Titre : Le Temps
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1896-06-10
Contributeur : Nefftzer, Auguste (1820-1876). Fondateur de la publication. Directeur de publication
Contributeur : Hébrard, Adrien (1833-1914). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 10 juin 1896 10 juin 1896
Description : 1896/06/10 (Numéro 12794). 1896/06/10 (Numéro 12794).
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
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IWKHGHKUl 10'JUIN 1S95
TRENTE-SIXIEME ANNEE. N" 12794
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Paris, 9 -juia. w-–
BULLETIN DE L'ÉTRANGER
UNE RÉVOLTE ECCLÉSIASTIQUE
L'empereurGuillaumeaprobablementétêsur-
pris de l'accueil qui a été fait à son fameux té-
égramme sur ou plutôt contre M. Stœeker et le
christianisme social.
A vrai dire, il ne paraîtpas que ce soit ce sou-
verain lui-même ou le destinataire de cette im-
périeuse missive, le conseiller intime Hinz-
.peter, qui en ait rendu public le texte. C'est le
roi des mines, le baron Stumm, l'ennemi juré
et pour cause de l'ingérence du clergé dans
les controverses économiques, qui aurait une
fois de plus découvert la personne impériale
pour se couvrir lui-même.
On sait qu'il est coutumier du fait. Ce grand
pourfendeur des torts de M. Stœeker a commis
et non pas une seule fois précisément l'in-
discrétion qui a coûté à l'ex-chapelain de la
cour sa charge officielle. Il est vrai que ce qui
fut si mal pris de la part de cet ecclésiastique,
quand il crut pouvoir parler publiquement de
son amie l'impératrice Auguste-Victoria et se
targuer de son influence sur d'illustrissimes
ouailles, ne semble point avoir nui au crédit du
gentilhomme à l'écusson doré, mais un peu
neuf.
Du moins n'a-t-on point ouï dire que la seule
personne en droit de protester lui ait su mau-
vais gré d'avoir ouvertement parlé, il y a un an,
de la pression qu'il comptait exercer sur son
souverain dans la liberté d'une partie de chasse
ou d'avoir communiqué urbi et orbi la mise au
ban de l'empire de M. Stœeker.
Cette excommunication impériale n'a fait, du
reste, que confirmer et accentuer une récente
circulaire du conseil supérieur de l'Eglise évan-
gélique de Prusse. Dans ce document officiel la
plushaute autorité ecclésiastique de ce royaume,
revenant sur des appels antérieurement faits
au clergé, à l'époque où brûlait en haut lieu la
flamme d'un beau zèle pour la réforme sociale,
a cru devoir interdire expressément aux pas-
teurs chargés du soin des intérêts spirituels de
leurs troupeaux de se mêler des questions con-
tingentes de l'ordre politique ou social.
Cet oukase, selon qu'on le prend de tel ou tel
côté, n'a pas plus d'importance que la promul-
gation solennelle d'un lieu commun, ou cons-
titue au contraire un grave empiètement sur la
liberté de conscience du clergé. C'est dans le
dernier sens que l'ont interprété les membres
du congrès chrétien social évangélique, réuni
précisément à ce moment à Stuttgart.
Cette assemblée ne saurait être rendue sans
injustice solidaire des procédés plus ou moins
louches de M. Stœeker et de son socialisme
chrétien fortement teinté d'antisémitisme réac-
tionnaire. Il y avait eu rupture entre le bruyant
leader de cette espèce de démagogie religieuse
et les respectables membres de ce congrès.
Toutefois, devant le danger commun une ré-
conciliation s'est opérée, On a voté à Stuttgart
une formule d'une amabilité peu compromet-
tante à l'adresse de l'ex-prédicateur de cour, et
celui-ci a cépondu par un de ces télégrammes
bénisseurs où il excelle.
Là ne se sont pas bornées les protestations du
congrès. Il était présidé par un homme tout à
fait éminent, le professeur Adolf Wagner, ac-
tuellement rector magnifiais de l'Université de
Berlin, l'un des maîtres de la nouvelle économie
politique ou National OEkonomie l'auteur de ce
manuel de la science qui est peut-être l'œuvre
la plus importante de la jeune école. A côté de
lui, on voyait des hommes comme le profes-
seur de Soden, un théologien distingué, di-
recteur des Studien, l'une des grandes re-
vues de théologie scientifique, beaucoup d'au-
tres, dignes de tout respect soit par leur
zèle à s'acquitter de leurs fonctions pasto-
rales, soit par leur position dans le monde
intellectuel. C'était en quelque sorte la fleur
du clergé protestant, l'élite de ceux, du moins,
qui appartiennent à la tendance positive ou or-
thodoxe. Eh bien! tous ces hommes ont été
,unanimes à se redresser contre le joug qu'on
prétendait leur imposer. Ils. ont demandé avec
ironie où commençait cette politique sociale
qu'on prétendait leur interdire, si le plat servi-
teur du pouvoir ou de la richesse qui prêche
toujours l'obéissance aux autorités légitimes et
le respect de l'ordre divin et de la hiérarchie
serait réduit au silence tout comme le coura-
geux apôtre de la justice et de la charité. Ques-
tion embarrassante, surtout quand on sait la
part que prennent trop souvent des ecclésiasti-
ques réduits au rôle de comparses des land-
rœthe, dans la candidature officielle des gentils-
hommes campagnards bien vus en haut lieu. Ce
n'est pas tout.
Le congrès de Stuttgart a également voulu
"savoir ce qu'on appelait exactement prêcher
l'Evangile et s'enfermer dans le domaine pure-
ment spirituel. Est-ce en sortir que de dénoncer,
non seulement les vices des pauvres, mais aussi
ceux des riches? L'Evangile exige-t-il qu'on
Voccupe de guérir le péché d'en bas et non ce-
lui d'en haut? A-t-il ou n'a-t-il pas une morale,
rJion seulement individuelle, mais encore so-
,FETJ::LBL.ETT€M%I l~u ~e~~
DU 10 JUIN 1896 (1O)
illfflllllll
Lb JJ6 M M. mAMIM
` • V– (Suite)
Lina baissait les yeux, honteuse de se sentir
attachée, par ses amoureuses faiblesses, à un
misérable capable d'aussi odieux calculs.
Et vous seriez aujourd'hui Mme Morris
Bell. Et nous habiterions quelque belle maison
de l'avenue de Pensylvanie, à Washington.
Car je suis citoyen américain, moi, et, avec la
fortune de ce Salantin, je serais vite entré au
Capitole. Mais ce qui est fait est fait. Ne per-
dons pas notre temps à regretter le passé. En
avant 1. C'est la devise de mon pays. Donnez-
moi un chèque, car j'ai besoin d'argent et nous
rattraperons le temps et l'argent perdus 1
La Béarnaise, ondoyante et mobile, redressa
la tête, échappant au vent de confusion qui avait
un instant passé sur elle. La pensée qu'elle pou-
vait retenir, par le mariage, cet homme qu'elle
adorait malgré sa bassesse, et dont elle sentait
l'affection se briser, lui fit oublier sa dureté et
sa vilenie.
Et vous m'épouserez ? demanda-t-elle.
l Certainement, répondit-il.
Il se disait qu'après tout, s'il parvenait à re-
trouver les millions de Salantin, la tutelle d'un
enfant de dix ans, aussi liche que serait alors
son fils, pouvait être pour lui la source d'une
nouvelle fortune.
Lina regardait cet homme, qui par sa bruta-
lité même s'était fait son maître, avec ravisse-
ment.
Ouil certainement, reprit-il. Vous savez
.Reproduction interdite.
ciale ? Et faut-il s'arrêter dans le développe-
ment des principes qui sont les siens, juste au
point où leurs conséquences pourraient heurter
certains intérêts et déranger certaines situa-
tions ?
J»j£eut cela a été dit énergiquement. D'autres i
choses ont été ajoutées. Le professeur Wagner,
qui a déjà eu un célèbre conflit avec le baron
Stumm, a déclaré que Bebel était un adversaire
honorable et avec lequel il aimait infiniment
mieux avoir à discuter qu'avec le roi des mines.
Cette parole semble avoir tellement scandalisé
les amis de M. de Stumm que, pour les châtier,
ils sont tout prêts à le justifier. Ne réclament-
ils pas en effet une mesure disciplinaire contre
le rector magnifions qui apprendra ainsi une
fois de plus ce qu'il en coûte de discuter avec
un homme si bien en cour. On parle également
de frapper le professeur de Soden. Bref, la
révolte des pasteurs semble devoir déchaîner
une guerre civile au petit pied dans l'Eglise et
dans l'Etat. On fera bien toutefois d'y réfléchir
à deux fois avant de l'engager. S'il est indiffé-
rent d'avoir contre soi un Stœeker, il ne saurait
l'être de jeter dans l'opposition la plus véhé-
mente les représentants les plus éminents de la
conscience et de la culture nationale.
«as-
DÉPÊCHES s TÉLÊGBâPHiQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps
Constantinople {via Sofia), 9 juin, 9 h. 5.
Le bruit court que Turkhan pacha serait déféré à
une commission d'enquête, en raison de son admi-
nistration de Crète.
Constantinople, 9 juin, 10 h. 30.
Dimanche, près de Jalowa, sur le golfe d'lsmid,
une bande de quinze brigands enleva Mme Ranzeau,
une Française, femme du directeur des bains de
Kouri, ainsi que deux dames serbes, Mme Paramo-
ghian et sa fille, pendant qu'elles se promenaient en
voiture. L'ambassadeur de France, M. Cambon, si-
gnala immédiatement le fait au gouvernement turc.
Les brigands demandent, dit-on, une rançon de
20,000 livres turques. Madrid, 9 juin, 9 h. 10.
Madrid, 9 juin, 9 h. 10.
Le général Seijas, chargé de l'instruction de l'af-
faire Campos-Borrero, a entendu hier les témoins
des deux adversaires et les directeurs des journaux
qui ont publié le procès-verbal de la rencontre.
Le maréchal Campos et le général Borrero gar-
dent toujours les arrêts. Les manifestations répu-
blicaines en faveur de ce dernier continuent.
Les anciens ministres libéraux siégeant au Sénat
ayant voulu faire une nouvelle tentative hier,
pour provoquer un débat sur cette question, le gou-
vernement, de concert avec les présidents des deux
Chambres, a décidé qu'aucune discussion ne sera
tolérée avant la fin de la vérification des pouvoirs.
Madrid, 9 juin, 11 h. 15.
Le conseil supérieur de la guerre est d'avis qu'il
ne peut intervenir dans la question des arrêts infli-
gés aux généraux par le ministre de la guerre en
vertu des pouvoirs que la Constitution lui confère.
Quand l'instruction sera terminée, le conseil deman-
dera une nouvelle autorisation au Sénat pour pour-
suivre les délits relevés contre Campos et Borrero.
Le Sénat et la Chambre termineront la vérification
des pouvoirs jeudi et procéderont immédiatement à
l'élection des bureaux et des commissions. La dis-
cussion de l'adresse ne sera interrompue que pour la
lecture des projets du ministre des finances.
Le ministre lui-même, hier, a démenti les bruits
d'emprunt et d'opérations avec la maison Roth-
schild. La politique financière du cabinet consiste
dans l'ajournement des solutions définitives et dans
l'adoption d'expédients financiers pour créer les
voies et moyens de continuer la lutte'et de faire
face aux besoins du Trésor espagnol jusqu'à la pa-
cification de Cuba.
Londres, 9 juin, 11 h. 45.
Billington, le bourreau de Londres, assisté de deux
aides, a procédé, ce matin, dans la prison de New-
gate, à une triple exécution.
Les suppliciés étaient Seaman, condamné pour
avoir assassiné, à Whitecbapel, M. John Lévy et sa
domestique, Sarah Gale; Fowler et Milson, les as-
sassins de M. Henry Smith, à Muswell lodge.
Tous trois ont été pendus à 8 h. 55.
Cherbourg, 9 iuin.'
Les expériences de tir sur la coque du La Galis-
sonnière qui devaient avoir lieu hier ont été remi-
ses, pour une cause que nous ignorons, à ce matin;
environ 50 curieux qui s'intéressaient à ce tir étaient
placés sous la batterie de Sainte-Anne, à Equeurdre-
ville. De cet endroit on apercevait très bien le côté
tribord du La Galissonnière, mouillé à environ une
demie encablure de Chavagnac.
Ce matin le tir a ou lieu à neuf heures, un coup de
canon seulement a été tiré et le projectile a frappé
et éclaté sur la coque du navire, à tribord avant, à
l'endroit précis où elle avait été renforcée, un trou
assez visible fait présumer que le projectile a péné-
tré dans le bâtiment. Les expériences doivent conti-
nuer cet après-midi. ̃
,“<>,
POUR OU CONTRE LE SOCIALISME -`
L'importance du débat qui a eu lieu hier à la
Chambre n'est pas seulement dans la claire et
ferme majorité qui s'est groupée à la fin autour
du ministère, mais encore et surtout dans la
manière dont s'est posée la question politique
et dans l'attitude résolue qu'a osé prendre et
garder le gouvernement. Le vote décisif que ce
dernier a obtenu est le résultat de la lumière
qu'il a su faire.
Nous pensons qu'après cette séance, on va
voir disparaître l'affirmation des radicaux que
le cabinet Méline gouverne avec la droite et au
profit du cléricalisme. M. Méline, avec son passé
bien que je n'ai jamais eu d'autre souci que vo-
tre bonheur; c'est pour vous assurer la richesse
que je vous ai laissée épouser ce Français c'est
pour vivre ensuite auprès de vous que j'ai con-
senti à devenir son subalterne; c'est pour ne
pas vous abandonner après son départ, que
j'ai refusé les postes les plus brillants et les
plus avantageux dans le Colorado.
Il oubliait de dire que, dans ces diverses cir-
constances, il avait su tirer profit de la situation
modeste ou brillante de la jeune femme, qu'elle
fut gouvernante de mistress Phipps, femme de
Salantin, ou qu'elle vécut à Chicago sur les cent
mille dollars que lui avait laisses son mari.
Certainement, je vous épouserai, conti-
nua-t-il. Mais gardons-nous de tomber dans le
sentimentalisme larmoyant. Avant les épou-
sailles, les affaires!
Elle laissa échapper un soupir.
Soit, dit-elle. Mais que comptez-vous faire
pour retrouver cette fortune ?
L'ingénieur la regarda d'un air gouailleur.
-Salantin avait bien quelques vices? dit-il.
A bien dire, je ne lui en connaissais aucun.
Allons donc Tout homme en a. Et pour
sa part, il en avait un tout au moins. Il l'a bien
prouvé en vous épousant. Il aimait les femmes
et se laissait enjôler par elles. Eh bien, il faut
chercher la femme. Elle existe quelque part.
J'ai sous la main de braves gens qui sauront
bien la découvrir.
Mais quand vous saurez où est la fortune
d'Antoine, il faudra toujours bien avoir recours
à la justice pour la lui faire rendre.
-Peut-être, non. Il y a plus d'un moyen
d'obtenir satisfaction. Dans tous les cas, il sera
temps alors d'en venir aux procédés légaux.
Quand Morris Bell l'eut quittée, sous prétexte
de se mettre tout de suite en campagne, Mme
Salantin descendit s'asseoir mélancoliquement
dans la cour de l'hôtel, songeant un peu sé-
rieusement, pourla première fois depuis qu'elle
avait appris la mort de son mari, à la situation
que lui faisait cet événement.
Elle était venue pour chercher un secours, et
elle allait se trouver, comme tutrice de son en-
fant, l'administratrice de nombreux millions.
Quel revirement du sort! Car elle ne doutait
pas que, d'une façon ou d'une autre, par l'a-
dresse de Morris Bell ou avec le concours des
magistrats, son petit Antoine ne réussît bientôt
à faire valoir « ses droits » et à rentrer dans
« ses biens ». Cette linotte méridionale disait
de vieux républicain, avait quelque raison de
direhierqu'il ne pouvait prendre au sérieux
ceux qui lui demandaient s'il était clérical. Il
y a là une sorte de plaisanterie à laquelle
ceux qui la font ne croient pas plus en réa-
lité- que celui qui en est l'objet. Mais, en
tout cas, le charme est rompu la vieille incan-
tation est éventée, et l'on ne pourra plus même
la recommencer en présence des chiffres du
scrutin. On dit que rien n'est brutal comme un
chiffre voici ceux qui sont sortis hier de l'urne
parlementaire: pour le ministère, 303 voix; con-
tre, 219; majorité de 84 voix. Or, les 303 voix
se décomposent de la manière suivante répu-
blicains, conservateurs et progressistes, 251;
droite, 52. Ce qui fait qu'en défalquant les voix
de droite, une majorité, purement républicaine,
reste encore de 32 voix. Or, cette façon de
compter est même trop partiale en faveur de
l'opposition, car celle-ci compte 50 socialistes
qui doivent être écartés comme n'étant pas
moins un parti anticonstitutionnel et antirépu-
blicain que les partis de droite pure. L'opposi-
tion républicaine se réduit donc à 169 voix, ce
qui laisse toujours la majorité du gouverne-
ment à 82 voix. Quant au vote de la droite, il
s'explique le plus naturellement du monde. M.
Lanjuinais en a donné la vraie raison « Nous
ne votons pas pour le gouvernement, nous vo-
tons contre le socialisme ».
Et telle est, en effet, la façon dont s'est posée
la question à la Chambre à la suite de l'inter-
pellation de M. Jaurès et surtout du discours
par lequel il l'a motivée. « Messieurs, s'est-il
écrié dans un passage qu'il voulait faire triom-
phant, la concentration est finie, parce qu'avec
la force qu'a prise le socialisme il faut être avec
lui, ou contre lui. » C'est ce qu'avait dit M. Mil-
lerand avec plus de précision encore dans son
récent discours « Il n'y a de vrais socialistes
que les collectivistes ». C'est donc le collecti-
vismelui-mêmequi, seposantcomme un dogme
absolu, groupe nécessairement contre lui tous
les hommes qui y voient le plus grand danger
qui menace à l'heure présente la France et la
République. Du moment que la question pre-
nait cette tournure, il ne faut plus s'étonner de
l'ampleur et de la solennité qu'a prise la discus-
sion. Le mouvement préfectoral dont était parti
M. Jaurès n'était plus qu'un incident qu'un
discours spirituel et plein d'à-propos de M.
André Reille avait dès le début réduit à
sa juste valeur. L'occasion de l'interpellation
disparaissait en quelque sorte devant lefaitplus
général du socialisme révolutionnaire, essayant
de s'imposer à la Chambre et d'intimider le
gouvernement. M. Barthou l'a bien compris et,
dans un discours d'une haute doctrine politique
autant que d'un grand souffle oratoire, il a re-
poussé avec un plein succès l'assaut des socia-
listes soutenus, non sans hésitation et sans em-
barras, par les radicaux. Le ministre de l'inté-
rieur a relevé le gant que lui avait jeté M. Jau-
rès et, après avoir revendiqué tout d'abord,
sous la réserve constitutionnelle de sa respon-
sabilité devant la Chambre, une indépendance
pleine et entière dans le choix de ses agents, il
a pris nettement position contre le socialisme
révolutionnaire. Cette réplique finale a été un
véritable triomphe.
Les radicaux l'ont bien senti; ils n'ont pas
voulu livrer bataille sur le terrain où maladroi-
tement M. Jaurès avait engagé le combat. Ils
ont essayé de faire dévier le débat en le portant
sur un autre terrain, en y agitant à nouveau le
spectre usé du cléricalisme et l'accusation deve-
nue non moins banale de gouverner avec la
droite. M. MéUne qui leur a fait tète n'a été ni
moins ferme ni moins heureux que M. Barthou.
Rien n'a pu le faire sortir de la ligne politique
derrière laquelle il s'estdélibérément retranché.
Tout autre aurait pu être tenté d'user de tacti-
que, de louvoyer et de reculer devant ces fantô-
mes qu'une sorte de respect humain a pendant
longtemps rendus si redoutables. Tranquille-
ment, en républicain sûr de lui-même, M. Mé-
line a marché sur eux et les fantômes se sont
évanouis. Loin de se rendre le succès facile, le
président du conseil a dans ces deux dernières
séances « joué la difficulté », samedi dernier,
en acceptant l'ordre du jour pur et simple sur
la question cléricale, hier en repoussant l'ordre
du jour de M. Isambert. Le ministère a raison
de ne négocier avec aucun parti pour se créer
des majorités d'occasion toujours prêtes à se
dissoudre. La méthode de M. Méline vaut
mieux planter son drapeau au milieu de la
Chambre, avoir des idées politiques nettes, un
programme de lois et de réformes pratiques
inspiré de l'esprit républicain et d'un juste
sentiment des intérêts du pays, puis ap-
peler à soi, sans exception de personnes,
sans 'vaines discussions d'étiquettes men-
teuses; tous les hommes de bonne volonté
qui adoptent ce programme de gouvernement
et sont résolus à le faire aboutir. Après tout, les
vrais républicains ne sont pas ceux qui s'occu-
pent a colorier leurs enseignes pâlies, mais ceux
qui font une vraie politique républicaine. Le
pays saura distinguer entre la paille des mots
et le bon grain des actes. Les anciennes déno-
minations ne lui disent plus rien parce qu'à ces
dénominations vaines ne correspondent plus
rien que des questions de rivalités de personnes
ou de coteries. De nouvelles questions surgis-
sent à l'horizon qui déjà amènent peu à peu un
nouveau classement des partis. Des séances
comme celles d'hier contribuent grandement à
cette évolution nécessaire.
« ses droits » et « ses biens », comme si la légi-
timité de son fils était indiscutable. L'ombre
que sa conversation avec l'ingénieur avait un
instant répandue sur son visage ne tarda pas
à se dissiper les idées gaies revinrent rapide-
ment, les plus magnifiques projets d'avenir les
suivirent, et le désir de briller et de plaire, qui
était dans l'essence même de cette femme, la
reprit de nouveau. C'est un désir qu'il est assez
aisé de satisfaire sur la terrasse du Grand-Hôtel.
C'est ce jour-là qu'elle fit la connaissance
d'Henry Le Loutre, qui devint d'autant plus vite
son confident que M. Morris Bell, fort occupé
sans doute dans le monde spécial dont il parais-
sait faire si grand cas, la laissait seule la plu-
part du temps.
Elle se garda bien de dire à Le Loutre, avec
lequel elle flirtait naturellement et sans but,
que Morris Bell était pour elle autre chose
qu'un intendant elle ne raconta pas davantage
à ce dernier qu'elle avait, par vanité, mis le
jeune Nancéen au courant de son étrange si-
tuation. Cette femme, comme beaucoup 'de
femmes, aimait le papotage et l'intrigue. •:
VI .̃
Albert Hainequin avait peu et mal dormi. ̃:
Au lieu de rentrer chez lui, après avoir quitté
Le Loutre, il s'était promené une partie de la
nuit. Mais, si la déambulation est singulière-,
ment favorable à nos facultés d'imagination,
elle ne facilite guère le calcul.
Aussi, quand il remonta son escalier de la rue
des Saints-Pères, Albert avait-il éloquemment
façonné les paroles pathétiques et convaincan-
tes qu'il adresserait, dès le lendemain, à Mlle
d'Armaucourt pour la décider à se dépouiller
de ses millions et à Mme Salantin pour la con-
vaincre que la jeune fille était étrangère à cette
sorte de captation. Il en faisait remonter toute
la responsabilité à l'affection, de plus en plus
inexplicable, de M. Salantin et à l'aveugle dé-
vouement du vieux François.
Les allégations de l'Américaine étaient trop
conformes à ses intérêts amoureux, pour qu'il
en doutât. Debarrassée des dollars de Salantin,
Berthe lui apparaissait comme une héritière de
cinq à six cent mille francs que pouvait fort
bien épouser sans scrupule un avocat d'avenir,
ayant déjà une clientèle et possédant, en outre,
un fort joli petit patrimoine.
Le repos, la solitude et l'obscurité l'aidèrent
à raisonner davantage. 11 en arriva à se de-
A L'HOTEL DE VILLE
La séance du Conseil municipal de Paris nous of-
frait hier deux primeurs c'étaient le discours d'ins-
taîfation du nouveau président et la première ren-
contre du nouveau préfet de là Seine avec l'assem-
blée communale. Le président du Conseil municipal,
M. Pierre Baudin, a prononcé un discours très éten-
du, dans lequel il a essayé d'établir un programme
de travaux édilitaires et de donner la formule des
droits et des devoirs politiques de la municipalité
parisienne. Ce n'est pas le moment de discuter en
détail les déclarations administratives de M. Pierre
Baudin. Les programmes, surtout les longs pro-
grammes, ne sont que des mots qui s'envolent. Nous
verrons le Conseil municipal à l'œuvre, et nous le
jugerons à ses actes. Tout ce qu'on peut dire, c'est
que M. Pierre Baudin a, pour l'embellissement de
Paris et pour son rayonnement dans la France et
dans le monde, les ambitions les plus nobles et les
plus louables. Tous les Parisiens, d'ailleurs, et tous
les Français sont d'accord sur ce point.
Quant à la partie politique du discours de M.
Pierre Baudin, c'est bien le langage d'un ancien
« autonomiste » ou d'un ancien « radical socialiste »
que le nouveau classement des partis, imposé par
M. Millerand, n'a pas laissé d'embarrasser quelque
peu. M. Pierre Baudin a racheté le vague de ses dé-
clarations politiques par un luxe extraordinaire de
périphrases sonores ou de mots à effet. Quand il
proteste contre les prétentions de l'Etat, dans ses
conflits administratifs avec la ville de Paris, M.
Pierre Baudin use de termes d'une violence froide
et calculée « L'Etat nous rançonne sous mille pré-
textes, nous contraint à subir sa féroce poursuite de
l'uniformité. » A quoi bon ce réquisitoire? Que
prouve cette façon de parler? A quels résultats pra-
tiques ce langage de rancune peut-il conduire?
L'entente cordiale, les négociations bienveillantes
et la courtoisie dans la défense légitime des droits
respectifs .des deux partis en cause n'auraient-elles
,p3£ des résultats plus efficaces pour le bien de Pa-
ris?" Il est vrai que, pour les partis avancés, l'es-
sentiel n'est pas d'agir, mais de parler pour faire
croire qu'on agit.
M. Pierre Baudin a éludé ou cru éluder, dans ses
déclarations politiques, la question capitale que M.
Millerand a posée à tous les pseudo-socialistes. M.
Pierre Baudin s'est félicité, d'abord, du résultat des,
élections municipales de Paris, et du succès des
« républicains socialistes de toutes les écoles ». Il
résulte de ceci que le nouveau président du conseil
municipal est très heureux de voir les collectivistes
révolutionnaires à l'Hôtel de Ville, car les collecti-
vistes-révolutionnaires constituent la principale
« école » socialiste, sinon la seule. Mais M. Pierre
Baudin n'a pas prononcé les noms véritables de ces
amis compromettants, et il est visible qu'il se con-
tente, pour son compte, de l'épithète « républicain
socialiste ». Cela désigne une catégorie qui n'exis-
tait pas encore. Ou, plutôt, les « radicaux-socialis-,
tes », condamnés à l'impuissance, dominés par les
révolutionnaires et relégués par eux au second plan,
ont décidé de faire peau neuve et de se donner une
appellation qui n'éveille pas, dans l'opinion, des
idées de décadence irrémédiable.
Les « radicaux-socialistes » sont morts, ou réduits
en servage par les collectivistes. Vivent donc les
« républicains-socialistes » M. Pierre Baudin est
trop intelligent pour s'imaginer que cette tisane ren-
dra la vie à un parti qui s'effondre parce qu'il s'est
abandonné lui-même. M. Pierre Baudin n'a qu'à son-
ger que, dans cet Hôtel de Ville où les « radicaux-
socialistes » sont revenus en même nombre qu'hier,
il est, lui, selon toutes probabilités, le dernier pré-
sident non-révolutionnaire. L'an prochain, le groupe
socialiste pur réclamera ses droits, et il saura les
imposer, non parce quii est le nomurt;, mais parce
qu'il est l'audace et la virilité en face de l'abdication
et de l'anémie du radicalisme.
En terminant son discours, M. Pierre Baudin a
fait avec beaucoup de tact et de sympathie l'éloge
de M. Poubelle qu'il a remercié, au nom du conseil,
pour ses douze années de services à la préfecture
de la Seine. Le président a souhaité ensuite la bien-
venue à M. de Selves, et le nouveau préfet, très bien
accueilli par les paroles de M. Pierre Baudin et par
les manifestations de l'assemblée, a pris la parole à
son tour. La courte allocution de M. de Selves est
tout administrative et elle est animée d'un excellent
esprit. La méthode, la clarté de la conception, la
netteté du jugement se révèlent dans ces paroles
dites avec beaucoup de simplicité. Le passé de M. de
Selves nous garantissait qu'il se rendrait compte,
dès le premier jour, de la grandeur et de la com-
plexité de sa tâche; nous ne pouvons plus douter
maintenant, après l'avoir entendu.
M. de Selves verra bientôt d'où lui viendront les
difficultés principales quand il voudra mener à bien
sa tâche multiple. Les exigences et les prétentions
du Conseil municipal en matière politique causeront
au nouveau préfet, comme à tous ses prédécesseurs,
plus d'un ennui. Que parlons-nous de l'avenir?
Déjà, dans la séance d'hier, M. de Selves a vu le
Conseil municipal à l'œuvre. Un conseiller socialiste
a proposé de voter 10,000 francs pour des ouvriers
de Limoges en chômage et cette proposition a été,
naturellement, adoptée. Il n'y a presque pas eu de
débat. On. a trouvé tout simple que l'argent des Pa-
risiens fût dépensé pour entretenir à Limoges l'agi-
tation et le désordre. Personne, paraît-il, n'était au
courant. M. de Selves a dit qu'il ne savait pas de
quoi il s'agissait, qu'il promettait d'examiner, etc.
Le Conseil ne s'est pas arrêté à cette esquisse d'op-
position, et il a voté les 10,000 francs.
Or, on ne peut pas dire qu'il y ait effectivement la
grève à Limoges. Les ouvriers porcelainiers sont
depuis quelques jours en désaccord avec les patrons
mander si cette femme était bien sérieuse, si sa
réclamation était fondée, si le Salantin dont
elle réclamait l'héritage était bien celui qu'il
avait connu. Pour être moins commun que les
noms de Durand et de Dubois, celui de Salan-
tin n'a rien d'exclusif. Si gênants que fussent
pour lui les millions de Berthe, elle n'avait pas
le droit de s'en dessaisir à la première requête.
Il avait eu des préventions contre M. Georges,
mais il était obligé de reconnaître que cet ami
de la famille d'Armaucourt était un homme trop
correct pour planter là une femme et un enfant
et les frustrer du bien qui pouvait leur appar-
tenir.
Bien que court et agité, le sommeil acheva de
mettre de l'ordre dans ses idées.
Le lendemain, il était presque persuadé qu'il
avait fait fausse route dans ses suppositions.
Henry Le Loutre arriva exactement à qua-
tre heures et demie.
J'hésite presque à faire cette visite, dit
Albert en le voyant. C'est une démarche qui
n'est guère admise par les règles de notre ordre.
J'ai l'air de courir après.les affaires.
C'est un service que tu me rends et non
une cause que tu cherches. Je te présente à une
personne de mes amies; elle te raconte ses mal-
heurs. Il n'est nullement certain que tu accep-
tes de t'occuper de ses intérêts.
Oh sûrement. D'autant plus que ces his-
toires d'outre-mer sont généralement sujettes à
caution.
Ah mon ami, si tu connaissais la femme
qui les raconte, tu ne douterais pas un instant
de sa sincérité.
Hainequin n'était pas aussi sensible aux for-
mes extérieures et aux déclamations bruyantes
que son camarade. De plus, sa profession, qui
dispose au scepticisme, le mettait en garde
contre l'optimisme des revendicateurs. La pre-
mière impression que lui fit Mme Salantin fut
détestable.
Mais quand la veuve eut tiré de sa poche les
fameux actes qu'elle avait communiqués au
commissaire de police, Albert fut obligé de s'a-
vouer que cette femme, en dépit de son mau-
vais genre, pourrait bien être la très légitime
épouse da ce M. Salantin, qu'il avait connu si
correct et si réservé. L'acte dp mariage ne lais-
sait pour ainsi dire aucun doute.
Un seul point lui semblait obscur. Il avait
toujours entendu dire, par son père, que M.
Georges était son compatriote. Et l'acte de nais-
et le travail est suspendu. Mais la grève, votée en
principe, ne sera formellement déclarée que jeudi,
si les patrons n'ont pas accordé, cédé, à certaines
réclamations. Donc, il n'y avait aucune urgence à
voter ces 10,000 francs, même à titre de secours,
puisque le conflit n'est pas encore' déclaré. Cette
subvention est un encouragement, une excitation
véritable à la grève. Les meneurs de Limoges ne
manqueront pas de tirer argument du précieux con-
cours du Conseil municipal de Paris, et les chances
de conciliation diminuent désormais. Si la grève
éclate décidément à Limoges, on pourra dire que le
Conseil municipal de Paris l'aura voulue, même en
quelque mesure provoquée.
Il était donc nécessaire de repousser nettement la
demande de subvention et rien n'était plus simple,
car il est inadmissible que le budget de Paris ali-
mente les conflits sociaux; il est plus inadmissible
encore qu'il les favorise en province, surtout lorsque,
comme à Limoges, ils n'ont pas encore définitive-
ment éclaté. Comment douter, d'autre part, de la
résolution d'un gouvernement qui s'est nettement
mis en travers, dès le premier jour, de la propa-
gande socialiste et qui, au moment même où le Con-
seil municipal délibérait, le condamnait solennelle-
ment à la Chambre aux applaudissements de la ma-
jorité républicaine.
•' < .̃̃; •'
AFFAIRES COLONIALES
Dahomey '̃̃•̃̃
L'agence Havas publie la dépêche suivante, de
source anglaise, qu'elle ne donne d'ailleurs que
sous toutes réserves
Brass, 8 juin.
Les nouvelles reçues ici, aujourd'hui, annoncent que
les débris de l'expédition française qui a été mise en
déroute dans le Borgou seraient partis de Kiama
pour Lagos et Kisi le 12 mai.
Les survivants comprennent le capitaine Toutée,
deux autres Européens, soixante soldats indigènes et
cent vingt porteurs.
Cette réserve se comprend quand on saura que le
capitaine Toutée, que l'on représente comme battu
au Borgou, est tout simplement à Paris.
C'est dire comment est renseignée l'opinion pu-
blique en Angleterre Au fond, tout cela est destiné
à justifier une occupation éventuelle par la Compa-
gnie du Niger des territoires dont les deux gouver-
nements de Paris et de Londres se contestaient la
propriété.
Nous voilà prévenus.
Ajoutons qu'à la dernière heure la même agence
Havas nous communique la note suivante
On ne sait rien, au ministère des colonies, sur les
faits signalés dans une dépêche anglaise de Brass au
sujet d'une expédition française dans le Borgou.
Il s'agit probablement de faits se rapportant à l'af-
faire Forget.
Le capitaine Toutée, dont il est question dans cette
dépêche, est à Paris et a été promu commandant ces
jours derniers.
•• .̃•̃lïh.l Tonkin 'r
La commission extraparlementaire chargée de
l'examen des contrats et engagements du protecto-
rat du Tonkin s'est réunie hier matin au ministère
des colonies, sous la présidence de M. Boulanger,
sénateur, premier président de la Cour des comptes,
assisté de M. Lesage, inspecteur des finances.
Elle a entendu la déposition de M. Lion, ingénieur,
ancien directeur des travaux au Tonkin, sur l'affaire
du chemin de fer de Lang-Son, et celle de M. Pri-
gont, inspecteur général des services administratifs
de la marine, ancien directeur du contrôle en Indo-
Chine, sur le fonctionnement de ce contrôle dans le
protectorat de l'Annam et du Tonkin.
Elle a également entendu le rapport de M. Jolly
sur l'emprunt aux banques et en a approuvé les con-
clusions.
a^
L'ATTENTAT DE BARCELONE
(Dépêches de nos correspondants particuliers)
Madrid, 9 juin, 9 h. 15.
La Chambre a adopté hier à l'unanimité une mo-
tion d'indignation contre les auteurs du criminel
attentat de Barcelone et une motion de sympathie
pour les victimes.
Le décret établissant l'état de siège à Barcelone a
été signé par la reine régente.
Barcelone, 9 juin, h. 45.
C'est la justice militaire qui procédera contre les
anarchistes, parce que parmi les blessés se trouvent
plusieurs soldats qui étaient de service en escor-
tant la procession. Le gouvernement a télégraphié
aux autorités de Barcelone d'autoriser la sortie des
processions, cette semaine, en les entourant de
toutes les précautions possibles.
Dès que l'état de siège a été proclamé, les autori-
tés civiles ont remis aux parquets militaires trente-
huit anarchistes, dont trois étrangers, arrêtés par
la police.
Déjà, jeudi dernier, on avait trouvé des bombes
dans le voisinage de la cathédrale. Avant l'attentat
de dimanche, sur la promenade de Colon, trois in-
dividus d'aspect suspect firent à haute voix des re-
marques sur les jésuites et les curés et dirent qu'ils
passeraient sous peu un mauvais quart d'heure. Le
propos attira l'attention de personnes qui affirment
pouvoir reconnaître ces hommes. On a saisi des ar-
mes et des brochures anarchistes chez la plupart des
détenus, et des cartouches de dynamite dans une
boutique où deux anarchistes ont été arrêtés.
L'autorité militaire a écroué tous les détenus à la
citadelle de Monjuich.
D'après les dernières dépêches officielles, l'atten-
tat a causé 7 morts, 28 blessés, dont 9 enfants et
6 femmes; 4 blessés, dont 2 enfants, ont succombé
hier. Les obsèques des victimes auront lieu aujour-
d'hui aux frais de la municipalité.
La police française avait prévenu le gouverne-
ment espagnol que les anarchistes se remuaient et
avait fourni d'utiles indications.
sance du mari de Mme Salantin le faisait naître
à la Nouvelle-Orléans 1. Mais il est probable
que l'ancien notaire, en traitant M. Salantin de
compatriote, voulait simplement rappeler que
les parents de ce dernier étaient d'origine lor-
raine.
Bien que sa conviction fût devenue entière, il
eut la force et la discrétion de ne point laisser
entrevoir à Mme Salantin ni à Le Loutre qu'il
avait entre les mains le moyen de résoudre le
problème qui venait de lui être posé. Ce n'était
point à lui qu'il appartenait d'apporter la solu-
tion. Ne fallait-il pas, avant tout, préparer
Berthe à ce changement de situation?
Certes, il n'admettait pas que la jeune fille
hésitât un instant. Il l'avait en trop haute estime
pour penser qu'elle pût vouloir conserver une
fortune qui ne lui appartenait pas. Mais on ne
passe pas de l'opulence à l'aisance, si dorée
qu'elle soit, sans un grain d'amertume. Et puis,
comment lui expliquer maintenant la libéralité
dont elle avait été l'objet? On l'avait accoutu-
mée à trouver tout naturel qu'un vieil ami de
sa famille, célibataire, sans enfants, sans pa-
rents même, lui eût fait l'abandon de biens dont
sa simplicité n'avait que faire, mais quelle rai-
son donner à la conduite de cet homme qui,
pour l'enrichir, ruine sa femme et son fils?.
Quelle raison?. surtout quelle bonne rai-
son ?.
Lui-même, il la cherchait Il la chercha en
vain, après avoir quitté Mme Salantin, en sui-
vant la route 4e Nogent. Car, en brave qu'il
était, il allait tout de suite à la bataille. Il
était du reste attendu pour dîner à la villa.
11 arriva juste pour se mettre à table. Il futpen-
dant tout le repas très libre d'esprit et eut pour
Mlle d'Armaucourt des attentions exquise?,
comme on en a pour une personne aimée que
l'on sait vouée à un prochain malheur. Fran-
çois, tout en servant magistralement, ne per-
dait rien de cette attitude cordiale, et, s'il n'a-
vait tenu son plat et sa serviette, il s'en serait
frotté les mains.
Il va sans dire qu'Albert n'entama pas la
question. Tout ce qu'il se permit fut une excur-
sion dans le domaine des hypothèses. Il mit ha-
bilement la conversation sur les retours que
peuvent avoir à craindre, en ce bas monde, les
plus grandes prospérités. Il trouva Berthe telle
qu'il l'avait rêvée, prête à accepter allègrement,
le cas échéant, toute diminution de richesses
que pourrait lui imposer ta destinée.
LE COURONNEMENT DU TSAR
L'empereur Nicolas Il et l'impératrice ont quitté
Moscou pour Ondinzov, d'où ils se rendront aft
château d'Ilinskojé.
Un rapport officiel publié dans la Gazelle officielle
de Saint-Pétersbourg fixe le chiffre des morts de la
catastrophe du champ de Khodinsky à 1,360, et la
chiffre des blessés à 644 seulement.
L'enquête commencée sur les causes de ce mal-
heur signale, d'après la Gazelle de Francfort, que la
nombre des « cadeaux de l'empereur (paquets de
provisions) était, par négligence ou malversations,
de beaucoup inférieur au nombre des gens du peu-
ple qui se pressaient à la distribution. Le bruit s'en
est répandu rapidement et a été la première causp
de la poussée mortelle. ,.i
Les Novosti racontent qu'un mystérieux attentat
aurait été dirigé pendant le trajet d'Odessa à Moscou:
contre Zia pacha, représentant le sultan aux fêtes dit
couronnement.
L'envoyé du sultan occupait un wagon spécial con-
sistant en un compartiment-salon et deux autres com-
partiments avec lits. Un gardien avait été attaché à sa
personne par la compagnie du chemin de fer.
A une courte distance d'une des stations entre Kiev
et Voronèje, un individu qui avait réussi à se glisser
dans le wagon pendant une halte ou un ralentissement
du train fit, tout à coup, irruption dans le comparti-
ment où se trouvait Zia pacha, en compagnie de son
secrétaire, et se précipita sur l'ambassadeur. Surpris
par cette soudaine apparition, Zia pacha et son compa-
gnon ne purent maitriser l'agresseur qui aurait ac-
compli son criminel dessein si le gardien, qui se trou-
vait dans le compartiment voisin, n'était accouru au
bruit et n'avait aidé à arrêter le forcené.
Il paraîtrait que cet individu avait obtenu d'un em-
ployé de la ligne une clef pour ouvrir le wagon de
l'envoyé du sultan. Une enquête, est ouverte sur cet
incident, qui donne lieu à de nombreux commen-
taires.
LE S FÊTES DE MOSCOU
̃̃'̃̃ {De notre envoyé spécial) > ̃̃'
Moscou, 23 mai/4 juin.
Qui le nierait? nous avions besoin d'une journét
de calme, de paix sereine, de détente. Depuis l'af-
freux malheur, le souvenir obsédant des scènes dff
la Khodinka et du cimetière nous poursuivait; et,
comme par gageure, le programme des fêtes nous
ramenait régulièrement sur ces lieux. Le concours
hippique, les fêtes des régiments de la garde à la
Khodinka, le tir aux pigeons, vers le cimetière, à
deux cents mètres du charnier on voyait de là la
foule tordue de douleur, on entendait ses plaintes,
ses cris, les prières émues et rapides, et le grand-
duc Vladimir Alexandrovitch put abattre un vau-
tour, qu'attiraient les miasmes pestilentiels. Et le
soir, les bals chez le grand-duc Serge, gouverneur
général de Moscou, à l'Assemblée de la noblesse.
L'empereur et l'impératrice ont dû bénir la jour-
née d'hier, qui, après visites faites aux blessés et
pénibles corvées mondaines, les ramenait dans une
atmosphère de douceur et de paix monastique.
Serguiero, où se trouve le monastère de Saint-
Serge, est à trois heures de chemin de fer de Môs-
cou. C'est une ville pittoresque, par elle-même jolie
et qu'enjolive encore ce beau printemps, aux ar-
deurs estivales.
A peine a-t-on quitté la gare, que l'œil découvre
la sainte citadelle, le Kremlin religieux, aux tours
solides, aux dômes d'or, aux longues murailles rou-
ges, et, à droite, sur une longue étendue, un décor
marveilleux, une de ces vues à vol d'oiseau qu'ai-
maient tant les artistes d'autrefois. Une route, cou-
verte de pèlerins, de paysans, de chariots, grimpant
vers la ville ou s'arrétant devant des izbas basses,
aux tables chargées de vivres, fait une courbe gra-
cieuse, au milieu d'accidents de terrains qui, par en-
droito, ont n6ooooit6 do frustes travaux d'art ponts
de bois jetés sur des ravins, escaliers raides,
poutres fichées en terre, en garde-fous. Ce ruban da
route se noue à la grand'place, couverte d'échoppes
alignées. Sur les pavés, la. foule est massée, tandis
qu'auprès, fort tranquilles, des nuées de pigeons, de
corneilles et de corbeaux becquetant le sol. De cette
place, une autre route descend la colline. Celle-ci,
bordée de chapelles, avec des groupes agenouillés,
priant avec ferveur, ou des pèlerins fatigués, allon-
gés sur les talus. On découvre ainsi des milliers
d'individus, dont les silhouettes se détachent nette-
ment sur la pente du terrain, et si nettement qu'on
peut s'amuser aux détails, considérer les individus,
suivre une à une, comme en un livre, les péripéties
de cette scène populaire. On songe involontairement
à la foire de Callot.
Et le premier plan A côté de vous; un superbe
massif d'arbres énormes, aux frondaisons noircies
des nids des corbeaux qui croassent. Au pied, assis
sur la colline qui dévale en pente raide, des pèlerins
sont assis dans des poses abandonnées et lasses.
Deux vieillards, de haute stature, seuls debout sur
la route, dominent la scène, qu'ils examinent avec
curiosité, le bras étendu vers le Kremlin, but de
leur pèlerinage.
Cependant, dans le bas, un mouvement s'est pro-
duit. Des soldats, baïonnette au canon, font évacuer
la partie du sol qui se hérisse en buissons, et re-
pousse la foule vers les routes. Sur celle de gauche,
qui descend de la place en longeant le Kremlin,
l'okhrana se range, faisant haies, tandis que des
ouvriers s'empressent, arrosent le pavé, jettent da
sable, tendent des cordes.
Dans le cloître affluent les curieux triés sur le vo-
let, fonctionnaires, militaires, prêtres et peuple de
l'okhrana, que les agents de police postent sur le
parcours que doit suivre le cortège, aux abords des
cathédrales et dans les jardins. Toutefois, on cir-
cule librement. Des chants s'épandent par les portes
grandes ouvertes de la cathédrale de l'Assomption,
Que voulez-vous, dit-elle en souriant, que
me fasse la pauvreté? Je n'ai point assez d'amis
pour craindre qu'elle les éloigne, et ceux que
j'ai ne sont point gens à s'en effrayer.
Et en prononçant ces mots, elle tendait la
main au jeune homme et jetait un regard affec-
tueux à son vieux serviteur.
Le fidèle François ne comprenait guère l'uti-
lité de ces suppositions, mais elles avaient
achevé de mettre dans la conversation une inti-
mité confiante qui le ravissait.
Ça y est se disait-il en lui-même. Il y
viendra et elle aussi 1
Son espérance ne connut plus de bornes
quand, dans la soirée, Albert Hainequin, lais-
sant un instant la jeune fille seule sur la ter-
rasse, vint lui dire rapidement et à voix basse
Tu me reconduiras jusqu'à la station. J'ai
à te parler.
Le bonhomme, qui se considérait comme un
membre de la famille d'Armaucourt, se figurait
déjà que le jeune homme allait lui demander la
main de la noble héritière.
Quand, vers dix heures, l'avocat traversa
le jardin pour gagner la route, il trouva à la
grille François Colin qui l'attendait et se mit à
marcher à ses côtés.
Qu'y a-t-il de nouveau, monsieur Albert?
demanda le vieillard. Vous aviez l'air bien gai,
ce soir?
Il disait maintenant cc monsieur Albert avec
le même ton de déférente sympathie qu'il pre-
nait autrefois pour dire « monsieur Georges. »
J'ai essayé de faire bonne contenance, ré-
pliqua Hainequin.
-Qu'avez-vous donc? interrogea le domes-
tique devenu inquiet.
Albert s'était arrêté; il resta un moment silen-
cieux, puis d'un ton bref
Savais-tu que M. Salantin fût marié? fit-il.
Il faisait nuit noire; Hainequin ne put, grâce
à cette circonstance, voir l'affreuse contraction
qui se produisit sur le visage du vieillard.
Marié M. Georges?. Qui vous a dit
cela? balbutia François.
Mais. Mme Georges Salantin elle-même.
Mme Salantin est à Paris 1 s'écria le vieil-
lard d'une voix altérée par l'épouvante.
Tu la connais donc? demanda Albert
étonné.
Paul Lenglé.
l.i j lAsuivre), ̃̃<>̃̃̃ ̃ ̃̃'•'̃̃-
IWKHGHKUl 10'JUIN 1S95
TRENTE-SIXIEME ANNEE. N" 12794
PRIX DE L'ABONNEMENT-
PARIS. Troie mois, 1"4 fr.; Six mois, 28 fr. j Un an, S6 fr.
DBP'» & ÀLSACE-LORKilNE IV fr.; 3-3: fr.; 6S fr.
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Un numéro {dlépsjuftëKîxesîtsî SO centimes
ANNONCES MM. LAGRANGE, Cerp ET C% 8, place de la Bourse
te Journal et les Régisseurs déclinent toute responsabilité quant à leur teneur
Adresse télégraphique TEKÏS PARIS
Bureau à LONDRES 17, Pall Mail East. S. W.
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PARIS. Trois mois, 14 fr>; Six mois> 2S fr.; Un an, 5S to
DBPH & ALSACE-LORRAINE 17 fr.; r S4(r.| 68 fr.
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5 LES ABOÎÏNXMEKTS BATENT DES l" ET 1C DE CHACUE MOIS ,̃
Un numéro (à Paris) 1 a centimes
Directeur politique Adrien Hébrarâ • ̃"
Toates les lettres destinées à la Rédaction doivent être adressées au Directeur
.̃ Ze Journal ne répond pas des articles non insérés •»
Nos acheteurs au numéro à Paris sont priés de
réclamer le PETIT TEMPS d'hier, qui doit leur
être remis gratuitement.
P" :,ô.
Paris, 9 -juia. w-–
BULLETIN DE L'ÉTRANGER
UNE RÉVOLTE ECCLÉSIASTIQUE
L'empereurGuillaumeaprobablementétêsur-
pris de l'accueil qui a été fait à son fameux té-
égramme sur ou plutôt contre M. Stœeker et le
christianisme social.
A vrai dire, il ne paraîtpas que ce soit ce sou-
verain lui-même ou le destinataire de cette im-
périeuse missive, le conseiller intime Hinz-
.peter, qui en ait rendu public le texte. C'est le
roi des mines, le baron Stumm, l'ennemi juré
et pour cause de l'ingérence du clergé dans
les controverses économiques, qui aurait une
fois de plus découvert la personne impériale
pour se couvrir lui-même.
On sait qu'il est coutumier du fait. Ce grand
pourfendeur des torts de M. Stœeker a commis
et non pas une seule fois précisément l'in-
discrétion qui a coûté à l'ex-chapelain de la
cour sa charge officielle. Il est vrai que ce qui
fut si mal pris de la part de cet ecclésiastique,
quand il crut pouvoir parler publiquement de
son amie l'impératrice Auguste-Victoria et se
targuer de son influence sur d'illustrissimes
ouailles, ne semble point avoir nui au crédit du
gentilhomme à l'écusson doré, mais un peu
neuf.
Du moins n'a-t-on point ouï dire que la seule
personne en droit de protester lui ait su mau-
vais gré d'avoir ouvertement parlé, il y a un an,
de la pression qu'il comptait exercer sur son
souverain dans la liberté d'une partie de chasse
ou d'avoir communiqué urbi et orbi la mise au
ban de l'empire de M. Stœeker.
Cette excommunication impériale n'a fait, du
reste, que confirmer et accentuer une récente
circulaire du conseil supérieur de l'Eglise évan-
gélique de Prusse. Dans ce document officiel la
plushaute autorité ecclésiastique de ce royaume,
revenant sur des appels antérieurement faits
au clergé, à l'époque où brûlait en haut lieu la
flamme d'un beau zèle pour la réforme sociale,
a cru devoir interdire expressément aux pas-
teurs chargés du soin des intérêts spirituels de
leurs troupeaux de se mêler des questions con-
tingentes de l'ordre politique ou social.
Cet oukase, selon qu'on le prend de tel ou tel
côté, n'a pas plus d'importance que la promul-
gation solennelle d'un lieu commun, ou cons-
titue au contraire un grave empiètement sur la
liberté de conscience du clergé. C'est dans le
dernier sens que l'ont interprété les membres
du congrès chrétien social évangélique, réuni
précisément à ce moment à Stuttgart.
Cette assemblée ne saurait être rendue sans
injustice solidaire des procédés plus ou moins
louches de M. Stœeker et de son socialisme
chrétien fortement teinté d'antisémitisme réac-
tionnaire. Il y avait eu rupture entre le bruyant
leader de cette espèce de démagogie religieuse
et les respectables membres de ce congrès.
Toutefois, devant le danger commun une ré-
conciliation s'est opérée, On a voté à Stuttgart
une formule d'une amabilité peu compromet-
tante à l'adresse de l'ex-prédicateur de cour, et
celui-ci a cépondu par un de ces télégrammes
bénisseurs où il excelle.
Là ne se sont pas bornées les protestations du
congrès. Il était présidé par un homme tout à
fait éminent, le professeur Adolf Wagner, ac-
tuellement rector magnifiais de l'Université de
Berlin, l'un des maîtres de la nouvelle économie
politique ou National OEkonomie l'auteur de ce
manuel de la science qui est peut-être l'œuvre
la plus importante de la jeune école. A côté de
lui, on voyait des hommes comme le profes-
seur de Soden, un théologien distingué, di-
recteur des Studien, l'une des grandes re-
vues de théologie scientifique, beaucoup d'au-
tres, dignes de tout respect soit par leur
zèle à s'acquitter de leurs fonctions pasto-
rales, soit par leur position dans le monde
intellectuel. C'était en quelque sorte la fleur
du clergé protestant, l'élite de ceux, du moins,
qui appartiennent à la tendance positive ou or-
thodoxe. Eh bien! tous ces hommes ont été
,unanimes à se redresser contre le joug qu'on
prétendait leur imposer. Ils. ont demandé avec
ironie où commençait cette politique sociale
qu'on prétendait leur interdire, si le plat servi-
teur du pouvoir ou de la richesse qui prêche
toujours l'obéissance aux autorités légitimes et
le respect de l'ordre divin et de la hiérarchie
serait réduit au silence tout comme le coura-
geux apôtre de la justice et de la charité. Ques-
tion embarrassante, surtout quand on sait la
part que prennent trop souvent des ecclésiasti-
ques réduits au rôle de comparses des land-
rœthe, dans la candidature officielle des gentils-
hommes campagnards bien vus en haut lieu. Ce
n'est pas tout.
Le congrès de Stuttgart a également voulu
"savoir ce qu'on appelait exactement prêcher
l'Evangile et s'enfermer dans le domaine pure-
ment spirituel. Est-ce en sortir que de dénoncer,
non seulement les vices des pauvres, mais aussi
ceux des riches? L'Evangile exige-t-il qu'on
Voccupe de guérir le péché d'en bas et non ce-
lui d'en haut? A-t-il ou n'a-t-il pas une morale,
rJion seulement individuelle, mais encore so-
,FETJ::LBL.ETT€M%I l~u ~e~~
DU 10 JUIN 1896 (1O)
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Lb JJ6 M M. mAMIM
` • V– (Suite)
Lina baissait les yeux, honteuse de se sentir
attachée, par ses amoureuses faiblesses, à un
misérable capable d'aussi odieux calculs.
Et vous seriez aujourd'hui Mme Morris
Bell. Et nous habiterions quelque belle maison
de l'avenue de Pensylvanie, à Washington.
Car je suis citoyen américain, moi, et, avec la
fortune de ce Salantin, je serais vite entré au
Capitole. Mais ce qui est fait est fait. Ne per-
dons pas notre temps à regretter le passé. En
avant 1. C'est la devise de mon pays. Donnez-
moi un chèque, car j'ai besoin d'argent et nous
rattraperons le temps et l'argent perdus 1
La Béarnaise, ondoyante et mobile, redressa
la tête, échappant au vent de confusion qui avait
un instant passé sur elle. La pensée qu'elle pou-
vait retenir, par le mariage, cet homme qu'elle
adorait malgré sa bassesse, et dont elle sentait
l'affection se briser, lui fit oublier sa dureté et
sa vilenie.
Et vous m'épouserez ? demanda-t-elle.
l Certainement, répondit-il.
Il se disait qu'après tout, s'il parvenait à re-
trouver les millions de Salantin, la tutelle d'un
enfant de dix ans, aussi liche que serait alors
son fils, pouvait être pour lui la source d'une
nouvelle fortune.
Lina regardait cet homme, qui par sa bruta-
lité même s'était fait son maître, avec ravisse-
ment.
Ouil certainement, reprit-il. Vous savez
.Reproduction interdite.
ciale ? Et faut-il s'arrêter dans le développe-
ment des principes qui sont les siens, juste au
point où leurs conséquences pourraient heurter
certains intérêts et déranger certaines situa-
tions ?
J»j£eut cela a été dit énergiquement. D'autres i
choses ont été ajoutées. Le professeur Wagner,
qui a déjà eu un célèbre conflit avec le baron
Stumm, a déclaré que Bebel était un adversaire
honorable et avec lequel il aimait infiniment
mieux avoir à discuter qu'avec le roi des mines.
Cette parole semble avoir tellement scandalisé
les amis de M. de Stumm que, pour les châtier,
ils sont tout prêts à le justifier. Ne réclament-
ils pas en effet une mesure disciplinaire contre
le rector magnifions qui apprendra ainsi une
fois de plus ce qu'il en coûte de discuter avec
un homme si bien en cour. On parle également
de frapper le professeur de Soden. Bref, la
révolte des pasteurs semble devoir déchaîner
une guerre civile au petit pied dans l'Eglise et
dans l'Etat. On fera bien toutefois d'y réfléchir
à deux fois avant de l'engager. S'il est indiffé-
rent d'avoir contre soi un Stœeker, il ne saurait
l'être de jeter dans l'opposition la plus véhé-
mente les représentants les plus éminents de la
conscience et de la culture nationale.
«as-
DÉPÊCHES s TÉLÊGBâPHiQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps
Constantinople {via Sofia), 9 juin, 9 h. 5.
Le bruit court que Turkhan pacha serait déféré à
une commission d'enquête, en raison de son admi-
nistration de Crète.
Constantinople, 9 juin, 10 h. 30.
Dimanche, près de Jalowa, sur le golfe d'lsmid,
une bande de quinze brigands enleva Mme Ranzeau,
une Française, femme du directeur des bains de
Kouri, ainsi que deux dames serbes, Mme Paramo-
ghian et sa fille, pendant qu'elles se promenaient en
voiture. L'ambassadeur de France, M. Cambon, si-
gnala immédiatement le fait au gouvernement turc.
Les brigands demandent, dit-on, une rançon de
20,000 livres turques. Madrid, 9 juin, 9 h. 10.
Madrid, 9 juin, 9 h. 10.
Le général Seijas, chargé de l'instruction de l'af-
faire Campos-Borrero, a entendu hier les témoins
des deux adversaires et les directeurs des journaux
qui ont publié le procès-verbal de la rencontre.
Le maréchal Campos et le général Borrero gar-
dent toujours les arrêts. Les manifestations répu-
blicaines en faveur de ce dernier continuent.
Les anciens ministres libéraux siégeant au Sénat
ayant voulu faire une nouvelle tentative hier,
pour provoquer un débat sur cette question, le gou-
vernement, de concert avec les présidents des deux
Chambres, a décidé qu'aucune discussion ne sera
tolérée avant la fin de la vérification des pouvoirs.
Madrid, 9 juin, 11 h. 15.
Le conseil supérieur de la guerre est d'avis qu'il
ne peut intervenir dans la question des arrêts infli-
gés aux généraux par le ministre de la guerre en
vertu des pouvoirs que la Constitution lui confère.
Quand l'instruction sera terminée, le conseil deman-
dera une nouvelle autorisation au Sénat pour pour-
suivre les délits relevés contre Campos et Borrero.
Le Sénat et la Chambre termineront la vérification
des pouvoirs jeudi et procéderont immédiatement à
l'élection des bureaux et des commissions. La dis-
cussion de l'adresse ne sera interrompue que pour la
lecture des projets du ministre des finances.
Le ministre lui-même, hier, a démenti les bruits
d'emprunt et d'opérations avec la maison Roth-
schild. La politique financière du cabinet consiste
dans l'ajournement des solutions définitives et dans
l'adoption d'expédients financiers pour créer les
voies et moyens de continuer la lutte'et de faire
face aux besoins du Trésor espagnol jusqu'à la pa-
cification de Cuba.
Londres, 9 juin, 11 h. 45.
Billington, le bourreau de Londres, assisté de deux
aides, a procédé, ce matin, dans la prison de New-
gate, à une triple exécution.
Les suppliciés étaient Seaman, condamné pour
avoir assassiné, à Whitecbapel, M. John Lévy et sa
domestique, Sarah Gale; Fowler et Milson, les as-
sassins de M. Henry Smith, à Muswell lodge.
Tous trois ont été pendus à 8 h. 55.
Cherbourg, 9 iuin.'
Les expériences de tir sur la coque du La Galis-
sonnière qui devaient avoir lieu hier ont été remi-
ses, pour une cause que nous ignorons, à ce matin;
environ 50 curieux qui s'intéressaient à ce tir étaient
placés sous la batterie de Sainte-Anne, à Equeurdre-
ville. De cet endroit on apercevait très bien le côté
tribord du La Galissonnière, mouillé à environ une
demie encablure de Chavagnac.
Ce matin le tir a ou lieu à neuf heures, un coup de
canon seulement a été tiré et le projectile a frappé
et éclaté sur la coque du navire, à tribord avant, à
l'endroit précis où elle avait été renforcée, un trou
assez visible fait présumer que le projectile a péné-
tré dans le bâtiment. Les expériences doivent conti-
nuer cet après-midi. ̃
,“<>,
POUR OU CONTRE LE SOCIALISME -`
L'importance du débat qui a eu lieu hier à la
Chambre n'est pas seulement dans la claire et
ferme majorité qui s'est groupée à la fin autour
du ministère, mais encore et surtout dans la
manière dont s'est posée la question politique
et dans l'attitude résolue qu'a osé prendre et
garder le gouvernement. Le vote décisif que ce
dernier a obtenu est le résultat de la lumière
qu'il a su faire.
Nous pensons qu'après cette séance, on va
voir disparaître l'affirmation des radicaux que
le cabinet Méline gouverne avec la droite et au
profit du cléricalisme. M. Méline, avec son passé
bien que je n'ai jamais eu d'autre souci que vo-
tre bonheur; c'est pour vous assurer la richesse
que je vous ai laissée épouser ce Français c'est
pour vivre ensuite auprès de vous que j'ai con-
senti à devenir son subalterne; c'est pour ne
pas vous abandonner après son départ, que
j'ai refusé les postes les plus brillants et les
plus avantageux dans le Colorado.
Il oubliait de dire que, dans ces diverses cir-
constances, il avait su tirer profit de la situation
modeste ou brillante de la jeune femme, qu'elle
fut gouvernante de mistress Phipps, femme de
Salantin, ou qu'elle vécut à Chicago sur les cent
mille dollars que lui avait laisses son mari.
Certainement, je vous épouserai, conti-
nua-t-il. Mais gardons-nous de tomber dans le
sentimentalisme larmoyant. Avant les épou-
sailles, les affaires!
Elle laissa échapper un soupir.
Soit, dit-elle. Mais que comptez-vous faire
pour retrouver cette fortune ?
L'ingénieur la regarda d'un air gouailleur.
-Salantin avait bien quelques vices? dit-il.
A bien dire, je ne lui en connaissais aucun.
Allons donc Tout homme en a. Et pour
sa part, il en avait un tout au moins. Il l'a bien
prouvé en vous épousant. Il aimait les femmes
et se laissait enjôler par elles. Eh bien, il faut
chercher la femme. Elle existe quelque part.
J'ai sous la main de braves gens qui sauront
bien la découvrir.
Mais quand vous saurez où est la fortune
d'Antoine, il faudra toujours bien avoir recours
à la justice pour la lui faire rendre.
-Peut-être, non. Il y a plus d'un moyen
d'obtenir satisfaction. Dans tous les cas, il sera
temps alors d'en venir aux procédés légaux.
Quand Morris Bell l'eut quittée, sous prétexte
de se mettre tout de suite en campagne, Mme
Salantin descendit s'asseoir mélancoliquement
dans la cour de l'hôtel, songeant un peu sé-
rieusement, pourla première fois depuis qu'elle
avait appris la mort de son mari, à la situation
que lui faisait cet événement.
Elle était venue pour chercher un secours, et
elle allait se trouver, comme tutrice de son en-
fant, l'administratrice de nombreux millions.
Quel revirement du sort! Car elle ne doutait
pas que, d'une façon ou d'une autre, par l'a-
dresse de Morris Bell ou avec le concours des
magistrats, son petit Antoine ne réussît bientôt
à faire valoir « ses droits » et à rentrer dans
« ses biens ». Cette linotte méridionale disait
de vieux républicain, avait quelque raison de
direhierqu'il ne pouvait prendre au sérieux
ceux qui lui demandaient s'il était clérical. Il
y a là une sorte de plaisanterie à laquelle
ceux qui la font ne croient pas plus en réa-
lité- que celui qui en est l'objet. Mais, en
tout cas, le charme est rompu la vieille incan-
tation est éventée, et l'on ne pourra plus même
la recommencer en présence des chiffres du
scrutin. On dit que rien n'est brutal comme un
chiffre voici ceux qui sont sortis hier de l'urne
parlementaire: pour le ministère, 303 voix; con-
tre, 219; majorité de 84 voix. Or, les 303 voix
se décomposent de la manière suivante répu-
blicains, conservateurs et progressistes, 251;
droite, 52. Ce qui fait qu'en défalquant les voix
de droite, une majorité, purement républicaine,
reste encore de 32 voix. Or, cette façon de
compter est même trop partiale en faveur de
l'opposition, car celle-ci compte 50 socialistes
qui doivent être écartés comme n'étant pas
moins un parti anticonstitutionnel et antirépu-
blicain que les partis de droite pure. L'opposi-
tion républicaine se réduit donc à 169 voix, ce
qui laisse toujours la majorité du gouverne-
ment à 82 voix. Quant au vote de la droite, il
s'explique le plus naturellement du monde. M.
Lanjuinais en a donné la vraie raison « Nous
ne votons pas pour le gouvernement, nous vo-
tons contre le socialisme ».
Et telle est, en effet, la façon dont s'est posée
la question à la Chambre à la suite de l'inter-
pellation de M. Jaurès et surtout du discours
par lequel il l'a motivée. « Messieurs, s'est-il
écrié dans un passage qu'il voulait faire triom-
phant, la concentration est finie, parce qu'avec
la force qu'a prise le socialisme il faut être avec
lui, ou contre lui. » C'est ce qu'avait dit M. Mil-
lerand avec plus de précision encore dans son
récent discours « Il n'y a de vrais socialistes
que les collectivistes ». C'est donc le collecti-
vismelui-mêmequi, seposantcomme un dogme
absolu, groupe nécessairement contre lui tous
les hommes qui y voient le plus grand danger
qui menace à l'heure présente la France et la
République. Du moment que la question pre-
nait cette tournure, il ne faut plus s'étonner de
l'ampleur et de la solennité qu'a prise la discus-
sion. Le mouvement préfectoral dont était parti
M. Jaurès n'était plus qu'un incident qu'un
discours spirituel et plein d'à-propos de M.
André Reille avait dès le début réduit à
sa juste valeur. L'occasion de l'interpellation
disparaissait en quelque sorte devant lefaitplus
général du socialisme révolutionnaire, essayant
de s'imposer à la Chambre et d'intimider le
gouvernement. M. Barthou l'a bien compris et,
dans un discours d'une haute doctrine politique
autant que d'un grand souffle oratoire, il a re-
poussé avec un plein succès l'assaut des socia-
listes soutenus, non sans hésitation et sans em-
barras, par les radicaux. Le ministre de l'inté-
rieur a relevé le gant que lui avait jeté M. Jau-
rès et, après avoir revendiqué tout d'abord,
sous la réserve constitutionnelle de sa respon-
sabilité devant la Chambre, une indépendance
pleine et entière dans le choix de ses agents, il
a pris nettement position contre le socialisme
révolutionnaire. Cette réplique finale a été un
véritable triomphe.
Les radicaux l'ont bien senti; ils n'ont pas
voulu livrer bataille sur le terrain où maladroi-
tement M. Jaurès avait engagé le combat. Ils
ont essayé de faire dévier le débat en le portant
sur un autre terrain, en y agitant à nouveau le
spectre usé du cléricalisme et l'accusation deve-
nue non moins banale de gouverner avec la
droite. M. MéUne qui leur a fait tète n'a été ni
moins ferme ni moins heureux que M. Barthou.
Rien n'a pu le faire sortir de la ligne politique
derrière laquelle il s'estdélibérément retranché.
Tout autre aurait pu être tenté d'user de tacti-
que, de louvoyer et de reculer devant ces fantô-
mes qu'une sorte de respect humain a pendant
longtemps rendus si redoutables. Tranquille-
ment, en républicain sûr de lui-même, M. Mé-
line a marché sur eux et les fantômes se sont
évanouis. Loin de se rendre le succès facile, le
président du conseil a dans ces deux dernières
séances « joué la difficulté », samedi dernier,
en acceptant l'ordre du jour pur et simple sur
la question cléricale, hier en repoussant l'ordre
du jour de M. Isambert. Le ministère a raison
de ne négocier avec aucun parti pour se créer
des majorités d'occasion toujours prêtes à se
dissoudre. La méthode de M. Méline vaut
mieux planter son drapeau au milieu de la
Chambre, avoir des idées politiques nettes, un
programme de lois et de réformes pratiques
inspiré de l'esprit républicain et d'un juste
sentiment des intérêts du pays, puis ap-
peler à soi, sans exception de personnes,
sans 'vaines discussions d'étiquettes men-
teuses; tous les hommes de bonne volonté
qui adoptent ce programme de gouvernement
et sont résolus à le faire aboutir. Après tout, les
vrais républicains ne sont pas ceux qui s'occu-
pent a colorier leurs enseignes pâlies, mais ceux
qui font une vraie politique républicaine. Le
pays saura distinguer entre la paille des mots
et le bon grain des actes. Les anciennes déno-
minations ne lui disent plus rien parce qu'à ces
dénominations vaines ne correspondent plus
rien que des questions de rivalités de personnes
ou de coteries. De nouvelles questions surgis-
sent à l'horizon qui déjà amènent peu à peu un
nouveau classement des partis. Des séances
comme celles d'hier contribuent grandement à
cette évolution nécessaire.
« ses droits » et « ses biens », comme si la légi-
timité de son fils était indiscutable. L'ombre
que sa conversation avec l'ingénieur avait un
instant répandue sur son visage ne tarda pas
à se dissiper les idées gaies revinrent rapide-
ment, les plus magnifiques projets d'avenir les
suivirent, et le désir de briller et de plaire, qui
était dans l'essence même de cette femme, la
reprit de nouveau. C'est un désir qu'il est assez
aisé de satisfaire sur la terrasse du Grand-Hôtel.
C'est ce jour-là qu'elle fit la connaissance
d'Henry Le Loutre, qui devint d'autant plus vite
son confident que M. Morris Bell, fort occupé
sans doute dans le monde spécial dont il parais-
sait faire si grand cas, la laissait seule la plu-
part du temps.
Elle se garda bien de dire à Le Loutre, avec
lequel elle flirtait naturellement et sans but,
que Morris Bell était pour elle autre chose
qu'un intendant elle ne raconta pas davantage
à ce dernier qu'elle avait, par vanité, mis le
jeune Nancéen au courant de son étrange si-
tuation. Cette femme, comme beaucoup 'de
femmes, aimait le papotage et l'intrigue. •:
VI .̃
Albert Hainequin avait peu et mal dormi. ̃:
Au lieu de rentrer chez lui, après avoir quitté
Le Loutre, il s'était promené une partie de la
nuit. Mais, si la déambulation est singulière-,
ment favorable à nos facultés d'imagination,
elle ne facilite guère le calcul.
Aussi, quand il remonta son escalier de la rue
des Saints-Pères, Albert avait-il éloquemment
façonné les paroles pathétiques et convaincan-
tes qu'il adresserait, dès le lendemain, à Mlle
d'Armaucourt pour la décider à se dépouiller
de ses millions et à Mme Salantin pour la con-
vaincre que la jeune fille était étrangère à cette
sorte de captation. Il en faisait remonter toute
la responsabilité à l'affection, de plus en plus
inexplicable, de M. Salantin et à l'aveugle dé-
vouement du vieux François.
Les allégations de l'Américaine étaient trop
conformes à ses intérêts amoureux, pour qu'il
en doutât. Debarrassée des dollars de Salantin,
Berthe lui apparaissait comme une héritière de
cinq à six cent mille francs que pouvait fort
bien épouser sans scrupule un avocat d'avenir,
ayant déjà une clientèle et possédant, en outre,
un fort joli petit patrimoine.
Le repos, la solitude et l'obscurité l'aidèrent
à raisonner davantage. 11 en arriva à se de-
A L'HOTEL DE VILLE
La séance du Conseil municipal de Paris nous of-
frait hier deux primeurs c'étaient le discours d'ins-
taîfation du nouveau président et la première ren-
contre du nouveau préfet de là Seine avec l'assem-
blée communale. Le président du Conseil municipal,
M. Pierre Baudin, a prononcé un discours très éten-
du, dans lequel il a essayé d'établir un programme
de travaux édilitaires et de donner la formule des
droits et des devoirs politiques de la municipalité
parisienne. Ce n'est pas le moment de discuter en
détail les déclarations administratives de M. Pierre
Baudin. Les programmes, surtout les longs pro-
grammes, ne sont que des mots qui s'envolent. Nous
verrons le Conseil municipal à l'œuvre, et nous le
jugerons à ses actes. Tout ce qu'on peut dire, c'est
que M. Pierre Baudin a, pour l'embellissement de
Paris et pour son rayonnement dans la France et
dans le monde, les ambitions les plus nobles et les
plus louables. Tous les Parisiens, d'ailleurs, et tous
les Français sont d'accord sur ce point.
Quant à la partie politique du discours de M.
Pierre Baudin, c'est bien le langage d'un ancien
« autonomiste » ou d'un ancien « radical socialiste »
que le nouveau classement des partis, imposé par
M. Millerand, n'a pas laissé d'embarrasser quelque
peu. M. Pierre Baudin a racheté le vague de ses dé-
clarations politiques par un luxe extraordinaire de
périphrases sonores ou de mots à effet. Quand il
proteste contre les prétentions de l'Etat, dans ses
conflits administratifs avec la ville de Paris, M.
Pierre Baudin use de termes d'une violence froide
et calculée « L'Etat nous rançonne sous mille pré-
textes, nous contraint à subir sa féroce poursuite de
l'uniformité. » A quoi bon ce réquisitoire? Que
prouve cette façon de parler? A quels résultats pra-
tiques ce langage de rancune peut-il conduire?
L'entente cordiale, les négociations bienveillantes
et la courtoisie dans la défense légitime des droits
respectifs .des deux partis en cause n'auraient-elles
,p3£ des résultats plus efficaces pour le bien de Pa-
ris?" Il est vrai que, pour les partis avancés, l'es-
sentiel n'est pas d'agir, mais de parler pour faire
croire qu'on agit.
M. Pierre Baudin a éludé ou cru éluder, dans ses
déclarations politiques, la question capitale que M.
Millerand a posée à tous les pseudo-socialistes. M.
Pierre Baudin s'est félicité, d'abord, du résultat des,
élections municipales de Paris, et du succès des
« républicains socialistes de toutes les écoles ». Il
résulte de ceci que le nouveau président du conseil
municipal est très heureux de voir les collectivistes
révolutionnaires à l'Hôtel de Ville, car les collecti-
vistes-révolutionnaires constituent la principale
« école » socialiste, sinon la seule. Mais M. Pierre
Baudin n'a pas prononcé les noms véritables de ces
amis compromettants, et il est visible qu'il se con-
tente, pour son compte, de l'épithète « républicain
socialiste ». Cela désigne une catégorie qui n'exis-
tait pas encore. Ou, plutôt, les « radicaux-socialis-,
tes », condamnés à l'impuissance, dominés par les
révolutionnaires et relégués par eux au second plan,
ont décidé de faire peau neuve et de se donner une
appellation qui n'éveille pas, dans l'opinion, des
idées de décadence irrémédiable.
Les « radicaux-socialistes » sont morts, ou réduits
en servage par les collectivistes. Vivent donc les
« républicains-socialistes » M. Pierre Baudin est
trop intelligent pour s'imaginer que cette tisane ren-
dra la vie à un parti qui s'effondre parce qu'il s'est
abandonné lui-même. M. Pierre Baudin n'a qu'à son-
ger que, dans cet Hôtel de Ville où les « radicaux-
socialistes » sont revenus en même nombre qu'hier,
il est, lui, selon toutes probabilités, le dernier pré-
sident non-révolutionnaire. L'an prochain, le groupe
socialiste pur réclamera ses droits, et il saura les
imposer, non parce quii est le nomurt;, mais parce
qu'il est l'audace et la virilité en face de l'abdication
et de l'anémie du radicalisme.
En terminant son discours, M. Pierre Baudin a
fait avec beaucoup de tact et de sympathie l'éloge
de M. Poubelle qu'il a remercié, au nom du conseil,
pour ses douze années de services à la préfecture
de la Seine. Le président a souhaité ensuite la bien-
venue à M. de Selves, et le nouveau préfet, très bien
accueilli par les paroles de M. Pierre Baudin et par
les manifestations de l'assemblée, a pris la parole à
son tour. La courte allocution de M. de Selves est
tout administrative et elle est animée d'un excellent
esprit. La méthode, la clarté de la conception, la
netteté du jugement se révèlent dans ces paroles
dites avec beaucoup de simplicité. Le passé de M. de
Selves nous garantissait qu'il se rendrait compte,
dès le premier jour, de la grandeur et de la com-
plexité de sa tâche; nous ne pouvons plus douter
maintenant, après l'avoir entendu.
M. de Selves verra bientôt d'où lui viendront les
difficultés principales quand il voudra mener à bien
sa tâche multiple. Les exigences et les prétentions
du Conseil municipal en matière politique causeront
au nouveau préfet, comme à tous ses prédécesseurs,
plus d'un ennui. Que parlons-nous de l'avenir?
Déjà, dans la séance d'hier, M. de Selves a vu le
Conseil municipal à l'œuvre. Un conseiller socialiste
a proposé de voter 10,000 francs pour des ouvriers
de Limoges en chômage et cette proposition a été,
naturellement, adoptée. Il n'y a presque pas eu de
débat. On. a trouvé tout simple que l'argent des Pa-
risiens fût dépensé pour entretenir à Limoges l'agi-
tation et le désordre. Personne, paraît-il, n'était au
courant. M. de Selves a dit qu'il ne savait pas de
quoi il s'agissait, qu'il promettait d'examiner, etc.
Le Conseil ne s'est pas arrêté à cette esquisse d'op-
position, et il a voté les 10,000 francs.
Or, on ne peut pas dire qu'il y ait effectivement la
grève à Limoges. Les ouvriers porcelainiers sont
depuis quelques jours en désaccord avec les patrons
mander si cette femme était bien sérieuse, si sa
réclamation était fondée, si le Salantin dont
elle réclamait l'héritage était bien celui qu'il
avait connu. Pour être moins commun que les
noms de Durand et de Dubois, celui de Salan-
tin n'a rien d'exclusif. Si gênants que fussent
pour lui les millions de Berthe, elle n'avait pas
le droit de s'en dessaisir à la première requête.
Il avait eu des préventions contre M. Georges,
mais il était obligé de reconnaître que cet ami
de la famille d'Armaucourt était un homme trop
correct pour planter là une femme et un enfant
et les frustrer du bien qui pouvait leur appar-
tenir.
Bien que court et agité, le sommeil acheva de
mettre de l'ordre dans ses idées.
Le lendemain, il était presque persuadé qu'il
avait fait fausse route dans ses suppositions.
Henry Le Loutre arriva exactement à qua-
tre heures et demie.
J'hésite presque à faire cette visite, dit
Albert en le voyant. C'est une démarche qui
n'est guère admise par les règles de notre ordre.
J'ai l'air de courir après.les affaires.
C'est un service que tu me rends et non
une cause que tu cherches. Je te présente à une
personne de mes amies; elle te raconte ses mal-
heurs. Il n'est nullement certain que tu accep-
tes de t'occuper de ses intérêts.
Oh sûrement. D'autant plus que ces his-
toires d'outre-mer sont généralement sujettes à
caution.
Ah mon ami, si tu connaissais la femme
qui les raconte, tu ne douterais pas un instant
de sa sincérité.
Hainequin n'était pas aussi sensible aux for-
mes extérieures et aux déclamations bruyantes
que son camarade. De plus, sa profession, qui
dispose au scepticisme, le mettait en garde
contre l'optimisme des revendicateurs. La pre-
mière impression que lui fit Mme Salantin fut
détestable.
Mais quand la veuve eut tiré de sa poche les
fameux actes qu'elle avait communiqués au
commissaire de police, Albert fut obligé de s'a-
vouer que cette femme, en dépit de son mau-
vais genre, pourrait bien être la très légitime
épouse da ce M. Salantin, qu'il avait connu si
correct et si réservé. L'acte dp mariage ne lais-
sait pour ainsi dire aucun doute.
Un seul point lui semblait obscur. Il avait
toujours entendu dire, par son père, que M.
Georges était son compatriote. Et l'acte de nais-
et le travail est suspendu. Mais la grève, votée en
principe, ne sera formellement déclarée que jeudi,
si les patrons n'ont pas accordé, cédé, à certaines
réclamations. Donc, il n'y avait aucune urgence à
voter ces 10,000 francs, même à titre de secours,
puisque le conflit n'est pas encore' déclaré. Cette
subvention est un encouragement, une excitation
véritable à la grève. Les meneurs de Limoges ne
manqueront pas de tirer argument du précieux con-
cours du Conseil municipal de Paris, et les chances
de conciliation diminuent désormais. Si la grève
éclate décidément à Limoges, on pourra dire que le
Conseil municipal de Paris l'aura voulue, même en
quelque mesure provoquée.
Il était donc nécessaire de repousser nettement la
demande de subvention et rien n'était plus simple,
car il est inadmissible que le budget de Paris ali-
mente les conflits sociaux; il est plus inadmissible
encore qu'il les favorise en province, surtout lorsque,
comme à Limoges, ils n'ont pas encore définitive-
ment éclaté. Comment douter, d'autre part, de la
résolution d'un gouvernement qui s'est nettement
mis en travers, dès le premier jour, de la propa-
gande socialiste et qui, au moment même où le Con-
seil municipal délibérait, le condamnait solennelle-
ment à la Chambre aux applaudissements de la ma-
jorité républicaine.
•' < .̃̃; •'
AFFAIRES COLONIALES
Dahomey '̃̃•̃̃
L'agence Havas publie la dépêche suivante, de
source anglaise, qu'elle ne donne d'ailleurs que
sous toutes réserves
Brass, 8 juin.
Les nouvelles reçues ici, aujourd'hui, annoncent que
les débris de l'expédition française qui a été mise en
déroute dans le Borgou seraient partis de Kiama
pour Lagos et Kisi le 12 mai.
Les survivants comprennent le capitaine Toutée,
deux autres Européens, soixante soldats indigènes et
cent vingt porteurs.
Cette réserve se comprend quand on saura que le
capitaine Toutée, que l'on représente comme battu
au Borgou, est tout simplement à Paris.
C'est dire comment est renseignée l'opinion pu-
blique en Angleterre Au fond, tout cela est destiné
à justifier une occupation éventuelle par la Compa-
gnie du Niger des territoires dont les deux gouver-
nements de Paris et de Londres se contestaient la
propriété.
Nous voilà prévenus.
Ajoutons qu'à la dernière heure la même agence
Havas nous communique la note suivante
On ne sait rien, au ministère des colonies, sur les
faits signalés dans une dépêche anglaise de Brass au
sujet d'une expédition française dans le Borgou.
Il s'agit probablement de faits se rapportant à l'af-
faire Forget.
Le capitaine Toutée, dont il est question dans cette
dépêche, est à Paris et a été promu commandant ces
jours derniers.
•• .̃•̃lïh.l Tonkin 'r
La commission extraparlementaire chargée de
l'examen des contrats et engagements du protecto-
rat du Tonkin s'est réunie hier matin au ministère
des colonies, sous la présidence de M. Boulanger,
sénateur, premier président de la Cour des comptes,
assisté de M. Lesage, inspecteur des finances.
Elle a entendu la déposition de M. Lion, ingénieur,
ancien directeur des travaux au Tonkin, sur l'affaire
du chemin de fer de Lang-Son, et celle de M. Pri-
gont, inspecteur général des services administratifs
de la marine, ancien directeur du contrôle en Indo-
Chine, sur le fonctionnement de ce contrôle dans le
protectorat de l'Annam et du Tonkin.
Elle a également entendu le rapport de M. Jolly
sur l'emprunt aux banques et en a approuvé les con-
clusions.
a^
L'ATTENTAT DE BARCELONE
(Dépêches de nos correspondants particuliers)
Madrid, 9 juin, 9 h. 15.
La Chambre a adopté hier à l'unanimité une mo-
tion d'indignation contre les auteurs du criminel
attentat de Barcelone et une motion de sympathie
pour les victimes.
Le décret établissant l'état de siège à Barcelone a
été signé par la reine régente.
Barcelone, 9 juin, h. 45.
C'est la justice militaire qui procédera contre les
anarchistes, parce que parmi les blessés se trouvent
plusieurs soldats qui étaient de service en escor-
tant la procession. Le gouvernement a télégraphié
aux autorités de Barcelone d'autoriser la sortie des
processions, cette semaine, en les entourant de
toutes les précautions possibles.
Dès que l'état de siège a été proclamé, les autori-
tés civiles ont remis aux parquets militaires trente-
huit anarchistes, dont trois étrangers, arrêtés par
la police.
Déjà, jeudi dernier, on avait trouvé des bombes
dans le voisinage de la cathédrale. Avant l'attentat
de dimanche, sur la promenade de Colon, trois in-
dividus d'aspect suspect firent à haute voix des re-
marques sur les jésuites et les curés et dirent qu'ils
passeraient sous peu un mauvais quart d'heure. Le
propos attira l'attention de personnes qui affirment
pouvoir reconnaître ces hommes. On a saisi des ar-
mes et des brochures anarchistes chez la plupart des
détenus, et des cartouches de dynamite dans une
boutique où deux anarchistes ont été arrêtés.
L'autorité militaire a écroué tous les détenus à la
citadelle de Monjuich.
D'après les dernières dépêches officielles, l'atten-
tat a causé 7 morts, 28 blessés, dont 9 enfants et
6 femmes; 4 blessés, dont 2 enfants, ont succombé
hier. Les obsèques des victimes auront lieu aujour-
d'hui aux frais de la municipalité.
La police française avait prévenu le gouverne-
ment espagnol que les anarchistes se remuaient et
avait fourni d'utiles indications.
sance du mari de Mme Salantin le faisait naître
à la Nouvelle-Orléans 1. Mais il est probable
que l'ancien notaire, en traitant M. Salantin de
compatriote, voulait simplement rappeler que
les parents de ce dernier étaient d'origine lor-
raine.
Bien que sa conviction fût devenue entière, il
eut la force et la discrétion de ne point laisser
entrevoir à Mme Salantin ni à Le Loutre qu'il
avait entre les mains le moyen de résoudre le
problème qui venait de lui être posé. Ce n'était
point à lui qu'il appartenait d'apporter la solu-
tion. Ne fallait-il pas, avant tout, préparer
Berthe à ce changement de situation?
Certes, il n'admettait pas que la jeune fille
hésitât un instant. Il l'avait en trop haute estime
pour penser qu'elle pût vouloir conserver une
fortune qui ne lui appartenait pas. Mais on ne
passe pas de l'opulence à l'aisance, si dorée
qu'elle soit, sans un grain d'amertume. Et puis,
comment lui expliquer maintenant la libéralité
dont elle avait été l'objet? On l'avait accoutu-
mée à trouver tout naturel qu'un vieil ami de
sa famille, célibataire, sans enfants, sans pa-
rents même, lui eût fait l'abandon de biens dont
sa simplicité n'avait que faire, mais quelle rai-
son donner à la conduite de cet homme qui,
pour l'enrichir, ruine sa femme et son fils?.
Quelle raison?. surtout quelle bonne rai-
son ?.
Lui-même, il la cherchait Il la chercha en
vain, après avoir quitté Mme Salantin, en sui-
vant la route 4e Nogent. Car, en brave qu'il
était, il allait tout de suite à la bataille. Il
était du reste attendu pour dîner à la villa.
11 arriva juste pour se mettre à table. Il futpen-
dant tout le repas très libre d'esprit et eut pour
Mlle d'Armaucourt des attentions exquise?,
comme on en a pour une personne aimée que
l'on sait vouée à un prochain malheur. Fran-
çois, tout en servant magistralement, ne per-
dait rien de cette attitude cordiale, et, s'il n'a-
vait tenu son plat et sa serviette, il s'en serait
frotté les mains.
Il va sans dire qu'Albert n'entama pas la
question. Tout ce qu'il se permit fut une excur-
sion dans le domaine des hypothèses. Il mit ha-
bilement la conversation sur les retours que
peuvent avoir à craindre, en ce bas monde, les
plus grandes prospérités. Il trouva Berthe telle
qu'il l'avait rêvée, prête à accepter allègrement,
le cas échéant, toute diminution de richesses
que pourrait lui imposer ta destinée.
LE COURONNEMENT DU TSAR
L'empereur Nicolas Il et l'impératrice ont quitté
Moscou pour Ondinzov, d'où ils se rendront aft
château d'Ilinskojé.
Un rapport officiel publié dans la Gazelle officielle
de Saint-Pétersbourg fixe le chiffre des morts de la
catastrophe du champ de Khodinsky à 1,360, et la
chiffre des blessés à 644 seulement.
L'enquête commencée sur les causes de ce mal-
heur signale, d'après la Gazelle de Francfort, que la
nombre des « cadeaux de l'empereur (paquets de
provisions) était, par négligence ou malversations,
de beaucoup inférieur au nombre des gens du peu-
ple qui se pressaient à la distribution. Le bruit s'en
est répandu rapidement et a été la première causp
de la poussée mortelle. ,.i
Les Novosti racontent qu'un mystérieux attentat
aurait été dirigé pendant le trajet d'Odessa à Moscou:
contre Zia pacha, représentant le sultan aux fêtes dit
couronnement.
L'envoyé du sultan occupait un wagon spécial con-
sistant en un compartiment-salon et deux autres com-
partiments avec lits. Un gardien avait été attaché à sa
personne par la compagnie du chemin de fer.
A une courte distance d'une des stations entre Kiev
et Voronèje, un individu qui avait réussi à se glisser
dans le wagon pendant une halte ou un ralentissement
du train fit, tout à coup, irruption dans le comparti-
ment où se trouvait Zia pacha, en compagnie de son
secrétaire, et se précipita sur l'ambassadeur. Surpris
par cette soudaine apparition, Zia pacha et son compa-
gnon ne purent maitriser l'agresseur qui aurait ac-
compli son criminel dessein si le gardien, qui se trou-
vait dans le compartiment voisin, n'était accouru au
bruit et n'avait aidé à arrêter le forcené.
Il paraîtrait que cet individu avait obtenu d'un em-
ployé de la ligne une clef pour ouvrir le wagon de
l'envoyé du sultan. Une enquête, est ouverte sur cet
incident, qui donne lieu à de nombreux commen-
taires.
LE S FÊTES DE MOSCOU
̃̃'̃̃ {De notre envoyé spécial) > ̃̃'
Moscou, 23 mai/4 juin.
Qui le nierait? nous avions besoin d'une journét
de calme, de paix sereine, de détente. Depuis l'af-
freux malheur, le souvenir obsédant des scènes dff
la Khodinka et du cimetière nous poursuivait; et,
comme par gageure, le programme des fêtes nous
ramenait régulièrement sur ces lieux. Le concours
hippique, les fêtes des régiments de la garde à la
Khodinka, le tir aux pigeons, vers le cimetière, à
deux cents mètres du charnier on voyait de là la
foule tordue de douleur, on entendait ses plaintes,
ses cris, les prières émues et rapides, et le grand-
duc Vladimir Alexandrovitch put abattre un vau-
tour, qu'attiraient les miasmes pestilentiels. Et le
soir, les bals chez le grand-duc Serge, gouverneur
général de Moscou, à l'Assemblée de la noblesse.
L'empereur et l'impératrice ont dû bénir la jour-
née d'hier, qui, après visites faites aux blessés et
pénibles corvées mondaines, les ramenait dans une
atmosphère de douceur et de paix monastique.
Serguiero, où se trouve le monastère de Saint-
Serge, est à trois heures de chemin de fer de Môs-
cou. C'est une ville pittoresque, par elle-même jolie
et qu'enjolive encore ce beau printemps, aux ar-
deurs estivales.
A peine a-t-on quitté la gare, que l'œil découvre
la sainte citadelle, le Kremlin religieux, aux tours
solides, aux dômes d'or, aux longues murailles rou-
ges, et, à droite, sur une longue étendue, un décor
marveilleux, une de ces vues à vol d'oiseau qu'ai-
maient tant les artistes d'autrefois. Une route, cou-
verte de pèlerins, de paysans, de chariots, grimpant
vers la ville ou s'arrétant devant des izbas basses,
aux tables chargées de vivres, fait une courbe gra-
cieuse, au milieu d'accidents de terrains qui, par en-
droito, ont n6ooooit6 do frustes travaux d'art ponts
de bois jetés sur des ravins, escaliers raides,
poutres fichées en terre, en garde-fous. Ce ruban da
route se noue à la grand'place, couverte d'échoppes
alignées. Sur les pavés, la. foule est massée, tandis
qu'auprès, fort tranquilles, des nuées de pigeons, de
corneilles et de corbeaux becquetant le sol. De cette
place, une autre route descend la colline. Celle-ci,
bordée de chapelles, avec des groupes agenouillés,
priant avec ferveur, ou des pèlerins fatigués, allon-
gés sur les talus. On découvre ainsi des milliers
d'individus, dont les silhouettes se détachent nette-
ment sur la pente du terrain, et si nettement qu'on
peut s'amuser aux détails, considérer les individus,
suivre une à une, comme en un livre, les péripéties
de cette scène populaire. On songe involontairement
à la foire de Callot.
Et le premier plan A côté de vous; un superbe
massif d'arbres énormes, aux frondaisons noircies
des nids des corbeaux qui croassent. Au pied, assis
sur la colline qui dévale en pente raide, des pèlerins
sont assis dans des poses abandonnées et lasses.
Deux vieillards, de haute stature, seuls debout sur
la route, dominent la scène, qu'ils examinent avec
curiosité, le bras étendu vers le Kremlin, but de
leur pèlerinage.
Cependant, dans le bas, un mouvement s'est pro-
duit. Des soldats, baïonnette au canon, font évacuer
la partie du sol qui se hérisse en buissons, et re-
pousse la foule vers les routes. Sur celle de gauche,
qui descend de la place en longeant le Kremlin,
l'okhrana se range, faisant haies, tandis que des
ouvriers s'empressent, arrosent le pavé, jettent da
sable, tendent des cordes.
Dans le cloître affluent les curieux triés sur le vo-
let, fonctionnaires, militaires, prêtres et peuple de
l'okhrana, que les agents de police postent sur le
parcours que doit suivre le cortège, aux abords des
cathédrales et dans les jardins. Toutefois, on cir-
cule librement. Des chants s'épandent par les portes
grandes ouvertes de la cathédrale de l'Assomption,
Que voulez-vous, dit-elle en souriant, que
me fasse la pauvreté? Je n'ai point assez d'amis
pour craindre qu'elle les éloigne, et ceux que
j'ai ne sont point gens à s'en effrayer.
Et en prononçant ces mots, elle tendait la
main au jeune homme et jetait un regard affec-
tueux à son vieux serviteur.
Le fidèle François ne comprenait guère l'uti-
lité de ces suppositions, mais elles avaient
achevé de mettre dans la conversation une inti-
mité confiante qui le ravissait.
Ça y est se disait-il en lui-même. Il y
viendra et elle aussi 1
Son espérance ne connut plus de bornes
quand, dans la soirée, Albert Hainequin, lais-
sant un instant la jeune fille seule sur la ter-
rasse, vint lui dire rapidement et à voix basse
Tu me reconduiras jusqu'à la station. J'ai
à te parler.
Le bonhomme, qui se considérait comme un
membre de la famille d'Armaucourt, se figurait
déjà que le jeune homme allait lui demander la
main de la noble héritière.
Quand, vers dix heures, l'avocat traversa
le jardin pour gagner la route, il trouva à la
grille François Colin qui l'attendait et se mit à
marcher à ses côtés.
Qu'y a-t-il de nouveau, monsieur Albert?
demanda le vieillard. Vous aviez l'air bien gai,
ce soir?
Il disait maintenant cc monsieur Albert avec
le même ton de déférente sympathie qu'il pre-
nait autrefois pour dire « monsieur Georges. »
J'ai essayé de faire bonne contenance, ré-
pliqua Hainequin.
-Qu'avez-vous donc? interrogea le domes-
tique devenu inquiet.
Albert s'était arrêté; il resta un moment silen-
cieux, puis d'un ton bref
Savais-tu que M. Salantin fût marié? fit-il.
Il faisait nuit noire; Hainequin ne put, grâce
à cette circonstance, voir l'affreuse contraction
qui se produisit sur le visage du vieillard.
Marié M. Georges?. Qui vous a dit
cela? balbutia François.
Mais. Mme Georges Salantin elle-même.
Mme Salantin est à Paris 1 s'écria le vieil-
lard d'une voix altérée par l'épouvante.
Tu la connais donc? demanda Albert
étonné.
Paul Lenglé.
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