Titre : Le Temps
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-04-03
Contributeur : Nefftzer, Auguste (1820-1876). Fondateur de la publication. Directeur de publication
Contributeur : Hébrard, Adrien (1833-1914). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 03 avril 1894 03 avril 1894
Description : 1894/04/03 (Numéro 11999). 1894/04/03 (Numéro 11999).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
un s'anonne aux Bureaux du Journal, 5, BOULEVARD DES ITALIENS, A PARIS. et dans tous les Bureaux de reste
MARDJ 3 AVRIL 1894
TRENTE-QUATRIEME ANNEE. N° 11909
PRIX DE L'ABONN'EMENT
PARIS. Trois mois, 14.tr.; Six mois, 28 fr.; ïïn an, Bôlft
DÉPi» & ALSACE-LORRAINE 17 fr.; 34 fr.; 68 b,
UNION POSTALE 18 fr.; 3Sfr.; 72 fr.
AUTRES PATS 23 fr.; 46fr.; 92fr,
LES ABONNEMENTS DATENT DES l" ET 16 DE CHAQUE MOIS
Un numéro (départements) 3O centimes
ANNONCES MM. Lagrange, Cerf ET G», 8, place de la Bourse
.le Journal et les Régisseurs déclinent toute responsabilité quant à leur teneur
*WVWV«V«V«MWVAV\flft
Adrtsse télégraphique TEMPS PARIS
PRIX DE L'ABONNEMENT
PAMS.. • Trois mois, 14 fr< Six mois, 2S fr< ïï* S6 fr< •
DÊpt. '&' ALSACE-LORRAINE 17 fr.; 34 fr.; 68 fr. j
UNION POSTALE 18fr.; 36 fr.; T7Zt\\
AUTRES PATS. 23 fr.; 4Sfr.; 92 tu.
LES ABONNEMENTS DATENT DES 1" ET in DE CHAQUE MOtt
Un numéro (à Paris) 1S centimes
Directeur politique Adrien Hébrard ;̃̃
ÏOEfeS les lettres destinées à la Rédaction doivent être adressées au Directeur
ifi Journal ne répond pas des articles non insérét
k » PARIS, 2 AVRIL 'r
BULLETIN DU JOUR
• ANNIVERSAIRES
Hier c'était le prince Bismarck qui célébrait
son soixante-dix-neuvième anniversaire. La
fête a été conforme au programme de ces der-
nières années sauf sur un point. Un adju-
dant de l'empereur a fait son apparition –inévi-
table depuis la récente réconciliation et a
offert au nom de Guillaume II au seigneur de
Friedrichsruhavec les compliments du jour un
petit cadeau, destiné évidemment à entretenir
F amitié si heureusement restaurée.
L'empereur décidément se charge de la garde-
robe militaire de l'ex-chancelier. L'autre jour,
c'était un grand manteau gris de cavalerie
aujourd'hui l'uniforme se complète par une cui-
rasse avec les épaulettes et le ceinturon. On
conte que le vieux prince, empressé comme une
jolie fiiîe qui reçoit sa première toilette de bal,
"aurait revêtu sans plus tarder tout ce belliqueux
harnachement et se serait loué de le trouver à
sa mesure.
A quoi les partisans quand même du régime
de jadis, les laudatores temporis acti répondent
ironiquement qu'il importe bien moins de sa-
voir si la cuirasse faite pour le prince lui va
juste que si l'armure qu'il a léguée à son suc-
cesseur et qui avait été forgée pour la stature
gigantesque du premier chancelier se trouve à
la taille du second chancelier.
Tout cela, du reste, manque au fond d'intérêt
politique. Les admirateurs du prince Bismarck
ont beau faire, ils ont beau multiplier les témoi-
gnages de leur gratitude, ils ne sauraient em-
pêcher que toutes ces manifestations n'aient
quelque chose de posthume. Quoi qu'on fasse et
quoi qu'on dise, le soleil est bien couché et il ne
se lèvera plus. Même ce reste de vie apparente ¡
que donnait au solitaire du Sachsenwald son at-
titude d'opposition à l'égard du chancelier de
Caprivi, de ses pompes et de ses œuvres a été
réduit à néant par la réconciliation forcée que
l'empereur a eu l'esprit et le tact d'imposer à un
sujet récalcitrant.
A cette heure, la figure du prince Bismarck
est purement historique. Ce n'est plus lui qui
mènera les grands combats; ce n'est même plus
autour de. lui que se livreront les chaudes ba-
tailles. En rédigeant en termes élogieux ce que
l'on peut appeler l'épitaphe du grand serviteur
des Hohenzollern, Guillaume II a scellé sur lui
la pierre de sa tombe. Le prince Bismarck est
entré au musée des antiquités germaniques.
Il est curieux de mettre en contraste ce sort
de l'un des plus puissants hommes d'action de
ce siècle et de tous les siècles avec celui du
grand homme d'Etat qui vient, librement, spon-
tanément, de prendre sa retraite en Angle-
terre.
M. Gladstone a six ans de plus que M. de Bis-
marck. Il est, en dépit d'une constitution incom-
parable, en proie à des infirmités pénibles qui
ont contribué, sinon à former, du moins à hâter
ses projets de démission. Il a volontairement
abdiqué le pouvoir alors qu'il était encore à la
tête d'une majorité compacte et docile.
On pourrait croire, dans ces conditions, que
c'est lui qui est réduit à l'impuissance et qui est
devenu « un zéro qui ne multiplie plus » dans
tes combinaisons de la politique anglaise. Eh
bien, il n'en est rien.
Ce patriarche, du fond de la vie privée où il
s'est confiné, est encore l'un des grands ressorts
de la vie publique anglaise. Ses successeurs ont
les yeux fixés sur lui. Le pays attend et com-
mente le moindre mot qui tombe de sa bouche.
C'estlui qui a fixé la direction dans laquelle
se meut la machine gouvernementale. C'est lui
qui veille en dernière instance sur la fidélité de
ses héritiers aux principes qu'il leur a légués.
Chacun sait que, si jamais les circonstances for-
çaient Achille à sortir de sa tente, fût-il encore
plus glacé que Nestor par l'âge, il entraînerait
à sa suite les gros bataillons et déterminerait le
sort du ministère, comme il le fit en 1878-1880.
Ce contraste est saisissant. D'où vient-il, si ce
n'est de la différence entre l'autorité d'un minis-
tre qui ne comprend et n'admet que la préro-
gative royale et l'influence d'un homme d'Etat
qui n'agit que par et pour l'opinion? Le premier,
comme le montre l'exemple de M. de Bismarck,
est à la merci de la reconnaissance ou de l'in-
gratitude d'un maître le second, on le voit
dans le cas de M. Gladstone, s'appuie sur un
roc et ne mesure sa capacité d'agir qu'à la
durée de sa vie.
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES
«CES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps
Rome, 2 avril, 10 h. 15.
Très peu do députés sont arrivés pour la reprise
des travaux parlementaires.
La séance, aujourd'hui, ne donnera lieu à aucun
incident et cette première semaine se passera avec
calme. J'ai interrogé beaucoup de députés sur la si-
tuation et ai constaté qu'en général on est très in-'
certain sur la solution. On no pourra être éclairé
que par les déclarations que fera M. Crispi sur l'or-
dre du jour des travaux parlementaires, c'est-à-dire
sur la question de savoir si la discussion des pleins
pouvoirs doit précéder celle des mesures finan-
cières.
L'opposition, qui est plus forte que le groupe mi-
nistériel, veut que la discussion sur les mesures
FEUILLETON DU SfoïtpS
DU 3 AVRIL 1894 CO)
I I 1 1
MIQUETTE ET MIQUEL
i; III– (Suite)
Oui, il faudra qu'elle se repose, dit lente-
ment le docteur en regardant tour à tour le petit
œil brillant de l'une et le visage décomposé de
l'autre. Mais ce n'est pas vous qui pouvez veil-
ler à sa place. Vous n'êtes plus d'âge, ma bonne
femme. Il faut garder toutes vos forces pour la
convalescence, qui sera longue. De longtemps,
la pauvre enfant ne sera en état de faire les
gros ouvrages. Vous aurez un surcroît de fati-
gue ménagez-vous. La Guide veillera encore
cette nuit. Demain, je vous amènerai une garde-
malade.
La figure de la Guide s'éclaircissait, celle de
la vieille trahissait un dépit mal dissimulé.
Mais je n'ai pas les moyens de payer une
garde-malade! s'écria-t-elle aigrement.
C'est moi qui payerai, dit le docteur avec
un sourire, en grimpant lestement dans son ca-
briolet.
Le lendemain, la garde était installée. Elle et
la Guide se relayèrent. La Malart était vaincue.
Que faire? Un esclandre. C'était aussi compro-
mettant que ridicule le docteur payait tous les
frais. Le moyen de refuser le service sans se
mettre toute la commune à dos ? La chose était
si claire qu'il n'y avait pas à lutter.
Peu de jours après, la dernière lueur d'espoir
s'éteignit. Le docteur emmena la garde, décla-
rant Miquette sauvée. C'était maintenant une
question de soins, deprudence.La Guide n'avait
plus besoin de rester la nuit. Il fut entendu en-
tre eux deux qu'elle se bornerait à surveiller
l'entourage. Elle n'avait qu'à se pénétrer des
dernières instructions du docteur. D'ailleurs, il
comptait revenir dans quelques jours. La vi-
gueur de la jeunesse, la bonne chaleur du mois
de juillet devaient faire le reste.
Bientôt Miquette put se lever et faire quelques
pas au soleil du matin, à l'ombre de midi. Les
couleurs renaissaient, grâce aux gâteries de la
financières ait la priorité, afin que, dans le cas d'une
dissolution de la Chambre, les élections puissent se
faire sur la question des impôts nouveaux réclamés
par MM. Sonnino et Crispi. La majorité est toujours
peu disposée à voter des impôts nouveaux, surtout
maintenant que les députés ont pu, pendant les va-
cances, se mettre en contact avec les électeurs.
Copenhague, 2 avril, 8 h. 35.
Les deux Chambres danoises ont adopté la loi de
finances. C'est la première fois depuis 1885 que le
roi a pu signer, dans la séance du Conseil d'Etat,
un budget définitif. L'accord entre les Chambres et
le gouvernement est donc complet.
M. Estrup, président du conseil, a exprimé de-
vant le Landsthing toute sa satisfaction de l'entente
intervenue et a annoncé qu'il donnait sa démission
parce qu'il fallait un nouveau cabinet à une nou-
velle situation.
Budapest, 2 avril, 8 h. 30.
La Chambre hongroise se réunira jeudi. On at-
tend du côté du parti de l'indépendance de violentes
attaques contre le ministère. < ̃̃
(Service Havas)
Berlin, 2 avril.
Le gouvernement allemand va émettre un emprunt
de 107 millions de marcs, destiné à couvrir les dépen-
ses extraordinaires prévues dans le budget 1894-95 pour
l'armée, la marine et les chemins de fer.
ÉLECTION SÉNATORIALE DU I" AVRIL
VAUCLUSE
Nous avons fait connaître hier les résultats du
1" tour de scrutin, dans lequel M. Jules Gaillard
était arrivé premier avec 115 voix, contre 86 à M.
Valayer, 76 à M. Taulier, 71 à M. Capty, 44 à M.
Poncet, 37 à M. Guibcrt.
Voici les chiffres des doux autres tours
2° tour
MM. J. Gaillard, ancien député, rép 149 voix
Taulier, rad. 110
Valayer. 97
Capty, maire d'Orange, rép 80
3° tour
MM. Taulier, rad. 282 ELU
Gaillard, rep. 151
DEUX DISCOURS
Deux membres du gouvernement ont pris la
parole hier M. Spuller à Versailles et M. Du-
bost à Grenoble. Malgré la différence des sujets
traités, ces deux discours peuvent, croyons-
nous, être rapprochés, parce qu'ils traduisent
l'un et l'autre, avec beaucoup de force et d'élo-
quence, la pensée du gouvernement sur des
questions placées au premier rang parmi celles
qui intéressent l'avenir et le développement de
notre démocratie.
Quoi de plus important, en effet, à l'heure ac-
tuelle, que de se demander vers quel pôle
nous devons nous orienter, en matière éco-
nomique et sociale ? Faut-il faire au socia-
lisme d'Etat certaines concessions ou, tout au
contraire, maintenir intacts les droits et préro-
gatives des libertés individuelles, solennelle-
ment affirmés en 1789 ? Aux yeux de M. An-
tonin Dubost aucune hésitation sur ce point.
Etouffer les initiatives, paralyser les énergies
individuelles, ce serait inique d'abord et ensuite
ce serait funeste. Ce bonheur parfait, cette sorte
d'« Eden terrestre » que promettent les rêveurs
collectivistes, l'Etat est impuissant à le réaliser,
car, comme l'a dit l'honorable ministre de la
justice, « l'action de l'Etat a pour limite néces-
saire les facultés contributives du pays, qui,
dans l'intérêt même du développement général,
doivent être soigneusement ménagées ». C'est
dans la volonté de chaque citoyen et dans le
groupement libre de ces volontés qu'il faut voir
la source et l'outil du vérit -ble progrès.
S'ensuit-il que la collectivité dans son ensem-
ble, que l'Etat, les gouvernements ne puissent
et ne doivent exercer aucune influence sur la
marche de ce progrès ? Tel n'est pas l'avis de
M. Antonin Dubost, et les réflexions qu'il a
présentées à cet égard concordent trop exacte-
ment avec celles que nous avons si souvent
présentées nous-mêmes pour que nous ne leur
donnions pas une entière approbation. Le jeu
des libertés, c'est, en somme, la concurrence,
la lutte pour l'existence, pour le bien-être maté-
riel et moral avec ses angoisses, ses duretés et
son issue fatale, à savoir la domination des
forts sur les faibles. La raison et le cœur
exigent impérieusement que l'homme s'appli-
que à atténuer, dans la mesure du pos-
sible, et en se servant des lois naturelles elles-
mêmes, les cruelles conséquences de cette lutte.
D'où des devoirs de charité, d'assistance, de
protection s'imposant et à l'individu et à la so-
ciété. Sous ce rapport, M. le garde des sceaux
nous paraît avoir très nettement montré com-
ment doit s'exercer la mission tutélaire de l'E-
tat. Sans prendre à sa charge toutes les misères
humaines, ce qui serait impossible et désas-
treux, l'Etat peut istimuler les initiatives iudivi-
duelles, les pousser à se grouper, à se coordon-
ner dans des.associations qui feront le bien avec
clairvoyance et efficacité « de façon à rétablir,
autant que faire se peut, l'équilibre des forces
sociales rompu par les inégalités naturelles qui
pèsent sur les plus ignorants, les plus pauvres,
les plus faibles ». Voilà, en effet, et le but à at-
teindre et le seul moyen pratique d'y parvenir.
Ainsi s'accomplira la synthèse que doiventpour-
suivre tous les démocrates sincères entre l'idée
de liberté et l'idée de solidarité.
C'est également l'idée de solidarité qui do-.
mine dans le chaleureux discours de M. Spuller.
Guide, àqui le docteur avait envoyé pour la
convalescente une petite provision de vin vieux.
Les Malart étaient atterrés.
Qui l'eût cru ? Elle avait vraiment la vie dure,
elle qu'on croyait si fragile « Regarde-la, di-
sait François à sa mère en lui montrant Mi-
quette, qui se promenait dans l'enclos derrière
la maison, appuyée sur la Guide, regarde-moi la
drolesse qui prend le soleil comme une couleu-
vre, pendant que toi, la vieille, tu trimes à l'ou-
vrage. Ça va-t-il longtemps durer, cette vie-là?
Oui, oui, elle a de la chance. Moi, je n'en ai
jamais eu.
En ce moment Miquette se baissait pour
cueillir une fleurette. Le soleil, tamisé par le
feuillage d'un gros pommier, se jouait dans ses
cheveux d'or et mettait des tons chauds sur sa
peau transparente, déjà débarrassée du hâle.
Elle se sentait toute réchauffée par cette bonté
de la Guide, toujours présente, insoupçonnée
jusque-là et suscitée par son malheur même.
Et elle allait jusqu'à bénir le douloureux acci-
dent qui lui avait donné une amie. Désormais,
elle avait à qui se confier. A l'amertume qu'elle
refoulait depuis si longtemps, une issue était
enfin ouverte.
Elle était jeune après tout; les Malart n'étaient
pas immortels; elle pourrait, le moment venu,
s'échapper de cette cage noire. Il devait y avoir
autre chose dans le monde que la vallée d'A.
Et, tandis que ce courant d'idées s'établissait
en 'elle, au sortir de l'épreuve où elle avait
effleuré la mort, tout autour d'elle et en elle
c'était bien comme un renouveau. Jamais
l'odeur des plantes, le vert des arbres, le jeu du
rayon dans les feuilles, la limpidité de l'air qui
laissait la dentelure des crêtes lointaines se dé-
couper si finement sur le bleu profond, jamais
toute cette douceur des choses ne l'avait ainsi
pénétrée. C'était une résurrection, que ses joues
rosées, sa gorge par instants soulevée, sa taille
plus souple, toute sa grâce enfin racontait si
bien aux regards, que François lui-même s'en
était aperçu.
C'est qu'elle engraisse, la gueuse cria-t-il
à sa mère par la fenêtre ouverte. Elle aurait
pourtant la force de couler la lessive, au lieu de
faire, à ramasser des fleurs, la demoiselle qui a
des rentes. 1
Miquette se releva soudain, toute pâle. Elle
/lais à Grenoble, où l'on célébrait l'inaugura- (
ion d'un asile de vieillards, c'était surtout l'idée (
le la solidarité économique et matérielle qui <
levait préoccuper le représentant du gouverne- i
nent. A Versailles, il s'agissait d'inaugurer les
iouveaux bâtiments du lycée de jeunes filles et <
e ministre de l'instruction publique en a profité 1
jour prononcer, avec l'autorité particulière que
ui donne son caractère, son passé de dévoue-
nent absolu à toutes les causes justes et géné-
reuses, quelques fortes paroles' sur le rap-
prochement des âmes, et, dirions-nous volon-
tiers, sur cette solidarité des consciences qui ne
peut pas ne pas être l'idéal d'une démocratie
éclairée. Il faut, par une éducation non pas
identique, mais équivalente, en ce sens qu'elle
est, de part et d'autre, exactement proportion-
née aux capacités naturelles et aux rôles so-
ciaux, permettre à l'homme et à la femme
de « se compléter ». Et il faut aussi par la
tolérance, par la modération, par la justice
rapprocher, dans notre République définitive-
ment triomphante, les intelligences et les cœurs.
Très délicatement, l'orateur a signalé quelle
admirable auxiliaire pouvait être la femme pour
la diffusion de l' « esprit nouveau » qui souffle
sur la France.
Car l'honorable M. Spuller, avec une fran-
chise et une fermeté qui lui font le plus grand
honneur, ne néglige aucune occasion de main-
tenir cette expression et d'en préciser le sens.
L'esprit nouveau, c'est, suivant lui, « cet esprit
large, tolérant » dont doit s'inspirer un grand
parti qui a remporté la victoire. Et, en effet, a
ajouté le ministre, « quel vainqueur peut s'of-
fenser d'être tolérant pour le vaincu » ? Il ne
s'agit plus, à l'heure présente, de combattre; il
s'agit de gouverner et de faire que la France
devienne, de plus en plus, un « agent de justice
et de progrès ».
On ne saurait trop se féliciter de voir un mi-
nistre de la République répandre avec tant de
ferveur et d'éloquence d'aussi hautes exhorta-
tions. Plus sont inébranlables désormais nos
libres institutions, plus le loyalisme républicain
s'impose à tous les partis, et plus il appartient
aux représentants du gouvernement d'affirmer
que la République est essentiellement un ré-
gime de tolérance, de concorde et de justice
pour tous.
i^
EN OMNIBUS
Notre entrefilet d'hier sur la suppression des cor-
respondances d'omnibus nous a valu la lettre sui-
vante
Monsieur le rédacteur,
Dans le numéro du Temps d'aujourd'hui vous parlez
d'un projet qui consisterait à supprimer les corres-
pondances d'omnibus (et de tramways) tout en dimi-
nuant dans une certaine proportion le prix des places
d'intérieur. Ne craignez-vous point que ce système, où
l'on payerait plus ou moins cher selon la durée du
trajet, loin d'être une amélioration pour le public, ne
soit une véritable gêne? A priori, et sauf examen de la
question au point de vue des recettes, il me semble
qu'il serait préférable de simplifier encore, en ramenant
à un prix unique toutes les places, aussi bien celles
de l'impériale que celles du dedans, et en fixant un ta-
rif uniforme de 20 centimes avec suppression de la
correspondance, bien entendu.
Maintenant que la plupart des voitures sont munies
d'une impériale où les femmes ont accès, voyez ce qui
se passe. L'hiver, peu de monde en haut, mais en re-
vanche dans la belle saison, il n'est pas rare de voir
l'impériale bondée et l'intérieur vide. En outre d'une
grande simplification, la suppression de la correspon-
dance permettrait de modifier, on en diminuant la lon-
gueur, certains itinéraires et de ne pas faire de détours
pour prendre le contact avec d'autres lignes.
Je ne sais si la réforme qui aurait pour effet d'éta-
blir un prix unique serait d'ores et déjà profitable
au point de vue des bénéfices; mais, à voir ceux
qu'on a obtenus par l'abaissement des tarifs postaux,
il est assez raisonnable de croire qu'il en serait de
même pour les omnibus, qui rendent tant de services
à la population parisienne. La compagnie trouverait
aussi sans doute un certain avantage à cette mesure
qui lui permettrait de restreindre son personnel de
contrôle, et aussi du même coup ses bureaux de cor-
respondance.
En revanche, sur certains points, elle pourrait éta-
blir des locaux plus hospitaliers que ceux qui existent
et où sa clientèle ne trouve même pas la possibilité de
séjourner assise, en attendant l'arrivée de la voiture.
Autre réforme à examiner et qui serait bien apprécia-
ble pour le public Ne pourrait-on vendre à l'avance,
dans les bureaux, des billets qui éviteraient pour ceux
qui en seraient pourvus le payement monnayé pen-
dant le trajet et l'échange de sous malpropres et de
pièces qui sont bien souvent. litigieuses?
Veuillez agréer, etc.
Nous avions pensé, comme notre honorable cor-
respondant, à proposer le tarif uniforme de 0,20 sur
l'impériale et à l'intérieur, avec, bien entendu, la
suppression de la correspondance. Et, d'ailleurs,
dans les négociations qui ont eu lieu déjà autour
de cette question, l'idéo a été émise et soutenue par
l'une des parties en présence. 11 est exact, en eflet,
que, suivant les saisons, ce sont tantôt les places
d'impériale et tantôt les places d'intérieur qui sont
les plus recherchées. Mais, en somme, il demeure,
malgré tout, une sorte de préjugé d'élégance et do
confort qui fait que les places de l'intérieur sont
moins « démocratiques » que l'impériale. Or, l'éga-
lité du prix des places, si elle est établie dans les
conditions dont parle notre correspondant, se tra-
duirait par une augmentation de 0,05 sur le prix des
places fréquentées par le populaire vous voyez
d'ici les ob,ections qui no manqueraient pas de sur-
gir et toutes les résistances que le projet rencon-
trerait. Nous les avons prévues et voilà pourquoi
nous n'avons pas proposé cette solution.
Il faut, en effet, aboutir, et le mieux est de ne
pas aller tout contre les obstacles qu'on peut aper-
'>.L.L~ âgnimmearlai~
laissa tomber la pâquerette qu'elle allait se
mettre au corsage et se dirigea d'un pas déli-
béré vers la cuisine, suivie de la Guide effarée.
La Malart, tout actionnée au milieu d'un tas
de linge sale, le triait rageusement avec -ses
doigts osseux, pareils aux pattes sèches d'une
énorme araignée.
Laissez cela, dit Miquette, vous vous êtes
assez fatiguée pour moi. Maintenant que les
forces reviennent, c'est mon tour. Je vous de-
mande pardon de n'y avoir pas songé plus tôt.
François, un peu saisi par cet ellet de sa sor-
tie, qu'il n'avait pas prévu si prompt, ne trouva
rien à dire. La mère Malart aidait pour la
forme. Miquette faisait la besogne. La Guide,
qui l'avait vue pâlir soudain, aurait payé pour la
faire; mais elle craignait, en écartant Miquette,
de lui attirer encore plus d'ennui, et elle restait
la, perplexe, puis, timidement, elle se mit à l'ai-
der.
La pauvre enfant venait de retomber de son
envolée vers le rêve dans la nauséabonde réa-
lité. Les paroles cruelles de Malart avaient tout
a coup figé le flot de sensations qu'elle sentait
depuis quelques jours sourdre des profondeurs
de son être et le dilater doucement.
Maintenant elle était là, dans l'ombre de la
cuisine, accroupie, le nez dans l'odeur fade de
tout ce linge remué, maniant les souillures,
n'osant plus lever les yeux vers cette baie ou-
verte, vers les parfums des fleurs, vers la ver-
dure, la splendeur de l'air bleu. Elle sentit
comme une contraction douloureuse de tout
ce qui tout à l'heure en elle semblait s'épa-
nouir.
Les odeurs avaient toujours été pour elle de
véritables ennemies. Même les parfums trop
forts, trop subtils la suffoquaient. Née en pleins
champs, entourée d'animaux de basse-cour,
soumise aux émanations del"étabJe,auxsenteurs
âcres du purin, à l'empoisonnement du fumier
des lapins, qu'elle était bien obligée de soigner,
jamais l'accoutumance n'avait détruit en elle
cette sensibilité maladive de l'odorat qu'elle te-
nait sans doute de la race. Jamais elle ne s'était
décidée, quand il s'agissait de nettoyer l'étable,
à retrousser bien haut ses manches et à manier
de ses doigts le fumier. Toutes ces besognes,
qu'elle s'arrangeait pourtant pour faire le moins
salement possible en se gardant.soigneusement
1er avril.
cevoir de loin. La vérité est que la Compagnie des
omnibus a un intérêt certain à la suppression des
correspondances et que le public a un intérêt non
moins certain à la diminution du prix des places.
Voxià les bases de l'aecord à établir. Tout le monde
connaît une façon de procéder très en usage sur
tous les parcours à peu près desservis par deux li-
gnes d'omnibus qui tantôt se rapprochent, se croi-
sent même, puis se séparent on quitte son quar-
tier en prenant la ligne A on paye sa place et l'on
demande une correspondance arrivé à destination,
on fait ses commissions et ses affaires pour le re-
tour, la correspondance dont on s'est muni ne serait
pas valable sur la ligne A qui l'a délivrée, mais
elle est valable sur la ligne B, qui dessert à peu
près le même trajet; on n'a que quelques pas à
faire pour rejoindre le bureau où les deux lignes
se raccordent; on prend un omnibus de la ligne B,
et l'on rentre dans son quartier gratis. Ce n'est pas
pour cela que la correspondance a été inventée. De
par cet abus, qui est commun et fréquent, la com-
pagnie doit subir un sérieux dommage. Pour l'évi-
ter, la compagnie n'a qu'un moyen efficace la sup-
pression de la correspondance. Et, pour que ce
moyen lui soit permis, il faut qu'elle donne une
compensation au public. Voilà, tout nettement, com-
ment la question se pose. Une entente est trop né-
cessaire pour qu'on n'aboutisse pas promptemont
dans la voie des concessions réciproques.
Nous avons tenu à laisser la parole à notre cor-
respondant pour les réformes de moindre impor-
tance qu'il propose. Nous les renvoyons à qui de
droit. Il nous serait difficile, à l'improviste, de don-
ner notre avis sur une question comme celle des
locaux qui servent de bureaux d'attente à chaque
station. Il est certain qu'il en est de très incommo-
des et d'à peu près inhabitables. Ce sont même gé-
néralement ceux des lignes les plus fréquentées. La
compagnie répondrait sans doute que ce n'est pas
une petite affaire de bouleverser le bail et l'aména-
gement de ses locaux des grands boulevards, par
exemple. Cela coûterait bon; et il n'est peut-être
pas très juste, ni très habile, de lui demander tous
les sacrifices à la fois.
Quant à la création de tickets qu'on pourrait ache-
ter à l'avance, ce qui dispenserait de l'horrible
échange d'une pièce de 1 ou de 2 francs contre une
masse de sous, elle nous semble excellente, à pre-
mière vue, et nous la recommandons à l'attention
de la compagnie.
4
FONCTIONNAIRES ET FONCTIONNARISME
Si nos fonctionnaires ont lu l'autre jour
le Figaro, ils ont dû être bien étonnés. M. Ph.
de Grandlieu leur a appris qu'ils constituent
« une caste à part dans l'Etat » que, « bien clos
dans leur fromage de Hollande, ils se moquent
de toutes les intempéries de l'impôt » qu'ils
possèdent de grasses sinécures « argentées en
bas, dorées en haut » bref, que ce scandale
doit prendre fin et que de bonnes retenues doi-
vent être infligées à ces parasites. La Républi-
que, ce régime du gaspillage et de l'impré-
voyance, comme on sait, a développé tant
qu'elle l'a pu le nombre des créatures à sa solde,
sans doute dans l'espoir de s'attacher, en
les corrompant par ses largesses, ces clients de
la décadence. De là, vraisemblablement, les
suffrages croissants qui sont venus à elle, cha-
que citoyen émargeant maintenant au budget,
ou bien ayant tout au moins l'espoir d'y tou-
cher un jour la forte somme. Plus de deux mil-
liards auraient été ainsi dilapidés depuis dix-
huit ans, et le très distingué rédacteur du Fi-
garo s'écrie mélancoliquement « Deux mil-
liards deux cents millions I Presque la moitié
de la rançon payée à l'Allemagne 1 »
Ce tableau ayant ému de sincères amis de
nos institutions républicaines, on ne jugera
peut-être pas inutile que nous cherchions ce qu'il
peut avoir d'exact. La récapitulation des sommes
allouées aux fonctionnaires de l'Etat n'est pas
chose aisée. C'est une statistique, soit dit en pas-
sant, que nous avons maintes fois réclamée,
ainsi que celle du personnel de nos diverses
administrations ces renseignements sont indis-
pensables, notamment pour le calcul des char-
ges auxquelles l'Etat doit s'attendre pour le
service des pensions. A défaut d'un tra-
vail d'ensemble que nous ne renonçons
nullement à obtenir, nous pouvons détermi-
ner, d'une façon suffisamment approxima-
tive, le montant dos sommes payées en traite-
ments aux fonctionnaires de J'Etat. Ces traite-
ments sont, en effet, passibles d'une retenue de
5 0/0 pour les pensions. Comme le produit de
cette retenue est d'environ 24 millions, on voit
que le total des traitements ne doit pas s'éloi-
gner beaucoup de 480 millions. En 1876, les re-
tenues correspondantes ne dépassaient pas, au
budget de l'Etat, 14 millions, somme qui cor-
respond à un ensemble de traitements de
280 millions. De 1876 à 1894, une augmentation
de 200 millions se serait donc produite.
Nous arrivons à un chiffre sensiblement plus
élevé que celui dont M. de Grandlieu s'est ins-
piré. Et l'on constate encore, par cette seule dif-
férence, combien une statistique officielle serait
désirable. L'accroissement dont il s'agit n'est
que trop explicable, d'ailleurs. D'une part, les
frais de régie ont dû croître, en raison de l'essor
même des recettes publiques. Il est commode,
certes, de critiquer les progrès de ce groupe de
dépenses; seulement, l'équilibre du budget en dé-
pend.«On oublie trop, écrivait à ce propos lerap-
porteur général du budgetau Sénat, que ces gran-
des régies constituent, suivant l'expression si
juste et si énergique d'un orateur du Conseil des
Cinq-Cents, des ateliers de finances dont il faut
encourager le personnel, comme le font dans les
de tout contact direct, avaient toujours été pour
elle un supplice.
Mais, soit que sa maladie eût, en l'anémiant
encore, contribué à affiner ses nerfs, soit que
l'ébranlement, lors de la scène du torrent, eût
laissé dans l'organisme délicat des traces per-
sistantes, elle n'avait encore jamais éprouvé
l'écœurement d'à présent. Il lui en montait des
nausées; une angoisse la prenait à la gorge; et
tout à coup, les tempes serrées, une sueur
froide au front, elle se sentit défaillir. La Guide
n'eut que le temps de la soutenir et de la faire
asseoir, toute secouée par la toux.
Eh bien ça va être du propre, dit Fran-
çois, si elle se met à jouer la comédie pour ne
pas travailler I
Ça nous promet du bonheur 1 repartit la
vieilie. r
Vous voyez qu'elle n'est pas encore forte,
la pauvre. Attendez au moins qu'elle soit guérie
pour lui faire des scènes.
La Guide n'avait .pas lâché le dernier mot
qu'elle sentit sa faute; elle avait versé, toujours
par bonne intention, de l'huile sur le feu. L'in-
dignation l'avait emportée.
Mais déjà François s'était retourné, l'œil flam-
bant
-Toi, la Guide, mêle-toi de tes affaires, en-
tends-tu Je trouve que voilà assez longtemps
que tu te mêles des miennes.
Je vous demande pardon, Malart, je ne
croyais pas mal parler. Je pensais à ce qu'avait
dit le docteur.
-Ton charlatan 1 C'est bon. Je l'ai supporté
quand elle était malade. Mais à présent qu'elle
est guérie, tu peux l'avertir que, s'il s'avisait de
remettre le pied ici, je le ferais retourner vers la
porte plus vite qu'il ne voudrait.
Voyons, François, disait sa mère, tais-toi.
Mais lui n'écoutait pas.
-Je n'en veux plus, criait-il, de charlatans,
ni de mouchards 1 Chacun chez soi, à chacun ses
affaires
Instinctivement, comme dans un danger on
s'accroche à l'objet sauveur, Miquette passa ses
bras autour de la Guide et de grosses larmes
silencieuses roulèrent le long de ses joues pâ-
lies.
Il ne manquait plus que ça, dit Malart tout
à fait hors de lui, voilà des scènes de tendresse, à
grandes industries ceux qui ont le souci de la
fécondité du travail. » Et M. Boulanger ajou-
tait, répondant par anticipation aux critiques
de M. de Grandlieu « Les fonctionnaires de
l'impôt ont besoin de se sentir vigoureusement
protégés pour exercer leur mandat, et peut-être
ne les a-t-on pas toujours suffisamment défen-
dus contre d'injustes attaques. »
En second lieu, il ne faut pas oublier que le
budget de l'Etat a, sur certains points, été tota-
lement transformé dans ces dernières années.
Par exemple, l'instruction primaire a été ratta-
chée à ce budget, et, de ce seul chef, une dé-
pense considérable est apparue, qui n'existait
pas en 1876. L'unification budgétaire, ce pro-
grès indéniable, a permis, en outre, de grouper
des charges qu'une comptabilité moins rigou-
reuse disséminait et voilait. Enfin, il est cer-
tain que la République a entrepris le relève-
ment des traitements des fonctionnaires, et.c'est
la une dernière cause d'aggravation; mais veut-
on savoir en quoi consistent ces sinécures ef-
froyables qui trahissent l'esprit de dilapidation
des administrations républicaines? Quelques
chiffres vont le montrer.
L'administration des finances comptait, na-
guère, 105,778 employés, tant à Paris que dans
les départements. Or, 250 à peine avaient des
traitements supérieurs à 10,000 francs. 3,000
touchaient de 5,000 à 10,000 francs. Tout le
reste du personnel n'a qu'un traitement infé-
rieur à 5,000 francs, et, pour la grande majo-
rité, l'allocation ne dépasse pas 3,000 francs.
Pour préciser, voici la répartition des traite-
ments dans les contributions indirectes: 15
agents ont plus de 10,000 francs, 380 ont de
5,000 à moins de 10,000, 1,000 de 3,000 à moins
de 5,000, 8,490 de 1,200 à moins de 3,000, 1,530
agents ont moins de 1,200 francs. Veut-on pren-
dre l'administration des douanes? 10 fonction-
naires seulement ont plus de 10,000 francs, 150
ont de 5,000 à moins de 10,000, 800 ont de 3,000
à moins de 5,000, 2,900 ont de 1,200 à moins de
3,000, 18,000 agents ont moins de 1,200 francs.
Voilà les « gros traitements » qui ont cours en
France. Voilà ces situations argentées ou do-
rées que la République a faites à ses fonction-
naires I
La vérité, la voici les fonctionnaires de l'Etat
ne sont en général pas payés, et, s'il ne s'atta-
chait au titre de « fonctionnaire » une sorte de
superstition, si l'espoir d'une retraite ne soute-
nait cette multitude, les services publics se-
raient vite désorganisés. La vérité aussi, c'est
que l'Etat devrait s'appliquer à restreindre le
nombre de ses agents afin de pouvoir, par cette
réduction même, améliorer les traitements. Les
fonctionnaires sont si médiocrement rétribués
qu'il est malaisé de leur demander un effort
productif analogue à celui que donneront les
employés de l'industrie libre. Le nombre des
petits fonctionnaires, voilà le principal obstacle
a des rehaussements que conseilleraient la di-
gnité et la sûreté même de l'Etat. Il n'y a pas
un chef de rayon de l'un quelconque des grands
magasins qui se contenterait des émoluments
attribués par l'Etat à des chefs de service sur
lesquels repose la rentrée régulière de l'impôt.
c'est-à-dire le crédit public.
Ce qu'il faut, c'est donc, d'une part, encoura-
ger les fonctionnaires, et, de l'autre, découra-
ger le fonctionnarisme. Il faut façonner l'esprit
du pays de telle sorte qu'on cesse de quémander
jusqu'aux situations les plus humbles et les
moins enviables de l'Etat, mais, en même temps,
de manière à faire regarder les positions admi-
nistratives comme des postes commerciaux dif-
ficiles, exigeant de réelles aptitudes et légiti-
mant, par la somme de travail fournie, une ré-
munération élevée. Ce n'est pas sur le traite-
ment des employés de l'Etat qu'il conviendrait
de mettre une dîme c'est sur leur quantité.
Une autre observation serait également, ce
nous semble, à formuler, si l'on ne veut pas
que le budget de l'Etat vienne à ployer sous un
fardeau trop lourd il faut que l'on apprenne à
diminuer le rôle et les attributions de l'Etat.
Bien loin que l'on doive tendre à la socialisa-
tion de tous les services, rêve de MM. Guesde,
Jaurès et consorts, on doit prendre à tâche de
demander à l'initiative privée, aux associations
indépendantes tout ce qu'elles peuvent donner.
Les traitements des fonctionnaires. actuels ne
sont rien auprès de ce qu'ils seraient dans un
budget collectiviste. A ce point de vue encore,
si nous voulons contenir dans de justes limites
ces dépenses spéciales, apprenons à stimuler
les énergies individuelles. Détournons du Dieu-
Etat les esprits.
le
LES FUNÉRAILLES DE KOSSUTH
[Dépêche de notre correspondant particulier)
Budapest, 2 avril, 8 heures.
Les funérailles de Kossuth ont été une véritable
apothéose. Le spectacle qui s'est déroulé hier dans
la capitale de la Hongrie a dépassé en grandeur
tout ce qu'on attendait. p g
Une foule innombrable venue do tous les points
do la Hongrie se pressait en silence dans les
rues, aux fenêtres, aux balcons, d'où pendaient
des tentures et dos drapeaux noirs. Il n'y avait pas
un seul magasin ouvert dans toute la ville.
La cérémonie funèbre a commencé à dix heures
au Musée national où la famille, les représentants
des deux Chambres, delà ville et de la presse ont
assisté au service religieux. C'est là que Maurice
Jokaï a prononcé l'éloge de Kossuth au nom do la
Chambre etqu'apiès lui le vice-bourgmestre Gerloczy
a parlé au nom de la municipalité. Entre temps,
des choeurs de chant se sont fait entendre.
Au milieu de l'émotion et des larmes de tous les
assistants, M. Gerloczy s'est écrié « La tombe de
présent Allons allons j'en ai assez Hors d'ici 1
Et, saisissant avec violence la Guide par le
bras, il la poussa rudement vers la porte.
Miquette était fiebout, frémissante. Dans ses
nerfs tendus se ramassait tout ce qui lui restait
d'énergie
-Je pars avec la Guide, dit-elle; moi aussi
j'en ai assez, à la fin.
François, à qui Miquette n'avait jamais ré-
pondu, fut stupéfait de tant d'audace.
Droite, blanche, le regard redevenu calme,
elle le regardait en face et paraissait attendre
de pied ferme les brutalités accoutumées.
Cette énormité, la résistance de Miquette, le
paralysa. Sa fureur se fondit en une grêle de
jurons et de mots orduriers vomis sur les deux
femmes. La Guide profita de la détente pour
embrasser Miquette et pour lui glisser dans l'o-
reille des encouragements
Patience, lui dit-elle. Ne lui réponds pas.
Tu viendras me voir. Nous trouverons quelque
chose.
Les jours suivants furent bien tristes pour
Miquette, pendant lesquels elle ne put voir la
Guide qu'à la dérobée, profitant des occasions
pour se glisser chez elle. Elles se donnaient des
rendez-vous à l'écart, derrière quelque vieux
mur, comme deux amoureux qui ont peur des
regards. La conversation, la vue de la Guide
étaient devenues pour Miquette un besoin.
C'est que, n'ayant jamais rencontré devant
elle qu'indifférence ou hostilité, la découverte de
la bonté l'avait surprise délicieusement. 11 y
avait donc autre chose dans le monde que ce
qu'elle y avait vu et senti jusqu'alors? Il y avait
donc des cœurs d'une autre espace que céuxdes
Malart et des Janou ? Au delà du cercle qui l'en-
serrait et la comprimait, n'était-ce point l'es-
pace immense et libre où il lui semblait qu'à
présent l'emportait l'espérance?
Ainsi, quand une déchirure profonde a fait
soudain jaillir une source dans l'aridité du dé-
sert, la terre avide boit l'eau fraîche, et de l'hu-
midité récente les germes sortent à. foison;
bientôt, de ce qui semblait mort la vie triom-
phante pullule. Telle, au contact de la bonté
d'autrui, cette âme, hiei si désolée, renaissait à
la vie. Elle sentait, dans l'amollissement de son
être, gonfler des germes inconnus Un courant
de sensations douces, de sentiments vagues I
Kossuth sera pour tous les Hongrois" un lieu d8
pèlerinage. »
La garde d'honneur des étudiants a transporté
ensuite le cercueil sur un char attelé de huit chevaux,
et des députés de tous les partis ont tenules cordona
du poêle.
Devant le char ont défilé de nombreuses déléga-
tions venues de tous les points du pays, beaucoup
en costume national, chantant des hymnes et des
marches qui rappelaient Ja période historique dont
Kossuth a été l'âme. Beaucoup de vétérans des
combats de 1848 étaient aussi présents, portant leurs
drapeaux déchirés. Le cercueil était encore précédé
d'une vingtaine de voitures sur lesquelles s'éta-
geaient plus de deux mille couronnes.
Derrière le char funèbre marchaient les deux fils
de Kossuth, chaleureusement acclamés au passage,
le beau-frère de Kossuth, Meszlenyi et sa femme,
son médecin Basso. La sœur de Kossuth, Mme
Rutkay, âgée de plus de quatre-vingts ans, malade
des émotions de ces derniers jours, n'avait pu venir,
Parmi les membres du Parlement, on remarquait
MM. Tisza, d'Apponyi, Helfy, Karolyi, Eœtvœs, etc.
Venaient ensuite la municipalité de Budapest, l'Aca-
démie des sciences, la chambre des avocats, celles
du commerce et de l'industrie, les délégués de la
commune de Monok, lieu natal de Kossuth, des dé-
putations de francs-maçons, etc. Au total, 20,000
personnes en habits de deuil ou en costume na.
tional.
La garde volontaire, composée d'étudiants et de
citoyens, et qui devait assurer le service d'ordre,
faisait la haie sur le passage du cortège. Aucun in-
cident ne s'est d'ailleurs produit ni devant les édi-
fices royaux, ni devant les bâtiments gouvernemen.
taux, qui n'avaient pas arboré d'insignes de deuil
Le plus grand calme et la plus grande dignité n'ont
cessé de régner.
Aucun ministre ni aucun fonctionnaire de l'Etat
n'a pris part à la cérémonie.
A deux heures de l'après-midi, le cortège funèbre
arrivait au cimetière, où des discours ont été pro-
noncés par les députés Justh et Herman au nom du
parti de l'indépendance, par les représentants des
honveds de 1848 et par les délégués des étudiants.
Des chœurs entonnent alors un chant funèbre, pen-
dant l'exécution duquel le cercueil de Kossuth est
descendu dans le caveau.
Il a été placé entre ceux de sa femme et de sa
fille ensevelis la veille. Des sacs de la terre natala
ont été jetés dans la fosse.
Alors une scène émouvante s'est produite. Tho-
mas Pechy saisit un drapeau de honved qu'il incline
trois fois sur la tombe et prononce quelques paroles
d'adieu. Franz Kossuth embrasse le drapeau, et
Louis-Théodore embrasse Pechy, tandis que les
vieux honveds viennent serrer les mains des fils de
Kossuth en les exhortant tous deux à ne plus quit-
ter la Hongrie.
A deux heures et demie, la cérémonie était ter-
minée.
Les fils de Kossuth ont été l'objet d'ovations en
rentrant à l'hôtel Hungaria où une foule de déléga-
tions leur ont présenté leurs condoléances. Tous
deux ont pris la parole pour remercier tous les par-
tis de s'être unis dans un commun amour do la pa-
trie pour honorer la mémoire do leur père.
On peut évaluer le nombre des assistants aux fu-
nérailles à un demi-million.
BULLETIN DE L'ÉTRANGER'
(dépêches HAVAS ET RENSEIGNEMENTS particulier»]
Alsace-Lorraine t':
Pour parer provisoirement aux résultats fâcheux
pour le parti de la suppression de la Volkszeitung de
Mulhouse, le comité socialiste d'Alsace-Lorraine fait
distribuer aux lecteurs de ce journal une petite
feuille socialiste badoise, qui s'édite à Offenbourg,
le Volkslreund. Ce n'est là toutefois qu'une solution
provisoire, car les abonnés par la poste à l'organe
supprimé ne peuvent pas recevoir le journal qui le
remplace. Les noms et les adresses de ces abonnés
sont en effet connus des seuls bureaux de poste
chargés de les desservir, ceux-ci recevant les jour-
naux par paquets pour les distribuer ensuite à do-
micile. D'après cette organisation, l'administration
du journal ne connait donc que le nombre de cette
catégorie d'abonnés, en quelque sorte anonymes.
Le parquet de Mulhouse renonce, parait-il, à pour-
suivre le rédacteur responsable de la Volkszeitung
pour l'article qui a motivé la suppression du journal
par voie administrative, en vertu des pouvoirs dic-
tatoriaux du sthatthalter.
Les travaux d'établissement de la ligne télépho»
nique de Strasbourg à Mulhouse vont commence!
prochainement, do façon qu'ils soient terminés
lorsque le ministre des postes de l'empire viendra
inaugurer le nouvel hôtel des postes do Mulhouse.
La ligne sera établie, parnît-il, à une certaine dis-
tance des fils télégraphiques .au moyen de poteaux
spéciaux; on la disposera, en outre, en prévisios
des nombreux raccordements qui viendront dans la
suite y relier les centres industriels des vallées des
Vosges, dans le Bas et le Haut-Rhin. Ce réseau se-
condaire ne tardera probablement pas à compléter
la grande ligne Strasbourg-Colmar-Mulhouse; car,
dès à présent, les intéressés des vallées en question
font circuler des pétitions et des engagements éven-
tuels d'abonnement qui se couvrent de signatures
et seront transmis à l'administration centrale des
postes, télégraphes et téléphones par l'intermédiaire
des chambres de commerce du rayon.
Ces pétitions demandent, en outre, que les con-
versations à longue distance ne payent plus de taxe
spéciale pour chacune d'elles, mais fassent l'objet
d'un abonnement à forfait, comme les communica.
tions urbaines, d'après le système en vigueur dans
la Westphalie.
Allemagne
Nous avons donné un compte rendu succinct des
principales manifestations de sympathie et de re.
connaissance dont M. do Bismarck a été l'objet à
l'occasion du 79° anniversaire de sa naissance. Par-
mi les ovations les plus significatives qui lui ont
été faites, il faut signaler encore celle qui avait été
organisée par des dames du grand-duché de Bade,
de la Hesse et du Palatinat. Ces dames, au nombre
de cent mille. avaient signé une adresse de félicita-
tions qui a été remise au prince par une députation
d'une vingtaine de ses admiratrices.
M. de Bism irck, en les remerciant, leur a dit que
leur démarche lui causait une satisfaction très
mais bienfaisants, la soutenait, la portait comme
vers une rive fleurie. Et, trouvant cela bon, elle
s'abandonnait.
Ce qu'il y avait de bien singulier, c'est qu'en
même temps et comme malgré elle s'adoucissait
sa rancune contre les Malart. Auparavant elle
leur en voulait beaucoup de leur injustice, de
leur méchanceté. La veille encore n'avait-elle
pas été sur le point de se révolter? Maintenant,
elle les méprisait.
II lui semblait par instants qu'elle se trouvait
soudain transportée sur une des cimes voisines
et que, de là, elle apercevait en bas les Malart,
les Janou, toutes les bêtes fauves qui avaient
été le long cauchemar de son enfance, rapetis-
ser, se fondre en tout petits points noirs comme
des fonrmis sous ses pieds, de menus êtres
malfaisants mais négligeables, impuissants
désormais contre son âme retrempée.
Et sa pensée s'envolait au delà, vers l'incon-
nu, vers la région où l'on devait trouver des
amitiés bonnes, un peu de cette tendresse que
le sort lui avait refusée jusque-là et dont la
chaude sympathie dé la Guide lui avait fait
pressentir la douceur.
Cette douceur, comme elle la savourait dans
ces moments de trêve où elle pouvait échapper
à ses écœurantes besognes et s'écarter un ins-
tant du toit de l'ennemi! Et pourtant, car
nous voulons toujours davantage, et ce qui, la
moment d'avant, nous eût paru un comble de
félicité, ne fait que nous mettre en goût pour un
désir plus haut, maintenant que c'était bien
acquis, que son être moral, appuyé sur la bonté
d'une amie, s'était vivifié, avait pris à ce con-
tact des forces inconnues, ce sentiment ne la
remplissait plus. Quelque chose de nouveau,
tout au fond d'elle-même, se levait et pointait.
Et voilà qu'entre la Guide et elle s'interposait,
sans que sa volonté l'eût évoquée, une image
bien différente, celle même de ce Miquel qui
gardait le troupeau de Malart dans la montagne.
Elle avait été élevée avec lui, sous le même
toit II n'était pas méchant jamais, dans leurs
jeux d'enfants, il ne l'avait brutalisée. L'accou-
tumance ne lui avait pas permis de remarquer
cela. Pourquoi cela. lui venait-il tout à coup à
présent ? ALBERT LAFARGUE.
(A suivre).
MARDJ 3 AVRIL 1894
TRENTE-QUATRIEME ANNEE. N° 11909
PRIX DE L'ABONN'EMENT
PARIS. Trois mois, 14.tr.; Six mois, 28 fr.; ïïn an, Bôlft
DÉPi» & ALSACE-LORRAINE 17 fr.; 34 fr.; 68 b,
UNION POSTALE 18 fr.; 3Sfr.; 72 fr.
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LES ABONNEMENTS DATENT DES l" ET 16 DE CHAQUE MOIS
Un numéro (départements) 3O centimes
ANNONCES MM. Lagrange, Cerf ET G», 8, place de la Bourse
.le Journal et les Régisseurs déclinent toute responsabilité quant à leur teneur
*WVWV«V«V«MWVAV\flft
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UNION POSTALE 18fr.; 36 fr.; T7Zt\\
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LES ABONNEMENTS DATENT DES 1" ET in DE CHAQUE MOtt
Un numéro (à Paris) 1S centimes
Directeur politique Adrien Hébrard ;̃̃
ÏOEfeS les lettres destinées à la Rédaction doivent être adressées au Directeur
ifi Journal ne répond pas des articles non insérét
k » PARIS, 2 AVRIL 'r
BULLETIN DU JOUR
• ANNIVERSAIRES
Hier c'était le prince Bismarck qui célébrait
son soixante-dix-neuvième anniversaire. La
fête a été conforme au programme de ces der-
nières années sauf sur un point. Un adju-
dant de l'empereur a fait son apparition –inévi-
table depuis la récente réconciliation et a
offert au nom de Guillaume II au seigneur de
Friedrichsruhavec les compliments du jour un
petit cadeau, destiné évidemment à entretenir
F amitié si heureusement restaurée.
L'empereur décidément se charge de la garde-
robe militaire de l'ex-chancelier. L'autre jour,
c'était un grand manteau gris de cavalerie
aujourd'hui l'uniforme se complète par une cui-
rasse avec les épaulettes et le ceinturon. On
conte que le vieux prince, empressé comme une
jolie fiiîe qui reçoit sa première toilette de bal,
"aurait revêtu sans plus tarder tout ce belliqueux
harnachement et se serait loué de le trouver à
sa mesure.
A quoi les partisans quand même du régime
de jadis, les laudatores temporis acti répondent
ironiquement qu'il importe bien moins de sa-
voir si la cuirasse faite pour le prince lui va
juste que si l'armure qu'il a léguée à son suc-
cesseur et qui avait été forgée pour la stature
gigantesque du premier chancelier se trouve à
la taille du second chancelier.
Tout cela, du reste, manque au fond d'intérêt
politique. Les admirateurs du prince Bismarck
ont beau faire, ils ont beau multiplier les témoi-
gnages de leur gratitude, ils ne sauraient em-
pêcher que toutes ces manifestations n'aient
quelque chose de posthume. Quoi qu'on fasse et
quoi qu'on dise, le soleil est bien couché et il ne
se lèvera plus. Même ce reste de vie apparente ¡
que donnait au solitaire du Sachsenwald son at-
titude d'opposition à l'égard du chancelier de
Caprivi, de ses pompes et de ses œuvres a été
réduit à néant par la réconciliation forcée que
l'empereur a eu l'esprit et le tact d'imposer à un
sujet récalcitrant.
A cette heure, la figure du prince Bismarck
est purement historique. Ce n'est plus lui qui
mènera les grands combats; ce n'est même plus
autour de. lui que se livreront les chaudes ba-
tailles. En rédigeant en termes élogieux ce que
l'on peut appeler l'épitaphe du grand serviteur
des Hohenzollern, Guillaume II a scellé sur lui
la pierre de sa tombe. Le prince Bismarck est
entré au musée des antiquités germaniques.
Il est curieux de mettre en contraste ce sort
de l'un des plus puissants hommes d'action de
ce siècle et de tous les siècles avec celui du
grand homme d'Etat qui vient, librement, spon-
tanément, de prendre sa retraite en Angle-
terre.
M. Gladstone a six ans de plus que M. de Bis-
marck. Il est, en dépit d'une constitution incom-
parable, en proie à des infirmités pénibles qui
ont contribué, sinon à former, du moins à hâter
ses projets de démission. Il a volontairement
abdiqué le pouvoir alors qu'il était encore à la
tête d'une majorité compacte et docile.
On pourrait croire, dans ces conditions, que
c'est lui qui est réduit à l'impuissance et qui est
devenu « un zéro qui ne multiplie plus » dans
tes combinaisons de la politique anglaise. Eh
bien, il n'en est rien.
Ce patriarche, du fond de la vie privée où il
s'est confiné, est encore l'un des grands ressorts
de la vie publique anglaise. Ses successeurs ont
les yeux fixés sur lui. Le pays attend et com-
mente le moindre mot qui tombe de sa bouche.
C'estlui qui a fixé la direction dans laquelle
se meut la machine gouvernementale. C'est lui
qui veille en dernière instance sur la fidélité de
ses héritiers aux principes qu'il leur a légués.
Chacun sait que, si jamais les circonstances for-
çaient Achille à sortir de sa tente, fût-il encore
plus glacé que Nestor par l'âge, il entraînerait
à sa suite les gros bataillons et déterminerait le
sort du ministère, comme il le fit en 1878-1880.
Ce contraste est saisissant. D'où vient-il, si ce
n'est de la différence entre l'autorité d'un minis-
tre qui ne comprend et n'admet que la préro-
gative royale et l'influence d'un homme d'Etat
qui n'agit que par et pour l'opinion? Le premier,
comme le montre l'exemple de M. de Bismarck,
est à la merci de la reconnaissance ou de l'in-
gratitude d'un maître le second, on le voit
dans le cas de M. Gladstone, s'appuie sur un
roc et ne mesure sa capacité d'agir qu'à la
durée de sa vie.
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES
«CES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps
Rome, 2 avril, 10 h. 15.
Très peu do députés sont arrivés pour la reprise
des travaux parlementaires.
La séance, aujourd'hui, ne donnera lieu à aucun
incident et cette première semaine se passera avec
calme. J'ai interrogé beaucoup de députés sur la si-
tuation et ai constaté qu'en général on est très in-'
certain sur la solution. On no pourra être éclairé
que par les déclarations que fera M. Crispi sur l'or-
dre du jour des travaux parlementaires, c'est-à-dire
sur la question de savoir si la discussion des pleins
pouvoirs doit précéder celle des mesures finan-
cières.
L'opposition, qui est plus forte que le groupe mi-
nistériel, veut que la discussion sur les mesures
FEUILLETON DU SfoïtpS
DU 3 AVRIL 1894 CO)
I I 1 1
MIQUETTE ET MIQUEL
i; III– (Suite)
Oui, il faudra qu'elle se repose, dit lente-
ment le docteur en regardant tour à tour le petit
œil brillant de l'une et le visage décomposé de
l'autre. Mais ce n'est pas vous qui pouvez veil-
ler à sa place. Vous n'êtes plus d'âge, ma bonne
femme. Il faut garder toutes vos forces pour la
convalescence, qui sera longue. De longtemps,
la pauvre enfant ne sera en état de faire les
gros ouvrages. Vous aurez un surcroît de fati-
gue ménagez-vous. La Guide veillera encore
cette nuit. Demain, je vous amènerai une garde-
malade.
La figure de la Guide s'éclaircissait, celle de
la vieille trahissait un dépit mal dissimulé.
Mais je n'ai pas les moyens de payer une
garde-malade! s'écria-t-elle aigrement.
C'est moi qui payerai, dit le docteur avec
un sourire, en grimpant lestement dans son ca-
briolet.
Le lendemain, la garde était installée. Elle et
la Guide se relayèrent. La Malart était vaincue.
Que faire? Un esclandre. C'était aussi compro-
mettant que ridicule le docteur payait tous les
frais. Le moyen de refuser le service sans se
mettre toute la commune à dos ? La chose était
si claire qu'il n'y avait pas à lutter.
Peu de jours après, la dernière lueur d'espoir
s'éteignit. Le docteur emmena la garde, décla-
rant Miquette sauvée. C'était maintenant une
question de soins, deprudence.La Guide n'avait
plus besoin de rester la nuit. Il fut entendu en-
tre eux deux qu'elle se bornerait à surveiller
l'entourage. Elle n'avait qu'à se pénétrer des
dernières instructions du docteur. D'ailleurs, il
comptait revenir dans quelques jours. La vi-
gueur de la jeunesse, la bonne chaleur du mois
de juillet devaient faire le reste.
Bientôt Miquette put se lever et faire quelques
pas au soleil du matin, à l'ombre de midi. Les
couleurs renaissaient, grâce aux gâteries de la
financières ait la priorité, afin que, dans le cas d'une
dissolution de la Chambre, les élections puissent se
faire sur la question des impôts nouveaux réclamés
par MM. Sonnino et Crispi. La majorité est toujours
peu disposée à voter des impôts nouveaux, surtout
maintenant que les députés ont pu, pendant les va-
cances, se mettre en contact avec les électeurs.
Copenhague, 2 avril, 8 h. 35.
Les deux Chambres danoises ont adopté la loi de
finances. C'est la première fois depuis 1885 que le
roi a pu signer, dans la séance du Conseil d'Etat,
un budget définitif. L'accord entre les Chambres et
le gouvernement est donc complet.
M. Estrup, président du conseil, a exprimé de-
vant le Landsthing toute sa satisfaction de l'entente
intervenue et a annoncé qu'il donnait sa démission
parce qu'il fallait un nouveau cabinet à une nou-
velle situation.
Budapest, 2 avril, 8 h. 30.
La Chambre hongroise se réunira jeudi. On at-
tend du côté du parti de l'indépendance de violentes
attaques contre le ministère. < ̃̃
(Service Havas)
Berlin, 2 avril.
Le gouvernement allemand va émettre un emprunt
de 107 millions de marcs, destiné à couvrir les dépen-
ses extraordinaires prévues dans le budget 1894-95 pour
l'armée, la marine et les chemins de fer.
ÉLECTION SÉNATORIALE DU I" AVRIL
VAUCLUSE
Nous avons fait connaître hier les résultats du
1" tour de scrutin, dans lequel M. Jules Gaillard
était arrivé premier avec 115 voix, contre 86 à M.
Valayer, 76 à M. Taulier, 71 à M. Capty, 44 à M.
Poncet, 37 à M. Guibcrt.
Voici les chiffres des doux autres tours
2° tour
MM. J. Gaillard, ancien député, rép 149 voix
Taulier, rad. 110
Valayer. 97
Capty, maire d'Orange, rép 80
3° tour
MM. Taulier, rad. 282 ELU
Gaillard, rep. 151
DEUX DISCOURS
Deux membres du gouvernement ont pris la
parole hier M. Spuller à Versailles et M. Du-
bost à Grenoble. Malgré la différence des sujets
traités, ces deux discours peuvent, croyons-
nous, être rapprochés, parce qu'ils traduisent
l'un et l'autre, avec beaucoup de force et d'élo-
quence, la pensée du gouvernement sur des
questions placées au premier rang parmi celles
qui intéressent l'avenir et le développement de
notre démocratie.
Quoi de plus important, en effet, à l'heure ac-
tuelle, que de se demander vers quel pôle
nous devons nous orienter, en matière éco-
nomique et sociale ? Faut-il faire au socia-
lisme d'Etat certaines concessions ou, tout au
contraire, maintenir intacts les droits et préro-
gatives des libertés individuelles, solennelle-
ment affirmés en 1789 ? Aux yeux de M. An-
tonin Dubost aucune hésitation sur ce point.
Etouffer les initiatives, paralyser les énergies
individuelles, ce serait inique d'abord et ensuite
ce serait funeste. Ce bonheur parfait, cette sorte
d'« Eden terrestre » que promettent les rêveurs
collectivistes, l'Etat est impuissant à le réaliser,
car, comme l'a dit l'honorable ministre de la
justice, « l'action de l'Etat a pour limite néces-
saire les facultés contributives du pays, qui,
dans l'intérêt même du développement général,
doivent être soigneusement ménagées ». C'est
dans la volonté de chaque citoyen et dans le
groupement libre de ces volontés qu'il faut voir
la source et l'outil du vérit -ble progrès.
S'ensuit-il que la collectivité dans son ensem-
ble, que l'Etat, les gouvernements ne puissent
et ne doivent exercer aucune influence sur la
marche de ce progrès ? Tel n'est pas l'avis de
M. Antonin Dubost, et les réflexions qu'il a
présentées à cet égard concordent trop exacte-
ment avec celles que nous avons si souvent
présentées nous-mêmes pour que nous ne leur
donnions pas une entière approbation. Le jeu
des libertés, c'est, en somme, la concurrence,
la lutte pour l'existence, pour le bien-être maté-
riel et moral avec ses angoisses, ses duretés et
son issue fatale, à savoir la domination des
forts sur les faibles. La raison et le cœur
exigent impérieusement que l'homme s'appli-
que à atténuer, dans la mesure du pos-
sible, et en se servant des lois naturelles elles-
mêmes, les cruelles conséquences de cette lutte.
D'où des devoirs de charité, d'assistance, de
protection s'imposant et à l'individu et à la so-
ciété. Sous ce rapport, M. le garde des sceaux
nous paraît avoir très nettement montré com-
ment doit s'exercer la mission tutélaire de l'E-
tat. Sans prendre à sa charge toutes les misères
humaines, ce qui serait impossible et désas-
treux, l'Etat peut istimuler les initiatives iudivi-
duelles, les pousser à se grouper, à se coordon-
ner dans des.associations qui feront le bien avec
clairvoyance et efficacité « de façon à rétablir,
autant que faire se peut, l'équilibre des forces
sociales rompu par les inégalités naturelles qui
pèsent sur les plus ignorants, les plus pauvres,
les plus faibles ». Voilà, en effet, et le but à at-
teindre et le seul moyen pratique d'y parvenir.
Ainsi s'accomplira la synthèse que doiventpour-
suivre tous les démocrates sincères entre l'idée
de liberté et l'idée de solidarité.
C'est également l'idée de solidarité qui do-.
mine dans le chaleureux discours de M. Spuller.
Guide, àqui le docteur avait envoyé pour la
convalescente une petite provision de vin vieux.
Les Malart étaient atterrés.
Qui l'eût cru ? Elle avait vraiment la vie dure,
elle qu'on croyait si fragile « Regarde-la, di-
sait François à sa mère en lui montrant Mi-
quette, qui se promenait dans l'enclos derrière
la maison, appuyée sur la Guide, regarde-moi la
drolesse qui prend le soleil comme une couleu-
vre, pendant que toi, la vieille, tu trimes à l'ou-
vrage. Ça va-t-il longtemps durer, cette vie-là?
Oui, oui, elle a de la chance. Moi, je n'en ai
jamais eu.
En ce moment Miquette se baissait pour
cueillir une fleurette. Le soleil, tamisé par le
feuillage d'un gros pommier, se jouait dans ses
cheveux d'or et mettait des tons chauds sur sa
peau transparente, déjà débarrassée du hâle.
Elle se sentait toute réchauffée par cette bonté
de la Guide, toujours présente, insoupçonnée
jusque-là et suscitée par son malheur même.
Et elle allait jusqu'à bénir le douloureux acci-
dent qui lui avait donné une amie. Désormais,
elle avait à qui se confier. A l'amertume qu'elle
refoulait depuis si longtemps, une issue était
enfin ouverte.
Elle était jeune après tout; les Malart n'étaient
pas immortels; elle pourrait, le moment venu,
s'échapper de cette cage noire. Il devait y avoir
autre chose dans le monde que la vallée d'A.
Et, tandis que ce courant d'idées s'établissait
en 'elle, au sortir de l'épreuve où elle avait
effleuré la mort, tout autour d'elle et en elle
c'était bien comme un renouveau. Jamais
l'odeur des plantes, le vert des arbres, le jeu du
rayon dans les feuilles, la limpidité de l'air qui
laissait la dentelure des crêtes lointaines se dé-
couper si finement sur le bleu profond, jamais
toute cette douceur des choses ne l'avait ainsi
pénétrée. C'était une résurrection, que ses joues
rosées, sa gorge par instants soulevée, sa taille
plus souple, toute sa grâce enfin racontait si
bien aux regards, que François lui-même s'en
était aperçu.
C'est qu'elle engraisse, la gueuse cria-t-il
à sa mère par la fenêtre ouverte. Elle aurait
pourtant la force de couler la lessive, au lieu de
faire, à ramasser des fleurs, la demoiselle qui a
des rentes. 1
Miquette se releva soudain, toute pâle. Elle
/lais à Grenoble, où l'on célébrait l'inaugura- (
ion d'un asile de vieillards, c'était surtout l'idée (
le la solidarité économique et matérielle qui <
levait préoccuper le représentant du gouverne- i
nent. A Versailles, il s'agissait d'inaugurer les
iouveaux bâtiments du lycée de jeunes filles et <
e ministre de l'instruction publique en a profité 1
jour prononcer, avec l'autorité particulière que
ui donne son caractère, son passé de dévoue-
nent absolu à toutes les causes justes et géné-
reuses, quelques fortes paroles' sur le rap-
prochement des âmes, et, dirions-nous volon-
tiers, sur cette solidarité des consciences qui ne
peut pas ne pas être l'idéal d'une démocratie
éclairée. Il faut, par une éducation non pas
identique, mais équivalente, en ce sens qu'elle
est, de part et d'autre, exactement proportion-
née aux capacités naturelles et aux rôles so-
ciaux, permettre à l'homme et à la femme
de « se compléter ». Et il faut aussi par la
tolérance, par la modération, par la justice
rapprocher, dans notre République définitive-
ment triomphante, les intelligences et les cœurs.
Très délicatement, l'orateur a signalé quelle
admirable auxiliaire pouvait être la femme pour
la diffusion de l' « esprit nouveau » qui souffle
sur la France.
Car l'honorable M. Spuller, avec une fran-
chise et une fermeté qui lui font le plus grand
honneur, ne néglige aucune occasion de main-
tenir cette expression et d'en préciser le sens.
L'esprit nouveau, c'est, suivant lui, « cet esprit
large, tolérant » dont doit s'inspirer un grand
parti qui a remporté la victoire. Et, en effet, a
ajouté le ministre, « quel vainqueur peut s'of-
fenser d'être tolérant pour le vaincu » ? Il ne
s'agit plus, à l'heure présente, de combattre; il
s'agit de gouverner et de faire que la France
devienne, de plus en plus, un « agent de justice
et de progrès ».
On ne saurait trop se féliciter de voir un mi-
nistre de la République répandre avec tant de
ferveur et d'éloquence d'aussi hautes exhorta-
tions. Plus sont inébranlables désormais nos
libres institutions, plus le loyalisme républicain
s'impose à tous les partis, et plus il appartient
aux représentants du gouvernement d'affirmer
que la République est essentiellement un ré-
gime de tolérance, de concorde et de justice
pour tous.
i^
EN OMNIBUS
Notre entrefilet d'hier sur la suppression des cor-
respondances d'omnibus nous a valu la lettre sui-
vante
Monsieur le rédacteur,
Dans le numéro du Temps d'aujourd'hui vous parlez
d'un projet qui consisterait à supprimer les corres-
pondances d'omnibus (et de tramways) tout en dimi-
nuant dans une certaine proportion le prix des places
d'intérieur. Ne craignez-vous point que ce système, où
l'on payerait plus ou moins cher selon la durée du
trajet, loin d'être une amélioration pour le public, ne
soit une véritable gêne? A priori, et sauf examen de la
question au point de vue des recettes, il me semble
qu'il serait préférable de simplifier encore, en ramenant
à un prix unique toutes les places, aussi bien celles
de l'impériale que celles du dedans, et en fixant un ta-
rif uniforme de 20 centimes avec suppression de la
correspondance, bien entendu.
Maintenant que la plupart des voitures sont munies
d'une impériale où les femmes ont accès, voyez ce qui
se passe. L'hiver, peu de monde en haut, mais en re-
vanche dans la belle saison, il n'est pas rare de voir
l'impériale bondée et l'intérieur vide. En outre d'une
grande simplification, la suppression de la correspon-
dance permettrait de modifier, on en diminuant la lon-
gueur, certains itinéraires et de ne pas faire de détours
pour prendre le contact avec d'autres lignes.
Je ne sais si la réforme qui aurait pour effet d'éta-
blir un prix unique serait d'ores et déjà profitable
au point de vue des bénéfices; mais, à voir ceux
qu'on a obtenus par l'abaissement des tarifs postaux,
il est assez raisonnable de croire qu'il en serait de
même pour les omnibus, qui rendent tant de services
à la population parisienne. La compagnie trouverait
aussi sans doute un certain avantage à cette mesure
qui lui permettrait de restreindre son personnel de
contrôle, et aussi du même coup ses bureaux de cor-
respondance.
En revanche, sur certains points, elle pourrait éta-
blir des locaux plus hospitaliers que ceux qui existent
et où sa clientèle ne trouve même pas la possibilité de
séjourner assise, en attendant l'arrivée de la voiture.
Autre réforme à examiner et qui serait bien apprécia-
ble pour le public Ne pourrait-on vendre à l'avance,
dans les bureaux, des billets qui éviteraient pour ceux
qui en seraient pourvus le payement monnayé pen-
dant le trajet et l'échange de sous malpropres et de
pièces qui sont bien souvent. litigieuses?
Veuillez agréer, etc.
Nous avions pensé, comme notre honorable cor-
respondant, à proposer le tarif uniforme de 0,20 sur
l'impériale et à l'intérieur, avec, bien entendu, la
suppression de la correspondance. Et, d'ailleurs,
dans les négociations qui ont eu lieu déjà autour
de cette question, l'idéo a été émise et soutenue par
l'une des parties en présence. 11 est exact, en eflet,
que, suivant les saisons, ce sont tantôt les places
d'impériale et tantôt les places d'intérieur qui sont
les plus recherchées. Mais, en somme, il demeure,
malgré tout, une sorte de préjugé d'élégance et do
confort qui fait que les places de l'intérieur sont
moins « démocratiques » que l'impériale. Or, l'éga-
lité du prix des places, si elle est établie dans les
conditions dont parle notre correspondant, se tra-
duirait par une augmentation de 0,05 sur le prix des
places fréquentées par le populaire vous voyez
d'ici les ob,ections qui no manqueraient pas de sur-
gir et toutes les résistances que le projet rencon-
trerait. Nous les avons prévues et voilà pourquoi
nous n'avons pas proposé cette solution.
Il faut, en effet, aboutir, et le mieux est de ne
pas aller tout contre les obstacles qu'on peut aper-
'>.L.L~ âgnimmearlai~
laissa tomber la pâquerette qu'elle allait se
mettre au corsage et se dirigea d'un pas déli-
béré vers la cuisine, suivie de la Guide effarée.
La Malart, tout actionnée au milieu d'un tas
de linge sale, le triait rageusement avec -ses
doigts osseux, pareils aux pattes sèches d'une
énorme araignée.
Laissez cela, dit Miquette, vous vous êtes
assez fatiguée pour moi. Maintenant que les
forces reviennent, c'est mon tour. Je vous de-
mande pardon de n'y avoir pas songé plus tôt.
François, un peu saisi par cet ellet de sa sor-
tie, qu'il n'avait pas prévu si prompt, ne trouva
rien à dire. La mère Malart aidait pour la
forme. Miquette faisait la besogne. La Guide,
qui l'avait vue pâlir soudain, aurait payé pour la
faire; mais elle craignait, en écartant Miquette,
de lui attirer encore plus d'ennui, et elle restait
la, perplexe, puis, timidement, elle se mit à l'ai-
der.
La pauvre enfant venait de retomber de son
envolée vers le rêve dans la nauséabonde réa-
lité. Les paroles cruelles de Malart avaient tout
a coup figé le flot de sensations qu'elle sentait
depuis quelques jours sourdre des profondeurs
de son être et le dilater doucement.
Maintenant elle était là, dans l'ombre de la
cuisine, accroupie, le nez dans l'odeur fade de
tout ce linge remué, maniant les souillures,
n'osant plus lever les yeux vers cette baie ou-
verte, vers les parfums des fleurs, vers la ver-
dure, la splendeur de l'air bleu. Elle sentit
comme une contraction douloureuse de tout
ce qui tout à l'heure en elle semblait s'épa-
nouir.
Les odeurs avaient toujours été pour elle de
véritables ennemies. Même les parfums trop
forts, trop subtils la suffoquaient. Née en pleins
champs, entourée d'animaux de basse-cour,
soumise aux émanations del"étabJe,auxsenteurs
âcres du purin, à l'empoisonnement du fumier
des lapins, qu'elle était bien obligée de soigner,
jamais l'accoutumance n'avait détruit en elle
cette sensibilité maladive de l'odorat qu'elle te-
nait sans doute de la race. Jamais elle ne s'était
décidée, quand il s'agissait de nettoyer l'étable,
à retrousser bien haut ses manches et à manier
de ses doigts le fumier. Toutes ces besognes,
qu'elle s'arrangeait pourtant pour faire le moins
salement possible en se gardant.soigneusement
1er avril.
cevoir de loin. La vérité est que la Compagnie des
omnibus a un intérêt certain à la suppression des
correspondances et que le public a un intérêt non
moins certain à la diminution du prix des places.
Voxià les bases de l'aecord à établir. Tout le monde
connaît une façon de procéder très en usage sur
tous les parcours à peu près desservis par deux li-
gnes d'omnibus qui tantôt se rapprochent, se croi-
sent même, puis se séparent on quitte son quar-
tier en prenant la ligne A on paye sa place et l'on
demande une correspondance arrivé à destination,
on fait ses commissions et ses affaires pour le re-
tour, la correspondance dont on s'est muni ne serait
pas valable sur la ligne A qui l'a délivrée, mais
elle est valable sur la ligne B, qui dessert à peu
près le même trajet; on n'a que quelques pas à
faire pour rejoindre le bureau où les deux lignes
se raccordent; on prend un omnibus de la ligne B,
et l'on rentre dans son quartier gratis. Ce n'est pas
pour cela que la correspondance a été inventée. De
par cet abus, qui est commun et fréquent, la com-
pagnie doit subir un sérieux dommage. Pour l'évi-
ter, la compagnie n'a qu'un moyen efficace la sup-
pression de la correspondance. Et, pour que ce
moyen lui soit permis, il faut qu'elle donne une
compensation au public. Voilà, tout nettement, com-
ment la question se pose. Une entente est trop né-
cessaire pour qu'on n'aboutisse pas promptemont
dans la voie des concessions réciproques.
Nous avons tenu à laisser la parole à notre cor-
respondant pour les réformes de moindre impor-
tance qu'il propose. Nous les renvoyons à qui de
droit. Il nous serait difficile, à l'improviste, de don-
ner notre avis sur une question comme celle des
locaux qui servent de bureaux d'attente à chaque
station. Il est certain qu'il en est de très incommo-
des et d'à peu près inhabitables. Ce sont même gé-
néralement ceux des lignes les plus fréquentées. La
compagnie répondrait sans doute que ce n'est pas
une petite affaire de bouleverser le bail et l'aména-
gement de ses locaux des grands boulevards, par
exemple. Cela coûterait bon; et il n'est peut-être
pas très juste, ni très habile, de lui demander tous
les sacrifices à la fois.
Quant à la création de tickets qu'on pourrait ache-
ter à l'avance, ce qui dispenserait de l'horrible
échange d'une pièce de 1 ou de 2 francs contre une
masse de sous, elle nous semble excellente, à pre-
mière vue, et nous la recommandons à l'attention
de la compagnie.
4
FONCTIONNAIRES ET FONCTIONNARISME
Si nos fonctionnaires ont lu l'autre jour
le Figaro, ils ont dû être bien étonnés. M. Ph.
de Grandlieu leur a appris qu'ils constituent
« une caste à part dans l'Etat » que, « bien clos
dans leur fromage de Hollande, ils se moquent
de toutes les intempéries de l'impôt » qu'ils
possèdent de grasses sinécures « argentées en
bas, dorées en haut » bref, que ce scandale
doit prendre fin et que de bonnes retenues doi-
vent être infligées à ces parasites. La Républi-
que, ce régime du gaspillage et de l'impré-
voyance, comme on sait, a développé tant
qu'elle l'a pu le nombre des créatures à sa solde,
sans doute dans l'espoir de s'attacher, en
les corrompant par ses largesses, ces clients de
la décadence. De là, vraisemblablement, les
suffrages croissants qui sont venus à elle, cha-
que citoyen émargeant maintenant au budget,
ou bien ayant tout au moins l'espoir d'y tou-
cher un jour la forte somme. Plus de deux mil-
liards auraient été ainsi dilapidés depuis dix-
huit ans, et le très distingué rédacteur du Fi-
garo s'écrie mélancoliquement « Deux mil-
liards deux cents millions I Presque la moitié
de la rançon payée à l'Allemagne 1 »
Ce tableau ayant ému de sincères amis de
nos institutions républicaines, on ne jugera
peut-être pas inutile que nous cherchions ce qu'il
peut avoir d'exact. La récapitulation des sommes
allouées aux fonctionnaires de l'Etat n'est pas
chose aisée. C'est une statistique, soit dit en pas-
sant, que nous avons maintes fois réclamée,
ainsi que celle du personnel de nos diverses
administrations ces renseignements sont indis-
pensables, notamment pour le calcul des char-
ges auxquelles l'Etat doit s'attendre pour le
service des pensions. A défaut d'un tra-
vail d'ensemble que nous ne renonçons
nullement à obtenir, nous pouvons détermi-
ner, d'une façon suffisamment approxima-
tive, le montant dos sommes payées en traite-
ments aux fonctionnaires de J'Etat. Ces traite-
ments sont, en effet, passibles d'une retenue de
5 0/0 pour les pensions. Comme le produit de
cette retenue est d'environ 24 millions, on voit
que le total des traitements ne doit pas s'éloi-
gner beaucoup de 480 millions. En 1876, les re-
tenues correspondantes ne dépassaient pas, au
budget de l'Etat, 14 millions, somme qui cor-
respond à un ensemble de traitements de
280 millions. De 1876 à 1894, une augmentation
de 200 millions se serait donc produite.
Nous arrivons à un chiffre sensiblement plus
élevé que celui dont M. de Grandlieu s'est ins-
piré. Et l'on constate encore, par cette seule dif-
férence, combien une statistique officielle serait
désirable. L'accroissement dont il s'agit n'est
que trop explicable, d'ailleurs. D'une part, les
frais de régie ont dû croître, en raison de l'essor
même des recettes publiques. Il est commode,
certes, de critiquer les progrès de ce groupe de
dépenses; seulement, l'équilibre du budget en dé-
pend.«On oublie trop, écrivait à ce propos lerap-
porteur général du budgetau Sénat, que ces gran-
des régies constituent, suivant l'expression si
juste et si énergique d'un orateur du Conseil des
Cinq-Cents, des ateliers de finances dont il faut
encourager le personnel, comme le font dans les
de tout contact direct, avaient toujours été pour
elle un supplice.
Mais, soit que sa maladie eût, en l'anémiant
encore, contribué à affiner ses nerfs, soit que
l'ébranlement, lors de la scène du torrent, eût
laissé dans l'organisme délicat des traces per-
sistantes, elle n'avait encore jamais éprouvé
l'écœurement d'à présent. Il lui en montait des
nausées; une angoisse la prenait à la gorge; et
tout à coup, les tempes serrées, une sueur
froide au front, elle se sentit défaillir. La Guide
n'eut que le temps de la soutenir et de la faire
asseoir, toute secouée par la toux.
Eh bien ça va être du propre, dit Fran-
çois, si elle se met à jouer la comédie pour ne
pas travailler I
Ça nous promet du bonheur 1 repartit la
vieilie. r
Vous voyez qu'elle n'est pas encore forte,
la pauvre. Attendez au moins qu'elle soit guérie
pour lui faire des scènes.
La Guide n'avait .pas lâché le dernier mot
qu'elle sentit sa faute; elle avait versé, toujours
par bonne intention, de l'huile sur le feu. L'in-
dignation l'avait emportée.
Mais déjà François s'était retourné, l'œil flam-
bant
-Toi, la Guide, mêle-toi de tes affaires, en-
tends-tu Je trouve que voilà assez longtemps
que tu te mêles des miennes.
Je vous demande pardon, Malart, je ne
croyais pas mal parler. Je pensais à ce qu'avait
dit le docteur.
-Ton charlatan 1 C'est bon. Je l'ai supporté
quand elle était malade. Mais à présent qu'elle
est guérie, tu peux l'avertir que, s'il s'avisait de
remettre le pied ici, je le ferais retourner vers la
porte plus vite qu'il ne voudrait.
Voyons, François, disait sa mère, tais-toi.
Mais lui n'écoutait pas.
-Je n'en veux plus, criait-il, de charlatans,
ni de mouchards 1 Chacun chez soi, à chacun ses
affaires
Instinctivement, comme dans un danger on
s'accroche à l'objet sauveur, Miquette passa ses
bras autour de la Guide et de grosses larmes
silencieuses roulèrent le long de ses joues pâ-
lies.
Il ne manquait plus que ça, dit Malart tout
à fait hors de lui, voilà des scènes de tendresse, à
grandes industries ceux qui ont le souci de la
fécondité du travail. » Et M. Boulanger ajou-
tait, répondant par anticipation aux critiques
de M. de Grandlieu « Les fonctionnaires de
l'impôt ont besoin de se sentir vigoureusement
protégés pour exercer leur mandat, et peut-être
ne les a-t-on pas toujours suffisamment défen-
dus contre d'injustes attaques. »
En second lieu, il ne faut pas oublier que le
budget de l'Etat a, sur certains points, été tota-
lement transformé dans ces dernières années.
Par exemple, l'instruction primaire a été ratta-
chée à ce budget, et, de ce seul chef, une dé-
pense considérable est apparue, qui n'existait
pas en 1876. L'unification budgétaire, ce pro-
grès indéniable, a permis, en outre, de grouper
des charges qu'une comptabilité moins rigou-
reuse disséminait et voilait. Enfin, il est cer-
tain que la République a entrepris le relève-
ment des traitements des fonctionnaires, et.c'est
la une dernière cause d'aggravation; mais veut-
on savoir en quoi consistent ces sinécures ef-
froyables qui trahissent l'esprit de dilapidation
des administrations républicaines? Quelques
chiffres vont le montrer.
L'administration des finances comptait, na-
guère, 105,778 employés, tant à Paris que dans
les départements. Or, 250 à peine avaient des
traitements supérieurs à 10,000 francs. 3,000
touchaient de 5,000 à 10,000 francs. Tout le
reste du personnel n'a qu'un traitement infé-
rieur à 5,000 francs, et, pour la grande majo-
rité, l'allocation ne dépasse pas 3,000 francs.
Pour préciser, voici la répartition des traite-
ments dans les contributions indirectes: 15
agents ont plus de 10,000 francs, 380 ont de
5,000 à moins de 10,000, 1,000 de 3,000 à moins
de 5,000, 8,490 de 1,200 à moins de 3,000, 1,530
agents ont moins de 1,200 francs. Veut-on pren-
dre l'administration des douanes? 10 fonction-
naires seulement ont plus de 10,000 francs, 150
ont de 5,000 à moins de 10,000, 800 ont de 3,000
à moins de 5,000, 2,900 ont de 1,200 à moins de
3,000, 18,000 agents ont moins de 1,200 francs.
Voilà les « gros traitements » qui ont cours en
France. Voilà ces situations argentées ou do-
rées que la République a faites à ses fonction-
naires I
La vérité, la voici les fonctionnaires de l'Etat
ne sont en général pas payés, et, s'il ne s'atta-
chait au titre de « fonctionnaire » une sorte de
superstition, si l'espoir d'une retraite ne soute-
nait cette multitude, les services publics se-
raient vite désorganisés. La vérité aussi, c'est
que l'Etat devrait s'appliquer à restreindre le
nombre de ses agents afin de pouvoir, par cette
réduction même, améliorer les traitements. Les
fonctionnaires sont si médiocrement rétribués
qu'il est malaisé de leur demander un effort
productif analogue à celui que donneront les
employés de l'industrie libre. Le nombre des
petits fonctionnaires, voilà le principal obstacle
a des rehaussements que conseilleraient la di-
gnité et la sûreté même de l'Etat. Il n'y a pas
un chef de rayon de l'un quelconque des grands
magasins qui se contenterait des émoluments
attribués par l'Etat à des chefs de service sur
lesquels repose la rentrée régulière de l'impôt.
c'est-à-dire le crédit public.
Ce qu'il faut, c'est donc, d'une part, encoura-
ger les fonctionnaires, et, de l'autre, découra-
ger le fonctionnarisme. Il faut façonner l'esprit
du pays de telle sorte qu'on cesse de quémander
jusqu'aux situations les plus humbles et les
moins enviables de l'Etat, mais, en même temps,
de manière à faire regarder les positions admi-
nistratives comme des postes commerciaux dif-
ficiles, exigeant de réelles aptitudes et légiti-
mant, par la somme de travail fournie, une ré-
munération élevée. Ce n'est pas sur le traite-
ment des employés de l'Etat qu'il conviendrait
de mettre une dîme c'est sur leur quantité.
Une autre observation serait également, ce
nous semble, à formuler, si l'on ne veut pas
que le budget de l'Etat vienne à ployer sous un
fardeau trop lourd il faut que l'on apprenne à
diminuer le rôle et les attributions de l'Etat.
Bien loin que l'on doive tendre à la socialisa-
tion de tous les services, rêve de MM. Guesde,
Jaurès et consorts, on doit prendre à tâche de
demander à l'initiative privée, aux associations
indépendantes tout ce qu'elles peuvent donner.
Les traitements des fonctionnaires. actuels ne
sont rien auprès de ce qu'ils seraient dans un
budget collectiviste. A ce point de vue encore,
si nous voulons contenir dans de justes limites
ces dépenses spéciales, apprenons à stimuler
les énergies individuelles. Détournons du Dieu-
Etat les esprits.
le
LES FUNÉRAILLES DE KOSSUTH
[Dépêche de notre correspondant particulier)
Budapest, 2 avril, 8 heures.
Les funérailles de Kossuth ont été une véritable
apothéose. Le spectacle qui s'est déroulé hier dans
la capitale de la Hongrie a dépassé en grandeur
tout ce qu'on attendait. p g
Une foule innombrable venue do tous les points
do la Hongrie se pressait en silence dans les
rues, aux fenêtres, aux balcons, d'où pendaient
des tentures et dos drapeaux noirs. Il n'y avait pas
un seul magasin ouvert dans toute la ville.
La cérémonie funèbre a commencé à dix heures
au Musée national où la famille, les représentants
des deux Chambres, delà ville et de la presse ont
assisté au service religieux. C'est là que Maurice
Jokaï a prononcé l'éloge de Kossuth au nom do la
Chambre etqu'apiès lui le vice-bourgmestre Gerloczy
a parlé au nom de la municipalité. Entre temps,
des choeurs de chant se sont fait entendre.
Au milieu de l'émotion et des larmes de tous les
assistants, M. Gerloczy s'est écrié « La tombe de
présent Allons allons j'en ai assez Hors d'ici 1
Et, saisissant avec violence la Guide par le
bras, il la poussa rudement vers la porte.
Miquette était fiebout, frémissante. Dans ses
nerfs tendus se ramassait tout ce qui lui restait
d'énergie
-Je pars avec la Guide, dit-elle; moi aussi
j'en ai assez, à la fin.
François, à qui Miquette n'avait jamais ré-
pondu, fut stupéfait de tant d'audace.
Droite, blanche, le regard redevenu calme,
elle le regardait en face et paraissait attendre
de pied ferme les brutalités accoutumées.
Cette énormité, la résistance de Miquette, le
paralysa. Sa fureur se fondit en une grêle de
jurons et de mots orduriers vomis sur les deux
femmes. La Guide profita de la détente pour
embrasser Miquette et pour lui glisser dans l'o-
reille des encouragements
Patience, lui dit-elle. Ne lui réponds pas.
Tu viendras me voir. Nous trouverons quelque
chose.
Les jours suivants furent bien tristes pour
Miquette, pendant lesquels elle ne put voir la
Guide qu'à la dérobée, profitant des occasions
pour se glisser chez elle. Elles se donnaient des
rendez-vous à l'écart, derrière quelque vieux
mur, comme deux amoureux qui ont peur des
regards. La conversation, la vue de la Guide
étaient devenues pour Miquette un besoin.
C'est que, n'ayant jamais rencontré devant
elle qu'indifférence ou hostilité, la découverte de
la bonté l'avait surprise délicieusement. 11 y
avait donc autre chose dans le monde que ce
qu'elle y avait vu et senti jusqu'alors? Il y avait
donc des cœurs d'une autre espace que céuxdes
Malart et des Janou ? Au delà du cercle qui l'en-
serrait et la comprimait, n'était-ce point l'es-
pace immense et libre où il lui semblait qu'à
présent l'emportait l'espérance?
Ainsi, quand une déchirure profonde a fait
soudain jaillir une source dans l'aridité du dé-
sert, la terre avide boit l'eau fraîche, et de l'hu-
midité récente les germes sortent à. foison;
bientôt, de ce qui semblait mort la vie triom-
phante pullule. Telle, au contact de la bonté
d'autrui, cette âme, hiei si désolée, renaissait à
la vie. Elle sentait, dans l'amollissement de son
être, gonfler des germes inconnus Un courant
de sensations douces, de sentiments vagues I
Kossuth sera pour tous les Hongrois" un lieu d8
pèlerinage. »
La garde d'honneur des étudiants a transporté
ensuite le cercueil sur un char attelé de huit chevaux,
et des députés de tous les partis ont tenules cordona
du poêle.
Devant le char ont défilé de nombreuses déléga-
tions venues de tous les points du pays, beaucoup
en costume national, chantant des hymnes et des
marches qui rappelaient Ja période historique dont
Kossuth a été l'âme. Beaucoup de vétérans des
combats de 1848 étaient aussi présents, portant leurs
drapeaux déchirés. Le cercueil était encore précédé
d'une vingtaine de voitures sur lesquelles s'éta-
geaient plus de deux mille couronnes.
Derrière le char funèbre marchaient les deux fils
de Kossuth, chaleureusement acclamés au passage,
le beau-frère de Kossuth, Meszlenyi et sa femme,
son médecin Basso. La sœur de Kossuth, Mme
Rutkay, âgée de plus de quatre-vingts ans, malade
des émotions de ces derniers jours, n'avait pu venir,
Parmi les membres du Parlement, on remarquait
MM. Tisza, d'Apponyi, Helfy, Karolyi, Eœtvœs, etc.
Venaient ensuite la municipalité de Budapest, l'Aca-
démie des sciences, la chambre des avocats, celles
du commerce et de l'industrie, les délégués de la
commune de Monok, lieu natal de Kossuth, des dé-
putations de francs-maçons, etc. Au total, 20,000
personnes en habits de deuil ou en costume na.
tional.
La garde volontaire, composée d'étudiants et de
citoyens, et qui devait assurer le service d'ordre,
faisait la haie sur le passage du cortège. Aucun in-
cident ne s'est d'ailleurs produit ni devant les édi-
fices royaux, ni devant les bâtiments gouvernemen.
taux, qui n'avaient pas arboré d'insignes de deuil
Le plus grand calme et la plus grande dignité n'ont
cessé de régner.
Aucun ministre ni aucun fonctionnaire de l'Etat
n'a pris part à la cérémonie.
A deux heures de l'après-midi, le cortège funèbre
arrivait au cimetière, où des discours ont été pro-
noncés par les députés Justh et Herman au nom du
parti de l'indépendance, par les représentants des
honveds de 1848 et par les délégués des étudiants.
Des chœurs entonnent alors un chant funèbre, pen-
dant l'exécution duquel le cercueil de Kossuth est
descendu dans le caveau.
Il a été placé entre ceux de sa femme et de sa
fille ensevelis la veille. Des sacs de la terre natala
ont été jetés dans la fosse.
Alors une scène émouvante s'est produite. Tho-
mas Pechy saisit un drapeau de honved qu'il incline
trois fois sur la tombe et prononce quelques paroles
d'adieu. Franz Kossuth embrasse le drapeau, et
Louis-Théodore embrasse Pechy, tandis que les
vieux honveds viennent serrer les mains des fils de
Kossuth en les exhortant tous deux à ne plus quit-
ter la Hongrie.
A deux heures et demie, la cérémonie était ter-
minée.
Les fils de Kossuth ont été l'objet d'ovations en
rentrant à l'hôtel Hungaria où une foule de déléga-
tions leur ont présenté leurs condoléances. Tous
deux ont pris la parole pour remercier tous les par-
tis de s'être unis dans un commun amour do la pa-
trie pour honorer la mémoire do leur père.
On peut évaluer le nombre des assistants aux fu-
nérailles à un demi-million.
BULLETIN DE L'ÉTRANGER'
(dépêches HAVAS ET RENSEIGNEMENTS particulier»]
Alsace-Lorraine t':
Pour parer provisoirement aux résultats fâcheux
pour le parti de la suppression de la Volkszeitung de
Mulhouse, le comité socialiste d'Alsace-Lorraine fait
distribuer aux lecteurs de ce journal une petite
feuille socialiste badoise, qui s'édite à Offenbourg,
le Volkslreund. Ce n'est là toutefois qu'une solution
provisoire, car les abonnés par la poste à l'organe
supprimé ne peuvent pas recevoir le journal qui le
remplace. Les noms et les adresses de ces abonnés
sont en effet connus des seuls bureaux de poste
chargés de les desservir, ceux-ci recevant les jour-
naux par paquets pour les distribuer ensuite à do-
micile. D'après cette organisation, l'administration
du journal ne connait donc que le nombre de cette
catégorie d'abonnés, en quelque sorte anonymes.
Le parquet de Mulhouse renonce, parait-il, à pour-
suivre le rédacteur responsable de la Volkszeitung
pour l'article qui a motivé la suppression du journal
par voie administrative, en vertu des pouvoirs dic-
tatoriaux du sthatthalter.
Les travaux d'établissement de la ligne télépho»
nique de Strasbourg à Mulhouse vont commence!
prochainement, do façon qu'ils soient terminés
lorsque le ministre des postes de l'empire viendra
inaugurer le nouvel hôtel des postes do Mulhouse.
La ligne sera établie, parnît-il, à une certaine dis-
tance des fils télégraphiques .au moyen de poteaux
spéciaux; on la disposera, en outre, en prévisios
des nombreux raccordements qui viendront dans la
suite y relier les centres industriels des vallées des
Vosges, dans le Bas et le Haut-Rhin. Ce réseau se-
condaire ne tardera probablement pas à compléter
la grande ligne Strasbourg-Colmar-Mulhouse; car,
dès à présent, les intéressés des vallées en question
font circuler des pétitions et des engagements éven-
tuels d'abonnement qui se couvrent de signatures
et seront transmis à l'administration centrale des
postes, télégraphes et téléphones par l'intermédiaire
des chambres de commerce du rayon.
Ces pétitions demandent, en outre, que les con-
versations à longue distance ne payent plus de taxe
spéciale pour chacune d'elles, mais fassent l'objet
d'un abonnement à forfait, comme les communica.
tions urbaines, d'après le système en vigueur dans
la Westphalie.
Allemagne
Nous avons donné un compte rendu succinct des
principales manifestations de sympathie et de re.
connaissance dont M. do Bismarck a été l'objet à
l'occasion du 79° anniversaire de sa naissance. Par-
mi les ovations les plus significatives qui lui ont
été faites, il faut signaler encore celle qui avait été
organisée par des dames du grand-duché de Bade,
de la Hesse et du Palatinat. Ces dames, au nombre
de cent mille. avaient signé une adresse de félicita-
tions qui a été remise au prince par une députation
d'une vingtaine de ses admiratrices.
M. de Bism irck, en les remerciant, leur a dit que
leur démarche lui causait une satisfaction très
mais bienfaisants, la soutenait, la portait comme
vers une rive fleurie. Et, trouvant cela bon, elle
s'abandonnait.
Ce qu'il y avait de bien singulier, c'est qu'en
même temps et comme malgré elle s'adoucissait
sa rancune contre les Malart. Auparavant elle
leur en voulait beaucoup de leur injustice, de
leur méchanceté. La veille encore n'avait-elle
pas été sur le point de se révolter? Maintenant,
elle les méprisait.
II lui semblait par instants qu'elle se trouvait
soudain transportée sur une des cimes voisines
et que, de là, elle apercevait en bas les Malart,
les Janou, toutes les bêtes fauves qui avaient
été le long cauchemar de son enfance, rapetis-
ser, se fondre en tout petits points noirs comme
des fonrmis sous ses pieds, de menus êtres
malfaisants mais négligeables, impuissants
désormais contre son âme retrempée.
Et sa pensée s'envolait au delà, vers l'incon-
nu, vers la région où l'on devait trouver des
amitiés bonnes, un peu de cette tendresse que
le sort lui avait refusée jusque-là et dont la
chaude sympathie dé la Guide lui avait fait
pressentir la douceur.
Cette douceur, comme elle la savourait dans
ces moments de trêve où elle pouvait échapper
à ses écœurantes besognes et s'écarter un ins-
tant du toit de l'ennemi! Et pourtant, car
nous voulons toujours davantage, et ce qui, la
moment d'avant, nous eût paru un comble de
félicité, ne fait que nous mettre en goût pour un
désir plus haut, maintenant que c'était bien
acquis, que son être moral, appuyé sur la bonté
d'une amie, s'était vivifié, avait pris à ce con-
tact des forces inconnues, ce sentiment ne la
remplissait plus. Quelque chose de nouveau,
tout au fond d'elle-même, se levait et pointait.
Et voilà qu'entre la Guide et elle s'interposait,
sans que sa volonté l'eût évoquée, une image
bien différente, celle même de ce Miquel qui
gardait le troupeau de Malart dans la montagne.
Elle avait été élevée avec lui, sous le même
toit II n'était pas méchant jamais, dans leurs
jeux d'enfants, il ne l'avait brutalisée. L'accou-
tumance ne lui avait pas permis de remarquer
cela. Pourquoi cela. lui venait-il tout à coup à
présent ? ALBERT LAFARGUE.
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