Titre : Le Temps
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-01-28
Contributeur : Nefftzer, Auguste (1820-1876). Fondateur de la publication. Directeur de publication
Contributeur : Hébrard, Adrien (1833-1914). Directeur de publication
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Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 28 janvier 1894 28 janvier 1894
Description : 1894/01/28 (Numéro 11934). 1894/01/28 (Numéro 11934).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
Cns'aDonne aux Bureaux du Journal, 5, BOULEVARD DES ITALIENS, A PARIS, et àans tous les Bureaux de Posfc
DIMANCHE 2S JANVIEH 1894.
TRENTE-QUATRIEME ANNEE. W H084
PRIX DE L'ABONNEMENT
PARIS. Trois mois, 14 fr. Sis mois, 28 fr.; Ur. an, 56 fr.
DÊpu &'iLSACE-LORRAIHE IV fr.i 34 fr.; 68 fr.
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AUTRES PATS 23(r.| 4Sfr.; 92 te
LES ABONNEMENTS DATENT DES I" ET 16 DE CHAQUE MOIS
Un numéro (à Paris) 1!» centimes
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ie Journal ne répand pas des articles non imêréi
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Dm> & ALSAOE-LORRAINE 17 fr.; 34 fr.; 63 fr,
UNION POSTALE. 18fr.; 36fr.; 72 fr.
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LES ABONNEMENTS DATENT DES 1" ET 16 DE CHAQUE MOIS*
Un numéro (départements) 20 centimes
ANNONCES MM. LAGRANGE, CERF ET C, 8, place de la Bourse
Le Journal et les Régisseurs déclinent toute responsabilité quant à leur teneur
Adrtsst télégraphique TEMPS PARIS
PARIS, 27 JANVIER
BULLETIN DU JOUR
LE RETOUR A BERLIN
«Le roi mereverra 1 » avaitfièrement dit M. de
Bismarck le jour où une disgrâce imprévue le
renversait du pouvoir. Le roi ou plutôt l'empe-
reur l'a revu mais, bien loin que cette ren-
contre, comme le donnait à croire cette menace
et, plus qu'elle encore, l'attitude de l'ex-charice-
lier depuis trois ans, ait constitué une revanche
pour le sujet, c'est le souverain qui semble en
avoir recueilli tout le bénéfice.
Sans doute, l'homme d'Etat aigri par l'ingra-
titude apparente des cours et des foules a pu
s'enivrer hier des applaudissements populai-
res. Une journée comme celle-là, les ovations
enthousiastes des masses, les chants patrioti-
ques retentissant de toutes parts, les rues grouil-
lantes de foule, les maisons pavoisées, un prince
-du sang à la gare pour accueillir l'illustre reve-
vant, l'empereur s'excusant sur ses devoirs en-
vers un souverain, le roi de Saxe, de n'avoir pu
s'acquitter en personne de cette tâche et rac-
compagnant le soir son hôte jusqu'à la porte du
wagon, les accolades, les embrassements, tout
l'appareil des effusions réglées par le protocole
de l'intimité impériale bref, un traitement
comme jamais particulier n'en reçut ni de ses
concitoyens, ni de son prince en voilà plus
qu'il n'en faut pour chatouiller délicieusement
via vanité d'un vétéran.
• Il suffit de mettre en contraste cette entrée
triomphale avec le passage rapide et presque
'̃{ urtif de M. de Bismarck, courant d'une gare à
3'autre, avec interdiction aux admirateurs trop
Jzélés de manifester bruyamment, pour mesurer
-[toute la portée de la démarche accomplie par
Guillaume II. Les Berlinois ont compris que
cette fois-ci la consigne était, non pas de com-
primer les élans de leur cœur, mais de s'y aban-
donner.
On avait été jadis quelque peu scandalisé de
l'indifférence glaciale avec laquelle ce peuple
qui doit, après tout, le principal de sa moderne
grandeur à l'ex-chancelier avait assisté en mars
Ï890 à la chute imprévue de ce colosse. Hier ç'a
été, tout au contraire, une sorte de déchaîne-
ment de passion populaire. Et pourtant, pour
qui va un peu plus avant que les-premiers de-
hors, c'est toujours (la même chose Berlin agit
par ordre, Berlin, pour une capitale, est un
modèle de discipline Berlin s'est livré hier aux
effusions de sa gratitude comme il avait réfréné
il y a trois ans les émotions les plus naturelles,
>pur un signal parti d'en haut.
Non.pas, certes, que la popularité du prince
^Bismarck ne soit de bon aloi. Des services
comme ceux qu'il a rendus à son pays ne sau-
raient se mettte si vite en oubli. Le fond des
.sentiments dont les Berlinois ont donné des mar-
ques si démonstratives au prince Bismarck est
'parfaitement réel et solide, mais le fait qu'ils
ont pu si longtemps le recouvrir d'une appa-
rence d'indifférence et qu'ils ne l'ont révélé que
Bur ordre suffit à indiquer combien l'objet de
ces ovations ou ses amis auraient tort de
jcompter outre mesure sur cette faveur popu-
laire, surtout, si jamais l'occasion en reve-
pait, pour lutter contre l'autorité impériale.
A vrai dire, le triomphateur réel de la journée
fi'hier, si paradoxal qu'il puisse paraître de le
dire au son des applaudissements frénétiques
qui ont accueilli M. de Bismarck, ce n'est pas
telui-ci.c'estGuillaumell. L empereur a merveil-
leusement réglé la mise en scène d'une réconci-
liation dont il savait fort bien que la sensibilité
̃ allemande lui saurait un gré infini. Il a, pendant
trois ans, prouvé au prince Bismarck et au
monde qu'un homme frappé de sa disgrâce,
fût-il le fondateur de l'Empire, ne pouvait vivre
que dans la solitude et l'exil. Il vient de prouver,
tout à coup, de sa certaine science et plein pou-
voir, qu'un rayon de soleil de sa faveur suffit a
dissiper tous les nuages, même ceux qu'avait
limasses et épaissis l'irritation du ministre con-
gédié, à dégeler tous les cœurs et à restituer au
frondeur de la veille la popularité des plus
jbeauxjours de sa carrière.
Guillaume II vient de faire un coup de maître.
^Désormais, l'individualité de M. de Bismarck,
jen tant qu'il ne la mettra pas purement et sim-
plement au service de son magnanime prince,
est annulée. D'avance, l'ex-chancelier a tous les
torts d'une brouille éventuelle, puisque c'est
l'empereur qui, foulant aux pieds l'étiquette et
même une fausse dignité, a pris l'initiative et a
tait les frais d'une réconciliation.
Cette grande figure historique ne peut donc
plus devenir un danger; elle peutdevenirun pré-
cieux auxfliairepour la couronne. Guillaume II
"a constaté du même coup que la popularité de
Json ex-chancelier est immense, par conséquent
Abonne à exploiter et qu'elle dépend dans ses
manifestations de son libre vouloir par con-
jséquent sans péril.
Après que le héros du jour eut goûté les ac-
clamations de la rue, le souverain, à son tour,
monta à cheval et parcourut la capitale. Il sen-
tait bien que tout ce flot humain, que sa per-
imission avait déchaîné après que son quos ego
l'eut retenu trois ans, était en réalité à sa dispo-
sition et qu'il en était le maître.
V- Tout ce qui s'est passé hier constitue pour le
j>rince Bismarck une splendide mais un peu
aFEUIJLBL.ETORï OU ©ÊtttpS
L DU 28 JANVIER 1894 (86)
FIDÈLKA
XXII (Suite)
f La réponse d'Ardiane à Gavrile resta un mys-
tère, sauf pour le banquier de la comtesse.Celle
-qu'il fit à Mar'Ivanna fut un poème d'amour sur
1e bonheur de se revoir. Elle la lut, les yeux
.pleins de larmes heureuses, et ne dormit plus
que quelques heures par-ci par-là, dans l'at-
tente de sa prochaine félicité.
Souriette fit un excellent accueil à l'idée
d'aller vivre à Pétersbourg. Au fond, depuis la
mort de son oncle, elle avait un peu peur de
l'hôtel de Moscou, où elle croyait toujours sen-
tir une odeur de fleurs mourantes, de cierges
éteints et d'encens rance qui évoquait des
idées funéraires, mêlées peut-être d'une vague
terreur de revenants.
« Annette fut aussi contente de ce projet que
sa douleur le lui permettait. Elle avait obtenu
de sa mère, non sans des luttes au cours des-
quelles la comtesse avait dû intervenir, qu'elle
̃irait faire un stage chez un médecin renommé
qui dirigeait une maison de santé à Péters-
jbourg, avant de se consacrer définitivement à
sa vocation. Mais seule, si loin de ses amis et
.de sa famille, elle avait pressenti l'impression
'de la solitude.
l Annette n'était pas une mystique ni une mé-
lancolique de nature elle aimait de la vie tout
ce qui en est bon, et, si son veuvage anticipé lui
;Btait toute espérance d'avenir, elle n'entendait L
ïpas pour cela renoncer au présent, dans ce qu'il
avait de compatible avec ses préoccupations.
ï Regardez-moi dit-elle à la comtesse. Ai-je
*l'air d'une élégie ? Pas le moins du monde 1 Et
̃je n'en suis pas une non plus. Je me porte à
4 Reproduction et traduction interdites.
mélancolique répétition générale de ses funé-
railles il y a eu trop de fleurs pour qu'il se pût
agir d'autre chose que d'oraison funèbre. Pour
Guillaume II, au contraire, c'est la prise de
possession solennelle, non seulement de sa
propre autorité, mais encore de ces grands.sou-
venirs et de ces hautes mémoires qu'il eût été
si facile et si dangereux d'exploiter contre lui
et qui, une fois annexés au nouveau régime de-
viennent l'une de ses meilleures forces, de ses
défenses les plus sûres.
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps
Sofia, 27 janvier, 8 heures.
Le procès des frères Ivanof, accusés d'avoir pro-
jeté un attentat contre la personne du prince Ferdi-
nand de Bulgarie, a commencé hier devant un tri-
bunal militaire. Il durera plusieurs jours.
Dans la séance d'hier, les juges ont repoussé une
demande d'ajournement formulée par les défenseurs
comme contraire à la procédure militaire. Il a été
donné lecture ensuite do l'acte d'accusation dans
lequel le ministère public requiert la peine de mort
contre les accusés, après avoir exposé que les frères
Ivanof, d'accord avec les émigrés bulgares do Russie,
avaient ourdi une conspiration contre la vie du
prince.
Madrid, 27 janvier, 9 h. 40.
L'instruction de l'attentat contre le préfet de Bar-
celone est confiée au juge Domenech, déjà chargé
des précédentes affaires anarchistes.
Les autorités civiles et judiciaires ne sont pas en-
core arrivées à trouver les preuves des relations
des anarchistes avec Murull, qu'ils croient être un
vulgaire criminel, vu ses détestables antécédents.
Sans profession fixe et joueur, il a déjà tenté deux
fois do se tuer dans sa jeunesse.
L'instruction sera menée rapidement. Le jury
pourra seulement infliger à Murull les travaux for-
côs.
Les médecins déclarent que le préfet guérira dans
les vingt jours.
La gendarmerie d'Andalousie est parvenue;à ar-
rêter les auteurs des crimes d'Arcos et Benacoiz, et
une partie de la bando qui rôdait autour d'Algési-
ras. Les populations rurales de la province de Ca-
dix, toujours terrorisées, secondent peu les autori-
tés. Le chef des bandits a réussi à s'évader, en plein
jour, de la prison d'Arcos.
Rome, 27 janvier, 10 h. 10.
Les journaux commentent la décision du gouver-
nement italien de réunir à l'indemnité de la France
pour les victimes d'Aigues-Mortos le montant do la
souscription nationale, pour former un seul fonds
qui sera affecté à la fondation d'un institut de bien-
faisance pour les ouvriers, sans distinction de na-
tionalité.
Quelques journaux, même hostiles à M. Crispi,
approuvent cette idée et lui donnent une interpréta-
tion qui vaut la peine d'être signalée. Ils disent qu'il
faut pousser la souscription en cours de manière
que son total corresponde à la somme versée par
le gouvernement français. De cette façon, disent-ils,
nous montrerons que nous n'acceptons cette indem-
nité que pour uno œuvre de bienfaisance interna-
tionale et nous prouverons comment en Italie on
comprend les devoirs d'humanité.
(Service Bavas)
Berlin, 27 janvier.
Selon l'Avenir, revue hebdomadaire inspirée par M.
de Bismarck, une correspondance entre l'empereur et
le prince Bismarck a été échangée régulièrement
depuis l'envoi de la dépêche de Gûns.
Le professeur Schweninger envoyait à l'empereur
des rapports sur la santé du prince Bismarck.
Le Caire, 27 janvier.
Le khédive est arrivé au Caire. Il a été reçu à son ar-
rivée à la gare parles officiers d'état-major des armées
anglaise et égyptienne, par les ministres et les nota-
bilités du Caire, les gardes d'honneur anglaise et
égyptienne. Madrid, 27 janvier.
Madrid, 27 janvier.
*Un projectile chargé de poudre a fait explosion ce
matin sur la place San-Pelayo, à Leon.
Les vitres des maisons voisines ont volé on éclats,
mais personne n'a été blessé.
Une jeune fille a vu un individu, resté inconnu jus-
quici,placer le projectile et prendre la fuite.
Athènes, 27 janvier.
Les provenances de la Régence de Tunis entrent li-
brement sur le territoire grec.
Constantinople, 27 janvier.
Le consul général d'Autriche à Jérusalem a reçu
l'ordre de remettre ses services à un vice-consul de
l'ambassade envoyé pour les recevoir et de se rendre
sans retard à Vienne.
On considère cette disgrâce comme une conséquence
de l'évasion du sujet autrichien qui, après avoir tué des
religieux franciscains à Bethléem, a réussi à tromper
la surveillance des cawas chargés de le garder et à
prendre la fuite tandis qu'on le transportait en Au-
triche, où il devait être jugé.
ENQUÊTE SUR LA MARINE
La commission extraparlementaire de la ma-
rine a tenu, hier, sa première séance et tracé,
aussi étendu que possible, le cercle de ses in-
vestigations et de ses travaux. Elle ne s'est ar-
rêtée que devant le secret des plans de défense
qui sont dans les attributions et les compéten-
ces exclusives de l'état-major et dont la divul-
gation ne serait pas sans danger. Mais l'honora-
ble M. Brisson,en fait,a eu gain de cause. Il de-
mandait que l'enquête fût sincère, rigoureuse
et complète; elle ne doit pas seulement porter
sur quelques points incriminés, mais sur l'ad-
merveille, j'ai un appétit suffisant, le grand air
m'est nécessaire comme la lumière du jour. Je
veux bien mourir, si cela peut servir à quelque
chose; dans une épidémie ou une guerre que
Dieu nous en garde je remplirai mon devoir
sans regarder seulement autour de moi; mais
ce n'est pas une raison pour que j'use ma vie
et mes forces dans d'inutiles macérations ou
des lamentations tout aussi inutiles Je veux vi-
vre pour être utile et mourir quand il plaira à
Dieu Ce sera pour moi une joie infinie que de
vous voir à Pétersbourg, Mar'Ivanna, car il
n'y a pas une personne au monde qui me com-
prenne et me connaisse comme vous, et puis,
lui aussi, vous l'aimiez et vous le compreniez.
et il vous aimait. Savez-vous que Mysof a per-
muté ? Lui aussi va à Pétersbourg, c'est-à-dire
à Gatchina, aux cuirassiers de l'impératrice,
mais c'est tout comme, c'est si près.
Mysof avait permuté, c'était un fait. La com-
tesse, préoccupée de ses propres affaires, n'y
avait pas songé. Mais qu'importait une per-
sonne de plus ou de moins autour d'elle ? Elle
trouverait à Pétersboarg nombre d'anciennes
relations et ne comptait pas y vivre isolée. En
y réfléchissant, elle pensa même que ce serait
agréable d'avoir quelqu'un avec qui parler de
ses anciens amis, de Soudine surtout, dont la
mémoire, à travers le fidèle amour d'Annette,
lui devenait de plus en plus chère.
Un jour de janvier, par une tourmente de
neige qui remplissait les moindres interstices
de leur voiture, Mar'Ivanna, Annette et Sou-
riette firent leur entrée à Saint-Pétersbourg.
Après une nuit passée dans l'appartement de la
comtesse, Annette se rendit chez son docteur,
où elle revêtit immédiatement le tablier blanc
des infirmières.
Souriette trouvait tout délicieux et poussait
des cris de joie devant tous les meubles.
Que tu es donc enfant! lui disait Mar'-
Ivanna.
Hé tant mieux, ma tante! J'aurai tout le
temps d'être raisonnable. C'est ce que disait
toujours mon bon oncle. Vous en souvenez-
vous ?
La comtesse la laissa dire et faire avec un
sourire bienveillant. Cette petite souris ne la
gÔBait guère et lui servait de société habituelle,
tant il est vrai qu'une compagne silencieuse est
un bienfait des dieux.
Ce qui préoccupait Mar'Ivanna, c'était l'ins-
tallation d'une demeure pour Ardiane.
ministration tout entière, sur l'organisation des
services, sur les approvisionnements, sur le
matériel de combat, sans que les bureaux puis-
sent être fondés à refuser les renseignements
sous prétexte d'indiscrétions ou d'usurpation
de pouvoir. C'est ainsi que la commission a dé-
fini la tâche qui lui incombe et le gouvernement
s'est engagé à l'aider à la mener jusqu'au bout.
Il ne faut pas qu'on se le dissimule. Le mo-
ment est venu pour l'administration de la ma-
rine de s'expliquer devant le pays. Il y a quinze
ans qu'on l'interroge. Depuis lors, tous les rap-
porteurs du budget ont essayé d'en pénétrer les
mystères tous ont tour à tour répondu que ces
mystères étaient insondables. Cependant, des
erreurs, des fautes, des mécomptes de toute na-
ture venaient successivement au jour et inquié-
taient l'opinion publique. Les circulaires mômes
des derniers ministres de la marine accusaient
le désordre en essayant avec un bon vouloir
évident et courageux d'y apporter quelque re-
mède. Mais les ministres passent, les traditions
et les habitudes restent. Les interrogations des
députés, et l'on peut bien dire du pays qui ré-
fléchit et qui compte, devenaient de jour en jour
plus pressantes, et nous félicitons le gouverne-
ment d'avoir compris cet état et cette attente de
l'opinion et d'avoir pris l'initiative d'y faire, par
l'enquête d'une commission indépendante et
compétente, une réponse claire et décisive.
Il y a deux points sur lesquels il faut que la
lumière se fasse en dehors des plans techniques
de défense. Les contribuables veulent savoir
d'abord où va l'argent qu'ils donnent sans comp-
ter pour les dépenses de la marine. Or, pour les
convaincre qu'on ne gaspille pas les deniers de
l'Etat, il faut que l'emploi, d'une part, la comp-
tabilité, de l'autre, en soient réglés de façon si
précise et si claire qu'on puisse tout de suite
apercevoir les fissures par où les ressources
s'écoulent sans produire toujours l'effet utile
pour lequel on les avait votées. Mais, ce point
acquis, un autre plus difficile se présente.
Le grand défaut de notre administration de
la marine est que les responsabilités y sont
dispersées au point de devenir insaisissa-
bles. Voici, par hypothèse, un grand na-
vire qui a coûté des millions et qui ne mar-
che pas ou tient mal la mer. Sur qui fera-
t-on peser la responsabilité des erreurs commi-
ses, des oublis ou des malfaçons? L'organisa-
tion des services est telle qu'elle a pour effet la
désorganisation de la responsabilité. On a beau
constater des fautes, on est réduit à les regret-
ter sans pouvoir les punir, puisque la plupart
du temps on frapperait des innocents pour des
coupables. Il y aurait là, pour mettre l'adminis-
tration de la marine au niveau des exigences
des temps modernes, une œuvre énorme de ra-
jeunissement et de reconstitution. Et cepen-
dant, on peut craindre, si on ne l'entreprend
pas, que rien de très eflicace n'aboutisse. C'est
une tâche dont la difficulté et l'urgence de-
vraient tenter, nous semble-t-il, le patriotisme
d'un cabinet comme celui de l'honorable M.
Casimir-Perier.
La commission d'enquête nommée sous son
impulsion a donc raison de prendre au sérieux
la mission qui lui est départie. Elle ne saurait
déployer trop de zèle, de persévérance et d'é-
nergie. Il dépend d'elle, par une allure régulière
mais intrépide, d'inspirer de la confiance au
Parlement d'abord et à l'opinion ensuite. Ja-
mais personne ne sera mieux placé qu'elle pour
tout entendre, tout voir, tout juger et proposer,
soit au point de vue politique, soit au point de
vue administratif et financier, les réformes ur-
gentes que depuis douze ou quinze ans on ré-
clame. Nous ne pensons pas qu'il y ait, à
l'heure actuelle, œuvre plus urgente ni service
plus grand à rendre au gouvernement et au
pays.
a»
RÉFORMES ÉLECTORALES
M. Jules Guesde va déposer un certain nombre
de propositions de lois modifiant tout notre système
électoral. Tout serait remanié loi sur l'éligibilité,
loi sur les réunions, loi sur l'électorat. M. Jules
Guesde et son groupe veulent supprimer la loi sur
les candidatures multiples, et il n'est pas étonnant
de voir les collectivistes recueillir, dans cette reven-
dication, un legs du boulangismo. Il s'agirait égale-
ment de ne plus appliquer aux réunions électorales
la disposition qui veut que les réunions publiques
aient lieu « dans d'îs locaux clos et couverts » cela
reviendrait à autoriser l'organisation de meetings
bruyants sur les places, les promenades, les carre-
fours et dans les rues. On voit quelles conséquences
pourrait avoir une telle innovation dans notre pays,
avec notre tompêrament national et avec les odieuses
coutumes de violence que les amis de M. Guesde
ont introduites dans la pratique ordinaire des réu-
nions.
On ne peut avoir perdu le souvenir des excès
commis pendant la dernière période électorale. Tout
le monde, les radicaux avec plus d'énergie encore
que les modérés, dénonçait alors le pitoyable spec-
tacle offert par nos mœurs publiques; tout le monde
s'accordait à dire que le droit de réunion n'existait
plus, les collectivistes ayant remplacé la libre dis-
cussion des idées par l'injure, l'obstruction et le
pugilat. Au moins le citoyen paisible, qui n'est pas
candidat et qui n'est pas friand de saturnales gra-
tuites, pouvait-il jusqu'à présent s'abstenir de se
rendre à ces réunions. On finissait par se résigner
à laisser les réformateurs brevetés se dévorer en-
tre eux. Mais voilà que ces messieurs veulent dé-
Durant son deuil elle ne pourrait le recevoir
chez elle que très peu il fallait donc un logis
où elle pût se rendre sans trop de crainte d'être
rencontrée, car elle n'ignorait pas le péril où
elle engageait sa réputation, et, quoique le ma-
riage dût mettre fin aux propos malveillants
s'il s'en produisait, elle voulait autant que
possible éviter un blâme injuste et inutile.
Gavrile, mis en campagne, trouva sans de
trop longues recherches un rez-de-chaussée si-
tué presque en face de la maison habitée-par la
comtesse. Une entrée à part, sur la rue, donnait
une sécurité à peu près absolue aux visiteurs
l'arrangement intérieur fut dicté par elle, et très
bien compris par Gavrile qui mena rondement
les tapissiers. Au jour fixé pour l'arrivée d'Ar-
diane, pendant qu'une voiture allait le prendre
à la gare, elle fit une dernière visite dans ce nid
où tout respirait le bien-être le plus aristocra-
tique, uni à la simplicité nécessaire chez un
célibataire sans fortune personnelle.
Avec une joie de femme qui aime, elle arran-
gea sur la table les menus objets dont elle
s'était fait un plaisir de la parer; elle ouvrit
encore une fois les tiroirs, pleins de linge par-,
fumé; elle passa avec une caresse la main sur
l'oreiller du lit où Cyrille dormirait jusqu'au
jour de leur mariage, et puis s'enfuit, peureuse
d'être surprise là, se réservant d'y revenir,
mais seulement quand elle y serait appelée,
car elle craignait avant tout de paraître impor-
tune dans une demeure où tout lui appartenait.
Au moment de sortir, elle déposa sur le bureau
une mignonne clef de la serrure de sûreté qu'elle
y avait fait poser. L'autre était chez elle, dans
son secrétaire.
Le cœur battant d'angoisse et d'impatience,
aussi bien que d'une joie fébrile, elle attendit
dans son saion.
Les minutes lui semblaient interminables; à
chaque instant elle se penchait sur la petite
pendule de son bureau pour l'écouter marcher,
avec l'impression que le mouvement avait dû
s'arrêter. Non, la pendule allait bien, mais le
cœur de Mar'Ivanna la devançait de beaucoup.
Enfin le timbre de la porte résonna. Sou-
riette, jusque-là restée en compagnie de sa
tante, s'éclipsa comme elle avait été accoutumée
à le faire un pas retentit sur le parquet de la
grande salle. Qu'il était lent et posé, ce pas! 1
Cyrille aurait dû courir! Elle aurait couru elle-
même, si elle avait pu, mais ses «pieds trem-
gorger sur la voie publique, obliger le passant à
prendre une part involontaire à leurs ébats, con-
traindre chacun de nous à les contempler sans plai-
sir dans l'exercice de leurs fonctions, et nous mêler
à leurs bagarres. C'est une prétention dont le Par-
lement saura faire justice.
Une autre invention de M. Jules Guesde est celle
qui tend à « universaliser le suffrage universel »,
c'est-à-dire à « supprimer les conditions de rési-
dence » et à permettre l'exercice des droits électo-
raux aux « nomades du travail ». Par cet euphé-
misme « nomades du travail », il vous faut enten-
dre les vagabonds, chemineaux, routiers et autres
individus sans domicile qui sillonnentlaFrance d'un
bout à l'autre de l'année et qui, dit-on, composent
un effectif de cinq cent mille individus environ. M.
Jules Guesde est très préoccupé de donner à ces
gens-là le moyen d'exprimer leur avis sur les affai-
res publiques. Tous les électeurs sont bons à pren-
dre, en effet. Mais cette classe de « citoyens » hono-
raires s'inquiète beaucoup moins d'exercer ses
droits. Sauf un petit nombre d'exceptions, elle
se compose de paresseux qui, d'abord, se con-
tentent de solliciter l'aumône volontaire, mais
se résignent bientôt à user d'adresse et d'intimida-
tion pour persuader en leur faveur la charité rétive
du passant ou de l'habitant des campagnes isolées.
Une main s'ouvre, suppliante, tandis que l'autre se
ferme prête à frapper et que déjà le regard menace.
Allez en province, dans les villages, et demandez la
cause de ces incendies qui éclatent, on ne sait pour-
quoi, autour d'une habitation, autour d'une forme,
dans le hangar et dans la grange môme où, la
veille au soir, on avait, par charité, laissé dormir le
chemineau et vous verrez combien d'adhésions
vous recueillerez à la proposition de M. Jules
Guesde 1
Il y a, en France, des millions de citoyens qui
travaillent et qui peinent pour défendre leur place,
si minime soit-elle, et la place do leurs parents au
soleil de tous. De ceux-là, la loi qui les reconnaît
égaux entre eux, doit avoir un constant souci. Mais
quand elle établit, pour la régularité do son fonc-
tionnement, des règles aussi simples et aussi larges
que l'obligation de la résidence, doit-elle renoncer à
ces garanties élémentaires sous prétexte qu'un cer-
tain nombre d'individus ont secoué toute obligation
sociale, et, n'ayant rien, veulent vivre hors la loi
du travail de chaque jour? Ils font bon marché de
leurs droits d'hommes libres, afin de n'assumer au-
cun devoir; l'état do parasites sociaux leur plait.
C'est leur affaire. Ils no veulent pas s'astreindre au
moindre effort pour rentrer dans le pacte social
on voit aussi des citoyens négligents ne pas se faire
inscrire aux listes électorales. Et, pour en revenir
aux « clients » de M. Jules Guesde, nous dirons
qu'à leur égard, si l'humanité a le devoir de pitié, la
société (organisation politique) n'a aucun devoir
d'aucune sorte, si ce n'est un devoir do vigilance
et de préservation. Le résultat le meilleur de la pro-
position de M. Jules Guesde pourra être d'appeler
l'attention du législateur sur une question qui in-
téresse le bon ordre et la sécurité intérieure.
Quant à perdre le temps du pays à faciliter le
vote à ceux qui no voudraient pas se fixer seule-
ment un jour aux environs do l'urne, ce serait
peine inutile. Il n'y aurait rien de bon à at-
tendre de "cet effort naïf. On permettrait aux « no-
mades » do voter où ils voudraient quelle admira-
ble ressource pour les entrepreneurs de rastcls et
d'élections à tapage Le jour du scrutin serait une
journée de rare aubaine on les enrôlerait, les « no-
mades» on les verrait accourir dans une région
dont ils ignorent les intérêts, pour assurer un triom-
phe dont ils fuiront demain, sinon le soir même,
toutes los conséquences. La maximo « Pas de
droits sans devoirs» » n.'existerait pas pour eux, car
ils n'auraient garde de subir la loi qu'eux-mêmes
auraient faite. La bande s'abattrait un jour et pas-
serait. Ce serait uno armée mobilisable entre les
mains de tous les politiciens audacieux et sans scru-
pules et les agents électoraux, qui ont de l'imagi-
nation et la bourse bien garnie par le maître, ne so
feraient point faute de recourir, le moment venu,
aux bons services do ces bataillons volants.
ABUS DES'INTERPELLATIONS
On a souvent reproché aux anciennes Cham-
bres de perdre en questions et interpellations
un temps qui aurait pu être employé à des be-
sognes plus pratiques et plus fécondes. Il était
donc permis d'espérer que, sous ce rapport, la
législature nouvelle aurait à cœur de se distin-
guer de ses devancières. Explicable dans des
assemblées où les divisions de la majorité et
l'importance numérique de la minorité rendent
toujours possibles les coalitions et précaire
l'existence des cabinets, le système des inter-
pellations à jet continu ne semblait pas devoir
sévir dans une Chambre où la majorité, sûre
d'elle-même et toujours maîtresse de son ordre
du jour, serait résolue à suivre un ministère
représentant fidèlement ses idées et ses aspira-
tions ?
Mais, hélas! l'expérience de quelques se-
maines tend à prouver que, pour changer les
mœurs parlementaires, il ne suffit pas de chan-
ger les hommes. On a beau compter, au Palais-
Bourbon, environ deux cents députés nouveaux,
il faut croire qu'à peine entré chacun s'imprègne
del'atmosphèreambianteetsepénètredes vieilles
traditions. Car oncques ne se livra-t-on plus co-
pieusement à la manie coutumière. Suivant le
calcul d'un de nos confrères, la Chambre n'a
encore tenu, depuis sa convocation, que trente-
quatre séances, dont quatorze ont été employées
blaient et elle avait été obligée de s'asseoir.
Il apparut dans la porte. Gavrile, qui l'avait
accompagné jusque-là, s'éloigna rson pas dé-
crut, puis mourut, une porte au loin se re-
ferma. ils étaient seuls.
Mille fois Mar'Ivanna s'était représenté la
minute suprême du retour elle avait eu peur
de perdre connaissance, dans la joie absolue de
cet instant unique. A présent, elle se sentait
très calme, un peu faible seulement et inca-
pable de se mouvoir, et il était là, devant elle,
avec ses yeux noirs lumineux.
Il s'approcha et lui baisa la main, lentement,
avec une tendresse cérémonieuse. Elle avait en-
vie de l'attirer sur son cœur, de le serrer folle-
ment dans ses bras. Ce baiser, elle en avait
rêvé malgré elle, le craignant comme un péché,
le désirant comme une goutte d'eau dans le dé-
sert de sable. Ce fut un baise-main de prin-
cesse.
Mon cher Cyrillé, dit-elle, que je suis con-
tente de vous voir 1
La banalité des paroles était rachetée par l'ex-
pression de la voix, par le sourire prestigieux
mais à mesure qu'elle parlait un désappointe-
ment immense tombait sur elle, l'enveloppant
comme d'une toile épaisse où tous les mouve-
ments s'amortissaient, où les paroles se faisaient
sourdes et sans écho.
Il se taisait, la tenant sous le regard de ses
yeux noirs, mais ce qu'elle y lisait n'était pas
ce qu'elle avait rêvé d'y lire. Cyrille ne se fon-
dait pas en elle, comme elle avait espéré se
fondre en lui ils étaient non pas étrangers l'un
à l'autre, mais différents l'un de l'autre, et elle
avait tant cru qu'ils ne faisaient plus qu'un 1
Sommes-nous seuls ? dit-il enfin. C'était sa
première parole.
Au signe de tête qu'elle fit, il l'enveloppa de
ses bras, chercha les lèvres qui se refusaient à
peine; elle sentit qu'il l'avait reprise, qu'elle
l'aimait éperdument et qu'il la mènerait au
bout du monde par un fil de soie.
Elle se dégagea sur-le-champ, car elle était
fière et n'acceptait pas de paraître subjuguée.
Non, dit-elle, pas encore. Attendez. As-
seyez-vous là, et causons.
Il obéit et s'assit en face d'elle.
Pendant un quart d'heure, ils causèrent en
effet comme des amis longtemps privés du
plaisir de se voir; ils avaient à échanger tant
de questions et de réponses qu'ils pouvaient à
peine s'entendre. Tout en parlant, Cyrille s'était
soit à la vérification des pouvoirs, soit à la for-
mation du bureau. Or, dans les vingt séances
restantes, on a eu à examiner onze questions et
neuf interpellations, et l'une de ces dernières a
duré plusieurs jours. C'est donc tout au plus
trois ou quatre séances que les députés ont pu
consacrer au travail législatif proprement dit.
Aussi bien la série n'est pas épuisée. Nous
avons, outre l'interpellation de M. Clovis Hu-
gues, cinq autres interpellations en perspecti-
ve pour la semaine prochaine. Et la Chambre
vient de montrer que chaque fois elle entend
recevoir la bonne mesure. Elle n'admet ni
l'exécution sommaire par le renvoi à un mois,
ni des débats abrégés par une prompte clôture.
Il faut que pendant plusieurs heures le gouver-
nement reste sur la brèche, toujours prêt à
donner non seulement par l'organe des minis-
tres spéciaux, mais encore par celui de son
chef, sinon, gare à un vote de surprise, avec
toutes ses conséquences! 1
Mais, objectera-t-on, la Chambre laisse ques-
tionner et interpeller parce qu'elle n'a rien de
mieux à faire. N'a-t-on pas été obligé cette se-
maine de supprimer une séance, vu le vide
absolu de l'ordre du jour? Et si l'on n'a pas l'air
de travailler, fût-ce à une œuvre stérile, que
dira le pays?
Tout d'abord, est-on bien certain qu'en cher-
chant avec soin on ne découvrirait pas nombre
de propositions d'utilité générale ou locale plus
que mûres pour la discussion publique. On se
plaignait, à la fin de la dernière législature, de
voir frappés de caducité force projets de loi très
importants. Qui-empêche la Chambre actuelle
de les reprendre à son compte et même d'a-
dopter les rapports antérieurement préparés?
Et puis, en vérité, croit-on que le pays tienne
tant que cela à ce que la Chambre siège au
minimum quatre jours sur sept et qu'il lui en
voudrait beaucoup si, de temps à autre, elle
imitait le Sénat, lequel n'hésite pas, quand cela
lui semble nécessaire, à remplacer la séance
publique par le travail plus discret, mais non
moins utile des commissions? Qu'y aurait-il
d'étonnant à ce que. jusqu'au dépôt, du budget,
une Chambre nouvellement élue ne siégeât que
juste le temps nécessaire à la vérification des
pouvoirs de ses membres et à la constitution
du bureau? Estime-t-on que, s'ils le voulaient
bien, les députés ne pourraient pas occuper
très fruotueusement ces loisirs préliminaires
et que de leurs études individuelles ou collec-
tives il ne sortirait pas un grand bénéfice pour
les débats ultérieurs ? 9
Quoi qu'il en soit, on tourne pour le moment
dans un cercle vicieux. On interpelle en atten-
dant que le gouvernement apporte de la beso-
gne et cette besogne on le met dans l'im-
possibilité de l'apporter. Car, si, en de-
hors des heures prises par les audiences,
les ministres sont forcés, chaque après-midi, de
défendre leur politique à la tribune^de la Cham-
bre, comment arriveront-ils à élaborer et à
coordonner les projets qu'ils comptent déposer?
Et quant à la loi de finances, n'en rend-on pas
la préparation de' plus en plus malaisée, puis-
qu'on ne se lasse pas, entre temps, de réclamer
des dégrèvements sans le moindre souci d'un
équilibre pourtant indispensable?
Peut-être serait-il temps de comprendre que
le premier devoir d'une majorité de gouverne-
ment, c'est de seconder et non de paralyser la
tâche du gouvernement? Il ne s'agit pas, bien
entendu, de porter atteinte au droit d'interpella-
tion, mais de le régler et d'empêcher qu'une pe-
tite minorité turbulente ne pratique une sorte
d'obstruction qui aurait pour le pays et pour la
Chambre elle-même les plus funestes effets.
AFFAIRES COLONIALES
Dahomey j
Le Dahomey possède un nouveau roi c'est un
fils de Glé-Glé, un frère par conséquent de Behan-
zin, qui s'appelait Gouthili et qui, suivant l'usage
dahoméen, a pris un surnom. Behanzin ou Bedoa-
zin signifie le roi requin, le roi mangeur d'hommes.
Le nouveau souverain aftecte des mœurs plus hu-
manitaires, plus conformes à la situation que lui
font les événements -il portera le nom de Ago-
liagbo, qui, en langue dahoméenne, signifie, paraît-
t-il, « corps d'armée français tient Dahomey ».
Tacite n'eût jamais- rêvé une telle concision do
langage.
La dépêche du général Dodds que nous avons
publiée hier dans notre supplément, et qui donne
quelques renseignements sur l'intronisation du suc-
cesseur de Behanzin, signale l'enthousiasme de la
population d'Abomey et des environs lors de la pré-
sentation d'Agoliagbo, le 15 janvier. Cette satisfac-
tion sera partagée par ceux qui comparaient les
sacrifices en hommes et en argent motivés par les
affaires dahoméennes et les résultats assez restreints
que l'on avait obtenus. Nous devons dire, toutefois,
quo quelques personnes autorisées s'étonnent de
voir rétablir à Abomey même, soit à plus de 100 ki-
lomètres de la côte, dans une région d'accès diffi-
cile, le centre de l'autorité royale du Dahomey. Un
poste militaire assez important devrait être main-
tenu pour garder le résident qui doit contrôler l'ac-
tion politique du nouveau roi. L'entretien et la re-
lève de ce poste coûteront très cher-; n'aurait-il pas
été possible de placer, sinon à Whydah, tout au
moins à Allada, c'est-à-dire à portée de nos établis-
sements do la côte, le siège du nouveau gouverne-
rapproché et avait pris la main de Mar'Ivanna,
qu'il caressait doucement.
Elle le regarda, la parole mourut sur ses
lèvres au moment où elle allait lui répondre,
son visage se couvrit de pâleur et elle baissa la
tête.
Ce ne fut qu'un éclair elle retira sa main et
reprit possession d'elle-même, quoique un feu
subtil courût encore dans ses veines.
Ecoutez-moi, Cyrille, dit-elle nous ne
sommes pas des enfants, ni des comédiens.
Soyons francs avec nous-mêmes, pour l'amour
et l'honneur de nous-mêmes. Dites-moi la
vérité tout entière. M'aimez-vous autant que
lorsque nous nous sommes quittés ? Au nom
du Dieu vivant, je vous adjure 1
Elle tenait sa main levée dans une atti-
tude de commandement. Cyrille mentit, se
parjura et d'un air passionné répondit
Je vous aime Mar'Ivanna, mille fois da-
vantage.
Elle laissa tomber sa main, qu'il voulut re-
prendre, mais elle résista.
Non, dit-elle, ce qui sera sera, mais de
ma libre volonté et non d'une surprise ou d'une
erreur arrachée à ma faiblesse. Vous êtes prêt
à tout pour m'obtenir ? 2
Tout! dit effrontément Cyrille.
Eh bien. je serai à vous plus tard. Mais
rien ici. Rien dans la maison où j'abrite une
innocente jeune fille, car Souriette est ici, vous
le saviez? Non ? Elle est ici pour ne me quitter
que par son mariage.
Elle va être bien gênante fit Ardiane avec
humeur.
Elle ? Pourquoi ? Nous n'aurons rien à
cacher. Dites-moi, votre nid vous plaît-il?
Je crois bien Et j'avais oublié de vous en
remercier 1
Elle écarta de la main ce remerciement inu-
tile.
J'irai vous y voir. Rien ne sera plus simple.
Accompagnée par Gavrile je puis aller n'im-
porte où.
-Toujours ce désagréable personnage! fit
Ardiane. 0 e
-Je vous conseille de vous en plaindre, ré-
pondit-elle en riant. Sans lui, nous ne saurions
comment faire. Donc j'irai vous voir. C'est là
que nous causerons en toute confiance. Vos vi-
sites ici seront purement officielles. Mais il
faudra venir autrement que penserait-on ? 7
Avez-vous fini votre opéra ? î
ment? Le télégramme dit encore que le général
Dodds s'occupe de déterminer les bases des rap«
ports d'Agoliagbo avec le gouvernement français. Il
est bien difficile, dès lors, de juger la portée réelle da
ce qu'a fait le général Dodds qui, nous en sommes
convaincus, n'a dû, dans l'espéce, que so référer h
des instructions formelles que lui aura données 1a
gouvernement.
LE GROUPE COLONIAL
Le groupe de politique extérieure et coloniale de
la Chambre des députés s'est réuni hier, sous la pré<
sidence de M. Etienne, qui a donné connaissance des
premiers travaux de la commission d'Afrique.
M. Le Myre do Vilers a ensuite étudié la question
de l'organisation des territoires du haut Mékong.
Après lecture de correspondances de Luang-Pra-
bang, reçues et commentées par M. Deloncle, le
groupe a résolu d'appeler l'attention du gouverne-
ment sur la nécessité d'organiser les pays nouvelle-
ment annexés en « territoires du Laos », avec une
administration indépendante de celle de l'Annam.
On a entendu également notre collaborateur M.
Georges Villain, revenu récemment de Borlin, qui,
admis à la séance, a donné ses impressions sur le
mouvement colonial allemand et sur la politique qui
pourrait être suivie pour le règlement des affaires du
centre africain.
En dernier lieu, le groupe s'est occupé des inci-
dents du haut Niger, de la convention de Liberia,
de l'occupation de Tombouctou et du Dahomey.
Sur la proposition de M. Jourdan (Var), il a été
convenu que le Dahomey devait être rendu à l'ad-
ministration civile et à l'exploitation commerciale.
A la séance de vendredi prochain, M. Martineau,
ancien député, rendra compte de son récent voyagp
à Madagascar.
LE PRINCE BISMARCK CHEZ L'EDIPEREUR
'De notre correspondant particulier)
Berlin, 27 janvier, 8 h. 15.
Depuis l'entrée de M. de Bismarck au château
royal, des manifestations, des vivats et des chants
n'ont fait que se succéder dans la foule qui remplit
los plaoos devant la façado du ch&teau ot la place
des Musées.
Des milliers de personnes entonnent des chants
patriotiques Heil dir im Siegerkranz (Salut à toi
qui as le front ceint par la victoire 1), la Wacht am
llhcin (la Garde au Rhin) et Deutschland über allet
(l'Allemagne au dessus de tout).
L'empereur, l'impératrice, les princes de la fa-
mille impériale et le prince Bismarck se sont mon-
trés plusieurs fois à la fenêtre, remerciant et saluant
la foule.
Vers deux heures a été servi le déjeuner, plus in-
time encore qu'on no l'avait dit. Quatre convives
seulement l'empereur, l'impératrice, le prince
Henri et M. de Bismarck. Le roi de Saxe, arrivé
cependant le matin, n'y assistait pas, non plus que
le comte Herbert.
Après le repas, M. de Bismarck s'est retiré dans
les appartements qui lui étaient réservés, pour
prendre du repos. Guillaume II a profité do tee mo-
ment pour faire sa promenade habituelle à cheval.
Dès qu'il a paru, il a été accueilli par une ovation
plus forte encore que dans la matinée. Parmi les
cris adressés à l'empereur dominait celuide « MercK
merci 1 »
w Berlin, 27 janvier, 8 h. 40.
A trois heures, le roi de Saxe est venu voir l'an-
cien chancelier, dont il a été le partisan et lo défen-
seur auprès dé l'empereur au plus fort moment de
sa disgrâce. 1
M. de Caprivi ne s'est pas borné à remettre sa
carte. Il a rendu à son prédécesseur une visit per-
sonnelle et il est resté avec lui plus d'une demi-
heure.
Un peu plus tard, à quatre heures et demie, M. de
Bismarck est allé saluer l'impératrice Frédéric. La
réception a duré vingt minutes. Sur le chemin du
château royal au palais de la reine-mère et au re- `
tour la voiture du prince a été au pas à travers una
masse compacte de monde, qu'aucun service d'ordra
n'était capable de faire ranger et de maintenir en
haie.
A cinq heures et demie, le diner a été servi, cette
fois, dans i les appartements du prince Bismarck.
Pas d'autres convives que la famille impériale, la
roi de Saxe, le comte Herbert. En tout dix person-
nes. Au dessert, l'empereur a porté la santé de son
hôte et lui a annoncé qu'en souvenir de cette jour-
née il le nommait colonel du 7° régiment de cui-
rassiers.
Berlin, 27 janvier, 9 heures.
M. de Bismarck a quitté le château à sept heures-
dix avec l'empereur. La voiture était précédée et
suivie d'une escorte de cuirassiers qui l'a accompa-
gné cette fois à la gare. Elle a suivi les Tilleuls. La
foule a poussé sur tout lo parcours des vivats en-
thousiastes. Un grand nombre de maisons des
Tilleuls étaient illuminées.
Les officiers du quartier général et plusieurs gé-
néraux se trouvaient à la gare, par ordre do l'em-
pereur.
On a remarqué los prévenances de Guillaume II,
qui a aidé Bismarck à monter l'escalier du perron
de la gare et l'a embrassé à plusieurs reprises sui
les deux joues, pendant que la foule chantait des
hymnes patriotiques. Le comte Herbert a baisé la
main de l'empereur.
Après que le prince fut entré dans son wagon,
qui était rempli de fleurs, l'empereur est resté sur
quai et a continué do causer avec le prince qui, tête
nue, se penchait hors de la portière.
Le public entremêlait ses chants de vivats ou de
cris « Au revoir! » ou « Restez icil » ~)
Au moment où le train s'est mis en marche, à
A peu près, répondit Cyrille, qui cette fois
ne mentait pas.
On le jouera. On le jouera ce printemps,
je le veux, j'en viendrai à bout. Vous allez de-
venir un grand compositeur, comme Glinkaï 'j
Mais entendez-moi bien, Cyrille vous n'avez
pas oublié mon vœu ?
Certes non I répondit-il.
Mon vœu me défend jusqu'à la fin de mon
veuvage; je ne sais pas mentir, je dissimule très
mal, et puis c'est une humiliation, et je ne
veux pas être humiliée. Quand mon deuil sera
fini. alors, je serai libre.
Elle le regardait avec des yeux pleins de lu-
mière et de joie, sans rougeur et sans honte,
Cyrille vit bien qu'une pensée non exprimée se
cachait derrière ce regard limpide, mais il na
pouvait pas deviner et elle ne voulait pas en-
core lui dire que c'était une promesse de ma-
riage.
La fin de votre veuvage s'écria-t-il, mais
c'est l'avenir sans bornes, c'est le bout du
monde plus de dix-huit mois encore!
Elle affirma du regard et du geste, avec cette
joie intérieure qu'Ardiane ne pouvait pas com-
prendre.
Songez-y donc, reprit-elle, si j'étais votre
maîtresse, elle prononça ce mot avec un
mépris souverain, je ne pourrais plus rien
faire pour vous Vous seriez réduit à la vie
que vous meniez avant de venir en Russie.
Tandis que votre amie peut tout pour vous f
N'est-ce pas juré, cela ? 9
Sans doute, fit Ardiane avec un peu d'em-
barras, mais. ensuite ?.
Ensuite ? reprit-elle avec un beau rire
triomphant, vous serez célèbre 1 Et tout vous
viendra de soi-même, vous verrez Nous n'en
sommes pas là. Il faut nous arranger pour
vivre pendant dix-huit mois du mieux que
nous pourrons. Un peu de prudence sera néces-
saire, sans doute. J'ai des amis ici, pas beau-
coup de nouveaux, mon deuil m'obligeant à
la réclusion, mais peu à peu le cercle de mes
relations s'agrandira; il le faut pour vous, d'ail-
leurs. Mes amis deviendront les vôtres et alors
les chemins vous seront ouverts.
Elle rayonnait à la pensée de l'avenir qu'elle
lui préparait. HENRY Gréville.
(A suivre!.
DIMANCHE 2S JANVIEH 1894.
TRENTE-QUATRIEME ANNEE. W H084
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PARIS. Trois mois, 14 fr. Sis mois, 28 fr.; Ur. an, 56 fr.
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PARIS, 27 JANVIER
BULLETIN DU JOUR
LE RETOUR A BERLIN
«Le roi mereverra 1 » avaitfièrement dit M. de
Bismarck le jour où une disgrâce imprévue le
renversait du pouvoir. Le roi ou plutôt l'empe-
reur l'a revu mais, bien loin que cette ren-
contre, comme le donnait à croire cette menace
et, plus qu'elle encore, l'attitude de l'ex-charice-
lier depuis trois ans, ait constitué une revanche
pour le sujet, c'est le souverain qui semble en
avoir recueilli tout le bénéfice.
Sans doute, l'homme d'Etat aigri par l'ingra-
titude apparente des cours et des foules a pu
s'enivrer hier des applaudissements populai-
res. Une journée comme celle-là, les ovations
enthousiastes des masses, les chants patrioti-
ques retentissant de toutes parts, les rues grouil-
lantes de foule, les maisons pavoisées, un prince
-du sang à la gare pour accueillir l'illustre reve-
vant, l'empereur s'excusant sur ses devoirs en-
vers un souverain, le roi de Saxe, de n'avoir pu
s'acquitter en personne de cette tâche et rac-
compagnant le soir son hôte jusqu'à la porte du
wagon, les accolades, les embrassements, tout
l'appareil des effusions réglées par le protocole
de l'intimité impériale bref, un traitement
comme jamais particulier n'en reçut ni de ses
concitoyens, ni de son prince en voilà plus
qu'il n'en faut pour chatouiller délicieusement
via vanité d'un vétéran.
• Il suffit de mettre en contraste cette entrée
triomphale avec le passage rapide et presque
'̃{ urtif de M. de Bismarck, courant d'une gare à
3'autre, avec interdiction aux admirateurs trop
Jzélés de manifester bruyamment, pour mesurer
-[toute la portée de la démarche accomplie par
Guillaume II. Les Berlinois ont compris que
cette fois-ci la consigne était, non pas de com-
primer les élans de leur cœur, mais de s'y aban-
donner.
On avait été jadis quelque peu scandalisé de
l'indifférence glaciale avec laquelle ce peuple
qui doit, après tout, le principal de sa moderne
grandeur à l'ex-chancelier avait assisté en mars
Ï890 à la chute imprévue de ce colosse. Hier ç'a
été, tout au contraire, une sorte de déchaîne-
ment de passion populaire. Et pourtant, pour
qui va un peu plus avant que les-premiers de-
hors, c'est toujours (la même chose Berlin agit
par ordre, Berlin, pour une capitale, est un
modèle de discipline Berlin s'est livré hier aux
effusions de sa gratitude comme il avait réfréné
il y a trois ans les émotions les plus naturelles,
>pur un signal parti d'en haut.
Non.pas, certes, que la popularité du prince
^Bismarck ne soit de bon aloi. Des services
comme ceux qu'il a rendus à son pays ne sau-
raient se mettte si vite en oubli. Le fond des
.sentiments dont les Berlinois ont donné des mar-
ques si démonstratives au prince Bismarck est
'parfaitement réel et solide, mais le fait qu'ils
ont pu si longtemps le recouvrir d'une appa-
rence d'indifférence et qu'ils ne l'ont révélé que
Bur ordre suffit à indiquer combien l'objet de
ces ovations ou ses amis auraient tort de
jcompter outre mesure sur cette faveur popu-
laire, surtout, si jamais l'occasion en reve-
pait, pour lutter contre l'autorité impériale.
A vrai dire, le triomphateur réel de la journée
fi'hier, si paradoxal qu'il puisse paraître de le
dire au son des applaudissements frénétiques
qui ont accueilli M. de Bismarck, ce n'est pas
telui-ci.c'estGuillaumell. L empereur a merveil-
leusement réglé la mise en scène d'une réconci-
liation dont il savait fort bien que la sensibilité
̃ allemande lui saurait un gré infini. Il a, pendant
trois ans, prouvé au prince Bismarck et au
monde qu'un homme frappé de sa disgrâce,
fût-il le fondateur de l'Empire, ne pouvait vivre
que dans la solitude et l'exil. Il vient de prouver,
tout à coup, de sa certaine science et plein pou-
voir, qu'un rayon de soleil de sa faveur suffit a
dissiper tous les nuages, même ceux qu'avait
limasses et épaissis l'irritation du ministre con-
gédié, à dégeler tous les cœurs et à restituer au
frondeur de la veille la popularité des plus
jbeauxjours de sa carrière.
Guillaume II vient de faire un coup de maître.
^Désormais, l'individualité de M. de Bismarck,
jen tant qu'il ne la mettra pas purement et sim-
plement au service de son magnanime prince,
est annulée. D'avance, l'ex-chancelier a tous les
torts d'une brouille éventuelle, puisque c'est
l'empereur qui, foulant aux pieds l'étiquette et
même une fausse dignité, a pris l'initiative et a
tait les frais d'une réconciliation.
Cette grande figure historique ne peut donc
plus devenir un danger; elle peutdevenirun pré-
cieux auxfliairepour la couronne. Guillaume II
"a constaté du même coup que la popularité de
Json ex-chancelier est immense, par conséquent
Abonne à exploiter et qu'elle dépend dans ses
manifestations de son libre vouloir par con-
jséquent sans péril.
Après que le héros du jour eut goûté les ac-
clamations de la rue, le souverain, à son tour,
monta à cheval et parcourut la capitale. Il sen-
tait bien que tout ce flot humain, que sa per-
imission avait déchaîné après que son quos ego
l'eut retenu trois ans, était en réalité à sa dispo-
sition et qu'il en était le maître.
V- Tout ce qui s'est passé hier constitue pour le
j>rince Bismarck une splendide mais un peu
aFEUIJLBL.ETORï OU ©ÊtttpS
L DU 28 JANVIER 1894 (86)
FIDÈLKA
XXII (Suite)
f La réponse d'Ardiane à Gavrile resta un mys-
tère, sauf pour le banquier de la comtesse.Celle
-qu'il fit à Mar'Ivanna fut un poème d'amour sur
1e bonheur de se revoir. Elle la lut, les yeux
.pleins de larmes heureuses, et ne dormit plus
que quelques heures par-ci par-là, dans l'at-
tente de sa prochaine félicité.
Souriette fit un excellent accueil à l'idée
d'aller vivre à Pétersbourg. Au fond, depuis la
mort de son oncle, elle avait un peu peur de
l'hôtel de Moscou, où elle croyait toujours sen-
tir une odeur de fleurs mourantes, de cierges
éteints et d'encens rance qui évoquait des
idées funéraires, mêlées peut-être d'une vague
terreur de revenants.
« Annette fut aussi contente de ce projet que
sa douleur le lui permettait. Elle avait obtenu
de sa mère, non sans des luttes au cours des-
quelles la comtesse avait dû intervenir, qu'elle
̃irait faire un stage chez un médecin renommé
qui dirigeait une maison de santé à Péters-
jbourg, avant de se consacrer définitivement à
sa vocation. Mais seule, si loin de ses amis et
.de sa famille, elle avait pressenti l'impression
'de la solitude.
l Annette n'était pas une mystique ni une mé-
lancolique de nature elle aimait de la vie tout
ce qui en est bon, et, si son veuvage anticipé lui
;Btait toute espérance d'avenir, elle n'entendait L
ïpas pour cela renoncer au présent, dans ce qu'il
avait de compatible avec ses préoccupations.
ï Regardez-moi dit-elle à la comtesse. Ai-je
*l'air d'une élégie ? Pas le moins du monde 1 Et
̃je n'en suis pas une non plus. Je me porte à
4 Reproduction et traduction interdites.
mélancolique répétition générale de ses funé-
railles il y a eu trop de fleurs pour qu'il se pût
agir d'autre chose que d'oraison funèbre. Pour
Guillaume II, au contraire, c'est la prise de
possession solennelle, non seulement de sa
propre autorité, mais encore de ces grands.sou-
venirs et de ces hautes mémoires qu'il eût été
si facile et si dangereux d'exploiter contre lui
et qui, une fois annexés au nouveau régime de-
viennent l'une de ses meilleures forces, de ses
défenses les plus sûres.
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps
Sofia, 27 janvier, 8 heures.
Le procès des frères Ivanof, accusés d'avoir pro-
jeté un attentat contre la personne du prince Ferdi-
nand de Bulgarie, a commencé hier devant un tri-
bunal militaire. Il durera plusieurs jours.
Dans la séance d'hier, les juges ont repoussé une
demande d'ajournement formulée par les défenseurs
comme contraire à la procédure militaire. Il a été
donné lecture ensuite do l'acte d'accusation dans
lequel le ministère public requiert la peine de mort
contre les accusés, après avoir exposé que les frères
Ivanof, d'accord avec les émigrés bulgares do Russie,
avaient ourdi une conspiration contre la vie du
prince.
Madrid, 27 janvier, 9 h. 40.
L'instruction de l'attentat contre le préfet de Bar-
celone est confiée au juge Domenech, déjà chargé
des précédentes affaires anarchistes.
Les autorités civiles et judiciaires ne sont pas en-
core arrivées à trouver les preuves des relations
des anarchistes avec Murull, qu'ils croient être un
vulgaire criminel, vu ses détestables antécédents.
Sans profession fixe et joueur, il a déjà tenté deux
fois do se tuer dans sa jeunesse.
L'instruction sera menée rapidement. Le jury
pourra seulement infliger à Murull les travaux for-
côs.
Les médecins déclarent que le préfet guérira dans
les vingt jours.
La gendarmerie d'Andalousie est parvenue;à ar-
rêter les auteurs des crimes d'Arcos et Benacoiz, et
une partie de la bando qui rôdait autour d'Algési-
ras. Les populations rurales de la province de Ca-
dix, toujours terrorisées, secondent peu les autori-
tés. Le chef des bandits a réussi à s'évader, en plein
jour, de la prison d'Arcos.
Rome, 27 janvier, 10 h. 10.
Les journaux commentent la décision du gouver-
nement italien de réunir à l'indemnité de la France
pour les victimes d'Aigues-Mortos le montant do la
souscription nationale, pour former un seul fonds
qui sera affecté à la fondation d'un institut de bien-
faisance pour les ouvriers, sans distinction de na-
tionalité.
Quelques journaux, même hostiles à M. Crispi,
approuvent cette idée et lui donnent une interpréta-
tion qui vaut la peine d'être signalée. Ils disent qu'il
faut pousser la souscription en cours de manière
que son total corresponde à la somme versée par
le gouvernement français. De cette façon, disent-ils,
nous montrerons que nous n'acceptons cette indem-
nité que pour uno œuvre de bienfaisance interna-
tionale et nous prouverons comment en Italie on
comprend les devoirs d'humanité.
(Service Bavas)
Berlin, 27 janvier.
Selon l'Avenir, revue hebdomadaire inspirée par M.
de Bismarck, une correspondance entre l'empereur et
le prince Bismarck a été échangée régulièrement
depuis l'envoi de la dépêche de Gûns.
Le professeur Schweninger envoyait à l'empereur
des rapports sur la santé du prince Bismarck.
Le Caire, 27 janvier.
Le khédive est arrivé au Caire. Il a été reçu à son ar-
rivée à la gare parles officiers d'état-major des armées
anglaise et égyptienne, par les ministres et les nota-
bilités du Caire, les gardes d'honneur anglaise et
égyptienne. Madrid, 27 janvier.
Madrid, 27 janvier.
*Un projectile chargé de poudre a fait explosion ce
matin sur la place San-Pelayo, à Leon.
Les vitres des maisons voisines ont volé on éclats,
mais personne n'a été blessé.
Une jeune fille a vu un individu, resté inconnu jus-
quici,placer le projectile et prendre la fuite.
Athènes, 27 janvier.
Les provenances de la Régence de Tunis entrent li-
brement sur le territoire grec.
Constantinople, 27 janvier.
Le consul général d'Autriche à Jérusalem a reçu
l'ordre de remettre ses services à un vice-consul de
l'ambassade envoyé pour les recevoir et de se rendre
sans retard à Vienne.
On considère cette disgrâce comme une conséquence
de l'évasion du sujet autrichien qui, après avoir tué des
religieux franciscains à Bethléem, a réussi à tromper
la surveillance des cawas chargés de le garder et à
prendre la fuite tandis qu'on le transportait en Au-
triche, où il devait être jugé.
ENQUÊTE SUR LA MARINE
La commission extraparlementaire de la ma-
rine a tenu, hier, sa première séance et tracé,
aussi étendu que possible, le cercle de ses in-
vestigations et de ses travaux. Elle ne s'est ar-
rêtée que devant le secret des plans de défense
qui sont dans les attributions et les compéten-
ces exclusives de l'état-major et dont la divul-
gation ne serait pas sans danger. Mais l'honora-
ble M. Brisson,en fait,a eu gain de cause. Il de-
mandait que l'enquête fût sincère, rigoureuse
et complète; elle ne doit pas seulement porter
sur quelques points incriminés, mais sur l'ad-
merveille, j'ai un appétit suffisant, le grand air
m'est nécessaire comme la lumière du jour. Je
veux bien mourir, si cela peut servir à quelque
chose; dans une épidémie ou une guerre que
Dieu nous en garde je remplirai mon devoir
sans regarder seulement autour de moi; mais
ce n'est pas une raison pour que j'use ma vie
et mes forces dans d'inutiles macérations ou
des lamentations tout aussi inutiles Je veux vi-
vre pour être utile et mourir quand il plaira à
Dieu Ce sera pour moi une joie infinie que de
vous voir à Pétersbourg, Mar'Ivanna, car il
n'y a pas une personne au monde qui me com-
prenne et me connaisse comme vous, et puis,
lui aussi, vous l'aimiez et vous le compreniez.
et il vous aimait. Savez-vous que Mysof a per-
muté ? Lui aussi va à Pétersbourg, c'est-à-dire
à Gatchina, aux cuirassiers de l'impératrice,
mais c'est tout comme, c'est si près.
Mysof avait permuté, c'était un fait. La com-
tesse, préoccupée de ses propres affaires, n'y
avait pas songé. Mais qu'importait une per-
sonne de plus ou de moins autour d'elle ? Elle
trouverait à Pétersboarg nombre d'anciennes
relations et ne comptait pas y vivre isolée. En
y réfléchissant, elle pensa même que ce serait
agréable d'avoir quelqu'un avec qui parler de
ses anciens amis, de Soudine surtout, dont la
mémoire, à travers le fidèle amour d'Annette,
lui devenait de plus en plus chère.
Un jour de janvier, par une tourmente de
neige qui remplissait les moindres interstices
de leur voiture, Mar'Ivanna, Annette et Sou-
riette firent leur entrée à Saint-Pétersbourg.
Après une nuit passée dans l'appartement de la
comtesse, Annette se rendit chez son docteur,
où elle revêtit immédiatement le tablier blanc
des infirmières.
Souriette trouvait tout délicieux et poussait
des cris de joie devant tous les meubles.
Que tu es donc enfant! lui disait Mar'-
Ivanna.
Hé tant mieux, ma tante! J'aurai tout le
temps d'être raisonnable. C'est ce que disait
toujours mon bon oncle. Vous en souvenez-
vous ?
La comtesse la laissa dire et faire avec un
sourire bienveillant. Cette petite souris ne la
gÔBait guère et lui servait de société habituelle,
tant il est vrai qu'une compagne silencieuse est
un bienfait des dieux.
Ce qui préoccupait Mar'Ivanna, c'était l'ins-
tallation d'une demeure pour Ardiane.
ministration tout entière, sur l'organisation des
services, sur les approvisionnements, sur le
matériel de combat, sans que les bureaux puis-
sent être fondés à refuser les renseignements
sous prétexte d'indiscrétions ou d'usurpation
de pouvoir. C'est ainsi que la commission a dé-
fini la tâche qui lui incombe et le gouvernement
s'est engagé à l'aider à la mener jusqu'au bout.
Il ne faut pas qu'on se le dissimule. Le mo-
ment est venu pour l'administration de la ma-
rine de s'expliquer devant le pays. Il y a quinze
ans qu'on l'interroge. Depuis lors, tous les rap-
porteurs du budget ont essayé d'en pénétrer les
mystères tous ont tour à tour répondu que ces
mystères étaient insondables. Cependant, des
erreurs, des fautes, des mécomptes de toute na-
ture venaient successivement au jour et inquié-
taient l'opinion publique. Les circulaires mômes
des derniers ministres de la marine accusaient
le désordre en essayant avec un bon vouloir
évident et courageux d'y apporter quelque re-
mède. Mais les ministres passent, les traditions
et les habitudes restent. Les interrogations des
députés, et l'on peut bien dire du pays qui ré-
fléchit et qui compte, devenaient de jour en jour
plus pressantes, et nous félicitons le gouverne-
ment d'avoir compris cet état et cette attente de
l'opinion et d'avoir pris l'initiative d'y faire, par
l'enquête d'une commission indépendante et
compétente, une réponse claire et décisive.
Il y a deux points sur lesquels il faut que la
lumière se fasse en dehors des plans techniques
de défense. Les contribuables veulent savoir
d'abord où va l'argent qu'ils donnent sans comp-
ter pour les dépenses de la marine. Or, pour les
convaincre qu'on ne gaspille pas les deniers de
l'Etat, il faut que l'emploi, d'une part, la comp-
tabilité, de l'autre, en soient réglés de façon si
précise et si claire qu'on puisse tout de suite
apercevoir les fissures par où les ressources
s'écoulent sans produire toujours l'effet utile
pour lequel on les avait votées. Mais, ce point
acquis, un autre plus difficile se présente.
Le grand défaut de notre administration de
la marine est que les responsabilités y sont
dispersées au point de devenir insaisissa-
bles. Voici, par hypothèse, un grand na-
vire qui a coûté des millions et qui ne mar-
che pas ou tient mal la mer. Sur qui fera-
t-on peser la responsabilité des erreurs commi-
ses, des oublis ou des malfaçons? L'organisa-
tion des services est telle qu'elle a pour effet la
désorganisation de la responsabilité. On a beau
constater des fautes, on est réduit à les regret-
ter sans pouvoir les punir, puisque la plupart
du temps on frapperait des innocents pour des
coupables. Il y aurait là, pour mettre l'adminis-
tration de la marine au niveau des exigences
des temps modernes, une œuvre énorme de ra-
jeunissement et de reconstitution. Et cepen-
dant, on peut craindre, si on ne l'entreprend
pas, que rien de très eflicace n'aboutisse. C'est
une tâche dont la difficulté et l'urgence de-
vraient tenter, nous semble-t-il, le patriotisme
d'un cabinet comme celui de l'honorable M.
Casimir-Perier.
La commission d'enquête nommée sous son
impulsion a donc raison de prendre au sérieux
la mission qui lui est départie. Elle ne saurait
déployer trop de zèle, de persévérance et d'é-
nergie. Il dépend d'elle, par une allure régulière
mais intrépide, d'inspirer de la confiance au
Parlement d'abord et à l'opinion ensuite. Ja-
mais personne ne sera mieux placé qu'elle pour
tout entendre, tout voir, tout juger et proposer,
soit au point de vue politique, soit au point de
vue administratif et financier, les réformes ur-
gentes que depuis douze ou quinze ans on ré-
clame. Nous ne pensons pas qu'il y ait, à
l'heure actuelle, œuvre plus urgente ni service
plus grand à rendre au gouvernement et au
pays.
a»
RÉFORMES ÉLECTORALES
M. Jules Guesde va déposer un certain nombre
de propositions de lois modifiant tout notre système
électoral. Tout serait remanié loi sur l'éligibilité,
loi sur les réunions, loi sur l'électorat. M. Jules
Guesde et son groupe veulent supprimer la loi sur
les candidatures multiples, et il n'est pas étonnant
de voir les collectivistes recueillir, dans cette reven-
dication, un legs du boulangismo. Il s'agirait égale-
ment de ne plus appliquer aux réunions électorales
la disposition qui veut que les réunions publiques
aient lieu « dans d'îs locaux clos et couverts » cela
reviendrait à autoriser l'organisation de meetings
bruyants sur les places, les promenades, les carre-
fours et dans les rues. On voit quelles conséquences
pourrait avoir une telle innovation dans notre pays,
avec notre tompêrament national et avec les odieuses
coutumes de violence que les amis de M. Guesde
ont introduites dans la pratique ordinaire des réu-
nions.
On ne peut avoir perdu le souvenir des excès
commis pendant la dernière période électorale. Tout
le monde, les radicaux avec plus d'énergie encore
que les modérés, dénonçait alors le pitoyable spec-
tacle offert par nos mœurs publiques; tout le monde
s'accordait à dire que le droit de réunion n'existait
plus, les collectivistes ayant remplacé la libre dis-
cussion des idées par l'injure, l'obstruction et le
pugilat. Au moins le citoyen paisible, qui n'est pas
candidat et qui n'est pas friand de saturnales gra-
tuites, pouvait-il jusqu'à présent s'abstenir de se
rendre à ces réunions. On finissait par se résigner
à laisser les réformateurs brevetés se dévorer en-
tre eux. Mais voilà que ces messieurs veulent dé-
Durant son deuil elle ne pourrait le recevoir
chez elle que très peu il fallait donc un logis
où elle pût se rendre sans trop de crainte d'être
rencontrée, car elle n'ignorait pas le péril où
elle engageait sa réputation, et, quoique le ma-
riage dût mettre fin aux propos malveillants
s'il s'en produisait, elle voulait autant que
possible éviter un blâme injuste et inutile.
Gavrile, mis en campagne, trouva sans de
trop longues recherches un rez-de-chaussée si-
tué presque en face de la maison habitée-par la
comtesse. Une entrée à part, sur la rue, donnait
une sécurité à peu près absolue aux visiteurs
l'arrangement intérieur fut dicté par elle, et très
bien compris par Gavrile qui mena rondement
les tapissiers. Au jour fixé pour l'arrivée d'Ar-
diane, pendant qu'une voiture allait le prendre
à la gare, elle fit une dernière visite dans ce nid
où tout respirait le bien-être le plus aristocra-
tique, uni à la simplicité nécessaire chez un
célibataire sans fortune personnelle.
Avec une joie de femme qui aime, elle arran-
gea sur la table les menus objets dont elle
s'était fait un plaisir de la parer; elle ouvrit
encore une fois les tiroirs, pleins de linge par-,
fumé; elle passa avec une caresse la main sur
l'oreiller du lit où Cyrille dormirait jusqu'au
jour de leur mariage, et puis s'enfuit, peureuse
d'être surprise là, se réservant d'y revenir,
mais seulement quand elle y serait appelée,
car elle craignait avant tout de paraître impor-
tune dans une demeure où tout lui appartenait.
Au moment de sortir, elle déposa sur le bureau
une mignonne clef de la serrure de sûreté qu'elle
y avait fait poser. L'autre était chez elle, dans
son secrétaire.
Le cœur battant d'angoisse et d'impatience,
aussi bien que d'une joie fébrile, elle attendit
dans son saion.
Les minutes lui semblaient interminables; à
chaque instant elle se penchait sur la petite
pendule de son bureau pour l'écouter marcher,
avec l'impression que le mouvement avait dû
s'arrêter. Non, la pendule allait bien, mais le
cœur de Mar'Ivanna la devançait de beaucoup.
Enfin le timbre de la porte résonna. Sou-
riette, jusque-là restée en compagnie de sa
tante, s'éclipsa comme elle avait été accoutumée
à le faire un pas retentit sur le parquet de la
grande salle. Qu'il était lent et posé, ce pas! 1
Cyrille aurait dû courir! Elle aurait couru elle-
même, si elle avait pu, mais ses «pieds trem-
gorger sur la voie publique, obliger le passant à
prendre une part involontaire à leurs ébats, con-
traindre chacun de nous à les contempler sans plai-
sir dans l'exercice de leurs fonctions, et nous mêler
à leurs bagarres. C'est une prétention dont le Par-
lement saura faire justice.
Une autre invention de M. Jules Guesde est celle
qui tend à « universaliser le suffrage universel »,
c'est-à-dire à « supprimer les conditions de rési-
dence » et à permettre l'exercice des droits électo-
raux aux « nomades du travail ». Par cet euphé-
misme « nomades du travail », il vous faut enten-
dre les vagabonds, chemineaux, routiers et autres
individus sans domicile qui sillonnentlaFrance d'un
bout à l'autre de l'année et qui, dit-on, composent
un effectif de cinq cent mille individus environ. M.
Jules Guesde est très préoccupé de donner à ces
gens-là le moyen d'exprimer leur avis sur les affai-
res publiques. Tous les électeurs sont bons à pren-
dre, en effet. Mais cette classe de « citoyens » hono-
raires s'inquiète beaucoup moins d'exercer ses
droits. Sauf un petit nombre d'exceptions, elle
se compose de paresseux qui, d'abord, se con-
tentent de solliciter l'aumône volontaire, mais
se résignent bientôt à user d'adresse et d'intimida-
tion pour persuader en leur faveur la charité rétive
du passant ou de l'habitant des campagnes isolées.
Une main s'ouvre, suppliante, tandis que l'autre se
ferme prête à frapper et que déjà le regard menace.
Allez en province, dans les villages, et demandez la
cause de ces incendies qui éclatent, on ne sait pour-
quoi, autour d'une habitation, autour d'une forme,
dans le hangar et dans la grange môme où, la
veille au soir, on avait, par charité, laissé dormir le
chemineau et vous verrez combien d'adhésions
vous recueillerez à la proposition de M. Jules
Guesde 1
Il y a, en France, des millions de citoyens qui
travaillent et qui peinent pour défendre leur place,
si minime soit-elle, et la place do leurs parents au
soleil de tous. De ceux-là, la loi qui les reconnaît
égaux entre eux, doit avoir un constant souci. Mais
quand elle établit, pour la régularité do son fonc-
tionnement, des règles aussi simples et aussi larges
que l'obligation de la résidence, doit-elle renoncer à
ces garanties élémentaires sous prétexte qu'un cer-
tain nombre d'individus ont secoué toute obligation
sociale, et, n'ayant rien, veulent vivre hors la loi
du travail de chaque jour? Ils font bon marché de
leurs droits d'hommes libres, afin de n'assumer au-
cun devoir; l'état do parasites sociaux leur plait.
C'est leur affaire. Ils no veulent pas s'astreindre au
moindre effort pour rentrer dans le pacte social
on voit aussi des citoyens négligents ne pas se faire
inscrire aux listes électorales. Et, pour en revenir
aux « clients » de M. Jules Guesde, nous dirons
qu'à leur égard, si l'humanité a le devoir de pitié, la
société (organisation politique) n'a aucun devoir
d'aucune sorte, si ce n'est un devoir do vigilance
et de préservation. Le résultat le meilleur de la pro-
position de M. Jules Guesde pourra être d'appeler
l'attention du législateur sur une question qui in-
téresse le bon ordre et la sécurité intérieure.
Quant à perdre le temps du pays à faciliter le
vote à ceux qui no voudraient pas se fixer seule-
ment un jour aux environs do l'urne, ce serait
peine inutile. Il n'y aurait rien de bon à at-
tendre de "cet effort naïf. On permettrait aux « no-
mades » do voter où ils voudraient quelle admira-
ble ressource pour les entrepreneurs de rastcls et
d'élections à tapage Le jour du scrutin serait une
journée de rare aubaine on les enrôlerait, les « no-
mades» on les verrait accourir dans une région
dont ils ignorent les intérêts, pour assurer un triom-
phe dont ils fuiront demain, sinon le soir même,
toutes los conséquences. La maximo « Pas de
droits sans devoirs» » n.'existerait pas pour eux, car
ils n'auraient garde de subir la loi qu'eux-mêmes
auraient faite. La bande s'abattrait un jour et pas-
serait. Ce serait uno armée mobilisable entre les
mains de tous les politiciens audacieux et sans scru-
pules et les agents électoraux, qui ont de l'imagi-
nation et la bourse bien garnie par le maître, ne so
feraient point faute de recourir, le moment venu,
aux bons services do ces bataillons volants.
ABUS DES'INTERPELLATIONS
On a souvent reproché aux anciennes Cham-
bres de perdre en questions et interpellations
un temps qui aurait pu être employé à des be-
sognes plus pratiques et plus fécondes. Il était
donc permis d'espérer que, sous ce rapport, la
législature nouvelle aurait à cœur de se distin-
guer de ses devancières. Explicable dans des
assemblées où les divisions de la majorité et
l'importance numérique de la minorité rendent
toujours possibles les coalitions et précaire
l'existence des cabinets, le système des inter-
pellations à jet continu ne semblait pas devoir
sévir dans une Chambre où la majorité, sûre
d'elle-même et toujours maîtresse de son ordre
du jour, serait résolue à suivre un ministère
représentant fidèlement ses idées et ses aspira-
tions ?
Mais, hélas! l'expérience de quelques se-
maines tend à prouver que, pour changer les
mœurs parlementaires, il ne suffit pas de chan-
ger les hommes. On a beau compter, au Palais-
Bourbon, environ deux cents députés nouveaux,
il faut croire qu'à peine entré chacun s'imprègne
del'atmosphèreambianteetsepénètredes vieilles
traditions. Car oncques ne se livra-t-on plus co-
pieusement à la manie coutumière. Suivant le
calcul d'un de nos confrères, la Chambre n'a
encore tenu, depuis sa convocation, que trente-
quatre séances, dont quatorze ont été employées
blaient et elle avait été obligée de s'asseoir.
Il apparut dans la porte. Gavrile, qui l'avait
accompagné jusque-là, s'éloigna rson pas dé-
crut, puis mourut, une porte au loin se re-
ferma. ils étaient seuls.
Mille fois Mar'Ivanna s'était représenté la
minute suprême du retour elle avait eu peur
de perdre connaissance, dans la joie absolue de
cet instant unique. A présent, elle se sentait
très calme, un peu faible seulement et inca-
pable de se mouvoir, et il était là, devant elle,
avec ses yeux noirs lumineux.
Il s'approcha et lui baisa la main, lentement,
avec une tendresse cérémonieuse. Elle avait en-
vie de l'attirer sur son cœur, de le serrer folle-
ment dans ses bras. Ce baiser, elle en avait
rêvé malgré elle, le craignant comme un péché,
le désirant comme une goutte d'eau dans le dé-
sert de sable. Ce fut un baise-main de prin-
cesse.
Mon cher Cyrillé, dit-elle, que je suis con-
tente de vous voir 1
La banalité des paroles était rachetée par l'ex-
pression de la voix, par le sourire prestigieux
mais à mesure qu'elle parlait un désappointe-
ment immense tombait sur elle, l'enveloppant
comme d'une toile épaisse où tous les mouve-
ments s'amortissaient, où les paroles se faisaient
sourdes et sans écho.
Il se taisait, la tenant sous le regard de ses
yeux noirs, mais ce qu'elle y lisait n'était pas
ce qu'elle avait rêvé d'y lire. Cyrille ne se fon-
dait pas en elle, comme elle avait espéré se
fondre en lui ils étaient non pas étrangers l'un
à l'autre, mais différents l'un de l'autre, et elle
avait tant cru qu'ils ne faisaient plus qu'un 1
Sommes-nous seuls ? dit-il enfin. C'était sa
première parole.
Au signe de tête qu'elle fit, il l'enveloppa de
ses bras, chercha les lèvres qui se refusaient à
peine; elle sentit qu'il l'avait reprise, qu'elle
l'aimait éperdument et qu'il la mènerait au
bout du monde par un fil de soie.
Elle se dégagea sur-le-champ, car elle était
fière et n'acceptait pas de paraître subjuguée.
Non, dit-elle, pas encore. Attendez. As-
seyez-vous là, et causons.
Il obéit et s'assit en face d'elle.
Pendant un quart d'heure, ils causèrent en
effet comme des amis longtemps privés du
plaisir de se voir; ils avaient à échanger tant
de questions et de réponses qu'ils pouvaient à
peine s'entendre. Tout en parlant, Cyrille s'était
soit à la vérification des pouvoirs, soit à la for-
mation du bureau. Or, dans les vingt séances
restantes, on a eu à examiner onze questions et
neuf interpellations, et l'une de ces dernières a
duré plusieurs jours. C'est donc tout au plus
trois ou quatre séances que les députés ont pu
consacrer au travail législatif proprement dit.
Aussi bien la série n'est pas épuisée. Nous
avons, outre l'interpellation de M. Clovis Hu-
gues, cinq autres interpellations en perspecti-
ve pour la semaine prochaine. Et la Chambre
vient de montrer que chaque fois elle entend
recevoir la bonne mesure. Elle n'admet ni
l'exécution sommaire par le renvoi à un mois,
ni des débats abrégés par une prompte clôture.
Il faut que pendant plusieurs heures le gouver-
nement reste sur la brèche, toujours prêt à
donner non seulement par l'organe des minis-
tres spéciaux, mais encore par celui de son
chef, sinon, gare à un vote de surprise, avec
toutes ses conséquences! 1
Mais, objectera-t-on, la Chambre laisse ques-
tionner et interpeller parce qu'elle n'a rien de
mieux à faire. N'a-t-on pas été obligé cette se-
maine de supprimer une séance, vu le vide
absolu de l'ordre du jour? Et si l'on n'a pas l'air
de travailler, fût-ce à une œuvre stérile, que
dira le pays?
Tout d'abord, est-on bien certain qu'en cher-
chant avec soin on ne découvrirait pas nombre
de propositions d'utilité générale ou locale plus
que mûres pour la discussion publique. On se
plaignait, à la fin de la dernière législature, de
voir frappés de caducité force projets de loi très
importants. Qui-empêche la Chambre actuelle
de les reprendre à son compte et même d'a-
dopter les rapports antérieurement préparés?
Et puis, en vérité, croit-on que le pays tienne
tant que cela à ce que la Chambre siège au
minimum quatre jours sur sept et qu'il lui en
voudrait beaucoup si, de temps à autre, elle
imitait le Sénat, lequel n'hésite pas, quand cela
lui semble nécessaire, à remplacer la séance
publique par le travail plus discret, mais non
moins utile des commissions? Qu'y aurait-il
d'étonnant à ce que. jusqu'au dépôt, du budget,
une Chambre nouvellement élue ne siégeât que
juste le temps nécessaire à la vérification des
pouvoirs de ses membres et à la constitution
du bureau? Estime-t-on que, s'ils le voulaient
bien, les députés ne pourraient pas occuper
très fruotueusement ces loisirs préliminaires
et que de leurs études individuelles ou collec-
tives il ne sortirait pas un grand bénéfice pour
les débats ultérieurs ? 9
Quoi qu'il en soit, on tourne pour le moment
dans un cercle vicieux. On interpelle en atten-
dant que le gouvernement apporte de la beso-
gne et cette besogne on le met dans l'im-
possibilité de l'apporter. Car, si, en de-
hors des heures prises par les audiences,
les ministres sont forcés, chaque après-midi, de
défendre leur politique à la tribune^de la Cham-
bre, comment arriveront-ils à élaborer et à
coordonner les projets qu'ils comptent déposer?
Et quant à la loi de finances, n'en rend-on pas
la préparation de' plus en plus malaisée, puis-
qu'on ne se lasse pas, entre temps, de réclamer
des dégrèvements sans le moindre souci d'un
équilibre pourtant indispensable?
Peut-être serait-il temps de comprendre que
le premier devoir d'une majorité de gouverne-
ment, c'est de seconder et non de paralyser la
tâche du gouvernement? Il ne s'agit pas, bien
entendu, de porter atteinte au droit d'interpella-
tion, mais de le régler et d'empêcher qu'une pe-
tite minorité turbulente ne pratique une sorte
d'obstruction qui aurait pour le pays et pour la
Chambre elle-même les plus funestes effets.
AFFAIRES COLONIALES
Dahomey j
Le Dahomey possède un nouveau roi c'est un
fils de Glé-Glé, un frère par conséquent de Behan-
zin, qui s'appelait Gouthili et qui, suivant l'usage
dahoméen, a pris un surnom. Behanzin ou Bedoa-
zin signifie le roi requin, le roi mangeur d'hommes.
Le nouveau souverain aftecte des mœurs plus hu-
manitaires, plus conformes à la situation que lui
font les événements -il portera le nom de Ago-
liagbo, qui, en langue dahoméenne, signifie, paraît-
t-il, « corps d'armée français tient Dahomey ».
Tacite n'eût jamais- rêvé une telle concision do
langage.
La dépêche du général Dodds que nous avons
publiée hier dans notre supplément, et qui donne
quelques renseignements sur l'intronisation du suc-
cesseur de Behanzin, signale l'enthousiasme de la
population d'Abomey et des environs lors de la pré-
sentation d'Agoliagbo, le 15 janvier. Cette satisfac-
tion sera partagée par ceux qui comparaient les
sacrifices en hommes et en argent motivés par les
affaires dahoméennes et les résultats assez restreints
que l'on avait obtenus. Nous devons dire, toutefois,
quo quelques personnes autorisées s'étonnent de
voir rétablir à Abomey même, soit à plus de 100 ki-
lomètres de la côte, dans une région d'accès diffi-
cile, le centre de l'autorité royale du Dahomey. Un
poste militaire assez important devrait être main-
tenu pour garder le résident qui doit contrôler l'ac-
tion politique du nouveau roi. L'entretien et la re-
lève de ce poste coûteront très cher-; n'aurait-il pas
été possible de placer, sinon à Whydah, tout au
moins à Allada, c'est-à-dire à portée de nos établis-
sements do la côte, le siège du nouveau gouverne-
rapproché et avait pris la main de Mar'Ivanna,
qu'il caressait doucement.
Elle le regarda, la parole mourut sur ses
lèvres au moment où elle allait lui répondre,
son visage se couvrit de pâleur et elle baissa la
tête.
Ce ne fut qu'un éclair elle retira sa main et
reprit possession d'elle-même, quoique un feu
subtil courût encore dans ses veines.
Ecoutez-moi, Cyrille, dit-elle nous ne
sommes pas des enfants, ni des comédiens.
Soyons francs avec nous-mêmes, pour l'amour
et l'honneur de nous-mêmes. Dites-moi la
vérité tout entière. M'aimez-vous autant que
lorsque nous nous sommes quittés ? Au nom
du Dieu vivant, je vous adjure 1
Elle tenait sa main levée dans une atti-
tude de commandement. Cyrille mentit, se
parjura et d'un air passionné répondit
Je vous aime Mar'Ivanna, mille fois da-
vantage.
Elle laissa tomber sa main, qu'il voulut re-
prendre, mais elle résista.
Non, dit-elle, ce qui sera sera, mais de
ma libre volonté et non d'une surprise ou d'une
erreur arrachée à ma faiblesse. Vous êtes prêt
à tout pour m'obtenir ? 2
Tout! dit effrontément Cyrille.
Eh bien. je serai à vous plus tard. Mais
rien ici. Rien dans la maison où j'abrite une
innocente jeune fille, car Souriette est ici, vous
le saviez? Non ? Elle est ici pour ne me quitter
que par son mariage.
Elle va être bien gênante fit Ardiane avec
humeur.
Elle ? Pourquoi ? Nous n'aurons rien à
cacher. Dites-moi, votre nid vous plaît-il?
Je crois bien Et j'avais oublié de vous en
remercier 1
Elle écarta de la main ce remerciement inu-
tile.
J'irai vous y voir. Rien ne sera plus simple.
Accompagnée par Gavrile je puis aller n'im-
porte où.
-Toujours ce désagréable personnage! fit
Ardiane. 0 e
-Je vous conseille de vous en plaindre, ré-
pondit-elle en riant. Sans lui, nous ne saurions
comment faire. Donc j'irai vous voir. C'est là
que nous causerons en toute confiance. Vos vi-
sites ici seront purement officielles. Mais il
faudra venir autrement que penserait-on ? 7
Avez-vous fini votre opéra ? î
ment? Le télégramme dit encore que le général
Dodds s'occupe de déterminer les bases des rap«
ports d'Agoliagbo avec le gouvernement français. Il
est bien difficile, dès lors, de juger la portée réelle da
ce qu'a fait le général Dodds qui, nous en sommes
convaincus, n'a dû, dans l'espéce, que so référer h
des instructions formelles que lui aura données 1a
gouvernement.
LE GROUPE COLONIAL
Le groupe de politique extérieure et coloniale de
la Chambre des députés s'est réuni hier, sous la pré<
sidence de M. Etienne, qui a donné connaissance des
premiers travaux de la commission d'Afrique.
M. Le Myre do Vilers a ensuite étudié la question
de l'organisation des territoires du haut Mékong.
Après lecture de correspondances de Luang-Pra-
bang, reçues et commentées par M. Deloncle, le
groupe a résolu d'appeler l'attention du gouverne-
ment sur la nécessité d'organiser les pays nouvelle-
ment annexés en « territoires du Laos », avec une
administration indépendante de celle de l'Annam.
On a entendu également notre collaborateur M.
Georges Villain, revenu récemment de Borlin, qui,
admis à la séance, a donné ses impressions sur le
mouvement colonial allemand et sur la politique qui
pourrait être suivie pour le règlement des affaires du
centre africain.
En dernier lieu, le groupe s'est occupé des inci-
dents du haut Niger, de la convention de Liberia,
de l'occupation de Tombouctou et du Dahomey.
Sur la proposition de M. Jourdan (Var), il a été
convenu que le Dahomey devait être rendu à l'ad-
ministration civile et à l'exploitation commerciale.
A la séance de vendredi prochain, M. Martineau,
ancien député, rendra compte de son récent voyagp
à Madagascar.
LE PRINCE BISMARCK CHEZ L'EDIPEREUR
'De notre correspondant particulier)
Berlin, 27 janvier, 8 h. 15.
Depuis l'entrée de M. de Bismarck au château
royal, des manifestations, des vivats et des chants
n'ont fait que se succéder dans la foule qui remplit
los plaoos devant la façado du ch&teau ot la place
des Musées.
Des milliers de personnes entonnent des chants
patriotiques Heil dir im Siegerkranz (Salut à toi
qui as le front ceint par la victoire 1), la Wacht am
llhcin (la Garde au Rhin) et Deutschland über allet
(l'Allemagne au dessus de tout).
L'empereur, l'impératrice, les princes de la fa-
mille impériale et le prince Bismarck se sont mon-
trés plusieurs fois à la fenêtre, remerciant et saluant
la foule.
Vers deux heures a été servi le déjeuner, plus in-
time encore qu'on no l'avait dit. Quatre convives
seulement l'empereur, l'impératrice, le prince
Henri et M. de Bismarck. Le roi de Saxe, arrivé
cependant le matin, n'y assistait pas, non plus que
le comte Herbert.
Après le repas, M. de Bismarck s'est retiré dans
les appartements qui lui étaient réservés, pour
prendre du repos. Guillaume II a profité do tee mo-
ment pour faire sa promenade habituelle à cheval.
Dès qu'il a paru, il a été accueilli par une ovation
plus forte encore que dans la matinée. Parmi les
cris adressés à l'empereur dominait celuide « MercK
merci 1 »
w Berlin, 27 janvier, 8 h. 40.
A trois heures, le roi de Saxe est venu voir l'an-
cien chancelier, dont il a été le partisan et lo défen-
seur auprès dé l'empereur au plus fort moment de
sa disgrâce. 1
M. de Caprivi ne s'est pas borné à remettre sa
carte. Il a rendu à son prédécesseur une visit per-
sonnelle et il est resté avec lui plus d'une demi-
heure.
Un peu plus tard, à quatre heures et demie, M. de
Bismarck est allé saluer l'impératrice Frédéric. La
réception a duré vingt minutes. Sur le chemin du
château royal au palais de la reine-mère et au re- `
tour la voiture du prince a été au pas à travers una
masse compacte de monde, qu'aucun service d'ordra
n'était capable de faire ranger et de maintenir en
haie.
A cinq heures et demie, le diner a été servi, cette
fois, dans i les appartements du prince Bismarck.
Pas d'autres convives que la famille impériale, la
roi de Saxe, le comte Herbert. En tout dix person-
nes. Au dessert, l'empereur a porté la santé de son
hôte et lui a annoncé qu'en souvenir de cette jour-
née il le nommait colonel du 7° régiment de cui-
rassiers.
Berlin, 27 janvier, 9 heures.
M. de Bismarck a quitté le château à sept heures-
dix avec l'empereur. La voiture était précédée et
suivie d'une escorte de cuirassiers qui l'a accompa-
gné cette fois à la gare. Elle a suivi les Tilleuls. La
foule a poussé sur tout lo parcours des vivats en-
thousiastes. Un grand nombre de maisons des
Tilleuls étaient illuminées.
Les officiers du quartier général et plusieurs gé-
néraux se trouvaient à la gare, par ordre do l'em-
pereur.
On a remarqué los prévenances de Guillaume II,
qui a aidé Bismarck à monter l'escalier du perron
de la gare et l'a embrassé à plusieurs reprises sui
les deux joues, pendant que la foule chantait des
hymnes patriotiques. Le comte Herbert a baisé la
main de l'empereur.
Après que le prince fut entré dans son wagon,
qui était rempli de fleurs, l'empereur est resté sur
quai et a continué do causer avec le prince qui, tête
nue, se penchait hors de la portière.
Le public entremêlait ses chants de vivats ou de
cris « Au revoir! » ou « Restez icil » ~)
Au moment où le train s'est mis en marche, à
A peu près, répondit Cyrille, qui cette fois
ne mentait pas.
On le jouera. On le jouera ce printemps,
je le veux, j'en viendrai à bout. Vous allez de-
venir un grand compositeur, comme Glinkaï 'j
Mais entendez-moi bien, Cyrille vous n'avez
pas oublié mon vœu ?
Certes non I répondit-il.
Mon vœu me défend jusqu'à la fin de mon
veuvage; je ne sais pas mentir, je dissimule très
mal, et puis c'est une humiliation, et je ne
veux pas être humiliée. Quand mon deuil sera
fini. alors, je serai libre.
Elle le regardait avec des yeux pleins de lu-
mière et de joie, sans rougeur et sans honte,
Cyrille vit bien qu'une pensée non exprimée se
cachait derrière ce regard limpide, mais il na
pouvait pas deviner et elle ne voulait pas en-
core lui dire que c'était une promesse de ma-
riage.
La fin de votre veuvage s'écria-t-il, mais
c'est l'avenir sans bornes, c'est le bout du
monde plus de dix-huit mois encore!
Elle affirma du regard et du geste, avec cette
joie intérieure qu'Ardiane ne pouvait pas com-
prendre.
Songez-y donc, reprit-elle, si j'étais votre
maîtresse, elle prononça ce mot avec un
mépris souverain, je ne pourrais plus rien
faire pour vous Vous seriez réduit à la vie
que vous meniez avant de venir en Russie.
Tandis que votre amie peut tout pour vous f
N'est-ce pas juré, cela ? 9
Sans doute, fit Ardiane avec un peu d'em-
barras, mais. ensuite ?.
Ensuite ? reprit-elle avec un beau rire
triomphant, vous serez célèbre 1 Et tout vous
viendra de soi-même, vous verrez Nous n'en
sommes pas là. Il faut nous arranger pour
vivre pendant dix-huit mois du mieux que
nous pourrons. Un peu de prudence sera néces-
saire, sans doute. J'ai des amis ici, pas beau-
coup de nouveaux, mon deuil m'obligeant à
la réclusion, mais peu à peu le cercle de mes
relations s'agrandira; il le faut pour vous, d'ail-
leurs. Mes amis deviendront les vôtres et alors
les chemins vous seront ouverts.
Elle rayonnait à la pensée de l'avenir qu'elle
lui préparait. HENRY Gréville.
(A suivre!.
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