celle
qu'elle a eue.
Le sans-gêne du baron est arrivé à un
tel point qu'on s'en est étojiné au# cercle
L'autre jour, à quatre heures du matin,
le baron taillait encore un bac. forcené
commencé à neuf heures du soir.
Comment vous êtes encore là s'é-
foncée, recouvrait les mains épaisses du
vieillard, qui s'appuyait fièrement sur un
jonc sans valeur.
Là jeune fille était mise avec une sim-
plicité puritaine mais pleine de charmes.
Sa robe de jaconas, empesée, blanchie et
repassée avec un soin minutieux, se dra-
pait autour d'elle en plis opulents.
Sur sa tête, un chapeau de paille, garni
de rubans bleus, faisait ressortir la blan-
cheur de son teint et le blond doré de ses
cheveux soyeux. Nul bijou ne tranchait
sur cette toilette primitive, mais il s'en
exhalait comme un parfum de jeunesse,
de candeur, £e grâce et de virginité.
Appuyée sur le bras du vieillard, chaus-
sée de cette façon spéciale dont les Pari-
siennes ont le secret, elle marchait en
sautillant, semblable à l'oisillon qui, pour
la première fois, sort de son nid.
Son attention était vivement excitée.
Tout ce qu'elle voyait était nouveau pour
elle. On le devinait à ses grands yeux
noirs dilatés, à son regard errant, à sa
bouche entr'ouverte, qui laissait voir les
deux rangs de perles que faisait ressortir
le corail de ses lèvres rebondies.
De temps à autre elle levait les yeux
vers celui qui l'accompagnait, comme
pour lui demander l'explication de ce tu-
multe inconnu.
Celui-ci lui souriait paternellement et
l'entraînait doacement. l'arrachant à ses
admirations iiraides. Il semblait heureux
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rien de ce qui passait autour de lui. Dans
la foule dés promeneurs, dans les tableaux
insensés qui fe sollicitaient, dans te son `
discordant des trombones accompagnés
par la grosse caisse, il ne voyait et n'en-
tendait rien. Il ne vivait que dés impres-
sions que ressentait cette belle et fraîche
jeune fille. Pour elle seule il était tout
yeux, tout oreilles. Elle était son monde,
son soloil; le reste n'était que néant e1
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