Titre : Figaro : journal non politique
Éditeur : Figaro (Paris)
Date d'édition : 1862-10-26
Contributeur : Villemessant, Hippolyte de (1810-1879). Directeur de publication
Contributeur : Jouvin, Benoît (1810-1886). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34355551z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 164718 Nombre total de vues : 164718
Description : 26 octobre 1862 26 octobre 1862
Description : 1862/10/26 (Numéro 803). 1862/10/26 (Numéro 803).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG63 Collection numérique : BIPFPIG63
Description : Collection numérique : BIPFPIG69 Collection numérique : BIPFPIG69
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Description : Collection numérique : France-Brésil Collection numérique : France-Brésil
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k270147d
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
9e Année– 803
TRENTE-CINQ CENTIMES
Dimanche 26|Octobre 186m
H. DE VILLEMESSANT
KéDÂCTBCB BK CHEF /C
̃ -0
ABONNEMENTS (PÀBIS) !$.
Un an. 36 fr.
Six mois.. 19
Trois mois. \!Mr. 50"
I Un mois.. ^ft'T;
XES MANUSCRITS
NON INSÉRÉS SONT BRULES
ADMINISTRATION ET RÉDACTION
21, BOBLEVAIIT. MONTMAHTBE, 21
IMaison FroicaliJ. )..
« On me dit qu'il s'est établi dans Madrid,
an système de liberté sur la vente des produc-
tions,.qui s'étend même à celles' de la presse,
et que, pourvu que je ne parle en mes écrits
ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique,
ni de la morale, ni des gens en place, ni des
corps en crédit, ni de l'Opéra, ni des autres
spectacles, .ni de personne qui tienne à. quel-
que chose, je puis tout imprimer librement,
sous l'inspection de deux ou 'rois censeurs.
FIGARO
Y
`. H. DE VILLEMESSANT
RÉDACTEUR EH CHBP
ABONNEMENTS (DÉPARTEMENTS)
Un an. 60 fr.
Six mois, 21
Trois mois. 10 fr. 50
Un mois.. 4 50
FIGARO •'
PARAIT DEUX FOIS PAR SEMAINE
Le Jeudi et le Dimanche.
ADMINISTRATION ET RÉDACTION
21, BOUI.EVABT UOXTMA11TIIE, 21
(Maison Fraient! [.
Que je voudrais bien tenir un de ces
puissants de quatre jours, si légers sur le
mal qu'ils ordonnent, quand une bonne dis»
grâce a cuvé son orgueil Je lui dirais que
les sottises imprimées n'ont d'importance
qu'aux lieux où l'on en gêne le cours que,
sans la liberté de blâmer, il n'est point d'é-
loge flatteur, et qu'il n'y a que les petits
hommes qui redoutent les petits écrits.
THÉÂTRES a;
M. EMILE AUGXEH.
UN FEUILLETON POSTHUME DES EFFRONTÉS. U>"E PRÉFACE PREMATUREE
DU FILS DE GIBOVER )
Jouera-t-on ou ne jouera-t-on pas la nouvelle comédie de
M. Emile Augier, le Fils de Giboyer, à la Comédie -Française?
Hier, il n'y fallait plus compter; la Censure s'était formelle-
ment prononcée pour l'interdiction absolue sans vouloir
entendre aux adoucissements et aux modifications. Tout
est bien changé ce matin; un vent soufflant des hau-
teurs a soulevé de nouveau et roulé jusqu'à la rue de Richelieu
les feuilles légères du poète. Il ne s'agirait. donc plus, cette
fois, que de presser les répétitions d'un ouvrage que l'auteur a
fait étudier chez lui par ses principaux interprètes.
S'il en fallait croire des indiscrétions, répindues et calculées
en vue du grand succès qu'on espère, la comédie de M. Emile
Augier serait une comédie politique à outrance, n'épargnant
pas les personnes en faisant le procès aux idées, et associant,
dans une trilogie redoutable, Aristophane, La Bruyère et
Beaumarchais. Le poète ne craindrait pas de remuer le fer
rouge de la satire dans la question brûlante du moment. On
exagère sans doute beaucoup les choses en donnant à quelques
traits épigi¥ammatiques1 dont une demi-douzaine de specta-
teurs auront seuls la clef, les proportions d'un événement et
d'une manifestation de parti et l'on rabaisse sans justice le
CAUSES CÉLÈBRES
ANTOINE-FRANÇOIS FERRAND (1).
Le soleil était levé lorsque Ferrand revint à lui. La scène était
horrible. Les paysans se rendaien't déjà aux labeurs du jour. Il eut
craint d'être aperçu et entravé dans son suicide. Il charge un pis-
tolet à la hâte, mais les capsules lui manquent et il faut encore re-
monter dans la clairière. Revenu près du cadavre de Mariette, il
retire sa chemise, l'attache à un pommier avec l'aide de ses bre-
telles ceci fait, il arme son pistolet, pose la capsule, il fait autour
du cou un nœud avec les bras de la chemise, il se dresse sur la
pointe des pieds, fait plier la branche, avec la conviction que la
b 'anche, lâchée après la détonation, se redressera d'elle-même, après
quoi il introduit le canon de l'arme dans sa bouche, presse le ca-
non de ses lèvres, et pour la troisième fois une détonation re-
tentit.
Mais Ferrand, non plus que Mariette, ne devait mourir du
premier coup. La branche casse sous la secousse, le malheureux
(1) Voirie numéro du 23 octobre.
talent et le rôle d'un homme de grand talent, en -s'imaginant
que cet homme, se mettant au service des victorieux contre les
vaincus, va ramasser ses convictions et ses lazzis dans la cor-
beille aux rognures d'une demi-douzaine de journaux sans
crédit sur la conscience des honnêtes gens. ̃
Non que je condamne la comédie politique et aristopha-
nique 1 Elle a parfois son utilité; ellè;est de notre temps et
dans nos mœurs, et elle serait peut-être, pour un théâtre épuisé,
ce rajeunissement demandé en vain à la suprématie d'un genre,
au triomphe d'une école, à la lutte, aujourd'hui sans objet, de
l'esprit d'innovation et de l'esprit de tradition. Mais il n'y a pas
de milieu possible si cette comédie n'est pas une vaillante
épée, ce n'est p!us qu'un vil' couteau et j'en voudrais faire
une épée, ou pour mieux dire, deux lames loyalement croisées
aux mains de deux adversaires de même courage, sinon de
même force. Je lui voudrais une liberté d'allures qui l'affran-
chît des lisières d'un parti, un souffle d'impartialité qui la fît
planer au-dessus des aveugles'passions dressées a rugir sur un
mot d'ordre et avant de la créer sur notre théâtre, je com-
mencerais par créer la libre concurrence. Quant à la comédie
àristophanique traitée eh monologue, avec 'privilège et appro-
bation dit Roijje ne la éomprends plus et je ne saurais l'estimer.
C'est un duel dans lequel l'un des deux adversaires-est désarmé;
c'est le triomphe du Curé de village sur Voltaire représenté par
son bonnet carré. Or, M. Emile Augier a trop de courage
dans l'esprit pour consentir à combattre tout seul sur le terrain
des personnalités politiques, et trop d'esprit de bon aloi pour
le dépenser tout entier à triompher du silence d'un bonnet
carré..
En attendant que le Fils de Giboyer vienne ou ne vienne pas,
la Comédie-Française reprend les E/prontés, son grand succès
de l'année dernière. Les E/frontès jouent en cette circonstance
le rôle de ces pierres d'attente, festonnant dans le vide et appe-
lant à elles, pour l'étreindre, la façade d'un édifice dont les
murailles sortent à peine de terre. J'étais fort souffrant à l'épo-
que de sa première représentation, et je ne pus assister au
triomphe du poète. Je ne trouverai jamais une meilleure occa-
tombe à terre. La balle, au lieu de perforer le cerveau, s'est incrustée
au milieu de l'arcade sourcillère.
Tout cela révolte le cœur, n'est-ce pas ? Ce n'est pas encore la fin.
Ferrand court vers Mariette et cherche à retirer du sein de la
malheureuse le poignard avec lequel il croyait avoir achevé sa lente
agonie, mais la main était crispée sur le manche avec la force que
donnent les derniers moments. Il dut renoncer à l'arracher de la
plaie. Alors, fou, anéanti, sanglant, il se dirige vers le moulin du
nommé Landrin et se précipite dans la rivière, la tête en avant.
Nous avons raconté par quel hasard miraculeux il fut sauvé.
FERRAND EN PRISON. j
Donc ce fut le 28 août 1837, que Firrand fut amené à la prison
de Pontoise. Le brigadier qui l'avait conduit le remit entre les
mains du geôlier M. Joulain, qui lui fit donner tous les soins qu'exi-
geait sa triste position. •
Dans sa prison, Ferrand eonsigna ses impressions sur un journal
qui a fait quelque bruit à l'époque du procès. Ses mémoires ne
vont pas jusqu'au jour des assises; ces confidences entretenaient
son exaltation et ravivaient des souvenirs trop terribles; 'on craignit
de sa part de nouvelles tentatives de suicide, et on lui arracha son
manuscrit. Nous en extraierons quelques passages,' empruntés le
plus souvent, du reste, quant à la forme, aux Prisons de Sylvio
Pellico. Ferrand se défiait de lui-même et ne se sentait pas assez
fort pour traduire ses pensées il adaptait à sa situation les pages
écrites par le célèbre prisonnier dont il subissait un à un toutes les
impressions. ̃
.•̃• • f t • » • •> •• »»̃•;•»» • » 1 • V
sion de m'y associer, sans me placer toutefois sous la roue du
char. Le bruit fait autour de l'œuvre dont l'accouchement est
si laborieux reporte l'attention sur son ainée, et, loin de la
vieillir, la rajeunit au contraire; de sorte qu'il se pourrait faire
que ce feuilleton attardé, cousu à la queue d'une vieille comé-
die, fût une préface destinée à trouver sa place en tête d'une
comédie toute neuve. Nous aurons bien du malheur si cette
étude rétrospective n'élargit point le cadre restreint ou je
compte l'enfermer d'abord, et, rie trouve, sans pédanterie, dans-
les proportions de l'oeuvre, la mesure de l'artiste. Delà &
embrasser dans son envergure la comédie moderne, il n'y ar
qu'à lever les yeux et à étendre la main. Peste! comme vous
y allez, critique ma mie! Vous voilà rêvant les exploits
de Picrocole. Vous savez comment, de battant, Picrocole s'est
trouvé battu. De toutes ces conquêtes rêvées par vous, et ac-
complies follement en un trait de plume, les frontières delà
Comédie moderne et les proportions de la statue à cheval d'É-
mile Augier, qu'on vous laisse faire, et je ne réponds pas que*
vous donniez au lecteut même une critique des Effrontés qui
ait le sens coriimuri, • "̃ ̃••.•<- ̃•
A son insu ou volontairement, M. Emile Augier a fondu en-
semble, pour écrire les Effrontés, la donnée d'Une chaîne, dé
M. Scribe, et la personnalité du Mercadet dé Balzac. Je le dis
probablement après bien d'autres. Mais le moyen de ne pas si-
gnaler un emprunt si hardi, ou, si le mot paraît trop fort, un
travail de pure mosaïque? De ces éléments difficiles à cimenter
et si bien employés par ses devanciers à la place qui leur con-
venait, il a fait un plan de comédie d'une solidité au moins fort
contestable. L'adultère de Mme la marquise d'Auberive et de
M. de Sergine traverse l'ouvrage et l'occupe au premier plan,
noue l'action, relie entre eux les personnages, prépare et fait
éclater la catastrophe du quatrième acte, et ne tient point à la
pièce. Il n'en est plus question au cinquième acte, et l'auteur
pouvait le supprimer tout-à-fait et le remplacer par autre chose
dans le reste de l'ouvrage; car, remarquez-le bien, il ne s'agit
que d'une façon accessoire de savoir si la marquise d'Auberive
retournera avec son mari, et si M. de Sergine rompra avec la
femme du monde qu'il n'aime plus pour épouser la jeune fille
qu'il aime. Ce qui nous importe, c'est de suivre le fripon Ver-
Je m'assis auprès de mon lit, et quoique; la blessure que la
détonation du pistolet m'avait laite dans la bouche me causât de
cruelles Souffrances, je réfléchis à ce que j'avais fait, et je pensai:
« Si ce malheureux coup m'avait porté au tombeau, ma pauvre
mère, Lance et mes amis, qui se seraient abandonnés à.la douleur
en me perdant, auraient acquis cependant peu à peu la force de so
résigner à ma perte. Au lieu d'une tombe une prison m'engloutit!
0 stupidité du temps! mobilité perpétuelle des choses! Celui qui
vous considère peut-il s'affliger, s'il est enseveli dans une prison, si
on le menace du bourreau? Hier encore j'étais libre, je pouvais de-
venir heureux, quoique je fusse désespéré, je n'étais pourtant pas
privé de toute consolation aujourd'hui je n'ai plus aucune des dou-
ceurs qui consolaient ma vie, plus de liberté, plus d'espérance
Non! se flatter serait folie; la justice humaine n'aura pas de par-
don pour l'infortuné Ferrand. Je ne sortirai d'ici que pour être con-
duit au bagne, ou pour être remis entre les mains du bourreau I Eh
bien, le jour qui suivra ma mort, ce sera comme si j'eusse vécu
dans un palais, comme si j'eusse été porté au tombeau avec les
plus grands honneurs.
a Réfléchir ainsi à la rapidité de la vie me ranimait l'esprit, me
relevait de mon abattement, de la prostration de toutes les puissances
de mon être. Mais ma mère, ma pauvre mère, et Lance que j'aime
tant, se présentèrent à mon imagination et mes raisonnements
n'eurent plus d'empire sur mon cœur. Je m'attendris et pleurais
comme un enfant. Je souffrais tant que je ne croyais pas avoir de
repos toute la nuit; je me couchais pourtant, et ma faiblesse même,
mon épuisement m'endormit.
« Le réveil de la première nuit dans une prison est une chose
horrible Est-il possible ? dis-je en me rappelant le lieu où j'étais,
est-il possible ? Moi ici Et ce n'est pas un songe Il est donc vrai
hier nous avons voulu nous tuer ensemble elle seule a réussi Les
pistolets n'ont eu de coups mortels que pour elle et aucun pou-
TRENTE-CINQ CENTIMES
Dimanche 26|Octobre 186m
H. DE VILLEMESSANT
KéDÂCTBCB BK CHEF /C
̃ -0
ABONNEMENTS (PÀBIS) !$.
Un an. 36 fr.
Six mois.. 19
Trois mois. \!Mr. 50"
I Un mois.. ^ft'T;
XES MANUSCRITS
NON INSÉRÉS SONT BRULES
ADMINISTRATION ET RÉDACTION
21, BOBLEVAIIT. MONTMAHTBE, 21
IMaison FroicaliJ. )..
« On me dit qu'il s'est établi dans Madrid,
an système de liberté sur la vente des produc-
tions,.qui s'étend même à celles' de la presse,
et que, pourvu que je ne parle en mes écrits
ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique,
ni de la morale, ni des gens en place, ni des
corps en crédit, ni de l'Opéra, ni des autres
spectacles, .ni de personne qui tienne à. quel-
que chose, je puis tout imprimer librement,
sous l'inspection de deux ou 'rois censeurs.
FIGARO
Y
`. H. DE VILLEMESSANT
RÉDACTEUR EH CHBP
ABONNEMENTS (DÉPARTEMENTS)
Un an. 60 fr.
Six mois, 21
Trois mois. 10 fr. 50
Un mois.. 4 50
FIGARO •'
PARAIT DEUX FOIS PAR SEMAINE
Le Jeudi et le Dimanche.
ADMINISTRATION ET RÉDACTION
21, BOUI.EVABT UOXTMA11TIIE, 21
(Maison Fraient! [.
Que je voudrais bien tenir un de ces
puissants de quatre jours, si légers sur le
mal qu'ils ordonnent, quand une bonne dis»
grâce a cuvé son orgueil Je lui dirais que
les sottises imprimées n'ont d'importance
qu'aux lieux où l'on en gêne le cours que,
sans la liberté de blâmer, il n'est point d'é-
loge flatteur, et qu'il n'y a que les petits
hommes qui redoutent les petits écrits.
THÉÂTRES a;
M. EMILE AUGXEH.
UN FEUILLETON POSTHUME DES EFFRONTÉS. U>"E PRÉFACE PREMATUREE
DU FILS DE GIBOVER )
Jouera-t-on ou ne jouera-t-on pas la nouvelle comédie de
M. Emile Augier, le Fils de Giboyer, à la Comédie -Française?
Hier, il n'y fallait plus compter; la Censure s'était formelle-
ment prononcée pour l'interdiction absolue sans vouloir
entendre aux adoucissements et aux modifications. Tout
est bien changé ce matin; un vent soufflant des hau-
teurs a soulevé de nouveau et roulé jusqu'à la rue de Richelieu
les feuilles légères du poète. Il ne s'agirait. donc plus, cette
fois, que de presser les répétitions d'un ouvrage que l'auteur a
fait étudier chez lui par ses principaux interprètes.
S'il en fallait croire des indiscrétions, répindues et calculées
en vue du grand succès qu'on espère, la comédie de M. Emile
Augier serait une comédie politique à outrance, n'épargnant
pas les personnes en faisant le procès aux idées, et associant,
dans une trilogie redoutable, Aristophane, La Bruyère et
Beaumarchais. Le poète ne craindrait pas de remuer le fer
rouge de la satire dans la question brûlante du moment. On
exagère sans doute beaucoup les choses en donnant à quelques
traits épigi¥ammatiques1 dont une demi-douzaine de specta-
teurs auront seuls la clef, les proportions d'un événement et
d'une manifestation de parti et l'on rabaisse sans justice le
CAUSES CÉLÈBRES
ANTOINE-FRANÇOIS FERRAND (1).
Le soleil était levé lorsque Ferrand revint à lui. La scène était
horrible. Les paysans se rendaien't déjà aux labeurs du jour. Il eut
craint d'être aperçu et entravé dans son suicide. Il charge un pis-
tolet à la hâte, mais les capsules lui manquent et il faut encore re-
monter dans la clairière. Revenu près du cadavre de Mariette, il
retire sa chemise, l'attache à un pommier avec l'aide de ses bre-
telles ceci fait, il arme son pistolet, pose la capsule, il fait autour
du cou un nœud avec les bras de la chemise, il se dresse sur la
pointe des pieds, fait plier la branche, avec la conviction que la
b 'anche, lâchée après la détonation, se redressera d'elle-même, après
quoi il introduit le canon de l'arme dans sa bouche, presse le ca-
non de ses lèvres, et pour la troisième fois une détonation re-
tentit.
Mais Ferrand, non plus que Mariette, ne devait mourir du
premier coup. La branche casse sous la secousse, le malheureux
(1) Voirie numéro du 23 octobre.
talent et le rôle d'un homme de grand talent, en -s'imaginant
que cet homme, se mettant au service des victorieux contre les
vaincus, va ramasser ses convictions et ses lazzis dans la cor-
beille aux rognures d'une demi-douzaine de journaux sans
crédit sur la conscience des honnêtes gens. ̃
Non que je condamne la comédie politique et aristopha-
nique 1 Elle a parfois son utilité; ellè;est de notre temps et
dans nos mœurs, et elle serait peut-être, pour un théâtre épuisé,
ce rajeunissement demandé en vain à la suprématie d'un genre,
au triomphe d'une école, à la lutte, aujourd'hui sans objet, de
l'esprit d'innovation et de l'esprit de tradition. Mais il n'y a pas
de milieu possible si cette comédie n'est pas une vaillante
épée, ce n'est p!us qu'un vil' couteau et j'en voudrais faire
une épée, ou pour mieux dire, deux lames loyalement croisées
aux mains de deux adversaires de même courage, sinon de
même force. Je lui voudrais une liberté d'allures qui l'affran-
chît des lisières d'un parti, un souffle d'impartialité qui la fît
planer au-dessus des aveugles'passions dressées a rugir sur un
mot d'ordre et avant de la créer sur notre théâtre, je com-
mencerais par créer la libre concurrence. Quant à la comédie
àristophanique traitée eh monologue, avec 'privilège et appro-
bation dit Roijje ne la éomprends plus et je ne saurais l'estimer.
C'est un duel dans lequel l'un des deux adversaires-est désarmé;
c'est le triomphe du Curé de village sur Voltaire représenté par
son bonnet carré. Or, M. Emile Augier a trop de courage
dans l'esprit pour consentir à combattre tout seul sur le terrain
des personnalités politiques, et trop d'esprit de bon aloi pour
le dépenser tout entier à triompher du silence d'un bonnet
carré..
En attendant que le Fils de Giboyer vienne ou ne vienne pas,
la Comédie-Française reprend les E/prontés, son grand succès
de l'année dernière. Les E/frontès jouent en cette circonstance
le rôle de ces pierres d'attente, festonnant dans le vide et appe-
lant à elles, pour l'étreindre, la façade d'un édifice dont les
murailles sortent à peine de terre. J'étais fort souffrant à l'épo-
que de sa première représentation, et je ne pus assister au
triomphe du poète. Je ne trouverai jamais une meilleure occa-
tombe à terre. La balle, au lieu de perforer le cerveau, s'est incrustée
au milieu de l'arcade sourcillère.
Tout cela révolte le cœur, n'est-ce pas ? Ce n'est pas encore la fin.
Ferrand court vers Mariette et cherche à retirer du sein de la
malheureuse le poignard avec lequel il croyait avoir achevé sa lente
agonie, mais la main était crispée sur le manche avec la force que
donnent les derniers moments. Il dut renoncer à l'arracher de la
plaie. Alors, fou, anéanti, sanglant, il se dirige vers le moulin du
nommé Landrin et se précipite dans la rivière, la tête en avant.
Nous avons raconté par quel hasard miraculeux il fut sauvé.
FERRAND EN PRISON. j
Donc ce fut le 28 août 1837, que Firrand fut amené à la prison
de Pontoise. Le brigadier qui l'avait conduit le remit entre les
mains du geôlier M. Joulain, qui lui fit donner tous les soins qu'exi-
geait sa triste position. •
Dans sa prison, Ferrand eonsigna ses impressions sur un journal
qui a fait quelque bruit à l'époque du procès. Ses mémoires ne
vont pas jusqu'au jour des assises; ces confidences entretenaient
son exaltation et ravivaient des souvenirs trop terribles; 'on craignit
de sa part de nouvelles tentatives de suicide, et on lui arracha son
manuscrit. Nous en extraierons quelques passages,' empruntés le
plus souvent, du reste, quant à la forme, aux Prisons de Sylvio
Pellico. Ferrand se défiait de lui-même et ne se sentait pas assez
fort pour traduire ses pensées il adaptait à sa situation les pages
écrites par le célèbre prisonnier dont il subissait un à un toutes les
impressions. ̃
.•̃• • f t • » • •> •• »»̃•;•»» • » 1 • V
sion de m'y associer, sans me placer toutefois sous la roue du
char. Le bruit fait autour de l'œuvre dont l'accouchement est
si laborieux reporte l'attention sur son ainée, et, loin de la
vieillir, la rajeunit au contraire; de sorte qu'il se pourrait faire
que ce feuilleton attardé, cousu à la queue d'une vieille comé-
die, fût une préface destinée à trouver sa place en tête d'une
comédie toute neuve. Nous aurons bien du malheur si cette
étude rétrospective n'élargit point le cadre restreint ou je
compte l'enfermer d'abord, et, rie trouve, sans pédanterie, dans-
les proportions de l'oeuvre, la mesure de l'artiste. Delà &
embrasser dans son envergure la comédie moderne, il n'y ar
qu'à lever les yeux et à étendre la main. Peste! comme vous
y allez, critique ma mie! Vous voilà rêvant les exploits
de Picrocole. Vous savez comment, de battant, Picrocole s'est
trouvé battu. De toutes ces conquêtes rêvées par vous, et ac-
complies follement en un trait de plume, les frontières delà
Comédie moderne et les proportions de la statue à cheval d'É-
mile Augier, qu'on vous laisse faire, et je ne réponds pas que*
vous donniez au lecteut même une critique des Effrontés qui
ait le sens coriimuri, • "̃ ̃••.•<- ̃•
A son insu ou volontairement, M. Emile Augier a fondu en-
semble, pour écrire les Effrontés, la donnée d'Une chaîne, dé
M. Scribe, et la personnalité du Mercadet dé Balzac. Je le dis
probablement après bien d'autres. Mais le moyen de ne pas si-
gnaler un emprunt si hardi, ou, si le mot paraît trop fort, un
travail de pure mosaïque? De ces éléments difficiles à cimenter
et si bien employés par ses devanciers à la place qui leur con-
venait, il a fait un plan de comédie d'une solidité au moins fort
contestable. L'adultère de Mme la marquise d'Auberive et de
M. de Sergine traverse l'ouvrage et l'occupe au premier plan,
noue l'action, relie entre eux les personnages, prépare et fait
éclater la catastrophe du quatrième acte, et ne tient point à la
pièce. Il n'en est plus question au cinquième acte, et l'auteur
pouvait le supprimer tout-à-fait et le remplacer par autre chose
dans le reste de l'ouvrage; car, remarquez-le bien, il ne s'agit
que d'une façon accessoire de savoir si la marquise d'Auberive
retournera avec son mari, et si M. de Sergine rompra avec la
femme du monde qu'il n'aime plus pour épouser la jeune fille
qu'il aime. Ce qui nous importe, c'est de suivre le fripon Ver-
Je m'assis auprès de mon lit, et quoique; la blessure que la
détonation du pistolet m'avait laite dans la bouche me causât de
cruelles Souffrances, je réfléchis à ce que j'avais fait, et je pensai:
« Si ce malheureux coup m'avait porté au tombeau, ma pauvre
mère, Lance et mes amis, qui se seraient abandonnés à.la douleur
en me perdant, auraient acquis cependant peu à peu la force de so
résigner à ma perte. Au lieu d'une tombe une prison m'engloutit!
0 stupidité du temps! mobilité perpétuelle des choses! Celui qui
vous considère peut-il s'affliger, s'il est enseveli dans une prison, si
on le menace du bourreau? Hier encore j'étais libre, je pouvais de-
venir heureux, quoique je fusse désespéré, je n'étais pourtant pas
privé de toute consolation aujourd'hui je n'ai plus aucune des dou-
ceurs qui consolaient ma vie, plus de liberté, plus d'espérance
Non! se flatter serait folie; la justice humaine n'aura pas de par-
don pour l'infortuné Ferrand. Je ne sortirai d'ici que pour être con-
duit au bagne, ou pour être remis entre les mains du bourreau I Eh
bien, le jour qui suivra ma mort, ce sera comme si j'eusse vécu
dans un palais, comme si j'eusse été porté au tombeau avec les
plus grands honneurs.
a Réfléchir ainsi à la rapidité de la vie me ranimait l'esprit, me
relevait de mon abattement, de la prostration de toutes les puissances
de mon être. Mais ma mère, ma pauvre mère, et Lance que j'aime
tant, se présentèrent à mon imagination et mes raisonnements
n'eurent plus d'empire sur mon cœur. Je m'attendris et pleurais
comme un enfant. Je souffrais tant que je ne croyais pas avoir de
repos toute la nuit; je me couchais pourtant, et ma faiblesse même,
mon épuisement m'endormit.
« Le réveil de la première nuit dans une prison est une chose
horrible Est-il possible ? dis-je en me rappelant le lieu où j'étais,
est-il possible ? Moi ici Et ce n'est pas un songe Il est donc vrai
hier nous avons voulu nous tuer ensemble elle seule a réussi Les
pistolets n'ont eu de coups mortels que pour elle et aucun pou-
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