Titre : Figaro : journal non politique
Éditeur : Figaro (Paris)
Date d'édition : 1867-01-07
Contributeur : Villemessant, Hippolyte de (1810-1879). Directeur de publication
Contributeur : Jouvin, Benoît (1810-1886). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34355551z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 07 janvier 1867 07 janvier 1867
Description : 1867/01/07 (Numéro 53). 1867/01/07 (Numéro 53).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG63 Collection numérique : BIPFPIG63
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Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Description : Collection numérique : France-Brésil Collection numérique : France-Brésil
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k270620m
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
i>ari§ et Départements; 10 c. le Numéro
14e Année 2e Série Numéro 53
Lundi 7 Janvier 1867
-R'iéaâateur en chef H. DE VILLEMESSANT
LE FIGARO parait tous les jours^Paris et Départements Un mois, i ff^^rAmj^Ê, i 1 fr. Six mois, 22 fr, •– Un an, 40 fr. Abonnements rue Rossini 3, et rne Coq-Héron, 5. Adresser les mandats & M. Dumont, directeur.
CHRONIQUE
DU
VIEUX DE LA MONTAGNE
Un ermite du faubourg Saint-Marceau, qui nous fait
bien l'effet d'avoir longtemps vécu loin de la montagne
Sainte-Geneviève, nous adresse la lettre suivante. Il y
fustige les chroniqueurs avec des verges à bonbons, de
véritables verges de jour de l'an. Mais attention, bon
ermite, les chroniqueurs, qui ne reçoivent rien pour
rien, pourront bien vous renvoyer vos étrennes.
Vous ne refuserez pas la cinglée, n'est-ce pas? Les
petits cadeaux entretiennent l'amitié
A monsieur de Villemessanf..
Monsieur,
Je vis en solitaire dans un coin perdu de ce grand
Paris où il y a de tout, même des ermites. J'ai cessé
volontairement d'être acteur dans la bataille de la vie,
et me suis fait une retraite 4>rpfonde au milieu de la
turbulence universelle, mais je n'ai pu cependant me
désintéresser des problèmes que ce siècle est en train
de résoudre ou d'embrouiller, au point de fermer com-
plètement ma porte aux bruits, du dehors.
Je le confesse, je l'ai laissée entrebaillée pour le fac-
teur je suis un cénobite qui lit les journaux, et mon
ermitage est un cabinet de lecture dont je suis le seul
abonné.
J'aime de toute la force de ma vieille âme voltai-
rienne tous ces jeunes talents, qui pour la plupart,
vous doivent leur précoce célébrité; je les aime pour
leur entrain, pour leur verve, pour ce diable au corps
qui les tient, pour cet admirable outre-vaillance qui les
fait se précipiter tête baissée à travers tous les casse-
cou du paradoxe et du caprice.
Mais dans le concert quelque peu charivarique dont
ils me régalent chaque jour, devient continuellement
une note qui m'irrite, qui m'exaspère Ce n'est point
parce qu'elle est fausse, j'ai les oreilles du roi Louis XV,
mais elle est si lugubre que ma chère quiétude en est
toute troublée, et de colère, je prends la plume pour
vous adresser mes remontrances, à vous leur parrain,
mieux que leur parrain, leur père selon l'esprit.
Décadence par-ci décadence par là! Voilà le refrain
que s'évertuent à moudre soir et matin à nos oreilles,
ces Ezéchiels et ces Jérémies du rire, sur l'orgue de
Barbarie de la chronique! Il faut convenir qu'il n'est
pas d'une gaieté folle!
De la part d'un vieux de la montagne, comme moi,
de la montagne Sainte-Geneviève, bien entendu, cette
désespérance, ce mépris, cette lassitude de toutes
choses se comprendrait; mais de la part de ces jeunes
hommes à qui la vie est si facile, qui, du premier coup
d'ailes, sont arrivés à ce but que tant d'autres pour-
suivent, sans jamais l'atteindre, la célébrité, qui sont
nés d'hier et qui, du jour au lendemain, par la grâce
de leur esprit, par un caprice du sort, pour s'être trou-
vés, monsieur, sous votre regard, se sont vus trans-
portés dans cette savoureuse existence que Paris, cette
mère-gâteau des cités, peut seule offrir à ses favoris;
en vérité, cela ne se conçoit pas, cela est étrange
Est-ce pour le plaisir de faire du nouveau ? 1
Mais elle est vieille comme le monde, cette rengaine
de la Décadence!
D'où vient donc qu'ils voient toutes choses par leur
côté sombre, ces délicats et ces raffinés? D'où vient que
leur rire fait la grimace, et qu'au fond, tous ces veuil-
lotinés ne soient que des veuillotinants ? P
Un jour que je venais de lire, dans le Figaro, dans le
Nain Jaune, dans le Soleil, etc., une kyrielle d'articles
tout encombrés de morale, où ces exhibitions defausses
nudités si fort en vogue aujourd'hui étaient stigmati-
sées de la belle manière, le souvenir revint à ma pen-
sée de ces tableaux vivants qui furent un instant à la
mode vers la fin du règne de Louis-Philippe, et de cette
belle madame Keller dont les formes sculpturales
fournirent l'occasion à M. Théophile Gautier de si
splqpdides débauches de style, et même lui firent èom-
mettre un péché qui lui sera d'autant plus facilement
LE SECRET
DE
LA ROCHE NOIRE
i
L'homme noir et la maison blanche
Toutes les fois que l'on tente de ressusciter l'ancien
Paris en présence du Paris moderne, il semble que l'on
veuille remonter à. des époques antédiluviennes, tant
le développement de cette grande cité a été rapide.
Que diraient aujourd'hui nos ancêtres si, arrachés à
l'oubli et sortant de leurs tombes poudreuses, on les
mettait en présence de toutes les merveilles que l'édi-
lité et la civilisation ont réalisées? Eux qui croyaient
avoir tant fait! Que dirions-nous nous-mêmes s'il nous
était donné de revivre dans deux cents ans et de par-
courir ces larges rues dont nous sommes si fiers?
Certes, notre stupéfaction égalerait celle de ncs an-
cêtres, et nous serions aussi dépaysés dans le Paris à
venir qu'ils le seraient dans le Paris présent.
Et pourtant que n'avait pas fait la première moitié
du dix-septième siècle pour mériter la reconnaissance
de la génération du temps! La butte des Moulins venait
de disparaitre. Une nouvelle enceinte avait entouré la
capitale, dont nos boulevards actuels figuraient la li-
mite extrême on avait érigé en archevêché son mo-
deste siège épiscopal; on avait fondé le jardin des
Plantes.
Marie de Médicis avait construit le Luxembourg, l'a-
queduc d'Arcueil et planté le cours la Reine. Richelieu
avait créé l'Académie française et bâti le Palais Cardi-
pardonné, qu'il l'a moins pratiqué! Le poëte de made-
moiselle de Maupin fit à cette occasion de la morale!
Mirabile dictu, s'écrierait Jules Janin. Il démontra que
le beau idéal, ne pouvant trouver son expression com-
plète que dans le nu, le nu était par conséquent tout ce
qu'il y avait de plus moral au monde. Et les lyriques, à
la suite, répétèrent en cliœur
Hosannah gloire au nu!
Les choses, pensais-je sont donc bien changées, que
ce qui était si moral alors soit devenu si immoral au-
jourd'hui ? Je voulus me renseigner, et pour cela je
m'en fus tout droit frapper à la porte d'un théâtre où
l'on représentait une féerie à grand spectacle. J'allai
m'installer le plus près possible de la scène, dans un
fauteuil d'orchestre, un peu étroit, mais en velours, et
je m'épanouis dans mon luxe.
La toile se leva Hélas je fus bien près de donner
raison aux chroniqueurs d'aujourd'hui Il y avait là
quelques belles filles, faites à ravir pour le plaisir des
yeux; mais que dire de l'innombrable essaim de com-
parses Ah monsieur ce que je vis me fit penser tout
de suite à ces pauvres petites bestioles dont M. Claude
Bernard fait au collége de France si grande consom-
mation, et je cherchai involontairement où était la pile
électrique qui provoquait les gigottementsextravagants
de tous ces tibias de raniformes.
Heureusement, je me rappelai qu'il ne faut pas voir
un tableau de trop près, et que ces chefs-d'œuvre de
couleur qui sont signés des noms de Titien, de Ru-
bens, de Delacroix, ont besoin'd'être contemplés à
distance
A l'acte suivant, je fus donc me blottir au fond de
cette manière de tiroir où l'on manque d'air, où l'on
étouffe, et qu'on décore du nom de parterre dans
les nouveaux théâtres.
Ah! monsieur, quelle différence Tous les plans de la
scène se composèrent sous mes yeux dans une harmo-
nie merveilleuse;-je n'apercevais pas tout le ciel, mais
ce que j'en apercevais, c'était bien le ciel; j'avais en
face de moi de vrais palais, de vrais arbres, tandis
que de ma stalle à l'orchestre je ne voyais que des
décors.
Et comme toutes ces jeunes filles, que la lumière de
la rampe trahissant jusqu'aux coutures de leurs mail-
lots me montraient tout à l'heure plus laides que na-
ture,devenaient belles,vues dufondde mon entonnoir!
Eh bien il en est du monde comme du théâtre! Dans
la goutte d'eau qu'il dépose sur le porte-objet du mi-
croscope, le savant voit grouiller des monstres.-Qu'on
regarde le monde de trop près, et il apparaît comme
une immense décomposition. On ne voit plus ni ses
harmonies ni ses réalités vivantes, mais tous les infini-
ment petits qui pullulent dans son sein.
C'est le cas des spectateurs de l'orchestre, c'est le
cas de vos chroniqueurs.
Et puis ils oublient que si, au théâtre, on a à peu
près supprimé le parterre, il y a encore, grâce à Dieu,
un parterre du monde. Ils ont le dédain de la foule. Ils
ont tort; à certaines époques, il est bon de se pencher
sur elle, et l'on s'aperçoit alors que des phénomènes
s'y passent qui indiquent, non pas la Décadence, mais
l'avènement d'énergies nouvelles, mais la pensée qui
s'élargit, la moralisation qui se développe dans des gé-
nérations plus nombreuses, mais une élite qui se forme
phénomènes qui méritent tout autrement qu'on s'en oc-
cupe, que ces Kolpodes, ces vibrions et ces bacteries
de la pourriture sociale, dont messieurs les chroni-
queurs passent leur vie à analyser les existences trou-
bles, les frétillements sans cause, à décrire les amours
malsaines: triste besogne, et qui,je le comprends, doit
les écœurer.
UN ERMITE DU FAUBOURG SAINT-MARCEAU
Hier –Aujourd'hui Demain
Brrrr! Décidément il n'y a plus d'illusion à se faire,
il fait un froid de tous les diables. Sommes-nous donc
en Russie? Il gèle à pierre fendre, et voilà trois jours
que ce froid dure. Les rues sont sèches, et les boule-
vards propres, la bise souffle en rafales et les ruis-
seaux sont couverts d'une Icouche brillante de glace.
nal. Les pon's Marie, de la Tournelle, le Pont-Rouge
venaient de surgir, tandis que s'élevaient les églises
Saint-Roch, Sainte-Marguerite, Sainte-Elisabeth, Saint-
Louis-en-1'Isle. Le Marais, l'ile Saint-Louis, le Pré-aux-
Clercs, se couvraient d'édifices nombreux, de nouvelles
rues étaient tracées. La ville offrait alors un singulier
aspect. A côté des constructions neuves qui se dres-
saient de toutes parts, la Tour de Nesle, le Grand et le
Petit Chàtelet, la Bastille, le Temple, les tours et les
portes de l'enceinte méridionale conservaient encore
leur cachet féodal, derniers vestiges d'une époque dis-
parue.
A la mort de Louis^III, les embarras de la politi-
que, les déchirements de la Fronde, arrêtent momenta-
nément l'essor de la cité rajeunie, si bien qu'en 1659,
Paris n'a rien gagné à la silhouette sommaire que nous
venons d'esquisser. La lleynie, le premier lieutenant
de police, n'avait pas encore purgé la ville des 40,000
gueux qui l'infestaient, il n'avait pas encore inauguré
les réverbères, de sorte que, malgré son acheminement
vers le mieux, Paris n'offrait alors aucune sécurité, et
que, seuls, les coureurs de ruelles ou d'aventures
osaient se risquer le soir dans les rnes désertes.
A l'extrémité de la rue Neuve-des-Petits-Champs,
tout près de l'enceinte que l'arrêté de 1G07 avait décré-
tée, s'élevait une petite maisonnette élégante, propret-
te, pimpante, qu'en raison de ces trois adjectifs la voix
publique désignait simplement sous ce nom la maison
blanche.
Il ne faisait pas nuit encore. A l'horizon empour-
pré, le soleil venait de disparaître dan un flot de nua-
ges d'or.
Devant la maison blanche, un groupe de bourgeois et
de bourgeoises était réuni, causant en cercle, à voix
basse, nez contre nez.
L'avez-vous vu? disait une commère.
Qui? demandait une nouvelle arrivée..
-L'homme noir.
Il est donc là?
Il y est entré depuis une heure. ̃̃̃•̃-
Les nez sont rouges, et les grappes volent de toutes
parts.
Seul le Club des patineurs se frotte les mains, en re-
gardant le thermomètre qui marque une foule de de-
grés au-dessous de zéro. Que cela dure encore trois
jours, deux peut-être, et les membres du Club des pa-
tins, tant de fois déçus en leurs espérances, vont pou-
voir enfin s'ébattre sur la glace de leur lac réservé.
Il va y avoir, là de beaux exploits. et de belles cul-
butes.
•
^Enlfuenaant, moins aristocratiques en leurs goûts,
les gamins se livrent sur les trottoirs à des glissades ef-
frénées dans les jambes des passants qui défilent rapi-
dement, le collet relevé et le nez enfoui dans la cra-
vate, devant les petitesboutiques en bois des boulevards,
et les kiosques de verre où les marchandes de jour-
naux grelottent devant leurs marchandise.
C'est l'hiver, la saison dure aux pauvres gens qui
n'ont pas de feu. Il fait bien froid sous les toits mainte-
nant, et on y doit faire de tristes réflexions quand le
pain manque et que l'eau se congèle dans la cruche.
Ah! les pauvres gens! c'est eux qu'il faut plaindre au-
jourd'hui, et c'est à eux qu'il faut penser pendant que
les gens riches chaussent leurs patins pour aller au
bois de Boulogne. C'est maintenant qu'il faut être cha-
ifttablè et donner aux malheureux qui s'accroupissent
sous les portes cochères et regardent passer, les yeux
rouges et les mains tremblantes* les cochers de bonne
maison enfouis dans des fourrures, comme des du-
chesses.
•
• •
Et pendant qu'il gelait dehors, que le vent aigre
séchait la boue dans les rues et que le verglas couvrait
l'asphalte d'un vernis glacé, des hommes et des femmes
allaient danser à l'Opéra, en maillot rose et le loup sur
le visage. Sincèrement, d'un temps pareil, braver le
froid, les rhumes, les fluxions dé poitrine et les chutes
sur le verglas, c'est à se demander s'ils y étaient forcés.
£.Xe Caveau fêtait l'autre soir l'installation de son nou-
veau président, Alexandre Flan, élu à la majorité des
suffrages en remplacement de M. Clairville, dont le
pandat annuel est expiré.
L'Académie bachique était presque au grand complet
Jules Janin, cependant, dont on espérait la visite,
n'a pas pu tenir sa promesse et est demeuré dans le
fauteuil où le retient la goutte.
on attendait aussi Paul de Kock il s'est excusé
par une lettre très spirituelle et très gaie, qu'a lue à
haute voix le président du Caveau L'auteur de la
Laitière de Montfermeil a fait valoir le même motif d'ab-
sence que J. Janin.
Parmi les chansons les plus applaudies, il convient
de citer
Le toast d'entrée de M. A. Flan
Lors le président, d'un air inspiré,
Improvise un toast, que huit jours d'avance
Il a préparé.
Toast qui tous les mois, hélas! recommence.
Donc, il boit en vers-aux vieux chants gaulois,
Aux refrains naïfs, aux landerirettes,
Aux échos grivois,
Des chansons à boire et des chansonnettes,
Trois couplets de Clairville, sur les duels des jour-
nalistes.
L'Histoire d'une pantoufle, par Protat.
Une ronde de M. Oscar de Poli.
La Routine, par Granger.
Et une chanson de Mahiet de la Chesneraye Je ne
Ventrctiens pas, dite par Berthelier.
Hier, c'était une omission, aujourd'hui c'est une
inexactitude qui nous a échappé dans la liste que nous
avons publiée des journaux nés pendant l'année 1866.
Nous recevons la lettre suivante
Monsieur et cher confrère,
En énumérant les journaux qui ont été fondés en 1866, vous
désignez le Courrier français,
Permettez-moi de vous faire observer que, s'il est vrai que
cette année, mes amis et moi nous avons transformé et régé-
néré quelque peu le Courrier français, ce journal est dans la
sixième année de son existence, et peut compter, par consé-
C'est impossible 1
Je vous le jure.
Alors, il doit se passer quelque chose de grave?.
Probablement.
Qui cela peut-il être?
Un notaire, sans doute. hasarda un bourgeois.
Laissez-donc, c'est plutôt le diable fit une vieille,
avec un signe de croix rapide.
C'est quelque délégué du Châtelet, insinua le fri-
pier d'à côté en frissonnant.
Cela serait le bourreau que cela ne m'étonnerait
pas, ajouta le mercier en hochant gravement la tèle.
Tout à coup un grand silence se fit dans le noyau
des curieux.
La porte de la maison blanche venait de se refermer,
et un homme vêtu de noir en sortait.
C'est lui? chuchotèrent les voisins, en le suivant
d'un regard oblique.
Ce personnage n'avait cependant rien d'assez remar-
quable pour révolutionner ainsi tout un quartier. Son
costume de laine, ses bas, ses souliers de castor étaient
noirs,' comme le feutre sans plume qui couvrait sa tête
expressive. '̃••
II avait la figure longue, osseuse, les traits fatigués,
la moustache, la royale et les cheveux blancs, et, sur
sa physionomie, un cachet d'honnêteté qui aurait dû
suffire à démontrer l'absurdité des suppositions dont il
était l'objet.
Ce vieillard ne prêta aucune attention au troupeau
de commères qui le poursuivaient de leur curiosité, et
disparut d'un pas lent et digne dans les profondeursde
la rue.
Po.uvait-il supçonner en effet que cette maison blan-
che, qu'il venait de quitter, était la fable du quartier
depuis plus de vingt-et-un ans? 1
Trois personnages l'habitaient le père, la mère et
le fils. Ils avaient nom Pierré, Madeleine et Georges
Davrignac. Leur installation remontait à l'année 1638,
et, depuis cette époque, rien n'avait transpiré sur leur
origine, leur fortune, leurs occupations,
quent, parmi les adolescents, sinon parmi les vétérans de la
presse.
Agreez, etc.
A. Vermorel,
Rédacteur en chef du Courrier français.
Le Nain jaune annonce par erreur comme un fait ac-
compli l'exécution des deux assassins de Champerret.
Agostini et Ciosi n'ont pas été fusillés à l'Ecole-Mi-
litaire. Ite ne subiront leur peine que dans quelques
jours au polygone de Vincennes.
"Dn raconte que l'un éfes^èW'criminèls, est-ce.
Ciosi ou son complice? nous ne le savons pas au juste,
s'obstine depuis sa condamnation à ne prendre au-
cune nourriture. Il est, parait-il, dans un état de fai-
blesse extrême, et il aurait (ce sont toujours des on
dit) il aurait, dis-je, été impossible de lui faire avaler
autre chose que quelques gorgées d'eau.
Son complice, au contraire, a gaillardement pris la
chose et mange du meilleur appétit.
Question de tempéraments!
Une chanson nouveau-née. Elle n'a encore été chan-
tée nulle part, je crois Les Senteurs de Paris, sur un
air trop connu, paroles de M. Philibert. Le tout est à
l'adresse de M. Veuillot.
En voulez-vous un couplet?
Nos plaisirs sont abominables
Tous nos théâtres immoraux.
Nos peintures sont effroyables v:
Et viennent des lieux infernaux.
Notre musique ̃- ':•
Est rachitique
Et ne vaudra
Jamais un Libera.
Point de bons livres,
Des hommes ivres ̃-•;•̃ i
Crient Brava
La diva Thérésa 1
C'te fille, dit-il, n'est pas bégueule 1
Mais sa plus suave chanson
Sent le ruisseau, l'ail et l'oignon,
Qu' ça vous emporte la g. bouche.
L'auteur se figure-t-il qu'il fait là une réclame à
Thérésa?.
S'il y tient, nous conviendrons que sa chanson est un
pastiche de la manière de M. Veuillot-mais il faut
convenir pourtant que l'auteur des Odeurs de Paris a
une touche plus. magistrale, et qu'on pourrait le pa-
rodier aver. plus de finesse.
Georges Maillard.
Post-sci'iptnm. On annonce de Prague la mort du
prince Egmont de Thurn et Taxis, né le 28 septembre 1849,
fils aîné du prince Hugo de Thurn et Taxis. = On an-
nonce de Stuttgard la mort de la comtesse Marie de Tauben-
heim, née comtesse de Wurtemberg, cousine de S. M. le roi,
née le 29 mai 1815. = Le roi de Prusse vient d'instituer
un nouvel ordre, nommé l'ordre de « Louise, » destiné à ré-
compenser les dames et les demoiselles. =a Un double
pont réunitmaintenant l'île Saint-Ouen aux deux rives de la
Seine. La famille de Frédéric 80ulié va faire recons-
truire son tombeau qui tombait en ruines. = Le chiffre
des affaires faites au marché de la Vallée s'est élevée l'année
passée à 25,200,135 francs.
L'EPIPHANIE, LA FÊTE DES ROIS
L'Epiphanie, ou manifestation de Dieu aux Gentils,
fut instituée pour perpétuer le souvenir du triomphe
de la foi chrétienne sur la loi de Moïse. On l'appelle
aussi la Fête des Rois, parce qu'on suppose que les per-
sonnages qui, les premiers, furent adorer Jésus possé-
daient cette qualité. L'Evangile cependant leur donne
le titre de Mages, mais l'opinion qui les a faits rois est
fondée sur ce verset du psaume 71 « Les rois deTursis
et des îles offrirent des présents; les rois d'Arabie et de
Saba présentèrent des offrandes. »
Il semblerait résulter de ce passage que les Mages
ou rois étaient au nombre de quatre mais une croyance
qui date de Saint-Léon les réduisit à trois, et Bède, un
écrivain religieux du dix-septième siècle, fit le pre-
mier connaître leurs noms ils s'appelaient Balthazar,
Melchior et Gaspard. Ce nombre et ces noms ont été
Voilà pourquoi la rue Neuve-des-Petits-Champs était
en émoi.
Peuplée autrefois de masures peu avenantes, cette
rue n'était pas habituée aux splendeurs dont elle allait
être témoin. La maison même, achetée par les nou-
veaux venus n'offrait pas, au moment où ils en devin-
rent propriétaires à beaux deniers comptants, l'aspect
coquet et réjouissant qu'elle avait pris depuis cette
époque. Les murs en étaient noirs et lézardés; les vo-
lets en mauvais état, mal attachés sur leurs gonds ron-
gés par la rouille, menaçaient au moindre vent de tom-
ber sur la tête des passants.
La maison n'était pourtant pas vieille, puisqu'elle ne
datait que des premières années du siècle mais elle
avait été abandonnée et subissait, sans protester, les
ravages du temps. En quelques jours, une transforma-
tion complète s'opéra. Récrépi et repeint à neuf, le pe-
tit édifice rajeunit à vue d'œil, et trancha vivement sur
le sombre alignement dans lequel il se confondait la
veille.
Il y avait bien là de quoi préoccuper les voisins et
surtout les voisines. Quels étaient ces nouveaux venus?
D'où venaiett-ils? Que faisaient-ils? Autant de ques-
tions à résoudre. Il. j
On essaya d'abord du moyen le plus simple on tenta
de les interroger. Pierre et Madeleine répondirent po-
liment, mais froidement, aux avances qui leur furent
faites par les commères, plus curieuses que complai-
santes. Sous un prétexte banal, on voulut alors péné-
trer chez eux; mais l'inflexible porte se referma sur les
trop zélés visiteurs, sans qu'ils en eussent franchi le
seuil.
On en conclut naturellement que ces braves gens
avaient intérêt à se cacher. Les plus hardies ne crai-
gnirent pas d'avancer que, peut-être, ces inconnus
avaient commis un crime, et qu'ils étaient venus se ré-
fugier à Paris pour échapper aux recherches. Dans tous <
les cas il fut convenu qu'on établirait autour de la mai^
son blanche une surveillance sévère. ^1
Dix ans se passèrent sans que l'on remarquât «S*
14e Année 2e Série Numéro 53
Lundi 7 Janvier 1867
-R'iéaâateur en chef H. DE VILLEMESSANT
LE FIGARO parait tous les jours^Paris et Départements Un mois, i ff^^rAmj^Ê, i 1 fr. Six mois, 22 fr, •– Un an, 40 fr. Abonnements rue Rossini 3, et rne Coq-Héron, 5. Adresser les mandats & M. Dumont, directeur.
CHRONIQUE
DU
VIEUX DE LA MONTAGNE
Un ermite du faubourg Saint-Marceau, qui nous fait
bien l'effet d'avoir longtemps vécu loin de la montagne
Sainte-Geneviève, nous adresse la lettre suivante. Il y
fustige les chroniqueurs avec des verges à bonbons, de
véritables verges de jour de l'an. Mais attention, bon
ermite, les chroniqueurs, qui ne reçoivent rien pour
rien, pourront bien vous renvoyer vos étrennes.
Vous ne refuserez pas la cinglée, n'est-ce pas? Les
petits cadeaux entretiennent l'amitié
A monsieur de Villemessanf..
Monsieur,
Je vis en solitaire dans un coin perdu de ce grand
Paris où il y a de tout, même des ermites. J'ai cessé
volontairement d'être acteur dans la bataille de la vie,
et me suis fait une retraite 4>rpfonde au milieu de la
turbulence universelle, mais je n'ai pu cependant me
désintéresser des problèmes que ce siècle est en train
de résoudre ou d'embrouiller, au point de fermer com-
plètement ma porte aux bruits, du dehors.
Je le confesse, je l'ai laissée entrebaillée pour le fac-
teur je suis un cénobite qui lit les journaux, et mon
ermitage est un cabinet de lecture dont je suis le seul
abonné.
J'aime de toute la force de ma vieille âme voltai-
rienne tous ces jeunes talents, qui pour la plupart,
vous doivent leur précoce célébrité; je les aime pour
leur entrain, pour leur verve, pour ce diable au corps
qui les tient, pour cet admirable outre-vaillance qui les
fait se précipiter tête baissée à travers tous les casse-
cou du paradoxe et du caprice.
Mais dans le concert quelque peu charivarique dont
ils me régalent chaque jour, devient continuellement
une note qui m'irrite, qui m'exaspère Ce n'est point
parce qu'elle est fausse, j'ai les oreilles du roi Louis XV,
mais elle est si lugubre que ma chère quiétude en est
toute troublée, et de colère, je prends la plume pour
vous adresser mes remontrances, à vous leur parrain,
mieux que leur parrain, leur père selon l'esprit.
Décadence par-ci décadence par là! Voilà le refrain
que s'évertuent à moudre soir et matin à nos oreilles,
ces Ezéchiels et ces Jérémies du rire, sur l'orgue de
Barbarie de la chronique! Il faut convenir qu'il n'est
pas d'une gaieté folle!
De la part d'un vieux de la montagne, comme moi,
de la montagne Sainte-Geneviève, bien entendu, cette
désespérance, ce mépris, cette lassitude de toutes
choses se comprendrait; mais de la part de ces jeunes
hommes à qui la vie est si facile, qui, du premier coup
d'ailes, sont arrivés à ce but que tant d'autres pour-
suivent, sans jamais l'atteindre, la célébrité, qui sont
nés d'hier et qui, du jour au lendemain, par la grâce
de leur esprit, par un caprice du sort, pour s'être trou-
vés, monsieur, sous votre regard, se sont vus trans-
portés dans cette savoureuse existence que Paris, cette
mère-gâteau des cités, peut seule offrir à ses favoris;
en vérité, cela ne se conçoit pas, cela est étrange
Est-ce pour le plaisir de faire du nouveau ? 1
Mais elle est vieille comme le monde, cette rengaine
de la Décadence!
D'où vient donc qu'ils voient toutes choses par leur
côté sombre, ces délicats et ces raffinés? D'où vient que
leur rire fait la grimace, et qu'au fond, tous ces veuil-
lotinés ne soient que des veuillotinants ? P
Un jour que je venais de lire, dans le Figaro, dans le
Nain Jaune, dans le Soleil, etc., une kyrielle d'articles
tout encombrés de morale, où ces exhibitions defausses
nudités si fort en vogue aujourd'hui étaient stigmati-
sées de la belle manière, le souvenir revint à ma pen-
sée de ces tableaux vivants qui furent un instant à la
mode vers la fin du règne de Louis-Philippe, et de cette
belle madame Keller dont les formes sculpturales
fournirent l'occasion à M. Théophile Gautier de si
splqpdides débauches de style, et même lui firent èom-
mettre un péché qui lui sera d'autant plus facilement
LE SECRET
DE
LA ROCHE NOIRE
i
L'homme noir et la maison blanche
Toutes les fois que l'on tente de ressusciter l'ancien
Paris en présence du Paris moderne, il semble que l'on
veuille remonter à. des époques antédiluviennes, tant
le développement de cette grande cité a été rapide.
Que diraient aujourd'hui nos ancêtres si, arrachés à
l'oubli et sortant de leurs tombes poudreuses, on les
mettait en présence de toutes les merveilles que l'édi-
lité et la civilisation ont réalisées? Eux qui croyaient
avoir tant fait! Que dirions-nous nous-mêmes s'il nous
était donné de revivre dans deux cents ans et de par-
courir ces larges rues dont nous sommes si fiers?
Certes, notre stupéfaction égalerait celle de ncs an-
cêtres, et nous serions aussi dépaysés dans le Paris à
venir qu'ils le seraient dans le Paris présent.
Et pourtant que n'avait pas fait la première moitié
du dix-septième siècle pour mériter la reconnaissance
de la génération du temps! La butte des Moulins venait
de disparaitre. Une nouvelle enceinte avait entouré la
capitale, dont nos boulevards actuels figuraient la li-
mite extrême on avait érigé en archevêché son mo-
deste siège épiscopal; on avait fondé le jardin des
Plantes.
Marie de Médicis avait construit le Luxembourg, l'a-
queduc d'Arcueil et planté le cours la Reine. Richelieu
avait créé l'Académie française et bâti le Palais Cardi-
pardonné, qu'il l'a moins pratiqué! Le poëte de made-
moiselle de Maupin fit à cette occasion de la morale!
Mirabile dictu, s'écrierait Jules Janin. Il démontra que
le beau idéal, ne pouvant trouver son expression com-
plète que dans le nu, le nu était par conséquent tout ce
qu'il y avait de plus moral au monde. Et les lyriques, à
la suite, répétèrent en cliœur
Hosannah gloire au nu!
Les choses, pensais-je sont donc bien changées, que
ce qui était si moral alors soit devenu si immoral au-
jourd'hui ? Je voulus me renseigner, et pour cela je
m'en fus tout droit frapper à la porte d'un théâtre où
l'on représentait une féerie à grand spectacle. J'allai
m'installer le plus près possible de la scène, dans un
fauteuil d'orchestre, un peu étroit, mais en velours, et
je m'épanouis dans mon luxe.
La toile se leva Hélas je fus bien près de donner
raison aux chroniqueurs d'aujourd'hui Il y avait là
quelques belles filles, faites à ravir pour le plaisir des
yeux; mais que dire de l'innombrable essaim de com-
parses Ah monsieur ce que je vis me fit penser tout
de suite à ces pauvres petites bestioles dont M. Claude
Bernard fait au collége de France si grande consom-
mation, et je cherchai involontairement où était la pile
électrique qui provoquait les gigottementsextravagants
de tous ces tibias de raniformes.
Heureusement, je me rappelai qu'il ne faut pas voir
un tableau de trop près, et que ces chefs-d'œuvre de
couleur qui sont signés des noms de Titien, de Ru-
bens, de Delacroix, ont besoin'd'être contemplés à
distance
A l'acte suivant, je fus donc me blottir au fond de
cette manière de tiroir où l'on manque d'air, où l'on
étouffe, et qu'on décore du nom de parterre dans
les nouveaux théâtres.
Ah! monsieur, quelle différence Tous les plans de la
scène se composèrent sous mes yeux dans une harmo-
nie merveilleuse;-je n'apercevais pas tout le ciel, mais
ce que j'en apercevais, c'était bien le ciel; j'avais en
face de moi de vrais palais, de vrais arbres, tandis
que de ma stalle à l'orchestre je ne voyais que des
décors.
Et comme toutes ces jeunes filles, que la lumière de
la rampe trahissant jusqu'aux coutures de leurs mail-
lots me montraient tout à l'heure plus laides que na-
ture,devenaient belles,vues dufondde mon entonnoir!
Eh bien il en est du monde comme du théâtre! Dans
la goutte d'eau qu'il dépose sur le porte-objet du mi-
croscope, le savant voit grouiller des monstres.-Qu'on
regarde le monde de trop près, et il apparaît comme
une immense décomposition. On ne voit plus ni ses
harmonies ni ses réalités vivantes, mais tous les infini-
ment petits qui pullulent dans son sein.
C'est le cas des spectateurs de l'orchestre, c'est le
cas de vos chroniqueurs.
Et puis ils oublient que si, au théâtre, on a à peu
près supprimé le parterre, il y a encore, grâce à Dieu,
un parterre du monde. Ils ont le dédain de la foule. Ils
ont tort; à certaines époques, il est bon de se pencher
sur elle, et l'on s'aperçoit alors que des phénomènes
s'y passent qui indiquent, non pas la Décadence, mais
l'avènement d'énergies nouvelles, mais la pensée qui
s'élargit, la moralisation qui se développe dans des gé-
nérations plus nombreuses, mais une élite qui se forme
phénomènes qui méritent tout autrement qu'on s'en oc-
cupe, que ces Kolpodes, ces vibrions et ces bacteries
de la pourriture sociale, dont messieurs les chroni-
queurs passent leur vie à analyser les existences trou-
bles, les frétillements sans cause, à décrire les amours
malsaines: triste besogne, et qui,je le comprends, doit
les écœurer.
UN ERMITE DU FAUBOURG SAINT-MARCEAU
Hier –Aujourd'hui Demain
Brrrr! Décidément il n'y a plus d'illusion à se faire,
il fait un froid de tous les diables. Sommes-nous donc
en Russie? Il gèle à pierre fendre, et voilà trois jours
que ce froid dure. Les rues sont sèches, et les boule-
vards propres, la bise souffle en rafales et les ruis-
seaux sont couverts d'une Icouche brillante de glace.
nal. Les pon's Marie, de la Tournelle, le Pont-Rouge
venaient de surgir, tandis que s'élevaient les églises
Saint-Roch, Sainte-Marguerite, Sainte-Elisabeth, Saint-
Louis-en-1'Isle. Le Marais, l'ile Saint-Louis, le Pré-aux-
Clercs, se couvraient d'édifices nombreux, de nouvelles
rues étaient tracées. La ville offrait alors un singulier
aspect. A côté des constructions neuves qui se dres-
saient de toutes parts, la Tour de Nesle, le Grand et le
Petit Chàtelet, la Bastille, le Temple, les tours et les
portes de l'enceinte méridionale conservaient encore
leur cachet féodal, derniers vestiges d'une époque dis-
parue.
A la mort de Louis^III, les embarras de la politi-
que, les déchirements de la Fronde, arrêtent momenta-
nément l'essor de la cité rajeunie, si bien qu'en 1659,
Paris n'a rien gagné à la silhouette sommaire que nous
venons d'esquisser. La lleynie, le premier lieutenant
de police, n'avait pas encore purgé la ville des 40,000
gueux qui l'infestaient, il n'avait pas encore inauguré
les réverbères, de sorte que, malgré son acheminement
vers le mieux, Paris n'offrait alors aucune sécurité, et
que, seuls, les coureurs de ruelles ou d'aventures
osaient se risquer le soir dans les rnes désertes.
A l'extrémité de la rue Neuve-des-Petits-Champs,
tout près de l'enceinte que l'arrêté de 1G07 avait décré-
tée, s'élevait une petite maisonnette élégante, propret-
te, pimpante, qu'en raison de ces trois adjectifs la voix
publique désignait simplement sous ce nom la maison
blanche.
Il ne faisait pas nuit encore. A l'horizon empour-
pré, le soleil venait de disparaître dan un flot de nua-
ges d'or.
Devant la maison blanche, un groupe de bourgeois et
de bourgeoises était réuni, causant en cercle, à voix
basse, nez contre nez.
L'avez-vous vu? disait une commère.
Qui? demandait une nouvelle arrivée..
-L'homme noir.
Il est donc là?
Il y est entré depuis une heure. ̃̃̃•̃-
Les nez sont rouges, et les grappes volent de toutes
parts.
Seul le Club des patineurs se frotte les mains, en re-
gardant le thermomètre qui marque une foule de de-
grés au-dessous de zéro. Que cela dure encore trois
jours, deux peut-être, et les membres du Club des pa-
tins, tant de fois déçus en leurs espérances, vont pou-
voir enfin s'ébattre sur la glace de leur lac réservé.
Il va y avoir, là de beaux exploits. et de belles cul-
butes.
•
^Enlfuenaant, moins aristocratiques en leurs goûts,
les gamins se livrent sur les trottoirs à des glissades ef-
frénées dans les jambes des passants qui défilent rapi-
dement, le collet relevé et le nez enfoui dans la cra-
vate, devant les petitesboutiques en bois des boulevards,
et les kiosques de verre où les marchandes de jour-
naux grelottent devant leurs marchandise.
C'est l'hiver, la saison dure aux pauvres gens qui
n'ont pas de feu. Il fait bien froid sous les toits mainte-
nant, et on y doit faire de tristes réflexions quand le
pain manque et que l'eau se congèle dans la cruche.
Ah! les pauvres gens! c'est eux qu'il faut plaindre au-
jourd'hui, et c'est à eux qu'il faut penser pendant que
les gens riches chaussent leurs patins pour aller au
bois de Boulogne. C'est maintenant qu'il faut être cha-
ifttablè et donner aux malheureux qui s'accroupissent
sous les portes cochères et regardent passer, les yeux
rouges et les mains tremblantes* les cochers de bonne
maison enfouis dans des fourrures, comme des du-
chesses.
•
• •
Et pendant qu'il gelait dehors, que le vent aigre
séchait la boue dans les rues et que le verglas couvrait
l'asphalte d'un vernis glacé, des hommes et des femmes
allaient danser à l'Opéra, en maillot rose et le loup sur
le visage. Sincèrement, d'un temps pareil, braver le
froid, les rhumes, les fluxions dé poitrine et les chutes
sur le verglas, c'est à se demander s'ils y étaient forcés.
£.Xe Caveau fêtait l'autre soir l'installation de son nou-
veau président, Alexandre Flan, élu à la majorité des
suffrages en remplacement de M. Clairville, dont le
pandat annuel est expiré.
L'Académie bachique était presque au grand complet
Jules Janin, cependant, dont on espérait la visite,
n'a pas pu tenir sa promesse et est demeuré dans le
fauteuil où le retient la goutte.
on attendait aussi Paul de Kock il s'est excusé
par une lettre très spirituelle et très gaie, qu'a lue à
haute voix le président du Caveau L'auteur de la
Laitière de Montfermeil a fait valoir le même motif d'ab-
sence que J. Janin.
Parmi les chansons les plus applaudies, il convient
de citer
Le toast d'entrée de M. A. Flan
Lors le président, d'un air inspiré,
Improvise un toast, que huit jours d'avance
Il a préparé.
Toast qui tous les mois, hélas! recommence.
Donc, il boit en vers-aux vieux chants gaulois,
Aux refrains naïfs, aux landerirettes,
Aux échos grivois,
Des chansons à boire et des chansonnettes,
Trois couplets de Clairville, sur les duels des jour-
nalistes.
L'Histoire d'une pantoufle, par Protat.
Une ronde de M. Oscar de Poli.
La Routine, par Granger.
Et une chanson de Mahiet de la Chesneraye Je ne
Ventrctiens pas, dite par Berthelier.
Hier, c'était une omission, aujourd'hui c'est une
inexactitude qui nous a échappé dans la liste que nous
avons publiée des journaux nés pendant l'année 1866.
Nous recevons la lettre suivante
Monsieur et cher confrère,
En énumérant les journaux qui ont été fondés en 1866, vous
désignez le Courrier français,
Permettez-moi de vous faire observer que, s'il est vrai que
cette année, mes amis et moi nous avons transformé et régé-
néré quelque peu le Courrier français, ce journal est dans la
sixième année de son existence, et peut compter, par consé-
C'est impossible 1
Je vous le jure.
Alors, il doit se passer quelque chose de grave?.
Probablement.
Qui cela peut-il être?
Un notaire, sans doute. hasarda un bourgeois.
Laissez-donc, c'est plutôt le diable fit une vieille,
avec un signe de croix rapide.
C'est quelque délégué du Châtelet, insinua le fri-
pier d'à côté en frissonnant.
Cela serait le bourreau que cela ne m'étonnerait
pas, ajouta le mercier en hochant gravement la tèle.
Tout à coup un grand silence se fit dans le noyau
des curieux.
La porte de la maison blanche venait de se refermer,
et un homme vêtu de noir en sortait.
C'est lui? chuchotèrent les voisins, en le suivant
d'un regard oblique.
Ce personnage n'avait cependant rien d'assez remar-
quable pour révolutionner ainsi tout un quartier. Son
costume de laine, ses bas, ses souliers de castor étaient
noirs,' comme le feutre sans plume qui couvrait sa tête
expressive. '̃••
II avait la figure longue, osseuse, les traits fatigués,
la moustache, la royale et les cheveux blancs, et, sur
sa physionomie, un cachet d'honnêteté qui aurait dû
suffire à démontrer l'absurdité des suppositions dont il
était l'objet.
Ce vieillard ne prêta aucune attention au troupeau
de commères qui le poursuivaient de leur curiosité, et
disparut d'un pas lent et digne dans les profondeursde
la rue.
Po.uvait-il supçonner en effet que cette maison blan-
che, qu'il venait de quitter, était la fable du quartier
depuis plus de vingt-et-un ans? 1
Trois personnages l'habitaient le père, la mère et
le fils. Ils avaient nom Pierré, Madeleine et Georges
Davrignac. Leur installation remontait à l'année 1638,
et, depuis cette époque, rien n'avait transpiré sur leur
origine, leur fortune, leurs occupations,
quent, parmi les adolescents, sinon parmi les vétérans de la
presse.
Agreez, etc.
A. Vermorel,
Rédacteur en chef du Courrier français.
Le Nain jaune annonce par erreur comme un fait ac-
compli l'exécution des deux assassins de Champerret.
Agostini et Ciosi n'ont pas été fusillés à l'Ecole-Mi-
litaire. Ite ne subiront leur peine que dans quelques
jours au polygone de Vincennes.
"Dn raconte que l'un éfes^èW'criminèls, est-ce.
Ciosi ou son complice? nous ne le savons pas au juste,
s'obstine depuis sa condamnation à ne prendre au-
cune nourriture. Il est, parait-il, dans un état de fai-
blesse extrême, et il aurait (ce sont toujours des on
dit) il aurait, dis-je, été impossible de lui faire avaler
autre chose que quelques gorgées d'eau.
Son complice, au contraire, a gaillardement pris la
chose et mange du meilleur appétit.
Question de tempéraments!
Une chanson nouveau-née. Elle n'a encore été chan-
tée nulle part, je crois Les Senteurs de Paris, sur un
air trop connu, paroles de M. Philibert. Le tout est à
l'adresse de M. Veuillot.
En voulez-vous un couplet?
Nos plaisirs sont abominables
Tous nos théâtres immoraux.
Nos peintures sont effroyables v:
Et viennent des lieux infernaux.
Notre musique ̃- ':•
Est rachitique
Et ne vaudra
Jamais un Libera.
Point de bons livres,
Des hommes ivres ̃-•;•̃ i
Crient Brava
La diva Thérésa 1
C'te fille, dit-il, n'est pas bégueule 1
Mais sa plus suave chanson
Sent le ruisseau, l'ail et l'oignon,
Qu' ça vous emporte la g. bouche.
L'auteur se figure-t-il qu'il fait là une réclame à
Thérésa?.
S'il y tient, nous conviendrons que sa chanson est un
pastiche de la manière de M. Veuillot-mais il faut
convenir pourtant que l'auteur des Odeurs de Paris a
une touche plus. magistrale, et qu'on pourrait le pa-
rodier aver. plus de finesse.
Georges Maillard.
Post-sci'iptnm. On annonce de Prague la mort du
prince Egmont de Thurn et Taxis, né le 28 septembre 1849,
fils aîné du prince Hugo de Thurn et Taxis. = On an-
nonce de Stuttgard la mort de la comtesse Marie de Tauben-
heim, née comtesse de Wurtemberg, cousine de S. M. le roi,
née le 29 mai 1815. = Le roi de Prusse vient d'instituer
un nouvel ordre, nommé l'ordre de « Louise, » destiné à ré-
compenser les dames et les demoiselles. =a Un double
pont réunitmaintenant l'île Saint-Ouen aux deux rives de la
Seine. La famille de Frédéric 80ulié va faire recons-
truire son tombeau qui tombait en ruines. = Le chiffre
des affaires faites au marché de la Vallée s'est élevée l'année
passée à 25,200,135 francs.
L'EPIPHANIE, LA FÊTE DES ROIS
L'Epiphanie, ou manifestation de Dieu aux Gentils,
fut instituée pour perpétuer le souvenir du triomphe
de la foi chrétienne sur la loi de Moïse. On l'appelle
aussi la Fête des Rois, parce qu'on suppose que les per-
sonnages qui, les premiers, furent adorer Jésus possé-
daient cette qualité. L'Evangile cependant leur donne
le titre de Mages, mais l'opinion qui les a faits rois est
fondée sur ce verset du psaume 71 « Les rois deTursis
et des îles offrirent des présents; les rois d'Arabie et de
Saba présentèrent des offrandes. »
Il semblerait résulter de ce passage que les Mages
ou rois étaient au nombre de quatre mais une croyance
qui date de Saint-Léon les réduisit à trois, et Bède, un
écrivain religieux du dix-septième siècle, fit le pre-
mier connaître leurs noms ils s'appelaient Balthazar,
Melchior et Gaspard. Ce nombre et ces noms ont été
Voilà pourquoi la rue Neuve-des-Petits-Champs était
en émoi.
Peuplée autrefois de masures peu avenantes, cette
rue n'était pas habituée aux splendeurs dont elle allait
être témoin. La maison même, achetée par les nou-
veaux venus n'offrait pas, au moment où ils en devin-
rent propriétaires à beaux deniers comptants, l'aspect
coquet et réjouissant qu'elle avait pris depuis cette
époque. Les murs en étaient noirs et lézardés; les vo-
lets en mauvais état, mal attachés sur leurs gonds ron-
gés par la rouille, menaçaient au moindre vent de tom-
ber sur la tête des passants.
La maison n'était pourtant pas vieille, puisqu'elle ne
datait que des premières années du siècle mais elle
avait été abandonnée et subissait, sans protester, les
ravages du temps. En quelques jours, une transforma-
tion complète s'opéra. Récrépi et repeint à neuf, le pe-
tit édifice rajeunit à vue d'œil, et trancha vivement sur
le sombre alignement dans lequel il se confondait la
veille.
Il y avait bien là de quoi préoccuper les voisins et
surtout les voisines. Quels étaient ces nouveaux venus?
D'où venaiett-ils? Que faisaient-ils? Autant de ques-
tions à résoudre. Il. j
On essaya d'abord du moyen le plus simple on tenta
de les interroger. Pierre et Madeleine répondirent po-
liment, mais froidement, aux avances qui leur furent
faites par les commères, plus curieuses que complai-
santes. Sous un prétexte banal, on voulut alors péné-
trer chez eux; mais l'inflexible porte se referma sur les
trop zélés visiteurs, sans qu'ils en eussent franchi le
seuil.
On en conclut naturellement que ces braves gens
avaient intérêt à se cacher. Les plus hardies ne crai-
gnirent pas d'avancer que, peut-être, ces inconnus
avaient commis un crime, et qu'ils étaient venus se ré-
fugier à Paris pour échapper aux recherches. Dans tous <
les cas il fut convenu qu'on établirait autour de la mai^
son blanche une surveillance sévère. ^1
Dix ans se passèrent sans que l'on remarquât «S*
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