Titre : Le Temps
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1907-09-11
Contributeur : Nefftzer, Auguste (1820-1876). Fondateur de la publication. Directeur de publication
Contributeur : Hébrard, Adrien (1833-1914). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 11 septembre 1907 11 septembre 1907
Description : 1907/09/11 (Numéro 16880). 1907/09/11 (Numéro 16880).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
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11 Paris, 10 septembre
BULLETIN #E L'ÉTRAIMER
LE MAROC ET L'ALLEMAGNE
La Gazelle de l'Allemagne du Nord publie
lune analyse très exacte de la réponse que l'Alle-
magne a faite à la communication de la France
en date du 2 septembre. Cette communication
.visait, on s'en souvient, l'éventualité des mesu-,
res militaires que la France et l'Espagne pour-
raient être appelées conjointement à prendre
dans les ports marocains. Qu'il nous soit per-
mis de rappeler que dès le 6 septembre, notre
correspondant de Berlin, dans un télégramme
que nous avons publié ce jour-là en Dernière
heure, avait indique de la façon la plus précise
quelle serait la réponse allemande. Son infor-
mation, reproduite quarante-huit heures après
par' plusieurs de nos confrères, est aujourd'hui
(Confirmée par l'événement.
Ce que la Gazette de l'Allemagne du Nord
nous apprend de la note remise à M: Jules Cam-
bon est. fort satisfaisant. Cette note est d'un ton
calme et simple. Elle ne va pas ultra petita,
mais elle conlient tout ce que nous désirions.
Si les usages de la diplomatie permettaient la
divulgation immédiate des documents qu'é-
changent les gouvernements, on aurait, en pu-
bliant le pro memoria français du 2 septembre,
Évité à une certaine presse bien des erreurs.
Comme nous l'avons à plusieurs reprises expli-
qué, ce pro memoria ne parlait jias ..pi. np.
pouvait pas parler d'une occupation défini-
tive des ports marocains par la France et par
l'Espagne. Le cabinet' de Paris et celui de Ma-
iûrld se contentaient de dire « Nous sommes
plus que jamais obligés de veiller à la police
des ports. Mais El Guebbas nous écrit qu'il ne
peut pas nous, garantir que les contingents ma-
rocains, prévus par l'acte d'Algésiras pour assu-
rer cette police, n'assassineront pas leurs ins-
iructeurs européens. Dans ces conditions, nous
avons l'intention de substituer, d'une façon
toute momentanée, toute provisoire, des contin-
gents français et espagnols aux contingents
marocains. Dès que le calme sera rétabli, nous
reviendrons à l'acte d'Algésiras. »
En dénaturant cette explication naturelle et
irréfutable, on a fourni à la malveillance de di-
vers journaux et à l'ignorance de certains au-
tres l'occasion d'attaquer injustement la politi-
que française. Lo gouvernement allemand,
mieux informé, n'a pas tenu compte de ces in-
sinuations, et il a répondu dans les termes
mêmes où il était souhaitable qu'il répondît. Il
a fort bien compris qu'il s'agissait d'une dispo-
sition toute passagère, destinée uniquement, en
assurant la sécurité présente, à faciliter la for-
mation des troupes de police marocaines insti-
tuées à Algésiras. Les décisions de la confé-
rence gardent donc leur plein effet. Mais le gou-'
vernement impérial reconnaît que les événe-
ments de Casablanca confèrent à la France un
titre indiscutable à obtenir satisfaction. Il af-
firme qu'en présence de ces circonstances « dé-
licates » et « exceptionnelles », il n'a pas l'in-
tention de préparer des difficultés à la France.
C'est, dans une forme un peu enveloppée, une
:courtoise adhésion.
La note allemande contient, il est vrai, quel-
ques réserves. Mais ces réserves ne nous gênent
̃point. Et quelques-unes sont la sagesse même.
Lo gouvernement allemand exprime le désir que
les graves dommages subis par le commerce de
.Casablanca ne se renouvellent pas. Si c'est un
reproche déguisé à notre adresse, il est immé-
rité. Car les gens qui se plaignent du bombar-
'dement auraient couru grand risque, si nos ca-
nons ne les avaient protégés, de perdre à tout
jamais la possibilité de se plaindre. Des condi-
tions mêmes dans lesquelles pourrait se pro-
Iduire l'occupation des ports par des contingents
européens, la note allemande dit peu de chose.
'Elle reproduit seulement l'opinion du chargé
!d'affaires d'Allemagne à Tanger, M. de Lang-
iwerlh, qui estimé que l'établissement d'un corps
de police étranger pourrait provoquer contre
̃cette ville une dangereuse attaque des tribus
montagnardes, « surtout si ces, mesures
n'étaient pas prises avec des forces absolument
suffisantes ». M. de Langwerth sait mieux que
personne et il est trop loyal pour le contester
> que si nous avions voulu débarquer à Tan-
'ger, nous aurions pu le faire dès le mois de dé-
cembre 1906, au moment de la démonstration
navale à laquelle l'Allemagne avait souscrit.
Nous ne méconnaissons aucune des difficultés
d'une tâche que nous voulons accomplir parce
que nous avons promis de l'accomplir. Et il est
notoire que si nous avons agi avec autant de
prudence, notamment dans l'atïaire des car-
touches de Mazagan, c'est surtout dans la
crainte de provoquer des troubles. On n'a donc
pas à redouter que nous n'intervenions à la
légère.
On a, par contre, mille fois raison d'attirer
notre attention sur le danger qu'il y aurait à
faire quoi que ce soit sans réunir des « forces
absolument suffisantes ». Sans nous approprier
FIE~UJt~~ETTOM DU Qi.eUlp5
DU 11 SEPTEMBRE 1607 (10)
CHRISTEN RUSSI
XIX = Suite
Le soleil se couchait, dardant ses derniers
rayons sur la vaste cour dallée du Hochfluch,
quand Félix s'approcha de son frère, qui se re-
dressait, un peu las du rude labeur de la
ijournée.
Le joli visage de Félix portait un sourire lé-
gèrement embarrassé il ne savait trop com-
ment entamer le sujet qui lui tenait au cœur.
Ah! te voilà? dit Tobias, un sourire éclai-
rant son visage sérieux.
;i Eh! oui, me voilà! fit Félix.
i II tourna quelque peu autour de son frère;
puis quand les valets se furent éloignés, il se
rapprocha de Tobias, assis sur une grosse
jpierre, en train d'essuyer son front et ses che-
;veux mouillés de sueur.
Dis donc. je les ai vues, les filles à Russi 1
chuchota Félix, le visage rouge, les yeux bril-
lanls. Malin! de jolies filles, va! Elles n'ont
pas leurs pareilles ici, tu peux m'en croire.
Les deux aînées sont bonnes à marier, la troi-
sième ne compte pas. Mais ces deux-là! Je
ïiis que j'en ai eu le sang réchauffé pour tout
l'hiver, rien que de les voir. L'aînée. Oh! mais
la seconde surtout! Des yeux! des yeux pa-
reils aux campanules que tu as fauchées ce
matin. et des cheveux! doux comme la
«oie, et sombres comme les tiens. et une taille.
Allons, allons, calme-toi, fit Tobias avec
,un sourire ironique. Tu en as assez dit; et crois-
anoi, écoute un conseil laisse ces gens-là tran-
quilles. Je sais bien que tu t'enflammes le matin
,pour la brune, et le soir pour la blonde. Mais
ne cherche pas les Russi. Il y a d'autres belles
filles au monde. et le grand-père hait cet
homme comme je ne savais pas qu'il fût possi-
ble de haïr.
Félix prit un air boudeur.
Je ne suis pas du tout sûr de n'être pas déjà
follement amoureux de cette jeune dit-il
d'un ton offensé.
Reproduction interdite.
les évaluations fantaisistes d'un journal an-
glais, qui indiquait pour les effectifs à envoyer
dans les ports des chiffres invraisemblables,
nous sommes .convaincus que le gouvernement
ne commettra pas la faute que signale la note
allemande en nous conseillant de l'éviter. A
Casablanca même. nous avons fait le néces-
saire, mais nous l'avons fait trop lentement. Et
on a pu, pendant trois semaines, songer plus
d'une fois aux« « petits paquets », depuis long-
temps condamnés. Ce serait folie de retomber
dans cette vieille erreur. Si nous en venons à
débarquer des hommes dans les ports ouverts,
que ce soit en nombre suffisant pour protéger
efficacement ceux que nous avons la charge de
protéger, et pour ne pas exposer en vain la vie
de nos soldats. Notre action, sans cela, ne serait
pas seulement stérile elle serait néfaste et
coupable.
La réponse allemande ne dit rien d'une autre
question qui a été discutée ces jours-ci la
question des indemnités. Mais il ne semble pas
qu'elle doive donner lieu à des difficultés. La
note, communiquée hier par le gouvernement
français montre qu'il est décidé à suivre la
procédure adoptée après le bombardement
d'Alexandrie. Il est superflu d'ajouter que cette
solution nous paraît excellente, puisque c'est
le Temps qui, samedi, a pris l'initiative de la
recommander.
«$»
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps
Munich, 10 septembre.
La conférence internationale de la paix a tenu hier
sa séance d'ouverture, à laquelle le président du con-
seil bavarois, M. de Podewils s'était fait représen-
ter par le baron de Bpehm, qui a fait ressortir qu'il
devait, à l'heure actuelle, être évident pour tous que
l'Allemagne entière était animée dé sentiments pa-
cifiques, et que si elle restait armée et forte, elle
n'avait pas d'autre but en vue que le maintien de la
paix. C'est-à ce titre, a ajouté M. de Bœhm, que le
gouvernement bavarois apporte au congrès le té-
moignagne de ses sympathies.
Le second bourgmestre de Munich a aussi assuré
le congrès des sympathies générales, «même de ceux
qui ont pour ses efforts des regards sceptiques ».
C'est M. Frédéric Passy qui a répondu par un dis-
cours qui a valu à l'apôtre octogénaire du pacifisme
une chaleureuse ovation.
Berlin, 10 septembre.
On annonce qu'une grande partie des rebelles qui
tenaient encore la campagne avec le capitaine des
« Bondelswart » Morenga ont fait leur soumission
aux autorités de la colonie allemande de l'ouest afri-
cain.
La flotte allemande est partie pour les côtes du
Sleswig du nord, où elle entreprendra avec de la
cavalerie et de l'infanterie des manœuvres de dé-
barquement.
Belgrade,' 10 septembre.
A l'occasion de son anniversaire, le prince héritier
a posé solennellement lundi la première pierre de
la nouvelle Skoupchtina. Tout le corps diplomatique
assistait à la cérémonie.
Une réception a eu lieu ensuite, au cours de la-
quelle le prince héritier a été félicité.
La foule est entrée. ensuite dans le palais; elle a
chaleureusement acclamé le roi, le prince héritier et
la famille royale.
Prague, 10 septembre.
Dans la petite ville de Prachatitz, ville mixte, des
fêtes tchèque et allemande avaient été annoncées
pour dimanche, et par crainte de désordres la police
avait défendu l'une et l'autre. Cela n'a pas empêché
des manifestants politiques de s'y rendre en excur-
sion on a compté 700 arrivées d'Allemands et 400
de Tchèques. Aussi les querelles n'ont-elles pas
manqué il y a eu des coups et blessures, quelques-
unes assez graves, et des interventions de la police
et même de patrouilles militaires.
En Moravie, à Witkowitz, une ville de hauts four-
neaux et de forges où les socialistes sont en nombre,
il y a eu également des rixes entre Tchèques et
Allemands, moins violentes toutefois.
Le monument commémoratif en l'honneur de
Rieper a été inauguré à Horitsch, son lieu de nais-
sance c'est M. Herold qui a pris la parole.
,-rr- ♦ -J 1
DERNIÈRE HEURE
Les obsèques de Sully Prudhomme
tes obsèques de Sully Prudhomme ont été célé-
brées à neuf heures trois quarts, à la Madeleine. Le
cercueil, qui était dépdsé depuis deux jours dans un
des caveaux de l'église, avait été placé ce matin sur
un catafalque, au centre de la nef. La décoration de
l'église était sobre. Le poète avait manifesté le désir
que ses obsèques fussent simples.
L'office liturgique en plain-chant fut exécuté par
la maîtrise de 1 église et l'absoute donnée par le
premier vicaire de la paroisse. Le cercueil fut en-
suite transporté sur le corbillard et le cortège se
dirigea vers le Père-Lachaise par les grands boule-
vards. Quelques couronnes envoyés par des admi-
rateurs, malgré le vœu du poète qui n'avait pas
souhaité cet hommage, furent adressées directe-
ment au cimetière sur le corbillard, ni fleurs ni
couronnes.
Grand bêta! Toujours après quelque cotil-
lon dit Tobias non sans quelque dédain. Mais
de ce côté-là, gare! Je te surveillerai, et je t'em-
pêcherai de faire quelque sottise.
Il frappa son frère sur l'épaule, et se dirigea
vers la maison, suivi de son cadet.
Cet incident créa une ombre entre eux. Félix,
à partir de ce jour, se départit de son habituelle
confiance envers son aîné; et celui-ci se crut en
droit de prendre des airs de maître d'école peu
agréables à l'impétueux jeune homme.
Une semaine s'écoula. Vint un dimanche au
ciel gris, évidemment chargé des premières nei-
ges de l'hiver imminent.
La cloche de l'église, sonnant à toute volée,
amenait à l'office une nombreuse congrégation;
car lorsque le froid piquait au dehors, les Frutt-
nellois savaient apprécier le tiède abri des murs
épais. Parmi les villageois, se hâtait Colomban,
conduit par un petit gars; toutes les fois qu'il le
pouvait, le pauvre vieillard venait occuper sa
place dans la maison de Dieu.
Le prési, encadré de ses deux petits-fils, fut le
dernier à s'acheminer vers l'église. A sa vue, les
hommes assemblés au dehors arrachèrent vive-
ment leur chapeau, le saluant avec obséquio-
sité, comme s'il eût été d'une essence supé-
rieure. Et se regardant l'un l'autre avec une
sorte de fierté, ils semblaient se dire « HeinJ
l'as-tu vu, le vieux?. C'est lui, notre prési-
dent »
Le prési entra d'un pas ferme et se dirigea
vers son banc, où les deux garçons prirent
place à ses côtés. La jeunesse mâle du village
était déjà massée sur la tribune où le nouveau
maître d'école jouait de l'harmonium; tous les
yeux se fixèrent sur les hommes de Hochfluch.
De fiers gaillards! pensaient les villageois, me-
surant de l'œil la haute taille, la flère prestance,
la vigoureuse carrure des trois fermiers.
Quand le prési démissionnera pour de
bon, il n'y. aura pas loin à aller pour lui trouver
un successeur, pensa plus d'un, en regardant
Tobias.
Cependant Sa Révérence, sortant de la sa-
cristie, bénit l'assistance et se dirigea vers la
chaire, dont les degrés craquèrent sous son
pied lourd.
Les garçons de l'école étaient assis en rang
sur les marches de l'autel. Le petit Seppé Gun-
ter, un vrai vaurien, chuchota à l'oreille de ses
camarades qu'il faudrait bientôt creuser le de-
vant de la chaire afin que le curé pût y encadrer
son bedon et tous les polissons de rire. A peine
les éclats étouffés de leur intempestive gaieté
s'étaient-ils calmés que Seppé, glissant sa main
jous le derrière rebondi du jietit Jonas. le einc.a
Les troupes rendaient les honneurs militaires à
Sully Prudhomme, grand-officier de la Légion
d'honneur, massées devant l'église c'étaient un ré-
giment d'artillerie, un régiment de cuirassiers et un
régiment d'infanterie.
Le deuil était conduit par M. Henri Gerbault, ne-
veu du poète. Le président de la République était
représenté par le commandant de Keraudren et le
ministre de l'instruction publique par M. Jules Gau-
tier, directeur de son cabinet.
Une délégation de l'Institut venait ensuite, com-
posée de MM. Frédéric Masson, Gaston Boissier,
Paul Hervieu, Jules Lemaître, François Coppée et
Etienne Lamy. M. Victor Margueritte représentait
la Société des gens de lettres, dont il est président.
Dans l'assistance, de nombreux littérateurs, le
maire et les conseillers municipaux de Châtonay, les
représentants de la grande-chancellerie de la Légion
d'honneur, plusieurs officiers généraux et hauts
fonctionnaires, etc.
L'inhumation a eu lieu à midi et demi au Père-
Lachaise aucun discours n'a été prononcé.
L'insécurité de Marseille et M. Antide Boyer
M. Clemenceau a reçu hier.nous l'avons annoncé,
M. Antide Boyer, député des Bouches-du-Rhône,
qui, à la suite des exploits multipliés des malfaiteurs
marseillais, était venu l'entretenir de l'inquiétude
croissante de la population et de son intention de
.l'interpeller, à la rentrée des Chambres, sur la réor-
ganisation de la poliée.
Un de nos collaborateurs a rencontré ce matin M.
Antide Boyer et l'a interrogé sur son entrevue avec
le président du conseil.
-Nous avons, avec M. Clemenceau, a-t-il dit, arrêté
la date, non pas comme on l'a annoncé, de l'interpel-
lation, puisque le président du conseil accepte le débat
et veut que la question soit réglée le plus tôt possible,
mais de la discussion, qui est inscrite en tête de l'ordre
du jour de la rentrée des Chambres. Il y a déjà un
projet que prépare M. Hennion, sur les ordres du mi-
nistre de l'intérieur M. Clemenceau m'a invité à en
prendre connaissance et à formuler mon opinion, dès
que je l'aurai lu; jattends pour cela M. Hennion, qui
est absent de Paris et va rentrer incessamment.
D'où vient que les municipalités qui se sont suc-
cédé à Marseille n'aient rien fait de sérieux pour
donner à la ville la sécurité qu'elles réclament?
Ce n'est pas de leur faute. Au temps où M. Flais-
sières, socialiste, était à l'hôtel de ville, il y eut des
réclamations formulées, des vœux émis par le conseil
municipal et le conseil général le gouvernement fit
des promesses et ne les tint pas. M. Chanot, républi-
cain a succédé à M. Flaissières il y a cinq ans, et de-
puis la situation n'a pas changé. Une ville abeua vou-
loir organiser chez elle sa police, elle ne peut le faire
qu'avec l'autorisation de l'Etat. Marseille, qui est prête
à bien des sacrifices et dont les élus auraient pris plu-
tôt dix fois qu'une tes mesures de sécurité nécessai-
res, est réduite à l'inaction par suite de l'indolence du
pouvoir central et des lacunes de notre législation.
En voulez-vous une preuve 1 Avant de partir pour
Paris; j'ai vu M. Bonnaud, commissaire central de
Marseille.
o Que l'on prenne les mesures suffisantes et que
l'on me donne des ordres, m'a dit ce fonctionnaire, et
dans un mois il n'y aura plus do malfaiteurs à Mar-
seiile. Nous les connaissons tous; nous savons où ils
logent, nous n'ignorons pas leurs habitudes, leurs lieux
de rendez-vous.
» Mais la loi ne nous autorise pas à les arrêter et le
parquet ne maintient leur arrestation qu'en présence
d'un délit caractérisé.
Si nous invoquons contre eux le fait de vagabon-'
dage, ils trouvent toujours le moyen de produire des
certificats de patrons menuisiers, charpentiers, serru-
riers. électriciens ou autres, attestant qu'ils ont tra-
vaillé à tel endroit pendant tant de jours et établissant
que leur cess ation de travail est momentanée. Pour
leur appliquer d'office la peine de la relégation, il fau-
drait des cas difficiles à établir, ou des lois qui n'exis-
tent pas. Aussi leur audace ne connaît-elle plus de
bornes. »
D'autre part, m'explique M. Antide Boyer, les agents
de M. Bonnaud sont en nombre tout à fait insuffisant
ils en sont réduits à chercher d'abord à se défendre
deux agents en service sont souvent attaqués par des
bandes de quatorze ou quinze nervi, et ce en plein
jour tout comme en pleine nuit. On disait, il y a quel-
que temps, que la banlieue seule était dangereuse, et
que du moins le centre de la ville était sûr. Les mal-
heureux événements de ces jours derniers ont montré
que la Canebière, la rue Paradis, la rue Saint-Fer-
rôol et le cours lîelzunce étaient entre les main» des
apaches.
Les assassinats, .les tentatives de meurtre, les vols
les exactions de toutes sortes sont de chaque jour et
presque de chaque heure. Et comment en serait-il au-
trement ? On saisit sur un nervi un revolver ou une
canne quelconque on devrait autant que possible
éviter qu'il rentre en possession de ces armes, afin
de supprimer chez lui les moyens de nuire. C'est le
contraire qui a lieu. A certaines époques, le parquet,
la police ou la ville, je ne sais au juste, font procéder à
la vente aux enchères des revolvers, couteaux catalans
et poignards précédemment saisis et les apaches vien-
nent, à la barbe et sous l'œil des agents qui les con-
naissent, racheter eux-mêmes leur propre revolver où
parfois sont encore des cartouches oubliées.
Les commerçants de Marseille ont-ils constaté
une baisse réelle dans leur chiffre d'affaires?
Trop réelle. Non seulement bien des touristes
évitent de s'arrêter, mais ceux que leurs occupations
obligent à venir à Marseille y font leur séjour le plus
court possible, rentrant à leur hôtel de très bonne
heure et souvent préférant prendre un train de nuit
pour aller ailleurs reposer ou villégiaturer plus tran-
quillement.
Aussi tout le monde est-il d'accord sur une réforme
immédiate. Socialistes, républicains et conservateurs
marseillais sont absolument prêts à refuser l'impôt
d'abord tout comme dans le Midi viticole, puisque
le moyen est bon à se défendre euXTmêmes ensuite
par tous les moyens, si l'on n'intervient pas et si l'on
n'accorde pas à la seconde ville de France les forces
de police dont elle a besoin. J'ai averti M. Clemenceau
de cet état d'esprit, de ces résolutions bien arrêtées.
Le président du conseil m'a répondu Je préfère
prévenir le mal que d'avoir à sévir. ̃> Soit. C est au
gouvernement à faire preuve de bonne volonté et
d'énergie, s'il ne veut endosser les pires responsabi-
lités.
En terminant M. Antide Boyer m'indique que la
réorganisation de la police marseillaise comprendra
probablement la création d'un service spécial et
complet pour la surveillance des mœurs et me fait
part de son intention d'obtenir contre les apaches
des lois d'exception.
de façon à lui arracher un cri perçant. Déjà
les autres recommençaient à glousser; mais le
prési se dressa soudain au milieu d'eux; du
pouce et de l'index, il prit le délinquant au col-
let, et le traînant tout le long de l'église, il s'ap-
prêta à le jeter ignominieusement dehors.
Le curé ouvrait le livre de prières et le prési
avait la main sur le loquet, lorsque la porte fut
poussée de l'extérieur.
Christen Russi et Furrer se trouvèrent face
à f ace.
Un instant ils se regardèrent droit dans les
yeux. Profitant de la diversion, Seppé leur fila
entre les jambes comme une anguille.
Furrer tourna sur lui-même et regagna sa
place d'un pas pesant. Derrière lui marchait
Russi, suivi de ses trois filles. Au lieu de demeu-
rer au fond de l'église ainsi que le font d'habi-
tude les retardataires, ils s'avancèrent jusqu'aux
premiers bancs. Russi s'assit parmi les hom-
mes, et les trois jeunes filles se placèrent mo-
destement au milieu des femmes. Eu dépit de la
prière commencée, toutes les têtes se dressè-
rent, tous les yeux se tournèrent vers les nou-
veaux venus. Et quand le curé voulut commen-
cer le prône, sa voix fut presque couverte par les
murmures et les chuchotements. Quant aux
jeunes gens, sur la tribune, oubliant le lieu où
ils se trouvaient, ils échangeaient vivement
leurs opinions sur les trois filles de Russi.
Le hasard fit qu'elles se trouvaient placées
l'aînée, et en même temps la plus grande, de-
vant la seconde, qui était elle-même placée de-
vant la troisième.
Une échelle, quoi! fit un plaisant.
Oui, mais une chic échelle! répliqua le
gros Joseph Griin, fils d'un riche fermier, en se
léchant les babines.
Les trois jeunes filles, qui avaient tenu leur
tête inclinée, se redressèrent alors, s'assirent,
tournées vers l'assistance, et les jeunes gens
purent apercevoir leur visage.
Une seule était brune, les deux autres blon-
des toutes trois avaient les traits plus fins, le
visage plus délicat, les joues moins rouges
que les filles de Fruttnellen et les garçons de les
critiquer: « Trop léché! Trop mijaurée! » disait
l'un. « Trop pain blanc! » prononçait l'autre.
Mais ils n'étaient pas sincères; et plus d'un en-
via secrètement la statue de bois de saint Jo-
seph, qui pouvait regarder en face ces jolies
filles tout le temps du service divin.
Elles étaient simplement vêtues de noir; mais.
leurs robes ajustaient bien leur taille svelte et
semblaient élégantes, comparées aux antédilu-
viennes, toilettes du dimanche des femmes de
Fruttnellen.
Malgré elles, les jeunes filles se sentaient. gê-
nées par la curiosité stuoide da tou* ces &egsj^
SOCIALISTES ET RADICAUX
s;
s D^x journaux d'information et d'interviews,
y Echo de Paris et te Matin' interrogent les per-
t'~c~o
sonnalités importantes du parti radical sur les
dernières déclarations de M. Jaurès. L'Echo de
Paris a vu les grands chefs. M. Ranc a déclaré:
« L'accord entre radicaux et socialistes me
paraît, après Nancy et Stuttgart, difficile,
sinon impossible. » Quant à M. Ferdinand
Buisson, il est navré « Comment Jaurès
a-t-il pu faire une chose pareille 1. C'est
très grave, très grave. Ils auraient fait là une
chose 1. »M. Ferdinand Buisson n'a pas achevé
sa pensée; et c'est par là qu'il a donné la mar-
que la plus probante de sa sincérité. Car M. Fer-
dinand Buisson vit de contradictions et d'incer-
titudes. Il ne pense jamais jusqu'au bout. Il
ménage tout le monde et il se ménage lui-même;
nous voulons dire qu'il a toujours peur de com-
promettre le lendemain, son lendemain.
Les interrogés du Matin, moins pressés ou
moins sceptiques, n'ont pas enveloppé' leur
opinion de tous ces langes. M. Raoul Péret,
député de la Vienne, dont on a remarqué cer-
tains rapports sur des questions juridiques,
déclare « Du moment où il est acquis que le
devoir du prolétariat, excité par. M. Jaurès et
ses amis les unifiés, sera-de se servir dit fusil
contre les gouvernants, au lieu de l'employer à
repousser les envahisseurs, nous n'avons plus
que faire de pareils malfaiteurs, ni à la Cham-
bre ni dans nos arrondissements. » M. Massé,
député de la Nièvre, dit « Lorsque nous avons
dénoncé les abus qui existaient dans l'armée,
nous avons en même temps affirmé bien
haut notre amour de la patrie, notre profond
attachement pour l'armée, sans laquelle la
France ne saurait rester forte et indépen-
dante. M. Georges Trouillot, sénateur, du
Jura et plusieurs fois ministre, se prononce
fort nettement. Selon lui, il est impossible aux ra
dicaux de « contracter une alliance quelconque,
parlementaire ou électorale, avec des hommes
qui crient « A bas la patrie 1 A bas la Républi-
que I »M. Chastenet, député républicain de la Gi-
ronde, se sépare des socialistes avec émotion et,
semble-t-il, avec une nuance de regret; tandis
que son collègue et compatriote M. Chaumet
constate entre les socialistes et les républicains
cette différence essentielle, cet abîme: « Nous
sommes Français avant tout. Enfin, dans la
Grande Revue qui vient de paraître, M. Pierre
Baudin, l'ancien ministre du cabinet Waldeck-
Rousseau, l'un des radicaux qui ont montré
dans les crises de ces dernières années le
plus de prévoyance et d'esprit politique, écrit
cette sentence décisive « Stuttgart marque le
déclin non d'un caractère (Jaurès ne fut jamais
un caractère), mais d'un politique, car Jaurès
fut à certaines heures un véritable politique. Le
dur reniement de Bebel, la cinglante et robuste
leçon de Vollmar sont moins humiliants pour
lui que l'effort tortueux qu'il a dû faire
afin d'aboutir à cette déclaration niaise et
fourbe où chacun a pris ses réserves à l'égard
des autres, où les Allemands gardent leur
arrière-pensée patriotique, Hervé et Jaurès
leur pensée antipatriotique. Et voici la sente
bourbeuse où se retient, se perd, s'enfonce
la grande avenue, ample, droite et claire,
où la pensée éloquente de Jaurès semblait de-
voir toujours s'avancer; voici à quelle explica-
tion il condescend ou bien il se sent acculé:
« Quant à la résolution de Stuttgart, écrit-il
dans la Dépéche, elle est si éloignée de faire fi
de ^existence et de la liberté des nations qu'elle
dé,termine, en attendant l'heure où prévaudra
l'arbitrage international, la meilleure organisa-
tion, la plus démocratique à la fois et la plus
efficace, des moyens de défense de chaque
pays. »
M. Pierre Baudin a découvert la suprême
faiblesse de M. Jaurès, ces articles de la Dépê-
che, dont nous nous proposions de faire état et
.qu'il faut toujours lire si l'on veut se rendre un
compte exact des incohérences misérables où
se débat l'ex-leader désemparé. Depuis qu'il a
accepté de servir en sous-ordre, il n'a plus la
même virtuosité qu'autrefois et l'on sent de la
gêne dans ses volte-face. Il ne lui reste que l'au-
dacede se contredire à quelques jours de distance
et d'affecter insolemment une unité de doctrine
dont il ne se soucia jamais. Nous avons montré
naguère qu'il était parti pour le congrès de
Nancy avec la crainte de ne pouvoir sauver
tout à la fois Hervé et Griffuelhes, l'antipatrio-
tisme et la révolution. Une fois à Nancy, il eut
peur d'Hervé et il le «repêcha», selon l'expres-
sion même d'un délégué. RevenantdeStuttgart,
il a vu que ses collaborateurs radicaux socia-
listes de la Dépéche, M. Camille Pelletan et
M. Bouglé, lui reprochaient sa complaisance
excessive pour l'hervéisme. Aussitôt, il s'est
efforcé de tromper les populations radicales du
Sud-Ouest qui lisent le journal toulousain; et
il a risqué les explications embrouillées dont
M. Pierre Baudin donne un extrait. Mais quand
il s'est retrouvé à Paris, samedi, dans une
réunion publique devant les hervéistes, son
habitude d'accepter les exagérations les plus
violentes lui a dicté ce discours forcené où
les regards malveillants brûlent, même lors-
qu'on ne semble pas les voir. L'aînée, Josèphe,
grande et belle fille de dix-neuf ans, à la taille
élancée, au visage pur et grave comme éclairé
par une lumière intérieure, tournait parfois
vers son père ses profonds yeux bleus, d'un air
d'inquiétude. Mais Russi était assis, calme et
froid, entre deux hommes qui, soit embarras,
soit mauvais vouloir, lui avaient laissé une large
place sur le banc, au dépens de leur propre
confort.
Pia, la cadette, était une ravissante brune de
dix-sept ans, aux yeux rayonnants, à la cheve-
lure indomptée. La délicieuse Marie, la plus
jeune, était blonde comme son aînée.
Dès que le curé s'interrompait pour tousser
ou se moucher, les deux plus jeunes filles de
Russi se dépêchaient de jeter les yeux autour
d'elles; mais les regards qu'elles rencontraient
étaient si durs et si malveillants que tremblan-
tes et rougissantes, elles se hâtaient de baisser
à nouveau leur jeune front.
Quand le prône fut fini, la messe commença.
Russi communia à côté des paysans, et ses filles
suivirènt les femmes. Celles-ci affirmèrent,
après le service divin, les avoir vues chacune
donner une pièce de un franc tout neuve à la
quête. Quand enfin l'office fut terminé, les villa-
geois attendirent à peine la bénédiction du curé
pour se ruer vers la porte. Les hommes formè-
rent la haie à gauche, les femmes à droite,
pour mieux dévisager les bêtes curieuses qui
n'avaient pas craint de venir se risquer au mi-
lieu d!eux.
Les trois jeunes filles sortirent les premières.
Les deux plus jeunes se serraient timidement
l'une contre l'autre, et elles firent passer Jo-
sèphe la première. Celle-ci s'avança, grande et
droite; son visage grave et ses yeux profonds
confrontaient les faces sombres comme pour
leur demander la raison de leur hostilité. Per-
sonne n'osa souffler mot. A son tour, le prési
fonça au dehors; en passant, il couvrit les jeu-
n'es filles d'un regard menaçant, sous ses sour-
cils en broussaille. Puis ce furent ses petits-fils;
Félix, rouge comme une pivoine, ne pouvait
détacher ses yeux du visage en fleur de la char-
mante Pià; il trébuchait en marchant et s'éloi-
gnait à regret, suivi de Tobias, dont le visage
austère s'était également nuancé de rougeur;
il ne trouvait plus si ridicule à cette heure son
frère, le coureur de cotillons. Enfin Russi pa-
rut sous le porche; il sourit- et se découvrit de-
vant la foule; les hommes, domptés, lui rendi-
rent son salut. Précédé de ses filles, il longea la
fraie vivante; ils s'éloignèrent sans qu'un mot
du un geste eussent indiqué une intention bles-
sante à leur égard.
,jLïisi_Jk^^èfi JÏU'ils eurent disparu^ les
il a dépassé les antipatriotes les plus extrava-
gants. La terreur de ne pas être applaudi par
les excessifs de son parti l'avait emporté sur la
prudence du sophiste. Ce matin, dans son jour-
nal l'Humanité, il reprend le thème de la Dé-
pêche de Toulouse. C'est qu'il était seul à seul
avec son encrier et que l'heure de la ruse
avait sonné après l'heure du cynisme. Tel
est maintenant M. Jaurès, loque flottante,
que le geste de M. Gustave Hervé anime.
fascine, magnétise. Il voudrait parfois se
ressaisir pour les lecteurs de la Dépéche et
pour sa clientèle parisienne qu'il amusait
jadis comme un artiste; mais il ne le peut
pas. Bien vite, il retourne à l'obéissance. Et ja-
mais plus il n'aura d'opinion ni de pensée qui
lui appartiennent en propre; car on sait le
moyen de le faire marcher. M. Gustave Hervé,
vigoureux, s'est emparé de l'instrument so-
nore. Après lui, tous les énergumènes pourront
s'en servir à leur gré.
<î>
LE SCRUTIN DE LISTE
Au directeur du Temps.
Le premier point, c'est le rétablissement du scru-
tin de liste. Ne perdons pas notre temps à refaire
une millième fois le procès, si minutieusement ins-
truit, du scrutin d'arrondissement. Ce qu'on en dit
encore aujourd'hui, et le disait déjà il y a vingt-
deux ans, en 1885, et tout ce qu'on pouvait dire
alors, on peut, à meilleur titre, le redire encore au-
jourd'hui, après une nouvelle expérience de dix-huit
années et de cinq législatures. Voici sous quels chefs
d'accusation principaux, en dernier lieu, MM. Etienne
Flandin et Paul Bignon, l'un dans son rapport, l'au-
tre dans une proposition de loi, ont ramassé les or-
dinaires griefs
Le scrutin uninominal donne plutôt ta mesure de la
popularité des personnes que la mesure exacte de l'o-
pinion des circonscriptions; il fait de l'élu non le re-
présentant des intérêts généraux de la nation, mais
trop souvent le chargé d'affaires privées de ses élec-
teurs il livre beaucoup à la corruption, et circonscrit
dans les étroites limites d'un flet la pensée et l'action
de l'élu. Il réduit ainsi le député à l'état de dépendance
que Gambetta appelait « l'assujettissement électoral »
et la représentation nationale à l'état de moreellement
qu'il appelait le miroir brisé où la France ne recon-
naît plus son image ». Le représentant, en bien des
cas, n'est plus un « représentant » que dans le sens
commercial du mot, le mandataire, auprès dos pou-
voirs publics, des ambitions, des intérêts particuliers.
A quelle heure travaillerait-il ? Il marche, il marche, ce
démarcheur. • S'il n'est pas à la Chambre, il fait anti-
chambre s'il n'assiste pas aux commissions, il en fait. »
Et, comme il est partout où il ne devrait pas être, il dé-
range tout; mais, comme il n'est jamais où il devrait
être, tout le dérange. D'où « le pouvoir sans contrôle,
la députation sans autorité, le système représentatif
devenu une fiction ». Avec ce régime-là, plus de prin-
cipes, point de programmes, pas de courants d'opi-
nion: rien que des sympathies et des antipathies, rien
que des déceptions et des espérances, convoitises ou
illusions. Grâce à quoi les contraires se rapprochent
au premier tour, et au ballottage les extrêmes se tou-
chent, au grand dommage de la clarté, de la sincérité
et de la moralité publique.
La seule observation que je veuille ajouter, la
seule, mais elle est décisive, c'est que le scrutin
d'arrondissement ne fait nullement obstacle à cette
tendance fatale qu'ont les démocraties, suivant la
remarqué de John Stuart Mill, « à être entraînées
en bas par leur propre poids ». Loin d'empêcher ou
de ralentir la chute, il la précipite; car il condamne
et il habitue le député à trop « regarder sa circons-
oription », tandis qu'il incline, qu'il habitue l'éloo-
teur à trop « user » de son député, pour la satisfac-
tion de tous ses besoins, do toutes ses ambitions, de
toutes ses fantaisies, à le traiter on serviteur, sinon
en serf et pis encore, à le mettre, comme on dit
vulgairement, « à toutes les sauces ». En cela, il
contribue, jusqu'à en être la grande cause, à l'abais-
sement du niveau de la représentation nationale,
de son niveau intellectuel; c'est entendu, mais il faut
avoir le courage de dire aussi son niveau moral, en
prenant le mot au sens le plus relevé, et quoique la
tenue morale du Parlement, malgré ce que la mali-
gnité pourrait alléguer au contraire, reste certaine-
ment plus haute que sa tenue intellectuelle. Avec
lui et par lui, par le scrutin d'arrondissement, toute
vie générale s'éteint: l'idée de la nation, en son
unité, en sa majesté, pâlit et s'efface. « Le miroir» »
est brisé trop menu pour réfléchir une aussi grande
figure qu'est la France. Ces circonscriptions multi-
pliées et closes sont comme des « épis », comme des
« brise-lames », qui s'opposent à la circulation des
courants d'opinion. Ce sont comme des douanes in-
térieures de la politique. Rien ne passe en franchise
d'un arrondissement dans l'autre, rien qui ne su-
bisse une appropriation, une déformation locale.
Sous ce rapport, spécial il est vrai, on a tort de se
plaindre qu'il n'y ait pas chez nous de « vie locale ».
Il y en a, en ce cas, excès. Mais prenons garde à ce
que signifient ici le mot « vie » et le mot « locale ».
L'arrondissement vit en son député, qui vit dans
son arrondissement, à moins qu'il ne faille corriger:
l'arrondissement vit de son député, qui vit pour son
arrondissement. La commune, le canton, l'arrondis-
sement vivent donc tant bien que mal. Ce qui man-
que, outre la vie générale ou nationale au sommet,
c'est, au milieu, au-dessus de la vie locale, la vie
régionale qui serait le moyen et le lien de l'une à
Fruttnellois retrouvèrent leur langue pour in-
vectiver les intrus et maudire l'insolence de
Russi; mais sous leur colère, on sentait un élé-
ment nouveau le respect pour l'homme riche,
arrivé.
Rentré à la ferme de Hochfluch, le fermier,
qui marchait en avant de ses petits-fils, laissa
passer Félix, et se retournant montra à Tobias
un visage défiguré par la colère.
Alors, tu l'as vu, hein? Il a osé venir nous
braver jusque chez nous! Canaille! Impu-
dent Et dire qu'il nous faut rester là, les bras
croisés! Il faudra peut-être que nous atten-
dions qu'il vienne nous souffleter en plein
visage!
Le vieux haletait de fureur.
Que nous veut-il?. Que vient-il cher-
cher ici?. répétait-il avec une rage impuis-
sante.
On eût dit qu'il connaissait la réponse à ses
questions.
XX
^es. }ours d'automne s'égrenaient calmes et
beaux, et chaque, jour l'activité grandissait sur
le Fluchwand. Des messieurs de la ville arri-
vaient chez Russi, apportant de si importantes
commandes qu'il dut doubler, quadrupler le
nombre de ses travailleurs. Le hameau de Wei-
ler devenait une petite ville. De légères cons-
tructions de bois destinées aux travailleurs sor-
taient de terre comme les coucous au prin-
temps. Et de sa maison de pierre, Christcn
Russi dirigeait tout d'une main ferme, imposant
l'ordre et la discipline par sa seule présence;
sous ses habits grossiers, il gardait la dignité
que donne la conscience de la force.
Et un jour Fruttnellen entra de nouveau en
rumeur.
Il était monté, à l'heure où les hommes sont
aux champs. Et il avait été tout droit chez le
curé!
cure
Chez le curé! Que pouvait-il avoir à faire
au presbytère?.
Bientôt Fruttnellen fut électrisé par une nou-
velle inattendue. Christen Russi, le tailleur de
pierres, avait déposé entre les mains de Sa Ré-
vérence une somme de trois mille francs pour
les besoins de la commune! Les plus hardis
questionnèrent leur pasteur à ce sujet, et n'eu-
rent pas de peine à démêler dans ses paroles un
respect involontaire pour l'ex-paria du Strah-
legg.
Bientôt on apprit que le curé s'était transporté
à l'école pour enjoindre aux galopins de mon-
trer désormais autant de déférence à Russi qu'à
lui-iiî^me, si d'aventure ils le rencontraient par
les routesï fiar le maître carrier pouvait à boa J
l'autre. Faute de vie régionale, nous sommes privée
de ces « corps intermédiaires » dont,parlait Montes-
quieu, si nécessaires dans une République faute
d'elle et faute d'eux, la France politique ne vit plus
qu'une vie infime resserrée dans de petits cercles où
le Plus opprime férocement et stupidement le
Moins, cependant que s'abat sur tous, en les écrasant,
la masse de plus en plus pesante de l'Etat. Mata
c'est à quoi devrait ponrvoir une sage décentralisa.
lisation, une déconcentration prudente des fonction»
administratives. Pour ce qui est strictement du suf«
frage, je me borne à indiquer, après M. Paul Bi-
gnon, qui l'a souligné très finement, que la substi-
tution du scrutin de liste au scrutin d'arrondisse-
ment faciliterait sans 'doute cette vie régionale
maintenant absente, par la conscience même qu'elle
obligerait candidats et élus à en prendre.
Telles sont, en raccourci, la plupart des raison»
que l'on a données, et quelques-unes de celles qu'on
pourrait donner contre le scrutin d'arrondissement,
en faveur du scrutin de liste. On y joint volontiers
« l'immense avantage qu'aurait le scrutin de liste
d'assurer à chaque département un nombre de re-
présentants proportionnel à sa population et de faire
ainsi disparaître aisément les criantes iniquités du
système actuel ». Iniquités criantes en etlet, nées
d'inégalités choquantes. Dans son rapport, M.
Etienne Flandin en a cité plusieurs exemples. Les
plus connus sont ceux de Castellane ou de Bai ce-
lonnettft par rapport à Nantes ou Roubaix. Il suffit,
à Castellane ou à Barcelonnette, de trois mille élec-
teurs pour avoir un député, et il en faut vingt-cinq 'i
mille à Nantes ou à Roubaix pour en avoir un. Ce
qui revient à dire que derrière l'égalité théorique
do tous les citoyens français, un citoyen des Basses-
Alpes compte huit fois plus qu'un citoyen de la
Loire-Inférieure ou du Nord, de par le scrutin
d'arrondissement.
Le scrutin de liste, qu'il ait pour base numérique
la population totale ou le chiffre des électeurs ins-
crits, rétablirait heureusement et l'équilibre et la
justice. Il ferait que sous la loi du nombre, le nom-
bre ne serait pas éludé, et que ̃ les règles n'en se-
raient pas ou faussées ou appliquées tout de travers.
Dans le régime qui remet la toute-puissance à la
majorité, il ferait que réellement la majorité des ci-
toyens auraient la majorité des représentants, et par
conséquent la plus grande part, qui leur revient de
droit, à l'exercice de la puissance. Et il en est temps
l'inégalité est devenue si choquante, l'iniquité a
criante, le Nord s'estime à ce point sacrifié au Midi,
ses arrondissements débordants de population, (poui
ne retenir aucune autre considération, et l'on en fait
valoir d'autres) sont si irrités d'être traités moint
bien que les arrondissements du Midi à population
rare, qu'ils commencent à s'agiter et à chercher lt
manière d'obtenir co que l'on y nomme déjà un«
« représentation proportionnée ».
Mais voilà; cette espèce de justice civique, d<
représentation proportionnée, le scrutin de liste la
distribuerait peut-être entre les départements. Pur
et simple, il no la distribuerait pas entre les partis.
Entre les partis, il accuserait même, il exaspérerait
les inégalités et les iniquités du scrutin d'arrondis-
sement. Avec le scrutin uninominal, grâce au frac-
tionnement du territoire en 591 circonscriptions, on
peut espérer qu'il n'y ait point une opinion qui n'ar-
rive à être représentée quelque part, et que le fort
portant le faible, il s'ôtablieBo par là en une mesure
incertaine, mais qu'il s'établisse pourtant une sorte
de compensation. Avec le scrutin de liste par dépar-
tement, ce sont cinq cents collèges électoraux
qui s'évanouissent, et par suite cinq cents chances
qui s'en vont, pour les opinions en minorité, d'éire
représentées, comme il est équitable et désirable
qu'elle les soient. C'est alors vraiment qu'il serait
permis de se plaindre qu'en France la moitié des
électeurs plus un soit tout, et que l'autre moitié ne
soit rien, que la moitié do la nation soit en main-
morte, personnes et biens, attachée à l'urne, ainsi
que jadis à la glèbe. Sans un tampon qui en amor-
tisse les coups, <- qu'on veuille bien me passer l'i-
mage, le scrutin de liste jouerait comme un mar-
teau-pilon formidable, à l'aide duquel la moitié dea
Français plus x broierait et annihilerait la moitié
des Français moins x.
S'il n'y avait pas de correctif possible, l'inconvé-
nient serait grave et de nature fût-il unique à
balancer tous les avantages. Mais le correctif esl
trouvé. Il est sûr. Il a fait ses preuves. La représen-
tation proportionnée par le scrutin de liste ne serait
qu'une demi-solution. La solution, c'est le scrutin d«
liste avec la représentation proportionnelle.
CHARLES BENO1ST,
LES AFFAIRES DU MAROC
Les affaires du Maroc ont eu hier leur centre d'in-
térêt moins en Afrique qu'en Europe, et la réponse
allemande à la note franco-espagnole, relative à la
police marocaine, a été le fait le pius important de
la journée. Nous en apprécions d'autre part l'inté-
rêt. Au Maroc même les hostilités sont depuis cinq
jours arrêtées, et comme le président du conseil le
déclarait hier, la situation est celle du statu quo.
L'attitude de l'Allemcgne
Sous le titre « Les événements du Maroc-», l'offl-
cieuse Gazelle de l'Allemagne du Nord publie la note
suivante
Un mémoire de l'ambassade de France remis le
2 septembre exposait que le gouvernement fiançai»
droit être considéré comme le bienfaiteur de la
commune. Et lorsque les gros bonnets du vil-
lage hasardèrent quelques objections, Sa Révé-
rence répliqua que le passé était passé, et que
l'intérêt du pays commandait qu'on demeurât
en bons termes avec un homme riche et géné-j
reux.
Bref, à partir de ce jour, les gens de Fruttncl-~
len se mirent à saluer Russi au passage, el
même à le saluer fort bas.
Un seul demeurait buté à son opinion le
prési ne désarmait pas; et lorsque Tobias sa
chargea de lui apprendre les largesses de son
ennemi à la commune, il s'approcha du vieux
avec un visage plus sérieux encore que de cou-
tume, car il savait combien la nouvelle allait
l'exaspérer.
Ah! ah! vraiment! fit le prési d'une
voix sifflante.
Il demeura quelques instants les yeux fichés
en terre, les mâchoires contractées; puis rele-
vant les paupières, il fixa sur son petit-fils un
regard étrange
Sais-tu que ce Russi a demeuré ici jadis?
demanda-t-il enfin.
Oui, je l'ai entendu dire.
Et sais-tu aussi qu'il en a été chassé?
Oui. il me semble. je l'ai entendu con-
ter vaguement.
Furrer se tut quelques instants; puis d'une
voix rauque, le regard enfiellé de rage
Et le pourquoi?. le connais-tu?. Sais-tu
pourquoi on a chassé cet homme du village?
Ma foi, non! Je n'en ai jamais entendu
donner la raison
Le vieux souffla avec force.
Eh bien, c'est à cause de moi! De moi! ré-
péta-t-il en appuyant sur les mots.
Tobias ouvrit les yeux.
Comment? Que s'était-il passé? deman-
da-t-il vivement.
Cela, tu n'as pas besoin de le savoir. C&
n'est pas ton affaire, et je suis bien aise que tu ne
sois pas au courant. Tu m'entends? Laisse,
cela tranquille. J'ai confiance en toi, mon
gars; et je te répète que je te défends de t'inf or-
mer auprès de qui que ce soit. Oui, c'est moi
qui le fis expulser. et tu peux m'en croire, j'a-
vais mes raisons. Ainsi, c'est dit tu ne t'oc-
cuperas pas de cet individu? J'ai ta parole?
Tope là!
Je ne m'en occupei-ai pas. Vous savez que
je ne suis pas curieux, rép»'(3ua Tobias avec
calme, frappant dans la main as son grand-,
père. ». zA~,
E. Zahk.
CÂ. suivra
On s'abonne aux sureaux flu Joumâï,~5, BOULEVARD DES ITALIENS» &>ARIS ffî, et dans tous les Boréaux de Poste
MErtGrYEDÏ lit SEPTEMBFU? 10OT
PRIX DE L'ABONNEMENT
PABIS, SHHEd SEIHE-ET-OISE. Trois mois, 14 fr.j Six mois, 28 fr.J B» «i, 56 fr.
BÈPiET"etALSAC&-K«SAIHE. IV fr.; 34 fr.; 68 fr.
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LES ABONNEMENTS DATENT SES i* ET 16 DB CHAQUE MOIS
Un numéro (à Paris) ISS centimes
Directeur politique Adrien Hébraxd
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IBS ÀBOKHEMETTS BATEOT BBS, V ET 16 BB CHAQUE MOIS M fB^^Dt^Ê
Un numéro (départements) »O centimecf Mêê^BF
ANNONCES MM. Laqrange, CERF et G'8, 8, place de la BourV I $0^
le Journal et les Régisseurs déclinent toute responsabilité quant à leur teneur ^l*»*
TÉLÉPHONE, S LIGNES:
N« 103.07 103.08 103.09 103.38 103.3»
11 Paris, 10 septembre
BULLETIN #E L'ÉTRAIMER
LE MAROC ET L'ALLEMAGNE
La Gazelle de l'Allemagne du Nord publie
lune analyse très exacte de la réponse que l'Alle-
magne a faite à la communication de la France
en date du 2 septembre. Cette communication
.visait, on s'en souvient, l'éventualité des mesu-,
res militaires que la France et l'Espagne pour-
raient être appelées conjointement à prendre
dans les ports marocains. Qu'il nous soit per-
mis de rappeler que dès le 6 septembre, notre
correspondant de Berlin, dans un télégramme
que nous avons publié ce jour-là en Dernière
heure, avait indique de la façon la plus précise
quelle serait la réponse allemande. Son infor-
mation, reproduite quarante-huit heures après
par' plusieurs de nos confrères, est aujourd'hui
(Confirmée par l'événement.
Ce que la Gazette de l'Allemagne du Nord
nous apprend de la note remise à M: Jules Cam-
bon est. fort satisfaisant. Cette note est d'un ton
calme et simple. Elle ne va pas ultra petita,
mais elle conlient tout ce que nous désirions.
Si les usages de la diplomatie permettaient la
divulgation immédiate des documents qu'é-
changent les gouvernements, on aurait, en pu-
bliant le pro memoria français du 2 septembre,
Évité à une certaine presse bien des erreurs.
Comme nous l'avons à plusieurs reprises expli-
qué, ce pro memoria ne parlait jias ..pi. np.
pouvait pas parler d'une occupation défini-
tive des ports marocains par la France et par
l'Espagne. Le cabinet' de Paris et celui de Ma-
iûrld se contentaient de dire « Nous sommes
plus que jamais obligés de veiller à la police
des ports. Mais El Guebbas nous écrit qu'il ne
peut pas nous, garantir que les contingents ma-
rocains, prévus par l'acte d'Algésiras pour assu-
rer cette police, n'assassineront pas leurs ins-
iructeurs européens. Dans ces conditions, nous
avons l'intention de substituer, d'une façon
toute momentanée, toute provisoire, des contin-
gents français et espagnols aux contingents
marocains. Dès que le calme sera rétabli, nous
reviendrons à l'acte d'Algésiras. »
En dénaturant cette explication naturelle et
irréfutable, on a fourni à la malveillance de di-
vers journaux et à l'ignorance de certains au-
tres l'occasion d'attaquer injustement la politi-
que française. Lo gouvernement allemand,
mieux informé, n'a pas tenu compte de ces in-
sinuations, et il a répondu dans les termes
mêmes où il était souhaitable qu'il répondît. Il
a fort bien compris qu'il s'agissait d'une dispo-
sition toute passagère, destinée uniquement, en
assurant la sécurité présente, à faciliter la for-
mation des troupes de police marocaines insti-
tuées à Algésiras. Les décisions de la confé-
rence gardent donc leur plein effet. Mais le gou-'
vernement impérial reconnaît que les événe-
ments de Casablanca confèrent à la France un
titre indiscutable à obtenir satisfaction. Il af-
firme qu'en présence de ces circonstances « dé-
licates » et « exceptionnelles », il n'a pas l'in-
tention de préparer des difficultés à la France.
C'est, dans une forme un peu enveloppée, une
:courtoise adhésion.
La note allemande contient, il est vrai, quel-
ques réserves. Mais ces réserves ne nous gênent
̃point. Et quelques-unes sont la sagesse même.
Lo gouvernement allemand exprime le désir que
les graves dommages subis par le commerce de
.Casablanca ne se renouvellent pas. Si c'est un
reproche déguisé à notre adresse, il est immé-
rité. Car les gens qui se plaignent du bombar-
'dement auraient couru grand risque, si nos ca-
nons ne les avaient protégés, de perdre à tout
jamais la possibilité de se plaindre. Des condi-
tions mêmes dans lesquelles pourrait se pro-
Iduire l'occupation des ports par des contingents
européens, la note allemande dit peu de chose.
'Elle reproduit seulement l'opinion du chargé
!d'affaires d'Allemagne à Tanger, M. de Lang-
iwerlh, qui estimé que l'établissement d'un corps
de police étranger pourrait provoquer contre
̃cette ville une dangereuse attaque des tribus
montagnardes, « surtout si ces, mesures
n'étaient pas prises avec des forces absolument
suffisantes ». M. de Langwerth sait mieux que
personne et il est trop loyal pour le contester
> que si nous avions voulu débarquer à Tan-
'ger, nous aurions pu le faire dès le mois de dé-
cembre 1906, au moment de la démonstration
navale à laquelle l'Allemagne avait souscrit.
Nous ne méconnaissons aucune des difficultés
d'une tâche que nous voulons accomplir parce
que nous avons promis de l'accomplir. Et il est
notoire que si nous avons agi avec autant de
prudence, notamment dans l'atïaire des car-
touches de Mazagan, c'est surtout dans la
crainte de provoquer des troubles. On n'a donc
pas à redouter que nous n'intervenions à la
légère.
On a, par contre, mille fois raison d'attirer
notre attention sur le danger qu'il y aurait à
faire quoi que ce soit sans réunir des « forces
absolument suffisantes ». Sans nous approprier
FIE~UJt~~ETTOM DU Qi.eUlp5
DU 11 SEPTEMBRE 1607 (10)
CHRISTEN RUSSI
XIX = Suite
Le soleil se couchait, dardant ses derniers
rayons sur la vaste cour dallée du Hochfluch,
quand Félix s'approcha de son frère, qui se re-
dressait, un peu las du rude labeur de la
ijournée.
Le joli visage de Félix portait un sourire lé-
gèrement embarrassé il ne savait trop com-
ment entamer le sujet qui lui tenait au cœur.
Ah! te voilà? dit Tobias, un sourire éclai-
rant son visage sérieux.
;i Eh! oui, me voilà! fit Félix.
i II tourna quelque peu autour de son frère;
puis quand les valets se furent éloignés, il se
rapprocha de Tobias, assis sur une grosse
jpierre, en train d'essuyer son front et ses che-
;veux mouillés de sueur.
Dis donc. je les ai vues, les filles à Russi 1
chuchota Félix, le visage rouge, les yeux bril-
lanls. Malin! de jolies filles, va! Elles n'ont
pas leurs pareilles ici, tu peux m'en croire.
Les deux aînées sont bonnes à marier, la troi-
sième ne compte pas. Mais ces deux-là! Je
ïiis que j'en ai eu le sang réchauffé pour tout
l'hiver, rien que de les voir. L'aînée. Oh! mais
la seconde surtout! Des yeux! des yeux pa-
reils aux campanules que tu as fauchées ce
matin. et des cheveux! doux comme la
«oie, et sombres comme les tiens. et une taille.
Allons, allons, calme-toi, fit Tobias avec
,un sourire ironique. Tu en as assez dit; et crois-
anoi, écoute un conseil laisse ces gens-là tran-
quilles. Je sais bien que tu t'enflammes le matin
,pour la brune, et le soir pour la blonde. Mais
ne cherche pas les Russi. Il y a d'autres belles
filles au monde. et le grand-père hait cet
homme comme je ne savais pas qu'il fût possi-
ble de haïr.
Félix prit un air boudeur.
Je ne suis pas du tout sûr de n'être pas déjà
follement amoureux de cette jeune dit-il
d'un ton offensé.
Reproduction interdite.
les évaluations fantaisistes d'un journal an-
glais, qui indiquait pour les effectifs à envoyer
dans les ports des chiffres invraisemblables,
nous sommes .convaincus que le gouvernement
ne commettra pas la faute que signale la note
allemande en nous conseillant de l'éviter. A
Casablanca même. nous avons fait le néces-
saire, mais nous l'avons fait trop lentement. Et
on a pu, pendant trois semaines, songer plus
d'une fois aux« « petits paquets », depuis long-
temps condamnés. Ce serait folie de retomber
dans cette vieille erreur. Si nous en venons à
débarquer des hommes dans les ports ouverts,
que ce soit en nombre suffisant pour protéger
efficacement ceux que nous avons la charge de
protéger, et pour ne pas exposer en vain la vie
de nos soldats. Notre action, sans cela, ne serait
pas seulement stérile elle serait néfaste et
coupable.
La réponse allemande ne dit rien d'une autre
question qui a été discutée ces jours-ci la
question des indemnités. Mais il ne semble pas
qu'elle doive donner lieu à des difficultés. La
note, communiquée hier par le gouvernement
français montre qu'il est décidé à suivre la
procédure adoptée après le bombardement
d'Alexandrie. Il est superflu d'ajouter que cette
solution nous paraît excellente, puisque c'est
le Temps qui, samedi, a pris l'initiative de la
recommander.
«$»
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps
Munich, 10 septembre.
La conférence internationale de la paix a tenu hier
sa séance d'ouverture, à laquelle le président du con-
seil bavarois, M. de Podewils s'était fait représen-
ter par le baron de Bpehm, qui a fait ressortir qu'il
devait, à l'heure actuelle, être évident pour tous que
l'Allemagne entière était animée dé sentiments pa-
cifiques, et que si elle restait armée et forte, elle
n'avait pas d'autre but en vue que le maintien de la
paix. C'est-à ce titre, a ajouté M. de Bœhm, que le
gouvernement bavarois apporte au congrès le té-
moignagne de ses sympathies.
Le second bourgmestre de Munich a aussi assuré
le congrès des sympathies générales, «même de ceux
qui ont pour ses efforts des regards sceptiques ».
C'est M. Frédéric Passy qui a répondu par un dis-
cours qui a valu à l'apôtre octogénaire du pacifisme
une chaleureuse ovation.
Berlin, 10 septembre.
On annonce qu'une grande partie des rebelles qui
tenaient encore la campagne avec le capitaine des
« Bondelswart » Morenga ont fait leur soumission
aux autorités de la colonie allemande de l'ouest afri-
cain.
La flotte allemande est partie pour les côtes du
Sleswig du nord, où elle entreprendra avec de la
cavalerie et de l'infanterie des manœuvres de dé-
barquement.
Belgrade,' 10 septembre.
A l'occasion de son anniversaire, le prince héritier
a posé solennellement lundi la première pierre de
la nouvelle Skoupchtina. Tout le corps diplomatique
assistait à la cérémonie.
Une réception a eu lieu ensuite, au cours de la-
quelle le prince héritier a été félicité.
La foule est entrée. ensuite dans le palais; elle a
chaleureusement acclamé le roi, le prince héritier et
la famille royale.
Prague, 10 septembre.
Dans la petite ville de Prachatitz, ville mixte, des
fêtes tchèque et allemande avaient été annoncées
pour dimanche, et par crainte de désordres la police
avait défendu l'une et l'autre. Cela n'a pas empêché
des manifestants politiques de s'y rendre en excur-
sion on a compté 700 arrivées d'Allemands et 400
de Tchèques. Aussi les querelles n'ont-elles pas
manqué il y a eu des coups et blessures, quelques-
unes assez graves, et des interventions de la police
et même de patrouilles militaires.
En Moravie, à Witkowitz, une ville de hauts four-
neaux et de forges où les socialistes sont en nombre,
il y a eu également des rixes entre Tchèques et
Allemands, moins violentes toutefois.
Le monument commémoratif en l'honneur de
Rieper a été inauguré à Horitsch, son lieu de nais-
sance c'est M. Herold qui a pris la parole.
,-rr- ♦ -J 1
DERNIÈRE HEURE
Les obsèques de Sully Prudhomme
tes obsèques de Sully Prudhomme ont été célé-
brées à neuf heures trois quarts, à la Madeleine. Le
cercueil, qui était dépdsé depuis deux jours dans un
des caveaux de l'église, avait été placé ce matin sur
un catafalque, au centre de la nef. La décoration de
l'église était sobre. Le poète avait manifesté le désir
que ses obsèques fussent simples.
L'office liturgique en plain-chant fut exécuté par
la maîtrise de 1 église et l'absoute donnée par le
premier vicaire de la paroisse. Le cercueil fut en-
suite transporté sur le corbillard et le cortège se
dirigea vers le Père-Lachaise par les grands boule-
vards. Quelques couronnes envoyés par des admi-
rateurs, malgré le vœu du poète qui n'avait pas
souhaité cet hommage, furent adressées directe-
ment au cimetière sur le corbillard, ni fleurs ni
couronnes.
Grand bêta! Toujours après quelque cotil-
lon dit Tobias non sans quelque dédain. Mais
de ce côté-là, gare! Je te surveillerai, et je t'em-
pêcherai de faire quelque sottise.
Il frappa son frère sur l'épaule, et se dirigea
vers la maison, suivi de son cadet.
Cet incident créa une ombre entre eux. Félix,
à partir de ce jour, se départit de son habituelle
confiance envers son aîné; et celui-ci se crut en
droit de prendre des airs de maître d'école peu
agréables à l'impétueux jeune homme.
Une semaine s'écoula. Vint un dimanche au
ciel gris, évidemment chargé des premières nei-
ges de l'hiver imminent.
La cloche de l'église, sonnant à toute volée,
amenait à l'office une nombreuse congrégation;
car lorsque le froid piquait au dehors, les Frutt-
nellois savaient apprécier le tiède abri des murs
épais. Parmi les villageois, se hâtait Colomban,
conduit par un petit gars; toutes les fois qu'il le
pouvait, le pauvre vieillard venait occuper sa
place dans la maison de Dieu.
Le prési, encadré de ses deux petits-fils, fut le
dernier à s'acheminer vers l'église. A sa vue, les
hommes assemblés au dehors arrachèrent vive-
ment leur chapeau, le saluant avec obséquio-
sité, comme s'il eût été d'une essence supé-
rieure. Et se regardant l'un l'autre avec une
sorte de fierté, ils semblaient se dire « HeinJ
l'as-tu vu, le vieux?. C'est lui, notre prési-
dent »
Le prési entra d'un pas ferme et se dirigea
vers son banc, où les deux garçons prirent
place à ses côtés. La jeunesse mâle du village
était déjà massée sur la tribune où le nouveau
maître d'école jouait de l'harmonium; tous les
yeux se fixèrent sur les hommes de Hochfluch.
De fiers gaillards! pensaient les villageois, me-
surant de l'œil la haute taille, la flère prestance,
la vigoureuse carrure des trois fermiers.
Quand le prési démissionnera pour de
bon, il n'y. aura pas loin à aller pour lui trouver
un successeur, pensa plus d'un, en regardant
Tobias.
Cependant Sa Révérence, sortant de la sa-
cristie, bénit l'assistance et se dirigea vers la
chaire, dont les degrés craquèrent sous son
pied lourd.
Les garçons de l'école étaient assis en rang
sur les marches de l'autel. Le petit Seppé Gun-
ter, un vrai vaurien, chuchota à l'oreille de ses
camarades qu'il faudrait bientôt creuser le de-
vant de la chaire afin que le curé pût y encadrer
son bedon et tous les polissons de rire. A peine
les éclats étouffés de leur intempestive gaieté
s'étaient-ils calmés que Seppé, glissant sa main
jous le derrière rebondi du jietit Jonas. le einc.a
Les troupes rendaient les honneurs militaires à
Sully Prudhomme, grand-officier de la Légion
d'honneur, massées devant l'église c'étaient un ré-
giment d'artillerie, un régiment de cuirassiers et un
régiment d'infanterie.
Le deuil était conduit par M. Henri Gerbault, ne-
veu du poète. Le président de la République était
représenté par le commandant de Keraudren et le
ministre de l'instruction publique par M. Jules Gau-
tier, directeur de son cabinet.
Une délégation de l'Institut venait ensuite, com-
posée de MM. Frédéric Masson, Gaston Boissier,
Paul Hervieu, Jules Lemaître, François Coppée et
Etienne Lamy. M. Victor Margueritte représentait
la Société des gens de lettres, dont il est président.
Dans l'assistance, de nombreux littérateurs, le
maire et les conseillers municipaux de Châtonay, les
représentants de la grande-chancellerie de la Légion
d'honneur, plusieurs officiers généraux et hauts
fonctionnaires, etc.
L'inhumation a eu lieu à midi et demi au Père-
Lachaise aucun discours n'a été prononcé.
L'insécurité de Marseille et M. Antide Boyer
M. Clemenceau a reçu hier.nous l'avons annoncé,
M. Antide Boyer, député des Bouches-du-Rhône,
qui, à la suite des exploits multipliés des malfaiteurs
marseillais, était venu l'entretenir de l'inquiétude
croissante de la population et de son intention de
.l'interpeller, à la rentrée des Chambres, sur la réor-
ganisation de la poliée.
Un de nos collaborateurs a rencontré ce matin M.
Antide Boyer et l'a interrogé sur son entrevue avec
le président du conseil.
-Nous avons, avec M. Clemenceau, a-t-il dit, arrêté
la date, non pas comme on l'a annoncé, de l'interpel-
lation, puisque le président du conseil accepte le débat
et veut que la question soit réglée le plus tôt possible,
mais de la discussion, qui est inscrite en tête de l'ordre
du jour de la rentrée des Chambres. Il y a déjà un
projet que prépare M. Hennion, sur les ordres du mi-
nistre de l'intérieur M. Clemenceau m'a invité à en
prendre connaissance et à formuler mon opinion, dès
que je l'aurai lu; jattends pour cela M. Hennion, qui
est absent de Paris et va rentrer incessamment.
D'où vient que les municipalités qui se sont suc-
cédé à Marseille n'aient rien fait de sérieux pour
donner à la ville la sécurité qu'elles réclament?
Ce n'est pas de leur faute. Au temps où M. Flais-
sières, socialiste, était à l'hôtel de ville, il y eut des
réclamations formulées, des vœux émis par le conseil
municipal et le conseil général le gouvernement fit
des promesses et ne les tint pas. M. Chanot, républi-
cain a succédé à M. Flaissières il y a cinq ans, et de-
puis la situation n'a pas changé. Une ville abeua vou-
loir organiser chez elle sa police, elle ne peut le faire
qu'avec l'autorisation de l'Etat. Marseille, qui est prête
à bien des sacrifices et dont les élus auraient pris plu-
tôt dix fois qu'une tes mesures de sécurité nécessai-
res, est réduite à l'inaction par suite de l'indolence du
pouvoir central et des lacunes de notre législation.
En voulez-vous une preuve 1 Avant de partir pour
Paris; j'ai vu M. Bonnaud, commissaire central de
Marseille.
o Que l'on prenne les mesures suffisantes et que
l'on me donne des ordres, m'a dit ce fonctionnaire, et
dans un mois il n'y aura plus do malfaiteurs à Mar-
seiile. Nous les connaissons tous; nous savons où ils
logent, nous n'ignorons pas leurs habitudes, leurs lieux
de rendez-vous.
» Mais la loi ne nous autorise pas à les arrêter et le
parquet ne maintient leur arrestation qu'en présence
d'un délit caractérisé.
Si nous invoquons contre eux le fait de vagabon-'
dage, ils trouvent toujours le moyen de produire des
certificats de patrons menuisiers, charpentiers, serru-
riers. électriciens ou autres, attestant qu'ils ont tra-
vaillé à tel endroit pendant tant de jours et établissant
que leur cess ation de travail est momentanée. Pour
leur appliquer d'office la peine de la relégation, il fau-
drait des cas difficiles à établir, ou des lois qui n'exis-
tent pas. Aussi leur audace ne connaît-elle plus de
bornes. »
D'autre part, m'explique M. Antide Boyer, les agents
de M. Bonnaud sont en nombre tout à fait insuffisant
ils en sont réduits à chercher d'abord à se défendre
deux agents en service sont souvent attaqués par des
bandes de quatorze ou quinze nervi, et ce en plein
jour tout comme en pleine nuit. On disait, il y a quel-
que temps, que la banlieue seule était dangereuse, et
que du moins le centre de la ville était sûr. Les mal-
heureux événements de ces jours derniers ont montré
que la Canebière, la rue Paradis, la rue Saint-Fer-
rôol et le cours lîelzunce étaient entre les main» des
apaches.
Les assassinats, .les tentatives de meurtre, les vols
les exactions de toutes sortes sont de chaque jour et
presque de chaque heure. Et comment en serait-il au-
trement ? On saisit sur un nervi un revolver ou une
canne quelconque on devrait autant que possible
éviter qu'il rentre en possession de ces armes, afin
de supprimer chez lui les moyens de nuire. C'est le
contraire qui a lieu. A certaines époques, le parquet,
la police ou la ville, je ne sais au juste, font procéder à
la vente aux enchères des revolvers, couteaux catalans
et poignards précédemment saisis et les apaches vien-
nent, à la barbe et sous l'œil des agents qui les con-
naissent, racheter eux-mêmes leur propre revolver où
parfois sont encore des cartouches oubliées.
Les commerçants de Marseille ont-ils constaté
une baisse réelle dans leur chiffre d'affaires?
Trop réelle. Non seulement bien des touristes
évitent de s'arrêter, mais ceux que leurs occupations
obligent à venir à Marseille y font leur séjour le plus
court possible, rentrant à leur hôtel de très bonne
heure et souvent préférant prendre un train de nuit
pour aller ailleurs reposer ou villégiaturer plus tran-
quillement.
Aussi tout le monde est-il d'accord sur une réforme
immédiate. Socialistes, républicains et conservateurs
marseillais sont absolument prêts à refuser l'impôt
d'abord tout comme dans le Midi viticole, puisque
le moyen est bon à se défendre euXTmêmes ensuite
par tous les moyens, si l'on n'intervient pas et si l'on
n'accorde pas à la seconde ville de France les forces
de police dont elle a besoin. J'ai averti M. Clemenceau
de cet état d'esprit, de ces résolutions bien arrêtées.
Le président du conseil m'a répondu Je préfère
prévenir le mal que d'avoir à sévir. ̃> Soit. C est au
gouvernement à faire preuve de bonne volonté et
d'énergie, s'il ne veut endosser les pires responsabi-
lités.
En terminant M. Antide Boyer m'indique que la
réorganisation de la police marseillaise comprendra
probablement la création d'un service spécial et
complet pour la surveillance des mœurs et me fait
part de son intention d'obtenir contre les apaches
des lois d'exception.
de façon à lui arracher un cri perçant. Déjà
les autres recommençaient à glousser; mais le
prési se dressa soudain au milieu d'eux; du
pouce et de l'index, il prit le délinquant au col-
let, et le traînant tout le long de l'église, il s'ap-
prêta à le jeter ignominieusement dehors.
Le curé ouvrait le livre de prières et le prési
avait la main sur le loquet, lorsque la porte fut
poussée de l'extérieur.
Christen Russi et Furrer se trouvèrent face
à f ace.
Un instant ils se regardèrent droit dans les
yeux. Profitant de la diversion, Seppé leur fila
entre les jambes comme une anguille.
Furrer tourna sur lui-même et regagna sa
place d'un pas pesant. Derrière lui marchait
Russi, suivi de ses trois filles. Au lieu de demeu-
rer au fond de l'église ainsi que le font d'habi-
tude les retardataires, ils s'avancèrent jusqu'aux
premiers bancs. Russi s'assit parmi les hom-
mes, et les trois jeunes filles se placèrent mo-
destement au milieu des femmes. Eu dépit de la
prière commencée, toutes les têtes se dressè-
rent, tous les yeux se tournèrent vers les nou-
veaux venus. Et quand le curé voulut commen-
cer le prône, sa voix fut presque couverte par les
murmures et les chuchotements. Quant aux
jeunes gens, sur la tribune, oubliant le lieu où
ils se trouvaient, ils échangeaient vivement
leurs opinions sur les trois filles de Russi.
Le hasard fit qu'elles se trouvaient placées
l'aînée, et en même temps la plus grande, de-
vant la seconde, qui était elle-même placée de-
vant la troisième.
Une échelle, quoi! fit un plaisant.
Oui, mais une chic échelle! répliqua le
gros Joseph Griin, fils d'un riche fermier, en se
léchant les babines.
Les trois jeunes filles, qui avaient tenu leur
tête inclinée, se redressèrent alors, s'assirent,
tournées vers l'assistance, et les jeunes gens
purent apercevoir leur visage.
Une seule était brune, les deux autres blon-
des toutes trois avaient les traits plus fins, le
visage plus délicat, les joues moins rouges
que les filles de Fruttnellen et les garçons de les
critiquer: « Trop léché! Trop mijaurée! » disait
l'un. « Trop pain blanc! » prononçait l'autre.
Mais ils n'étaient pas sincères; et plus d'un en-
via secrètement la statue de bois de saint Jo-
seph, qui pouvait regarder en face ces jolies
filles tout le temps du service divin.
Elles étaient simplement vêtues de noir; mais.
leurs robes ajustaient bien leur taille svelte et
semblaient élégantes, comparées aux antédilu-
viennes, toilettes du dimanche des femmes de
Fruttnellen.
Malgré elles, les jeunes filles se sentaient. gê-
nées par la curiosité stuoide da tou* ces &egsj^
SOCIALISTES ET RADICAUX
s;
s D^x journaux d'information et d'interviews,
y Echo de Paris et te Matin' interrogent les per-
t'~c~o
sonnalités importantes du parti radical sur les
dernières déclarations de M. Jaurès. L'Echo de
Paris a vu les grands chefs. M. Ranc a déclaré:
« L'accord entre radicaux et socialistes me
paraît, après Nancy et Stuttgart, difficile,
sinon impossible. » Quant à M. Ferdinand
Buisson, il est navré « Comment Jaurès
a-t-il pu faire une chose pareille 1. C'est
très grave, très grave. Ils auraient fait là une
chose 1. »M. Ferdinand Buisson n'a pas achevé
sa pensée; et c'est par là qu'il a donné la mar-
que la plus probante de sa sincérité. Car M. Fer-
dinand Buisson vit de contradictions et d'incer-
titudes. Il ne pense jamais jusqu'au bout. Il
ménage tout le monde et il se ménage lui-même;
nous voulons dire qu'il a toujours peur de com-
promettre le lendemain, son lendemain.
Les interrogés du Matin, moins pressés ou
moins sceptiques, n'ont pas enveloppé' leur
opinion de tous ces langes. M. Raoul Péret,
député de la Vienne, dont on a remarqué cer-
tains rapports sur des questions juridiques,
déclare « Du moment où il est acquis que le
devoir du prolétariat, excité par. M. Jaurès et
ses amis les unifiés, sera-de se servir dit fusil
contre les gouvernants, au lieu de l'employer à
repousser les envahisseurs, nous n'avons plus
que faire de pareils malfaiteurs, ni à la Cham-
bre ni dans nos arrondissements. » M. Massé,
député de la Nièvre, dit « Lorsque nous avons
dénoncé les abus qui existaient dans l'armée,
nous avons en même temps affirmé bien
haut notre amour de la patrie, notre profond
attachement pour l'armée, sans laquelle la
France ne saurait rester forte et indépen-
dante. M. Georges Trouillot, sénateur, du
Jura et plusieurs fois ministre, se prononce
fort nettement. Selon lui, il est impossible aux ra
dicaux de « contracter une alliance quelconque,
parlementaire ou électorale, avec des hommes
qui crient « A bas la patrie 1 A bas la Républi-
que I »M. Chastenet, député républicain de la Gi-
ronde, se sépare des socialistes avec émotion et,
semble-t-il, avec une nuance de regret; tandis
que son collègue et compatriote M. Chaumet
constate entre les socialistes et les républicains
cette différence essentielle, cet abîme: « Nous
sommes Français avant tout. Enfin, dans la
Grande Revue qui vient de paraître, M. Pierre
Baudin, l'ancien ministre du cabinet Waldeck-
Rousseau, l'un des radicaux qui ont montré
dans les crises de ces dernières années le
plus de prévoyance et d'esprit politique, écrit
cette sentence décisive « Stuttgart marque le
déclin non d'un caractère (Jaurès ne fut jamais
un caractère), mais d'un politique, car Jaurès
fut à certaines heures un véritable politique. Le
dur reniement de Bebel, la cinglante et robuste
leçon de Vollmar sont moins humiliants pour
lui que l'effort tortueux qu'il a dû faire
afin d'aboutir à cette déclaration niaise et
fourbe où chacun a pris ses réserves à l'égard
des autres, où les Allemands gardent leur
arrière-pensée patriotique, Hervé et Jaurès
leur pensée antipatriotique. Et voici la sente
bourbeuse où se retient, se perd, s'enfonce
la grande avenue, ample, droite et claire,
où la pensée éloquente de Jaurès semblait de-
voir toujours s'avancer; voici à quelle explica-
tion il condescend ou bien il se sent acculé:
« Quant à la résolution de Stuttgart, écrit-il
dans la Dépéche, elle est si éloignée de faire fi
de ^existence et de la liberté des nations qu'elle
dé,termine, en attendant l'heure où prévaudra
l'arbitrage international, la meilleure organisa-
tion, la plus démocratique à la fois et la plus
efficace, des moyens de défense de chaque
pays. »
M. Pierre Baudin a découvert la suprême
faiblesse de M. Jaurès, ces articles de la Dépê-
che, dont nous nous proposions de faire état et
.qu'il faut toujours lire si l'on veut se rendre un
compte exact des incohérences misérables où
se débat l'ex-leader désemparé. Depuis qu'il a
accepté de servir en sous-ordre, il n'a plus la
même virtuosité qu'autrefois et l'on sent de la
gêne dans ses volte-face. Il ne lui reste que l'au-
dacede se contredire à quelques jours de distance
et d'affecter insolemment une unité de doctrine
dont il ne se soucia jamais. Nous avons montré
naguère qu'il était parti pour le congrès de
Nancy avec la crainte de ne pouvoir sauver
tout à la fois Hervé et Griffuelhes, l'antipatrio-
tisme et la révolution. Une fois à Nancy, il eut
peur d'Hervé et il le «repêcha», selon l'expres-
sion même d'un délégué. RevenantdeStuttgart,
il a vu que ses collaborateurs radicaux socia-
listes de la Dépéche, M. Camille Pelletan et
M. Bouglé, lui reprochaient sa complaisance
excessive pour l'hervéisme. Aussitôt, il s'est
efforcé de tromper les populations radicales du
Sud-Ouest qui lisent le journal toulousain; et
il a risqué les explications embrouillées dont
M. Pierre Baudin donne un extrait. Mais quand
il s'est retrouvé à Paris, samedi, dans une
réunion publique devant les hervéistes, son
habitude d'accepter les exagérations les plus
violentes lui a dicté ce discours forcené où
les regards malveillants brûlent, même lors-
qu'on ne semble pas les voir. L'aînée, Josèphe,
grande et belle fille de dix-neuf ans, à la taille
élancée, au visage pur et grave comme éclairé
par une lumière intérieure, tournait parfois
vers son père ses profonds yeux bleus, d'un air
d'inquiétude. Mais Russi était assis, calme et
froid, entre deux hommes qui, soit embarras,
soit mauvais vouloir, lui avaient laissé une large
place sur le banc, au dépens de leur propre
confort.
Pia, la cadette, était une ravissante brune de
dix-sept ans, aux yeux rayonnants, à la cheve-
lure indomptée. La délicieuse Marie, la plus
jeune, était blonde comme son aînée.
Dès que le curé s'interrompait pour tousser
ou se moucher, les deux plus jeunes filles de
Russi se dépêchaient de jeter les yeux autour
d'elles; mais les regards qu'elles rencontraient
étaient si durs et si malveillants que tremblan-
tes et rougissantes, elles se hâtaient de baisser
à nouveau leur jeune front.
Quand le prône fut fini, la messe commença.
Russi communia à côté des paysans, et ses filles
suivirènt les femmes. Celles-ci affirmèrent,
après le service divin, les avoir vues chacune
donner une pièce de un franc tout neuve à la
quête. Quand enfin l'office fut terminé, les villa-
geois attendirent à peine la bénédiction du curé
pour se ruer vers la porte. Les hommes formè-
rent la haie à gauche, les femmes à droite,
pour mieux dévisager les bêtes curieuses qui
n'avaient pas craint de venir se risquer au mi-
lieu d!eux.
Les trois jeunes filles sortirent les premières.
Les deux plus jeunes se serraient timidement
l'une contre l'autre, et elles firent passer Jo-
sèphe la première. Celle-ci s'avança, grande et
droite; son visage grave et ses yeux profonds
confrontaient les faces sombres comme pour
leur demander la raison de leur hostilité. Per-
sonne n'osa souffler mot. A son tour, le prési
fonça au dehors; en passant, il couvrit les jeu-
n'es filles d'un regard menaçant, sous ses sour-
cils en broussaille. Puis ce furent ses petits-fils;
Félix, rouge comme une pivoine, ne pouvait
détacher ses yeux du visage en fleur de la char-
mante Pià; il trébuchait en marchant et s'éloi-
gnait à regret, suivi de Tobias, dont le visage
austère s'était également nuancé de rougeur;
il ne trouvait plus si ridicule à cette heure son
frère, le coureur de cotillons. Enfin Russi pa-
rut sous le porche; il sourit- et se découvrit de-
vant la foule; les hommes, domptés, lui rendi-
rent son salut. Précédé de ses filles, il longea la
fraie vivante; ils s'éloignèrent sans qu'un mot
du un geste eussent indiqué une intention bles-
sante à leur égard.
,jLïisi_Jk^^èfi JÏU'ils eurent disparu^ les
il a dépassé les antipatriotes les plus extrava-
gants. La terreur de ne pas être applaudi par
les excessifs de son parti l'avait emporté sur la
prudence du sophiste. Ce matin, dans son jour-
nal l'Humanité, il reprend le thème de la Dé-
pêche de Toulouse. C'est qu'il était seul à seul
avec son encrier et que l'heure de la ruse
avait sonné après l'heure du cynisme. Tel
est maintenant M. Jaurès, loque flottante,
que le geste de M. Gustave Hervé anime.
fascine, magnétise. Il voudrait parfois se
ressaisir pour les lecteurs de la Dépéche et
pour sa clientèle parisienne qu'il amusait
jadis comme un artiste; mais il ne le peut
pas. Bien vite, il retourne à l'obéissance. Et ja-
mais plus il n'aura d'opinion ni de pensée qui
lui appartiennent en propre; car on sait le
moyen de le faire marcher. M. Gustave Hervé,
vigoureux, s'est emparé de l'instrument so-
nore. Après lui, tous les énergumènes pourront
s'en servir à leur gré.
<î>
LE SCRUTIN DE LISTE
Au directeur du Temps.
Le premier point, c'est le rétablissement du scru-
tin de liste. Ne perdons pas notre temps à refaire
une millième fois le procès, si minutieusement ins-
truit, du scrutin d'arrondissement. Ce qu'on en dit
encore aujourd'hui, et le disait déjà il y a vingt-
deux ans, en 1885, et tout ce qu'on pouvait dire
alors, on peut, à meilleur titre, le redire encore au-
jourd'hui, après une nouvelle expérience de dix-huit
années et de cinq législatures. Voici sous quels chefs
d'accusation principaux, en dernier lieu, MM. Etienne
Flandin et Paul Bignon, l'un dans son rapport, l'au-
tre dans une proposition de loi, ont ramassé les or-
dinaires griefs
Le scrutin uninominal donne plutôt ta mesure de la
popularité des personnes que la mesure exacte de l'o-
pinion des circonscriptions; il fait de l'élu non le re-
présentant des intérêts généraux de la nation, mais
trop souvent le chargé d'affaires privées de ses élec-
teurs il livre beaucoup à la corruption, et circonscrit
dans les étroites limites d'un flet la pensée et l'action
de l'élu. Il réduit ainsi le député à l'état de dépendance
que Gambetta appelait « l'assujettissement électoral »
et la représentation nationale à l'état de moreellement
qu'il appelait le miroir brisé où la France ne recon-
naît plus son image ». Le représentant, en bien des
cas, n'est plus un « représentant » que dans le sens
commercial du mot, le mandataire, auprès dos pou-
voirs publics, des ambitions, des intérêts particuliers.
A quelle heure travaillerait-il ? Il marche, il marche, ce
démarcheur. • S'il n'est pas à la Chambre, il fait anti-
chambre s'il n'assiste pas aux commissions, il en fait. »
Et, comme il est partout où il ne devrait pas être, il dé-
range tout; mais, comme il n'est jamais où il devrait
être, tout le dérange. D'où « le pouvoir sans contrôle,
la députation sans autorité, le système représentatif
devenu une fiction ». Avec ce régime-là, plus de prin-
cipes, point de programmes, pas de courants d'opi-
nion: rien que des sympathies et des antipathies, rien
que des déceptions et des espérances, convoitises ou
illusions. Grâce à quoi les contraires se rapprochent
au premier tour, et au ballottage les extrêmes se tou-
chent, au grand dommage de la clarté, de la sincérité
et de la moralité publique.
La seule observation que je veuille ajouter, la
seule, mais elle est décisive, c'est que le scrutin
d'arrondissement ne fait nullement obstacle à cette
tendance fatale qu'ont les démocraties, suivant la
remarqué de John Stuart Mill, « à être entraînées
en bas par leur propre poids ». Loin d'empêcher ou
de ralentir la chute, il la précipite; car il condamne
et il habitue le député à trop « regarder sa circons-
oription », tandis qu'il incline, qu'il habitue l'éloo-
teur à trop « user » de son député, pour la satisfac-
tion de tous ses besoins, do toutes ses ambitions, de
toutes ses fantaisies, à le traiter on serviteur, sinon
en serf et pis encore, à le mettre, comme on dit
vulgairement, « à toutes les sauces ». En cela, il
contribue, jusqu'à en être la grande cause, à l'abais-
sement du niveau de la représentation nationale,
de son niveau intellectuel; c'est entendu, mais il faut
avoir le courage de dire aussi son niveau moral, en
prenant le mot au sens le plus relevé, et quoique la
tenue morale du Parlement, malgré ce que la mali-
gnité pourrait alléguer au contraire, reste certaine-
ment plus haute que sa tenue intellectuelle. Avec
lui et par lui, par le scrutin d'arrondissement, toute
vie générale s'éteint: l'idée de la nation, en son
unité, en sa majesté, pâlit et s'efface. « Le miroir» »
est brisé trop menu pour réfléchir une aussi grande
figure qu'est la France. Ces circonscriptions multi-
pliées et closes sont comme des « épis », comme des
« brise-lames », qui s'opposent à la circulation des
courants d'opinion. Ce sont comme des douanes in-
térieures de la politique. Rien ne passe en franchise
d'un arrondissement dans l'autre, rien qui ne su-
bisse une appropriation, une déformation locale.
Sous ce rapport, spécial il est vrai, on a tort de se
plaindre qu'il n'y ait pas chez nous de « vie locale ».
Il y en a, en ce cas, excès. Mais prenons garde à ce
que signifient ici le mot « vie » et le mot « locale ».
L'arrondissement vit en son député, qui vit dans
son arrondissement, à moins qu'il ne faille corriger:
l'arrondissement vit de son député, qui vit pour son
arrondissement. La commune, le canton, l'arrondis-
sement vivent donc tant bien que mal. Ce qui man-
que, outre la vie générale ou nationale au sommet,
c'est, au milieu, au-dessus de la vie locale, la vie
régionale qui serait le moyen et le lien de l'une à
Fruttnellois retrouvèrent leur langue pour in-
vectiver les intrus et maudire l'insolence de
Russi; mais sous leur colère, on sentait un élé-
ment nouveau le respect pour l'homme riche,
arrivé.
Rentré à la ferme de Hochfluch, le fermier,
qui marchait en avant de ses petits-fils, laissa
passer Félix, et se retournant montra à Tobias
un visage défiguré par la colère.
Alors, tu l'as vu, hein? Il a osé venir nous
braver jusque chez nous! Canaille! Impu-
dent Et dire qu'il nous faut rester là, les bras
croisés! Il faudra peut-être que nous atten-
dions qu'il vienne nous souffleter en plein
visage!
Le vieux haletait de fureur.
Que nous veut-il?. Que vient-il cher-
cher ici?. répétait-il avec une rage impuis-
sante.
On eût dit qu'il connaissait la réponse à ses
questions.
XX
^es. }ours d'automne s'égrenaient calmes et
beaux, et chaque, jour l'activité grandissait sur
le Fluchwand. Des messieurs de la ville arri-
vaient chez Russi, apportant de si importantes
commandes qu'il dut doubler, quadrupler le
nombre de ses travailleurs. Le hameau de Wei-
ler devenait une petite ville. De légères cons-
tructions de bois destinées aux travailleurs sor-
taient de terre comme les coucous au prin-
temps. Et de sa maison de pierre, Christcn
Russi dirigeait tout d'une main ferme, imposant
l'ordre et la discipline par sa seule présence;
sous ses habits grossiers, il gardait la dignité
que donne la conscience de la force.
Et un jour Fruttnellen entra de nouveau en
rumeur.
Il était monté, à l'heure où les hommes sont
aux champs. Et il avait été tout droit chez le
curé!
cure
Chez le curé! Que pouvait-il avoir à faire
au presbytère?.
Bientôt Fruttnellen fut électrisé par une nou-
velle inattendue. Christen Russi, le tailleur de
pierres, avait déposé entre les mains de Sa Ré-
vérence une somme de trois mille francs pour
les besoins de la commune! Les plus hardis
questionnèrent leur pasteur à ce sujet, et n'eu-
rent pas de peine à démêler dans ses paroles un
respect involontaire pour l'ex-paria du Strah-
legg.
Bientôt on apprit que le curé s'était transporté
à l'école pour enjoindre aux galopins de mon-
trer désormais autant de déférence à Russi qu'à
lui-iiî^me, si d'aventure ils le rencontraient par
les routesï fiar le maître carrier pouvait à boa J
l'autre. Faute de vie régionale, nous sommes privée
de ces « corps intermédiaires » dont,parlait Montes-
quieu, si nécessaires dans une République faute
d'elle et faute d'eux, la France politique ne vit plus
qu'une vie infime resserrée dans de petits cercles où
le Plus opprime férocement et stupidement le
Moins, cependant que s'abat sur tous, en les écrasant,
la masse de plus en plus pesante de l'Etat. Mata
c'est à quoi devrait ponrvoir une sage décentralisa.
lisation, une déconcentration prudente des fonction»
administratives. Pour ce qui est strictement du suf«
frage, je me borne à indiquer, après M. Paul Bi-
gnon, qui l'a souligné très finement, que la substi-
tution du scrutin de liste au scrutin d'arrondisse-
ment faciliterait sans 'doute cette vie régionale
maintenant absente, par la conscience même qu'elle
obligerait candidats et élus à en prendre.
Telles sont, en raccourci, la plupart des raison»
que l'on a données, et quelques-unes de celles qu'on
pourrait donner contre le scrutin d'arrondissement,
en faveur du scrutin de liste. On y joint volontiers
« l'immense avantage qu'aurait le scrutin de liste
d'assurer à chaque département un nombre de re-
présentants proportionnel à sa population et de faire
ainsi disparaître aisément les criantes iniquités du
système actuel ». Iniquités criantes en etlet, nées
d'inégalités choquantes. Dans son rapport, M.
Etienne Flandin en a cité plusieurs exemples. Les
plus connus sont ceux de Castellane ou de Bai ce-
lonnettft par rapport à Nantes ou Roubaix. Il suffit,
à Castellane ou à Barcelonnette, de trois mille élec-
teurs pour avoir un député, et il en faut vingt-cinq 'i
mille à Nantes ou à Roubaix pour en avoir un. Ce
qui revient à dire que derrière l'égalité théorique
do tous les citoyens français, un citoyen des Basses-
Alpes compte huit fois plus qu'un citoyen de la
Loire-Inférieure ou du Nord, de par le scrutin
d'arrondissement.
Le scrutin de liste, qu'il ait pour base numérique
la population totale ou le chiffre des électeurs ins-
crits, rétablirait heureusement et l'équilibre et la
justice. Il ferait que sous la loi du nombre, le nom-
bre ne serait pas éludé, et que ̃ les règles n'en se-
raient pas ou faussées ou appliquées tout de travers.
Dans le régime qui remet la toute-puissance à la
majorité, il ferait que réellement la majorité des ci-
toyens auraient la majorité des représentants, et par
conséquent la plus grande part, qui leur revient de
droit, à l'exercice de la puissance. Et il en est temps
l'inégalité est devenue si choquante, l'iniquité a
criante, le Nord s'estime à ce point sacrifié au Midi,
ses arrondissements débordants de population, (poui
ne retenir aucune autre considération, et l'on en fait
valoir d'autres) sont si irrités d'être traités moint
bien que les arrondissements du Midi à population
rare, qu'ils commencent à s'agiter et à chercher lt
manière d'obtenir co que l'on y nomme déjà un«
« représentation proportionnée ».
Mais voilà; cette espèce de justice civique, d<
représentation proportionnée, le scrutin de liste la
distribuerait peut-être entre les départements. Pur
et simple, il no la distribuerait pas entre les partis.
Entre les partis, il accuserait même, il exaspérerait
les inégalités et les iniquités du scrutin d'arrondis-
sement. Avec le scrutin uninominal, grâce au frac-
tionnement du territoire en 591 circonscriptions, on
peut espérer qu'il n'y ait point une opinion qui n'ar-
rive à être représentée quelque part, et que le fort
portant le faible, il s'ôtablieBo par là en une mesure
incertaine, mais qu'il s'établisse pourtant une sorte
de compensation. Avec le scrutin de liste par dépar-
tement, ce sont cinq cents collèges électoraux
qui s'évanouissent, et par suite cinq cents chances
qui s'en vont, pour les opinions en minorité, d'éire
représentées, comme il est équitable et désirable
qu'elle les soient. C'est alors vraiment qu'il serait
permis de se plaindre qu'en France la moitié des
électeurs plus un soit tout, et que l'autre moitié ne
soit rien, que la moitié do la nation soit en main-
morte, personnes et biens, attachée à l'urne, ainsi
que jadis à la glèbe. Sans un tampon qui en amor-
tisse les coups, <- qu'on veuille bien me passer l'i-
mage, le scrutin de liste jouerait comme un mar-
teau-pilon formidable, à l'aide duquel la moitié dea
Français plus x broierait et annihilerait la moitié
des Français moins x.
S'il n'y avait pas de correctif possible, l'inconvé-
nient serait grave et de nature fût-il unique à
balancer tous les avantages. Mais le correctif esl
trouvé. Il est sûr. Il a fait ses preuves. La représen-
tation proportionnée par le scrutin de liste ne serait
qu'une demi-solution. La solution, c'est le scrutin d«
liste avec la représentation proportionnelle.
CHARLES BENO1ST,
LES AFFAIRES DU MAROC
Les affaires du Maroc ont eu hier leur centre d'in-
térêt moins en Afrique qu'en Europe, et la réponse
allemande à la note franco-espagnole, relative à la
police marocaine, a été le fait le pius important de
la journée. Nous en apprécions d'autre part l'inté-
rêt. Au Maroc même les hostilités sont depuis cinq
jours arrêtées, et comme le président du conseil le
déclarait hier, la situation est celle du statu quo.
L'attitude de l'Allemcgne
Sous le titre « Les événements du Maroc-», l'offl-
cieuse Gazelle de l'Allemagne du Nord publie la note
suivante
Un mémoire de l'ambassade de France remis le
2 septembre exposait que le gouvernement fiançai»
droit être considéré comme le bienfaiteur de la
commune. Et lorsque les gros bonnets du vil-
lage hasardèrent quelques objections, Sa Révé-
rence répliqua que le passé était passé, et que
l'intérêt du pays commandait qu'on demeurât
en bons termes avec un homme riche et géné-j
reux.
Bref, à partir de ce jour, les gens de Fruttncl-~
len se mirent à saluer Russi au passage, el
même à le saluer fort bas.
Un seul demeurait buté à son opinion le
prési ne désarmait pas; et lorsque Tobias sa
chargea de lui apprendre les largesses de son
ennemi à la commune, il s'approcha du vieux
avec un visage plus sérieux encore que de cou-
tume, car il savait combien la nouvelle allait
l'exaspérer.
Ah! ah! vraiment! fit le prési d'une
voix sifflante.
Il demeura quelques instants les yeux fichés
en terre, les mâchoires contractées; puis rele-
vant les paupières, il fixa sur son petit-fils un
regard étrange
Sais-tu que ce Russi a demeuré ici jadis?
demanda-t-il enfin.
Oui, je l'ai entendu dire.
Et sais-tu aussi qu'il en a été chassé?
Oui. il me semble. je l'ai entendu con-
ter vaguement.
Furrer se tut quelques instants; puis d'une
voix rauque, le regard enfiellé de rage
Et le pourquoi?. le connais-tu?. Sais-tu
pourquoi on a chassé cet homme du village?
Ma foi, non! Je n'en ai jamais entendu
donner la raison
Le vieux souffla avec force.
Eh bien, c'est à cause de moi! De moi! ré-
péta-t-il en appuyant sur les mots.
Tobias ouvrit les yeux.
Comment? Que s'était-il passé? deman-
da-t-il vivement.
Cela, tu n'as pas besoin de le savoir. C&
n'est pas ton affaire, et je suis bien aise que tu ne
sois pas au courant. Tu m'entends? Laisse,
cela tranquille. J'ai confiance en toi, mon
gars; et je te répète que je te défends de t'inf or-
mer auprès de qui que ce soit. Oui, c'est moi
qui le fis expulser. et tu peux m'en croire, j'a-
vais mes raisons. Ainsi, c'est dit tu ne t'oc-
cuperas pas de cet individu? J'ai ta parole?
Tope là!
Je ne m'en occupei-ai pas. Vous savez que
je ne suis pas curieux, rép»'(3ua Tobias avec
calme, frappant dans la main as son grand-,
père. ». zA~,
E. Zahk.
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