Titre : Le Temps
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1898-09-26
Contributeur : Nefftzer, Auguste (1820-1876). Fondateur de la publication. Directeur de publication
Contributeur : Hébrard, Adrien (1833-1914). Directeur de publication
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Description : 26 septembre 1898 26 septembre 1898
Description : 1898/09/26 (Numéro 13627). 1898/09/26 (Numéro 13627).
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Source : Bibliothèque nationale de France
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Date de mise en ligne : 15/10/2007
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LUNDI 26 SEPTEMBRE 1898.
TRENTE-HUITIEME ANNÉE. N4 13027.
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PAÎIS, SBSB rt SEIÎiE-ET-OISE. Trota mois, 14 fr. Six mois, 28 fr. Ci u, 5© b,
BÊmT" et âlSACE-LCaEAIHK. 17 tr. 34 fr î 6B fr.
OTIOX POSTALE 18 fr.; 36 fr.; 72 &.
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LES ABONNEMENTS DATENT DES 1" ET 16 DE CHAQUE 11011
Un numéro (départements) 20 centimes
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CHIOH POSTAIS 18 fr.; 36 fr.; 72fc
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Un numéro (à Paris) 1S centime»
Directeur politique Adrien Hébrard
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Le Journal ne répond pas des articles non insérés
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Bulletin DE L'ÉTRANGER
LE VICE-ROI DES INDES ET SA PAIRIE D'IRLANDE
Le nouveau vice-roi des Indes n'ira pas à Cal-
eutta, en décembre prochain, en qualité de sim-
ple George- Nattemd™€taramr Petr à peu la
coutume s'est établie que le représentant de la
reine dans la péninsule, le souverain effectif de
près de trois cents millions d'hommes, soit dé-
signé au respect des Orientaux par un titre de
pair.
Il n'en fut pas toujours ainsi. Warren Has-
tings, quand il jetait, après Clive, les fondements
de ce vaste empire, n'était qu'un simple esquire.
Canning, lorsqu'il accepta la vice-royauté et cet
çxil doré auquel il n'échappa, au dernier mo-
ment que par la mort de Castlereagh et la dis-
parition des obstacles mis par ce rival impla-
cable à l'avancement normal de sa carrière
politique, Canning ne songeait nullement à
se laisser reléguer définitivement, loin de la
Chambre des communes, arène des grands
combats, dans l'olympe de la Chambre haute.
Depuis lors il n'y a point eu d'exception à la
ïègle nouvelle. Le cabinet de Saint-James a tou-
jours eu soin de nommer à ce grand poste des
pairs ou des personnages en possession, de par
leur naissance du préfixe de lord et, quand ces
conditions n'étaient pas remplies, il avait immé-
diatement élevé à la pairie les commoners sur
lesquels s'était porté son choix. Quand M.
Gladstone offrit, en 1893, la vice-royauté à sir
Henry Norman, on se demanda si le grand
leader libéral entendait déroger à cette tradition
ou s'il comptait créer une pairie pour ce vieux
serviteur de l'Etat; le refus de ce dernier écarta
ïa question ce fut lord Elgin qui alla à Cal-
cutta.
Cette fois-ci, M. George-Nathaniel Curzon se
prouvait dans une situation assez particulière. Il
2st le fils et l'héritier présomptif d'un pair, lord
gcarsdale, lequel a reçu les ordres et est dans le
clergé anglican. Rien n'aurait été plus aisé que
de faire pour le jeune vice-roi ce que l'on a fait
gouvent dans des cas analogues, c'est-à-dire de
l'appeler à siéger à la Chambre des lords, du
vivant de son père, au titre de l'une des pairies
de celui-ci.
C'est là une solution très fréquemment adop-
tée. Sans parler de l'infortuné lord Drumlanrig,
le secrétaire privé de lord Rosebery, mort si
tragiquement à la chasse, et qui avait été appelé
à siéger à la Chambre des pairs en vertu de
l'une des baronies accumulées sur la tête de son
père, l'excentrique marquis de Queensberry, si
fameux pour ses démêlés avec Oscar Wilde, le
comte Percy, fils aîné du duc de Northumber-
land, une foule d'autres sont dans cette position.'
tl aurait suffi, lord Scarsdale, bien que de bonne
souche et de race antique, n'ayant qu'une seule
pairie et n'étant que simple baron, de lui confé-
rer un comté et d'appeler son fils à la Chambre
des lords au nom du titre inférieur désormais
approprié à l'héritier présomptif.
Tout cela était bel et bon. Seulement M. Cur-
zon professe une vive répugnance à aller s'en-
terrer tout vivant à la Chambre haute. Il pro-
fesse, il sait que c'est dans la Chambre des
communes que palpite la vie nationale, que
c'est là que réside le pouvoir effectif et suprême,
là que se font et se défont les ministères, là qu'il
faut agir, parler, combattre, vaincre, si l'on veut
exercer sur son pays une influence décisive.
Aussi naguère, avec quelques fils aînés de
pairs placés dans la même situation que lui et
désolés de se voir à la merci de l'accident qui,
en coupant le fil des jours de leurs pères res-
pectifs, les transporteraient brusquement de
l'assemblée populaire dans le Sénat héréditaire,
avait-il publié une protestation contre cette dure
loi, l'appuyant sur le fait qu'il aurait suffi, pen-
dantles seize ans où William Pitt régnait sur
l'Angleterre et sur. lu. Chambre des communes,
de la disparition du frère aîné, le second comte
de Chatham, dont il était l'unique héritier, pour
l'arracher au théâtre de ses triomphes et le re-
léguer dans une espèce d'Hôtel des Invalides en
le frappant d'impuissance, M. Curzon et ses col-
lègues proposaient de promettre aux pairs héré-
ditaires de renoncer- une fois pour toutes, au
moment de leur accession aux droits et pri-
vilèges de leur titre et de se prononcer pour un
mandat électif.
Il ne voulait pas de pair par force et il s'était
inspiré de l'exemple de la Hongrie, où les
magnats peuvent opter entre leur siège à la
Chambre haute et un siège à la Chambre basse,
si les électeurs le leur donnent.
Depuis lors, la situation parlementaire de M.
Curzon a grandi. Il est devenu l'un des chefs de
son parti. Il peut raisonnablement aspirer, à
moins d'accidents, à être un jour le leader de la
Chambre des communes et premier ministre
d'Angleterre. Peut-être aurait-il renoncé, non
sans douleur, à ces éblouissantes perspectives
si cet acte d'abnégation avait été indispensable
pour aller exercer aux Indes les fonctions de
vice-roi.
Par bonheur pour lui, la Constitution britan-
nique offre des ressources infinies pour sortir
-.d'embarras. Il y a plusieurs espèces de pairs.
Nous ne disons pas seulement plusieurs espèces
de lords. Chacun sait qu'en dehors des lords
proprement dits, titulaires d'une pairie, il y a
JFE~LJM~.TETTO'M JD~J Qrtmpg
DU 26 SEPTEMBRE 1898
CHRONIQUE THEATRALE
la Loïe Fuller de Gœthe. Réouverture du Palais-
itoyal avec la Culotte; de l'Aînée au Gymnase; de
Zaza au Vaudeville. Aux Folies-Dramatiques, les
Quatre Filles Aymon, opérette en trois actes et cinq
tableaux, de MM. Armand Liorat et Albert Fonteny,
musique de M. P. Lacôme. Réouverture de Pari-
giana.
Je vous disais, dans mon dernier feuilleton,
que la Loïe Fuller, s'étant blessée, n'avait pas
encore reparu aux Folies-Bergère. Elle a fait
cette semaine sa rentrée aux applaudissements
du public qui no s'est pas encore lassé de ce
spectacle. Je ne parlerais sans doute pas de ce
mince incident de la vie théâtrale, si le hasard
jie m'avait mis, justement ces jours derniers,
sous les yeux un document assez curieux et
qui, je crois, est ignoré, sur ce genre d'art que
la Loïe Fuller pratique, et qu'elle s'imagine avoir
inventé.
J'avais pris, pour y chercher un renseigne-
ment, le volume des œuvres de Gœthe où il
conte son voyage en Suisse et en Italie. (Tome 9
traduction Porchet), et je feuilletais, parcourant
le texte des yeux, quand je tombai sur cette
page « Caserte, 16 mars 1787.
» Le chevalier Hamilton, qui est toujours ici
ambassadeur d'Angleterre, après s'être occupé
i longtemps des arts en amateur, après avoir
étudié si longtemps la nature, a trouvé le com-
ble des plaisirs de la nature et de l'art dans une
belle jeune fille. Il l'a recueillie chez lui. C'est
une Anglaise de vingt ans. Elle est très belle et
bien faite. Il lui a fait faire un costume grec, qui
lui sied à merveille. Elle laisse flotter ses che-
veux, prend deux châles et varie tellement ses
attitudes, ses gestes, ses expressions de physio-
nomie qu'à la fin on croit rêver tout de bon. A
genoux, debout, assise, exaltée, pénitente, at-
trayante, menaçante, inquiète, une expression
succède à l'autre et en découle. Elle sait ajuster
Et chaque expression les plis du voile, les chan-
ger et se faire cent coiffures diverses avec les
mêmes tissus.
v » Cependant, le vieux chevalier lui tient la
les tords par courtoisie, fus de ducs ou de maiv 1
quis, et les lords par fonctions, juges de la haute
cour. Les pairs sont pairs de Parlement ou ne
le sont pas.
En laissant de côté les évoques anglicans et
les pairs d'appel ou judiciaires à vie, il y a les
pairs du Royaume-Uni, de la Grande-Bretagne
et d'Angleterre, qui' font ipso facto partie de la
Chambre haute et ont le droit d'y parler et d'y
voter. Puis viennent les pairs d'Ecosse, dont le
nombre a été immuablement fixé lors de l'union
sous Jacques Ier, qui élisent un certain nombre
des leurs pour les représenter pendant la durée
d'un Parlement et qui ne peuvent siéger dans la
Chambre des communes.
Viennent enfin les pairs d'Irlande. Ils élisent
un certain nombre des leurs pour les représenter
à vie à la Chambre haute. Ils ont le droit de se
faire élire à la Chambre des communes par une
circonscription non irlandaise. Le gouverne-
ment a le droit de créer une pairie d'Irlande par
trois extinctions et de ne pas laisser tomber le
total au-dessous de cent.
Tel est le rang que lord Palmerston, qui en
était investi, proclamait la plus enviable des po-
sitions sociales en Angleterre. En effet, il con-
fère auprès des vulgaires le prestige qu'obtien-
nent les titres. Un pair d'Irlande est lord avec
tout ce qu'implique auprès des snobs ce mot
irrésistible et en même temps il peut siéger à la
Chambre des communes et exercer comme
lord Palmerston le fit soixante ans durant la
réalité du pouvoir, qui ne peut s'acquérir que
dans une assemblée populaire et en vertu d'un
mandat électif.
M. Curzon a spirituellement résolu son pro-
blème personnel. Il faut l'en féliciter.
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps
Madrid, 25 septembre, 9 h. 25.
On dit qu'en sondant les dispositions des puis-
sances européennes à l'égard du développement de
l'influence des Etats-Unis en Extrême-Orient le ca-
binet espagnol a acquis la certitude que la plupart
des puissances ne voient aucune objection au con-
trôle et même au condominium américain sur les ar-
chipels espagnols, et préféreraient cette solution à
voir les Etats-Unis s'emparer définitivement des
Philippines. Vienne, 25 septembre, 8 h. 15.
Hier déjà le palais du Parlement était rempli d'a-
nimation. Les diverses fractions se réunissaient en
conciliabules et se préparaient à la séance d'ouver-
ture de demain.
Les groupes allemands de l'opposition se sont réu-
nis pour fixer leur attitude. Les grands propriétaires
constitutionnels, les progressistes, les populistes,
les chrétiens sociaux étaient représentés les natio-
naux du groupe Schœnerer, seuls, manquaient.
Après une manifestation de deuil peur l'impératrice,
on a délibéré sur le projet d'interrompre l'obstruc-
tion afin de discuter la question du compromis avec
la Hongrie. Mais la délibération n'a pas abouti à un
résultat, et chaque club se réserve une pleine liberté
d'agir comme il l'entendra. p
La Wiener Abendpost, journal semi-officiel, ..ablie
un long article qui paraît refléter les idées du prési-
dent du conseil. Le journal officieux recommande à
toutes les fractions de la Chambre de ne pas refuser
leur concours au travail parlementaire et de ne pas
forcer le gouvernement à se passer du Parlement
pour pourvoir aux besoins indispensables de l'Etat.
Belgrade, 25 septembre, 8 heures.
L'envoyé serbe à Constantinople, M.Novakovitch,
a présenté au sultan un mémorandum de son gou-
vernement qui demande la construction d'une église
nouvelle, pour les Bulgares à Kumanovo, afin de
mettre fin v,v.x interminables querelles de posses-
sion pour l'église commune des Serbes et des Bul-
gares dans cette ville.
Liverpool, 25 septembre, 8 h: 15.
Le vapeur Axim, de la Compagnie africaine, est
arrivé hier, ayant à bord le colonel Lugard, qui re-
vient pour discuter avec le gouvernement les arran-
gements du transfert des territoires de la Compa-
gnie du Niger au gouvernement britannique. On
croit généralement que le colonel Lugard sera le
premier gouverneur de la Nigeria.
Le major Arnold et le lieutenant Engelbach, de la
Compagnie du Niger, sont également arrivés.
(Service Bavas)
Perpignan, 25 septembre
M- Maruéjouls, ministre du commerce, arrivera à
Port-Vendres, samedi, 8 octobre. Le lendemain diman-
che, il inaugurera le monument élevé à Port-Vendres
aux rapatriés de Madagascar morts en arrivant dans
ce port.
Le lundi 10 octobre, M. Maruéjouls inauguera la voie
ferrée de Céret à Amélie-les-Bains et à Arles-sur-Tech.
Trois banquets seront offerts au ministre, à Rive-
saltes, Port-Vendres et Amélie-les-Bains.
Madrid, 25 septembre.
Suivant YImparcial, les recettes des impôfc, des oc-
trois Lt des douanes pendant le mois de juillet et
d'août présenteraient une diminution de 19 millions,
par rapport au mois de juillet et d'août du précédent
exercice. Pi.r contre, les dépenses ont augmenté de
trois millions.
Tripoli-de-Barbarie, 25 septembre.
Une lettre adressée de Zinder à un Ghadamésien ré-
sidant à Tripoli-de-BarL:.rie donne la relation suivante
du désastre de la mission Cazemajou
Cette mission comprenait 40 personnes, dont 37 nè-
gres et trois blancs. A une certaine distance de Zinder,
une troupe d'indigènes de 200 hommes l'ayant atta-
quée aurait été presque complètement anéantie. Une
seconde, du même nombre, aurait subi le même sort.
Le sultan de Zinder aurait alors envoyé 600 hommes
qui, après une lutte sanglante, seraient parvenu-? à
disperser la mission française.
chandelle, et il s'est donné à cet objet de toute
son âme. Il trouve en elle tous les antiques, tous
les beaux profils des monnaies siciliennes et
jusqu'à l'Apollon du Belvédère. Pour tout dire,
cet amusement est unique. Nous l'avons eu déjà
deux fois. Un de nos peintres fait le portrait de
la belle Anglaise. »
Savez-vous bien que cette belle Anglaise dont
le jeu charma Gœthe n'était rien moins qu'Emma
Harte, qui fut la favorite de la reine Caroline et
la maîtresse de Nelson? Il est bien probable que
la chandelle du vieux chevalier jetait sur les
châles d'Emma Harte des feux moins éblouis-
sants et moins variés que notre lumière élec-
trique. Nous avons perfectionné le procédé
scientifique. Peut-être y avait-il plus d'art et
plus de séduction féminine chez la Loïe Fuller
de Gœthe. Mais nous pouvons dire avec lui que
cet amusement est unique. Il y a eu partout des
imitations plus ou moins heureuses de la Loïe
Fuller. La vraie reste sans rivale pour la grâce
des poses et pour le jeu des étoffes aux couleurs
changeantes.
Les théâtres rouvrent en ce moment de toutes
parts, et tous nous donnent pour spectacle de
réouverture les pièces qu'ils jouaient quand ils
ont fermé. Ils ne peuvent faire autrement, puis-
que au mois de juin ils lâchent la volée à leurs
pensionnaires, qui se dispersent dans les casinos
des villes d'eaux et des plages. Ils sont obligés
d'attendre leur retour pour monter une œuvre
nouvelle. Ils n'inaugureront la saison qu'un
mois après. Il n'y a pas à récriminer contre ces
mœurs nouvelles il faut les prendre comme
elles sont et s'en accommoder.
Au Palais-Royal, on jouait le soir de la fer-
meture la Culotte, qui n'était déjà même à cette
époque qu'une reprise. On rouvre avec cette
même Culotte. C'est un vaudeville en trois
actes de MM. Sylvane et Artus. Je m'y suis en
core amusé et le public y rit de grand cœur. Le
second acte est d'une bouffonnerie un peu
grosse; on dirait une farce de tréteaux; mais
c'est une farce très gaie, et l'on n'en demande
pas davantage au Palais-Royal. La pièce a gardé
ses interprètes Gobjn, Raimond, Lamy et Fran-
cès Mmes Cheirel; Piernold, Narlay et Mary
Gillet, sans oublier la duègne, Mme Franck
Mel. C'est un ensemble excellent. Mais cette re-
prise ne prête à aucune observation nouvelle.
Tout ce qu'on en peut dire, c'est qu'il y a là
une bonne soirée à passer, pour ceux qui ne
vont pas chercher au théâtre le plaisir de philo-
sopher.
ta même lettre ajoute qu'au sentiment général dans
cette contrée, si la mission française avait disposé de
200 hommes, tout le pays de Zinder serait tombé en
son pouvoir.
DERNIÈRE HEURE
Esterhazy et le bordereau
L'agence Havas nous transmet la dépêche sui-
vante
Londres, 25 septembre.
Un rédacteur de V Observer, qui a donné l'hospitalité
à Esterhazy pendant dix jours, dit avoir reçu de lui
des détails du plus grand intérêt sur l'affaire Dreyfus,
mais surtout en ce qui concerne le bordereau. Le bor-
dereau, dit-il, était le thème favori dans ses conversa-
tions.
Voici en quels termes le journaliste anglais, dontnous
reproduisons le récit à titre de curiosité et en lui en
laissant toute la responsabilité, fait parler Esterhazy
a J'ai écrit le bordereau, dit Esterhazy, sur la de-
mande du colonel Sandherr, et le colonel Henry était
au courant du fait; ces deux hommes ne sont plus,
mais, néanmoins, il m'est possible de prouver que le
bordereau est bien de moi. Le bordereau devait servir
à prouver matériellement la culpabilité de Dreyfus,
car le bureau des renseignements n'avait pu recueillir
contre lui que des preuves morales. On savait cepen-
dant, par le service d'espionnage français à Berlin,
que l'état-major allemand était en possession de docu-
ments que seul Dreyfus pouvait lui communiquer.
C'est la liste de ces documents qui constituait le bor-
dereau. »
Esterhazy rappelle les épreuves auxquelles Dreyfus
a été soumis par l'état-major qui voulait bien se con-
vaincre qu'il était le traître. Il dit qu'on dicta un jour
un plan tout à fait fantastique de concentration des
troupes sur la frontière du sud-ouest, et que quelque
temps après les espions au service de la France en
Italie informaient le service des renseignements que
l'état-major italien faisait certaines modifications à la
frontière aux environs de Nice. Or, ces modifications
correspondaient exactement aux changements annon-
cés dans le projet imaginaire qui avait été dicté à
Dreyfus.
Esterhazy dit aussi que Dreyfus pouvait passer de
longues vacances en Allemagne, sans être même in-
quiété par les autorités allemandes, ce qui était une
nouvelle preuve qu'on le connaissait bien en Alle-
magne.
Esterhazy déclare avoir écrit lo bordereau sans au-
cune hésitation il reconnaît qu'il est presque toujours
nécessaire de fabriquer des preuves matérielles contre
les espions, car autrement il serait presque impossible
d'arriver à les punir.
Le colonel de Schwarzkoppen qui a déclaré n'avoir
jamais vu le bordereau, a dit la vérité il ne l'a ja-
mais vu. En effet, c'est un agent du service des ren-
seignements qui le remit au concierge de l'ambassade
allemande, lequel était un espion au service de la
France; celui-ci le remit à un autre agent du nom de
G. qui le rapporta au bureau des renseignements. Il
était essentiel, en effet, de donner à ce document un
caractère authentique.
C'est exclusivement sur le bordereau que Dreyfus a
été condamné la pièce secrète qui a été montrée aux
juges du conseil de guerre était cette fameuse lettre
qui contient le mot: « .cette canaille de D. » Ester-
hazy dit que l'initiale D. ne désignait pas Dreyfus,
mais un individu dont le nom commençait également
par un D. et qui était une sorte de colporteur des
petits papiers du service des renseignements.
L'O&sewer ajoute qu'Esterhazy a résidé à Londres, à
l'hôtel Previtali; c'est là qu'il a eu une première entre-
vue avec le représentant de l'Observer, et il est main-
tenant à l'abri de la surveillance de la police fran-
çaisr.
La Weekly-Despatch rnnonce qu'Esterhazy, qui est
encore à Londres, a dû changer de résidence, qu'il se
trouve actuellement en lieu sûr et qu'il n'a rien à crain-
dre des agents de la police française.
La grève des terrassiers
Une conférence aura lieu, ce soir, à cinq heures,
au ministère de l'intérieur, entre M. Henri Brisson,
président du conseil, M. Charles Blanc, préfet de
police, et le président du Conseil municipal.
Dana cotte conférence, due à l'initiative du préfet
de police, on doit s'occuper de la grève des terras-
siers.
La rénnion de la salle Guyenet
Une réunion a eu lieu, cet après-midi, sous la pré-
sidence de M. Paul Déroulède dans la salle du ma-
nège Guyenet, avenue de la Grande-Armée, 73.
Un service d'ordre assez important a été organisé.
Le préfet de police, le directeur de la police muni-
cipale, trois commissaires de police divisionnaires
commandent le service d'ordre.
A une heure et demie, la salle, dans laquelle on
ne pénètre que muni d'une carte d'invitation, est
à moitié pleine. Il y a 1,500 à 2,000 personnes pré-
sentes.
Deux ou trois cents curieux stationnent sur les
trottoirs.
M. Déroulède arrive en voiture, à deux heures.
Sur le trottoir, ses amis crient « Vive Déroulède! »
II est acclamé également par les auditeurs, lorsqu'il
pénètre dans l'intérieur de la salle.
M. Déroulède préside, assisté de MM. Barrès et
Marcel Habert.
M. Déroulède, prenant.la parole, dit que la France
est divisée en deux camps d'un côté les dreyfu-
sards, d'un catre côté les Français. y
-Un juif qui est antidreyfusard est Français,
dit-il, mais un catholique qui est dreyfusard n'est
pas Français.
M. Déroulède attaque vivement M. Brisson qu'il
accuse de « faire affront au drapeau en poursui-
vant la revision. Il n'est pas encore traître, dit-il,
mais c'est déjà un demi-traître.
« Voilà pourquoi, dit l'orateur, j'ai sonné le rallie-
ment au drapeau et pourquoi nous ferons la garde
autour. Nous sommes prêts. »
M. Déroulède continue en disant que M. Brisson
est un symbole, qu'il personnifie cette école de po-
liticiens qui ont la heuv.e de l'armée, dont ils ne sa-
vent se servir ni à l'intérieur ni à l'extérieur.
La reprise de l'Aînée, au Gymnase, a été plus
intéressante. J'étais curieux de savoir comment
tournerait cette nouvelle épreuve. Vous savez
que l'œuvre de Jules Lemaitre a traversé des
phases diverses. Le premier soir, bien que tout
le monde fût d'accord sur les grandes-qualités
de la pièce, il y eut néanmoins quelque incer-
titude sur le succès final. L'Aînée eut de la
peine à s'établir dans l'opinion publique. L'iro-
nie qu'on y sentait courir sous le dialogue ne
plaisait pas à tout le monde. La façon cavalière
dont l'auteur avait mis en scène les pasteurs
protestants avait froissé nombre d'honnêtes
gens et inquiété certaines consciences. La har-
diesse de deux scènes quelque peu scabreuses
avait jeté encore un sentiment de gêne. Bref, la
pièce fut plusieurs jours à trouver son aplomb.
Ce n'est que soir à soir que le public fut con-
quis par le goût de nouveauté et par le charme
de l'œuvre. Les recettes montèrent lentement
jusqu'au maximum.
Elle subit en province des fortunes différen-
tes. Il y eut des villes où elle rencontra de sé-
rieuses résistances, d'autres où elle fut extrême-
ment goûtée. Je vous ai ici même conté avec de
grands détails l'accueil qu'elle reçut à Royan:
très réservé et même froid à la première repré-
sentation, si bien qu'on hésitait à en donner une
seconde. Cette seconde dégela les Royannais et
réunit tous les suffrages.
Notre impression à tous en sortant du Gym-
nase, l'autre soir, a été que l'Aînée s'était re-
mise en route pour une nouvelle série de repré-
sentations qui serait assez longue. Je n'ai plus à
causer avec vous de l'ouvrage en lui-même
j'en ai déjà tant et si souvent parlé Nous n'a-
vons à nous occuper que de l'interprétation.
Deux rôles ont changé de titulaires Grand a
remplacé Mayer dans le rôle du pasteur Mi-
kils et Mlle Tomassin joue celui de Norah qui a
été créé par Mlle Yahne. Mayer et Mlle Yahne
ont quitté le Gymnase et le Vaudeville. Pour-
quoi M. Porel s'est-il séparé d'eux? Je l'ignore.
Il les regrettera sans doute plus d'une fois et
nous les regretterons également.
Je serais désolé que ces deux artistes, en aban-
donnant leurs théâtres, eussent cédé à une turlu-
taine qui semble à cette heure hanter la cervelle
de beaucoup de comédiens. Je lisais, il y a deux
ou trois jours, dans une interview consacrée à
Mlle Hading, que la charmante actrice, avant
de partir pour sa grande tournée, avait dit à
notre confrère
C'est fini, je ne veux plus appartenir à au-
cun théâtre. J'entends ne plus relever que de
moi-même. C'est moi qui choisirai mes pièces
n attaque ensuite très vivement MM. Jaurès, Cle-
menceau, Trarieux, etc., et dit que,si une révolution
éclatait, l'échafaud serait en permanence et que le
premier qui y monterait ce serait M. Clemenceau.
Il termine en disant qu'il faut reprendre la tradi-
tion nationale. Le malheur est que nos compatrio-
tes Hë savent pas se grouper.
..«Mais, dit-il,en se frappant la poitrine,je connais
un honnête homme qui les groupera. »
La réunion prend fin aussitôt par un ordre du jour
annonçant la reconstitution de la Ligue des pa-
triotes.
La sortie s'effectue sans désordre.
m
L'ISSUE UNIQUE ET NÉCESSAIRE
On a vu que la commission des jurisconsultes
s'est divisée en deux parties égales. On attendait
qu'elle vînt départager les esprits hésitants dans
le ministère, elle paraît, à son tour, également
partagée et plus embarrassée que tout le monde.
Au point de vue juridique, les choses donc res-
tent dans l'état. S'il fallait une preuve de plus
des obscurités profondes qui couvrent toute
cette affaire, de la légitimité des doutes qui se
sont emparés de l'esprit public, de l'incompé-
tence de l'opinion mal éclairée et des partis po-
litiques trop peu désintéressés, il nous paraît
qu'on la trouve éclatante et décisive dans le
spectacle de la balance d'une savante commis-
sion, dont les deux plateaux, après trois jours
de méditations et de discussions serrées, restent
dans un équilibre parfait. Ainsi tout le monde
est divisé les juristes comme les ministres, et
les juges comme l'opinion. A ce point de vue de
l'équilibre des forces, des précédents et des tex-
tes, nous sommes au point mort, au point d'i-
nertie dont parlent les traités de mécanique.
Allons-nous y rester? Le pouvons-nous? La
vie est une action, c'est-à-dire une rupture
d'équilibre. De quel côté et dans quel sens va-
t-elle se produire? Nous le saurons demain, à
ce qu'on nous promet. En attendant, il n'est
pas inutile de réfléchir une dernière fois sur
cette situation. En vain a-t-on essayé de se dé-
rober jusqu'ici à la responsabilité d'une déci-
sion. L'heure a sonné où cette responsabilité
doit être prise, où la volonté, une volonté ferme,
droite et réfléchie doit entrer en jeu.
Ne pas donner à la question qui nous presse
et nous étreint une solution juridique et légale,
ce ne serait pas la supprimer c'est, au con-
traire, l'envenimer encore et l'embrouiller de
plus en plus, puisque c'est l'abandonner à la
discussion de la presse, des hommes politiques,
de la foule, c'est-à-dire de tous ceux qui n'en
connaissent point les éléments matériels et dé-
cisifs ou les connaissent mal, et, dès lors, les in-
terprètent à leur guise, en tirent des conclu-
sions purement subjectives et résolvent le plus
complexe et le plus obscur des problèmes sui-
vant leurs antipathies ou leurs sympathies per-
sonnelles. En d'autres termes et pour tout dire
d'un mot, c'est laisser dans la politique pure
une question qui depuis bientôt un an y est
entrée violemment et' y a fait de si terribles
ravages. Tout le monde continuera à la débat-
tre, excepté les juges souverains qui seuls y
pourraient apporter la lumière. Ce sont ces
combats de nuit dont nous parlions l'autre jour,
ces combats fratricides qui séviront avec une
fureur d'autant plus intense qu'aucun des com-
battants en présence n'aura renoncé à ses pas-
sions, ni à l'espérance de la victoire.
Si les juristes sont divisés par leurs scrupu-
les, comment les braves gens dans tous les par-
tis ne le seraient-ils pas ? Si tout est obscur, il y
a, du moins, une chose trop certaine, c'est cette
i obscurité même; c'est lé doute qui se propage
dans tous les milieux qui raisonnent; ce sont
les contradictions qui s'accumulent, les docu-
ments vrais ou faux qui se colportent et se mul-
tiplient, les témoignages et les révélations nou-
velles qui viennent augmenter le trouble déjà
si grand et exaspérer l'inquiétude déjà si vive.
Voici un journal anglais qui nous apporte ce
matin la confession tardive et suspecte, il est
vrai, d'Esterhazy, mais qui n'est pas faite, on
l'avouera, pour diminuer l'imbroglio et arrêter
les commentaires. Est-il vraiment, comme il
l'avoue publiquement, l'auteur du fameux bor-.
dereau qui a servi à faire condamner Dreyfus ?
L'accusation nouvelle qu'il porte contre l'état-
major a-t-elle quelque fondement? Nous nous
garderons bien de nous prononcer. Douter est
plus que jamais l'attitude non seulement du
sage, mais du bon citoyen. Donc le doute est ou
devrait être universel. Comment en sortir? A
qui appartient-il de dire le dernier mot, de
montrer la vérité, de porter enfin une sentence
assez autorisée pour s'imposer aux esprits sin-
cères et faire renaître la paix morale du pays?
Est-ce à un ministre seul ou à un conseil de
guerre jugeant à huis clos? Est-ce à la Cham-
bre ? Est-ce à la presse ? Il suffit de poser ces
questions pour que chacun y réponde. Non, il ne
reste que la Cour de cassation qui pourra tout
voir, tout savoir et tout dire. II n'y a que la
cour souveraine qui puisse arracher cette affaire
à la politique et nous en délivrer en la canali-
sant fortement dans les voies judiciaires. Il n'y
a qu'elle que l'opinion impartiale de la majorité
du pays soit disposée à entendre et à suivre.
S'il s'agissait d'un crime ordinaire, du procès
d'un assassin sur lequel planeraient de telles
et mes rôles je n'aurai plus à subir de direc-
tion ni de conseils; je marcherai dans ma force
et dans ma liberté. Je ferai de l'art à ma fan-
taisie.
Il paraît qu'elle développa ce thème avec
beaucoup de verve. Je sens un peu d'inquiétude
à voir se répandre ces idées subversives. Si grand
que l'on soit, et ce n'est pas toujours le cas,
vous me l'avouerez bien, on ne joue pas la co-
médie tout seul. C'est courir un gros risque que
de s'enfermer chez soi attendant le hasard d'un
beau rôle, qui ne vient pas toujours, et qui
même, lorsqu'il se présente, a parfois ce grave
inconvénient d'avoir été taillé sur le patron du
comédien. Mme Hading verra peut-être dans
quelques années qu'elle a fait fausse route; qu'il
valait mieux pour elle demeurer avec ses cama-
rades,sous la férule d'un Koning ou d'un Porel,
accepter dans un bel ensemble de troupe les
rôles que lui apporteraient les auteurs, et croître
de talent comme de réputation en essayant de
les rendre.
Il en est des comédiens errants ainsi que des
comètes. Ils brillent d'un éclat très vif durant
quelques nuits, mais ils ne tardent pas à s'en-
foncer dans l'ombre. J'ai vu avec plaisir que no-
tre amie Jeanne Granier avait signé avec Sa-
muel, qu'elle fera partie de la troupe des Varié-
tés. Il n'y a pas d'art dramatique possible sans
troupe stable.
C'est là le secret de la supériorité que garde
la Comédie-Française. Que de fois le public ne
s'est-il pas dit, en sortant d'une représentation
« Il n'y a encore que. là qu'on joue la comédie. »
Et l'on a raison de le dire. C'est que malgré
toutes leurs querelles, en dépit de toutes les pe-
tites jalousies, malgré les passe-droitetlesabus,
sociétaires etpensionnaires sonttoujours (disons
presque toujours, pour rester dans la vérité
stricte) prêts à accepter les rôles qu'on leur
offre qu'un rôle, même de médiocre impor-
tance dans une pièce nouvelle, y est souvent
disputé par deux ou trois comédiens, dont cha-
cun a un nom et peut faire valoir des droits
c'est que Berr, dans Louis XI, joue un rôle de
rien du tout, dont il tire un parti merveilleux;
c'est que jadis nous avons vu Coquelin, j'entends
Coquelin aîné, au comble déjà de la réputation,
jouer l'huissier de Tartuffe et le Dubois du Mi-
santhrope; c'est que Worms, en ces derniers
temps, a prêté deux fois l'autorité de son nom
et de son talent à des rôles qu'il savait exécra-
bles et qui étaient de second plan.
Et voilà comme on fait les bonnes maisons t
Voilà aussi comme on fait les bons comé-
contradictions dans les témoignages et les do-
cuments, où les faussaires de pièces juridiques
eussent fait de tels aveux, où tant de causes de
doute seraient venues créer une si profonde et
si légitime suspicion, mais d'où seraient en
même temps écartés les préjugés sociaux ou
religieux et les partis pris politiques, nous
osons affirmer, sans crainte d'être démentis que
l'on n'hésiterait pas. On estimerait unanime-
ment qu'il faut recommencer la procédure, re-
viser soigneusement toutes les pièces et toutes
les sentences, et l'on reviserait. Eh bien ce que
nous osons demander à nos gouvernants au
nom du bon sens public dérouté, au nom d'une
bonne -et saine justice, au nom du repos moral
de ce pays énervé et qui demande grâce, c'est
de s'affranchir délibérément de tout préjugé
comme de tout calcul politique, et d'oser faire
en cette occurence ce qu'ils n'hésiteraient pas à
faire s'il s'agissait d'un procès ou d'un criminel
ordinaire. Le droit commun, rien que le droit
commun; c'est encore le chemin le plus droit
vers la justice et le plus sûr comme le plus
court au point de vue d'une politique avisée et
libérale.
«g»
L'AVIS DE LA COMMISSION
La commission spéciale appelée à donner son avis
sur la demande en revision formée par Mme Drey-
fus a déclaré qu'elle n'avait pas d'avis.
Trois voix se sont prononcées pour la transmis-
sion à la Cour de cassation, trois voix contre. Ce qui
signifie évidemment que, prise dans son ensemble,
la commission estime qu'il y a autant d'arguments
en faveur de l'ouverture de la procédure de revision
devant la Cour suprême qu'il y en a en sens con-
traire.
On ne s'explique guère, dès lors, comment il se
fait qu'elle ait, à raison de ce partage, présenté un
avis négatif.
C'est, dit-on, parce qu'il est d'usage au Parlement
de considérer comme rejetée toute proposition sur
laquelle il y a partage égal des voix. Sans doute, et
cela se comprend en matière législative, mais ici il
s'agit d'une question d'ordre judiciaire à trancher.
En fait, si l'avis de la commission devait avoir un
effet décisif, si la loi lui accordait un caractère pré-
pondérant, si le ministre de la justice n'avait pas le
droit absolu de ne pas se conformer à cet avis,
qu'arriverait-il? C'est que l'ouverture de la procé-
dure de revision ne pourrait avoir lieu, ce qui équi-
vaudrait à la confirmation de la sentence rendue par
le conseil de guerre. Or, tout le monde sait qu'une
condamnation ne peut être prononcée qu'à la majo-
rité, le simple partage des voix dans le jury entraîne
l'acquittement de l'accusé. N'est-il pas logique de
soutenir que la majorité est nécessaire aussi, lorsque
le bien fondé d'une condamnation étant mis en dis-
cussion, il s'agit de savoir si cette condamnation
sera maintenue ou si elle pourra être annulée?
Rien ne démontre mieux d'ailleurs le caractère pu-
rement consultatif, sans effet obligatoire, des avis
de la commission, que cette possibilité légale de
partage résultant de sa composition.
Le législateur a voulu montrer par là que le véri-
table juge de l'introduction de la procédure de revi-
sion c'est le ministre de la justice et que le véritable
juge de la revision c'est la Cour de cassation.
A la Cour de cassation seule appartient le pouvoir
de faire les enquêtes qui donnent, le cas échéant,
leur portée réelle aux faits nouveaux invoqués et
qui peuvent être, comme dans l'affaire Jamet-Léger,
dont nous rappellions hier le précédent, mal appré-
ciées par la commission spéciale. Seule aussi, elle
rend et peut rendre un véritable arrêt pour ou con-
tre le condamné, car la revision ne peut être par
elle ordonnée ou refusée qu'à la majorité.
Les décisions de la.chambre criminelle comme
celles des autres sections doivent être prises à la
majorité. L'ordonnance du 15 janvier 1826portant rè-
glement pour le service de la Cour de cassation dit
en son article 5
Conformément à l'article 64 de la loi du 18 mars 1800,
en cas de partage, cinq conseillers seront appelés pour
le vider.
Ces cinq conseillers seront pris d'abord parmi les
membres de la chambre qui n'auraient pas assisté à
la discussion de l'affaire et subsidiairement parmi les
membres des autres chambres, selon l'ordre d'ancien-
netd. e
C'est donc à la Cour de cassation qui statuera à la
majorité, et par un arrêt motivé, qu'il faut remettre le
soin de prononcer souverainement sur la question
de revision actuellement soulevée.
Le ministre de la justice a jugé les faits nouveaux
suffisants pour être soumis à l'appréciation de la
commission spéciale.
La commission spéciale lui répond, en somme,
par son partage « Faites ce que vous voudrez »
S'il désire être couvert, dans cette délicate ques-
tion, il ne le peut être que par la Cour de cassation.
MENVS PROPOS
LE SORT DE NOTRE GÉNÉRATION
II y a des générations privilégiées. Elles naissent
à la vie publique à une heure où la vie publique est
enviable. Elles ne connaissent de la vie privée que
les rapports doux, confiants, faciles qui on font le
charme. Tous les contemporains assurent qu'il était
infiniment agréable de vivre dans les dernières
années de l'ancien régime. La jeunesse nourrissait
diens. Si Leloir est devenu un si excellent artiste,
c'est qu'il a joué toutes sortes de rôles, même
ceux qui ne semblaient pas convenir à son tem-
pérament. Je l'écoutais tout dernièrement dans
le Flibustier, de Richepin, où il a repris ce per-
sonnage du grand'père, si puissamment créé
par Got. Il n'a pas encore la bonhomie robuste
de Got qui était des pieds à la tête un vieux ma-
telot breton. Il y arrivera, et l'effort qu'il fait
pour assouplir sa nature à des rôles si divers
ne lui est pas inutile pour devenir un comédien
parfait.
Oh que j'aurais souhaité que la Comédie-
Française engageât Mayer plutôt que Barrai,
dont il semble que le besoin n'était pas urgent
Le voilà hors du Vaudeville et du Gymnase il
n'y a plus pour lui que, par exception, de théâ-
tre à Paris. Les théâtres étrangers nous le pren-
dront ce sera encore pour notre art dramatique
une force perdue.
Un impresario d'infiniment d'initiative et de
sens me disait ces jours-ci qu'il n'y eut jamais
moment si favorable pour ouvrir un théâtre de
comédie de genre à Paris. On formerait une
troupe admirable avec les laissés-pour-compte
de nos directeurs. Je serais tenté d'être de son
avis. Quel acteur que ce Galipaux et il a été
flanqué à la porte de son théâtre, à moins qu'il
ne l'ait prise lui-même. Je ne sais pas ce qu'il
en est au juste. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il
est lui aussi sans place et sans rôle. Que de
forces vives perdues Et cependant, lui, Gali-
paux, on ne pouvait pas l'accuser de ne pas se
plier, selon les circonstances, à de petits rôles. Il
avait joué en dernier lieu dans Zaza une ma-
nière de figuration. Il n'est pas embarrassé,
j'imagine. Il ira faire une tournée de monolo-
gues et gagnera beaucoup d'argent. Je le con-
nais assez pour savoir qu'il préférerait un bon
rôle dans une troupe parisienne.
Le talent ne court pourtant pas les rues.
Quelle rage possède les impresariosde se priver
de ceux qu'ils ont sous la main. Le Miktls de
l'Aînée a perdu évidemment à passer de Mayer
aux mains de Grand. Grand est un bon comé-
dien, un peu raide et froid, qui n'a ni la finesse
du jeu, ni la variété d'intonations de Mayer.
Mlle Thomassin a hérité du rôle de Norah, que
Mlle Yahne a été forcée d'abandonner. Elle se
serait bien passée de cet honneur.
Mlle Thomassin est une fort jolie jeune per-
sonne qui nous arrive du théâtre de Saint-Péters-
bourg, où elle avait remporté de nombreux et
brillants succès.
Je vous ai, ici même, cet hiver, parlé de la
réputation qu'elle avait connu isp. ln-1 >•>̃̃; et dft
alors de grandes espérances. Les gens crage couse*.
vaient d'extraordinaires illusions. Tous étaient éga«
lemént, quoique diversement heureux.
Et, de môme, faisait-il bon vivre sous la Restau»
ration. La politesse et l'esprit reprenaient, dans la
société, leurs droits méconnus durant la période oit
la France n'avait été qu'un camp. La lutte politique
était vive, mais courtoise, élégante et généreuse.
Sous la monarahie de Juillet, il y eut un fléchisse*
ment sensible des moeurs et de l'esprit public, un
tassement de l'idéal politique. Cependant, la jeu-
nesse-connaissait encore de belles émotions, et la
Révolution de 1848 a été une revanche de l'idéa-
lisme contre les intérêts matériels et l'égoïsme
bourgeois.
Notre génération a été moins bien partagée. Ella
arrivait à l'âge où l'on comprend, quand l'empire
s'est effondré. Elle a senti toutes les tristesses de la
guerre, sans avoir pu faute d'être plus vieille de
quelques années chercher dans l'action le dérivatif
ou le réconfort que l'action apporte toujours. L'humi-
liation de la défaite a pesé sur elle, pendant des an»
nées et des années, avec l'angoisse de douter si, aU
cas où une guerre nouvelle éclaterait, les prépara-
tifs seraient mieux faits, le commandement serait
plus loyal ou plus habile, l'armée plus solide. Ceux
qui ont aujourd'hui vingt ou vingt-cinq ans, ne
peuvent pas même essayer de comprendre ce qu'a,
été, pour leurs aînés, cette pensée sans cesse éveillée
et lancinante, jusqu'au jour où il leur a paru h
tort ou à raison que les chances de guerre allaient
diminuant et que l'avenir, s'il doit amener les re-
vanches souhaitées, procédera par des voies dont
nous n'avons pas le secret.
Cependant, la vie publique manquait d'attrait et
de noblesse. Non pas qu'elle ne comportât encore
des combats à livrer. Mais la discussion s'était faite
médiocre. Les anciens partis ne semblaient plus me.
naçants. Parmi ceux qui acceptaient l'ordre nou-
veau et revendiquaient le droit de le diriger, les
dissidences portaient souvent sur des questions ou
secondaires ou subalternes. Les ambitions person.
nelles et les conflits qu'elles entraînent prenaient
le pas sur les questions de principe. Plus le champ
de la lutte se rétrécissait, plus la lutte elle-même
devenait âpre et violente. Les relations des particu.
liérs tendaient à s'aigrir, et s'aigrissaient en effet.
L'injure, la calomnie et la diffamation, moyens ha-
bituels des partis, dans la lutte électorale, passaient
de la vie politique dans la vie du monde, ou dans la
vie de famille, et y exerçaient leurs ravages. Une
entreprise détestable contre la liberté politique, les
menées du boulangisme, venaient ajouter un souci
de plus à tous les soucis qui, déjà, nous oppres.
saient.
C'est alors, vers 1889, qu'il se produit une sure
prise heureuse. Le boulangisme est vaincu, je de-
vrais dire balayé. L'apaisement entre les partis sem-
ble promettre une ère de concorde à l'intérieur. L'Ex.
position universelle est une victoire économique et
morale qui nous console et nous relève à nos propres
yeux comme à ceux du monde. Les grands souvenirs
du siècle passé, dont la commémoration coïncide avec
cette victoire, recèlent un ferment salubre qui, peut-
être, va réchauffer les coeurs ? Des idées nouvelles
et des passions nouvelles se lèvent, qui ont leur
danger, mais aussi leur grandeur et leur séduction
puissante. Enfin, les premiers témoignages d'amitié
viennent, du dehors, à la France qui, cessant de se
sentir isolée, est bien près de se croire emportée de
nouveau vers des destinées meilleures.
Hélas ce moment, le premier moment heureux
que notre génération ait connu, devait être court. Il
est bien superflu de rappeler ici des événements qui
sont présents à la mémoire de tous. Tous savent et
sentent que la France n'a pas traversé, depuis
vingt-huit ans, d'heure plus sombre que l'heure ac-
tuelle. On a vu se réveiller des haines que l'on
croyait éteintes à jamais, et à jamais disqualifiées.
On a vu surgir des menaces, que l'on croyait à ja-
mais écartées. La liberté politique est en péril. Les
droits de la société civile, dont la conquête a coûté
si cher, chancellent à leur tour. Un trouble profond
travaille les esprits. La société française est par-
tagée en deux camps, qui échangent les invectives
les plus violentes, en attendant qu'ils en viennent
aux coups. C'est la nuit qui tombe, c'est le deuil qui
recommence, c'est l'oppression qui étreint de nou-
veau la conscience et le cœur.
Qu'a fait notre génération pour mériter un sort
aussi cruel ? i
A MADAGASCAR
(Lettre de notre correspondant particuliert
Tananarive, 28 août.
Un télégramme de Paris, inséré au Journal officiel,
annonçait ces jours derniers la réorganisation du
conseil d'administration de la colonie cette simple
nouvelle eut pour effet immédiat de rasséréner le
front soucieux des commerçants et des colons, tous
atteints, les premiers, par la crise commerciale qui
sévit en ce moment, à la suite de l'installation des
grands magasins du Louvre; les seconds, par la dé-
cision que serait sur le point de prendre le général
Galliéni, autorisant les indigènes à se livrer aux ex-
ploitations minières. Enfin, pensèrent-ils, ce qu'on
nous promet depuis si longtemps est sur le point do
se réaliser nous pourrons exposer nos doléances
avec quelques chances d'être écoutés on ne ren-
verra plus de bureau en bureau nos réclamations
j dont il n'est pas toujours tenu compte.
Leur joie fut, hélas! de bien courte durée. Infor-
l'engouement qu'elle avait excité. Elte était en-
chantée de rentrer à Paris mais son ambition
était de se présenter à nous dans un rôle qui
convînt à sa figure, à sa voix et à son talent. Ella
a tout ce qu'il faut pour être une amoureuse,
amoureuse ingénue ou grande amoureuse, peu
importe, mais amoureuse. Le visage est fin, lo
regard aimable, la voix tendre. On lui offre
Norah, qui est ce que nous appelons à Paris une
petite rosse. Mlle Yahne avait tout naturellement
dans l'allure de la personne et dans le timbre de
la voix je ne sais quelle perversité piquante qui
donnait une saveur singulière au rôle.
Vous vous rappelez la jolie scène où Norah,
agacée de voir ses parents alléguer contre l'aînée
la bible et les prophètes, pour ne point lui par-
donner, fait bravement tête et leur dit sur un
mode iroique « Je suis bien plus coupable
qu'elle, car j'ai trompé mon mari oui, je l'ai
trompé.» Cet aveu si bizarre paraissait naturel
quand il était lancé par Mlle Yahne, qui était,
sans y prendre garde, hardie et effrontée.
On ne comprend pas que Mlle Thomassin,
cette aimable jeune fille, s'y emporte. Mlle Tho-
massin sentait bien quelle disproportion il y
avait de son talent au personnage. Elle eût assu*
rément préféré qne ce calice fût détourné do
ses lèvres. Mais quoi fil fallait débuter! elle a
saisi la balle au bond. Nous n'en n'avons pas
moins remarqué ses qualités de fine et gracieuse
comédienne.
Les autres rôles sont restés aux mains de?
titulaires Boisselot et Lérand, excellents l'un
et l'autre, Numès qui s'est taillé un succès per-
sonnel très vif dans le succès général. Mlle Des-
prés est exquise dans les parties mélancoliques
du rôle de l'aînée; je lui voudrais plus de sur-
excitation nerveuse au troisième et surtout ait
quatrième acte. Elle devient monocorde par une
affectation de simplicité excessive. C'est une
tendance fâcheuse. Il ne faut point passer la
pierre ponce sur un rôle pour en arrondir les
angles; il n'en faut pas amortir exprès les points
lumineux. Mme Samary est toujours très bonne
dans la femme du pasteur. C'est Mlle Dallet qui
est chargée, à cette reprise, comme au pre*
mier soir, de représenter cette petite peste de
Dorothée.
Vous vous rappelez comme elle s'y prend
pour enjôler ce vieux roquentin de Muller et 16
voler à sa pauvre sœur. Nous avions trouvé la
scène plus qu'osée, et Mlle Dallet avait, par la
liberté de ses gestes et de ses allures, appuyé
sur la chanterelle. Elle avait failli compromettre
la victoire. L'expérience et de bons conseils l'ont
assagie. Elle joue maintenant avec beaucoup de
LUNDI 26 SEPTEMBRE 1898.
TRENTE-HUITIEME ANNÉE. N4 13027.
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PAÎIS, SBSB rt SEIÎiE-ET-OISE. Trota mois, 14 fr. Six mois, 28 fr. Ci u, 5© b,
BÊmT" et âlSACE-LCaEAIHK. 17 tr. 34 fr î 6B fr.
OTIOX POSTALE 18 fr.; 36 fr.; 72 &.
AUTBES PAÏS 23 fr.; 46 fr.; ©2 fr.
LES ABONNEMENTS DATENT DES 1" ET 16 DE CHAQUE 11011
Un numéro (départements) 20 centimes
ANNONCES MM. Lagrange, CERF ET G', 8, place de la Bourse
Le Journal et les Régisseurs déclinera toute responsabilité quant à leur teneur
TÉLÉPHONE, 4 LIGNES s
*«̃•̃ 1O3.O7 1O3.O8 1O3.O9 He.4O
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FA£IS, SHHÏ et SEINE-ET-OISB. Troi» sois, 14 fr.; Ki mit, 28 fr.; Da u, 66 fr.
DÉPART" «tALSAtE-LORRAnra. 17 fr.; 34 fr.; 63 fr.
CHIOH POSTAIS 18 fr.; 36 fr.; 72fc
AUTBESPATS 23 fr.; 46 fr.; 92 fr.
IBS ABONNEMENTS DATEXT DBS 1" ET 16 Du CHAQEB mois
Un numéro (à Paris) 1S centime»
Directeur politique Adrien Hébrard
Tontes les lettres destinées à la Réaction doivent être adressées sa Directeur
Le Journal ne répond pas des articles non insérés
Adrtss* tiléêraphifurTTBMra PARIS
Bulletin DE L'ÉTRANGER
LE VICE-ROI DES INDES ET SA PAIRIE D'IRLANDE
Le nouveau vice-roi des Indes n'ira pas à Cal-
eutta, en décembre prochain, en qualité de sim-
ple George- Nattemd™€taramr Petr à peu la
coutume s'est établie que le représentant de la
reine dans la péninsule, le souverain effectif de
près de trois cents millions d'hommes, soit dé-
signé au respect des Orientaux par un titre de
pair.
Il n'en fut pas toujours ainsi. Warren Has-
tings, quand il jetait, après Clive, les fondements
de ce vaste empire, n'était qu'un simple esquire.
Canning, lorsqu'il accepta la vice-royauté et cet
çxil doré auquel il n'échappa, au dernier mo-
ment que par la mort de Castlereagh et la dis-
parition des obstacles mis par ce rival impla-
cable à l'avancement normal de sa carrière
politique, Canning ne songeait nullement à
se laisser reléguer définitivement, loin de la
Chambre des communes, arène des grands
combats, dans l'olympe de la Chambre haute.
Depuis lors il n'y a point eu d'exception à la
ïègle nouvelle. Le cabinet de Saint-James a tou-
jours eu soin de nommer à ce grand poste des
pairs ou des personnages en possession, de par
leur naissance du préfixe de lord et, quand ces
conditions n'étaient pas remplies, il avait immé-
diatement élevé à la pairie les commoners sur
lesquels s'était porté son choix. Quand M.
Gladstone offrit, en 1893, la vice-royauté à sir
Henry Norman, on se demanda si le grand
leader libéral entendait déroger à cette tradition
ou s'il comptait créer une pairie pour ce vieux
serviteur de l'Etat; le refus de ce dernier écarta
ïa question ce fut lord Elgin qui alla à Cal-
cutta.
Cette fois-ci, M. George-Nathaniel Curzon se
prouvait dans une situation assez particulière. Il
2st le fils et l'héritier présomptif d'un pair, lord
gcarsdale, lequel a reçu les ordres et est dans le
clergé anglican. Rien n'aurait été plus aisé que
de faire pour le jeune vice-roi ce que l'on a fait
gouvent dans des cas analogues, c'est-à-dire de
l'appeler à siéger à la Chambre des lords, du
vivant de son père, au titre de l'une des pairies
de celui-ci.
C'est là une solution très fréquemment adop-
tée. Sans parler de l'infortuné lord Drumlanrig,
le secrétaire privé de lord Rosebery, mort si
tragiquement à la chasse, et qui avait été appelé
à siéger à la Chambre des pairs en vertu de
l'une des baronies accumulées sur la tête de son
père, l'excentrique marquis de Queensberry, si
fameux pour ses démêlés avec Oscar Wilde, le
comte Percy, fils aîné du duc de Northumber-
land, une foule d'autres sont dans cette position.'
tl aurait suffi, lord Scarsdale, bien que de bonne
souche et de race antique, n'ayant qu'une seule
pairie et n'étant que simple baron, de lui confé-
rer un comté et d'appeler son fils à la Chambre
des lords au nom du titre inférieur désormais
approprié à l'héritier présomptif.
Tout cela était bel et bon. Seulement M. Cur-
zon professe une vive répugnance à aller s'en-
terrer tout vivant à la Chambre haute. Il pro-
fesse, il sait que c'est dans la Chambre des
communes que palpite la vie nationale, que
c'est là que réside le pouvoir effectif et suprême,
là que se font et se défont les ministères, là qu'il
faut agir, parler, combattre, vaincre, si l'on veut
exercer sur son pays une influence décisive.
Aussi naguère, avec quelques fils aînés de
pairs placés dans la même situation que lui et
désolés de se voir à la merci de l'accident qui,
en coupant le fil des jours de leurs pères res-
pectifs, les transporteraient brusquement de
l'assemblée populaire dans le Sénat héréditaire,
avait-il publié une protestation contre cette dure
loi, l'appuyant sur le fait qu'il aurait suffi, pen-
dantles seize ans où William Pitt régnait sur
l'Angleterre et sur. lu. Chambre des communes,
de la disparition du frère aîné, le second comte
de Chatham, dont il était l'unique héritier, pour
l'arracher au théâtre de ses triomphes et le re-
léguer dans une espèce d'Hôtel des Invalides en
le frappant d'impuissance, M. Curzon et ses col-
lègues proposaient de promettre aux pairs héré-
ditaires de renoncer- une fois pour toutes, au
moment de leur accession aux droits et pri-
vilèges de leur titre et de se prononcer pour un
mandat électif.
Il ne voulait pas de pair par force et il s'était
inspiré de l'exemple de la Hongrie, où les
magnats peuvent opter entre leur siège à la
Chambre haute et un siège à la Chambre basse,
si les électeurs le leur donnent.
Depuis lors, la situation parlementaire de M.
Curzon a grandi. Il est devenu l'un des chefs de
son parti. Il peut raisonnablement aspirer, à
moins d'accidents, à être un jour le leader de la
Chambre des communes et premier ministre
d'Angleterre. Peut-être aurait-il renoncé, non
sans douleur, à ces éblouissantes perspectives
si cet acte d'abnégation avait été indispensable
pour aller exercer aux Indes les fonctions de
vice-roi.
Par bonheur pour lui, la Constitution britan-
nique offre des ressources infinies pour sortir
-.d'embarras. Il y a plusieurs espèces de pairs.
Nous ne disons pas seulement plusieurs espèces
de lords. Chacun sait qu'en dehors des lords
proprement dits, titulaires d'une pairie, il y a
JFE~LJM~.TETTO'M JD~J Qrtmpg
DU 26 SEPTEMBRE 1898
CHRONIQUE THEATRALE
la Loïe Fuller de Gœthe. Réouverture du Palais-
itoyal avec la Culotte; de l'Aînée au Gymnase; de
Zaza au Vaudeville. Aux Folies-Dramatiques, les
Quatre Filles Aymon, opérette en trois actes et cinq
tableaux, de MM. Armand Liorat et Albert Fonteny,
musique de M. P. Lacôme. Réouverture de Pari-
giana.
Je vous disais, dans mon dernier feuilleton,
que la Loïe Fuller, s'étant blessée, n'avait pas
encore reparu aux Folies-Bergère. Elle a fait
cette semaine sa rentrée aux applaudissements
du public qui no s'est pas encore lassé de ce
spectacle. Je ne parlerais sans doute pas de ce
mince incident de la vie théâtrale, si le hasard
jie m'avait mis, justement ces jours derniers,
sous les yeux un document assez curieux et
qui, je crois, est ignoré, sur ce genre d'art que
la Loïe Fuller pratique, et qu'elle s'imagine avoir
inventé.
J'avais pris, pour y chercher un renseigne-
ment, le volume des œuvres de Gœthe où il
conte son voyage en Suisse et en Italie. (Tome 9
traduction Porchet), et je feuilletais, parcourant
le texte des yeux, quand je tombai sur cette
page « Caserte, 16 mars 1787.
» Le chevalier Hamilton, qui est toujours ici
ambassadeur d'Angleterre, après s'être occupé
i longtemps des arts en amateur, après avoir
étudié si longtemps la nature, a trouvé le com-
ble des plaisirs de la nature et de l'art dans une
belle jeune fille. Il l'a recueillie chez lui. C'est
une Anglaise de vingt ans. Elle est très belle et
bien faite. Il lui a fait faire un costume grec, qui
lui sied à merveille. Elle laisse flotter ses che-
veux, prend deux châles et varie tellement ses
attitudes, ses gestes, ses expressions de physio-
nomie qu'à la fin on croit rêver tout de bon. A
genoux, debout, assise, exaltée, pénitente, at-
trayante, menaçante, inquiète, une expression
succède à l'autre et en découle. Elle sait ajuster
Et chaque expression les plis du voile, les chan-
ger et se faire cent coiffures diverses avec les
mêmes tissus.
v » Cependant, le vieux chevalier lui tient la
les tords par courtoisie, fus de ducs ou de maiv 1
quis, et les lords par fonctions, juges de la haute
cour. Les pairs sont pairs de Parlement ou ne
le sont pas.
En laissant de côté les évoques anglicans et
les pairs d'appel ou judiciaires à vie, il y a les
pairs du Royaume-Uni, de la Grande-Bretagne
et d'Angleterre, qui' font ipso facto partie de la
Chambre haute et ont le droit d'y parler et d'y
voter. Puis viennent les pairs d'Ecosse, dont le
nombre a été immuablement fixé lors de l'union
sous Jacques Ier, qui élisent un certain nombre
des leurs pour les représenter pendant la durée
d'un Parlement et qui ne peuvent siéger dans la
Chambre des communes.
Viennent enfin les pairs d'Irlande. Ils élisent
un certain nombre des leurs pour les représenter
à vie à la Chambre haute. Ils ont le droit de se
faire élire à la Chambre des communes par une
circonscription non irlandaise. Le gouverne-
ment a le droit de créer une pairie d'Irlande par
trois extinctions et de ne pas laisser tomber le
total au-dessous de cent.
Tel est le rang que lord Palmerston, qui en
était investi, proclamait la plus enviable des po-
sitions sociales en Angleterre. En effet, il con-
fère auprès des vulgaires le prestige qu'obtien-
nent les titres. Un pair d'Irlande est lord avec
tout ce qu'implique auprès des snobs ce mot
irrésistible et en même temps il peut siéger à la
Chambre des communes et exercer comme
lord Palmerston le fit soixante ans durant la
réalité du pouvoir, qui ne peut s'acquérir que
dans une assemblée populaire et en vertu d'un
mandat électif.
M. Curzon a spirituellement résolu son pro-
blème personnel. Il faut l'en féliciter.
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps
Madrid, 25 septembre, 9 h. 25.
On dit qu'en sondant les dispositions des puis-
sances européennes à l'égard du développement de
l'influence des Etats-Unis en Extrême-Orient le ca-
binet espagnol a acquis la certitude que la plupart
des puissances ne voient aucune objection au con-
trôle et même au condominium américain sur les ar-
chipels espagnols, et préféreraient cette solution à
voir les Etats-Unis s'emparer définitivement des
Philippines. Vienne, 25 septembre, 8 h. 15.
Hier déjà le palais du Parlement était rempli d'a-
nimation. Les diverses fractions se réunissaient en
conciliabules et se préparaient à la séance d'ouver-
ture de demain.
Les groupes allemands de l'opposition se sont réu-
nis pour fixer leur attitude. Les grands propriétaires
constitutionnels, les progressistes, les populistes,
les chrétiens sociaux étaient représentés les natio-
naux du groupe Schœnerer, seuls, manquaient.
Après une manifestation de deuil peur l'impératrice,
on a délibéré sur le projet d'interrompre l'obstruc-
tion afin de discuter la question du compromis avec
la Hongrie. Mais la délibération n'a pas abouti à un
résultat, et chaque club se réserve une pleine liberté
d'agir comme il l'entendra. p
La Wiener Abendpost, journal semi-officiel, ..ablie
un long article qui paraît refléter les idées du prési-
dent du conseil. Le journal officieux recommande à
toutes les fractions de la Chambre de ne pas refuser
leur concours au travail parlementaire et de ne pas
forcer le gouvernement à se passer du Parlement
pour pourvoir aux besoins indispensables de l'Etat.
Belgrade, 25 septembre, 8 heures.
L'envoyé serbe à Constantinople, M.Novakovitch,
a présenté au sultan un mémorandum de son gou-
vernement qui demande la construction d'une église
nouvelle, pour les Bulgares à Kumanovo, afin de
mettre fin v,v.x interminables querelles de posses-
sion pour l'église commune des Serbes et des Bul-
gares dans cette ville.
Liverpool, 25 septembre, 8 h: 15.
Le vapeur Axim, de la Compagnie africaine, est
arrivé hier, ayant à bord le colonel Lugard, qui re-
vient pour discuter avec le gouvernement les arran-
gements du transfert des territoires de la Compa-
gnie du Niger au gouvernement britannique. On
croit généralement que le colonel Lugard sera le
premier gouverneur de la Nigeria.
Le major Arnold et le lieutenant Engelbach, de la
Compagnie du Niger, sont également arrivés.
(Service Bavas)
Perpignan, 25 septembre
M- Maruéjouls, ministre du commerce, arrivera à
Port-Vendres, samedi, 8 octobre. Le lendemain diman-
che, il inaugurera le monument élevé à Port-Vendres
aux rapatriés de Madagascar morts en arrivant dans
ce port.
Le lundi 10 octobre, M. Maruéjouls inauguera la voie
ferrée de Céret à Amélie-les-Bains et à Arles-sur-Tech.
Trois banquets seront offerts au ministre, à Rive-
saltes, Port-Vendres et Amélie-les-Bains.
Madrid, 25 septembre.
Suivant YImparcial, les recettes des impôfc, des oc-
trois Lt des douanes pendant le mois de juillet et
d'août présenteraient une diminution de 19 millions,
par rapport au mois de juillet et d'août du précédent
exercice. Pi.r contre, les dépenses ont augmenté de
trois millions.
Tripoli-de-Barbarie, 25 septembre.
Une lettre adressée de Zinder à un Ghadamésien ré-
sidant à Tripoli-de-BarL:.rie donne la relation suivante
du désastre de la mission Cazemajou
Cette mission comprenait 40 personnes, dont 37 nè-
gres et trois blancs. A une certaine distance de Zinder,
une troupe d'indigènes de 200 hommes l'ayant atta-
quée aurait été presque complètement anéantie. Une
seconde, du même nombre, aurait subi le même sort.
Le sultan de Zinder aurait alors envoyé 600 hommes
qui, après une lutte sanglante, seraient parvenu-? à
disperser la mission française.
chandelle, et il s'est donné à cet objet de toute
son âme. Il trouve en elle tous les antiques, tous
les beaux profils des monnaies siciliennes et
jusqu'à l'Apollon du Belvédère. Pour tout dire,
cet amusement est unique. Nous l'avons eu déjà
deux fois. Un de nos peintres fait le portrait de
la belle Anglaise. »
Savez-vous bien que cette belle Anglaise dont
le jeu charma Gœthe n'était rien moins qu'Emma
Harte, qui fut la favorite de la reine Caroline et
la maîtresse de Nelson? Il est bien probable que
la chandelle du vieux chevalier jetait sur les
châles d'Emma Harte des feux moins éblouis-
sants et moins variés que notre lumière élec-
trique. Nous avons perfectionné le procédé
scientifique. Peut-être y avait-il plus d'art et
plus de séduction féminine chez la Loïe Fuller
de Gœthe. Mais nous pouvons dire avec lui que
cet amusement est unique. Il y a eu partout des
imitations plus ou moins heureuses de la Loïe
Fuller. La vraie reste sans rivale pour la grâce
des poses et pour le jeu des étoffes aux couleurs
changeantes.
Les théâtres rouvrent en ce moment de toutes
parts, et tous nous donnent pour spectacle de
réouverture les pièces qu'ils jouaient quand ils
ont fermé. Ils ne peuvent faire autrement, puis-
que au mois de juin ils lâchent la volée à leurs
pensionnaires, qui se dispersent dans les casinos
des villes d'eaux et des plages. Ils sont obligés
d'attendre leur retour pour monter une œuvre
nouvelle. Ils n'inaugureront la saison qu'un
mois après. Il n'y a pas à récriminer contre ces
mœurs nouvelles il faut les prendre comme
elles sont et s'en accommoder.
Au Palais-Royal, on jouait le soir de la fer-
meture la Culotte, qui n'était déjà même à cette
époque qu'une reprise. On rouvre avec cette
même Culotte. C'est un vaudeville en trois
actes de MM. Sylvane et Artus. Je m'y suis en
core amusé et le public y rit de grand cœur. Le
second acte est d'une bouffonnerie un peu
grosse; on dirait une farce de tréteaux; mais
c'est une farce très gaie, et l'on n'en demande
pas davantage au Palais-Royal. La pièce a gardé
ses interprètes Gobjn, Raimond, Lamy et Fran-
cès Mmes Cheirel; Piernold, Narlay et Mary
Gillet, sans oublier la duègne, Mme Franck
Mel. C'est un ensemble excellent. Mais cette re-
prise ne prête à aucune observation nouvelle.
Tout ce qu'on en peut dire, c'est qu'il y a là
une bonne soirée à passer, pour ceux qui ne
vont pas chercher au théâtre le plaisir de philo-
sopher.
ta même lettre ajoute qu'au sentiment général dans
cette contrée, si la mission française avait disposé de
200 hommes, tout le pays de Zinder serait tombé en
son pouvoir.
DERNIÈRE HEURE
Esterhazy et le bordereau
L'agence Havas nous transmet la dépêche sui-
vante
Londres, 25 septembre.
Un rédacteur de V Observer, qui a donné l'hospitalité
à Esterhazy pendant dix jours, dit avoir reçu de lui
des détails du plus grand intérêt sur l'affaire Dreyfus,
mais surtout en ce qui concerne le bordereau. Le bor-
dereau, dit-il, était le thème favori dans ses conversa-
tions.
Voici en quels termes le journaliste anglais, dontnous
reproduisons le récit à titre de curiosité et en lui en
laissant toute la responsabilité, fait parler Esterhazy
a J'ai écrit le bordereau, dit Esterhazy, sur la de-
mande du colonel Sandherr, et le colonel Henry était
au courant du fait; ces deux hommes ne sont plus,
mais, néanmoins, il m'est possible de prouver que le
bordereau est bien de moi. Le bordereau devait servir
à prouver matériellement la culpabilité de Dreyfus,
car le bureau des renseignements n'avait pu recueillir
contre lui que des preuves morales. On savait cepen-
dant, par le service d'espionnage français à Berlin,
que l'état-major allemand était en possession de docu-
ments que seul Dreyfus pouvait lui communiquer.
C'est la liste de ces documents qui constituait le bor-
dereau. »
Esterhazy rappelle les épreuves auxquelles Dreyfus
a été soumis par l'état-major qui voulait bien se con-
vaincre qu'il était le traître. Il dit qu'on dicta un jour
un plan tout à fait fantastique de concentration des
troupes sur la frontière du sud-ouest, et que quelque
temps après les espions au service de la France en
Italie informaient le service des renseignements que
l'état-major italien faisait certaines modifications à la
frontière aux environs de Nice. Or, ces modifications
correspondaient exactement aux changements annon-
cés dans le projet imaginaire qui avait été dicté à
Dreyfus.
Esterhazy dit aussi que Dreyfus pouvait passer de
longues vacances en Allemagne, sans être même in-
quiété par les autorités allemandes, ce qui était une
nouvelle preuve qu'on le connaissait bien en Alle-
magne.
Esterhazy déclare avoir écrit lo bordereau sans au-
cune hésitation il reconnaît qu'il est presque toujours
nécessaire de fabriquer des preuves matérielles contre
les espions, car autrement il serait presque impossible
d'arriver à les punir.
Le colonel de Schwarzkoppen qui a déclaré n'avoir
jamais vu le bordereau, a dit la vérité il ne l'a ja-
mais vu. En effet, c'est un agent du service des ren-
seignements qui le remit au concierge de l'ambassade
allemande, lequel était un espion au service de la
France; celui-ci le remit à un autre agent du nom de
G. qui le rapporta au bureau des renseignements. Il
était essentiel, en effet, de donner à ce document un
caractère authentique.
C'est exclusivement sur le bordereau que Dreyfus a
été condamné la pièce secrète qui a été montrée aux
juges du conseil de guerre était cette fameuse lettre
qui contient le mot: « .cette canaille de D. » Ester-
hazy dit que l'initiale D. ne désignait pas Dreyfus,
mais un individu dont le nom commençait également
par un D. et qui était une sorte de colporteur des
petits papiers du service des renseignements.
L'O&sewer ajoute qu'Esterhazy a résidé à Londres, à
l'hôtel Previtali; c'est là qu'il a eu une première entre-
vue avec le représentant de l'Observer, et il est main-
tenant à l'abri de la surveillance de la police fran-
çaisr.
La Weekly-Despatch rnnonce qu'Esterhazy, qui est
encore à Londres, a dû changer de résidence, qu'il se
trouve actuellement en lieu sûr et qu'il n'a rien à crain-
dre des agents de la police française.
La grève des terrassiers
Une conférence aura lieu, ce soir, à cinq heures,
au ministère de l'intérieur, entre M. Henri Brisson,
président du conseil, M. Charles Blanc, préfet de
police, et le président du Conseil municipal.
Dana cotte conférence, due à l'initiative du préfet
de police, on doit s'occuper de la grève des terras-
siers.
La rénnion de la salle Guyenet
Une réunion a eu lieu, cet après-midi, sous la pré-
sidence de M. Paul Déroulède dans la salle du ma-
nège Guyenet, avenue de la Grande-Armée, 73.
Un service d'ordre assez important a été organisé.
Le préfet de police, le directeur de la police muni-
cipale, trois commissaires de police divisionnaires
commandent le service d'ordre.
A une heure et demie, la salle, dans laquelle on
ne pénètre que muni d'une carte d'invitation, est
à moitié pleine. Il y a 1,500 à 2,000 personnes pré-
sentes.
Deux ou trois cents curieux stationnent sur les
trottoirs.
M. Déroulède arrive en voiture, à deux heures.
Sur le trottoir, ses amis crient « Vive Déroulède! »
II est acclamé également par les auditeurs, lorsqu'il
pénètre dans l'intérieur de la salle.
M. Déroulède préside, assisté de MM. Barrès et
Marcel Habert.
M. Déroulède, prenant.la parole, dit que la France
est divisée en deux camps d'un côté les dreyfu-
sards, d'un catre côté les Français. y
-Un juif qui est antidreyfusard est Français,
dit-il, mais un catholique qui est dreyfusard n'est
pas Français.
M. Déroulède attaque vivement M. Brisson qu'il
accuse de « faire affront au drapeau en poursui-
vant la revision. Il n'est pas encore traître, dit-il,
mais c'est déjà un demi-traître.
« Voilà pourquoi, dit l'orateur, j'ai sonné le rallie-
ment au drapeau et pourquoi nous ferons la garde
autour. Nous sommes prêts. »
M. Déroulède continue en disant que M. Brisson
est un symbole, qu'il personnifie cette école de po-
liticiens qui ont la heuv.e de l'armée, dont ils ne sa-
vent se servir ni à l'intérieur ni à l'extérieur.
La reprise de l'Aînée, au Gymnase, a été plus
intéressante. J'étais curieux de savoir comment
tournerait cette nouvelle épreuve. Vous savez
que l'œuvre de Jules Lemaitre a traversé des
phases diverses. Le premier soir, bien que tout
le monde fût d'accord sur les grandes-qualités
de la pièce, il y eut néanmoins quelque incer-
titude sur le succès final. L'Aînée eut de la
peine à s'établir dans l'opinion publique. L'iro-
nie qu'on y sentait courir sous le dialogue ne
plaisait pas à tout le monde. La façon cavalière
dont l'auteur avait mis en scène les pasteurs
protestants avait froissé nombre d'honnêtes
gens et inquiété certaines consciences. La har-
diesse de deux scènes quelque peu scabreuses
avait jeté encore un sentiment de gêne. Bref, la
pièce fut plusieurs jours à trouver son aplomb.
Ce n'est que soir à soir que le public fut con-
quis par le goût de nouveauté et par le charme
de l'œuvre. Les recettes montèrent lentement
jusqu'au maximum.
Elle subit en province des fortunes différen-
tes. Il y eut des villes où elle rencontra de sé-
rieuses résistances, d'autres où elle fut extrême-
ment goûtée. Je vous ai ici même conté avec de
grands détails l'accueil qu'elle reçut à Royan:
très réservé et même froid à la première repré-
sentation, si bien qu'on hésitait à en donner une
seconde. Cette seconde dégela les Royannais et
réunit tous les suffrages.
Notre impression à tous en sortant du Gym-
nase, l'autre soir, a été que l'Aînée s'était re-
mise en route pour une nouvelle série de repré-
sentations qui serait assez longue. Je n'ai plus à
causer avec vous de l'ouvrage en lui-même
j'en ai déjà tant et si souvent parlé Nous n'a-
vons à nous occuper que de l'interprétation.
Deux rôles ont changé de titulaires Grand a
remplacé Mayer dans le rôle du pasteur Mi-
kils et Mlle Tomassin joue celui de Norah qui a
été créé par Mlle Yahne. Mayer et Mlle Yahne
ont quitté le Gymnase et le Vaudeville. Pour-
quoi M. Porel s'est-il séparé d'eux? Je l'ignore.
Il les regrettera sans doute plus d'une fois et
nous les regretterons également.
Je serais désolé que ces deux artistes, en aban-
donnant leurs théâtres, eussent cédé à une turlu-
taine qui semble à cette heure hanter la cervelle
de beaucoup de comédiens. Je lisais, il y a deux
ou trois jours, dans une interview consacrée à
Mlle Hading, que la charmante actrice, avant
de partir pour sa grande tournée, avait dit à
notre confrère
C'est fini, je ne veux plus appartenir à au-
cun théâtre. J'entends ne plus relever que de
moi-même. C'est moi qui choisirai mes pièces
n attaque ensuite très vivement MM. Jaurès, Cle-
menceau, Trarieux, etc., et dit que,si une révolution
éclatait, l'échafaud serait en permanence et que le
premier qui y monterait ce serait M. Clemenceau.
Il termine en disant qu'il faut reprendre la tradi-
tion nationale. Le malheur est que nos compatrio-
tes Hë savent pas se grouper.
..«Mais, dit-il,en se frappant la poitrine,je connais
un honnête homme qui les groupera. »
La réunion prend fin aussitôt par un ordre du jour
annonçant la reconstitution de la Ligue des pa-
triotes.
La sortie s'effectue sans désordre.
m
L'ISSUE UNIQUE ET NÉCESSAIRE
On a vu que la commission des jurisconsultes
s'est divisée en deux parties égales. On attendait
qu'elle vînt départager les esprits hésitants dans
le ministère, elle paraît, à son tour, également
partagée et plus embarrassée que tout le monde.
Au point de vue juridique, les choses donc res-
tent dans l'état. S'il fallait une preuve de plus
des obscurités profondes qui couvrent toute
cette affaire, de la légitimité des doutes qui se
sont emparés de l'esprit public, de l'incompé-
tence de l'opinion mal éclairée et des partis po-
litiques trop peu désintéressés, il nous paraît
qu'on la trouve éclatante et décisive dans le
spectacle de la balance d'une savante commis-
sion, dont les deux plateaux, après trois jours
de méditations et de discussions serrées, restent
dans un équilibre parfait. Ainsi tout le monde
est divisé les juristes comme les ministres, et
les juges comme l'opinion. A ce point de vue de
l'équilibre des forces, des précédents et des tex-
tes, nous sommes au point mort, au point d'i-
nertie dont parlent les traités de mécanique.
Allons-nous y rester? Le pouvons-nous? La
vie est une action, c'est-à-dire une rupture
d'équilibre. De quel côté et dans quel sens va-
t-elle se produire? Nous le saurons demain, à
ce qu'on nous promet. En attendant, il n'est
pas inutile de réfléchir une dernière fois sur
cette situation. En vain a-t-on essayé de se dé-
rober jusqu'ici à la responsabilité d'une déci-
sion. L'heure a sonné où cette responsabilité
doit être prise, où la volonté, une volonté ferme,
droite et réfléchie doit entrer en jeu.
Ne pas donner à la question qui nous presse
et nous étreint une solution juridique et légale,
ce ne serait pas la supprimer c'est, au con-
traire, l'envenimer encore et l'embrouiller de
plus en plus, puisque c'est l'abandonner à la
discussion de la presse, des hommes politiques,
de la foule, c'est-à-dire de tous ceux qui n'en
connaissent point les éléments matériels et dé-
cisifs ou les connaissent mal, et, dès lors, les in-
terprètent à leur guise, en tirent des conclu-
sions purement subjectives et résolvent le plus
complexe et le plus obscur des problèmes sui-
vant leurs antipathies ou leurs sympathies per-
sonnelles. En d'autres termes et pour tout dire
d'un mot, c'est laisser dans la politique pure
une question qui depuis bientôt un an y est
entrée violemment et' y a fait de si terribles
ravages. Tout le monde continuera à la débat-
tre, excepté les juges souverains qui seuls y
pourraient apporter la lumière. Ce sont ces
combats de nuit dont nous parlions l'autre jour,
ces combats fratricides qui séviront avec une
fureur d'autant plus intense qu'aucun des com-
battants en présence n'aura renoncé à ses pas-
sions, ni à l'espérance de la victoire.
Si les juristes sont divisés par leurs scrupu-
les, comment les braves gens dans tous les par-
tis ne le seraient-ils pas ? Si tout est obscur, il y
a, du moins, une chose trop certaine, c'est cette
i obscurité même; c'est lé doute qui se propage
dans tous les milieux qui raisonnent; ce sont
les contradictions qui s'accumulent, les docu-
ments vrais ou faux qui se colportent et se mul-
tiplient, les témoignages et les révélations nou-
velles qui viennent augmenter le trouble déjà
si grand et exaspérer l'inquiétude déjà si vive.
Voici un journal anglais qui nous apporte ce
matin la confession tardive et suspecte, il est
vrai, d'Esterhazy, mais qui n'est pas faite, on
l'avouera, pour diminuer l'imbroglio et arrêter
les commentaires. Est-il vraiment, comme il
l'avoue publiquement, l'auteur du fameux bor-.
dereau qui a servi à faire condamner Dreyfus ?
L'accusation nouvelle qu'il porte contre l'état-
major a-t-elle quelque fondement? Nous nous
garderons bien de nous prononcer. Douter est
plus que jamais l'attitude non seulement du
sage, mais du bon citoyen. Donc le doute est ou
devrait être universel. Comment en sortir? A
qui appartient-il de dire le dernier mot, de
montrer la vérité, de porter enfin une sentence
assez autorisée pour s'imposer aux esprits sin-
cères et faire renaître la paix morale du pays?
Est-ce à un ministre seul ou à un conseil de
guerre jugeant à huis clos? Est-ce à la Cham-
bre ? Est-ce à la presse ? Il suffit de poser ces
questions pour que chacun y réponde. Non, il ne
reste que la Cour de cassation qui pourra tout
voir, tout savoir et tout dire. II n'y a que la
cour souveraine qui puisse arracher cette affaire
à la politique et nous en délivrer en la canali-
sant fortement dans les voies judiciaires. Il n'y
a qu'elle que l'opinion impartiale de la majorité
du pays soit disposée à entendre et à suivre.
S'il s'agissait d'un crime ordinaire, du procès
d'un assassin sur lequel planeraient de telles
et mes rôles je n'aurai plus à subir de direc-
tion ni de conseils; je marcherai dans ma force
et dans ma liberté. Je ferai de l'art à ma fan-
taisie.
Il paraît qu'elle développa ce thème avec
beaucoup de verve. Je sens un peu d'inquiétude
à voir se répandre ces idées subversives. Si grand
que l'on soit, et ce n'est pas toujours le cas,
vous me l'avouerez bien, on ne joue pas la co-
médie tout seul. C'est courir un gros risque que
de s'enfermer chez soi attendant le hasard d'un
beau rôle, qui ne vient pas toujours, et qui
même, lorsqu'il se présente, a parfois ce grave
inconvénient d'avoir été taillé sur le patron du
comédien. Mme Hading verra peut-être dans
quelques années qu'elle a fait fausse route; qu'il
valait mieux pour elle demeurer avec ses cama-
rades,sous la férule d'un Koning ou d'un Porel,
accepter dans un bel ensemble de troupe les
rôles que lui apporteraient les auteurs, et croître
de talent comme de réputation en essayant de
les rendre.
Il en est des comédiens errants ainsi que des
comètes. Ils brillent d'un éclat très vif durant
quelques nuits, mais ils ne tardent pas à s'en-
foncer dans l'ombre. J'ai vu avec plaisir que no-
tre amie Jeanne Granier avait signé avec Sa-
muel, qu'elle fera partie de la troupe des Varié-
tés. Il n'y a pas d'art dramatique possible sans
troupe stable.
C'est là le secret de la supériorité que garde
la Comédie-Française. Que de fois le public ne
s'est-il pas dit, en sortant d'une représentation
« Il n'y a encore que. là qu'on joue la comédie. »
Et l'on a raison de le dire. C'est que malgré
toutes leurs querelles, en dépit de toutes les pe-
tites jalousies, malgré les passe-droitetlesabus,
sociétaires etpensionnaires sonttoujours (disons
presque toujours, pour rester dans la vérité
stricte) prêts à accepter les rôles qu'on leur
offre qu'un rôle, même de médiocre impor-
tance dans une pièce nouvelle, y est souvent
disputé par deux ou trois comédiens, dont cha-
cun a un nom et peut faire valoir des droits
c'est que Berr, dans Louis XI, joue un rôle de
rien du tout, dont il tire un parti merveilleux;
c'est que jadis nous avons vu Coquelin, j'entends
Coquelin aîné, au comble déjà de la réputation,
jouer l'huissier de Tartuffe et le Dubois du Mi-
santhrope; c'est que Worms, en ces derniers
temps, a prêté deux fois l'autorité de son nom
et de son talent à des rôles qu'il savait exécra-
bles et qui étaient de second plan.
Et voilà comme on fait les bonnes maisons t
Voilà aussi comme on fait les bons comé-
contradictions dans les témoignages et les do-
cuments, où les faussaires de pièces juridiques
eussent fait de tels aveux, où tant de causes de
doute seraient venues créer une si profonde et
si légitime suspicion, mais d'où seraient en
même temps écartés les préjugés sociaux ou
religieux et les partis pris politiques, nous
osons affirmer, sans crainte d'être démentis que
l'on n'hésiterait pas. On estimerait unanime-
ment qu'il faut recommencer la procédure, re-
viser soigneusement toutes les pièces et toutes
les sentences, et l'on reviserait. Eh bien ce que
nous osons demander à nos gouvernants au
nom du bon sens public dérouté, au nom d'une
bonne -et saine justice, au nom du repos moral
de ce pays énervé et qui demande grâce, c'est
de s'affranchir délibérément de tout préjugé
comme de tout calcul politique, et d'oser faire
en cette occurence ce qu'ils n'hésiteraient pas à
faire s'il s'agissait d'un procès ou d'un criminel
ordinaire. Le droit commun, rien que le droit
commun; c'est encore le chemin le plus droit
vers la justice et le plus sûr comme le plus
court au point de vue d'une politique avisée et
libérale.
«g»
L'AVIS DE LA COMMISSION
La commission spéciale appelée à donner son avis
sur la demande en revision formée par Mme Drey-
fus a déclaré qu'elle n'avait pas d'avis.
Trois voix se sont prononcées pour la transmis-
sion à la Cour de cassation, trois voix contre. Ce qui
signifie évidemment que, prise dans son ensemble,
la commission estime qu'il y a autant d'arguments
en faveur de l'ouverture de la procédure de revision
devant la Cour suprême qu'il y en a en sens con-
traire.
On ne s'explique guère, dès lors, comment il se
fait qu'elle ait, à raison de ce partage, présenté un
avis négatif.
C'est, dit-on, parce qu'il est d'usage au Parlement
de considérer comme rejetée toute proposition sur
laquelle il y a partage égal des voix. Sans doute, et
cela se comprend en matière législative, mais ici il
s'agit d'une question d'ordre judiciaire à trancher.
En fait, si l'avis de la commission devait avoir un
effet décisif, si la loi lui accordait un caractère pré-
pondérant, si le ministre de la justice n'avait pas le
droit absolu de ne pas se conformer à cet avis,
qu'arriverait-il? C'est que l'ouverture de la procé-
dure de revision ne pourrait avoir lieu, ce qui équi-
vaudrait à la confirmation de la sentence rendue par
le conseil de guerre. Or, tout le monde sait qu'une
condamnation ne peut être prononcée qu'à la majo-
rité, le simple partage des voix dans le jury entraîne
l'acquittement de l'accusé. N'est-il pas logique de
soutenir que la majorité est nécessaire aussi, lorsque
le bien fondé d'une condamnation étant mis en dis-
cussion, il s'agit de savoir si cette condamnation
sera maintenue ou si elle pourra être annulée?
Rien ne démontre mieux d'ailleurs le caractère pu-
rement consultatif, sans effet obligatoire, des avis
de la commission, que cette possibilité légale de
partage résultant de sa composition.
Le législateur a voulu montrer par là que le véri-
table juge de l'introduction de la procédure de revi-
sion c'est le ministre de la justice et que le véritable
juge de la revision c'est la Cour de cassation.
A la Cour de cassation seule appartient le pouvoir
de faire les enquêtes qui donnent, le cas échéant,
leur portée réelle aux faits nouveaux invoqués et
qui peuvent être, comme dans l'affaire Jamet-Léger,
dont nous rappellions hier le précédent, mal appré-
ciées par la commission spéciale. Seule aussi, elle
rend et peut rendre un véritable arrêt pour ou con-
tre le condamné, car la revision ne peut être par
elle ordonnée ou refusée qu'à la majorité.
Les décisions de la.chambre criminelle comme
celles des autres sections doivent être prises à la
majorité. L'ordonnance du 15 janvier 1826portant rè-
glement pour le service de la Cour de cassation dit
en son article 5
Conformément à l'article 64 de la loi du 18 mars 1800,
en cas de partage, cinq conseillers seront appelés pour
le vider.
Ces cinq conseillers seront pris d'abord parmi les
membres de la chambre qui n'auraient pas assisté à
la discussion de l'affaire et subsidiairement parmi les
membres des autres chambres, selon l'ordre d'ancien-
netd. e
C'est donc à la Cour de cassation qui statuera à la
majorité, et par un arrêt motivé, qu'il faut remettre le
soin de prononcer souverainement sur la question
de revision actuellement soulevée.
Le ministre de la justice a jugé les faits nouveaux
suffisants pour être soumis à l'appréciation de la
commission spéciale.
La commission spéciale lui répond, en somme,
par son partage « Faites ce que vous voudrez »
S'il désire être couvert, dans cette délicate ques-
tion, il ne le peut être que par la Cour de cassation.
MENVS PROPOS
LE SORT DE NOTRE GÉNÉRATION
II y a des générations privilégiées. Elles naissent
à la vie publique à une heure où la vie publique est
enviable. Elles ne connaissent de la vie privée que
les rapports doux, confiants, faciles qui on font le
charme. Tous les contemporains assurent qu'il était
infiniment agréable de vivre dans les dernières
années de l'ancien régime. La jeunesse nourrissait
diens. Si Leloir est devenu un si excellent artiste,
c'est qu'il a joué toutes sortes de rôles, même
ceux qui ne semblaient pas convenir à son tem-
pérament. Je l'écoutais tout dernièrement dans
le Flibustier, de Richepin, où il a repris ce per-
sonnage du grand'père, si puissamment créé
par Got. Il n'a pas encore la bonhomie robuste
de Got qui était des pieds à la tête un vieux ma-
telot breton. Il y arrivera, et l'effort qu'il fait
pour assouplir sa nature à des rôles si divers
ne lui est pas inutile pour devenir un comédien
parfait.
Oh que j'aurais souhaité que la Comédie-
Française engageât Mayer plutôt que Barrai,
dont il semble que le besoin n'était pas urgent
Le voilà hors du Vaudeville et du Gymnase il
n'y a plus pour lui que, par exception, de théâ-
tre à Paris. Les théâtres étrangers nous le pren-
dront ce sera encore pour notre art dramatique
une force perdue.
Un impresario d'infiniment d'initiative et de
sens me disait ces jours-ci qu'il n'y eut jamais
moment si favorable pour ouvrir un théâtre de
comédie de genre à Paris. On formerait une
troupe admirable avec les laissés-pour-compte
de nos directeurs. Je serais tenté d'être de son
avis. Quel acteur que ce Galipaux et il a été
flanqué à la porte de son théâtre, à moins qu'il
ne l'ait prise lui-même. Je ne sais pas ce qu'il
en est au juste. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il
est lui aussi sans place et sans rôle. Que de
forces vives perdues Et cependant, lui, Gali-
paux, on ne pouvait pas l'accuser de ne pas se
plier, selon les circonstances, à de petits rôles. Il
avait joué en dernier lieu dans Zaza une ma-
nière de figuration. Il n'est pas embarrassé,
j'imagine. Il ira faire une tournée de monolo-
gues et gagnera beaucoup d'argent. Je le con-
nais assez pour savoir qu'il préférerait un bon
rôle dans une troupe parisienne.
Le talent ne court pourtant pas les rues.
Quelle rage possède les impresariosde se priver
de ceux qu'ils ont sous la main. Le Miktls de
l'Aînée a perdu évidemment à passer de Mayer
aux mains de Grand. Grand est un bon comé-
dien, un peu raide et froid, qui n'a ni la finesse
du jeu, ni la variété d'intonations de Mayer.
Mlle Thomassin a hérité du rôle de Norah, que
Mlle Yahne a été forcée d'abandonner. Elle se
serait bien passée de cet honneur.
Mlle Thomassin est une fort jolie jeune per-
sonne qui nous arrive du théâtre de Saint-Péters-
bourg, où elle avait remporté de nombreux et
brillants succès.
Je vous ai, ici même, cet hiver, parlé de la
réputation qu'elle avait connu isp. ln-1 >•>̃̃; et dft
alors de grandes espérances. Les gens crage couse*.
vaient d'extraordinaires illusions. Tous étaient éga«
lemént, quoique diversement heureux.
Et, de môme, faisait-il bon vivre sous la Restau»
ration. La politesse et l'esprit reprenaient, dans la
société, leurs droits méconnus durant la période oit
la France n'avait été qu'un camp. La lutte politique
était vive, mais courtoise, élégante et généreuse.
Sous la monarahie de Juillet, il y eut un fléchisse*
ment sensible des moeurs et de l'esprit public, un
tassement de l'idéal politique. Cependant, la jeu-
nesse-connaissait encore de belles émotions, et la
Révolution de 1848 a été une revanche de l'idéa-
lisme contre les intérêts matériels et l'égoïsme
bourgeois.
Notre génération a été moins bien partagée. Ella
arrivait à l'âge où l'on comprend, quand l'empire
s'est effondré. Elle a senti toutes les tristesses de la
guerre, sans avoir pu faute d'être plus vieille de
quelques années chercher dans l'action le dérivatif
ou le réconfort que l'action apporte toujours. L'humi-
liation de la défaite a pesé sur elle, pendant des an»
nées et des années, avec l'angoisse de douter si, aU
cas où une guerre nouvelle éclaterait, les prépara-
tifs seraient mieux faits, le commandement serait
plus loyal ou plus habile, l'armée plus solide. Ceux
qui ont aujourd'hui vingt ou vingt-cinq ans, ne
peuvent pas même essayer de comprendre ce qu'a,
été, pour leurs aînés, cette pensée sans cesse éveillée
et lancinante, jusqu'au jour où il leur a paru h
tort ou à raison que les chances de guerre allaient
diminuant et que l'avenir, s'il doit amener les re-
vanches souhaitées, procédera par des voies dont
nous n'avons pas le secret.
Cependant, la vie publique manquait d'attrait et
de noblesse. Non pas qu'elle ne comportât encore
des combats à livrer. Mais la discussion s'était faite
médiocre. Les anciens partis ne semblaient plus me.
naçants. Parmi ceux qui acceptaient l'ordre nou-
veau et revendiquaient le droit de le diriger, les
dissidences portaient souvent sur des questions ou
secondaires ou subalternes. Les ambitions person.
nelles et les conflits qu'elles entraînent prenaient
le pas sur les questions de principe. Plus le champ
de la lutte se rétrécissait, plus la lutte elle-même
devenait âpre et violente. Les relations des particu.
liérs tendaient à s'aigrir, et s'aigrissaient en effet.
L'injure, la calomnie et la diffamation, moyens ha-
bituels des partis, dans la lutte électorale, passaient
de la vie politique dans la vie du monde, ou dans la
vie de famille, et y exerçaient leurs ravages. Une
entreprise détestable contre la liberté politique, les
menées du boulangisme, venaient ajouter un souci
de plus à tous les soucis qui, déjà, nous oppres.
saient.
C'est alors, vers 1889, qu'il se produit une sure
prise heureuse. Le boulangisme est vaincu, je de-
vrais dire balayé. L'apaisement entre les partis sem-
ble promettre une ère de concorde à l'intérieur. L'Ex.
position universelle est une victoire économique et
morale qui nous console et nous relève à nos propres
yeux comme à ceux du monde. Les grands souvenirs
du siècle passé, dont la commémoration coïncide avec
cette victoire, recèlent un ferment salubre qui, peut-
être, va réchauffer les coeurs ? Des idées nouvelles
et des passions nouvelles se lèvent, qui ont leur
danger, mais aussi leur grandeur et leur séduction
puissante. Enfin, les premiers témoignages d'amitié
viennent, du dehors, à la France qui, cessant de se
sentir isolée, est bien près de se croire emportée de
nouveau vers des destinées meilleures.
Hélas ce moment, le premier moment heureux
que notre génération ait connu, devait être court. Il
est bien superflu de rappeler ici des événements qui
sont présents à la mémoire de tous. Tous savent et
sentent que la France n'a pas traversé, depuis
vingt-huit ans, d'heure plus sombre que l'heure ac-
tuelle. On a vu se réveiller des haines que l'on
croyait éteintes à jamais, et à jamais disqualifiées.
On a vu surgir des menaces, que l'on croyait à ja-
mais écartées. La liberté politique est en péril. Les
droits de la société civile, dont la conquête a coûté
si cher, chancellent à leur tour. Un trouble profond
travaille les esprits. La société française est par-
tagée en deux camps, qui échangent les invectives
les plus violentes, en attendant qu'ils en viennent
aux coups. C'est la nuit qui tombe, c'est le deuil qui
recommence, c'est l'oppression qui étreint de nou-
veau la conscience et le cœur.
Qu'a fait notre génération pour mériter un sort
aussi cruel ? i
A MADAGASCAR
(Lettre de notre correspondant particuliert
Tananarive, 28 août.
Un télégramme de Paris, inséré au Journal officiel,
annonçait ces jours derniers la réorganisation du
conseil d'administration de la colonie cette simple
nouvelle eut pour effet immédiat de rasséréner le
front soucieux des commerçants et des colons, tous
atteints, les premiers, par la crise commerciale qui
sévit en ce moment, à la suite de l'installation des
grands magasins du Louvre; les seconds, par la dé-
cision que serait sur le point de prendre le général
Galliéni, autorisant les indigènes à se livrer aux ex-
ploitations minières. Enfin, pensèrent-ils, ce qu'on
nous promet depuis si longtemps est sur le point do
se réaliser nous pourrons exposer nos doléances
avec quelques chances d'être écoutés on ne ren-
verra plus de bureau en bureau nos réclamations
j dont il n'est pas toujours tenu compte.
Leur joie fut, hélas! de bien courte durée. Infor-
l'engouement qu'elle avait excité. Elte était en-
chantée de rentrer à Paris mais son ambition
était de se présenter à nous dans un rôle qui
convînt à sa figure, à sa voix et à son talent. Ella
a tout ce qu'il faut pour être une amoureuse,
amoureuse ingénue ou grande amoureuse, peu
importe, mais amoureuse. Le visage est fin, lo
regard aimable, la voix tendre. On lui offre
Norah, qui est ce que nous appelons à Paris une
petite rosse. Mlle Yahne avait tout naturellement
dans l'allure de la personne et dans le timbre de
la voix je ne sais quelle perversité piquante qui
donnait une saveur singulière au rôle.
Vous vous rappelez la jolie scène où Norah,
agacée de voir ses parents alléguer contre l'aînée
la bible et les prophètes, pour ne point lui par-
donner, fait bravement tête et leur dit sur un
mode iroique « Je suis bien plus coupable
qu'elle, car j'ai trompé mon mari oui, je l'ai
trompé.» Cet aveu si bizarre paraissait naturel
quand il était lancé par Mlle Yahne, qui était,
sans y prendre garde, hardie et effrontée.
On ne comprend pas que Mlle Thomassin,
cette aimable jeune fille, s'y emporte. Mlle Tho-
massin sentait bien quelle disproportion il y
avait de son talent au personnage. Elle eût assu*
rément préféré qne ce calice fût détourné do
ses lèvres. Mais quoi fil fallait débuter! elle a
saisi la balle au bond. Nous n'en n'avons pas
moins remarqué ses qualités de fine et gracieuse
comédienne.
Les autres rôles sont restés aux mains de?
titulaires Boisselot et Lérand, excellents l'un
et l'autre, Numès qui s'est taillé un succès per-
sonnel très vif dans le succès général. Mlle Des-
prés est exquise dans les parties mélancoliques
du rôle de l'aînée; je lui voudrais plus de sur-
excitation nerveuse au troisième et surtout ait
quatrième acte. Elle devient monocorde par une
affectation de simplicité excessive. C'est une
tendance fâcheuse. Il ne faut point passer la
pierre ponce sur un rôle pour en arrondir les
angles; il n'en faut pas amortir exprès les points
lumineux. Mme Samary est toujours très bonne
dans la femme du pasteur. C'est Mlle Dallet qui
est chargée, à cette reprise, comme au pre*
mier soir, de représenter cette petite peste de
Dorothée.
Vous vous rappelez comme elle s'y prend
pour enjôler ce vieux roquentin de Muller et 16
voler à sa pauvre sœur. Nous avions trouvé la
scène plus qu'osée, et Mlle Dallet avait, par la
liberté de ses gestes et de ses allures, appuyé
sur la chanterelle. Elle avait failli compromettre
la victoire. L'expérience et de bons conseils l'ont
assagie. Elle joue maintenant avec beaucoup de
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