Titre : Le Temps
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1912-09-15
Contributeur : Nefftzer, Auguste (1820-1876). Fondateur de la publication. Directeur de publication
Contributeur : Hébrard, Adrien (1833-1914). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34431794k
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 137484 Nombre total de vues : 137484
Description : 15 septembre 1912 15 septembre 1912
Description : 1912/09/15 (Numéro 18701). 1912/09/15 (Numéro 18701).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG33 Collection numérique : BIPFPIG33
Description : Collection numérique : BIPFPIG63 Collection numérique : BIPFPIG63
Description : Collection numérique : BIPFPIG69 Collection numérique : BIPFPIG69
Description : Collection numérique : France-Japon Collection numérique : France-Japon
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k240979z
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
PRIX DE L'ABONNEMENT 11
RSaiS, SEUDE et SEDJE-ET-OISE.. Trois mois, 14 fr. Six mois, SS fr.; Un ah, SS tt.
BÊPABT» et AISAŒ-IOBHAINE.. 17* fr.; 34 (t.; es».
EE2ON POSTAIS lSfr.; 36 fr.; TSits.
LES ABONKEMEKTS DATEXT DES 1" ET 16 DE CHAQUE MOIS
Un ntaiaiéro (à ï*&ï*îs) iN centimes
Directeur politique Adrien Hébrard
Tantes les lettres destinées à la Rédaction doivent être adressées au Directe»
le Journal ne pouvant répondre des manuscrits communiquée
prie les auteurs d'en garder copie
ADRESSE télégraphique: temps par ta
SOMMAIRE
PAGE 2
Choses d'Espagne Lettre de M. JOSEPH Reinach.
La Crise intérieure en Turquie. Nouvelles
de. l'Etranger. Histoires de partout le Mys-
tère de la naissance de Richard Savage, T. DE
Wyzewa. Alsace-Lorraine. Colonies les
Affaires du Maroc.
Page 3
tues Grandes manœuvres de l'Ouest (avec carte),
PAUL Cassou. Nouvelles du jour. Mouve-
ment social les Chemins de fer de l'Etat et le
statut.
La Vie artistique A travers les musées; Un coup
d'œil sur la peinture suisse, Thiébault-Sisson.
PAGE 4
La Campagne de 1812 le Comte Rostoptchine,
HERMIONE POLTORATZKY. Faits-divers. Art
et curiosité. Tribunaux. Le Courrier litté-
raire Gens et choses de lettres.
PAGE 5
Théâtres. ̃'̃ Sport. Bulletin commercial.
Informations financières. Bourse.
PAGE 6
Dernières nouvelles les Grandes manœuvres de
l'Ouest; le Déjeuner du ministre de la guerre
Discours de M. Millerand et du grand-duc
Nicolas. M. Pams au Mans. M. Léon Bé-
rard à Versailles. Les Affaires du Maroc.
La Crise intérieure en Turquie le Mémoran-
dum bulgare. Un bandit tue un contrôleur de
chemins de fer.
Paris, 14 septembre
BULLETIN DE L'ÉTRANGER
LE LUXEMBOURG ET LE ZOLLVEREIN
Le grand-duché de Luxembourg fait depuis
Ï842 partie de l'union douanière allemande. Le
capital allemand a mis en valeur toutes les ri-
chesses de son sol, et il est depuis 1872 maître
des chemins de fer. Les intérêts matériels du
grand-duché sont aujourd'hui si intimement
liés à ceux des Etats du Zollverein allemand
qu'une résiliation du traité douanier serait
l'origine d'un véritable bouleversement écono-
mique.
L'Allemagne n'a pas manqué de rappeler au
Luxembourg combien cette union douanière lui
a été profitable. A certains moments même, elle
menaça de ne pas la renouveler, et des jour-
naux allemands n'hésitèrent pas à répandre la
̃légende que le grand-duché avait mendié son
admission dans le Zollverein.. Cette version
allait peut-être s'accréditer historiquement si le
docteur A. Wïdung, chef du bureau de statis-
tique grand-ducal, n'avait consacré à cette ques-
tion un important ouvrage que nous signale
notre correspondant à Luxembourg, M. J. Han-
sen. Se basant sur une vaste documentation, M.
iWidung démontre que non seulement le Luxem-
bourg n'a pas sollicité son accession au sys-
tème douanier de la Prusse et des autres Etats
tié l'union douanière allemande, mais qu'il y a
résisté aussi longtemps qu'il lui a été, possible.
Il penchait au contraire vers une union écono-
mique soit avec la France, soit avec la Belgique.
Toutefois le grand-duché de Luxembourg, qui
tout en étant possession du roi de Hollande fai-
sait partie, en vertu du traité de Vienne, de la
fédération allemande, et avait dans sa forte-
resse de Luxembourg une garnison prussienne,
ne pouvait espérer conclure avec la France une
union douanière. Il songea alors à la Belgique,
qui venait de s'affranchir et s'était accrue de
toute la partie wallonne de son territoire. Mais
cette alliance économique du grand-duché avec
le jeune royaume de Belgique, qui eût été des
plus avantageuses pour les deux parties, et à la-
quelle les Belges eux-mêmes conviaient leurs
« frères luxembourgeois », se heurta à des diffi-
cultés politiques suscitées par la Hollande d'a-
bord, et la Prusse ensuite. Guillaume Pr, roi de
Hollande et grand-duc de Luxembourg, redou-
tait .un rapprochement trop intime entre le
Luxembourg, que le traité de Vienne lui avait
donné, et la Belgique, qu'il venait de 'perdre.
Ce fut donc lui qui, pour entraver les relations
économiques entre les deux pays, songea à de-
mander l'admission du grand-duché dans
l'union douanière allemande. La Prusse se fit
d'abord prier; mais lorsque Guillaume II, suc-
cédant à son père à la Haye et à Luxembourg,
se rendit aux protestations des Luxembour-
geois contre le traité douanier projeté avec la
Prusse, et se décida, après quelques hésitations,
à refuser de ratifier la convention, qui avait été
entre temps signée, il se heurta non seulement
à la volonté arrêtée du roi de Prusse Frédéric-
Guillaume IV, qui qualifiait sa conduite de grave
violation du droit des gens, mais il vit interve-
nir la quadruple alliance elle-même. L'Autri-
FEUILLETOX JCHJ StîîtpS
DU 15 SEPTEMBRE 1912 (3)
LA PIEUVRE
'Mœurs californiennes
Suite
Presley demeura un instant immobile, im-
pressio.nné par l'énormité du troupeau, puis
comme il se remettait en marche il s'arrêta
court et se retourna, sous l'impression que quel-
qu'un l'avait appelé par son nom. Ne voyant
personne et ne percevant rien que le piétine-
ment confus des bêtes mouvantes, il se remit
en marche, mais bientôt il s'arrêta de nouveau,
fit volte-face, curieusement attiré par la si-
lhouette immobile du berger. L'homme l'aurait-
il appelé? Et .voici que le point noir s'animait,
semblait se diriger vers lui. Sans hésiter Pres-
ley prit sa course pour le rejoindre, contournant
le troupeau et s'étonnant à part soi d'obéir
ainsi à un appel aussi vague et aussi inattendu.
Le pâtre, avançait à grands pas à sa rencon-
tre, entouré de ses chiens. Dès qu'ils furent à
portée, Presley crut reconnaître cette étrange
et frappante figure. C'était celle d'un homme
d'une trentaine d'années, d'une taille très élevée
et d'une maigreur extraordinaire. Chaussé de
hautes bottes, il portait une culotte de toile et
une chemise de flanelle grise largement ou-
verte sur sa poitrine hâlée. Une cartouchière
ceignait son étroite ceinture. Tête nue, sa figure,
basanée comme celle d'un Indien, ombragée
seulement par de larges cheveux noirs et plats.
il parut à la vive imagination du poète tel un
ascète du désert, un prophète d'Israël voué à
la solitude, hanté de visions, conversant face à
face avec la divinité, doué de facultés étran-
ges et surhumaines. Presley s'arrêta court
soudain
Reproduction interdite. •
CINQUANTE-DEUXIEME ANNEE. N° 18701
On s'abonne aux Bureaux, du Journal, 5, RUE DES ITALIENS, A PARIS (9e), et dans tous les Bureaux de Poste
che, l'Angleterre, la Russie et la Prusse ne vou-
laient pas que le Luxembourg, la Belgique et la
France pussent former un groupement écono-
mique. Guillaume II, en sa qualité de roi de
Hollande, désirant conclure avec la Prusse un
traité de commerce auquel celle-ci mettait
comme condition ^'accession du. Luxembourg
au Zollverein, finit par céder à la pression de
la Prusse et aux instances de son ministre à
la Haye. Il signa donc, le 8 février 1842, le
traité que le roi de Prusse et les Hollandais
exigeaient de lui, et la volonté ainsi que les sen-
timents des Luxembourgeois furent sacrifiés
aux intérêts de la Hollande.
Les Luxembourgeois redoutaient l'accession
au Zollverein à un double point de vue. Ils
craignaient que leur prospérité matérielle n'en
pâtît, ayant toujours envisagé une communauté
d intérêts avec la France et la Belgique. Mais
ici les événements les ont guéris de leurs crain-
tes, et leur vie économique s'est adaptée à celle
de l'Allemagne au point de n'en pouvoir être
détachée sans les plus lourds sacrifices. Les
Luxembourgeois n'appréhendaient pas moins
l'influence germanique à laquelle leur union
douanière ouvrirait les portes toutes grandes.
Leur existence nationale leur paraissait compro-
mise. Mais l'instinct de conservation a été le
plus fort et leur a permis d'échapper à l'em-
prise germanique dans la mesure où l'inexo-
rable brutalité des lois économiques ne s'im-
pose pas. Il semble même que nous assistions
à un réveil de la conscience luxembourgeoise.
Le grand-duché, qui a enfin la satisfaction de
posséder une dynastie nationale, manifeste
nettement la volonté d'avoir une existence in-
dépendante. Son patriotisme a reçu une impul-
sion nouvelle qui se traduit par une sorte de
réaction contre l'envahissement germanique.
Mais les Luxembourgeois qui, après avoir vu
leurs intérêts économiques sacrifiés il y a 70
ans aux intérêts politiques, ont su tirer pro-
fit par un long travail de la situation qui leur
était faite, ne sont nullement disposés à modi-
fier leur orientation économique. Ils sont liés
avec l'Allemagne par une communauté doua-
nière, et ils le resteront; mais ils veulent en
même temps garder leur physionomie propre.
Leur sentiment national et leur culte pour le
génie français, qui se traduisaient au siècle der-
nier par leur répugnance à entrer dans le Zoll-
verein allemand, ont résisté à l'épreuve de cette
longue union économique, malgré tous les pro-
fits matériels qui en sont résultés pour eux.
«gs
DEPECHES TELEGRAPHIQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU ©ÇîltpS
Berlin, 14 septembre.
Le chancelier de l'empire, M. de Bethmann-Holl-
\yeg, a quitté Berlin hier, se rendant dans sa pro-
priété de Hohenfinow.
Bruxelles, 14 septembre.
D'après le Soir, le gouvernement vient de mettre
à l'étude la question de la reprise du chemin de fer
du Congo.
Budapest, 14 septembre.
Une commission de fonctionnaires hongrois et
autrichiens vient d'être constituée pour régler la
question des armoiries et emblèmes communs de
la monarchie austro-hongroise. Cette commission a
pour président le baron de Macchio, premier chef
cle seation au jninistèro des-affaires étrangères^
Elle commencera dès après-demain ses travaux et
devra les achever au plus vite.
La fixation des armoiries et emblèmes, notam-
ment des drapeaux en usage dans l'armée et la di-
plomatie austro-hongroises, conformément à la si-
tuation paritaire de la Hongrie et de l'Autriche
dans la monarchie dualiste, forme depuis bien long-
temps un des vœux les plus ardents de tous les
milieux politiques et autres en Hongrie. L'aveu
officiel que l'on va maintenant y procéder produit
une vive satisfaction.
Washington, 14 septembre.
Une nouvelle révolution a éclaté à Saint-Domin-
gue. Des navires de guerre vont être envoyés par
le gouvernement américain qui se prépare à inter-
venir.
LES FONCTIONNAIRES ET LA NATION
La commission administrative du parti socia-
liste ne pouvait rester neutre dans la lutte en-
gagée par quelques instituteurs syndicalistes
contre la loi. Naturellement, ce sont les « ré-
voltés », pour employer l'expression de M. Gas-
ton Doumergue, qu'elle approuve. Elle ne se
borne d'ailleurs pas à leur offrir son appui mo-
ral, elle met à leur service toutes ses forces
pour « rappeler, dit-elle dans son manifeste, le
gouvernement au respect de sa propre léga-
lité » et « créer l'agitation nécessaire pour obli-
ger l'Etat patron à respecter l'indépendance et
la dignité de ses fonctionnaires, et à leur accor-
der les garanties qui sont dues à tout citoyen
dans une libre République ».
Autant de phrases, autant de sophismes. La
égalité n'a jamais été violée que par les insti-
Vanamée! s'écria-t-il.
Le berger lui tendait la main •
J'étais sûr que c'était vous. Et je vous ai
appelé.
Sans paroles? dit vivement Presley.
Sans paroles, confirma le berger avec un.
sourire grave et fugitif.
Oui, j'ai senti une impulsion irrésistible,
comme une main qui me poussait vers vous.
J'aurais dû me rappeler que vous possédiez le
don d'attirer à vous qui bon vous semble et.
vous reconnaître à ce signe.
En effet. Ce don ne m'a pas abandonné.
Et je le trouve utile parfois pour le troupeau.
Pour le troupeau! s
Oui. Je ne saurai dire exactement com-
ment la chose se produit. Ce sont des phéno-
mènes étranges, que nous ne comprenons pas
très bien encore. Parfois, si je ferme les yeux
en prenant mes tempes à deux mains ainsi,
je puis immobiliser ces milliers de bêtes
pendant plus d'une minute. Mais peut-être
est-ce seulement une imagination; je m'illu-
sionne moi-même. Je suis heureux de vous
revoir, Presley. Combien de temps depuis que
nous ne nous sommes rencontrés? Cinq ans?
Il y avait davantage. Six ans auparavant
ils avaient vécu. toute une semaine ensemble;
puis soudainement, mystérieusoment, Vana-
mée avait disparu; et maintenant de même il
réapparaissait sans prévenir, venant du dé-
sert, émergeant de contrées lointaines. Per-
sonne ne le connaissait bien, sauf peut-être
le père Sarria de la mission. Il demeurait in-
vesti de mystère pour tous, presque irréel
comme sa figure d'une indicible tristesse, mar-
quée du sceau de la fatalité, portant les traces
d'une douleur mortelle, lointaine et toujours
présente pourtant.
D'où venez-vous? Où étiez-vous? interro-
gea Presley.
D'un geste vague l'autre désigna l'horizon
Dans le Sud, bien loin d'ici. Arizona,
Utah, Nevada. au pays des navajas, à Torreon,
Albuquerque, Mintah. Et me voilà de nouveau
dans la vallée de San-Joaquin.
Tandis qu'il parlait, Presley se remémorait
la tragédie qui avait fait de cet homme un soli-
taire, un être errant, fuyant ses semblables pour
se perdre dans les vastes espaces inexplorés,
y pleurer loin de tous la ruine de toutes ses es-
gérances, • -̃
tuteurs eux-mêmes, et le gouvernement, loin de
porter atteinte à leur dignité, la sauvegardé en
les empêchant de compromettre leurs fonctions
dans des luttes révolutionnaires dirigées contre
l'armée et les institutions nationales. Dans tous
les partis et dans tous les milieux, on recon-
naît ces vérités. Il n'y a que les syndicalistes et
les socialistes qui les nient, parce qu'ils sont
par essence ennemis de tout ordre légal. Ce
n'est pas seulement M. Gaston Doumergue qui
prodigue les bons conseils aux instituteurs,
c'est encore M. Charles Dumont, M. Dessoye.
L'un et l'autre reconnaissent, comme le pre-
mier, que l'association de forme syndicale ne
convient pas aux fonctionnaires. « La mesure
de leurs droits et de leurs devoirs, écrit M. Des-
soye sur les instituteurs, c'est la mesure de l'in-
térèt de l'école », et un instituteur « amica-
liste », écrivant au Radical, complète fort bien
cette pensée en démontrant que si l'instituteur
s'affilie à un parti politique ou à un syndicat,
s'il devient en un mot un « militant », il éloi-
gnera, de l'école publique (qui ne lui appartient
pas) tous les enfants dont les parents ne parta-
gent pas ses opinions. Cet instituteur cite à
l'appui de sa thèse un exemple celui de
l'Eglise, qui compromit sa cause en donnant
son appui aux partis inconstitutionnels.
Oui, les instituteurs ont eu tort de fonder des
syndicats, d'adhérer à la C. G. T. et à l'organi-
sation antimilitariste « le Sou du soldat ». La
loi le leur défendait, leur conscience de fonc-
tionnaires aurait dû le leur interdire. Toutes les
opinions ont droit d'asile dans le cerveau de
tous les hommes, c'est entendu; mais quand on
accepte de servir un Etat, une nation, on n'a
pas le droit d'exprimer publiquement des opi-
nions choquant les idées admises par la géné-
ralité des citoyens et exprimées par la loi.
Les socialistes, dans leur manifeste, parlent
de -l 'Etat-patron, sorte de Moloch qui dévorerait
les pauvres fonctionnaires si ceux-ci n'avaient
la possibilité de s'associer pour se défendre. Il
n'y a pas d'Etat-patron, il y a l'Etat, expression
juridique et administrative de la nation. Per-
sonne n'est obligé d'entrer à son service; quand
on y entre, on doit se contenter des conditions
qu'il impose. Le désir d'améliorer leur sort n'est
certes pas interdit aux fonctionnaires; mais
puisque la plupart de leurs obligations et le
chiffre de leurs traitements sont fixés par la loi,
ils doivent borner leurs efforts à l'obtention
d'avantages légaux. Se coaliser contre l'Etat,
c'est se coaliser contre la nation, contre le suf-
frage universel, moyen d'expression de la vo-
lonté nationale. Les syndicats de fonctionnaires
sont contraires à l'esprit de la Constitution ré-
publicaine. La plupart des agents de l'Etat le
comprennent d'ailleurs et ont formé des asso-
ciations se réclamant de la loi de 1901. Mais
comme le constate M. Charles Dumont, ni cette
loi, « dont les auteurs n'ont jamais pensé à
assurer, dans le cadre qu'ils façonnaient, la dé-
fense des intérêts professionnels », ni la loi
de 1884 ne conviennent aux fonctionnaires. Il
importe en somme de les ramener à leur rôle de
serviteurs de l'Etat. Quant aux garanties qu'ils
sont fondés à réclamer, ce doit être l'objet d'une
législation spéciale. La Chambre a ajourné jus-
qu'à ce jour ce problème difficile. Le temps l'a
rendu menaçant. Il est aujourd'hui posé si for-
tement qu'il faudra bien le résoudre.
.♦. ̃
Les jeux ûe h douane et Ûu toaM-
Sept heures du matin, dans l'une de nos grandes
gares parisiennes. Un train de luxe, qui vient de
loin, bondé de voyageurs, arrive à quai. La
salle de la douane est vide de colis, mais pleine de
préposés. Ils sont là une douzaine, les mains dans
les poches, contemplant d'un œil hautain les tables
où tout à l'heure vont s'empiler les bagages.
Un quart d'heure passe voici venir les chariots,
et les tables se couvrent de malles. Mais, phéno-
mène bizarre, des douze douaniers qui étaient là
tout à l'heure, quand ils n'avaient rien à faire, il
n'en reste à présent plus que deux. Où sont passés
les autres ? Mystère. Quelques voyageurs s'impa-
tientent.
Appelez donc un douanier, dit l'un d'eux, à un
porteur.
Si je l'appelle, répond le facteur, il. m'attra-
pera.
Et l'on attend que les deux douaniers daignent
épuiser les soixante colis qui sont là, doucement,
tout doucement. Des dix autres disparus, plus trace.
Le travail les a mis en fuite ou, mieux encore, ils
n'ont pu résister à la tentation de molester :Ie pu-
blic, le public anonyme, le public docile, l'incompa-
rable public français, qui souffre tout, comme le
papier.
Un de nos amis nous cite d'ailleurs un fait qui
prouve que, devant les vexations de la bureaucra-
tie douanière, tout le monde est égal. On sait qu'en
chaque pays, les ministres des affaires étrangères
délivrent à certaines personnes, très peu nombreu-
ses, ce qu'on appelle des passeports diplomatiques.
C'est une façon de signaler le titulaire à la bien-
veillance des autorités nationales et étrangères. Les
passeports délivrés par notre quai d'Orsay « re-
A peine âgé de dix-neuf ans, Vanamée s'était
fiancé à la ravissante Angèle Varian qui en
comptait seize. Aucun de ceux qui l'avaient
connue n'oubliait cette délicieuse figure, ce re-
gard plein de candeur, cette grâce qui faisaient
de la jeune fille une créature d'exception. Va-
namée s'éprit d'elle passionnément à première
vue, lui voua une adoration religieuse; elle ne
tarda pas à lui donner son cœur ingénu, et il
fut convenu qu'on les marierait à la fin des
études du jeune homme, qui suivait alors les
cours de l'université. Aux vacances, les fiancés
passaient ensemble de longues heures, se pro-
menant le soir à l'ombre des grands arbres, les
bras enlacés, échangeant mille confidences,
échafaudant les plans d'un avenir qui s'ouvrait
devant eux radieux et sans nuages.
Un soir, par une inexplicable fatalité, Vana-
mée fut empêché de venir au rendez-vous.
Trompée par l'obscurité, Angèle tomba dans les
bras d'un inconnu, d'un misérable qui la guet-
tait, tapi dans l'ombre, ayant sans doute ob-
servé plus d'une fois à la dérobée les entrevues
des fiancés.
On ne sut jamais son nom.
Au matin, la jeune fille fut retrouvée déli-
rante, à demi-morte, sanglotant des mots .sans
suite. Elle vécut quelques mois dans les lar-
mes, l'esprit. égaré, l'imagination, obsédée par
le souvenir de la nuit horrible où s'était' con-
sommé son déshonneur, et mourut enfin en don-
nant le jour à un enfant..
Vanamée, fou de rage et de douleur, parcou-
rait tout le pays, armé d'un couteau et d'un re-
volver, cherchant avidement la trace du misé-
rable. Tous les habitants, soulevés d'indigna-
tion, le secondaient avec ardeur, décidés à lyn-
cher le lâche auteur de l'inqualifiable attentat;
mais toutes les recherches furent vaines.
L'homme s'était évanoui comme une ombre, ne
laissant derrière soi que ruines et désespoir.
La raison d' Angèle, avait sombré sans retour.
Elle ne put jamais donner aucune indication
sur la personnalité de son agresseur.
Après la mort de l'infortunée jeune fille, Va-
namée disparut. On crut d'abord à un suicide;
mais son triste cœur était resté enseveli dans
l'étroite tombe creusée sous les arbres de sa
mission. Il reparut inopinément après une lon-
gue absence. Le père Sarria le croisa tout à
coup, sur la route, un jour qu'il revenait de Bon-
neville. De longs mois s'étaient écoulés depuis
la mort d'Angèle, mais le fil de la vie semblait,
quièrent les autorités françaises et « prient »
celles des autres pays de « laisser librement pas-
ser le porteur et de lui assurer aide et protection
en cas de besoin ». La présentation de ce papier
produit partout un excellent effet, partout sauf
dans' les bureaux de douanes français. •̃̃
C'est ainsi qu'un voyageur, muni d'un tel passe-
port, après avoir franchi le plus facilement du
monde, entouré de la déférence des préposés
qu'ils fussent Autrichiens, Suisses ou Italiens,
plusieurs frontières, arrivait l'autre nuit à deux
heures du matin à une douane française. Il dor-
mait du sommeil du juste, « n'ayant rien à décla-
rer », et convaincu que 'les autorités françaises,
« requises par son passeport de le' laisser passer
tranquille, seraient plus courtoises encore que les
autorités étrangères « priées » seulement de lui
accorder cette liberté. Erreur. En pleine nuit, mal-
gré le chef de train qui lui présente le passeport,
le vérificateur ouvre brusquement la cabine du
voyageur recommandé à ses soins. Celui-ci, en sur-
saut, rappelle qu'il a remis son passeport en ajou-
tant n'avoir dans ses bagages ni tabac ni rien de
taxable.
Un passeport? Cela n'existe pas, répond le
fonctionnaire. J'ai le droit de faire tout ouvrir.
Sur quoi, content d'avoir affirmé sa puissance,
l'homme s'en va dans la nuit, sans d'ailleurs rien
visiter ce qui prouve que son seul but était de
molester le dormeur protégé par la.signature du
ministre des .affaires étrangères. Pour des fonc-
tionnaires étrangers, cette signature est bonne.
Pour un fonctionnaire français, « elle n'existe
pas »• Bien plus, elle excite l'administration des
finances à marquer son dédain pour oelle du quai
d'Orsay. Elle ajoute au plaisir amer que trouve
le monsieur -astreint à veiller par métier, à ré-
veiller ceux qui dorment.
'M. Klotz et M. Branet, directeur général des
douanes, sont l'un et l'autre des esprits pleins
de -tact et de mesure, qui apprendront avec sur-
prise le peu de cas que certains de leurs subor-
données font du chef du gouvernement et des do-
cuments qui émanent de lui. Au surplus, ils n'y
peuvent rien. Rien n'empêchera un employé en
casquette de tenir pour l'ennemi le public qui le
paye. C'est un sentiment indéracinable, qu'il s'a-
gisse des douaniers qui disparaissent quand ar-
rivent les colis, ou du vérificateur qui entend
ignorer le ministère des affaires étrangères. On
réclame, quand on est naïf. Quand on a de l'ex-
périence, on se résigne.
LE SUICIDE DE MOGi
L'acte de l'ilustre vainqueur de Port-Arthur, le
général Nogi, se tuant avec sa femme au moment
des funérailles 'de son empereur, vient con-
firmer d'une façon soudaine et éclatante un fait que
de bons observateurs nous signalaient sans qu'on en
saisît bien l'importance. C'est que, tout en ayant
adopté très résolument notre civilisation maté-
rielle, le Japon garde avec un soin jaloux sa vieille
culture morale. Essayant de se rendre compte en
quoi cette culture se distingue de la nôtre, l'Occi-
dental qui l'a le mieux connue, le pénétrant Lefca-
dio Hearn, qui, comme on sait, a été longtemps pro-
fesseur de littérature anglaise à Kumamoto et dans,
d'autres villes japonaises, rapporte que ses élèves
lui demandaient très souvent « Maître, dites-nous,
s'il- vous plaît, pourquoi on parle tant d'amour et
de mariage dans les romans anglais; cela nous sem-
ble très, très étrange. » d d.' ̃ ̃̃
•€en!êst pas que les Japonais n'aient uneflittérâtu-'
re'amoureuse importante, mais les rapports senti-
mentaux des sexes n'en sont pas moins tenus par
eux pour un sujet d'étude d'ordre secondaire. Tandis
que chez nous la préoccupation de « l'éternel fé-
minin » domine entièrement notre art, que toute
notre littérature d'imagination a l'amour pour thè-
me à peu. près exclusif, le présentant comme la
grande source des joies et des douleurs de ce mon-
de, l'inspiration de la poésie et du roman japo-
nais est tout autre. « Pour l'Oriental, la loi de la
vie est le devoir. L'affection doit en tout temps et
en tout lieu être subordonnée au devoir. » Dé-
vouement au chef de la famille (lequel passe avant
la femme et l'enfant) dans la vie privée, dévoue-
ment à l'empereur dans la vie publique, c'est à la
description des complications que peuvent produire
ces principes en lutte avec les passions et les évé-
nements que se consacrent les écrivains japonais.
C'est pourquoi ils ont tant de peine à comprendre
notre esprit et que nous n'avons pas moins de peine
à comprendre le leur.
Le devoir mis au premier plan a amené cette
exaltation du suicide qui est le trait le plus ori-
ginal du caractère japonais. Il n'y a pas de manière
meilleure de se mettre en état de l'accomplir que
de ne pas tenir à la vie et d'être toujours prêt à
en sortir. Toute l'éducation japonaise tend à ha-
bituer l'homme « à opposer sa libre volonté à la
nature », comme il était dit dans l'Honneur japo-
nais, que l'Odéon jouait l'année dernière. Et comme
pour donner une preuve de plus de ce triomphe
de via volonté, les Japonais ont choisi le genre de
suicide le plus atroce, l'ouverture du ventre, qui
entraîne d'affreuses douleurs. C'est conformément
aux traditions nationales que le général Nogi et sa
femme sont morts, voulant donner ainsi une der-
nière marque de leur amour pour leur souverain.
brisé chez Vanamée, il n'en restait que quel-
ques lambeaux déchirés.
Presley, en regardant ce visage douloureux,
sentait son cœur étreint de compassion. Non, ce-
lui-là n'oublierait jamais! Son amour avait
fait partie de son être et la douleur maintenant
le possédait tout entier et pour toujours.
Après qu'ils eurent causé quelques instants,
Vanamée tourna vers lui ses yeux creux.
Je vais à la mission, dit-il, je n'ai pas en-
core salué le père Sarria.
Mais le troupeau? fit Presley.
Les chiens s'en chargeront. D'ailleurs je
ne serai pas longtemps.
Bien que surpris de tant d'insouciance, Pres-
ley ne fit aucun commentaire et ils se dirigè-
rent ensemble vers la vieille église.
La mission de San-Joaquin, dont les vénéra-
bles pierres brunes s'effritaient chaque jour au
soleil et tombaient en ruine, s'élevait sur une
colline basse exposé au midi. Un cloître sur
lequel ouvraient les cellules depuis longtemps
abandonnées par les moines entourait la tour
intérieure; un vieux campanile abritait encore
trois cloches fêlées, présent d'un lointain roi
d'Espagne. Derrière la petite- église s'élevaient
les .arbres du jardin, et derrière le, jardin se
trouvait l'humble cimetière.
Les deux hommes s'approchèrent d'une porte
étroite profondément encastrée dans le mur,
et Vanamée ayant tiré une lanière de cuir qui
pendait près de la porte une cloche résonna
faiblement. Ce bruit troubla le silence profond,
la paix dominicale de ce lieu isolé où s'enten-
daient seulement le glouglou d'une fontaine in-
visible et le léger roucoulement des tourterelles
perchées dans les arbres.
Le père Sarria vint ouvrir la porte en per-
sonne. Court et trapu, la face grasse et lui-
sante, il portait un froc assez crasseux, des
pantoufles et un vieux béret de marin en toile
bleue; il avait aux dents un gros cigare noir
qui répandait une fumée âcre et pénétrante.
Dès qu'il aperçut Vanamée, la figure du reli-
gieux s'éclaira de plaisir et de surprise. Il se
mit à lui serrer les mains, à lui taper sur l'é-
paule, exprimant sa joie de le revoir en un im-
pétueux mélange d'espagnol et d'anglais. Le
voilà donc revenu, ce grand garçon, brûlé
comme un Indien, maigre comme un Indien,
avec de longs cheveux comme un Indien! Mais
c'est qu'il n'est pas changé du tout! Pas d'un
iotal Toujours le même! Ah! le mécréant! You^
PRIX DE L'ABONNEMENT
PAEIS, snm; et SEINE-et-OISE.. Trois mois, 14 fr.; Six mois, SS fr.; un an. 56 fr.
DEPART» et ALSACE-LOMATNE.. 17 1t.! 34 fr.; 68(r.
UNION POSTALE lSfr.; SSfr.; 7at
LES ÀBONKEUTENTS DATENT DES 1" ET f6 DE CHAQUE MOIS
Un numéro (départements) $O centimes
ANNONCES MM. Lagrange, CERF ET C", 8, place de la Bourse
Le Journal et les Régisseurs déclinent toute responsabilité quant à leur teneur
TÉIÉPDOSE, S LIGNES
N» 103.07 103.08 103.09 103.33 103.33
Rien de supérieur ne se fait dans le monde sans
sacrifice, et quelque étonnement que pourra causer
celui-là chez les gens d'une autre civilisation, on
ne pourra s'empêcher d'en admirer la grandeur.
Il montre combien le Japon, quelles qu'aient été les
transformations économiques et militaires aux-
quelles a présidé l'empereur Mutsuhito, reste fi-
dèle à son idéal. D'après Lefcadio Hearn, les hau-
tes classes qui peuvent de comparer au nôtre le
trouvent autrement beau. « La vraie force mo-
rale et intellectuelle de la nation, son esprit le plus
élevé, dit-il, résistent fortement à l'influence oc-
cidentale, et des personnes qui sont plus compé-
tentes que moi pour se prononcer sur ces matiè-
res, m'assurent que l'on observe cette résistance
surtout chez des hommes supérieurs qui ont voya-
gé ou qui ont été instruits en Europe. »
CHOSES D'ESPAGNE
Barcelone, 11 septembre.
'Au directeur du Temps
.TJn homme politique prend le pouvoir. Il le
prend dans des conditions difficiles. Le gros du
danger à peine conjuré, l'existence même en est
contestée,comme c'est le cours habituel des choses,
par ceux qui ont le plus activement aidé à le
créer. Ce premier.ministre n'est pas infaillible;
pourtant il sait ce qu'il veut. Il attache la fortune
de son gouvernement à une loi d'un assez singu-
.lier caractère, puisqu'elle a pour objet d'intro-
duire dans la politique un droit nouveau et d'éten-
dre quelques libertés. Non sans peine, il obtient
de la Chambre le vote de cette loi. Une fraction
nombreuse de son propre parti s'y est opposée.
Obstinément, ces anciens amis l'ont combattue, tan-
tôt en champ clos et tantôt en souterrain. Exci-
tées par cette minorité vaincue, mais qui n'a
point désarmé, et aussi, dit-on, par une pléiade
d'anciens ministres, plus désireux du pouvoir
maintenant que la bonace paraît revenue, de fortes
résistances se préparent au Sénat.
Donc, ce premier ministre, bien qu'il fie s'ef-
fraye pas volontiers et que la sagesse et la pru-
dence du Sénat lui soient connues, se souvient qu'il
a été journaliste. Les vacances parlementaires lui
laissent un peu de loisir. Il reprend sa plume, com-
mence, dans l'un des journaux de son parti, une
série d'articles en faveur de la loi qu'il a fait
voter par la Chambre, articles vifs, incisifs,
brillants, comme M. Poincaré, sans doute, lui aussi,
en pourrait écrire, car il en a écrit autrefois, ici
même, dans l'ancienne République française, dans
la Dépêche. Mais voit-on M. le président du con-
seil écrivant aujourd'hui des articles de doctrine
et de polémique à la fois, sur la réforme élec-
torale ? Quel tapage! quel scandale! quels cris!
C'est par dépêche que vingt demandes d'interpel-
lation arriveraient à la Chambre! Et il ne s'agit
donc pas de M. Raymond Poincaré et de la R. P.,
mais de M. Canalejas, premier ministre d'Espa-
gne, qui, ayant assumé le pouvoir dans les condi-
tions difficiles que je rappelais tout à l'heure, a
remis déjà pas mal de choses en leur place et a
fait voter par les Cortès, contre nombre de ses
propres amis et quelques anciens ministres assez
échauffés, la loi sur « las mancomunidades »
qui sont les fédérations régionales. Comme le Sé-
nat ne doit discuter la loi qu'à la rentrée et comme
les groupes hostiles s'agitent un peu partout, M.
Ganalejas a entrepris d'expliquer,' de commenter
et de "justifier s'a doi dans le Diario universal. Il
a pris au sérieux les votes de la Chambre. Il prend
au sérieux le régime de liberté que la Constitu-
tion a établi. Il s'adresse à l'opinion.
Et personne ici n'en marque ni surprise ni
scandale. Toute la presse, qu'elle soit ministérielle
ou d'opposition, reproduit les articles du prési-
dent du conseil. Ses amis sont enchantés. Ses ad-
versaires trouvent naturel qu'il use d'un droit qui
appartient à tous les citoyens. Même ils discutent
ses arguments avec loyauté. Cosâs de Espana,
vous dis-je choses d'Espagne.
Faut-il ajouter que le roi « le plus libéral de
nos hommes politiques », me disait hier un ré-
publicain « le plus avisé », me disait ce matin un
conservateur fait campagne auprès des séna-
teurs en faveur de la loi? Mais ce n'est là qu'un
bruit. Cosas de Espana.
Cette loi sur « la mancommunidades », c'est
une loi assez hardie, mais, elle aussi, combien,
n'est-elle pas encore plus sage que hardie!
Le problème catalan ne date pas du ministère
que préside M. Canalejas. Il était grave déjà il y
a trois et quatre siècles. Il n'est pas moins
grave aujourd'hui, et il est plus complexe.
La Catalogne fait partie de l'Espagne, mais la
Catalogne n'est pas l'Espagne, comme le sont les
Castilles et l'Aragon. Son patriotisme espagnol
n'est pas en cause. Un passé déjà long en témoi-
gne. Aux fastes de la guerre d'Indépendance, le
siège de Tarragone s'inscrit à côté du siège de
Saragosse. Mais la Catalogne n'a pas seulement
son histoire à elle, comme l'Andalousie ou la Ga-
lice. Elle est peuplée d'une autre race dont les
caractères sont restés très tranchés. Et elle a sa
langue, qui n'est pas un patois, mais qui est une
langue au même titre que l'espagnol ou que le
portugais. Elle a sa littérature qui est considéra-
tomber du ciel comme ça, sans crier gare! Et
d'où venait-il? Du désert, bien entendu! Un
lion l'avait bien sûr nourri en Arizona, ou bien
peut-être un corbeau, comme le prophète
Elysée. Ils ne l'avaient pas engraissé, en tout
cas! Il allait dîner avec lui, sûr. Enfin, son
fils perdu était donc retrouvé!
Presley prit congé après quelques instants,
sentent que le père et Vanamée avaient be-
soin de s'entretenir librement, et redescendit
la colline, poursuivi par la voix rauque et dis-
cordante d'un paon qui se balançait sur le mur,
baissant traîner sa longue queue et rengor-
geant son col irisé tout en remplissant l'air
de son cri stupide.
Après avoir longtemps erré dans la campa-
gne Preslev se retrouva au coucher du soleil
au bord de Broderson-Creek, le seul petit ruis-
seau qui n'eût pas été tari par la sécheresse.
L'endroit, ombragé de quelques chênes, n'était
pas sans charmé; après s'être reposé quelques
instants le promeneur gravit une colline d'où
il dominait cinquante ou soixante milles de
vallée. Puis la nuit venant rapidement il re-
prit le chemin du logis, heureux de cette jour-
née au grand air, les membres alourdis d'une
saine fatigue.
Tout était calme; on n'entendait que la clo-
che de la mission sonnant au loin Y Ave Maria.
Parfois on eût dit que la terre soupirait lon-
guement, lentement dans son sommeil. Un
sentiment de paix, de repos absolu, de sécu-
rité planait sur les vastes champs, les molles
collines, les bas-fonds ombreux; un bonheur
paisible, un calme contentement semblaient
tomber des étoiles qui une à une s'allumaient
au ciel.
Presley sentait profondément la beauté de
cette heure; il lui semblait que le poème qu'il
rêvait d'écrire se formulait spontanément en
lui devant l'apaisement, la sérénité de la na-
ture endormie.
Soudain un tonnerre éclata tout près de lui.
Il n'eut que le temps de gravir le talus il se
trouvait à ce moment sur la ligne du chemin de
fer, le sol trembla et une locomotive détachée
fila devant lui à toute allure avec un rugisse-
ment, emplissant l'air de son fracas, d'un nuage
empesté d'huile chaude, vomissant la fumée et
les étincelles, son œil rouge de cyclope proje-
tant en avant une aveuglante clarté. Ses sabots
de fer déchiraient le calme du soir comme ceux
d'un monstre fabuleux. 1-
DIMANCHE 15 SEPTMBRE 1912
ble. Elle n'a pas seulement ses mœurs et ses
traditions, tout comme les autres provinces du
royaume; elle a son droit, le droit coutumier d'au-
trefois demeure, dans ses parties principales,
presque intact, son droit civil qui n'est pas celui'
des autres Etats dont se compose l'Espagne les
plus absolus des rois, les plus « unitaires », les
plus férus de l'idée capétienne n'ont pas osé y
toucher. Leplay a fort étudié, fort admiré ce Code
catalan; il lui a emprunté beaucoup d'arguments
en faveur de l'entière liberté de tester.
L'empreinte romaine a peu marqué sur le reste
de l'Espagne, où elle a été vite effacée par tant
d'invasions, germaniques, sarrasines elle a été
profonde en Catalogne. A chaque pas, on la recon-
naît, ne serait-ce qu'à cette passion des Catalans
pour les belles routes, à leur furieux regret de
voir mal entretenues tant de routes qui devraient
être « européennes », et qui sont « africaines ».
Ainsi parlent de simples cochers de fiacre. Il faut
toujours faire parler les cochers. Par contre, les
Arabes n'ont fait que passer ici, glisser comme
l'eau sur le marbre, sur le dur, le solide granit
romain. Notre Provence a plus gardé des Maures
que la Catalogne.
Enfin, dans l'Espagne généralement agricole, la
Catalogne est surtout industrielle. Ni les belles
vignes ne lui manquent, ni les beaux fruits, ni les
belles moissons. Mais son génie propre est tourné
vers l'industrie et vers le commerce. Adossée à la
montagne, elle regarde vers la mer; son empire,
c'est la mer. Et le Catalan n'est pas un animal de
luxe; dans le sens le plus noble du mot, c'est un
animal de travail. Ici, tout le monde travaille,
bourgeois, ouvriers, paysans. « Les moines eux-
mêmes travaillent », me disait un bourgeois vol-
tairien, anticlérical, mais qui ne croit pas né-
cessaire, par politique, de refuser toute vertu à
ses adversaires. La forte parole de Guizot, si mi-
sérablement tronquée par les passions de l'épo-
que « Enrichissez-vous par le travail. », c'est
la loi, aux champs comme à l'atelier, au comptoir,
à l'usine. Et le Catalan est sobre, économe. Point
d'alcoolisme. Le Castillan classique met sa fierté
à jeter sur la misère que sa paresse entretient un
manteau de théâtre. Le Catalan ne se préoccupe
pas du « paraître. ». Il a l'amour des réalités.
L'ouvrier ne marchande pas sa peine, mais il
poursuit des salaires de plus en plus élevés. L'am-
bition du paysan est d'être propriétaire; neuf sur
dix le sont, dans les communes les plus pauvres
comme dans les plus riches. Sur ce point, comme
sur d'autres encore, il rappelle le paysan fran-
çais. Sa passion, sa vie, c'est ce lopin de terre
qui est bien à lui, qu'il a conquis sur la montagne
pierreuse, défriché, planté d'oliviers ou de noi-
setiers, semé de légumes1 ou de blé.
Et Barcelone est, de beaucoup, la ville la plus
populeuse de l'Espagne avec ses faubourgs, tout
près d'un million d'habitants, presque le double dé
Madrid, la plus active, la plus riche. Longtemps
enserrée, étouffée entre ses fortifications, contre
lesquelles elle a fait cinquante émeutes, elle n'a
pas cessé, depuis qu'elle les a fait raser
en 1860, de s'étendre sur le rivage, dans l'immense-
plaine, sur les flancs des collines qui sont les pre-
mières marches des Pyrénées. D'année en année,'
des quartiers nouveaux se créent, des faubourgs,'
peuplés tout de suite et bientôt surpeuplés. Le
port, où passe près d'un quart du commerce mari-.
time de toute l'Espagne, est devenu trop étroit.
Plus grand déjà que les trois ports réunis de Mar-
seille, il rivalisera avec Gênes, quand sera achevée,
au sud de Montjuich, la construction des nouveaux
bassins et des nouveaux docks. Et ce n'est pas,
évidemment, la ville d'Espagne où s'arrêteront de
préférence les artistes; ils auront vite parcouru
ses quelques vieilles rues, regardé quelques vieux
bâtiments, palais délabrés ou maisons de corpora-
tions, visité l'étonnante cathédrale, avec la puerta
de San Ivo et sa nef sombre, sa nef de mystère et
de terreur, où il faut que l'œil s'habitue à voir tant
l'obscurité y est épaisse, même à midi et en plein
été. Mais partout, quelle vie débordante, quelle
intensité de mouvement Depuis près d'un demi-
siècle, l'ambition constante de Barcelone a été de
devenir une grande ville occidentale, plus qu'occi-
dentale américaine. Il reste encore quelques an-
ciens quartiers, presque pittoresques, à jeter bas, à
remplacer par des maisons modernes élevant leurs
cinq et six étages le long de larges rues aérées. Ces
quartiers ne tiendront pas longtemps devant « la
Reforme », le nom, classique et populaire, de la
Reforme le nom, classique et populaire, de la re-
construction hygiénique et pratique: construction
de nouvelles écoles, de nouveaux établissements
scientifiques,des admirables hôpitaux dus à la mu-
nificence de riches particuliers. Et cela, aussi, a sa
beauté, une autre beauté que celle de Tolède, ou de
Cordoue, ou de tel nid d'aigle wisigoth ou sarrasin,
mais, tout de même, une beauté. Et je ne sais pas
si l'homme, avec ses désirs, avec ses passions, sera
plus heureux à Barcelone; mais la vie y sera plus
saine, meilleure, mieux défendue contre la maladie
et contre la mort.
Voici maintenant le problème ces quatre pro-
vinces de la Catalogne, étant les plus laborieuses
de toute l'Espagne et, partant, les plus riches,
payent à l'Etat la somme d'impôts de beaucoup la
plus forte, et, dès lors, le Catalan s'indigne de. voir
se perdre dans le gouffre général du budget l'ar-
gent, son argent, le fruit de ses peines, qui, em-
Le sol vibrait encore, les rails frémissaient,
que la machine était déjà loin, éveillant les
échos de la vallée par son galop frénétique; ses
feux s'estompaient dans le lointain, son gron-
dement se muait en un bourdonnement con-
fus. L'ouragan avait passé.
Mais comme Presley reprenait sa route, il
distingua soudain un murmure pitoyable et
confus, s'élevant dans la nuit cris d'an-
goisse, gémissements, sanglots plaintifs, appels
déchirants. Les cris semblaient tout proches.
11 s'élança le long des rails, franchit un coude
de la voie et demeura frappé d'horreur par le
spectacle qui s'ofl'rit à lui. Quelques centaines
de moutons, ayant trouvé une brèche dans la
clôture, s'étaient engagés sur la voie, et la tra-
versaient au moment du passage de la locomô-
tive. Le spectacle était navrant. Le monstre de
fer avait chargé juste au milieu du troupeau,
inexorable, sans merci, rejetant à droite et à
gauche les corps pantelants, décapités, écrasés,
éventrés, ouvrant les crânes, faisant rejaillir
de tous côtés la cervelle, mutilant, tuant, mas-
sacrant tout sur son passage; quelques bêtes,
lancées au loin, demeuraient accrochées aux
fils de fer de la palissade par leur épaisse toi-
son et sur la voie un sang noir, luisant à la
clarté des étoiles, s'épandait avec le murmure
d'un ruisseau.
Presley se détourna, le cœur soulevé, gonflé
d'une indicible pitié pour toutes ces vies in-
nocentes, toutes ces souffrances qu'il ne pou-
vait soulager. La douceur du soir, le sentiment
de paix, de sécurité, avaient fui du paysage;
l'inspiration s'éteignait dans un brouillard.
1? Ave Maria avait fini de sonner.
Il se hâta, traversant les champs en courant,
se bouchant les oreilles à deux mains pour ne
plus entendre l'horrible plainte. Et soudain, il
perçut au loin le sifflet strident de la locomo-
tive qui rentrait à Bonneville. En imagination,
il revit le monstre emporté d'un galop furieux,
au milieu d'un bruit de ferraille, son œil rouge
brûlant à son front, symbole d'un pouvoir
énorme, destructeur le Léviathan fouillant
le sol de ses griffes de fer, la Force sans âme,
le Pouvoir sans entrailles, le Colosse la
Pieuvre
FRANK NORRIS.
Traduit de l'anglais par ARNELLE.
(A suivrej.
RSaiS, SEUDE et SEDJE-ET-OISE.. Trois mois, 14 fr. Six mois, SS fr.; Un ah, SS tt.
BÊPABT» et AISAŒ-IOBHAINE.. 17* fr.; 34 (t.; es».
EE2ON POSTAIS lSfr.; 36 fr.; TSits.
LES ABONKEMEKTS DATEXT DES 1" ET 16 DE CHAQUE MOIS
Un ntaiaiéro (à ï*&ï*îs) iN centimes
Directeur politique Adrien Hébrard
Tantes les lettres destinées à la Rédaction doivent être adressées au Directe»
le Journal ne pouvant répondre des manuscrits communiquée
prie les auteurs d'en garder copie
ADRESSE télégraphique: temps par ta
SOMMAIRE
PAGE 2
Choses d'Espagne Lettre de M. JOSEPH Reinach.
La Crise intérieure en Turquie. Nouvelles
de. l'Etranger. Histoires de partout le Mys-
tère de la naissance de Richard Savage, T. DE
Wyzewa. Alsace-Lorraine. Colonies les
Affaires du Maroc.
Page 3
tues Grandes manœuvres de l'Ouest (avec carte),
PAUL Cassou. Nouvelles du jour. Mouve-
ment social les Chemins de fer de l'Etat et le
statut.
La Vie artistique A travers les musées; Un coup
d'œil sur la peinture suisse, Thiébault-Sisson.
PAGE 4
La Campagne de 1812 le Comte Rostoptchine,
HERMIONE POLTORATZKY. Faits-divers. Art
et curiosité. Tribunaux. Le Courrier litté-
raire Gens et choses de lettres.
PAGE 5
Théâtres. ̃'̃ Sport. Bulletin commercial.
Informations financières. Bourse.
PAGE 6
Dernières nouvelles les Grandes manœuvres de
l'Ouest; le Déjeuner du ministre de la guerre
Discours de M. Millerand et du grand-duc
Nicolas. M. Pams au Mans. M. Léon Bé-
rard à Versailles. Les Affaires du Maroc.
La Crise intérieure en Turquie le Mémoran-
dum bulgare. Un bandit tue un contrôleur de
chemins de fer.
Paris, 14 septembre
BULLETIN DE L'ÉTRANGER
LE LUXEMBOURG ET LE ZOLLVEREIN
Le grand-duché de Luxembourg fait depuis
Ï842 partie de l'union douanière allemande. Le
capital allemand a mis en valeur toutes les ri-
chesses de son sol, et il est depuis 1872 maître
des chemins de fer. Les intérêts matériels du
grand-duché sont aujourd'hui si intimement
liés à ceux des Etats du Zollverein allemand
qu'une résiliation du traité douanier serait
l'origine d'un véritable bouleversement écono-
mique.
L'Allemagne n'a pas manqué de rappeler au
Luxembourg combien cette union douanière lui
a été profitable. A certains moments même, elle
menaça de ne pas la renouveler, et des jour-
naux allemands n'hésitèrent pas à répandre la
̃légende que le grand-duché avait mendié son
admission dans le Zollverein.. Cette version
allait peut-être s'accréditer historiquement si le
docteur A. Wïdung, chef du bureau de statis-
tique grand-ducal, n'avait consacré à cette ques-
tion un important ouvrage que nous signale
notre correspondant à Luxembourg, M. J. Han-
sen. Se basant sur une vaste documentation, M.
iWidung démontre que non seulement le Luxem-
bourg n'a pas sollicité son accession au sys-
tème douanier de la Prusse et des autres Etats
tié l'union douanière allemande, mais qu'il y a
résisté aussi longtemps qu'il lui a été, possible.
Il penchait au contraire vers une union écono-
mique soit avec la France, soit avec la Belgique.
Toutefois le grand-duché de Luxembourg, qui
tout en étant possession du roi de Hollande fai-
sait partie, en vertu du traité de Vienne, de la
fédération allemande, et avait dans sa forte-
resse de Luxembourg une garnison prussienne,
ne pouvait espérer conclure avec la France une
union douanière. Il songea alors à la Belgique,
qui venait de s'affranchir et s'était accrue de
toute la partie wallonne de son territoire. Mais
cette alliance économique du grand-duché avec
le jeune royaume de Belgique, qui eût été des
plus avantageuses pour les deux parties, et à la-
quelle les Belges eux-mêmes conviaient leurs
« frères luxembourgeois », se heurta à des diffi-
cultés politiques suscitées par la Hollande d'a-
bord, et la Prusse ensuite. Guillaume Pr, roi de
Hollande et grand-duc de Luxembourg, redou-
tait .un rapprochement trop intime entre le
Luxembourg, que le traité de Vienne lui avait
donné, et la Belgique, qu'il venait de 'perdre.
Ce fut donc lui qui, pour entraver les relations
économiques entre les deux pays, songea à de-
mander l'admission du grand-duché dans
l'union douanière allemande. La Prusse se fit
d'abord prier; mais lorsque Guillaume II, suc-
cédant à son père à la Haye et à Luxembourg,
se rendit aux protestations des Luxembour-
geois contre le traité douanier projeté avec la
Prusse, et se décida, après quelques hésitations,
à refuser de ratifier la convention, qui avait été
entre temps signée, il se heurta non seulement
à la volonté arrêtée du roi de Prusse Frédéric-
Guillaume IV, qui qualifiait sa conduite de grave
violation du droit des gens, mais il vit interve-
nir la quadruple alliance elle-même. L'Autri-
FEUILLETOX JCHJ StîîtpS
DU 15 SEPTEMBRE 1912 (3)
LA PIEUVRE
'Mœurs californiennes
Suite
Presley demeura un instant immobile, im-
pressio.nné par l'énormité du troupeau, puis
comme il se remettait en marche il s'arrêta
court et se retourna, sous l'impression que quel-
qu'un l'avait appelé par son nom. Ne voyant
personne et ne percevant rien que le piétine-
ment confus des bêtes mouvantes, il se remit
en marche, mais bientôt il s'arrêta de nouveau,
fit volte-face, curieusement attiré par la si-
lhouette immobile du berger. L'homme l'aurait-
il appelé? Et .voici que le point noir s'animait,
semblait se diriger vers lui. Sans hésiter Pres-
ley prit sa course pour le rejoindre, contournant
le troupeau et s'étonnant à part soi d'obéir
ainsi à un appel aussi vague et aussi inattendu.
Le pâtre, avançait à grands pas à sa rencon-
tre, entouré de ses chiens. Dès qu'ils furent à
portée, Presley crut reconnaître cette étrange
et frappante figure. C'était celle d'un homme
d'une trentaine d'années, d'une taille très élevée
et d'une maigreur extraordinaire. Chaussé de
hautes bottes, il portait une culotte de toile et
une chemise de flanelle grise largement ou-
verte sur sa poitrine hâlée. Une cartouchière
ceignait son étroite ceinture. Tête nue, sa figure,
basanée comme celle d'un Indien, ombragée
seulement par de larges cheveux noirs et plats.
il parut à la vive imagination du poète tel un
ascète du désert, un prophète d'Israël voué à
la solitude, hanté de visions, conversant face à
face avec la divinité, doué de facultés étran-
ges et surhumaines. Presley s'arrêta court
soudain
Reproduction interdite. •
CINQUANTE-DEUXIEME ANNEE. N° 18701
On s'abonne aux Bureaux, du Journal, 5, RUE DES ITALIENS, A PARIS (9e), et dans tous les Bureaux de Poste
che, l'Angleterre, la Russie et la Prusse ne vou-
laient pas que le Luxembourg, la Belgique et la
France pussent former un groupement écono-
mique. Guillaume II, en sa qualité de roi de
Hollande, désirant conclure avec la Prusse un
traité de commerce auquel celle-ci mettait
comme condition ^'accession du. Luxembourg
au Zollverein, finit par céder à la pression de
la Prusse et aux instances de son ministre à
la Haye. Il signa donc, le 8 février 1842, le
traité que le roi de Prusse et les Hollandais
exigeaient de lui, et la volonté ainsi que les sen-
timents des Luxembourgeois furent sacrifiés
aux intérêts de la Hollande.
Les Luxembourgeois redoutaient l'accession
au Zollverein à un double point de vue. Ils
craignaient que leur prospérité matérielle n'en
pâtît, ayant toujours envisagé une communauté
d intérêts avec la France et la Belgique. Mais
ici les événements les ont guéris de leurs crain-
tes, et leur vie économique s'est adaptée à celle
de l'Allemagne au point de n'en pouvoir être
détachée sans les plus lourds sacrifices. Les
Luxembourgeois n'appréhendaient pas moins
l'influence germanique à laquelle leur union
douanière ouvrirait les portes toutes grandes.
Leur existence nationale leur paraissait compro-
mise. Mais l'instinct de conservation a été le
plus fort et leur a permis d'échapper à l'em-
prise germanique dans la mesure où l'inexo-
rable brutalité des lois économiques ne s'im-
pose pas. Il semble même que nous assistions
à un réveil de la conscience luxembourgeoise.
Le grand-duché, qui a enfin la satisfaction de
posséder une dynastie nationale, manifeste
nettement la volonté d'avoir une existence in-
dépendante. Son patriotisme a reçu une impul-
sion nouvelle qui se traduit par une sorte de
réaction contre l'envahissement germanique.
Mais les Luxembourgeois qui, après avoir vu
leurs intérêts économiques sacrifiés il y a 70
ans aux intérêts politiques, ont su tirer pro-
fit par un long travail de la situation qui leur
était faite, ne sont nullement disposés à modi-
fier leur orientation économique. Ils sont liés
avec l'Allemagne par une communauté doua-
nière, et ils le resteront; mais ils veulent en
même temps garder leur physionomie propre.
Leur sentiment national et leur culte pour le
génie français, qui se traduisaient au siècle der-
nier par leur répugnance à entrer dans le Zoll-
verein allemand, ont résisté à l'épreuve de cette
longue union économique, malgré tous les pro-
fits matériels qui en sont résultés pour eux.
«gs
DEPECHES TELEGRAPHIQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU ©ÇîltpS
Berlin, 14 septembre.
Le chancelier de l'empire, M. de Bethmann-Holl-
\yeg, a quitté Berlin hier, se rendant dans sa pro-
priété de Hohenfinow.
Bruxelles, 14 septembre.
D'après le Soir, le gouvernement vient de mettre
à l'étude la question de la reprise du chemin de fer
du Congo.
Budapest, 14 septembre.
Une commission de fonctionnaires hongrois et
autrichiens vient d'être constituée pour régler la
question des armoiries et emblèmes communs de
la monarchie austro-hongroise. Cette commission a
pour président le baron de Macchio, premier chef
cle seation au jninistèro des-affaires étrangères^
Elle commencera dès après-demain ses travaux et
devra les achever au plus vite.
La fixation des armoiries et emblèmes, notam-
ment des drapeaux en usage dans l'armée et la di-
plomatie austro-hongroises, conformément à la si-
tuation paritaire de la Hongrie et de l'Autriche
dans la monarchie dualiste, forme depuis bien long-
temps un des vœux les plus ardents de tous les
milieux politiques et autres en Hongrie. L'aveu
officiel que l'on va maintenant y procéder produit
une vive satisfaction.
Washington, 14 septembre.
Une nouvelle révolution a éclaté à Saint-Domin-
gue. Des navires de guerre vont être envoyés par
le gouvernement américain qui se prépare à inter-
venir.
LES FONCTIONNAIRES ET LA NATION
La commission administrative du parti socia-
liste ne pouvait rester neutre dans la lutte en-
gagée par quelques instituteurs syndicalistes
contre la loi. Naturellement, ce sont les « ré-
voltés », pour employer l'expression de M. Gas-
ton Doumergue, qu'elle approuve. Elle ne se
borne d'ailleurs pas à leur offrir son appui mo-
ral, elle met à leur service toutes ses forces
pour « rappeler, dit-elle dans son manifeste, le
gouvernement au respect de sa propre léga-
lité » et « créer l'agitation nécessaire pour obli-
ger l'Etat patron à respecter l'indépendance et
la dignité de ses fonctionnaires, et à leur accor-
der les garanties qui sont dues à tout citoyen
dans une libre République ».
Autant de phrases, autant de sophismes. La
égalité n'a jamais été violée que par les insti-
Vanamée! s'écria-t-il.
Le berger lui tendait la main •
J'étais sûr que c'était vous. Et je vous ai
appelé.
Sans paroles? dit vivement Presley.
Sans paroles, confirma le berger avec un.
sourire grave et fugitif.
Oui, j'ai senti une impulsion irrésistible,
comme une main qui me poussait vers vous.
J'aurais dû me rappeler que vous possédiez le
don d'attirer à vous qui bon vous semble et.
vous reconnaître à ce signe.
En effet. Ce don ne m'a pas abandonné.
Et je le trouve utile parfois pour le troupeau.
Pour le troupeau! s
Oui. Je ne saurai dire exactement com-
ment la chose se produit. Ce sont des phéno-
mènes étranges, que nous ne comprenons pas
très bien encore. Parfois, si je ferme les yeux
en prenant mes tempes à deux mains ainsi,
je puis immobiliser ces milliers de bêtes
pendant plus d'une minute. Mais peut-être
est-ce seulement une imagination; je m'illu-
sionne moi-même. Je suis heureux de vous
revoir, Presley. Combien de temps depuis que
nous ne nous sommes rencontrés? Cinq ans?
Il y avait davantage. Six ans auparavant
ils avaient vécu. toute une semaine ensemble;
puis soudainement, mystérieusoment, Vana-
mée avait disparu; et maintenant de même il
réapparaissait sans prévenir, venant du dé-
sert, émergeant de contrées lointaines. Per-
sonne ne le connaissait bien, sauf peut-être
le père Sarria de la mission. Il demeurait in-
vesti de mystère pour tous, presque irréel
comme sa figure d'une indicible tristesse, mar-
quée du sceau de la fatalité, portant les traces
d'une douleur mortelle, lointaine et toujours
présente pourtant.
D'où venez-vous? Où étiez-vous? interro-
gea Presley.
D'un geste vague l'autre désigna l'horizon
Dans le Sud, bien loin d'ici. Arizona,
Utah, Nevada. au pays des navajas, à Torreon,
Albuquerque, Mintah. Et me voilà de nouveau
dans la vallée de San-Joaquin.
Tandis qu'il parlait, Presley se remémorait
la tragédie qui avait fait de cet homme un soli-
taire, un être errant, fuyant ses semblables pour
se perdre dans les vastes espaces inexplorés,
y pleurer loin de tous la ruine de toutes ses es-
gérances, • -̃
tuteurs eux-mêmes, et le gouvernement, loin de
porter atteinte à leur dignité, la sauvegardé en
les empêchant de compromettre leurs fonctions
dans des luttes révolutionnaires dirigées contre
l'armée et les institutions nationales. Dans tous
les partis et dans tous les milieux, on recon-
naît ces vérités. Il n'y a que les syndicalistes et
les socialistes qui les nient, parce qu'ils sont
par essence ennemis de tout ordre légal. Ce
n'est pas seulement M. Gaston Doumergue qui
prodigue les bons conseils aux instituteurs,
c'est encore M. Charles Dumont, M. Dessoye.
L'un et l'autre reconnaissent, comme le pre-
mier, que l'association de forme syndicale ne
convient pas aux fonctionnaires. « La mesure
de leurs droits et de leurs devoirs, écrit M. Des-
soye sur les instituteurs, c'est la mesure de l'in-
térèt de l'école », et un instituteur « amica-
liste », écrivant au Radical, complète fort bien
cette pensée en démontrant que si l'instituteur
s'affilie à un parti politique ou à un syndicat,
s'il devient en un mot un « militant », il éloi-
gnera, de l'école publique (qui ne lui appartient
pas) tous les enfants dont les parents ne parta-
gent pas ses opinions. Cet instituteur cite à
l'appui de sa thèse un exemple celui de
l'Eglise, qui compromit sa cause en donnant
son appui aux partis inconstitutionnels.
Oui, les instituteurs ont eu tort de fonder des
syndicats, d'adhérer à la C. G. T. et à l'organi-
sation antimilitariste « le Sou du soldat ». La
loi le leur défendait, leur conscience de fonc-
tionnaires aurait dû le leur interdire. Toutes les
opinions ont droit d'asile dans le cerveau de
tous les hommes, c'est entendu; mais quand on
accepte de servir un Etat, une nation, on n'a
pas le droit d'exprimer publiquement des opi-
nions choquant les idées admises par la géné-
ralité des citoyens et exprimées par la loi.
Les socialistes, dans leur manifeste, parlent
de -l 'Etat-patron, sorte de Moloch qui dévorerait
les pauvres fonctionnaires si ceux-ci n'avaient
la possibilité de s'associer pour se défendre. Il
n'y a pas d'Etat-patron, il y a l'Etat, expression
juridique et administrative de la nation. Per-
sonne n'est obligé d'entrer à son service; quand
on y entre, on doit se contenter des conditions
qu'il impose. Le désir d'améliorer leur sort n'est
certes pas interdit aux fonctionnaires; mais
puisque la plupart de leurs obligations et le
chiffre de leurs traitements sont fixés par la loi,
ils doivent borner leurs efforts à l'obtention
d'avantages légaux. Se coaliser contre l'Etat,
c'est se coaliser contre la nation, contre le suf-
frage universel, moyen d'expression de la vo-
lonté nationale. Les syndicats de fonctionnaires
sont contraires à l'esprit de la Constitution ré-
publicaine. La plupart des agents de l'Etat le
comprennent d'ailleurs et ont formé des asso-
ciations se réclamant de la loi de 1901. Mais
comme le constate M. Charles Dumont, ni cette
loi, « dont les auteurs n'ont jamais pensé à
assurer, dans le cadre qu'ils façonnaient, la dé-
fense des intérêts professionnels », ni la loi
de 1884 ne conviennent aux fonctionnaires. Il
importe en somme de les ramener à leur rôle de
serviteurs de l'Etat. Quant aux garanties qu'ils
sont fondés à réclamer, ce doit être l'objet d'une
législation spéciale. La Chambre a ajourné jus-
qu'à ce jour ce problème difficile. Le temps l'a
rendu menaçant. Il est aujourd'hui posé si for-
tement qu'il faudra bien le résoudre.
.♦. ̃
Les jeux ûe h douane et Ûu toaM-
Sept heures du matin, dans l'une de nos grandes
gares parisiennes. Un train de luxe, qui vient de
loin, bondé de voyageurs, arrive à quai. La
salle de la douane est vide de colis, mais pleine de
préposés. Ils sont là une douzaine, les mains dans
les poches, contemplant d'un œil hautain les tables
où tout à l'heure vont s'empiler les bagages.
Un quart d'heure passe voici venir les chariots,
et les tables se couvrent de malles. Mais, phéno-
mène bizarre, des douze douaniers qui étaient là
tout à l'heure, quand ils n'avaient rien à faire, il
n'en reste à présent plus que deux. Où sont passés
les autres ? Mystère. Quelques voyageurs s'impa-
tientent.
Appelez donc un douanier, dit l'un d'eux, à un
porteur.
Si je l'appelle, répond le facteur, il. m'attra-
pera.
Et l'on attend que les deux douaniers daignent
épuiser les soixante colis qui sont là, doucement,
tout doucement. Des dix autres disparus, plus trace.
Le travail les a mis en fuite ou, mieux encore, ils
n'ont pu résister à la tentation de molester :Ie pu-
blic, le public anonyme, le public docile, l'incompa-
rable public français, qui souffre tout, comme le
papier.
Un de nos amis nous cite d'ailleurs un fait qui
prouve que, devant les vexations de la bureaucra-
tie douanière, tout le monde est égal. On sait qu'en
chaque pays, les ministres des affaires étrangères
délivrent à certaines personnes, très peu nombreu-
ses, ce qu'on appelle des passeports diplomatiques.
C'est une façon de signaler le titulaire à la bien-
veillance des autorités nationales et étrangères. Les
passeports délivrés par notre quai d'Orsay « re-
A peine âgé de dix-neuf ans, Vanamée s'était
fiancé à la ravissante Angèle Varian qui en
comptait seize. Aucun de ceux qui l'avaient
connue n'oubliait cette délicieuse figure, ce re-
gard plein de candeur, cette grâce qui faisaient
de la jeune fille une créature d'exception. Va-
namée s'éprit d'elle passionnément à première
vue, lui voua une adoration religieuse; elle ne
tarda pas à lui donner son cœur ingénu, et il
fut convenu qu'on les marierait à la fin des
études du jeune homme, qui suivait alors les
cours de l'université. Aux vacances, les fiancés
passaient ensemble de longues heures, se pro-
menant le soir à l'ombre des grands arbres, les
bras enlacés, échangeant mille confidences,
échafaudant les plans d'un avenir qui s'ouvrait
devant eux radieux et sans nuages.
Un soir, par une inexplicable fatalité, Vana-
mée fut empêché de venir au rendez-vous.
Trompée par l'obscurité, Angèle tomba dans les
bras d'un inconnu, d'un misérable qui la guet-
tait, tapi dans l'ombre, ayant sans doute ob-
servé plus d'une fois à la dérobée les entrevues
des fiancés.
On ne sut jamais son nom.
Au matin, la jeune fille fut retrouvée déli-
rante, à demi-morte, sanglotant des mots .sans
suite. Elle vécut quelques mois dans les lar-
mes, l'esprit. égaré, l'imagination, obsédée par
le souvenir de la nuit horrible où s'était' con-
sommé son déshonneur, et mourut enfin en don-
nant le jour à un enfant..
Vanamée, fou de rage et de douleur, parcou-
rait tout le pays, armé d'un couteau et d'un re-
volver, cherchant avidement la trace du misé-
rable. Tous les habitants, soulevés d'indigna-
tion, le secondaient avec ardeur, décidés à lyn-
cher le lâche auteur de l'inqualifiable attentat;
mais toutes les recherches furent vaines.
L'homme s'était évanoui comme une ombre, ne
laissant derrière soi que ruines et désespoir.
La raison d' Angèle, avait sombré sans retour.
Elle ne put jamais donner aucune indication
sur la personnalité de son agresseur.
Après la mort de l'infortunée jeune fille, Va-
namée disparut. On crut d'abord à un suicide;
mais son triste cœur était resté enseveli dans
l'étroite tombe creusée sous les arbres de sa
mission. Il reparut inopinément après une lon-
gue absence. Le père Sarria le croisa tout à
coup, sur la route, un jour qu'il revenait de Bon-
neville. De longs mois s'étaient écoulés depuis
la mort d'Angèle, mais le fil de la vie semblait,
quièrent les autorités françaises et « prient »
celles des autres pays de « laisser librement pas-
ser le porteur et de lui assurer aide et protection
en cas de besoin ». La présentation de ce papier
produit partout un excellent effet, partout sauf
dans' les bureaux de douanes français. •̃̃
C'est ainsi qu'un voyageur, muni d'un tel passe-
port, après avoir franchi le plus facilement du
monde, entouré de la déférence des préposés
qu'ils fussent Autrichiens, Suisses ou Italiens,
plusieurs frontières, arrivait l'autre nuit à deux
heures du matin à une douane française. Il dor-
mait du sommeil du juste, « n'ayant rien à décla-
rer », et convaincu que 'les autorités françaises,
« requises par son passeport de le' laisser passer
tranquille, seraient plus courtoises encore que les
autorités étrangères « priées » seulement de lui
accorder cette liberté. Erreur. En pleine nuit, mal-
gré le chef de train qui lui présente le passeport,
le vérificateur ouvre brusquement la cabine du
voyageur recommandé à ses soins. Celui-ci, en sur-
saut, rappelle qu'il a remis son passeport en ajou-
tant n'avoir dans ses bagages ni tabac ni rien de
taxable.
Un passeport? Cela n'existe pas, répond le
fonctionnaire. J'ai le droit de faire tout ouvrir.
Sur quoi, content d'avoir affirmé sa puissance,
l'homme s'en va dans la nuit, sans d'ailleurs rien
visiter ce qui prouve que son seul but était de
molester le dormeur protégé par la.signature du
ministre des .affaires étrangères. Pour des fonc-
tionnaires étrangers, cette signature est bonne.
Pour un fonctionnaire français, « elle n'existe
pas »• Bien plus, elle excite l'administration des
finances à marquer son dédain pour oelle du quai
d'Orsay. Elle ajoute au plaisir amer que trouve
le monsieur -astreint à veiller par métier, à ré-
veiller ceux qui dorment.
'M. Klotz et M. Branet, directeur général des
douanes, sont l'un et l'autre des esprits pleins
de -tact et de mesure, qui apprendront avec sur-
prise le peu de cas que certains de leurs subor-
données font du chef du gouvernement et des do-
cuments qui émanent de lui. Au surplus, ils n'y
peuvent rien. Rien n'empêchera un employé en
casquette de tenir pour l'ennemi le public qui le
paye. C'est un sentiment indéracinable, qu'il s'a-
gisse des douaniers qui disparaissent quand ar-
rivent les colis, ou du vérificateur qui entend
ignorer le ministère des affaires étrangères. On
réclame, quand on est naïf. Quand on a de l'ex-
périence, on se résigne.
LE SUICIDE DE MOGi
L'acte de l'ilustre vainqueur de Port-Arthur, le
général Nogi, se tuant avec sa femme au moment
des funérailles 'de son empereur, vient con-
firmer d'une façon soudaine et éclatante un fait que
de bons observateurs nous signalaient sans qu'on en
saisît bien l'importance. C'est que, tout en ayant
adopté très résolument notre civilisation maté-
rielle, le Japon garde avec un soin jaloux sa vieille
culture morale. Essayant de se rendre compte en
quoi cette culture se distingue de la nôtre, l'Occi-
dental qui l'a le mieux connue, le pénétrant Lefca-
dio Hearn, qui, comme on sait, a été longtemps pro-
fesseur de littérature anglaise à Kumamoto et dans,
d'autres villes japonaises, rapporte que ses élèves
lui demandaient très souvent « Maître, dites-nous,
s'il- vous plaît, pourquoi on parle tant d'amour et
de mariage dans les romans anglais; cela nous sem-
ble très, très étrange. » d d.' ̃ ̃̃
•€en!êst pas que les Japonais n'aient uneflittérâtu-'
re'amoureuse importante, mais les rapports senti-
mentaux des sexes n'en sont pas moins tenus par
eux pour un sujet d'étude d'ordre secondaire. Tandis
que chez nous la préoccupation de « l'éternel fé-
minin » domine entièrement notre art, que toute
notre littérature d'imagination a l'amour pour thè-
me à peu. près exclusif, le présentant comme la
grande source des joies et des douleurs de ce mon-
de, l'inspiration de la poésie et du roman japo-
nais est tout autre. « Pour l'Oriental, la loi de la
vie est le devoir. L'affection doit en tout temps et
en tout lieu être subordonnée au devoir. » Dé-
vouement au chef de la famille (lequel passe avant
la femme et l'enfant) dans la vie privée, dévoue-
ment à l'empereur dans la vie publique, c'est à la
description des complications que peuvent produire
ces principes en lutte avec les passions et les évé-
nements que se consacrent les écrivains japonais.
C'est pourquoi ils ont tant de peine à comprendre
notre esprit et que nous n'avons pas moins de peine
à comprendre le leur.
Le devoir mis au premier plan a amené cette
exaltation du suicide qui est le trait le plus ori-
ginal du caractère japonais. Il n'y a pas de manière
meilleure de se mettre en état de l'accomplir que
de ne pas tenir à la vie et d'être toujours prêt à
en sortir. Toute l'éducation japonaise tend à ha-
bituer l'homme « à opposer sa libre volonté à la
nature », comme il était dit dans l'Honneur japo-
nais, que l'Odéon jouait l'année dernière. Et comme
pour donner une preuve de plus de ce triomphe
de via volonté, les Japonais ont choisi le genre de
suicide le plus atroce, l'ouverture du ventre, qui
entraîne d'affreuses douleurs. C'est conformément
aux traditions nationales que le général Nogi et sa
femme sont morts, voulant donner ainsi une der-
nière marque de leur amour pour leur souverain.
brisé chez Vanamée, il n'en restait que quel-
ques lambeaux déchirés.
Presley, en regardant ce visage douloureux,
sentait son cœur étreint de compassion. Non, ce-
lui-là n'oublierait jamais! Son amour avait
fait partie de son être et la douleur maintenant
le possédait tout entier et pour toujours.
Après qu'ils eurent causé quelques instants,
Vanamée tourna vers lui ses yeux creux.
Je vais à la mission, dit-il, je n'ai pas en-
core salué le père Sarria.
Mais le troupeau? fit Presley.
Les chiens s'en chargeront. D'ailleurs je
ne serai pas longtemps.
Bien que surpris de tant d'insouciance, Pres-
ley ne fit aucun commentaire et ils se dirigè-
rent ensemble vers la vieille église.
La mission de San-Joaquin, dont les vénéra-
bles pierres brunes s'effritaient chaque jour au
soleil et tombaient en ruine, s'élevait sur une
colline basse exposé au midi. Un cloître sur
lequel ouvraient les cellules depuis longtemps
abandonnées par les moines entourait la tour
intérieure; un vieux campanile abritait encore
trois cloches fêlées, présent d'un lointain roi
d'Espagne. Derrière la petite- église s'élevaient
les .arbres du jardin, et derrière le, jardin se
trouvait l'humble cimetière.
Les deux hommes s'approchèrent d'une porte
étroite profondément encastrée dans le mur,
et Vanamée ayant tiré une lanière de cuir qui
pendait près de la porte une cloche résonna
faiblement. Ce bruit troubla le silence profond,
la paix dominicale de ce lieu isolé où s'enten-
daient seulement le glouglou d'une fontaine in-
visible et le léger roucoulement des tourterelles
perchées dans les arbres.
Le père Sarria vint ouvrir la porte en per-
sonne. Court et trapu, la face grasse et lui-
sante, il portait un froc assez crasseux, des
pantoufles et un vieux béret de marin en toile
bleue; il avait aux dents un gros cigare noir
qui répandait une fumée âcre et pénétrante.
Dès qu'il aperçut Vanamée, la figure du reli-
gieux s'éclaira de plaisir et de surprise. Il se
mit à lui serrer les mains, à lui taper sur l'é-
paule, exprimant sa joie de le revoir en un im-
pétueux mélange d'espagnol et d'anglais. Le
voilà donc revenu, ce grand garçon, brûlé
comme un Indien, maigre comme un Indien,
avec de longs cheveux comme un Indien! Mais
c'est qu'il n'est pas changé du tout! Pas d'un
iotal Toujours le même! Ah! le mécréant! You^
PRIX DE L'ABONNEMENT
PAEIS, snm; et SEINE-et-OISE.. Trois mois, 14 fr.; Six mois, SS fr.; un an. 56 fr.
DEPART» et ALSACE-LOMATNE.. 17 1t.! 34 fr.; 68(r.
UNION POSTALE lSfr.; SSfr.; 7at
LES ÀBONKEUTENTS DATENT DES 1" ET f6 DE CHAQUE MOIS
Un numéro (départements) $O centimes
ANNONCES MM. Lagrange, CERF ET C", 8, place de la Bourse
Le Journal et les Régisseurs déclinent toute responsabilité quant à leur teneur
TÉIÉPDOSE, S LIGNES
N» 103.07 103.08 103.09 103.33 103.33
Rien de supérieur ne se fait dans le monde sans
sacrifice, et quelque étonnement que pourra causer
celui-là chez les gens d'une autre civilisation, on
ne pourra s'empêcher d'en admirer la grandeur.
Il montre combien le Japon, quelles qu'aient été les
transformations économiques et militaires aux-
quelles a présidé l'empereur Mutsuhito, reste fi-
dèle à son idéal. D'après Lefcadio Hearn, les hau-
tes classes qui peuvent de comparer au nôtre le
trouvent autrement beau. « La vraie force mo-
rale et intellectuelle de la nation, son esprit le plus
élevé, dit-il, résistent fortement à l'influence oc-
cidentale, et des personnes qui sont plus compé-
tentes que moi pour se prononcer sur ces matiè-
res, m'assurent que l'on observe cette résistance
surtout chez des hommes supérieurs qui ont voya-
gé ou qui ont été instruits en Europe. »
CHOSES D'ESPAGNE
Barcelone, 11 septembre.
'Au directeur du Temps
.TJn homme politique prend le pouvoir. Il le
prend dans des conditions difficiles. Le gros du
danger à peine conjuré, l'existence même en est
contestée,comme c'est le cours habituel des choses,
par ceux qui ont le plus activement aidé à le
créer. Ce premier.ministre n'est pas infaillible;
pourtant il sait ce qu'il veut. Il attache la fortune
de son gouvernement à une loi d'un assez singu-
.lier caractère, puisqu'elle a pour objet d'intro-
duire dans la politique un droit nouveau et d'éten-
dre quelques libertés. Non sans peine, il obtient
de la Chambre le vote de cette loi. Une fraction
nombreuse de son propre parti s'y est opposée.
Obstinément, ces anciens amis l'ont combattue, tan-
tôt en champ clos et tantôt en souterrain. Exci-
tées par cette minorité vaincue, mais qui n'a
point désarmé, et aussi, dit-on, par une pléiade
d'anciens ministres, plus désireux du pouvoir
maintenant que la bonace paraît revenue, de fortes
résistances se préparent au Sénat.
Donc, ce premier ministre, bien qu'il fie s'ef-
fraye pas volontiers et que la sagesse et la pru-
dence du Sénat lui soient connues, se souvient qu'il
a été journaliste. Les vacances parlementaires lui
laissent un peu de loisir. Il reprend sa plume, com-
mence, dans l'un des journaux de son parti, une
série d'articles en faveur de la loi qu'il a fait
voter par la Chambre, articles vifs, incisifs,
brillants, comme M. Poincaré, sans doute, lui aussi,
en pourrait écrire, car il en a écrit autrefois, ici
même, dans l'ancienne République française, dans
la Dépêche. Mais voit-on M. le président du con-
seil écrivant aujourd'hui des articles de doctrine
et de polémique à la fois, sur la réforme élec-
torale ? Quel tapage! quel scandale! quels cris!
C'est par dépêche que vingt demandes d'interpel-
lation arriveraient à la Chambre! Et il ne s'agit
donc pas de M. Raymond Poincaré et de la R. P.,
mais de M. Canalejas, premier ministre d'Espa-
gne, qui, ayant assumé le pouvoir dans les condi-
tions difficiles que je rappelais tout à l'heure, a
remis déjà pas mal de choses en leur place et a
fait voter par les Cortès, contre nombre de ses
propres amis et quelques anciens ministres assez
échauffés, la loi sur « las mancomunidades »
qui sont les fédérations régionales. Comme le Sé-
nat ne doit discuter la loi qu'à la rentrée et comme
les groupes hostiles s'agitent un peu partout, M.
Ganalejas a entrepris d'expliquer,' de commenter
et de "justifier s'a doi dans le Diario universal. Il
a pris au sérieux les votes de la Chambre. Il prend
au sérieux le régime de liberté que la Constitu-
tion a établi. Il s'adresse à l'opinion.
Et personne ici n'en marque ni surprise ni
scandale. Toute la presse, qu'elle soit ministérielle
ou d'opposition, reproduit les articles du prési-
dent du conseil. Ses amis sont enchantés. Ses ad-
versaires trouvent naturel qu'il use d'un droit qui
appartient à tous les citoyens. Même ils discutent
ses arguments avec loyauté. Cosâs de Espana,
vous dis-je choses d'Espagne.
Faut-il ajouter que le roi « le plus libéral de
nos hommes politiques », me disait hier un ré-
publicain « le plus avisé », me disait ce matin un
conservateur fait campagne auprès des séna-
teurs en faveur de la loi? Mais ce n'est là qu'un
bruit. Cosas de Espana.
Cette loi sur « la mancommunidades », c'est
une loi assez hardie, mais, elle aussi, combien,
n'est-elle pas encore plus sage que hardie!
Le problème catalan ne date pas du ministère
que préside M. Canalejas. Il était grave déjà il y
a trois et quatre siècles. Il n'est pas moins
grave aujourd'hui, et il est plus complexe.
La Catalogne fait partie de l'Espagne, mais la
Catalogne n'est pas l'Espagne, comme le sont les
Castilles et l'Aragon. Son patriotisme espagnol
n'est pas en cause. Un passé déjà long en témoi-
gne. Aux fastes de la guerre d'Indépendance, le
siège de Tarragone s'inscrit à côté du siège de
Saragosse. Mais la Catalogne n'a pas seulement
son histoire à elle, comme l'Andalousie ou la Ga-
lice. Elle est peuplée d'une autre race dont les
caractères sont restés très tranchés. Et elle a sa
langue, qui n'est pas un patois, mais qui est une
langue au même titre que l'espagnol ou que le
portugais. Elle a sa littérature qui est considéra-
tomber du ciel comme ça, sans crier gare! Et
d'où venait-il? Du désert, bien entendu! Un
lion l'avait bien sûr nourri en Arizona, ou bien
peut-être un corbeau, comme le prophète
Elysée. Ils ne l'avaient pas engraissé, en tout
cas! Il allait dîner avec lui, sûr. Enfin, son
fils perdu était donc retrouvé!
Presley prit congé après quelques instants,
sentent que le père et Vanamée avaient be-
soin de s'entretenir librement, et redescendit
la colline, poursuivi par la voix rauque et dis-
cordante d'un paon qui se balançait sur le mur,
baissant traîner sa longue queue et rengor-
geant son col irisé tout en remplissant l'air
de son cri stupide.
Après avoir longtemps erré dans la campa-
gne Preslev se retrouva au coucher du soleil
au bord de Broderson-Creek, le seul petit ruis-
seau qui n'eût pas été tari par la sécheresse.
L'endroit, ombragé de quelques chênes, n'était
pas sans charmé; après s'être reposé quelques
instants le promeneur gravit une colline d'où
il dominait cinquante ou soixante milles de
vallée. Puis la nuit venant rapidement il re-
prit le chemin du logis, heureux de cette jour-
née au grand air, les membres alourdis d'une
saine fatigue.
Tout était calme; on n'entendait que la clo-
che de la mission sonnant au loin Y Ave Maria.
Parfois on eût dit que la terre soupirait lon-
guement, lentement dans son sommeil. Un
sentiment de paix, de repos absolu, de sécu-
rité planait sur les vastes champs, les molles
collines, les bas-fonds ombreux; un bonheur
paisible, un calme contentement semblaient
tomber des étoiles qui une à une s'allumaient
au ciel.
Presley sentait profondément la beauté de
cette heure; il lui semblait que le poème qu'il
rêvait d'écrire se formulait spontanément en
lui devant l'apaisement, la sérénité de la na-
ture endormie.
Soudain un tonnerre éclata tout près de lui.
Il n'eut que le temps de gravir le talus il se
trouvait à ce moment sur la ligne du chemin de
fer, le sol trembla et une locomotive détachée
fila devant lui à toute allure avec un rugisse-
ment, emplissant l'air de son fracas, d'un nuage
empesté d'huile chaude, vomissant la fumée et
les étincelles, son œil rouge de cyclope proje-
tant en avant une aveuglante clarté. Ses sabots
de fer déchiraient le calme du soir comme ceux
d'un monstre fabuleux. 1-
DIMANCHE 15 SEPTMBRE 1912
ble. Elle n'a pas seulement ses mœurs et ses
traditions, tout comme les autres provinces du
royaume; elle a son droit, le droit coutumier d'au-
trefois demeure, dans ses parties principales,
presque intact, son droit civil qui n'est pas celui'
des autres Etats dont se compose l'Espagne les
plus absolus des rois, les plus « unitaires », les
plus férus de l'idée capétienne n'ont pas osé y
toucher. Leplay a fort étudié, fort admiré ce Code
catalan; il lui a emprunté beaucoup d'arguments
en faveur de l'entière liberté de tester.
L'empreinte romaine a peu marqué sur le reste
de l'Espagne, où elle a été vite effacée par tant
d'invasions, germaniques, sarrasines elle a été
profonde en Catalogne. A chaque pas, on la recon-
naît, ne serait-ce qu'à cette passion des Catalans
pour les belles routes, à leur furieux regret de
voir mal entretenues tant de routes qui devraient
être « européennes », et qui sont « africaines ».
Ainsi parlent de simples cochers de fiacre. Il faut
toujours faire parler les cochers. Par contre, les
Arabes n'ont fait que passer ici, glisser comme
l'eau sur le marbre, sur le dur, le solide granit
romain. Notre Provence a plus gardé des Maures
que la Catalogne.
Enfin, dans l'Espagne généralement agricole, la
Catalogne est surtout industrielle. Ni les belles
vignes ne lui manquent, ni les beaux fruits, ni les
belles moissons. Mais son génie propre est tourné
vers l'industrie et vers le commerce. Adossée à la
montagne, elle regarde vers la mer; son empire,
c'est la mer. Et le Catalan n'est pas un animal de
luxe; dans le sens le plus noble du mot, c'est un
animal de travail. Ici, tout le monde travaille,
bourgeois, ouvriers, paysans. « Les moines eux-
mêmes travaillent », me disait un bourgeois vol-
tairien, anticlérical, mais qui ne croit pas né-
cessaire, par politique, de refuser toute vertu à
ses adversaires. La forte parole de Guizot, si mi-
sérablement tronquée par les passions de l'épo-
que « Enrichissez-vous par le travail. », c'est
la loi, aux champs comme à l'atelier, au comptoir,
à l'usine. Et le Catalan est sobre, économe. Point
d'alcoolisme. Le Castillan classique met sa fierté
à jeter sur la misère que sa paresse entretient un
manteau de théâtre. Le Catalan ne se préoccupe
pas du « paraître. ». Il a l'amour des réalités.
L'ouvrier ne marchande pas sa peine, mais il
poursuit des salaires de plus en plus élevés. L'am-
bition du paysan est d'être propriétaire; neuf sur
dix le sont, dans les communes les plus pauvres
comme dans les plus riches. Sur ce point, comme
sur d'autres encore, il rappelle le paysan fran-
çais. Sa passion, sa vie, c'est ce lopin de terre
qui est bien à lui, qu'il a conquis sur la montagne
pierreuse, défriché, planté d'oliviers ou de noi-
setiers, semé de légumes1 ou de blé.
Et Barcelone est, de beaucoup, la ville la plus
populeuse de l'Espagne avec ses faubourgs, tout
près d'un million d'habitants, presque le double dé
Madrid, la plus active, la plus riche. Longtemps
enserrée, étouffée entre ses fortifications, contre
lesquelles elle a fait cinquante émeutes, elle n'a
pas cessé, depuis qu'elle les a fait raser
en 1860, de s'étendre sur le rivage, dans l'immense-
plaine, sur les flancs des collines qui sont les pre-
mières marches des Pyrénées. D'année en année,'
des quartiers nouveaux se créent, des faubourgs,'
peuplés tout de suite et bientôt surpeuplés. Le
port, où passe près d'un quart du commerce mari-.
time de toute l'Espagne, est devenu trop étroit.
Plus grand déjà que les trois ports réunis de Mar-
seille, il rivalisera avec Gênes, quand sera achevée,
au sud de Montjuich, la construction des nouveaux
bassins et des nouveaux docks. Et ce n'est pas,
évidemment, la ville d'Espagne où s'arrêteront de
préférence les artistes; ils auront vite parcouru
ses quelques vieilles rues, regardé quelques vieux
bâtiments, palais délabrés ou maisons de corpora-
tions, visité l'étonnante cathédrale, avec la puerta
de San Ivo et sa nef sombre, sa nef de mystère et
de terreur, où il faut que l'œil s'habitue à voir tant
l'obscurité y est épaisse, même à midi et en plein
été. Mais partout, quelle vie débordante, quelle
intensité de mouvement Depuis près d'un demi-
siècle, l'ambition constante de Barcelone a été de
devenir une grande ville occidentale, plus qu'occi-
dentale américaine. Il reste encore quelques an-
ciens quartiers, presque pittoresques, à jeter bas, à
remplacer par des maisons modernes élevant leurs
cinq et six étages le long de larges rues aérées. Ces
quartiers ne tiendront pas longtemps devant « la
Reforme », le nom, classique et populaire, de la
Reforme le nom, classique et populaire, de la re-
construction hygiénique et pratique: construction
de nouvelles écoles, de nouveaux établissements
scientifiques,des admirables hôpitaux dus à la mu-
nificence de riches particuliers. Et cela, aussi, a sa
beauté, une autre beauté que celle de Tolède, ou de
Cordoue, ou de tel nid d'aigle wisigoth ou sarrasin,
mais, tout de même, une beauté. Et je ne sais pas
si l'homme, avec ses désirs, avec ses passions, sera
plus heureux à Barcelone; mais la vie y sera plus
saine, meilleure, mieux défendue contre la maladie
et contre la mort.
Voici maintenant le problème ces quatre pro-
vinces de la Catalogne, étant les plus laborieuses
de toute l'Espagne et, partant, les plus riches,
payent à l'Etat la somme d'impôts de beaucoup la
plus forte, et, dès lors, le Catalan s'indigne de. voir
se perdre dans le gouffre général du budget l'ar-
gent, son argent, le fruit de ses peines, qui, em-
Le sol vibrait encore, les rails frémissaient,
que la machine était déjà loin, éveillant les
échos de la vallée par son galop frénétique; ses
feux s'estompaient dans le lointain, son gron-
dement se muait en un bourdonnement con-
fus. L'ouragan avait passé.
Mais comme Presley reprenait sa route, il
distingua soudain un murmure pitoyable et
confus, s'élevant dans la nuit cris d'an-
goisse, gémissements, sanglots plaintifs, appels
déchirants. Les cris semblaient tout proches.
11 s'élança le long des rails, franchit un coude
de la voie et demeura frappé d'horreur par le
spectacle qui s'ofl'rit à lui. Quelques centaines
de moutons, ayant trouvé une brèche dans la
clôture, s'étaient engagés sur la voie, et la tra-
versaient au moment du passage de la locomô-
tive. Le spectacle était navrant. Le monstre de
fer avait chargé juste au milieu du troupeau,
inexorable, sans merci, rejetant à droite et à
gauche les corps pantelants, décapités, écrasés,
éventrés, ouvrant les crânes, faisant rejaillir
de tous côtés la cervelle, mutilant, tuant, mas-
sacrant tout sur son passage; quelques bêtes,
lancées au loin, demeuraient accrochées aux
fils de fer de la palissade par leur épaisse toi-
son et sur la voie un sang noir, luisant à la
clarté des étoiles, s'épandait avec le murmure
d'un ruisseau.
Presley se détourna, le cœur soulevé, gonflé
d'une indicible pitié pour toutes ces vies in-
nocentes, toutes ces souffrances qu'il ne pou-
vait soulager. La douceur du soir, le sentiment
de paix, de sécurité, avaient fui du paysage;
l'inspiration s'éteignait dans un brouillard.
1? Ave Maria avait fini de sonner.
Il se hâta, traversant les champs en courant,
se bouchant les oreilles à deux mains pour ne
plus entendre l'horrible plainte. Et soudain, il
perçut au loin le sifflet strident de la locomo-
tive qui rentrait à Bonneville. En imagination,
il revit le monstre emporté d'un galop furieux,
au milieu d'un bruit de ferraille, son œil rouge
brûlant à son front, symbole d'un pouvoir
énorme, destructeur le Léviathan fouillant
le sol de ses griffes de fer, la Force sans âme,
le Pouvoir sans entrailles, le Colosse la
Pieuvre
FRANK NORRIS.
Traduit de l'anglais par ARNELLE.
(A suivrej.
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 73.03%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 73.03%.
- Collections numériques similaires Pic Roger Pic Roger /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Pic Roger" or dc.contributor adj "Pic Roger")
- Auteurs similaires Pic Roger Pic Roger /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Pic Roger" or dc.contributor adj "Pic Roger")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/6
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k240979z/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k240979z/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k240979z/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k240979z/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k240979z
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k240979z
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k240979z/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest