Titre : Le Temps
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1900-07-27
Contributeur : Nefftzer, Auguste (1820-1876). Fondateur de la publication. Directeur de publication
Contributeur : Hébrard, Adrien (1833-1914). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 27 juillet 1900 27 juillet 1900
Description : 1900/07/27 (Numéro 14292). 1900/07/27 (Numéro 14292).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
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VENDREDI 2T JUILLET
QUARANTIÈME ANNÉE. N° 14292.
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blique; ·
Les distributions de prix;
Les congrès.
1- Paris, 26 juillet
BULLETIN DE L'ÉTRANGER
CHINE
Li Hung Chang, paterne, plausible, compli-
menteur, souple et glissantcommeuneanguille,
•arrête ses pas à Shanghaï. Il y fait escale dans
son voyage vers le Nord, soit que les consuls
lui aient donné l'avis salutaire de ne pas se
presser, de ne rien forcer, pas même sa mar-
che, et d'attendre sous le regard vigilant des
puissances la tournure des événements, soit
que le vieux mandarin se sente peu de goût
pour Tien-Tsin et le quartier général des alliés.
Du reste, hôte volontaire ou détenu suspect,
Li fait bon visage à mauvais jeu. Nul n'excelle
comme lui à sauver sa face par .des attitudes et
^des formules.
Soudainement, l'Atlas qui devait porter sur
ses épaules le poids de l'empire chinois, l'hom-
me nécessaire et providentiel qui s'offrait avec
'une modeste confiance comme le médiateur en-
,tre deux moitiés de l'univers, est devenu un
pauvre vieillard ratatiné, ridé, débile, caco-
chyme, que de vigoureux assistants, bien mus-
clés et râblés, doivent soutenir sous les aisselles,
.dont les pas chancelants s'appuient éperdûment
-sur des bras vigoureux et fidèles et qui ne peut
-supporter bien longtemps les fatigues du palan-
quin.
Le pauvre homme! Il est sûr qu'il n'est plus
jeune. Depuis près de quarante ans que l'Europe
a fait la connaissance de l'ex-fou-taï Li (c'était
alors son grade et son nom), il a vécu sans mé-
nager ses forces ni économiser sa vitalité. Et
cependant il appartient à cette catégorie de
diplomates dont on se demande toujours quel
intérêt ils ont à être malades et que l'an s'attend
à voir jeter leurs béquilles et recouvrer leur
santé, comme Sixte-Quint, sitôt leur but atteint.
Ce but, il semble bien qu'on commence à le
discerner et qu'il ne soit autre que de gagner ou
de perdre du temps à tout prix. Li Hung Chang
est l'un des meilleurs metteurs en scène, s'il
n'est pas l'un des auteurs de la mauvaise comé-
die qui a consisté à créer la fiction d'un arran-
gement complaisant pour le gouvernement de
la Chine et qui permet à ce personnage, aux
vice-roisses complices, au gouverneurdu Chang-
Toung, au lao-taï Cheng de se jouer de l'Europe
et de lui bailler les bourdes les plus contradic-
toires en lui communiquant successivement,
comme partis du même endroit, revêtus du
même sceau et pourvus de la même autorité, les
décrets de l'empereur et ceux de l'usurpateur.
La farce serait plus supportable encore
qu'elle traîne en longueur si elle ne contri-
buait à maintenir indéfiniment l'incertitLie et
l'angoisse au sujet du mystère du sort des léga-
-tions et des Européens à Pékin. Pendant que
nos mandarins cueillent dans Confucius ou
dans Lao Tsé des sentences de haute morale
internationale et qu'ils nous servent gravement,
à titre de réponse à des questions précises,
• pressantes, des lieux communs, des familles se
.consument dans l'anxiété et le chagrin, de
grandes nations souffrent dans leur dignité.
On sait que les lettrés chinois ont un goût
passionné pour le jeu subtil et artificiel des cor-
respondances à allusions lointaines, à métapho-
res détournées, à versiculets inintelligibles.
Dans leurs romans, la situation la plus haletante
reste en suspens pendant l'échange prolongé de
ces froids concetti; la lettre la plus passionnée
d'un amoureux aurait mauvaise grâce si elle ne
s'interrompait pour donner place à ces- languis-
santes versifications.
Il faut faire entrer dans la tête aux mandarins
à globule rouge et jaquette jaune que le drame
qui se joue en ce moment ne se prête point à
ces gentillesses ni à ces retards; qu'il n'est que
temps d'aller droit au fait, de savoir enfin de
la seule façon décisive, par une communica-
tion authentique et datée des ministres -où en
sont nos nationaux à Pékin, et qu'ensuite il con-
viendra, en liquidant ce passé, de mettre l'ave-
nir à l'abri des retours offensifs de la barba-
rie.
Son Excellence Li Hung Chang paraît mal com-
prendre toutes ces nécessités. Il s'attarde à des
bagatelles, il transmet des messages auxquels
personne n'ajoute ni ne peut ajouter foi, il émet
des prétentions qui prêteraientàrire si la situa-
tion était moins grave. Quand il écarte l'hypo-
thèsede mutilations territoriales, encore qu'il n'y
ait que trop lieu de craindre que cet optimisme
ne soit plus de saison, il se rencontre avec celles
des puissances qui ne veulent pas, si possible,
d'une curée en Extrême-Orient.
11 est moins bien avisé quand il refuse d'a-
vance toute indemnité pécuniaire aux victimes
et aux Etats. C'est une plaisanterie et qui n'a
pas bonne grâce. L'orgueil des mandarins a
encore beaucoup à apprendre.
Ce sera le bon côté de cette crise formidable
si l'Europe y révèle à la Chine qu'elle n'est pas
une puissance de simple parade, qu'elle possède
des forces irrésistibles, qu'elle n'estreprésentée
d'ordinaire en Extrême-Orient que par des es-
pèces de symboles, que les Célestes auraient
tort de croire que ceux-ci épuisent toute la
réalité des moyens d'action de la civilisation,
et qu'il suffît d'une.provocation comme celle des
derniers événements pour justifier et nécessiter
une intervention à laquelle le Fils du Ciel et ses
quatre cents millions desujetsne sauraients'op-
poser avec quelque chance de succès.
me- 'M'JMM'M~ 1 1
FEUILLETON OU l&£\\VpS
DU 27 JUILLET 1900 (10
TOUT POUR L'ART
LIVRE FIRElS/r.IER
IX
Elisabeth Reinharz était assise dans sa petite
chambre pendant que le vent soufflait avec vio-
lence cl menaçaità chaque instant d'enfoncer les
vitres.
Mais elle n'entendait rien. Accoudée à la table
elle réfléchissait. La lampe éclairait gracieuse-
ment sa tête les petits frisons soyeux qu'elle
avait aux tempes étaient comme dorés.
Elle avait très chaud; ses joues n'étaient plus
hâves et pâleseommeàl'automne dernier; elles
avaient repris leur fraîcheur et s'étaient denou-
veau remplies.
Vous êtes fraîche comme une rose, lui
avait dit Mannhardt.
Et il avait raison, car jamais elle n'avait en-
core eu aussi bonne mine; ses yeux pétillaient
de gaieté, et de toute sa personne se dégageait
un charme qui réjouissait l'œil de ceux qui l'ap-
prochaient. Les Kistemacher eux-mêmes n'y
avaient point échappé; ils avaient oublié leur
susceptibilité et se miraient dans la splendeur
de leur protégée.
Je suis heureuse, je suis heureuse, fre-
donnait la jeune fille.
Elleaurait voulu embrasser tout le monde.
Deux, trois fois par jour, elle sautait au oou de
sa vieille Mile, avec une impétuosité qui rappe-
ait à cette dernière les années d'enfance de sa
Reproduction et traduction interdites.
DEPECHES TELEGRAPHIQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps
Berlin, 26 juillet, 9 h. 15.
Le prince de Hohenlohe, chancelier de l'empire,
et M. de Bülow, secrétaire d'Etat à l'office des affai-
res étrangères, sont partis pour Bremerhaven, où
l'empereur arrivera aujourd'hui même, et où ils lui
présenteront leurs rapports sur la situation politique.
Avant de quitter Berlin, M. de Bülow a eu, hier,
de longs entretiens avec les ambassadeurs de Rus-
sie. d'Amérique, de France, d'Autriche-Hongrie et
le chargé d'affaires de la Grande-Bretagne.
Madrid, 26 juillet, 8 h. 45.
Le prince Charles de Bourbon, second fils du comte
de Caserte est arrivé à Saint-Sébastien pour y pas-
ser quelque temps. La presse commente sa présence
à la cour comme la confirmation des bruits de ma-
riage avec la princesse des Asturies. La presse libé-
rale est maintenant d'avis que le parti libéral doit
s'incliner devant le choix de la princesse, parce que
les mariages royaux n'ont plus la môme importance
qu'autrefois. C'est un mot d'ordre donné par MM.
Sagasta et Gamazo, mais il sera cependant difficile
d'empêcher d'autres hommes d'Etat libéraux et in-
dépendants de combattre cette alliance que les ré-
publicains et M. Romero Robledo sont résolus à at-
taquer dans les Cortès.
Bucarest, 26 juillet, 8 heures.
Le nouveau président du conseil et ministre des
finances roumain M. Carp, qui est persona gratissima
auprès de la haute finance berlinoise, partira pro-
chainement pour Berlin, uù il enverra également
M. Maioresco, ancien ministre de Roumanie en Alle-
magne, pour tenter de remédier à la situation finan-
cière provoquée par la mauvaise récolte de l'année
dernière et déjà améliorée par son prédécesseur M.
Take Jonesco. Les premières négociations auront en
vue d'assurer le payement du. coupon d'octobre et
peut-être de consolider l'emprunt flottant de 175
millions.
Bordeaux, 26 juillet.
Lo vapeur Macina est arrivé du Sénégal h P&uil-
lac avec 189 passagers dont 88 militaires. Le Macina
ayant eu un malade en cours de route a été mis en
quarantaine et tous les passagers ont été débarqués
au lazaret où ils demeureront trois ou quatre jours.
Parmi eux se trouve un assez grand nombre d'offi-
ciers.
LES DISCOURS DU CONCOURS GÉNÉRAL
De fort belles paroles ont été dites, ce matin,
dans les discours prononcés à la distribution
des prix du concours général. C'est, d'abord,
M. Bompard, professeur au lycée Louis-le-
Grand, qui avait choisi un excellent sujet et qui
l'a développé dans les meilleurs termes. Nous
avons reconnu, au passage, quelques-unes des
idées les plus fines et les plus pénétrantes
qu'Ernest Renan ait exprimées. Non pas seule-
ment Ernest Renan, philosophe et généralisa-
teur, décrivant avec cette admirable liberté
d'esprit qui donnait un air d'imagination à
ses raisonnements les plus rigoureux et les
plus précis les grandes courbes de l'his-
toire mais Ernest Renan étudiant, en des
ouvrages qu'on n'a pas assez relus, une
des causes principales de tous les malaises et
de toutes les crises dont la France est si sou-
vent agitée. « Tandis que partout ailleurs, a dit
M. Bompard,. les peuples se serrent, pour ainsi
parler, autour de leurs grands écrivains, s'enor-
gueillissent de leurs œuvres et se parent de
leur gloire, il y a chez nous une séparation entre
la foule et l'élite, et ce malentendu est le mal le
plus profond peut-être dont souffre notre so-
ciété. » Cela est remarquablement pensé. M.
Bompard croit que la « valeur éducatrice de la
littérature française » peut réparer une part
de ce malentendu. Il estime, en effet, que
notre littérature est « une école de sincé-
rité, de raison et de justice »; et il ne se
trompe pas, mais encore faut-il que la leçon
donnée par cette « école » soit entendue et sui-
vie. L'est-elle? Peut-elle l'être? Ici le problème
d'éducation, le problème moral étudié par M.
Bompard se complique d'un grave problème
politique. En quelle mesure, et de quelle façon
peut-on organiser notre démocratie de telle ma-
nière que l'influence de l'élite se fasse sentir, ou
(tout simplement) soit admise? Les crises ré-
centes que nous avons traversées, et dont nous
ne sommes pas tout à fait libérés, ont montré le
dangereux abus que les foules pourraient faire
de leur force. Après certains désordres moraux,
après certaines violences de la rue, nous ne
pouvons plus croire, comme à un dogme, à l'in-
faillibilité du nombre. Aussi beaucoup d'esprits
en sont-ils revenus à la thèse classique, bien
que quelque peu hardie, qui place la Républi-
que en dehors du suffrage universel. On a com-
pris qu'il y a certaines vérités supérieures qu'à
certains moments une élite seule aperçoit, et
qu'elle a le devoir de proclamer et de défendre.
Mais quels moyens lui donner pour les faire
prévaloir?
Tel est assurément le grand problème que
nous avons à résoudre si nous voulons faire
vivre et vivre noblement une République
démocratique. M. Georges Leygues nous a
donné, dans son discours, des raisons d'es-
pérer que la jeunesse d'aujourd'hui s'effor-
cera de le résoudre. Il nous affirme qu'elle
est préoccupée de toutes les grandes ques-
tions du moment. Le grand-maître de l'Uni-
versité est un esprit jeune, ardent, généreux.
Il ne feint pas de croire que les générations
qui s'approchent de la vie soient enfermées
hermétiquement dans les lycées et séparées
du dehors par des cloisons ouatées où vien-
nent mourir tous les frissons et tous les
bruits du dehors. Il pense que, dans la littéra-
ture et dans l'histoire nationale, nos jeunes
gens savent discerner les événements essentiels
et les idées directrices qui portent des leçons
maîtresse. Plus que jamais elle éprouvait le be-
soin de trouver un être contre la poitrine du-
quel elle pût se serrer.
Tout le monde était si bon pour elle qu'elle
ne savait comment ses journées se passaient.
Elle voyait son livre à toutes les devantures, elle
lisait son nom dans tous les journaux, était in-
vitée à droite et à gauche, comblée d'attentions
et d'amabilités, traitée avec distinction comme
si elle eût été un grand personnage, et cela de-
vait continuer ainsi toujours.
Basteî Ce n'est que le commencement, lui
avait dit Léonore en souriant.
Elle sentait une sorte d'ivresse lui gagner le
cerveau sa table était jonchée de feuilles qui,
toutes, parlaient de son succès, de son énorme
succès.
Heider seul n'avait pas fait chorus avec les
autres et lui avait dit
Vous avez du talent, Elisabeth, je le recon-
nais très volontiers; mais, croyez-moi, il n'est
pas encore mûr. Votre livre est une preuve de
talent. mais non un chef-d'œuvre.
Elle avait voulu s'insurger.
Quand même tout le monde serait à plat
ventre devant vous, je ne.
Ne vous donnez pas tant de mal, avait-elle
fait en lui ooupant la parole, vous ne réussirez
pas à me gâter mon plaisir ni à m 'enlever ma
foi en moi-même. Je travaillerai, je me donne-
rai beaucoup de peine. Maier a promis d'éditer
mon prochain ouvrage. Il craignait que celui-ci
ne fût rien pour le gros public; il voulait en
changer le titre et mettre Passions au lieu de
Histoires sans prétentions, mais j'ai tenu bon.
Une deuxième édition deviendra nécessaire
avant peu. Songez donc, une deuxième édition! 1
Heureuse comme un enfant elle s'était mise
à rire et à battre des mains.
Si cela vous suffitl se borna-t-il à dire en
haussant les épaules.
Depuis ce jour elle le boudait. Il lui avait con-
seillé de venir le voir à l'occasion et de lui sou-
mettre ses travaux, mais elle n'en avait rien fait,
ou dégagent des principes pour le présent et
pour l'avenir. Et, faisant à ses jeunes auditeurs
le crédit d'une érudition et d'une maturité que
nous leurs souhaitons après tout, M. Georges
Leygues a retracé dans de beaux mouvements
d'éloquence la suite glorieuse des gestes fran-
çais à travers les âges.
Le ministre de l'instruction publique nous a
montrés tels que nous fûmes, en effet, c'est-à-
dire sans cesse ~en travail pour l'Humanité,
doués également de la faculté de réceptivité et
de la faculté d'expansion, n'étant jamais pins
heureux que d'accueillir une idée juste et belle,
venue du dehors, sinon lorsque nous répandions
au dehors une idée juste et belle que nous
avions nous-mêmes trouvée ou retrouvée. Cos-
mopolites dans la mesure où ce mot exprime
la fraternité et la solidarité supérieures des êtres
civilisés patriotes et nationaux, lorsqu'il s'agis-
sait de préserver, avec héroïsme, un patrimoine
.matériel et moral que notre honneur et notre
gloire nous engagent à ne pas considérer seule-
ment comme un bien étroit et jaloux, mais aussi
comme un dépôt.
Par ces deux tendances de sa nature souple et
plastique, où se retrouvent le bénéfice de sa
race heureusement mêlée et de son climat pri-
vilégié, la France a su maintenir le favorable
équilibre de son esprit, et elle avait su mériter
longtemps 1rs bonnes chances de l'histoire. M.
Georges Leygues a eu raison de rappeler à ses
jeunes auditeurs cette admirable leçon de cho-
ses. Avec toute la discrétion que lui comman-
dait son rôle, il a su tout de même se faire en-
tendre. N'étant point tenus aux mêmes pré-
cautions de langage, il nous convenait de sou-
ligner tout ce que son discours a de « sug-
gestif » et d' « actuel ». Mais voici que ces adjec-
tifs nous avertissent que nous ne parlons plus
une langue sorbonienne. Ne rentrons pas trop
tôtdans la politique. Contentons-nous d'avoir
essayé de dire.combien la grande fête universi-
taire d'aujourd'hui fut digne de la France.
3AE3STXJS PROPOS
LES CONGRÈS
Voici que l'heure des congrès a sonné. Quelques-
uns, non des moindres, ont eu lieu ces jours-ci.
D'autres vont s'ouvrir, et d'ici à la fin du mois
d'août, le joli pavillon Louis XVI élevé sur la berge
de la Seine pour abriter les congressistes ne chô-
mera guère. Il n'est pas de discipline, pas de branche
du savoir ou du travail humain qui n'ait convoqué
« son » congrès, à Paris, pour 1900.
Les congrès font partie intégrante des exposi-
tions. Il est si naturel de profiter des enseignements,
des documents de tout genre qu'elles centralisentl
Mais ce n'est pas la seule raison. Parmi les hom-
mes de science et de grand labeur, quelques-uns
hésiteraient à se déplacer pour voir l'Exposition, si
la perspective de travailler un peu, tout en se ré-
créant, et de ne pas perdre tout à fait son temps,
tout en prenant du bon temps, ne les séduisait. Il y
a certainement des provinciaux et des étrangers qui
viennent pour les congrès, et qui, n'étaient les con-
grès, ne viendraient pas.
Travaille-t-on beaucoup, une fois le congrès ré-
uni ? Cela dépend. Il y a des congrès très sérieux,
et d'autres qui le sont moins. Il y en a de très bien
préparés, et d'autres qui sentent l'improvisation.
Il y en a do très suivis, et d'autres qui sont déserts.
Il y en a qui attirent des maîtres, et d'autres qui ne
groupent que des disciples. On aurait tort de juger
d'un congrès par un congrès. Espérons, cependant,
comptons môme que tous les efforts auront été faits
pour que les grands congrès de cette année, ceux
qui ont une portée scientifique, ou sociale, ou mo-
rale, répondent par leur éclat aux légitimes ambi-
tions de notre pays et à la splendeur de l'Exposi-
tion.
Les congrès sont-ils très utiles ? Cela dépend
encore. Il y en a qui contribuent vraiment à la
diffusion de certaines idées. Non qu'ils apportent de
l'inédit. Cela est, je crois, fort rare. Mais ils rappro-
chent des hommes voués aux mêmes recherches,
animés des mêmes sentiments, des mêmes préoc-
cupations. Et ils donnent souvent une grande puis-
sance d'expansion et de rayonnement soit à une doc-
trine sur laquelle l'accord s'est établi, soit à une dé-
couverte, encore peu connue, ou contestée. Les con-
grès de sciences appliquées, les congrès d'hygiène
peuvent avoir de ces résultats excellents.
Mais tout congrès, quel qu'il soit, a un effet heu-
reux, qui est de mettre en présence des hommes de
nationalité, de langues différentes, et de les associer
durant quelques jours, dans les mêmes travaux et
les mêmes plaisirs. Il naît de là des relations
particulières souvent agréables, et, ce qui importe
davantage, une bienveillance générale et une esti-
me réciproque. Ce serait se payer de mots que de
voir dans les congrès une préparation, même loin-
taine, à l'ère de la paix universelle de la frater-
nité entre les peuples. Mais, très cettainement, les
congrès sont un antidote contre le poison de la
haine universelle et systématique. Ke fût-ce que
pour ce motif, on a bien fait de multiplier les con-
grès, chez nous, cette année.
Et puis, il faut bien le dire quand les savants
étrangers, quand les hommes d'action et de dévoue-
ment des autres pays auront pris contact avec leurs
émules français, quand ils auront aussi visité en
leur compagnie les grands établissements et dépôts
scientifiques ou littéraires de Paris, les grandes ceu-
vres sociales de Paris, ils emporteront de notre
pays et de la société française une image qui, pour
ne pas ressembler absolument à celle qu'en garde-
ront les simples touristes, venus uniquement pour
faire la fête, n'en sera que plus exacte.
Les congrès, c'est, en quelque sorte, la contre-par-
tie des bars, des théàtricules, des danses du ventre et
autres « attractions » qui n'expriment pas, an vrai,
la vie de Paris, encore moins celle de la France. Il
n'est pas mauvais qu'il y ait, en tous pays, quelques
centaines de gens pour le savoir, et, au besoin,
pour le dire. Les congressistes seront ces gens-là.
car elle lui en voulait de n'avoir point pris part
à l'universel concert d'éloges. C'était la seule
goutte d'absinthe qui fût tombée dans le calice
de sa joie.
Elisabeth était assise et réfléchissait
-Vingt-six ans dit-elle à haute voix.
Tout à coup elle songea à Ebel. Elle l'avait
revu plusieurs fois chez Maria Ritter et l'avait
rencontré à diverses reprises dans la rue. Mais
en ces occasions, il s'était contenté de la saluer
respectueusement, sans lui adresser la parole.
Elle lui avait envoyé son livre avec une dédi-
cace de quelques lignes. Elle lui devait bien
cela. Il lui avait écrit pour la remercier. La
lettre était exempte de toute flatterie, simple,
honnête, conforme en tout point à l'idée
qu'Elisabeth se faisait de l'homme; cependant
chacun des mots trahissait une admiration pro-
fonde pour la jeune fille. Elle avait bien des fois
relu cette lettre, et chaque fois elle avait baissé
la tête comme pour cacher sa rougeur.
Elle fut prise d'un irrésistible besoin de la re-
lire. Elle se leva et,àpas lents, se dirigea vers sa
table de travail.
Au même instant la sonnette deia porte tinta.
Elisabeth tressaillit. La bonne étant sortie, elle
alla ouvrir.
C'était Léonore Mannhardt qui venait la voir.
Que c'est gentil à toi! dit la jeune fille en
l'attirant à elle et l'aidant à se débarrasser de
son riche manteau fourré.
Sens comme j'ai chaud, flt l'autre en ap-
puyant contre ses joues la main d'Elisabeth, je
t'en prie, choisis un autre logement. Je suis tout
essoufflée d'avoir monté ces quatre escaliers.
Loge-toi plus près de nous. Et puis, franche
ment, c'est trop haut. Mais que je te raconte
bien vite, c'est magnifique, c'est admirable.
Quoi donc Prends place.
Pense donc, pense donc, criait Léonore en
arpentant la chambre dans tous les sens, il y a
huitjours, mon mari fait la rencontre de Schwert-
feger au Wintergarten, tu sais bien le nouveau
directeur. Ils sont du même pays et ont été à
LE CONCOURS GENERAL
DES LYCÉES ET COLLÈGES
Selon la tradition, le quartier latin a été aujour-
d'hui mis en mouvement par la solennité de la dis-
t,ribution des prix du concours général des lycées et
collèges. L'arrivée, dès dix heures et demie, des
gardes républicains à cheval et à pied, puis la foule
pressée des invités, affluant bien avant l'ouverture
des portes, et surtout l'apparition des uniformes mi-
litaires, universitaires, académiques, tous multico-
lores et dont les couleurs claires brillaient sous le
soleil, avait attiré vers le palais de la Sorbonne de
très nombreux curieux. M. Rieux, le nouveau com-
missaire de police du quartier de la Sorbonne, diri-
geait le service d'ordre. Il ne s'est produit, au reste,
aucun incident. Dans la foule, des gens s'étonnaient
que le superbe monument, dont la façade principale
sur la rue des Ecoles est d'architecture un peu sé-
vère, n'eût reçu, en ce jour de fête, aucune décora-
tion il n'y avait, en effet, pas même un drapeau,
A midi, M. Leygues, ministre de l'instruction pu-
blique, a fait son entrée. Il a été reçu, à la ^|rte
centrale, par M. Gréard, vice-recteur de l'académie
de Paris, entouré du corps académique. Le ministre
était accompagné de MM. Rabier, Bayet, Roujon,
Ferrand, directeurs de son département, et de M.
Dejean, chef de son cabinet.
Tandis que les tambours de la garde républicaine
battent aux champs, entre deux rangées de gardes
qui présentent les armes, la ministre se rend dans
un salon de réception, décoré de tentures de ve-
lours rouge, où se font les présentations. Le cortège
se forme presque aussitôt: les divers corps cons-
titués sont appelés par un huissier de l'Université.
Précédés des massiers des cinq facultés et de l'école
supérieure de pharmacie, qui portent, selon l'usage
séculaire, les grosses « masses » d'argent luisant,
successivement défilent les membres du conseil aca-
démique, ceux du conseil de l'Université, du conseil
supérieur de l'instruction publique, de la section
permanente de ce conseil, les hauts dignitaires,
l'ambassadeur d'Italie, comte Toruielli, et enfin M.
Georges Leygues, qu'escorte M. Paul Deschanel,
président de la Chambre des députés, et M. Gréard.
Depuis l'an dernier, les travaux d'achèvement de
la nouvelle Sorbonne ont été poussés avec activité.
Aujourd'hui la galerie des lettres, que suit le cortège,
est achevée on aperçoit tout au fond, à travers un
large hall vitré, l'admirable façade intérieure de
l'église de la Sorbonne, qui se trouve précisément
dans l'axe de la galerie, Au lieu de pénétrer dans
l'amphithéâtre par une porte latérale, le cortège
monte les degrés qui conduisent à la nouvelle salle
des Autorités, dont l'aménagement intérieur est in-
achevé encore; et c'est par cette salle qu'il gagne
directement l'estrade.
Tandis que la garde républicaine fait retentir ses
accents et que l'assistance tout entière, debout, ap-
plaudit, on s'installe. Le vaste amphithéâtre pré-
sente en ce mo ientun beau spectacle. Il est empli,
jusqu'aux derniers gradins, d'une foule brillante et
pressée. Ce ne sont que toilettes claires et qu'uni-
formes et les habits noirs, assez rares, font encore
mieux ressortir ces couleurs brillantes. Au centre,
c'est l'espérance du pays, les jeunes lauréats dont
l'enthousiasme ne se ressent en rien de la tempéra-
ture tropicale. Tous acclament le ministre et son cor-
tège.
Sur l'estrade, prennent place le ministre, le comte
Tornielli, M. Paul Deschanel, le général Bassot, re-
présentant le ministre de la guerre, le commandant
Bournazet. représentant le gouverneur militaire de
Paris, le lieutenant de vaisseau Fischbacher, repré-
sentant le ministre de la marine, M. Victor Le-
grand, président du tribunal de commerce, le prési-
dent de la Cour des comptes, M. Dausset, conseiller
municipal, président de la commission de l'ensei-
gn,ement, MM. Gaston Boissier, Ferdinand Brune-
tière, Henry Houssaye, PaulHervieu, de l'Académie
française, MM. Wallon, Larroumet, Nénot, mem-
bres de l'Institut, ce dernier est l'architecte de la
nouvelle Sorbonne, MM. Bernés et Chalamet, repré-
sentants du conseil supérieur de l'instruction pu-
blique MM. Pruvost, Ernest Dupuy, Coppinger,
Joubert, Morel.inspecteursgénéraux de l'instruction
publique, de nombreuses notabilités appartenant à
l'Université et à l'administration.
Sur les premiers bancs de l'hémicycle sont assis
MM. Gréard, vice-recteur de l'académie, les inspec-
teurs d'académie, M. Albert Duran, secrétaire de
l'académie, les doyens et professeurs des Facultés,
le directeur et les professeurs de l'Ecole supérieure
de pharmacie. Les proviseurs, censeurs et profes-
seurs des lycées de Paris, Vanves, Sceaux et Ver-
sailles, et les directeurs, censeurs et professeurs des
collèges Rollin, Stanislas et Chaptal, sont placés
es deux côtés de l'hémicycle.
Le ministre donne la parole à M. Bompard, pro-
fesseur de rhétorique au lycée Louis-le-Grand, qui
prononce un beau discours, fort applaudi, sur ce
sujet «De la valeur éducative de la littérature fran-
çaise. »
Pendant la lecture de ce discours, la chaleur, qui
est très forte dans la salle, est cause d'un accident;
un musicien de la garde se trouve mal; on est obligé
do l'emporter au dehors.
M. Leygues prononce ensuite un discours dont
voici le texte
DISCOURS DU MINISTRE
Messieurs,
L'Université conserve pieusement ses tradi-
tions.
Chaque année, professeurs et élèves tiennent ici
leurs grandes assises.
L'un de vos maîtres parle, et le ministre lui ré-
pond.
Pratique excellente si de ce dialogue se dégage,
comme du discours que nous venons d'applaudir,
quelque pensée forte et claire sur l'avenir et la vie.
Pratique oiseuse si les orateurs se contentaient
d'apporter à leur auditoire les exhortations connues
sur la discipline et le devoir ou l'éloge un peu su-
ranné de l'instruction et de l'éducation des sciences
et des humanités.
A vrai dire notre démocratie et notre temps ont
d'autres exigences et les harangues académiques
sont passées de mode.
swaKt&iKaffiS
l'école ensemble. Par le plus grand des hasards
ils se mettent à causer de littérature. Non, ce
que tu as une chance, ma fille Mon mari n'a
pas manqué de citer ton nom, que Schwertfeger
ne connaissait pas encore. Aussitôt que j'ai ap-
pris cela, je lui ai envoyé ton livre etau jourd'hui
j'ai reçu de lui une lettre de remerciements. Il
me dit qu'il lui a beaucoup plu et qu'il a été
frappé de ton grand sens dramatique. Ceci m'a
ouvert les idées, et je suis venue pour te dire
qu'il faut absolument que tu te mettes au
théâtre.
Moi?
Elisabeth n'en revenait pas.
Oui, toi. C'est bon, je te donnerai un coup
de main. Une pièce, vois-tu, c'est l'unique
moyen d'arriver bien vite à la renommée. Un
succès au théâtre fait plus que cent volumes.
Sois tranquille, nous réussirons. Schwertfeger
nous est acquis. Gœdeke a une partde comman-
dite à ce théâtre, je l'entretiendrai de ceci.
Ah! l
Elisabeth ne savait que dire. Elle se mit à rire
follement.
Mme Léonore, gagnée par la contagion,
s'abandonna aussi à la gaieté; mais aussitôt elle
reprit le dessus et observa d'un ton dépité.
Que tu es donc enfant
-Moi? ah! ah ah Tu veux que j'écrive
une pièce de théâtre? Mais j'en suis tout à fait
incapable et je n'en ai aucunement envie.
Voyons, ne fais pas la mauvaise tête etsuis
mon conseil. (Mme Léonore prit une mine
grave.) Nous t'avons lancée et, jusqu'à présent,
le succès a couronné nos efforts. C'est une chose
que tu ne peux contester. Mais, à présent, il faut
que tu y mettes aussi du tien.
-Du mien ?
Elisabeth ne riait plus, elleregardait sonamie
d'un air étonné.
Mais n'ai-je donc pas.
Elle eut une minute d'hésitation.
Bien sûr, bien sûr, tu as beaucoup de ta-'
lent, mais tu ne me comprends pas,
Vos lycées et vos collèges sont toujours de calmes
asiles, propices au travail, au recueillement et au
rêve; mais si haute que soit la parole de vos maî-
tres, si absorbés que vous soyez dans les études dés-
intéressées qui sont aujourd'hui et qui seront bien
mieux encore plus tard le charme de votre existence,
les grandes voix du dehors franchissent votre seuil
et vous ne restez pas indifférents aux événements
qui s'accomplissent dans le, monde.
Il ne faut ni le regretter ni s'en plaindre.
La vie nous presse de toutes parts. Elle vous in-
vite et vous appelle. Vous l'ignorez encore. Pour-
quoi ne la regarderiez-vous pas une fois en face
avant de lui appartenir tout entier?
La noblesse ou la bassesse des hommes et des
peuples, leur désintéressement ou leur avidité, leur
lâcheté ou leur courage, le succès ou l'insuccès de
leurs entreprises portent en eux leur enseignement
et ont une puissance éducative qui vient au secours
des humanités et complète 1 œuvre des écrivains et
des moralistes dont on vous parlait tout à l'heure
avec tant d'éloquence.
Il y a des moments où il faut descendre de sa tour
d'ivoire et se mêler à la foule et où il faut penser
tout haut.
Nous sommes à un de ces moments.
J'applaudirais le maître qui demain, ayant réuni
ses élèves autour de lui et leur ayant lu une page
de Descartes pour fortifier leur raison, et une page
de Pascal pour fortifier leur esprit, leur tiendrait à
peu près ce langage
« tonnez vos hvres. Levez les yeux. Au delà de
ces murs il y a quelque chose de très vivant et de
très grand la Patrie et l'Humanité.
» Un siècle va finir. Faisons ensemble son examen
de conscience.
» Il naquit au bruit des batailles; il se flatta, en
combinant le cosmopolitisme chrétien et l'interna-
tionalisme philosophique, d'établir la paix univer-
selle il fut troublé par des guerres atroces et il se
couche dans un ciel orageux où passent des lueurs
de sang.
» La France l'a rempli du fracas de ses discordes
civiles, et, si elle n'a été qu'affaiblie par ces discor-
des, c'est qu'elle ne doit pas périr.
» Cependant, les arts de la paix fleurissent avec
un éclat singulier. La science renouvelle le monde
par ses conquêtes, un immense souffle de fraternité
soulève les âmes, et jamais le travail n'offrit aux
regards fête plus grandiose et plus magnifique que
celle qui se déroule sur les rives de la Seine. Specta-
teurs aujourd'hui, acteurs demain, quel parti allez-
vous prendre? Comment, pour rester dignes de vo-
tre pays, de votre race, allez-vous gouverner votre
liberté? g
» Vous la gouvernerez pour votre honneur et
pour votre bien si vous restez fidèles à nos tradi-
tions nationales et à l'idéal de raison, de justice et de
fraternelle bonté qui fut dans tous les temps l'idéal
de la France. » p
En parlant ainsi, ce maître aurait parlé moins
comme un professeur que comme un homme.
Mais le chœur des pharisiens se dresse et je l'en-
tends qui s'écrie
« Vous raillez en parlant d'idéal à la jeunesse. Son
idéal est mort. Vous avez tout ravagé autour d'elle.
Elle est indifférente ou révoltée, découragée ou
gouailleuse, Elle n'a plus ni enthousiasme, ni vertu.
Il ne reste dans son âme qu'un immense vide et les
épaves d'un immense naufrage. »
La jeunesse n'est point si malade. Je parle de la
jeunesse qui compte, de celle qui pense, travaille et
agit. q
Elle n'est qu'impatiente et inquiète. En réalité, ja-
mais elle ne ut plus ambitieuse et plus avide de sa-
voir.
Elle n'a pas cessé de s'éprendre pour les nobles
causes, de se passionner pour le beau, de s'émou-
voir de l'infortune des humbles et de s'indigner de
l'insolence des superbes.
Religion, éducation, capital et travail, socialisme
et collectivisme, mutualité, solidarité, paix et guer-
re, science et art, il n'est pas une seule de ces gra-
ves questions qu'elle n'agite et ne s'efforce de ré-
soudre.
Elle écrit, elle parle, elle chante. Elle n'est ni dé-
sabusée ni sceptique.
Elle ne souffre pas du dégoût de la vie. Elle souf-
fre de ne pas savoir comment vivre. Cela ne veut
pas dire qu'elle soit impropre aux devoirs qui l'at-
tendent, car il y a au fond d'elle-même un ardent
désir d'action et une foi vivace en un meilleur ave-
nir.
Ne la condamnez pas. Son histoire, c'est votre
histoire.
Ces jeunes gens ont atteint l'àge d'homme au
conlluent de deux siècles.
Faut-il les blâmer s'ils ont été mêlés à la fonda-
tion d'un ordre politique nouveau, s'ils ont été les
témoins de la crise la plus redoutable que notre pays
ait connue, et s'ils assistent à la fin et au commen-
cement de tant de choses ?
Ils se ressaisiront, et les vaillants, qui sont les
plus nombreux, entraîneront les autres à leur suite.
L'essentiel, c'est qu'il n'y ait pas de malentendu
irréparable entre les hommes d'aujourd'hui et les
hommes de demain, c'est que l'unité morale du pays
ne soit pas compromise, c est que dans la transfor-
mation ou l'écroulement de tant de doctrines, d'idées
ou de rêves qui marquent les derniers jours du
siècle, le sentiment national reste debout.
Ici nous pouvons être pleinement rassurés.
Qu'est-ce qui pourrait mettre en péril l'unité mo-
rale de la patrio ?
L'ignorance et l'intolérance.
L'ignorance? Mais la République lui fait une
guerre sans merci. Pourchassée par des maîtres dont
rien ne refroidit le zèle et ne rebute le courage, elle
recule partout.
Chaque jour la lumière monte, l'ombre diminue
dans l'âme du peuple.
L'intolérance ? Notre pays la méprise et la hait,
parce qu'elle abaisse et déshonore les peuples et
parce que, plus honteuse et plus brutale que l'al-
cool, elle n'allume dans les cerveaux que les pas-
sions viles et les fureurs meurtrières.
Un mauvais souffle a pu jeter chez nous la graine
de cette ivraie mais elle ne vivra pas sur la bonne
terre de France.
Si elle reverdissait, c'est vous, jeunes amis, qui
l'arracheriez et qui la brûleriez en poussant des cris
de joie.
Le sentiment national n'est pas menacé.
L'amour de la patrie n'est plus fait seulement de
l'amour instinctif et tenace du sol il est fait main-
tenant de mille choses, puissantes et prufondes. et
tendres, dans lesquelles nos âmes sont invincible-
ment et délicieusement enserrées fables et légen-
des qui bercèrent nos premiers rêves, exploits guer-
riers qui enflammaient notre enfance, amertume
des revers, ivresse des victoires, orgueil de se dire
lié à ce grand tout qui est une nation et dont on ne
voit ni le commencement ni la fin, fierté de sentir
en soi quelque chose de l'àme collective qui illumi-
On frappa à la porte d'entrée.
C'est Mme Kistemacher, dit Elisabeth en se
levant, elle ne sonne jamais.
C'est bien désagréable d'être interrompu
de cette façon. Mme Léonore, en exprimant cet
avis, fit une mone dédaigneuse. Mme Kistema-
cher est bien la femme de ce dentiste, n'est-ce
pas? Je suis très étonnée, ma chérie, que tu te
sois liée si intimement avec ces gens- là. Ont-ils
au moins quelque éducation ?
-Mais certainement.
La jeune fille courut ouvrir et amena Mme
Kistemacher, qui se fit prier pour entrer quand
elle apprit que Mme Mannhardt était là.
L'entrevue de ces deux dames appartenant à
des mondes si différents fut plutôt froide et Mme
Julie ne tarda point à prendre congé, car, di-
sait-elle, sa présence était nécessaire à la mai-
son. En partant, elle embrassa Elisabeth.
Quand elle fut sortie, Léonore ne put se re-
tenir.
C'était bien la peine de nous déranger I
Nous étions 'si bien en train de causer. Veux-tu
que je te dise ce qui l'a amenée ici la jalousie,
pas autre chose.
C'est possible, dit la jeune fille.
Elle éprouvait un violent mal de tête. Ap-
puyant son front brûlant contre la poitrine de
son amie, elle se plaignit.
Je suis heureuse, très heureuse et malgré
cela il m'arrive à chaque instant des petits riens
qui.me gâtent mon piaisir et me donnent du
souci. Je n'ai pas le morai assez trempé pour
supporter cela. Ma situation est triste. Je n'ai
ni père, ni mère, ni frères, ni sœurs.
Mais tu as des amis. Ne sommes-nous, ne
suis-je pas là, moi ? dit Léonore en lui caressant
affectueusement les joues.
Oui, vous, murmura la jeune fille, mais de
vous tous nul ne m'appartient sans partage. Ne
m'interromps pas, ctière Léonore, je sais que tu
m'aimes et que tu es infiniment bonne pour
moi. A ce moment sa voix devint encore plus
na l'untvers ae ses rayons, vénération aes reliques
nationales, pieux souvenirs des ancêtres, culte des
chers morts qui reposent dans la terre sacrée.
Ce sentiment s'éclaire par la réflexion et l'étude.
Il s'exalte et se fortifie à mesure que l'horizon dft
notre pensée s'élargit et que notre esprit s'élève.
Mieux connaître le passé, mieux connaître les
choses du dehors, c'est mieux comprendre et mieux
juger la France. C'est se préparer à la mieux
servir.
Etudiez donc et aimez le passé. Cela ne vous em-
pêchera pas d'être des hommes de votre temps.
Etudiez et pratiquez l'étranger. Cela vous aidera.
à devenir de bons Français.
Le plus grand malheur qui pourrait vous arrivera
ce serait de vous enfermer dans des regrets qui, si
respectables qu'ils soient, seraient de mauvais con-
seillers et auraient le grave tort de vous isoler do
vos contemporains.
Il n'est plus permis de se cloîtrer dans de petites
cellules. Il est inutile de résister au train du monde.
Bon gré mal gré, il nous emporte. Nos récrimina-
tions n'y changent rien. C'est lui qui a raison l'his-
toire ne" se répète pas les nations ne reviennent
jamais en arrière.
Les vagues humaines expirent au même rivage,
mais aucune ne se ressemble. Les conditions socia-
les et les devoirs publics varient avec les généra-
tions. Le monde est dans l'état d'un perpétuel de-
venir.
A côté des vérités éternelles qui sont de tous les
pays et de tous les âges, il y a les contingences qui
font la destinée des peuples et qui se modifient sans
cesse. L'histoire n'est plus qu'une longue suite de
faits et d'idées qui durent un certain temps, puis
disparaissent pour toujours.
Ce sont les évolutions'et les transformations d'au-
trefois qui expliquent et justifient les évolutions et
les transformations d'aujourd'hui. L'histoire ne nous
fournit pas des formules toutes faites pour la aolution-
des problèmes économiques et sociaux; mais en
nous dévoilant nos propres inspirations, les.qualités
et les défauts de notre race,- les causes de nos triom-
phes et de nos malheurs, elle nous met en garde
contre ce qu'il faut éviter et nous fait voir nettement
le but vers lequel il faut tendre.
Nous ne datons pas d'hier. La Révolution ne
marque pas le point de départ de notre histoire elle
est au contraire l'aboutissant de l'effort obstiné du
peuple qui, pendant quatorze siècles, a poursuivi
son rêve de justice, d'égalité et de liberté. On vous
rappelait il y a un instant les paroles de l'un des
plus grands historiens de l'Allemagne contempo-
raine.
Ranke a écrit: « L'office de la France est de briser
d'époque en époque les lois fondamentales de la vie
européenne, de changer de fond en comble les insti-
tutions, les formes et les principes qu'elle avait le
plus contribué à faire prévaloir autour d'elle. »
C'est dire qu'elle rajeunit périodiquement tout ce
qui a donné sa fleur et son fruit.
Comment sentirez-vous l'importance et la beauté
de ce rôle si vous ignorez la France de Hugues Ca-
pet et de saint Bernard, de saint Louis et de Jeanne
d'Arc, de Louis XI et de Bayard, de Henri IV et de
Louis XIV, la France des Valois et la France du dix-
huitième siècle.
Mais si c'est une erreur funeste de croire que l'on
peut former des esprits impartiaux et éclairés en
les emprisonnant dans une période historique si
glorieuse qu'elle soit, c'est une erreur non moins
grave de s'imaginer, comme le pensent quelques-
uns, que nous préparerons de plus fermes patriotes
en nous séquestrant dans nos frontières, en vivant
repliés sur nous-mêmes, en fermant nos portes aux
idées, aux sentiments et aux doctrines de l'étran-
ger.
Le progrès est fait de l'échange de ces idées, do
ces doctrines et de ces sentiments et le rôle de la,
France dans l'histoire de la civilisation aété précisé-
ment de s'emparer des unes et des autres, de les
passer au filtre de son génie et, après les avoir cla-
rifiés et simplifiés, de les relancer dans la circula-
tion du monde.
La France a tenu pondant des siècles, le grand
marché international de l'esprit, où les nations ve-
naient s'approvisionner. Elle y livrait indifférem-
ment ses idées propres et celles des autres.
Elle a donné à l'Europe ses arts, ses lettres, sa
philosophie, sa science et les leçons de ses hommes
de guerre. Elle lui a donné aussi sa poésie, sa fan-
taisie, sa grâce légère, sa conception héroïque et
charmante de ce que Alfred de Vigny appelait
« un accident sombre entre deux sommeils infi-
nis ».
Elle a appris à tous à bien vivre et à bien
mourir.
Mais cette France puissante et admirée était hos-
pitalière à toute vérité et à toute beauté.
C'est chez elle que les lettres grecques et latines,
la Renaissance italienne, les tragiques espagnols,
la poésie et la philosophie anglaise et allemande.
Platon et Virgile, Dante et Michel-Ange, Lope de
Vega et Calderon, Bacon et Shakespeare, Kant,
Beethoven, Gœthe et Schiller ont trouvé l'écho le
plus prolongé, l'interprétation la plus exacte et l'ad-
miration la plus sincère.
Tout cela n'a pas empêché la France de se couvrir
de gloire sur les champs de bataille. Cela, il est
vrai, l'a entraînée à verser son sang pour les autres
partout où il y avait une cause généreuse à défen-
dre, à York-Town, à Navarin, à Anvers et à Ma-
genta. Qui de vous ne regrette le temps où l'épéo
de la France était toujours au service de l'Idée ?
Tout cela vous donne du même coup la conscience
précise de la dignité et de la grandeur de votre pa-
trie et marque clairement votre devoir.
Les générations qui vous ont précédés ont accom-
pli leur œuvre. Faites la vôtre 1
Dès que vous serez devenus des hommes, placez-
vous hardiment au-dessus des sectes politiques et
religieuses. Regardez de haut et de loin dans l'es-
pace et dans la durée. Tolérants et libéraux, procla-
mez que le domaine de la conscience est inviolable
et que, sans le respect de ce principe, toute société
retourne à la barbarie.
Rappelez partout et à tous la fonction tradition-
nelle de la France dans l'humanité, son génie, très
pur et très doux; rapprochez i-eux que. divisent en-
core des souvenirs et des espérances contradictoi-
res réalisez enfin notre rêve, l'union définitive do
tous les Français dans ce sentiment de Pie/as erga
Palriam qui est le plus noble de tous les sentiments
capables d'enflammer le cœur des hommes, parce
qu'il est fait de fierté, de sacrifice et d'amour.
Après ce discours, le ministre donne la parole à
M. Niewenglowski, inspecteur d'académie, qui
donne lecture des résultats du concours général des
départements. Nous donnons ci-àprôs ce palmarès.
Puis, ,M. Niewenglowski appelle les lauréats du
concours général des lycées de Paris, qui reçoivent
leurs prix, aux applaudissements des camarades et
sourde. Ta vie est remplie, tu as ton mari, ta
famille, tes amis, tes intérêts, ta sociélô. Tu n'as
pas besoin de moi tandis que moi je voudrais
être tout entière à un homme. Tu suis bien. fit-
elle en souriant, tout ou rien. Je le sensplusquc
jamais, on a besoin d'une âme sœur qui partage
votre bonheur aussi bien que vos peines.
Il faut te marier, ma chérie, dit à la canto-
nade Mme Léonore, qui ne comprenait rien aux
épanchements de ce genre. A propos, ma petite,
causons sérieusement d'une chose qui me re
vient à l'instant. Qu'as-tu donc eu avec Eisen-
lohr ? Le soir où vous avez dîne ensemble chez
nous, il a été bizarre or aurait juré qu'il t'évi-
tait avec soin. Il y a déjà longtemps que je vou-
lais te parler de cela. Hier soir, nous étions in-
vités chez Gœdeke soit dit en passant, j'ai été
fort surprise de ne pas t'y rencontrer j'étais
assise à côté d'Eisenlohr. Je lui ai parlé de toi,
et, comme il ne me répondait pas, je lui ai de-
mandé brutalement quels griefs il avait contre
toi. Là-dessus, il a pris un air très étonné et m'a
répondu « Aucun. » Ensuite, il a ajouté que lu
avais eu à son égard une attitude singulière pour
ne pas dire grossière, que tu étais une jeune
femme tout au moins excessivement fantasque.
Je n'ai pu tirer autre chose de lui, car il se dé-
robait à mesure que j'insistais. Aussitôt de re-
tour à la maison, j'ai raconté la chose à mon
mari, qui ne m'en a point paru étonné. Il m'a
dit, en effet, que Gœdeke lui en avait glissé un
mot le jour de notre dîner, mais qu'il n'avait
̃point voulu m'en parler de crainte de me gâter
mon plaisir. Il y a là-dessous quelque chose dô
louche. Je ne puis admettre qu"Ëisenlohr t'en
veuille à ce point pour un article de journal.
Tu as raison. Ce n'est point pour ce motif
qu'il m'en veut. En disant ces mots, Elisabeth
bondit de sa chaise. Mais je vais te raconter Ci
qu'il a fait, ce cafard!
P. de PARDIELLAN.
Traduit de l'allemand de CLARA Viebig
(A suivre.)
VENDREDI 2T JUILLET
QUARANTIÈME ANNÉE. N° 14292.
PRIX DE L'ABONNEMENT
MHS, SEIHE«tSE!NE-ET-OISE. Trois mois, 14 fr.; Six mois, 28 fr.,# On aa, 5S fr,
BÈPART" eMLSACE-LOERAIHE. 17 fr.; 34 fr.; 68 fr.
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âUTSES PAYS 23fr.; 46 fr.; 92 fr.
LES ABONNEMENTS DATENT DES 1" ET 16 DE CHAQUE MOIS
Un numéro (départements) 2O centimes
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te Journal et les Régisseurs déclinent toute responsabilité quant à leur teneur
11 TÉLÉPHONE, 4 LIGNES:
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AUTRES PAYS. 23 fr.; 46 fr. 92 tr.
LES ABONNEMENTS DATENT DES 1" ET 16 DE CHAQUE MOIS
«Ja numéro (à fi*s*rïs) 1» centime»
Directeur politique Adrien Hébrard
Toutes les lettres destinées à la Rédaction doivent être adressées au Directeur
Le Journal ne répond pas des articles non insérét
Adresse tilier^phîqurTxkv.VS FAHIS
fce numéro est accompagne cTun PETIT TEMPS,
-supplément gratuit, contenant notamment
fa réforme de la syntaxe et de l'orthographe,
adoptée par le conseil supérieur de l'instruction pu-
blique; ·
Les distributions de prix;
Les congrès.
1- Paris, 26 juillet
BULLETIN DE L'ÉTRANGER
CHINE
Li Hung Chang, paterne, plausible, compli-
menteur, souple et glissantcommeuneanguille,
•arrête ses pas à Shanghaï. Il y fait escale dans
son voyage vers le Nord, soit que les consuls
lui aient donné l'avis salutaire de ne pas se
presser, de ne rien forcer, pas même sa mar-
che, et d'attendre sous le regard vigilant des
puissances la tournure des événements, soit
que le vieux mandarin se sente peu de goût
pour Tien-Tsin et le quartier général des alliés.
Du reste, hôte volontaire ou détenu suspect,
Li fait bon visage à mauvais jeu. Nul n'excelle
comme lui à sauver sa face par .des attitudes et
^des formules.
Soudainement, l'Atlas qui devait porter sur
ses épaules le poids de l'empire chinois, l'hom-
me nécessaire et providentiel qui s'offrait avec
'une modeste confiance comme le médiateur en-
,tre deux moitiés de l'univers, est devenu un
pauvre vieillard ratatiné, ridé, débile, caco-
chyme, que de vigoureux assistants, bien mus-
clés et râblés, doivent soutenir sous les aisselles,
.dont les pas chancelants s'appuient éperdûment
-sur des bras vigoureux et fidèles et qui ne peut
-supporter bien longtemps les fatigues du palan-
quin.
Le pauvre homme! Il est sûr qu'il n'est plus
jeune. Depuis près de quarante ans que l'Europe
a fait la connaissance de l'ex-fou-taï Li (c'était
alors son grade et son nom), il a vécu sans mé-
nager ses forces ni économiser sa vitalité. Et
cependant il appartient à cette catégorie de
diplomates dont on se demande toujours quel
intérêt ils ont à être malades et que l'an s'attend
à voir jeter leurs béquilles et recouvrer leur
santé, comme Sixte-Quint, sitôt leur but atteint.
Ce but, il semble bien qu'on commence à le
discerner et qu'il ne soit autre que de gagner ou
de perdre du temps à tout prix. Li Hung Chang
est l'un des meilleurs metteurs en scène, s'il
n'est pas l'un des auteurs de la mauvaise comé-
die qui a consisté à créer la fiction d'un arran-
gement complaisant pour le gouvernement de
la Chine et qui permet à ce personnage, aux
vice-roisses complices, au gouverneurdu Chang-
Toung, au lao-taï Cheng de se jouer de l'Europe
et de lui bailler les bourdes les plus contradic-
toires en lui communiquant successivement,
comme partis du même endroit, revêtus du
même sceau et pourvus de la même autorité, les
décrets de l'empereur et ceux de l'usurpateur.
La farce serait plus supportable encore
qu'elle traîne en longueur si elle ne contri-
buait à maintenir indéfiniment l'incertitLie et
l'angoisse au sujet du mystère du sort des léga-
-tions et des Européens à Pékin. Pendant que
nos mandarins cueillent dans Confucius ou
dans Lao Tsé des sentences de haute morale
internationale et qu'ils nous servent gravement,
à titre de réponse à des questions précises,
• pressantes, des lieux communs, des familles se
.consument dans l'anxiété et le chagrin, de
grandes nations souffrent dans leur dignité.
On sait que les lettrés chinois ont un goût
passionné pour le jeu subtil et artificiel des cor-
respondances à allusions lointaines, à métapho-
res détournées, à versiculets inintelligibles.
Dans leurs romans, la situation la plus haletante
reste en suspens pendant l'échange prolongé de
ces froids concetti; la lettre la plus passionnée
d'un amoureux aurait mauvaise grâce si elle ne
s'interrompait pour donner place à ces- languis-
santes versifications.
Il faut faire entrer dans la tête aux mandarins
à globule rouge et jaquette jaune que le drame
qui se joue en ce moment ne se prête point à
ces gentillesses ni à ces retards; qu'il n'est que
temps d'aller droit au fait, de savoir enfin de
la seule façon décisive, par une communica-
tion authentique et datée des ministres -où en
sont nos nationaux à Pékin, et qu'ensuite il con-
viendra, en liquidant ce passé, de mettre l'ave-
nir à l'abri des retours offensifs de la barba-
rie.
Son Excellence Li Hung Chang paraît mal com-
prendre toutes ces nécessités. Il s'attarde à des
bagatelles, il transmet des messages auxquels
personne n'ajoute ni ne peut ajouter foi, il émet
des prétentions qui prêteraientàrire si la situa-
tion était moins grave. Quand il écarte l'hypo-
thèsede mutilations territoriales, encore qu'il n'y
ait que trop lieu de craindre que cet optimisme
ne soit plus de saison, il se rencontre avec celles
des puissances qui ne veulent pas, si possible,
d'une curée en Extrême-Orient.
11 est moins bien avisé quand il refuse d'a-
vance toute indemnité pécuniaire aux victimes
et aux Etats. C'est une plaisanterie et qui n'a
pas bonne grâce. L'orgueil des mandarins a
encore beaucoup à apprendre.
Ce sera le bon côté de cette crise formidable
si l'Europe y révèle à la Chine qu'elle n'est pas
une puissance de simple parade, qu'elle possède
des forces irrésistibles, qu'elle n'estreprésentée
d'ordinaire en Extrême-Orient que par des es-
pèces de symboles, que les Célestes auraient
tort de croire que ceux-ci épuisent toute la
réalité des moyens d'action de la civilisation,
et qu'il suffît d'une.provocation comme celle des
derniers événements pour justifier et nécessiter
une intervention à laquelle le Fils du Ciel et ses
quatre cents millions desujetsne sauraients'op-
poser avec quelque chance de succès.
me- 'M'JMM'M~ 1 1
FEUILLETON OU l&£\\VpS
DU 27 JUILLET 1900 (10
TOUT POUR L'ART
LIVRE FIRElS/r.IER
IX
Elisabeth Reinharz était assise dans sa petite
chambre pendant que le vent soufflait avec vio-
lence cl menaçaità chaque instant d'enfoncer les
vitres.
Mais elle n'entendait rien. Accoudée à la table
elle réfléchissait. La lampe éclairait gracieuse-
ment sa tête les petits frisons soyeux qu'elle
avait aux tempes étaient comme dorés.
Elle avait très chaud; ses joues n'étaient plus
hâves et pâleseommeàl'automne dernier; elles
avaient repris leur fraîcheur et s'étaient denou-
veau remplies.
Vous êtes fraîche comme une rose, lui
avait dit Mannhardt.
Et il avait raison, car jamais elle n'avait en-
core eu aussi bonne mine; ses yeux pétillaient
de gaieté, et de toute sa personne se dégageait
un charme qui réjouissait l'œil de ceux qui l'ap-
prochaient. Les Kistemacher eux-mêmes n'y
avaient point échappé; ils avaient oublié leur
susceptibilité et se miraient dans la splendeur
de leur protégée.
Je suis heureuse, je suis heureuse, fre-
donnait la jeune fille.
Elleaurait voulu embrasser tout le monde.
Deux, trois fois par jour, elle sautait au oou de
sa vieille Mile, avec une impétuosité qui rappe-
ait à cette dernière les années d'enfance de sa
Reproduction et traduction interdites.
DEPECHES TELEGRAPHIQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps
Berlin, 26 juillet, 9 h. 15.
Le prince de Hohenlohe, chancelier de l'empire,
et M. de Bülow, secrétaire d'Etat à l'office des affai-
res étrangères, sont partis pour Bremerhaven, où
l'empereur arrivera aujourd'hui même, et où ils lui
présenteront leurs rapports sur la situation politique.
Avant de quitter Berlin, M. de Bülow a eu, hier,
de longs entretiens avec les ambassadeurs de Rus-
sie. d'Amérique, de France, d'Autriche-Hongrie et
le chargé d'affaires de la Grande-Bretagne.
Madrid, 26 juillet, 8 h. 45.
Le prince Charles de Bourbon, second fils du comte
de Caserte est arrivé à Saint-Sébastien pour y pas-
ser quelque temps. La presse commente sa présence
à la cour comme la confirmation des bruits de ma-
riage avec la princesse des Asturies. La presse libé-
rale est maintenant d'avis que le parti libéral doit
s'incliner devant le choix de la princesse, parce que
les mariages royaux n'ont plus la môme importance
qu'autrefois. C'est un mot d'ordre donné par MM.
Sagasta et Gamazo, mais il sera cependant difficile
d'empêcher d'autres hommes d'Etat libéraux et in-
dépendants de combattre cette alliance que les ré-
publicains et M. Romero Robledo sont résolus à at-
taquer dans les Cortès.
Bucarest, 26 juillet, 8 heures.
Le nouveau président du conseil et ministre des
finances roumain M. Carp, qui est persona gratissima
auprès de la haute finance berlinoise, partira pro-
chainement pour Berlin, uù il enverra également
M. Maioresco, ancien ministre de Roumanie en Alle-
magne, pour tenter de remédier à la situation finan-
cière provoquée par la mauvaise récolte de l'année
dernière et déjà améliorée par son prédécesseur M.
Take Jonesco. Les premières négociations auront en
vue d'assurer le payement du. coupon d'octobre et
peut-être de consolider l'emprunt flottant de 175
millions.
Bordeaux, 26 juillet.
Lo vapeur Macina est arrivé du Sénégal h P&uil-
lac avec 189 passagers dont 88 militaires. Le Macina
ayant eu un malade en cours de route a été mis en
quarantaine et tous les passagers ont été débarqués
au lazaret où ils demeureront trois ou quatre jours.
Parmi eux se trouve un assez grand nombre d'offi-
ciers.
LES DISCOURS DU CONCOURS GÉNÉRAL
De fort belles paroles ont été dites, ce matin,
dans les discours prononcés à la distribution
des prix du concours général. C'est, d'abord,
M. Bompard, professeur au lycée Louis-le-
Grand, qui avait choisi un excellent sujet et qui
l'a développé dans les meilleurs termes. Nous
avons reconnu, au passage, quelques-unes des
idées les plus fines et les plus pénétrantes
qu'Ernest Renan ait exprimées. Non pas seule-
ment Ernest Renan, philosophe et généralisa-
teur, décrivant avec cette admirable liberté
d'esprit qui donnait un air d'imagination à
ses raisonnements les plus rigoureux et les
plus précis les grandes courbes de l'his-
toire mais Ernest Renan étudiant, en des
ouvrages qu'on n'a pas assez relus, une
des causes principales de tous les malaises et
de toutes les crises dont la France est si sou-
vent agitée. « Tandis que partout ailleurs, a dit
M. Bompard,. les peuples se serrent, pour ainsi
parler, autour de leurs grands écrivains, s'enor-
gueillissent de leurs œuvres et se parent de
leur gloire, il y a chez nous une séparation entre
la foule et l'élite, et ce malentendu est le mal le
plus profond peut-être dont souffre notre so-
ciété. » Cela est remarquablement pensé. M.
Bompard croit que la « valeur éducatrice de la
littérature française » peut réparer une part
de ce malentendu. Il estime, en effet, que
notre littérature est « une école de sincé-
rité, de raison et de justice »; et il ne se
trompe pas, mais encore faut-il que la leçon
donnée par cette « école » soit entendue et sui-
vie. L'est-elle? Peut-elle l'être? Ici le problème
d'éducation, le problème moral étudié par M.
Bompard se complique d'un grave problème
politique. En quelle mesure, et de quelle façon
peut-on organiser notre démocratie de telle ma-
nière que l'influence de l'élite se fasse sentir, ou
(tout simplement) soit admise? Les crises ré-
centes que nous avons traversées, et dont nous
ne sommes pas tout à fait libérés, ont montré le
dangereux abus que les foules pourraient faire
de leur force. Après certains désordres moraux,
après certaines violences de la rue, nous ne
pouvons plus croire, comme à un dogme, à l'in-
faillibilité du nombre. Aussi beaucoup d'esprits
en sont-ils revenus à la thèse classique, bien
que quelque peu hardie, qui place la Républi-
que en dehors du suffrage universel. On a com-
pris qu'il y a certaines vérités supérieures qu'à
certains moments une élite seule aperçoit, et
qu'elle a le devoir de proclamer et de défendre.
Mais quels moyens lui donner pour les faire
prévaloir?
Tel est assurément le grand problème que
nous avons à résoudre si nous voulons faire
vivre et vivre noblement une République
démocratique. M. Georges Leygues nous a
donné, dans son discours, des raisons d'es-
pérer que la jeunesse d'aujourd'hui s'effor-
cera de le résoudre. Il nous affirme qu'elle
est préoccupée de toutes les grandes ques-
tions du moment. Le grand-maître de l'Uni-
versité est un esprit jeune, ardent, généreux.
Il ne feint pas de croire que les générations
qui s'approchent de la vie soient enfermées
hermétiquement dans les lycées et séparées
du dehors par des cloisons ouatées où vien-
nent mourir tous les frissons et tous les
bruits du dehors. Il pense que, dans la littéra-
ture et dans l'histoire nationale, nos jeunes
gens savent discerner les événements essentiels
et les idées directrices qui portent des leçons
maîtresse. Plus que jamais elle éprouvait le be-
soin de trouver un être contre la poitrine du-
quel elle pût se serrer.
Tout le monde était si bon pour elle qu'elle
ne savait comment ses journées se passaient.
Elle voyait son livre à toutes les devantures, elle
lisait son nom dans tous les journaux, était in-
vitée à droite et à gauche, comblée d'attentions
et d'amabilités, traitée avec distinction comme
si elle eût été un grand personnage, et cela de-
vait continuer ainsi toujours.
Basteî Ce n'est que le commencement, lui
avait dit Léonore en souriant.
Elle sentait une sorte d'ivresse lui gagner le
cerveau sa table était jonchée de feuilles qui,
toutes, parlaient de son succès, de son énorme
succès.
Heider seul n'avait pas fait chorus avec les
autres et lui avait dit
Vous avez du talent, Elisabeth, je le recon-
nais très volontiers; mais, croyez-moi, il n'est
pas encore mûr. Votre livre est une preuve de
talent. mais non un chef-d'œuvre.
Elle avait voulu s'insurger.
Quand même tout le monde serait à plat
ventre devant vous, je ne.
Ne vous donnez pas tant de mal, avait-elle
fait en lui ooupant la parole, vous ne réussirez
pas à me gâter mon plaisir ni à m 'enlever ma
foi en moi-même. Je travaillerai, je me donne-
rai beaucoup de peine. Maier a promis d'éditer
mon prochain ouvrage. Il craignait que celui-ci
ne fût rien pour le gros public; il voulait en
changer le titre et mettre Passions au lieu de
Histoires sans prétentions, mais j'ai tenu bon.
Une deuxième édition deviendra nécessaire
avant peu. Songez donc, une deuxième édition! 1
Heureuse comme un enfant elle s'était mise
à rire et à battre des mains.
Si cela vous suffitl se borna-t-il à dire en
haussant les épaules.
Depuis ce jour elle le boudait. Il lui avait con-
seillé de venir le voir à l'occasion et de lui sou-
mettre ses travaux, mais elle n'en avait rien fait,
ou dégagent des principes pour le présent et
pour l'avenir. Et, faisant à ses jeunes auditeurs
le crédit d'une érudition et d'une maturité que
nous leurs souhaitons après tout, M. Georges
Leygues a retracé dans de beaux mouvements
d'éloquence la suite glorieuse des gestes fran-
çais à travers les âges.
Le ministre de l'instruction publique nous a
montrés tels que nous fûmes, en effet, c'est-à-
dire sans cesse ~en travail pour l'Humanité,
doués également de la faculté de réceptivité et
de la faculté d'expansion, n'étant jamais pins
heureux que d'accueillir une idée juste et belle,
venue du dehors, sinon lorsque nous répandions
au dehors une idée juste et belle que nous
avions nous-mêmes trouvée ou retrouvée. Cos-
mopolites dans la mesure où ce mot exprime
la fraternité et la solidarité supérieures des êtres
civilisés patriotes et nationaux, lorsqu'il s'agis-
sait de préserver, avec héroïsme, un patrimoine
.matériel et moral que notre honneur et notre
gloire nous engagent à ne pas considérer seule-
ment comme un bien étroit et jaloux, mais aussi
comme un dépôt.
Par ces deux tendances de sa nature souple et
plastique, où se retrouvent le bénéfice de sa
race heureusement mêlée et de son climat pri-
vilégié, la France a su maintenir le favorable
équilibre de son esprit, et elle avait su mériter
longtemps 1rs bonnes chances de l'histoire. M.
Georges Leygues a eu raison de rappeler à ses
jeunes auditeurs cette admirable leçon de cho-
ses. Avec toute la discrétion que lui comman-
dait son rôle, il a su tout de même se faire en-
tendre. N'étant point tenus aux mêmes pré-
cautions de langage, il nous convenait de sou-
ligner tout ce que son discours a de « sug-
gestif » et d' « actuel ». Mais voici que ces adjec-
tifs nous avertissent que nous ne parlons plus
une langue sorbonienne. Ne rentrons pas trop
tôtdans la politique. Contentons-nous d'avoir
essayé de dire.combien la grande fête universi-
taire d'aujourd'hui fut digne de la France.
3AE3STXJS PROPOS
LES CONGRÈS
Voici que l'heure des congrès a sonné. Quelques-
uns, non des moindres, ont eu lieu ces jours-ci.
D'autres vont s'ouvrir, et d'ici à la fin du mois
d'août, le joli pavillon Louis XVI élevé sur la berge
de la Seine pour abriter les congressistes ne chô-
mera guère. Il n'est pas de discipline, pas de branche
du savoir ou du travail humain qui n'ait convoqué
« son » congrès, à Paris, pour 1900.
Les congrès font partie intégrante des exposi-
tions. Il est si naturel de profiter des enseignements,
des documents de tout genre qu'elles centralisentl
Mais ce n'est pas la seule raison. Parmi les hom-
mes de science et de grand labeur, quelques-uns
hésiteraient à se déplacer pour voir l'Exposition, si
la perspective de travailler un peu, tout en se ré-
créant, et de ne pas perdre tout à fait son temps,
tout en prenant du bon temps, ne les séduisait. Il y
a certainement des provinciaux et des étrangers qui
viennent pour les congrès, et qui, n'étaient les con-
grès, ne viendraient pas.
Travaille-t-on beaucoup, une fois le congrès ré-
uni ? Cela dépend. Il y a des congrès très sérieux,
et d'autres qui le sont moins. Il y en a de très bien
préparés, et d'autres qui sentent l'improvisation.
Il y en a do très suivis, et d'autres qui sont déserts.
Il y en a qui attirent des maîtres, et d'autres qui ne
groupent que des disciples. On aurait tort de juger
d'un congrès par un congrès. Espérons, cependant,
comptons môme que tous les efforts auront été faits
pour que les grands congrès de cette année, ceux
qui ont une portée scientifique, ou sociale, ou mo-
rale, répondent par leur éclat aux légitimes ambi-
tions de notre pays et à la splendeur de l'Exposi-
tion.
Les congrès sont-ils très utiles ? Cela dépend
encore. Il y en a qui contribuent vraiment à la
diffusion de certaines idées. Non qu'ils apportent de
l'inédit. Cela est, je crois, fort rare. Mais ils rappro-
chent des hommes voués aux mêmes recherches,
animés des mêmes sentiments, des mêmes préoc-
cupations. Et ils donnent souvent une grande puis-
sance d'expansion et de rayonnement soit à une doc-
trine sur laquelle l'accord s'est établi, soit à une dé-
couverte, encore peu connue, ou contestée. Les con-
grès de sciences appliquées, les congrès d'hygiène
peuvent avoir de ces résultats excellents.
Mais tout congrès, quel qu'il soit, a un effet heu-
reux, qui est de mettre en présence des hommes de
nationalité, de langues différentes, et de les associer
durant quelques jours, dans les mêmes travaux et
les mêmes plaisirs. Il naît de là des relations
particulières souvent agréables, et, ce qui importe
davantage, une bienveillance générale et une esti-
me réciproque. Ce serait se payer de mots que de
voir dans les congrès une préparation, même loin-
taine, à l'ère de la paix universelle de la frater-
nité entre les peuples. Mais, très cettainement, les
congrès sont un antidote contre le poison de la
haine universelle et systématique. Ke fût-ce que
pour ce motif, on a bien fait de multiplier les con-
grès, chez nous, cette année.
Et puis, il faut bien le dire quand les savants
étrangers, quand les hommes d'action et de dévoue-
ment des autres pays auront pris contact avec leurs
émules français, quand ils auront aussi visité en
leur compagnie les grands établissements et dépôts
scientifiques ou littéraires de Paris, les grandes ceu-
vres sociales de Paris, ils emporteront de notre
pays et de la société française une image qui, pour
ne pas ressembler absolument à celle qu'en garde-
ront les simples touristes, venus uniquement pour
faire la fête, n'en sera que plus exacte.
Les congrès, c'est, en quelque sorte, la contre-par-
tie des bars, des théàtricules, des danses du ventre et
autres « attractions » qui n'expriment pas, an vrai,
la vie de Paris, encore moins celle de la France. Il
n'est pas mauvais qu'il y ait, en tous pays, quelques
centaines de gens pour le savoir, et, au besoin,
pour le dire. Les congressistes seront ces gens-là.
car elle lui en voulait de n'avoir point pris part
à l'universel concert d'éloges. C'était la seule
goutte d'absinthe qui fût tombée dans le calice
de sa joie.
Elisabeth était assise et réfléchissait
-Vingt-six ans dit-elle à haute voix.
Tout à coup elle songea à Ebel. Elle l'avait
revu plusieurs fois chez Maria Ritter et l'avait
rencontré à diverses reprises dans la rue. Mais
en ces occasions, il s'était contenté de la saluer
respectueusement, sans lui adresser la parole.
Elle lui avait envoyé son livre avec une dédi-
cace de quelques lignes. Elle lui devait bien
cela. Il lui avait écrit pour la remercier. La
lettre était exempte de toute flatterie, simple,
honnête, conforme en tout point à l'idée
qu'Elisabeth se faisait de l'homme; cependant
chacun des mots trahissait une admiration pro-
fonde pour la jeune fille. Elle avait bien des fois
relu cette lettre, et chaque fois elle avait baissé
la tête comme pour cacher sa rougeur.
Elle fut prise d'un irrésistible besoin de la re-
lire. Elle se leva et,àpas lents, se dirigea vers sa
table de travail.
Au même instant la sonnette deia porte tinta.
Elisabeth tressaillit. La bonne étant sortie, elle
alla ouvrir.
C'était Léonore Mannhardt qui venait la voir.
Que c'est gentil à toi! dit la jeune fille en
l'attirant à elle et l'aidant à se débarrasser de
son riche manteau fourré.
Sens comme j'ai chaud, flt l'autre en ap-
puyant contre ses joues la main d'Elisabeth, je
t'en prie, choisis un autre logement. Je suis tout
essoufflée d'avoir monté ces quatre escaliers.
Loge-toi plus près de nous. Et puis, franche
ment, c'est trop haut. Mais que je te raconte
bien vite, c'est magnifique, c'est admirable.
Quoi donc Prends place.
Pense donc, pense donc, criait Léonore en
arpentant la chambre dans tous les sens, il y a
huitjours, mon mari fait la rencontre de Schwert-
feger au Wintergarten, tu sais bien le nouveau
directeur. Ils sont du même pays et ont été à
LE CONCOURS GENERAL
DES LYCÉES ET COLLÈGES
Selon la tradition, le quartier latin a été aujour-
d'hui mis en mouvement par la solennité de la dis-
t,ribution des prix du concours général des lycées et
collèges. L'arrivée, dès dix heures et demie, des
gardes républicains à cheval et à pied, puis la foule
pressée des invités, affluant bien avant l'ouverture
des portes, et surtout l'apparition des uniformes mi-
litaires, universitaires, académiques, tous multico-
lores et dont les couleurs claires brillaient sous le
soleil, avait attiré vers le palais de la Sorbonne de
très nombreux curieux. M. Rieux, le nouveau com-
missaire de police du quartier de la Sorbonne, diri-
geait le service d'ordre. Il ne s'est produit, au reste,
aucun incident. Dans la foule, des gens s'étonnaient
que le superbe monument, dont la façade principale
sur la rue des Ecoles est d'architecture un peu sé-
vère, n'eût reçu, en ce jour de fête, aucune décora-
tion il n'y avait, en effet, pas même un drapeau,
A midi, M. Leygues, ministre de l'instruction pu-
blique, a fait son entrée. Il a été reçu, à la ^|rte
centrale, par M. Gréard, vice-recteur de l'académie
de Paris, entouré du corps académique. Le ministre
était accompagné de MM. Rabier, Bayet, Roujon,
Ferrand, directeurs de son département, et de M.
Dejean, chef de son cabinet.
Tandis que les tambours de la garde républicaine
battent aux champs, entre deux rangées de gardes
qui présentent les armes, la ministre se rend dans
un salon de réception, décoré de tentures de ve-
lours rouge, où se font les présentations. Le cortège
se forme presque aussitôt: les divers corps cons-
titués sont appelés par un huissier de l'Université.
Précédés des massiers des cinq facultés et de l'école
supérieure de pharmacie, qui portent, selon l'usage
séculaire, les grosses « masses » d'argent luisant,
successivement défilent les membres du conseil aca-
démique, ceux du conseil de l'Université, du conseil
supérieur de l'instruction publique, de la section
permanente de ce conseil, les hauts dignitaires,
l'ambassadeur d'Italie, comte Toruielli, et enfin M.
Georges Leygues, qu'escorte M. Paul Deschanel,
président de la Chambre des députés, et M. Gréard.
Depuis l'an dernier, les travaux d'achèvement de
la nouvelle Sorbonne ont été poussés avec activité.
Aujourd'hui la galerie des lettres, que suit le cortège,
est achevée on aperçoit tout au fond, à travers un
large hall vitré, l'admirable façade intérieure de
l'église de la Sorbonne, qui se trouve précisément
dans l'axe de la galerie, Au lieu de pénétrer dans
l'amphithéâtre par une porte latérale, le cortège
monte les degrés qui conduisent à la nouvelle salle
des Autorités, dont l'aménagement intérieur est in-
achevé encore; et c'est par cette salle qu'il gagne
directement l'estrade.
Tandis que la garde républicaine fait retentir ses
accents et que l'assistance tout entière, debout, ap-
plaudit, on s'installe. Le vaste amphithéâtre pré-
sente en ce mo ientun beau spectacle. Il est empli,
jusqu'aux derniers gradins, d'une foule brillante et
pressée. Ce ne sont que toilettes claires et qu'uni-
formes et les habits noirs, assez rares, font encore
mieux ressortir ces couleurs brillantes. Au centre,
c'est l'espérance du pays, les jeunes lauréats dont
l'enthousiasme ne se ressent en rien de la tempéra-
ture tropicale. Tous acclament le ministre et son cor-
tège.
Sur l'estrade, prennent place le ministre, le comte
Tornielli, M. Paul Deschanel, le général Bassot, re-
présentant le ministre de la guerre, le commandant
Bournazet. représentant le gouverneur militaire de
Paris, le lieutenant de vaisseau Fischbacher, repré-
sentant le ministre de la marine, M. Victor Le-
grand, président du tribunal de commerce, le prési-
dent de la Cour des comptes, M. Dausset, conseiller
municipal, président de la commission de l'ensei-
gn,ement, MM. Gaston Boissier, Ferdinand Brune-
tière, Henry Houssaye, PaulHervieu, de l'Académie
française, MM. Wallon, Larroumet, Nénot, mem-
bres de l'Institut, ce dernier est l'architecte de la
nouvelle Sorbonne, MM. Bernés et Chalamet, repré-
sentants du conseil supérieur de l'instruction pu-
blique MM. Pruvost, Ernest Dupuy, Coppinger,
Joubert, Morel.inspecteursgénéraux de l'instruction
publique, de nombreuses notabilités appartenant à
l'Université et à l'administration.
Sur les premiers bancs de l'hémicycle sont assis
MM. Gréard, vice-recteur de l'académie, les inspec-
teurs d'académie, M. Albert Duran, secrétaire de
l'académie, les doyens et professeurs des Facultés,
le directeur et les professeurs de l'Ecole supérieure
de pharmacie. Les proviseurs, censeurs et profes-
seurs des lycées de Paris, Vanves, Sceaux et Ver-
sailles, et les directeurs, censeurs et professeurs des
collèges Rollin, Stanislas et Chaptal, sont placés
es deux côtés de l'hémicycle.
Le ministre donne la parole à M. Bompard, pro-
fesseur de rhétorique au lycée Louis-le-Grand, qui
prononce un beau discours, fort applaudi, sur ce
sujet «De la valeur éducative de la littérature fran-
çaise. »
Pendant la lecture de ce discours, la chaleur, qui
est très forte dans la salle, est cause d'un accident;
un musicien de la garde se trouve mal; on est obligé
do l'emporter au dehors.
M. Leygues prononce ensuite un discours dont
voici le texte
DISCOURS DU MINISTRE
Messieurs,
L'Université conserve pieusement ses tradi-
tions.
Chaque année, professeurs et élèves tiennent ici
leurs grandes assises.
L'un de vos maîtres parle, et le ministre lui ré-
pond.
Pratique excellente si de ce dialogue se dégage,
comme du discours que nous venons d'applaudir,
quelque pensée forte et claire sur l'avenir et la vie.
Pratique oiseuse si les orateurs se contentaient
d'apporter à leur auditoire les exhortations connues
sur la discipline et le devoir ou l'éloge un peu su-
ranné de l'instruction et de l'éducation des sciences
et des humanités.
A vrai dire notre démocratie et notre temps ont
d'autres exigences et les harangues académiques
sont passées de mode.
swaKt&iKaffiS
l'école ensemble. Par le plus grand des hasards
ils se mettent à causer de littérature. Non, ce
que tu as une chance, ma fille Mon mari n'a
pas manqué de citer ton nom, que Schwertfeger
ne connaissait pas encore. Aussitôt que j'ai ap-
pris cela, je lui ai envoyé ton livre etau jourd'hui
j'ai reçu de lui une lettre de remerciements. Il
me dit qu'il lui a beaucoup plu et qu'il a été
frappé de ton grand sens dramatique. Ceci m'a
ouvert les idées, et je suis venue pour te dire
qu'il faut absolument que tu te mettes au
théâtre.
Moi?
Elisabeth n'en revenait pas.
Oui, toi. C'est bon, je te donnerai un coup
de main. Une pièce, vois-tu, c'est l'unique
moyen d'arriver bien vite à la renommée. Un
succès au théâtre fait plus que cent volumes.
Sois tranquille, nous réussirons. Schwertfeger
nous est acquis. Gœdeke a une partde comman-
dite à ce théâtre, je l'entretiendrai de ceci.
Ah! l
Elisabeth ne savait que dire. Elle se mit à rire
follement.
Mme Léonore, gagnée par la contagion,
s'abandonna aussi à la gaieté; mais aussitôt elle
reprit le dessus et observa d'un ton dépité.
Que tu es donc enfant
-Moi? ah! ah ah Tu veux que j'écrive
une pièce de théâtre? Mais j'en suis tout à fait
incapable et je n'en ai aucunement envie.
Voyons, ne fais pas la mauvaise tête etsuis
mon conseil. (Mme Léonore prit une mine
grave.) Nous t'avons lancée et, jusqu'à présent,
le succès a couronné nos efforts. C'est une chose
que tu ne peux contester. Mais, à présent, il faut
que tu y mettes aussi du tien.
-Du mien ?
Elisabeth ne riait plus, elleregardait sonamie
d'un air étonné.
Mais n'ai-je donc pas.
Elle eut une minute d'hésitation.
Bien sûr, bien sûr, tu as beaucoup de ta-'
lent, mais tu ne me comprends pas,
Vos lycées et vos collèges sont toujours de calmes
asiles, propices au travail, au recueillement et au
rêve; mais si haute que soit la parole de vos maî-
tres, si absorbés que vous soyez dans les études dés-
intéressées qui sont aujourd'hui et qui seront bien
mieux encore plus tard le charme de votre existence,
les grandes voix du dehors franchissent votre seuil
et vous ne restez pas indifférents aux événements
qui s'accomplissent dans le, monde.
Il ne faut ni le regretter ni s'en plaindre.
La vie nous presse de toutes parts. Elle vous in-
vite et vous appelle. Vous l'ignorez encore. Pour-
quoi ne la regarderiez-vous pas une fois en face
avant de lui appartenir tout entier?
La noblesse ou la bassesse des hommes et des
peuples, leur désintéressement ou leur avidité, leur
lâcheté ou leur courage, le succès ou l'insuccès de
leurs entreprises portent en eux leur enseignement
et ont une puissance éducative qui vient au secours
des humanités et complète 1 œuvre des écrivains et
des moralistes dont on vous parlait tout à l'heure
avec tant d'éloquence.
Il y a des moments où il faut descendre de sa tour
d'ivoire et se mêler à la foule et où il faut penser
tout haut.
Nous sommes à un de ces moments.
J'applaudirais le maître qui demain, ayant réuni
ses élèves autour de lui et leur ayant lu une page
de Descartes pour fortifier leur raison, et une page
de Pascal pour fortifier leur esprit, leur tiendrait à
peu près ce langage
« tonnez vos hvres. Levez les yeux. Au delà de
ces murs il y a quelque chose de très vivant et de
très grand la Patrie et l'Humanité.
» Un siècle va finir. Faisons ensemble son examen
de conscience.
» Il naquit au bruit des batailles; il se flatta, en
combinant le cosmopolitisme chrétien et l'interna-
tionalisme philosophique, d'établir la paix univer-
selle il fut troublé par des guerres atroces et il se
couche dans un ciel orageux où passent des lueurs
de sang.
» La France l'a rempli du fracas de ses discordes
civiles, et, si elle n'a été qu'affaiblie par ces discor-
des, c'est qu'elle ne doit pas périr.
» Cependant, les arts de la paix fleurissent avec
un éclat singulier. La science renouvelle le monde
par ses conquêtes, un immense souffle de fraternité
soulève les âmes, et jamais le travail n'offrit aux
regards fête plus grandiose et plus magnifique que
celle qui se déroule sur les rives de la Seine. Specta-
teurs aujourd'hui, acteurs demain, quel parti allez-
vous prendre? Comment, pour rester dignes de vo-
tre pays, de votre race, allez-vous gouverner votre
liberté? g
» Vous la gouvernerez pour votre honneur et
pour votre bien si vous restez fidèles à nos tradi-
tions nationales et à l'idéal de raison, de justice et de
fraternelle bonté qui fut dans tous les temps l'idéal
de la France. » p
En parlant ainsi, ce maître aurait parlé moins
comme un professeur que comme un homme.
Mais le chœur des pharisiens se dresse et je l'en-
tends qui s'écrie
« Vous raillez en parlant d'idéal à la jeunesse. Son
idéal est mort. Vous avez tout ravagé autour d'elle.
Elle est indifférente ou révoltée, découragée ou
gouailleuse, Elle n'a plus ni enthousiasme, ni vertu.
Il ne reste dans son âme qu'un immense vide et les
épaves d'un immense naufrage. »
La jeunesse n'est point si malade. Je parle de la
jeunesse qui compte, de celle qui pense, travaille et
agit. q
Elle n'est qu'impatiente et inquiète. En réalité, ja-
mais elle ne ut plus ambitieuse et plus avide de sa-
voir.
Elle n'a pas cessé de s'éprendre pour les nobles
causes, de se passionner pour le beau, de s'émou-
voir de l'infortune des humbles et de s'indigner de
l'insolence des superbes.
Religion, éducation, capital et travail, socialisme
et collectivisme, mutualité, solidarité, paix et guer-
re, science et art, il n'est pas une seule de ces gra-
ves questions qu'elle n'agite et ne s'efforce de ré-
soudre.
Elle écrit, elle parle, elle chante. Elle n'est ni dé-
sabusée ni sceptique.
Elle ne souffre pas du dégoût de la vie. Elle souf-
fre de ne pas savoir comment vivre. Cela ne veut
pas dire qu'elle soit impropre aux devoirs qui l'at-
tendent, car il y a au fond d'elle-même un ardent
désir d'action et une foi vivace en un meilleur ave-
nir.
Ne la condamnez pas. Son histoire, c'est votre
histoire.
Ces jeunes gens ont atteint l'àge d'homme au
conlluent de deux siècles.
Faut-il les blâmer s'ils ont été mêlés à la fonda-
tion d'un ordre politique nouveau, s'ils ont été les
témoins de la crise la plus redoutable que notre pays
ait connue, et s'ils assistent à la fin et au commen-
cement de tant de choses ?
Ils se ressaisiront, et les vaillants, qui sont les
plus nombreux, entraîneront les autres à leur suite.
L'essentiel, c'est qu'il n'y ait pas de malentendu
irréparable entre les hommes d'aujourd'hui et les
hommes de demain, c'est que l'unité morale du pays
ne soit pas compromise, c est que dans la transfor-
mation ou l'écroulement de tant de doctrines, d'idées
ou de rêves qui marquent les derniers jours du
siècle, le sentiment national reste debout.
Ici nous pouvons être pleinement rassurés.
Qu'est-ce qui pourrait mettre en péril l'unité mo-
rale de la patrio ?
L'ignorance et l'intolérance.
L'ignorance? Mais la République lui fait une
guerre sans merci. Pourchassée par des maîtres dont
rien ne refroidit le zèle et ne rebute le courage, elle
recule partout.
Chaque jour la lumière monte, l'ombre diminue
dans l'âme du peuple.
L'intolérance ? Notre pays la méprise et la hait,
parce qu'elle abaisse et déshonore les peuples et
parce que, plus honteuse et plus brutale que l'al-
cool, elle n'allume dans les cerveaux que les pas-
sions viles et les fureurs meurtrières.
Un mauvais souffle a pu jeter chez nous la graine
de cette ivraie mais elle ne vivra pas sur la bonne
terre de France.
Si elle reverdissait, c'est vous, jeunes amis, qui
l'arracheriez et qui la brûleriez en poussant des cris
de joie.
Le sentiment national n'est pas menacé.
L'amour de la patrie n'est plus fait seulement de
l'amour instinctif et tenace du sol il est fait main-
tenant de mille choses, puissantes et prufondes. et
tendres, dans lesquelles nos âmes sont invincible-
ment et délicieusement enserrées fables et légen-
des qui bercèrent nos premiers rêves, exploits guer-
riers qui enflammaient notre enfance, amertume
des revers, ivresse des victoires, orgueil de se dire
lié à ce grand tout qui est une nation et dont on ne
voit ni le commencement ni la fin, fierté de sentir
en soi quelque chose de l'àme collective qui illumi-
On frappa à la porte d'entrée.
C'est Mme Kistemacher, dit Elisabeth en se
levant, elle ne sonne jamais.
C'est bien désagréable d'être interrompu
de cette façon. Mme Léonore, en exprimant cet
avis, fit une mone dédaigneuse. Mme Kistema-
cher est bien la femme de ce dentiste, n'est-ce
pas? Je suis très étonnée, ma chérie, que tu te
sois liée si intimement avec ces gens- là. Ont-ils
au moins quelque éducation ?
-Mais certainement.
La jeune fille courut ouvrir et amena Mme
Kistemacher, qui se fit prier pour entrer quand
elle apprit que Mme Mannhardt était là.
L'entrevue de ces deux dames appartenant à
des mondes si différents fut plutôt froide et Mme
Julie ne tarda point à prendre congé, car, di-
sait-elle, sa présence était nécessaire à la mai-
son. En partant, elle embrassa Elisabeth.
Quand elle fut sortie, Léonore ne put se re-
tenir.
C'était bien la peine de nous déranger I
Nous étions 'si bien en train de causer. Veux-tu
que je te dise ce qui l'a amenée ici la jalousie,
pas autre chose.
C'est possible, dit la jeune fille.
Elle éprouvait un violent mal de tête. Ap-
puyant son front brûlant contre la poitrine de
son amie, elle se plaignit.
Je suis heureuse, très heureuse et malgré
cela il m'arrive à chaque instant des petits riens
qui.me gâtent mon piaisir et me donnent du
souci. Je n'ai pas le morai assez trempé pour
supporter cela. Ma situation est triste. Je n'ai
ni père, ni mère, ni frères, ni sœurs.
Mais tu as des amis. Ne sommes-nous, ne
suis-je pas là, moi ? dit Léonore en lui caressant
affectueusement les joues.
Oui, vous, murmura la jeune fille, mais de
vous tous nul ne m'appartient sans partage. Ne
m'interromps pas, ctière Léonore, je sais que tu
m'aimes et que tu es infiniment bonne pour
moi. A ce moment sa voix devint encore plus
na l'untvers ae ses rayons, vénération aes reliques
nationales, pieux souvenirs des ancêtres, culte des
chers morts qui reposent dans la terre sacrée.
Ce sentiment s'éclaire par la réflexion et l'étude.
Il s'exalte et se fortifie à mesure que l'horizon dft
notre pensée s'élargit et que notre esprit s'élève.
Mieux connaître le passé, mieux connaître les
choses du dehors, c'est mieux comprendre et mieux
juger la France. C'est se préparer à la mieux
servir.
Etudiez donc et aimez le passé. Cela ne vous em-
pêchera pas d'être des hommes de votre temps.
Etudiez et pratiquez l'étranger. Cela vous aidera.
à devenir de bons Français.
Le plus grand malheur qui pourrait vous arrivera
ce serait de vous enfermer dans des regrets qui, si
respectables qu'ils soient, seraient de mauvais con-
seillers et auraient le grave tort de vous isoler do
vos contemporains.
Il n'est plus permis de se cloîtrer dans de petites
cellules. Il est inutile de résister au train du monde.
Bon gré mal gré, il nous emporte. Nos récrimina-
tions n'y changent rien. C'est lui qui a raison l'his-
toire ne" se répète pas les nations ne reviennent
jamais en arrière.
Les vagues humaines expirent au même rivage,
mais aucune ne se ressemble. Les conditions socia-
les et les devoirs publics varient avec les généra-
tions. Le monde est dans l'état d'un perpétuel de-
venir.
A côté des vérités éternelles qui sont de tous les
pays et de tous les âges, il y a les contingences qui
font la destinée des peuples et qui se modifient sans
cesse. L'histoire n'est plus qu'une longue suite de
faits et d'idées qui durent un certain temps, puis
disparaissent pour toujours.
Ce sont les évolutions'et les transformations d'au-
trefois qui expliquent et justifient les évolutions et
les transformations d'aujourd'hui. L'histoire ne nous
fournit pas des formules toutes faites pour la aolution-
des problèmes économiques et sociaux; mais en
nous dévoilant nos propres inspirations, les.qualités
et les défauts de notre race,- les causes de nos triom-
phes et de nos malheurs, elle nous met en garde
contre ce qu'il faut éviter et nous fait voir nettement
le but vers lequel il faut tendre.
Nous ne datons pas d'hier. La Révolution ne
marque pas le point de départ de notre histoire elle
est au contraire l'aboutissant de l'effort obstiné du
peuple qui, pendant quatorze siècles, a poursuivi
son rêve de justice, d'égalité et de liberté. On vous
rappelait il y a un instant les paroles de l'un des
plus grands historiens de l'Allemagne contempo-
raine.
Ranke a écrit: « L'office de la France est de briser
d'époque en époque les lois fondamentales de la vie
européenne, de changer de fond en comble les insti-
tutions, les formes et les principes qu'elle avait le
plus contribué à faire prévaloir autour d'elle. »
C'est dire qu'elle rajeunit périodiquement tout ce
qui a donné sa fleur et son fruit.
Comment sentirez-vous l'importance et la beauté
de ce rôle si vous ignorez la France de Hugues Ca-
pet et de saint Bernard, de saint Louis et de Jeanne
d'Arc, de Louis XI et de Bayard, de Henri IV et de
Louis XIV, la France des Valois et la France du dix-
huitième siècle.
Mais si c'est une erreur funeste de croire que l'on
peut former des esprits impartiaux et éclairés en
les emprisonnant dans une période historique si
glorieuse qu'elle soit, c'est une erreur non moins
grave de s'imaginer, comme le pensent quelques-
uns, que nous préparerons de plus fermes patriotes
en nous séquestrant dans nos frontières, en vivant
repliés sur nous-mêmes, en fermant nos portes aux
idées, aux sentiments et aux doctrines de l'étran-
ger.
Le progrès est fait de l'échange de ces idées, do
ces doctrines et de ces sentiments et le rôle de la,
France dans l'histoire de la civilisation aété précisé-
ment de s'emparer des unes et des autres, de les
passer au filtre de son génie et, après les avoir cla-
rifiés et simplifiés, de les relancer dans la circula-
tion du monde.
La France a tenu pondant des siècles, le grand
marché international de l'esprit, où les nations ve-
naient s'approvisionner. Elle y livrait indifférem-
ment ses idées propres et celles des autres.
Elle a donné à l'Europe ses arts, ses lettres, sa
philosophie, sa science et les leçons de ses hommes
de guerre. Elle lui a donné aussi sa poésie, sa fan-
taisie, sa grâce légère, sa conception héroïque et
charmante de ce que Alfred de Vigny appelait
« un accident sombre entre deux sommeils infi-
nis ».
Elle a appris à tous à bien vivre et à bien
mourir.
Mais cette France puissante et admirée était hos-
pitalière à toute vérité et à toute beauté.
C'est chez elle que les lettres grecques et latines,
la Renaissance italienne, les tragiques espagnols,
la poésie et la philosophie anglaise et allemande.
Platon et Virgile, Dante et Michel-Ange, Lope de
Vega et Calderon, Bacon et Shakespeare, Kant,
Beethoven, Gœthe et Schiller ont trouvé l'écho le
plus prolongé, l'interprétation la plus exacte et l'ad-
miration la plus sincère.
Tout cela n'a pas empêché la France de se couvrir
de gloire sur les champs de bataille. Cela, il est
vrai, l'a entraînée à verser son sang pour les autres
partout où il y avait une cause généreuse à défen-
dre, à York-Town, à Navarin, à Anvers et à Ma-
genta. Qui de vous ne regrette le temps où l'épéo
de la France était toujours au service de l'Idée ?
Tout cela vous donne du même coup la conscience
précise de la dignité et de la grandeur de votre pa-
trie et marque clairement votre devoir.
Les générations qui vous ont précédés ont accom-
pli leur œuvre. Faites la vôtre 1
Dès que vous serez devenus des hommes, placez-
vous hardiment au-dessus des sectes politiques et
religieuses. Regardez de haut et de loin dans l'es-
pace et dans la durée. Tolérants et libéraux, procla-
mez que le domaine de la conscience est inviolable
et que, sans le respect de ce principe, toute société
retourne à la barbarie.
Rappelez partout et à tous la fonction tradition-
nelle de la France dans l'humanité, son génie, très
pur et très doux; rapprochez i-eux que. divisent en-
core des souvenirs et des espérances contradictoi-
res réalisez enfin notre rêve, l'union définitive do
tous les Français dans ce sentiment de Pie/as erga
Palriam qui est le plus noble de tous les sentiments
capables d'enflammer le cœur des hommes, parce
qu'il est fait de fierté, de sacrifice et d'amour.
Après ce discours, le ministre donne la parole à
M. Niewenglowski, inspecteur d'académie, qui
donne lecture des résultats du concours général des
départements. Nous donnons ci-àprôs ce palmarès.
Puis, ,M. Niewenglowski appelle les lauréats du
concours général des lycées de Paris, qui reçoivent
leurs prix, aux applaudissements des camarades et
sourde. Ta vie est remplie, tu as ton mari, ta
famille, tes amis, tes intérêts, ta sociélô. Tu n'as
pas besoin de moi tandis que moi je voudrais
être tout entière à un homme. Tu suis bien. fit-
elle en souriant, tout ou rien. Je le sensplusquc
jamais, on a besoin d'une âme sœur qui partage
votre bonheur aussi bien que vos peines.
Il faut te marier, ma chérie, dit à la canto-
nade Mme Léonore, qui ne comprenait rien aux
épanchements de ce genre. A propos, ma petite,
causons sérieusement d'une chose qui me re
vient à l'instant. Qu'as-tu donc eu avec Eisen-
lohr ? Le soir où vous avez dîne ensemble chez
nous, il a été bizarre or aurait juré qu'il t'évi-
tait avec soin. Il y a déjà longtemps que je vou-
lais te parler de cela. Hier soir, nous étions in-
vités chez Gœdeke soit dit en passant, j'ai été
fort surprise de ne pas t'y rencontrer j'étais
assise à côté d'Eisenlohr. Je lui ai parlé de toi,
et, comme il ne me répondait pas, je lui ai de-
mandé brutalement quels griefs il avait contre
toi. Là-dessus, il a pris un air très étonné et m'a
répondu « Aucun. » Ensuite, il a ajouté que lu
avais eu à son égard une attitude singulière pour
ne pas dire grossière, que tu étais une jeune
femme tout au moins excessivement fantasque.
Je n'ai pu tirer autre chose de lui, car il se dé-
robait à mesure que j'insistais. Aussitôt de re-
tour à la maison, j'ai raconté la chose à mon
mari, qui ne m'en a point paru étonné. Il m'a
dit, en effet, que Gœdeke lui en avait glissé un
mot le jour de notre dîner, mais qu'il n'avait
̃point voulu m'en parler de crainte de me gâter
mon plaisir. Il y a là-dessous quelque chose dô
louche. Je ne puis admettre qu"Ëisenlohr t'en
veuille à ce point pour un article de journal.
Tu as raison. Ce n'est point pour ce motif
qu'il m'en veut. En disant ces mots, Elisabeth
bondit de sa chaise. Mais je vais te raconter Ci
qu'il a fait, ce cafard!
P. de PARDIELLAN.
Traduit de l'allemand de CLARA Viebig
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