Titre : Le Temps
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1891-06-16
Contributeur : Nefftzer, Auguste (1820-1876). Fondateur de la publication. Directeur de publication
Contributeur : Hébrard, Adrien (1833-1914). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 16 juin 1891 16 juin 1891
Description : 1891/06/16 (Numéro 109). 1891/06/16 (Numéro 109).
Description : Note : numérotation incomplète. Note : numérotation incomplète.
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
un s'aDonne aux Bureaux du Journal, 5, BOULEVARD DES ITALIENS, A PARIS, fit dans tous les Bureaux de Poste
TRENTE ET UNlliMli; ANNEE. N° 109f
MARDI 10 JUIN 1891
PRIX DE L'ABONNEMENT
PARIS Trois mois, 14 fr. Six mois, 28 fr. Un an, SS fr.
J)ÉPi» & ALSACE-LORRAINE 17 fr.; 34 fr.; 68 fr.
UNION POSTALE ISfr.; 36 fr.; "72 fr.
AUTRES PAYS. 23fr.; 46 fr.; 92fr.
LES AB05SEMBST8 DATENT DES l" ET 1C DE CHAQUE MOIS
Un numéro (à Parie) 1 £S centimes.
Directeur politique Adrien Hébrard
La rédaction ne répond pas des articles communiqués.
Adresse télégraphique TEHPS PAB.IS
PRIX DE L'ABONNEMENT
PARIS Trois mois, 14 fr. Six mois, 28 fr. Un an, 56 fr.
DÉPt> & ALSACE-LORRAINE IV fr.; i 34 fr.; 68 fr.
UNION POSTALE. 18 fr.; 36 fr.; 72 fr!
AUTRES PATS 23 fr.; 46 fr.; 92 fr.
LES ALONNEMETTS DATENT DES 1" ET IG DE CHAQUE MOIS
Un numéro (départements) 20 centimes.
ANNONCES MM. LAGRANGE, Cerf ET G', 8, place de la Bourse
Le Journal et les Régisseurs déclinent toute responsabilité quant à leur teneur.
Adresse télégraphique TEMPS PARIS
BULLETIN DU JOUR
Au contraire de lord Salisbury, qui juge
apparemment que, pour lui, le silence est
dor, M. di Rudini saisit et recherche même
les occasions de s'expliquer sur sa politi-
que étrangère. Samedi, au Sénat, la discus-
sion du budget de son département a per-
mis à plusieurs orateurs de reprendre un
débat qui n'a pas cessé d'être pendant devant
le pays.
Il semble que le milieu de la haute assem-
blée soit plus propice que celui de la Cham-
bre des députés à la formation et à l'expres-
sion de vues sensées, sages, modérées. Les
représentants élus de l'Italie ont des nerfs,
beaucoup de nerfs, et l'électricité qui sur-
charge 1 atmosphère lestait vibrer constam-
ment.
L'autre jour, M. Nicotera, le ministre de
l'intérieur, s'étant avisé de demander la
remise d'une interpellation de M. Fortis sur
la délimitation des arrondissements électo-
raux dans les provinces de Forli et de San
Maurizio jusqu'après le vote des budgets,
ï'ex-sous-secrôtaire d'Etat de M. Crispi a été
pris d'une véritable fureur. Il a prétendu
tout briser, y compris le cabinet, et une
partie de la gauche pas seulement de
l'extrême l'a appuyé dans cette belle
colère.
Un peu plus tard, un député ayant insinué
que la cavalerie italienne n'était peut-être pas
à la hauteur des progrès réalisés dans cette
arme autre part, et que, en cas de-conflit avec
la cavalerie autrichienne, elle pourrait bien
se trouver en aussi mauvais point que pen-
dant la campagne de 18Q6, le patriotisme de
la Chambre s'est cabré, on a crié «Vive laca-
valerie » on a répété en chœur le nom appa-
remment décisif de « Montebello », et l'on a
honni le malencontreux critique, non sans
avoir, du reste, lancé en passant quelques
brocards qui auraient voulu être méchants
-contre la France et sa cavalerie et son
Chauvinisme.
Au Sénat, on est un peu plus rassis. Tout
s'y dit avec un certain respect des formes,
avec un grain de bon sens et un certain souci
de ne pas blesser inutilement. Et il est in-
croyable combien cette simple tradition de
courtoisie, ce ton uni et discret suffisent à
rendre moins irréconciliables les divergences
politiques les plus graves.
Le sénateur Negri a développé avec beau-
coup de force des idées très justes sur la né-
cessité pour l'Italie de se recueillir et de ne
pas courir les aventures. Le marquis Al-
fieri, dont on sait le zèle éclairé pour tout ce
qui peut contribuer au maintien de la paix et
au rétablissement de la concorde, a spirituel-
lement montré que la triple alliance était la
formule d'un certain état des choses et des
esprits et qu'il convenait à un ministère issu
d'une situation autre dé chercher une for-
mule nouvelle.
M. di Rudini s'est donné pour tâche de
démontrer que nul n'avait plus conscience
que lui de la nécessité des économies rigou-
reuses et d'une politique de réserve paci-
fique, mais aussi que rien ne pouvait plus
que la triple alliance facil'ter 'ces économies
et assurer cette attitude recueillie et conci-
liante.
On sait que c'est le thème donné sur le-
quel les défenseurs de la Ligue des trois doi-
vent broder leurs variations. C'est également
l'argument suprême que le Standard invoque
une fois de plus ce matin pour justifier l'ac-
cession de l'Angleterre à cette alliance toute
continentale.
Il serait aisé de reprendre à notre tour
l'examen et la critique des sophismes sur
lesquels on fait reposer toutes ces combinai-
sons et qui se résument sont simplement
dans la mise en suspicion gratuite des inten-
tions de la France.
Mieux vaut peut-être nous placer pour un
instant sur le terrain choisi par les cham-
pions d'office de la triple alliance et déclarer
tout net que, si c'est vraiment la paix qu'on
vise et qu'on croit assurer par ce procédé
paradoxal et écrasant pour les nations trop
faibles, la France, qui ne sera certes pas la
première à succomber sous le fardeau trop
lourd de ces ruineux armements, sera assu-
rément la dernière à déchaîner sur le monde
le fléau de la guerre.
Réduite à ces proportions, la triple alliance
devient tout simplement une précaution su-
perflue par malheur, elle reste la plus coû-
teuse des fantaisies.
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES
i! SES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU TempS
Rome, 15 juin, 9 h. 30.
On dit que la fabrique d'armes de Spandau.
avait offert au gouvernement italien de lui fournir
FI~u~La,i~~r®~r nu ~~tlt~t,~
DU 16 JUIN 1891 [-1]
MADAME LÉA
Les trois lettres du nom flambovaient, très
grandes, fraîchement dorées, sur le balcon d'un
premier étage, place de l'Opéra. De nombreuses
voitures stationnaient à la porte. Des femmes,
jeunes et élégantes pour la plupart, traver-
saient vivement la chaussée, se rendant chez la
couturière à la mode.
Depuis quelques années surtout, être habillée
par Léa était, pour une jeune femme, un brevet
d'élégance correcte. On s'inscrivait, on atten-
dait son tour, comme chez un portraitiste très
connu ou chez un dentiste américain. Ces belles
dames, parfois un peu nerveuses, de mauvaise
humeur même, chez elles, gâtées dans le mon-
de, se montraient, chez leur couturière, d'une
patience angélique. Rien ne les rebutait ni les
longues attentes désœuvrées dans les salons de
Léa, ni les brusques boutades de cette personne
singulière, ni les notes exorbitantes pour les-
quelles elle n'accordait pas de longs crédits.
Avoir une robe de Léa, ou, comme dirait la
presse spéciale qui s'occupe de chiffons, avec
un sérieux adorable, « une création nouvelle si-
gnée Léa», était un bonheur qui ne pouvait se
payer trop cher.
Mme Léa, du reste, avait eu une idée qui
pouvait, sans flatterie, passer pour géniale.
Afin de tromper l'ennui de ses clientes, elle
avait institué un five o'cloc/c qui ne se bornait
pas à l'heure stricte, car, de quatre à six, une
table de thé bien servie, à laquelle présidait la
plus jolie et la plus distinguée. de ses « demoi-
'selles », était servie. Les femmes de mondes
très divers se trouvaient rassemblées, rappro-
chées par le thé, fait à l'anglaise, et les fines
tartines de pain beurré pris en commun. Com-
ment ne pas causer lorsqu'on se rencontrait
pour ainsi dire dans un salon? Etque de sujets
interminables de discussions savoureuses sugj-
gérés par les soies et les velours à la pièce à
moitié sortis de leur carton ou de leur gaine de
Pros papier, par les gravures de mode, par les
^ilettes achevées, gravement portées par des
Reproduction et traduction interdites!
en une année tous les fusils nécessaires à l'arme-
ment de l'armée de première ligne, se contentant
d'être payée en dix ans. La proposition a été repous-
sée. On veut que le fusil italien soit fabriqué par des
fabriques italiennes.
Au Quirinal on déclare ignorer que le prince de
Naplesdoive faire un voyage en Angleterre en même
temps que l'empereur Guillaume. On dit seulement
que depuis longtemps il a été décidé que le prince
compléterait la série de ses voyages d'instruction
par un voyage en Angleterre, mais que rienneprouve
qu'il doive l'accomplir pendant la présence dë
l'empereur Guillaume à Londres.
• ̃ ̃ Vienne, 15 juin, 9 heures.-
La visite de l'empereur à l'exposition nationale
de Prague a été l'objet d'assez vives controverses.
Il. parait certain que les derniers incidents qui se
sont produits à Prague, tels que les démonstra-
tions antiprussiennes lors de la visite des étudiants
de Montpellier et les rixes entre étudiants tchèques
et négociants berlinois, ont été exploités dans l'en-
tourage du souverain. Le voyage de l'empereur, qui
avait été arrôté pour le courant de juin, a été
ajourné. Le gouverneur de la Bohême, le comte
Thun, est, du reste, tombé sérieusement malade et
ne pourra être complètement rétabli avant quelque
temps.
D'après les bruits qui circulent, l'empereur ne
viendra à Prague qu'au mois de septembre et, dès
à présent, le ministre de l'intérieur a exigé que la
réception de l'empereur soit organisée par la muni-
cipalité et les pouvoirs publics, sous leur responsa-
bilité, à l'exclusion des corporations et des clubs
ayant un caractère politique et national.
Vienne, 15 juin, 9 h. 20.
L'archiduc François d'Este, héritier présomptif
de la couronne, est en pleine convalescence; il par-
tira prochainement pour la campagne.
Une grande réunion populaire a eu lieu dans
l'établissement Schwender, à Fuenfhaus, pour cé-
lébrer la suppression du petit état de siège. Plus
de six mille personnes appartenant aux différents
groupes socialistes y assistaient. Le docteur Adler,
un des leaders du socialisme autrichien, a fait une
conférence sur l'organisation du socialisme, qui a
fait disparaître le dangel'. anarchiste mieux que
toutes les mesures extraordinaires. Il a constaté le
grand succès qu'avaient eu à deux reprises les dé-
monstrations pacifiques du 1er mai,
M. Pernerstorfer, député, a prononcé un dis-
cours très applaudi et M. Adler a repris la parole
pour combattre les tendances du prince de Liech-
tenstein et de ses amis il a protesté contre toute
solidarité avec les féodaux qui sont morts politi-
quement. Le meeting s'est achevé dans le plus
grand ordre.
Budapest, 15 juin, 8 h. 30.
A la Chambre des députés, M. Gabriel Ugron,
l'un des chefs de l'extrême gauche, demande à in-
terpeller le ministère sur les mesures militaires que
compte prendre le gouvernement de l'empire pour
mieux défendre la monarchie en présence des ar-
mements de plus en plus menaçants de la Russie.
La discussion de la réforme administrative se
traine d'une façon quelque peu monotone: Un inci-
dent assez vif cependant s'est produit. Le président
du conseil, M. de Szapary, ayant dit au cours d'un
discours que son prédécesseur, M. Tisza, n'avait
pas été en mesure de remplir tous ses engagements,
malgré son vif désir, le comte Gabriel Karolyi s'est
écrié « Il a faij, banqueroute! » La droite a récla-
mé énergiquement le rappel à l'ordre de M. do Ka-
rolyi, que le président a fini par prononcer. M. do
Szapary a ajouté que, ne pouvant tenir sa parole,
M. Tisza a préféré se retirer et qu'il a de la sorte
agi correctement. ·
Budapest, 15 juin, 10 heures.
L'extrême gauche, dont la tactique obstruction-
niste ayant pour but de retarder le vote de la loi
sur la réforme administrative, n'obtient qu'un suc-
ces médiocre, a manifesté l'intention de recourir à
un autre moyen pour jeter des bâtons dans les
roues du ministère et de la majorité. Elle prétend
que, pour un vote de cette importance, l'assenti-
ment des Chambres ne suffit pas et qu'il faut en
appeler au pays. Par conséquent, les chefs de l'ex-
trême gauche vont réclamer la dissolution du Par-
lement pour qu'il y ait de nouvelles élections, qui
se feront sur cette question « Faut-il conserver
ou abolir l'autonomie des comitats ? » »
,.̃ :v ̃̃̃, ̃ (Service, Bavas)
Copenhague, 15 juin.
A cause de l'arrivée, attendue ici, de l'escadre fran-
çaise, le séjour du roi à Wiesbaden est abrégé.
Le souverain sera de retour dans la capitale le 30 de
ce mois.
Au banquet des délégués des chemins de fer euro-
péens, M. Auguste Picard, représentant les compa-
gnies françaises, a porté un toast au Danemark.
New-York, 15 juin.
Une dépêche du Chili constate que le congrès de
Santiago a accordé à M. Balmaceda des pouvoirs ex-
traordinaires dans le but de terminer la guerre.
L'élection du président qui doit succéder à M. Bal-
maceda aura lieu dans les premiers jours de juillet.
L'élection de M. Claudio Vicuna serait assurée.
« Nous voulons être les défenseurs des
travailleurs, mais leurs flatteurs jamais »
Cette belle et courageuse parole a été dite hier
à Tours, par M. le ministre des travaux pu-
blics. Il croyait s'être rendu dans cette ville
uniquement pour y présider à l'inauguration
d'une passerelle; mais, en fait, il a eu à y
subir une interpellation en règle. Le prési-
dent du cercle radical d'Indre-et-Loire, d'a-
bord, puis le président de la chambre syndi-
cale des ouvriers de chemins de fer, l'ont pris
à partie. Le premier a cru devoir insister sur
le besoin de réformes sociales; le second a
plaidé la cause des syndicats ouvriers et ac-
mannequins? Et ainsi il se trouva qu'une fois,
entre autres, la femme d'un banquier juif, une
duchesse très authentique, une Américaine de
San-Francisco et une sociétaire de la Comédie-
Française causèrent pendant une heure, fort
amicalement du reste. La plus duchesse des
quatre, par exemple, était certes la comédienne.
Ce qui prouve, une fois de plus, la supériorité
de l'art sur la nature.
Le thé de Léa eut un succès immense. On s'y
donnait rendez-vous. Plus d'une fois une mon-
daine, tout en grignotant un petit four et en
causant avec ses amies, fit une infidélité à son
j couturier habituel pour s'offrir le caprice d'une
toilette de chez Léa. Cette rusée personne savait
bien qu'elle rentrerait dans ses frais de gâteaux
et de fines tartines!
Un jour de décembre, glacé et triste, le
brouillard jaune avait rendu nécessaires les lu-
mières dès trois heures. Les salons de Mme Léa,
salons meublés avec un luxe très sobre, bril-
lamment illuminés, étaient bruissants de voix
de femmes. On attendait encore plus longtemps
| que d'habitude. Un grand mariage devait se
faire bientôt, et la fiancée accaparait le temps et
l'attention de la couturière. On disait merveille
de ses toilettes, mais on trouvait tout de même,
malgré. la table de thé, l'attente un peu bien lon-
gue. Plusieurs femmes se lassèrent et partirent,
voyant que la foule dans les salons ne dimi-
nuait pas. Quand une apprentie, portant une
robe, disparaissait dans le grand salon d'es-
sayage, il se faisait un demi-silence; quand elle
reparaissait, le corsage tout piqué d'aiguilles
enfilées et d'épingles, on l'arrêtait
Y en a-t-il encore pour longtemps? 9
Oh pour une bonne heure encore. Ma-
dame n'a pas encore essayé la robe blanche de
la mariée!
Et elle s'en allait, en gamine tout heureuse
de l'air déconfit de ces belles dames qui atten-
daient le bon plaisir de la patronne.
La patronne, elle, ne se pressait nullement.
Tandis que la meilleure ouvrière passait les
robes achevées ou épinglait les doublures de
celles qui n'étaient pas commencées, elle se te-
nait à une petite distance, examinait, critiquait;
d'un mot, d'un geste, elle indiquait une couture
à reprendre, un pli à faire disparaître. Elle
I était très artiste à sa façon, cette femme au
masque dur, sévèrement sanglée dans sa robe
de soie noire tout unie elle n'admettait pas
qu'il sortît de chez elle une toilette qui ne fût
cusé vivement tour à tour, auprès du minis-
tre, la compagnie d'Orléans et l'administra-
tion du réseau de l'Etat. Ces allocutions
étaient-elles dans le programme officiel de la
fête? On peut, sans se hasarder beaucoup,
en douter. Dussent toutes les traditions des
voyages ministériels en être blessées, nous
avouerons, toutefois, que, pour notre part,
ces libres manifestations d'idées ou de sen-
timents ne nous choquent en aucune façon.
Elles vous ont une tournure républicaine
dont nous nous accommodons fort. Il est
excellent, à notre avis, que les représen-
tants du gouvernement entendent parfois
ainsi, en quelque sorte à la bonne franquette,
l'expression des vœux, des doléances, des
opinions populaires. Il importe, seulement,
que les ministres sachent, en pareille occur-
rence, garder, eux aussi, avec leur pleine
indépendance de pensée, une entière liberté
de parole. S'ils voient une erreur, une idée
fausse, ils doivent d'autant plus apporter
d'empressement à les relever sans délai,
que, s'ils se taisaient, ils se feraient les com-
plices de préjugés regrettables et trompe-
raient indignement la confiance qu'on a mise
en eux.
Par sa rare franchise de langage, ses vi-
ves allures d'où toute morgue est exclue, la
fermeté de ses convictions républicaines, son
souci indéniable des intérêts de la démocra-
tie, M. Yves Guyot est fait à souhait pour ces
familiers échanges de vues. Avec lui, on est
sûr que le pouvoir ne perdra rien de son au-
torité, la vérité rien de ses droits. Après
avoir écouté ses interpellateurs, le ministre
leur a parlé en ami autant qu'en homme
d'Etat. Des réformes, certes, on a raison d'en
réclamer, a-t-il dit; la République est par
excellence le régime du progrès; mais, si
l'on doit sans cesse s'appliquer à améliorer
les conditions sociales, on- ne doit ni se fat-
ter de tout réformer en un jour, ni se mon-
trer oublieux des réformes déjà réalisées.
La République a fondé l'instruction popu-
laire, donné aux travailleurs la liberté
d'association, restauré le crédit public,
rendu à la France un empire colonial, relevé
notre puissance militaire, renouvelé l'outil-
lage national. C'est être ingrat envers elle
que de méconnaître la grandeur de l'œuvre
qu'elle a accomplie, au milieu de luttes où
son existence même était en jeu. La dépein-
dre comme stérile, c'est mentir à l'histoire
c'est, de plus, risquer d'affaiblir le respect et
les sympathies que les masses profondes du
suffrage universel lui doivent, et sans les-
quels lesquels les progrès désirés seraient
rendus plus difficiles. L'attachement à la
République, la reconnaissance pour les ser-
vices qu'elle a rendus sont les plus sûrs
garants du développement régulier des ré-
formes. Que le peuple ait toujours présent
à l'esprit tout ce qu'il lui doit c'est le
moyen d'assurer l'évolution pacifique de la
démocratie.
On se trompe grossièrement, d'ailleurs,
si l'on s'imagine que le gouvernement a pour
tâche de s'interposer entre les citoyens pour
régler leurs contrats, fixer leurs salaires,
imposer aux uns ou aux autres tel ou tel tra-
vail, se substituer en. un mot à. leur initia-
tive. Un gouvernement républicain doit à
tous la liberté, et il manquerait précisément
à sa mission essentielle s'il empiétait sur la
libre action des citoyens. Quand la Répu-
blique a donné aux syndicats une existence
légale, elle a entendu faire acte d'émancipa-
tions, et non pas d'oppression. Compris et
utilisé comme un instrument de liberté pour
tous, le syndicat peut être un merveilleux le-
vier mais le jour où on l'emploierait àla guer-
re des classes, il aurait perdu sa vertu. Les
syndicats ne sauraient prétendre à inves-
tir de privilèges ceux qui en font partie.
Il est inadmissible qu'on puisse être renvoyé
d'un chantier ou d'une usine parce qu'on est
ouvrier syndiqué, mais il n'est pas plus
tolérable qu'on ne puisse plus être remercié
parce qu'on se sera fait inscrire à un syn-
dicat « Où irions-nous, a dit M. Yves
Guyot, si un bourgeois ne pouvait plus
renvoyer sa cuisinière parce qu'elle fait
partie d'un syndicat? » Et il ajoute: « Le
meilleur moyen pour les ouvriers de con-
server leurs syndicats, c'est de les utiliser
sérieusement et de n'en pas abuser. Si les
syndiqués en arrivent à commettre des
abus, à troubler leurs camarades dans le
travail, eh bien! les syndicats, je regrette
de le dire, se condamneront eux-mêmes,
et bientôt ils ne seront plus. »
Croit-on que ces fermes paroles aient dé-
plu ? Elles ont, au contraire, été très goû-
tées, car le bon sens et la loyauté ont, grâce
au ciel, encore prise sur les âmes. Ou, pour
mieux dire, elles sont avides de vérité; mais
on n'a guère coutume de s'adresser aux fou-
les que pour caresser leurs chimères, flatter
fleurs passions, encourager leurs erreurs. 0
pas la perfection même. Il lui était arrivé plus
d'une fois de jeter dans un coin du vaste salon
un corsage qui semblait à la cliente fort réussi
et de dire, de sa voix brève et cassante « C'est
à recommencer. » Cette fois elle était satis-
faite. Sous la lumière éblouissante du lustre,
les robes de couleurs douces et fondues s'en-
tassaient sur les fauteuils. La robe de mariée,
une merveille de satin crèmeux, portée avec
dignité par un mannequin, étalait sur des draps
posés à terre ses blancheurs aux doux reflets.
A côté, la toilette de la mère, velours grenat
brodé à la main en couleurs harmonieuses, s'ef-
fondrait sur le canapé. Puis les robes pour tou-
tes les occasions possibles voyage de noce, vi-
sites de noce, lendemain de noce, pour le ma-
tin, pour le soir, etc., etc., s'accumulaient, tou-
tes plus ravissantes les unes que les autres, tou-
tes d'une distinction originale, sobre pourtant.
L'essayage durait depuis plus d'une heure
déjà. La jeune fille, heureuse d'abord de toutes
ces jolies choses, commençait à souffrir de se
tenir ainsi debout; elle pâlissait, elle disait:
« Mais je n'en peux plus, vous savez !» La mère
la gourmandait « Voyons, il faut pourtant es-
sayer tes robes! » La couturière, impassible,
tout en causant avec les deux femmes, se disait
que cette fille très riche, qui allait appartenir à
la haute aristocratie, était presque laide dvec sa
pâleur jaune. Elle fit cependant chercher un pe-
tit verre de vin doux, ce qui ranima la patiente.
A ce moment, la « première », une personne
déjà mûre et sérieuse, qui était allée chercher
une dernière toilette, rentra avec précipitation et
remit une lettre à la patronne. Elle dit à mi-
voix
C'est un commissionnaire qui l'a apportée.
Mme Léajeta un coup d'oeil et reconnut l'é-
criture.
Elle ne pouvait donc pas envoyer son do-
mestique ?
Puis, tranquillement, elle mit la lettre dans sa
poche, car le moment intéressant entre tous ar-
rivait. On allait essayer la robe de mariée. Ce
n'était guère le moment de lire une communica-
tion, si pressée fût-elle.
C'est vous qui habillez ma future belle-
maman, n'est-ce pas madame Léa? dit la jeune
fille,qui adorait les indiscrétions, très mesurées
du reste, de sa couturière.
Hum! par à peu près.
Ce qui veut dire ? ?
Rien, mademoiselle, rien. Encore cette robe
l'éducation du suffrage universel, qui l'en-
treprendra avec dévouement, bonté, abné-
gation et savoir! Il faut aimer la démocratie,
̃et il faut l'aimer assez ardemment pour pra-
tiquer cette maxime si éloquemment formu-
lée hier par M. Yves Guyot « Nous vou-
lons être les défenseurs des travailleurs,
mais leurs flatteurs, jamais! »
«*.
UN SOUVENIR DE PLATON
Si certaines chimères politiques ou sociales obtien-
nent aisément crédit, à notre époque, auprès dé
beaucoup d'esprits, d'ailleurs ingénieux et brillants,
c'est surtout qu'ils les considèrent comme des nou-
veautés bonnes à expérimenter ou tout au moins à
examiner sérieusement. Notre démocratie est trop
jeune, déclarent-ils, pour que l'on puisse, a priori,
condamner ces hardiesses et les taxer de témérité.
Le peuple, le vrai peuple, ne date que do 1789,
pourquoi ne pas laisser s'épanouir librement ses
énergies et fleurir son imagination ? Il rêve d'indé-
pendance absolue, d'aisance universelle. Utopies,
fantaisies contradictoires et périlleuses 1 diront les
censeurs moroses. Qu'en savez-vous ? L'épreuve
a-t-elle été faite? Avant de proclamer l'idéal impos-
sible, donnez aux vaillants et aux enthousiastes le
temps d'épuiser leurs efforts pour l'atteindre No
soufflez pas sur leur foi 1 Qui donc eût osé prédire
ce qui s'est accompli depuis un siècle et qui répond
do l'avenir? Arrière les sages importuns, les pru-
dents rétrogrades, place aux réformateurs auda-
cieux, place aux hommes de progrès
Mais que vaudra cet air de bravoure, dont on
nous rebat les oreilles, s'il est prouvé que ces pré-
tendues nouveautés datent de fort loin, qu'on les
reconnaît sans peine, malgré la différence de noms,
dans un passé très vénérable et que de soi-disant
hommes de progrès sont tout simplement des pla-
.ginires? Oui certes, notre démocratie est encore
bien jeune, et dans la vie d'un peuple cent ans
comptent à peine, mais il arrive fréquemment que
les tout jeunes gens s'éprennent de beautés déjà
mûres, confondant le fard et la fraîcheur. En éco-
nomie politique, par exemple, le socialisme et le
collectivisme nous sont présentées comme des in-
ventions d'hier; et pourtant, si l'on remontait dans
l'histoire, on verrait que les premiers chrétiens et
même les patriarches de la Bible n'avaient guère
d'autre conception sociale les mots ont changé, non
les choses.
D'autre part, y a-t-il une extrême différence entre
le syndicat obligatoire, tel que le réclament nombre
de travailleurs, et la corporation fermée que la Ré-
volution se faisait une gloire d'avoir abolie? Et si
nous nous plaçons maintenant au point de vue po-
litique, que dire des sophismes comme ceux-ci « II
faut permettre au peuple de faire l'apprentissage de
sa liberté laissez l'esprit de gouvernement s'affai-
blir il en restera toujours assez; tant que les vieil-
les digues n'auront pas été rompues, tant que l'on
parlera de respect dû à quelqu'un ou à quelque
chose, l'émancipation ne sera qu'un leurre. » Hélas!
où l'on peut conduire une nation avec une pareille
dialectique, nous ne le savons que trop Pour nous
l'apprendre, nous avons, non seulement l'histoire
même de notre siècle, le premier et le second em-
pire, mais l'histoire de tous les âges.
Bien plus, les historiens ne sont pas seuls'à nous
instruire. Les anciens sages, ceux qui avaient les
premiers analysé la nature humaine, décrit ses ap-
pétits et ses passions et étudié leurs combinaisons
et leurs effets dans la vie publique, pourraient nous
fournir, sur ce point, des leçons identiques. On y
trouverait des tableaux et des déductions s'appli-
quant d'une façon si exacte à certains événements
et à certaines mœurs d'aujourd'hui qu'il n'est
point, dans toute la force du terme, d'actualité plus
actuelle. Que pensez-vous, par exemple, d'un mor-
ceau comme celui-ci « Lorsqu'une cité démocrati-
que, altérée de liberté, est gouvernée par de mau-
vais échansons qui la lui versent toute pure et la
lui font boire jusqu'à l'ivresse, alors, si les gouver-
nants ne sont très doux et ne. lui donnent la liberté
sans mesurer, elle les accuse et les châtie sous pré-
texte que ce sont des traîtres qui aspirent à l'oli-
garchie. Elle outrage ceux qui obéissent aux ma-
gistrats et les traite d'esclaves volontaires et do
gens de rien; en public et en particulier, elle a des
louanges et des honneurs pour les gouvernants
qui ressemblent aux gouvernés et aux gouvernés
qui ressemblent aux gouvernants. N'est-il pas
nécessaire que dans une pareille cité l'esprit de li-
berté se répande partout et que l'anarchie descende
dans les maisons particulières ? Qu'entend-on par
là? Je veux dire que les pères s'accoutument à trai-
ter leurs enfants comme leurs égaux, à les craindre
même; que les fils s'égalent à leur père et n'ont
pour lui ni respect, ni crainte, parce qu'ils veulent
être libres. Et il arrive aussi d'autres misères telles
que celles-ci. Sous un pareil gouvernement les maî-
tres craignent et ménagent leurs élèves; ceux-ci se
moquent de leurs maîtres et de leurs surveillants.
En général, les jeunes gens veulent aller de pair
avec les vieillards et leur tenir tête soit en propos,
soit en actions. Les vieillards, de leur côté, se met-
tent à la portée des jeunes gens et, afin do se rap-
procher d'eux, par crainte de passer pour des gens
désagréables et autoritaires, ils n'ont à la bouche
que des badinages et de sottes plaisanteries. Tu
conçois l'effet total de toutes ces causes réunies, c'est
que Tàme des citoyens devient chatouilleuse au
point de s'indigner et de se soulever à la moindre
apparence de contrainte; ils finissent, tu le sais
bien, par ne tenir aucun compte des lois écrites ou
non écrites pour que personne ne puisse jamais se
vanter d'être leur maître. » Voilà comment Platon
peignait au quatrième siècle avant notre ère,
les excès de la démocratie. Le philosophe montrait
de faille grise, puis le satin blanc et je vous
rendrai votre liberté.
Si vous croyez que vous allez échapper
ainsi Maman, fais-la parler. Oh 1 vous sa-
vez, vous pouvez tout dire, nous serons dis-
crètes. Puis, il faut bien que vous m'amusiez
un brin pour que je reste tranquille. Alors, la
duchesse?.
La duchesse fait comme beaucoup de très
grandes dames qui ont plus de quartiers de no-
blesse que de coupons de rente.
Sans cela. murmura la jeune fille entre
ses dents, si vous croyez qu'elle aurait voulu
de moi.
Madeleine s'écria la maman, scandalisée.
Bah maman, qu'est-ce que cela fait que je
dise tout haut ce que tout le monde pense? Cela
n'empêchera pas que les journaux qui célébre-
ront notre mariage assureront qu'il y a eu coup
de foudre des deux côtés. Le coup de foudre,
voyez-vous, madame Léa, c'est d'importation
anglo-saxonne, comme votre five o'cloc/c nous
exagérons même la chose comme pour toutes
les modes importées. Plus de mariages arran-
gés rien que des mariages d'amour. C'est très
touchant. Alors, la duchesse?. car, vous savez,
si je bavarde, je reviens toujours à ma pre-
mière idée.
Mon Dieu, mademoiselle, je fais deux toi-
lettes par an à madame la duchesse; puis une
petite couturière à quarante-cinq francs de fa-
çon copie les deux toilettes, et pas trop mal.
Voila.
Tiens, pas bête, belle-maman Ce doit être
amusant d'être couturière on doit savoir un tas
de choses drôles.
Mais oui. Seulement, les choses vraiment
« drôles », on les garde pour soi. C'est la vertu
professionnelle, ça. Mais, voyez-vous. il y a des
femmes si je vous les nommais qui se
vendraient au diable, qui m'inviteraient à leurs
bals, qui feraient tout ce qu'il me plairait de
leur imposer pour avoir une robe neuve quand
elles n'ont plus le sou. Mais elles ne l'ont pas.
On vous dit très dure à l'occasion, dit la
maman en songeant aux mondaines pauvres,
elle qui était si tranquillement assise sur les
millions de son mari.
Parbleu I pourquoi ferais-je la sentimen-
tale ? Elles ne me sont rien, ces femmes, dont je
cache les défauts physiques, dont je connais les
dessous moraux aussi. C'est notre revanche, à
nous autres.. Il faut bien qu'on prenne son plai-
ensuite que la licence universelle devait fatalement
aboutir. à la tyrannie « do la liberté la plus illi"
mitée naît l'esclavage le plus entier et le plus brutal.»
Pour se débarrasser définitivement des riches, le
peuple se jette entre les bras d'un «protecteur» quilui
donne l'assurance « que les dettes seront abolies et
les terres partagées »et il est évident, ajoute Pla-
ton, « que c'est de la tige de ces protecteurs du
peuple que naît le tyran et non d'ailleurs. Le peu-
ple en voulant comme on dit, éviter la fumée de la
dépendance sous des hommes libres, tombe dans la
feu du despotisme des esclaves, échangeant une li-
berté excessive et extravagante contre le plus dure
et le plus amer esclavage. »
On le voit, le vrai moyen de saisir la logique des
faits modernes et de les bien juger, c'est peut-être,
en somme, de relire les anciennes histoires et les
anciens livres. Il est peu de sophismes contempo-
rains qui n'y soient percés à jour: on peut y puiser
la meilleure des expériences, cello qui indique à la
fois la cause et l'effet et permet de se mettre en
garde contre l'une, si l'on veut éviterl'autre. La de-
vise des physiologistes no convient point qu'à la
physiologie; beaucoup de politiciens pourraient
aussi la méditer Savoir afin de prévoir et de pour-
voir.
__$
AFFAIRES COLONIALES
Indo- Chine
On nous signale du Tonkin, par courrier anglais,
l'arrivée à Hanoï do la commission d'abornement
présidée par M. Frandin. L'un des commissaires
chinois, M. Chang, a fait avec la commission fran-
çaise la route de Langson à Hanoï, d'où il allait se
rendre pour Monkay.
M. Chang, qui est resté sept ans en Europe, parle
très bien français.
Le capitaine Cupet, attaché à la mission Pavie,
était également arrivé à Hanoï; venant du Laos.
L. "?'
Sénégal
L'ASSASSINAT DE M. FORRICHOr
On nous écrit de Sedhiou, le 28 mai -•̃'?̃
Vous avez dû apprendre par le télégraphe l'as-
sassinat de M. Forrichon à Sedhiou. Cet excellent
administrateur a été tué dans les conditions sui-
vantes
Quatre musulmans, tous griots tisserands, nés
soit à Gorée, soit à Bathurst et appartenant à la
môme famille, avaient formé un complot pour faire
la guerre sainte. L'un deux, Alassane Fay, traitant
assez connu, venait de faire rentrer à Sedhiou tout
son avoir, qu'il voulait consacrer à la mission qu'il
s'était donnée. Rien n'avait transpiré de leurs pro-
jets quand ils arrivèrent à Sedhiou, dans la nuit du
21 mai. En débarquant, Alassane rencontra sur le
wharf de la maison Maurel-Prom un autro trai-
tant, M. Baye, et se mit à prêcher en lui par-
lant de tous ses desseins. Alassane se disait en-
voyé de Dieu, avec mission do massacrer tous
les infidèles, en commençant par ceux du poste. M.
Baye, effrayé de l'état de surexcitation de son core-
ligionnaire, comprit qu'il était capable de faire ce
dont il parlait et courut prévenir le chef du village,
Samba Aïssata qui accompagné de quelques
ouolofs du pays, se rendit de suite dans la case où
s'étaient enfermés les quatre illuminés, et non seu-
lement il ne put leur faire entendre raison, mais en-
core il faillit recevoir un coup de sabre.
Prévenu dans la nuit de cet incident, M. Forri-
chon envoya le' lendemain quatre tirailleurs avec
l'ordre de lui amener les conspirateurs ceux-ci s'y
refusant, sans réfléchir qu'il avait affaire à des fa-
natiques, décidés à mourir pour une cause sainte, M.
Forrichon se rendit dans le village, se dirigea vers
la case qu'ils habitaient et, après trois sommations
restées sans réponse, 11 voulut s'y introduire de
force. Des coups de feu partirent aussitôt, les qua-
tre tirailleurs ripostèrent avec l'unique cartouche
qu'ils avaient chacun. Mais deux d'entre eux étaient
blessés, l'un assez grièvement; l'autre, plus sérieu-
sement encore, se soutenait à peine et fut rejoint,
lorsqu'on battit en retraito sur lo poste, par les
quatre forcenés qui le percèrent de vingt-sept coups
do sabre.
Quant àM. Forrichon, il soutenait bravement la re-
traite en se défendant contre Alassane, il le tua
d'un couD de revolver après avoir été lui-même
touché d'un coup de sabre, et il so serait très pro-
bablement tiré de ce mauvais pas, s'il n'avait été
assailli par derrière par deux des fanatiques.'qui lui
ont littéralement tailladé la tête. M. Forrichon est
tombé à la porte du grand jardin du poste, dans
l'allée qui conduit à la Casamance, au pied du pro-
mier bastion. Trois des musulmans ont été tués, le
quatrième, qui s'était enfui, a été pris le 22 au soir.
Le gouverneur du Sénégal était à ce moment en
Casamance, en tournée d'inspection il remonta à
Sedhiou, où il procéda à une enquête sur les événe-
ments précédents. Il a remplacé l'administrateur
décédé, par le capitaine Laborie, de l'infanterie de
marine, qui est nommé commandant du district do
Casamance.
.• ̃̃ Soudan fran ̃ ••>
•̃•̃̃ Soudan français
On lit dans le Journal officiel du Sénégal :.•̃'
La défaite des troupes de Samory dans les différents
combats de Kokounia le 8 avril, Diamau 9 avril et
Badaddu 27 avril, a produit une très grande impres-
sion sur les populations; nos courriers circulent sur
toutes les routes en toute sécurité. Les populations re-
prennent confiance et se mettent à cultiver, elles com-
mencent à jouir des bienfaits de la paix.
Samory aurait établi son quartier général au delà à
de Kankan, à Ouroussougou, entre le Niger et le Milo.
Il comptait sur les fusils à tir rapide qu'il possède
pour arrêter la marche de notre colonne, qui n'a eu
qu'à paraître pour mettre en fuite ses sofas. Les dé-
faites qu'il a eu à subir coup sur coup et l'occupation
de Kankan par nos troupes l'ont beaucoup découragé.
11 voit tous les jours des défections se produire autour
de lui.
Notre allié Tiéba a dû quitter Sikasso vers la fin de
mars, et aux dernières nouvelles il devait être du côté
de Tànéaba ou de Tengréla, faisant probablement
route vers Kankan. Baye, l'ancien chef du pays de
Kankan, qui vient d'être rétabli, est allé remercier M.
le lieutenant-colonel Archinard et lui a assuré que sa
sir là où il se trouve. On ne se figure pas le pou-
voir d'une grande couturière.
-Mais si, mais si, interrompit Madeleine;
depuis que je suis fiancée, je vous assure que je
pense plus à vous qu'à mon futur époux.
Tu es vraiment insupportable, Madeleine.
Laissez-la, madame. C'est sa soupape de
sûreté. Avec moi, elle sait qu'elle n'a rien à
craindre, puisque je tiens à la garder comme
cliente.
-Sivous écriviez vosmémoircs,madameLéa?
Vous êtes une femme supérieure, vous tout
le monde le dit. Vous m'y mettrez, hein? dans
vos mémoires.
Peut-être bien; cela dépendra de l'avenir.
Quand j'écrirai mes mémoires, on saura alors
que le sort d'une femme est souvent entre les
mains de sa couturière. Ce sera amusant, je
vous en réponds, si je dis tout. Il faut si peu de
chose pour faire dévier une carrière mondaine
Une toilette un peu évaporée, un coup de ci-
seaux de trop à une échancrure de corsage
souvent cela suffit. On joue alors le rôle in-
diqué par sa robe. On prend goût à la coquette-
rie, on écoute les compliments, on veut, après
une toilette un peu hardie, une toilette compro-
mettante, et la folie des chiffons, une folie qui
n'a pas encore trouvé son docteur Blanche,
s'empare de la mondaine. Le tour est joué. C'est
très drôle.
Est-ce que vous encouragez quelquefois la
vertu? demanda cette fiancée très moderne.
Cela rapporte moins, certes, et c'est moins
drôle.
Je le fais pourtant, de temps à autre, pour
changer.
Vous vous exercez sur Mme Francis Rayol,
dit en souriant la mère. Jamais vous ne réussis-
sez mieux que pour elle. Ses toilettes sont d'une
distinction, d'une discrétion. Vous inventez des
tons neutres qui se marient délicieusement.
Je m'en vante, fit la couturière d'un ton un
peu sec.
Puis elle est si jolie! s'écria Madeleine.
Est-ce qu'on sait si elle est jolie? Habillez-
la en petite bourgeoise, et personne ne la'remar-
querait.
Peut-être, insinua la maman, l'habillez-
vous trop vertueusement pour le goût de son
mari. On dit.
On dit tant de choses, madame. Puis les
maris de mes clientes ne me regardent pas. M.
Francis Rayol fait ce qu'il lui plaît c'est bien
personne, ses biens et son pays sont à la France et
rien qu'à la France.
Quant à Ahmadou, l'ancien sultan de Ségou sa
présence est signalée à la frontière du.Macina. Il
aurait fait dire à son frère Mounirou, qui règne au
Macina, qu'il désire traverser ses Etats pour se ren.
dre au Haoussa et de là à la Mecque.
L'état du capitaine Briqublot,résidontde Ségou, qui
a eu le bras fracassé par une balle à l'assaut de Diéna,
n'inspire plus aucune inquiétude. La conservation
du bras est assurée. Les autres blessés de Diéna.
sont en bonne voie de guérison.
La mission Crampel
Un do nos amis a reçu do l'Oubanghi-Ouellé
(pays Banziri), des renseignements intéressants sur
le passage de la mission Crampel, qu'il a l'obli-
geance de nous communiquer.
« Le 12 décembre 1890, dit la lettre dont il s'agit,
la mission Crampel, quittant définitivement le poste
de Bangui, franchissait la région des rapides et ar-
rivait le 24 décembre au village Banziri, du chef
Bombé.
» Le 4 janvier l'expédition quittait les rives do
l'Oubanghipour s'enfoncer dans l'intérieur.L'arrièrc-
garde, sous la direction de M. A. Orsi, allait s'éta-
blir au camp de Makobou, à une vingtaine de kilo-
mètres du fleuve. Mais, hélas avant de quitter
cette région, la mort devait venir éprouver les
membres de là mission.
» Le 28 janvier 1891, M. A. Fondôre, chef de sta-
tion dans l'Oubanghi, qui visitait la région si-
tuée au-dessus des rapides, arrivait au village du
chef Bembé. En descandant de pirogue, la pre-
mière nouvelle qu'on lui annonça fut la mort de M.
Orsi, survenue doux heures avant son arrivée. M.
Orsi, atteint de la dysenterie au campement do
Makobou, avait été transporté le jour même, par
ses hommes, au village du chef Bombé, où il était
arrivé vers onze heures du matin. A quatre heures
de l'après-midi, il rendait le dernier soupir.
» M. Fondère fit aussitôt embarquer le cadavre
dans sa pirogue et, le soir môme, une équipe de
Banziris, fournie par le chef Bembé, descendait
l'Oubanghi, conduisant le corps de M. A. Orsi au
poste dé Bangui, pour y être inhumé. »
Le correspondant ajoute
« Aujourd'hui, je me repose chez Bembé. Devant
la porte de ma tente sont groupés des femmes et
des enfants. Ils regardent tous ce que je fais sur co
morceau de papier, et lorsque je leur dis que ce pa-
pier va partir pour mon pays, loin, bien loin, et
qu'en le recevant mes frères, mes amis sauront que
je suis en bonne santé, ils so font sur la bouche,
avec la main, un signe de stupéfaction. Par mo-
ments, quelques femmes, plus curieuses que les au-
tres, se bousculent pour entrer et venir plus près
de moi. Dans ces mouvements, elles font bouger
les cordes de ma tente. Je me mots à crier avec ma
plus grosse voix et tout ce monde se sauve en se
bousculant et en se renversant. Je me mets à riro
alors et petit à petit les femmes et les enfants re-
viennent se grouper devant ma tonte.
» Cette race de Banziris diffère profondément des
autres races nègres. La première fois que je suis
venu chez eux, j'ai aperçu, non sans étonnement
des femmes aux lèvres minces, au nez presque droit,
et avec des cheveux descendant parfois jusqu'à leurs
piçds. Avec cela elles sont absolument nues, ce qui
m'a permis de constater qu'elles sont fort bien
faites.
» "La plupart d'entre elles ont de fausses tresses, mé-
langées à leurs cheveux. Mais l'effet produit est le
même. Elles sont, en outre, très coquettes. Toutes
les fois que je regarde un groupe de jeunes fem-
mes, elles se mettent immédiatement à danser. Les
vieilles femmes seules ont un peu plus de pudeur.
Elles portent un embryon de costume, d'ailleurs,
bien insuffisant. Quant aux hommes, ils sont vi-
goureux, bien faits et forment des équipes de
pagayeurs infatigables. Je n'ai constaté chez eux
aucune trace d'anthropophagie ot leur accueil m'a
toujours semblé excellent.
» Les tribus qui entourent le poste de Bangui sont,
au contraire, de mœurs déplorables. Durant le mois
d'octobre dernier, elles ont tenu la station en état
de siège. Elles ont réussi môme à lui prendre quatre
qu'elles ont mangés. Leurs villages sont
entourés de fossés et environnés d'une palissade.
Elles sont toujours en guerre ot ne cherchent qu'à se
tuer et à se prendre des hommes ou des femmes
pour les manger. Elles ont été mises un peu à la
raison et actuellement elles regardent à deux fois
avant de se mesurer aux mousquetons européens
UN ACCIDENT DE CHEMIN DE FER. EH SUISSE,
Une terrible catastrophe s'est produite hier, dans
l'après-midi, à Mœnchenstein (la Pierre du Moine),
première) station après Bâle sur la ligne du Jura-
Berne et à cinq kilomètres de Bàlo.
A deux heures quinze, un train de voyageurs or-
dinaire quittait Bàlo en tête se trouvaient deux
machines, puis un wagon de lro classe, un de 2e, un
fourgon postal, un fourgon ordinaire et sept wa-
gons de 3° classe. Ceux-ci étaient presque au com-
plet. p q
Le train contenait environ 600 personnes. Arrivé
au pont Mœnchenstein, la première machine se
trouvait déjà do l'autre côté du pont lorsque celui-ci
s'effondra. p q
Les machines et les trois premiers wagons furent
précipités dans la rivière Birse dont les eaux sont
actuellement très hautes par suite des dernières
pluies.
Le quatrième wagon fut précipité à moitié dans
l'eau, le cinquième wagon de 3° classe resta sus-
pendu entre le pont et les débris le sixième et les
suivants restèrent sur la culée.
La première machine est tombée les roues en
l'air, la deuxième sur les roues, les wagons de pre-
mière et de deuxième classe sont complètement
broyés. p
Le spectacle était terrifiant. De tous côtés on en-
tendait les cris et les gémissements des blessés. On
ne connaît pas encore le nombre exact des victi-
mes. Tous ceux qui ont été précipités dans la ri-
vière ont été écrasés ou noyés parmi les voyageurs
des derniers wagons, qui ont éprouvé une secousso
terrible, il y a de nombreux blessés, la plupart
grièvement beaucoup ont les jambes coupées. On
évalue le nombre des morts à 112 et celui des bles-
sés à 150.
Le train, nous l'avons déjà dit, était bondé de
son droit, après tout. Elle n'avait pas le sou, ou
presque pas. à ce qu'on m'a dit, la petite Mme
Rayol.
Comment sont-ils si à leur aise, alors"
Rayol est un musicien assez goûté dans les sa-
Ions, mais ce n'est pas cela qui enrichit, au con-
traire. Et ce n'est pas son petit acte à l'Opéra-
Comique, l'an dernier, qui l'a rendu millionnaire.
Après tout, il a peut-être hérité de ses parents.
C'est drôle, comme, dans la vie de Paris, on con,
naît peu le passé de ses meilleurs amis.
Et maintenant, mademoiselle, qu'on vous
mette en mariée.
La couturière interrompit sans hésitation le
bavardage de sa riche cliente. Toutes les fem-
mes se turent, regardant la robe de satin blanc
avec sa légère parure de dentelles et de fleurs
d'oranger.
A ce moment on frappa impérieusement à la
porte.
Ne laissez entrer personne cria la coutu-
rière.
Ah je vous en prie, madame Léa, ce doit
être ma cousine je lui ai promis. C'est toi,
Régine? Alors entre, mais ferme vite la porte.
Mon Dieu qu'as-tu ? Tu es toute pâle.
Je crois bien. Quelle émotion Mais j'en
suis malade.
Quoi?
Mme Léa tenait à la main la robe blanche,
qu'elle voulait passer elle-même à lajeune fille;
elle s'arrêta pour écouter, intéressée malgré
elle, tant le visage de la nouvelle venue était
bouleversé.
Figure-toi, c'est le jour de Mme Rayol jo
lui devais une visite. J'entre, je ne trouve per-
sonne, pas un domestique, les portes toutes
ouvertes je crois à un oubli, je tiens mon
porte-cartes à la main, je souris, tu sais, comme
on fait avant de se faire annoncer, et je tombe
sur un drame Mme Rayol, en toilette, sanglo-
tant sur le corps de son mari. Un accident. Il
jouait avec un revolver qu'on ne croyait pas
chargé; il n'a vécu que quelques minutes, ma
chère!
Mme Léa, tenant toujours en l'air sa robe dd
mariée, rigide, effrayante à voir, chercha à ar-
ticuler un mot et n'y réussit pas. Alors, sans
un cri, elle tomba raide, comme morte. Les flots
crémeux de la toilette de mariée la couvrirent
ainsi qu'un linceul blanc.
JEANNE MAIRET.
(A suivre).
TRENTE ET UNlliMli; ANNEE. N° 109f
MARDI 10 JUIN 1891
PRIX DE L'ABONNEMENT
PARIS Trois mois, 14 fr. Six mois, 28 fr. Un an, SS fr.
J)ÉPi» & ALSACE-LORRAINE 17 fr.; 34 fr.; 68 fr.
UNION POSTALE ISfr.; 36 fr.; "72 fr.
AUTRES PAYS. 23fr.; 46 fr.; 92fr.
LES AB05SEMBST8 DATENT DES l" ET 1C DE CHAQUE MOIS
Un numéro (à Parie) 1 £S centimes.
Directeur politique Adrien Hébrard
La rédaction ne répond pas des articles communiqués.
Adresse télégraphique TEHPS PAB.IS
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DÉPt> & ALSACE-LORRAINE IV fr.; i 34 fr.; 68 fr.
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AUTRES PATS 23 fr.; 46 fr.; 92 fr.
LES ALONNEMETTS DATENT DES 1" ET IG DE CHAQUE MOIS
Un numéro (départements) 20 centimes.
ANNONCES MM. LAGRANGE, Cerf ET G', 8, place de la Bourse
Le Journal et les Régisseurs déclinent toute responsabilité quant à leur teneur.
Adresse télégraphique TEMPS PARIS
BULLETIN DU JOUR
Au contraire de lord Salisbury, qui juge
apparemment que, pour lui, le silence est
dor, M. di Rudini saisit et recherche même
les occasions de s'expliquer sur sa politi-
que étrangère. Samedi, au Sénat, la discus-
sion du budget de son département a per-
mis à plusieurs orateurs de reprendre un
débat qui n'a pas cessé d'être pendant devant
le pays.
Il semble que le milieu de la haute assem-
blée soit plus propice que celui de la Cham-
bre des députés à la formation et à l'expres-
sion de vues sensées, sages, modérées. Les
représentants élus de l'Italie ont des nerfs,
beaucoup de nerfs, et l'électricité qui sur-
charge 1 atmosphère lestait vibrer constam-
ment.
L'autre jour, M. Nicotera, le ministre de
l'intérieur, s'étant avisé de demander la
remise d'une interpellation de M. Fortis sur
la délimitation des arrondissements électo-
raux dans les provinces de Forli et de San
Maurizio jusqu'après le vote des budgets,
ï'ex-sous-secrôtaire d'Etat de M. Crispi a été
pris d'une véritable fureur. Il a prétendu
tout briser, y compris le cabinet, et une
partie de la gauche pas seulement de
l'extrême l'a appuyé dans cette belle
colère.
Un peu plus tard, un député ayant insinué
que la cavalerie italienne n'était peut-être pas
à la hauteur des progrès réalisés dans cette
arme autre part, et que, en cas de-conflit avec
la cavalerie autrichienne, elle pourrait bien
se trouver en aussi mauvais point que pen-
dant la campagne de 18Q6, le patriotisme de
la Chambre s'est cabré, on a crié «Vive laca-
valerie » on a répété en chœur le nom appa-
remment décisif de « Montebello », et l'on a
honni le malencontreux critique, non sans
avoir, du reste, lancé en passant quelques
brocards qui auraient voulu être méchants
-contre la France et sa cavalerie et son
Chauvinisme.
Au Sénat, on est un peu plus rassis. Tout
s'y dit avec un certain respect des formes,
avec un grain de bon sens et un certain souci
de ne pas blesser inutilement. Et il est in-
croyable combien cette simple tradition de
courtoisie, ce ton uni et discret suffisent à
rendre moins irréconciliables les divergences
politiques les plus graves.
Le sénateur Negri a développé avec beau-
coup de force des idées très justes sur la né-
cessité pour l'Italie de se recueillir et de ne
pas courir les aventures. Le marquis Al-
fieri, dont on sait le zèle éclairé pour tout ce
qui peut contribuer au maintien de la paix et
au rétablissement de la concorde, a spirituel-
lement montré que la triple alliance était la
formule d'un certain état des choses et des
esprits et qu'il convenait à un ministère issu
d'une situation autre dé chercher une for-
mule nouvelle.
M. di Rudini s'est donné pour tâche de
démontrer que nul n'avait plus conscience
que lui de la nécessité des économies rigou-
reuses et d'une politique de réserve paci-
fique, mais aussi que rien ne pouvait plus
que la triple alliance facil'ter 'ces économies
et assurer cette attitude recueillie et conci-
liante.
On sait que c'est le thème donné sur le-
quel les défenseurs de la Ligue des trois doi-
vent broder leurs variations. C'est également
l'argument suprême que le Standard invoque
une fois de plus ce matin pour justifier l'ac-
cession de l'Angleterre à cette alliance toute
continentale.
Il serait aisé de reprendre à notre tour
l'examen et la critique des sophismes sur
lesquels on fait reposer toutes ces combinai-
sons et qui se résument sont simplement
dans la mise en suspicion gratuite des inten-
tions de la France.
Mieux vaut peut-être nous placer pour un
instant sur le terrain choisi par les cham-
pions d'office de la triple alliance et déclarer
tout net que, si c'est vraiment la paix qu'on
vise et qu'on croit assurer par ce procédé
paradoxal et écrasant pour les nations trop
faibles, la France, qui ne sera certes pas la
première à succomber sous le fardeau trop
lourd de ces ruineux armements, sera assu-
rément la dernière à déchaîner sur le monde
le fléau de la guerre.
Réduite à ces proportions, la triple alliance
devient tout simplement une précaution su-
perflue par malheur, elle reste la plus coû-
teuse des fantaisies.
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES
i! SES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU TempS
Rome, 15 juin, 9 h. 30.
On dit que la fabrique d'armes de Spandau.
avait offert au gouvernement italien de lui fournir
FI~u~La,i~~r®~r nu ~~tlt~t,~
DU 16 JUIN 1891 [-1]
MADAME LÉA
Les trois lettres du nom flambovaient, très
grandes, fraîchement dorées, sur le balcon d'un
premier étage, place de l'Opéra. De nombreuses
voitures stationnaient à la porte. Des femmes,
jeunes et élégantes pour la plupart, traver-
saient vivement la chaussée, se rendant chez la
couturière à la mode.
Depuis quelques années surtout, être habillée
par Léa était, pour une jeune femme, un brevet
d'élégance correcte. On s'inscrivait, on atten-
dait son tour, comme chez un portraitiste très
connu ou chez un dentiste américain. Ces belles
dames, parfois un peu nerveuses, de mauvaise
humeur même, chez elles, gâtées dans le mon-
de, se montraient, chez leur couturière, d'une
patience angélique. Rien ne les rebutait ni les
longues attentes désœuvrées dans les salons de
Léa, ni les brusques boutades de cette personne
singulière, ni les notes exorbitantes pour les-
quelles elle n'accordait pas de longs crédits.
Avoir une robe de Léa, ou, comme dirait la
presse spéciale qui s'occupe de chiffons, avec
un sérieux adorable, « une création nouvelle si-
gnée Léa», était un bonheur qui ne pouvait se
payer trop cher.
Mme Léa, du reste, avait eu une idée qui
pouvait, sans flatterie, passer pour géniale.
Afin de tromper l'ennui de ses clientes, elle
avait institué un five o'cloc/c qui ne se bornait
pas à l'heure stricte, car, de quatre à six, une
table de thé bien servie, à laquelle présidait la
plus jolie et la plus distinguée. de ses « demoi-
'selles », était servie. Les femmes de mondes
très divers se trouvaient rassemblées, rappro-
chées par le thé, fait à l'anglaise, et les fines
tartines de pain beurré pris en commun. Com-
ment ne pas causer lorsqu'on se rencontrait
pour ainsi dire dans un salon? Etque de sujets
interminables de discussions savoureuses sugj-
gérés par les soies et les velours à la pièce à
moitié sortis de leur carton ou de leur gaine de
Pros papier, par les gravures de mode, par les
^ilettes achevées, gravement portées par des
Reproduction et traduction interdites!
en une année tous les fusils nécessaires à l'arme-
ment de l'armée de première ligne, se contentant
d'être payée en dix ans. La proposition a été repous-
sée. On veut que le fusil italien soit fabriqué par des
fabriques italiennes.
Au Quirinal on déclare ignorer que le prince de
Naplesdoive faire un voyage en Angleterre en même
temps que l'empereur Guillaume. On dit seulement
que depuis longtemps il a été décidé que le prince
compléterait la série de ses voyages d'instruction
par un voyage en Angleterre, mais que rienneprouve
qu'il doive l'accomplir pendant la présence dë
l'empereur Guillaume à Londres.
• ̃ ̃ Vienne, 15 juin, 9 heures.-
La visite de l'empereur à l'exposition nationale
de Prague a été l'objet d'assez vives controverses.
Il. parait certain que les derniers incidents qui se
sont produits à Prague, tels que les démonstra-
tions antiprussiennes lors de la visite des étudiants
de Montpellier et les rixes entre étudiants tchèques
et négociants berlinois, ont été exploités dans l'en-
tourage du souverain. Le voyage de l'empereur, qui
avait été arrôté pour le courant de juin, a été
ajourné. Le gouverneur de la Bohême, le comte
Thun, est, du reste, tombé sérieusement malade et
ne pourra être complètement rétabli avant quelque
temps.
D'après les bruits qui circulent, l'empereur ne
viendra à Prague qu'au mois de septembre et, dès
à présent, le ministre de l'intérieur a exigé que la
réception de l'empereur soit organisée par la muni-
cipalité et les pouvoirs publics, sous leur responsa-
bilité, à l'exclusion des corporations et des clubs
ayant un caractère politique et national.
Vienne, 15 juin, 9 h. 20.
L'archiduc François d'Este, héritier présomptif
de la couronne, est en pleine convalescence; il par-
tira prochainement pour la campagne.
Une grande réunion populaire a eu lieu dans
l'établissement Schwender, à Fuenfhaus, pour cé-
lébrer la suppression du petit état de siège. Plus
de six mille personnes appartenant aux différents
groupes socialistes y assistaient. Le docteur Adler,
un des leaders du socialisme autrichien, a fait une
conférence sur l'organisation du socialisme, qui a
fait disparaître le dangel'. anarchiste mieux que
toutes les mesures extraordinaires. Il a constaté le
grand succès qu'avaient eu à deux reprises les dé-
monstrations pacifiques du 1er mai,
M. Pernerstorfer, député, a prononcé un dis-
cours très applaudi et M. Adler a repris la parole
pour combattre les tendances du prince de Liech-
tenstein et de ses amis il a protesté contre toute
solidarité avec les féodaux qui sont morts politi-
quement. Le meeting s'est achevé dans le plus
grand ordre.
Budapest, 15 juin, 8 h. 30.
A la Chambre des députés, M. Gabriel Ugron,
l'un des chefs de l'extrême gauche, demande à in-
terpeller le ministère sur les mesures militaires que
compte prendre le gouvernement de l'empire pour
mieux défendre la monarchie en présence des ar-
mements de plus en plus menaçants de la Russie.
La discussion de la réforme administrative se
traine d'une façon quelque peu monotone: Un inci-
dent assez vif cependant s'est produit. Le président
du conseil, M. de Szapary, ayant dit au cours d'un
discours que son prédécesseur, M. Tisza, n'avait
pas été en mesure de remplir tous ses engagements,
malgré son vif désir, le comte Gabriel Karolyi s'est
écrié « Il a faij, banqueroute! » La droite a récla-
mé énergiquement le rappel à l'ordre de M. do Ka-
rolyi, que le président a fini par prononcer. M. do
Szapary a ajouté que, ne pouvant tenir sa parole,
M. Tisza a préféré se retirer et qu'il a de la sorte
agi correctement. ·
Budapest, 15 juin, 10 heures.
L'extrême gauche, dont la tactique obstruction-
niste ayant pour but de retarder le vote de la loi
sur la réforme administrative, n'obtient qu'un suc-
ces médiocre, a manifesté l'intention de recourir à
un autre moyen pour jeter des bâtons dans les
roues du ministère et de la majorité. Elle prétend
que, pour un vote de cette importance, l'assenti-
ment des Chambres ne suffit pas et qu'il faut en
appeler au pays. Par conséquent, les chefs de l'ex-
trême gauche vont réclamer la dissolution du Par-
lement pour qu'il y ait de nouvelles élections, qui
se feront sur cette question « Faut-il conserver
ou abolir l'autonomie des comitats ? » »
,.̃ :v ̃̃̃, ̃ (Service, Bavas)
Copenhague, 15 juin.
A cause de l'arrivée, attendue ici, de l'escadre fran-
çaise, le séjour du roi à Wiesbaden est abrégé.
Le souverain sera de retour dans la capitale le 30 de
ce mois.
Au banquet des délégués des chemins de fer euro-
péens, M. Auguste Picard, représentant les compa-
gnies françaises, a porté un toast au Danemark.
New-York, 15 juin.
Une dépêche du Chili constate que le congrès de
Santiago a accordé à M. Balmaceda des pouvoirs ex-
traordinaires dans le but de terminer la guerre.
L'élection du président qui doit succéder à M. Bal-
maceda aura lieu dans les premiers jours de juillet.
L'élection de M. Claudio Vicuna serait assurée.
« Nous voulons être les défenseurs des
travailleurs, mais leurs flatteurs jamais »
Cette belle et courageuse parole a été dite hier
à Tours, par M. le ministre des travaux pu-
blics. Il croyait s'être rendu dans cette ville
uniquement pour y présider à l'inauguration
d'une passerelle; mais, en fait, il a eu à y
subir une interpellation en règle. Le prési-
dent du cercle radical d'Indre-et-Loire, d'a-
bord, puis le président de la chambre syndi-
cale des ouvriers de chemins de fer, l'ont pris
à partie. Le premier a cru devoir insister sur
le besoin de réformes sociales; le second a
plaidé la cause des syndicats ouvriers et ac-
mannequins? Et ainsi il se trouva qu'une fois,
entre autres, la femme d'un banquier juif, une
duchesse très authentique, une Américaine de
San-Francisco et une sociétaire de la Comédie-
Française causèrent pendant une heure, fort
amicalement du reste. La plus duchesse des
quatre, par exemple, était certes la comédienne.
Ce qui prouve, une fois de plus, la supériorité
de l'art sur la nature.
Le thé de Léa eut un succès immense. On s'y
donnait rendez-vous. Plus d'une fois une mon-
daine, tout en grignotant un petit four et en
causant avec ses amies, fit une infidélité à son
j couturier habituel pour s'offrir le caprice d'une
toilette de chez Léa. Cette rusée personne savait
bien qu'elle rentrerait dans ses frais de gâteaux
et de fines tartines!
Un jour de décembre, glacé et triste, le
brouillard jaune avait rendu nécessaires les lu-
mières dès trois heures. Les salons de Mme Léa,
salons meublés avec un luxe très sobre, bril-
lamment illuminés, étaient bruissants de voix
de femmes. On attendait encore plus longtemps
| que d'habitude. Un grand mariage devait se
faire bientôt, et la fiancée accaparait le temps et
l'attention de la couturière. On disait merveille
de ses toilettes, mais on trouvait tout de même,
malgré. la table de thé, l'attente un peu bien lon-
gue. Plusieurs femmes se lassèrent et partirent,
voyant que la foule dans les salons ne dimi-
nuait pas. Quand une apprentie, portant une
robe, disparaissait dans le grand salon d'es-
sayage, il se faisait un demi-silence; quand elle
reparaissait, le corsage tout piqué d'aiguilles
enfilées et d'épingles, on l'arrêtait
Y en a-t-il encore pour longtemps? 9
Oh pour une bonne heure encore. Ma-
dame n'a pas encore essayé la robe blanche de
la mariée!
Et elle s'en allait, en gamine tout heureuse
de l'air déconfit de ces belles dames qui atten-
daient le bon plaisir de la patronne.
La patronne, elle, ne se pressait nullement.
Tandis que la meilleure ouvrière passait les
robes achevées ou épinglait les doublures de
celles qui n'étaient pas commencées, elle se te-
nait à une petite distance, examinait, critiquait;
d'un mot, d'un geste, elle indiquait une couture
à reprendre, un pli à faire disparaître. Elle
I était très artiste à sa façon, cette femme au
masque dur, sévèrement sanglée dans sa robe
de soie noire tout unie elle n'admettait pas
qu'il sortît de chez elle une toilette qui ne fût
cusé vivement tour à tour, auprès du minis-
tre, la compagnie d'Orléans et l'administra-
tion du réseau de l'Etat. Ces allocutions
étaient-elles dans le programme officiel de la
fête? On peut, sans se hasarder beaucoup,
en douter. Dussent toutes les traditions des
voyages ministériels en être blessées, nous
avouerons, toutefois, que, pour notre part,
ces libres manifestations d'idées ou de sen-
timents ne nous choquent en aucune façon.
Elles vous ont une tournure républicaine
dont nous nous accommodons fort. Il est
excellent, à notre avis, que les représen-
tants du gouvernement entendent parfois
ainsi, en quelque sorte à la bonne franquette,
l'expression des vœux, des doléances, des
opinions populaires. Il importe, seulement,
que les ministres sachent, en pareille occur-
rence, garder, eux aussi, avec leur pleine
indépendance de pensée, une entière liberté
de parole. S'ils voient une erreur, une idée
fausse, ils doivent d'autant plus apporter
d'empressement à les relever sans délai,
que, s'ils se taisaient, ils se feraient les com-
plices de préjugés regrettables et trompe-
raient indignement la confiance qu'on a mise
en eux.
Par sa rare franchise de langage, ses vi-
ves allures d'où toute morgue est exclue, la
fermeté de ses convictions républicaines, son
souci indéniable des intérêts de la démocra-
tie, M. Yves Guyot est fait à souhait pour ces
familiers échanges de vues. Avec lui, on est
sûr que le pouvoir ne perdra rien de son au-
torité, la vérité rien de ses droits. Après
avoir écouté ses interpellateurs, le ministre
leur a parlé en ami autant qu'en homme
d'Etat. Des réformes, certes, on a raison d'en
réclamer, a-t-il dit; la République est par
excellence le régime du progrès; mais, si
l'on doit sans cesse s'appliquer à améliorer
les conditions sociales, on- ne doit ni se fat-
ter de tout réformer en un jour, ni se mon-
trer oublieux des réformes déjà réalisées.
La République a fondé l'instruction popu-
laire, donné aux travailleurs la liberté
d'association, restauré le crédit public,
rendu à la France un empire colonial, relevé
notre puissance militaire, renouvelé l'outil-
lage national. C'est être ingrat envers elle
que de méconnaître la grandeur de l'œuvre
qu'elle a accomplie, au milieu de luttes où
son existence même était en jeu. La dépein-
dre comme stérile, c'est mentir à l'histoire
c'est, de plus, risquer d'affaiblir le respect et
les sympathies que les masses profondes du
suffrage universel lui doivent, et sans les-
quels lesquels les progrès désirés seraient
rendus plus difficiles. L'attachement à la
République, la reconnaissance pour les ser-
vices qu'elle a rendus sont les plus sûrs
garants du développement régulier des ré-
formes. Que le peuple ait toujours présent
à l'esprit tout ce qu'il lui doit c'est le
moyen d'assurer l'évolution pacifique de la
démocratie.
On se trompe grossièrement, d'ailleurs,
si l'on s'imagine que le gouvernement a pour
tâche de s'interposer entre les citoyens pour
régler leurs contrats, fixer leurs salaires,
imposer aux uns ou aux autres tel ou tel tra-
vail, se substituer en. un mot à. leur initia-
tive. Un gouvernement républicain doit à
tous la liberté, et il manquerait précisément
à sa mission essentielle s'il empiétait sur la
libre action des citoyens. Quand la Répu-
blique a donné aux syndicats une existence
légale, elle a entendu faire acte d'émancipa-
tions, et non pas d'oppression. Compris et
utilisé comme un instrument de liberté pour
tous, le syndicat peut être un merveilleux le-
vier mais le jour où on l'emploierait àla guer-
re des classes, il aurait perdu sa vertu. Les
syndicats ne sauraient prétendre à inves-
tir de privilèges ceux qui en font partie.
Il est inadmissible qu'on puisse être renvoyé
d'un chantier ou d'une usine parce qu'on est
ouvrier syndiqué, mais il n'est pas plus
tolérable qu'on ne puisse plus être remercié
parce qu'on se sera fait inscrire à un syn-
dicat « Où irions-nous, a dit M. Yves
Guyot, si un bourgeois ne pouvait plus
renvoyer sa cuisinière parce qu'elle fait
partie d'un syndicat? » Et il ajoute: « Le
meilleur moyen pour les ouvriers de con-
server leurs syndicats, c'est de les utiliser
sérieusement et de n'en pas abuser. Si les
syndiqués en arrivent à commettre des
abus, à troubler leurs camarades dans le
travail, eh bien! les syndicats, je regrette
de le dire, se condamneront eux-mêmes,
et bientôt ils ne seront plus. »
Croit-on que ces fermes paroles aient dé-
plu ? Elles ont, au contraire, été très goû-
tées, car le bon sens et la loyauté ont, grâce
au ciel, encore prise sur les âmes. Ou, pour
mieux dire, elles sont avides de vérité; mais
on n'a guère coutume de s'adresser aux fou-
les que pour caresser leurs chimères, flatter
fleurs passions, encourager leurs erreurs. 0
pas la perfection même. Il lui était arrivé plus
d'une fois de jeter dans un coin du vaste salon
un corsage qui semblait à la cliente fort réussi
et de dire, de sa voix brève et cassante « C'est
à recommencer. » Cette fois elle était satis-
faite. Sous la lumière éblouissante du lustre,
les robes de couleurs douces et fondues s'en-
tassaient sur les fauteuils. La robe de mariée,
une merveille de satin crèmeux, portée avec
dignité par un mannequin, étalait sur des draps
posés à terre ses blancheurs aux doux reflets.
A côté, la toilette de la mère, velours grenat
brodé à la main en couleurs harmonieuses, s'ef-
fondrait sur le canapé. Puis les robes pour tou-
tes les occasions possibles voyage de noce, vi-
sites de noce, lendemain de noce, pour le ma-
tin, pour le soir, etc., etc., s'accumulaient, tou-
tes plus ravissantes les unes que les autres, tou-
tes d'une distinction originale, sobre pourtant.
L'essayage durait depuis plus d'une heure
déjà. La jeune fille, heureuse d'abord de toutes
ces jolies choses, commençait à souffrir de se
tenir ainsi debout; elle pâlissait, elle disait:
« Mais je n'en peux plus, vous savez !» La mère
la gourmandait « Voyons, il faut pourtant es-
sayer tes robes! » La couturière, impassible,
tout en causant avec les deux femmes, se disait
que cette fille très riche, qui allait appartenir à
la haute aristocratie, était presque laide dvec sa
pâleur jaune. Elle fit cependant chercher un pe-
tit verre de vin doux, ce qui ranima la patiente.
A ce moment, la « première », une personne
déjà mûre et sérieuse, qui était allée chercher
une dernière toilette, rentra avec précipitation et
remit une lettre à la patronne. Elle dit à mi-
voix
C'est un commissionnaire qui l'a apportée.
Mme Léajeta un coup d'oeil et reconnut l'é-
criture.
Elle ne pouvait donc pas envoyer son do-
mestique ?
Puis, tranquillement, elle mit la lettre dans sa
poche, car le moment intéressant entre tous ar-
rivait. On allait essayer la robe de mariée. Ce
n'était guère le moment de lire une communica-
tion, si pressée fût-elle.
C'est vous qui habillez ma future belle-
maman, n'est-ce pas madame Léa? dit la jeune
fille,qui adorait les indiscrétions, très mesurées
du reste, de sa couturière.
Hum! par à peu près.
Ce qui veut dire ? ?
Rien, mademoiselle, rien. Encore cette robe
l'éducation du suffrage universel, qui l'en-
treprendra avec dévouement, bonté, abné-
gation et savoir! Il faut aimer la démocratie,
̃et il faut l'aimer assez ardemment pour pra-
tiquer cette maxime si éloquemment formu-
lée hier par M. Yves Guyot « Nous vou-
lons être les défenseurs des travailleurs,
mais leurs flatteurs, jamais! »
«*.
UN SOUVENIR DE PLATON
Si certaines chimères politiques ou sociales obtien-
nent aisément crédit, à notre époque, auprès dé
beaucoup d'esprits, d'ailleurs ingénieux et brillants,
c'est surtout qu'ils les considèrent comme des nou-
veautés bonnes à expérimenter ou tout au moins à
examiner sérieusement. Notre démocratie est trop
jeune, déclarent-ils, pour que l'on puisse, a priori,
condamner ces hardiesses et les taxer de témérité.
Le peuple, le vrai peuple, ne date que do 1789,
pourquoi ne pas laisser s'épanouir librement ses
énergies et fleurir son imagination ? Il rêve d'indé-
pendance absolue, d'aisance universelle. Utopies,
fantaisies contradictoires et périlleuses 1 diront les
censeurs moroses. Qu'en savez-vous ? L'épreuve
a-t-elle été faite? Avant de proclamer l'idéal impos-
sible, donnez aux vaillants et aux enthousiastes le
temps d'épuiser leurs efforts pour l'atteindre No
soufflez pas sur leur foi 1 Qui donc eût osé prédire
ce qui s'est accompli depuis un siècle et qui répond
do l'avenir? Arrière les sages importuns, les pru-
dents rétrogrades, place aux réformateurs auda-
cieux, place aux hommes de progrès
Mais que vaudra cet air de bravoure, dont on
nous rebat les oreilles, s'il est prouvé que ces pré-
tendues nouveautés datent de fort loin, qu'on les
reconnaît sans peine, malgré la différence de noms,
dans un passé très vénérable et que de soi-disant
hommes de progrès sont tout simplement des pla-
.ginires? Oui certes, notre démocratie est encore
bien jeune, et dans la vie d'un peuple cent ans
comptent à peine, mais il arrive fréquemment que
les tout jeunes gens s'éprennent de beautés déjà
mûres, confondant le fard et la fraîcheur. En éco-
nomie politique, par exemple, le socialisme et le
collectivisme nous sont présentées comme des in-
ventions d'hier; et pourtant, si l'on remontait dans
l'histoire, on verrait que les premiers chrétiens et
même les patriarches de la Bible n'avaient guère
d'autre conception sociale les mots ont changé, non
les choses.
D'autre part, y a-t-il une extrême différence entre
le syndicat obligatoire, tel que le réclament nombre
de travailleurs, et la corporation fermée que la Ré-
volution se faisait une gloire d'avoir abolie? Et si
nous nous plaçons maintenant au point de vue po-
litique, que dire des sophismes comme ceux-ci « II
faut permettre au peuple de faire l'apprentissage de
sa liberté laissez l'esprit de gouvernement s'affai-
blir il en restera toujours assez; tant que les vieil-
les digues n'auront pas été rompues, tant que l'on
parlera de respect dû à quelqu'un ou à quelque
chose, l'émancipation ne sera qu'un leurre. » Hélas!
où l'on peut conduire une nation avec une pareille
dialectique, nous ne le savons que trop Pour nous
l'apprendre, nous avons, non seulement l'histoire
même de notre siècle, le premier et le second em-
pire, mais l'histoire de tous les âges.
Bien plus, les historiens ne sont pas seuls'à nous
instruire. Les anciens sages, ceux qui avaient les
premiers analysé la nature humaine, décrit ses ap-
pétits et ses passions et étudié leurs combinaisons
et leurs effets dans la vie publique, pourraient nous
fournir, sur ce point, des leçons identiques. On y
trouverait des tableaux et des déductions s'appli-
quant d'une façon si exacte à certains événements
et à certaines mœurs d'aujourd'hui qu'il n'est
point, dans toute la force du terme, d'actualité plus
actuelle. Que pensez-vous, par exemple, d'un mor-
ceau comme celui-ci « Lorsqu'une cité démocrati-
que, altérée de liberté, est gouvernée par de mau-
vais échansons qui la lui versent toute pure et la
lui font boire jusqu'à l'ivresse, alors, si les gouver-
nants ne sont très doux et ne. lui donnent la liberté
sans mesurer, elle les accuse et les châtie sous pré-
texte que ce sont des traîtres qui aspirent à l'oli-
garchie. Elle outrage ceux qui obéissent aux ma-
gistrats et les traite d'esclaves volontaires et do
gens de rien; en public et en particulier, elle a des
louanges et des honneurs pour les gouvernants
qui ressemblent aux gouvernés et aux gouvernés
qui ressemblent aux gouvernants. N'est-il pas
nécessaire que dans une pareille cité l'esprit de li-
berté se répande partout et que l'anarchie descende
dans les maisons particulières ? Qu'entend-on par
là? Je veux dire que les pères s'accoutument à trai-
ter leurs enfants comme leurs égaux, à les craindre
même; que les fils s'égalent à leur père et n'ont
pour lui ni respect, ni crainte, parce qu'ils veulent
être libres. Et il arrive aussi d'autres misères telles
que celles-ci. Sous un pareil gouvernement les maî-
tres craignent et ménagent leurs élèves; ceux-ci se
moquent de leurs maîtres et de leurs surveillants.
En général, les jeunes gens veulent aller de pair
avec les vieillards et leur tenir tête soit en propos,
soit en actions. Les vieillards, de leur côté, se met-
tent à la portée des jeunes gens et, afin do se rap-
procher d'eux, par crainte de passer pour des gens
désagréables et autoritaires, ils n'ont à la bouche
que des badinages et de sottes plaisanteries. Tu
conçois l'effet total de toutes ces causes réunies, c'est
que Tàme des citoyens devient chatouilleuse au
point de s'indigner et de se soulever à la moindre
apparence de contrainte; ils finissent, tu le sais
bien, par ne tenir aucun compte des lois écrites ou
non écrites pour que personne ne puisse jamais se
vanter d'être leur maître. » Voilà comment Platon
peignait au quatrième siècle avant notre ère,
les excès de la démocratie. Le philosophe montrait
de faille grise, puis le satin blanc et je vous
rendrai votre liberté.
Si vous croyez que vous allez échapper
ainsi Maman, fais-la parler. Oh 1 vous sa-
vez, vous pouvez tout dire, nous serons dis-
crètes. Puis, il faut bien que vous m'amusiez
un brin pour que je reste tranquille. Alors, la
duchesse?.
La duchesse fait comme beaucoup de très
grandes dames qui ont plus de quartiers de no-
blesse que de coupons de rente.
Sans cela. murmura la jeune fille entre
ses dents, si vous croyez qu'elle aurait voulu
de moi.
Madeleine s'écria la maman, scandalisée.
Bah maman, qu'est-ce que cela fait que je
dise tout haut ce que tout le monde pense? Cela
n'empêchera pas que les journaux qui célébre-
ront notre mariage assureront qu'il y a eu coup
de foudre des deux côtés. Le coup de foudre,
voyez-vous, madame Léa, c'est d'importation
anglo-saxonne, comme votre five o'cloc/c nous
exagérons même la chose comme pour toutes
les modes importées. Plus de mariages arran-
gés rien que des mariages d'amour. C'est très
touchant. Alors, la duchesse?. car, vous savez,
si je bavarde, je reviens toujours à ma pre-
mière idée.
Mon Dieu, mademoiselle, je fais deux toi-
lettes par an à madame la duchesse; puis une
petite couturière à quarante-cinq francs de fa-
çon copie les deux toilettes, et pas trop mal.
Voila.
Tiens, pas bête, belle-maman Ce doit être
amusant d'être couturière on doit savoir un tas
de choses drôles.
Mais oui. Seulement, les choses vraiment
« drôles », on les garde pour soi. C'est la vertu
professionnelle, ça. Mais, voyez-vous. il y a des
femmes si je vous les nommais qui se
vendraient au diable, qui m'inviteraient à leurs
bals, qui feraient tout ce qu'il me plairait de
leur imposer pour avoir une robe neuve quand
elles n'ont plus le sou. Mais elles ne l'ont pas.
On vous dit très dure à l'occasion, dit la
maman en songeant aux mondaines pauvres,
elle qui était si tranquillement assise sur les
millions de son mari.
Parbleu I pourquoi ferais-je la sentimen-
tale ? Elles ne me sont rien, ces femmes, dont je
cache les défauts physiques, dont je connais les
dessous moraux aussi. C'est notre revanche, à
nous autres.. Il faut bien qu'on prenne son plai-
ensuite que la licence universelle devait fatalement
aboutir. à la tyrannie « do la liberté la plus illi"
mitée naît l'esclavage le plus entier et le plus brutal.»
Pour se débarrasser définitivement des riches, le
peuple se jette entre les bras d'un «protecteur» quilui
donne l'assurance « que les dettes seront abolies et
les terres partagées »et il est évident, ajoute Pla-
ton, « que c'est de la tige de ces protecteurs du
peuple que naît le tyran et non d'ailleurs. Le peu-
ple en voulant comme on dit, éviter la fumée de la
dépendance sous des hommes libres, tombe dans la
feu du despotisme des esclaves, échangeant une li-
berté excessive et extravagante contre le plus dure
et le plus amer esclavage. »
On le voit, le vrai moyen de saisir la logique des
faits modernes et de les bien juger, c'est peut-être,
en somme, de relire les anciennes histoires et les
anciens livres. Il est peu de sophismes contempo-
rains qui n'y soient percés à jour: on peut y puiser
la meilleure des expériences, cello qui indique à la
fois la cause et l'effet et permet de se mettre en
garde contre l'une, si l'on veut éviterl'autre. La de-
vise des physiologistes no convient point qu'à la
physiologie; beaucoup de politiciens pourraient
aussi la méditer Savoir afin de prévoir et de pour-
voir.
__$
AFFAIRES COLONIALES
Indo- Chine
On nous signale du Tonkin, par courrier anglais,
l'arrivée à Hanoï do la commission d'abornement
présidée par M. Frandin. L'un des commissaires
chinois, M. Chang, a fait avec la commission fran-
çaise la route de Langson à Hanoï, d'où il allait se
rendre pour Monkay.
M. Chang, qui est resté sept ans en Europe, parle
très bien français.
Le capitaine Cupet, attaché à la mission Pavie,
était également arrivé à Hanoï; venant du Laos.
L. "?'
Sénégal
L'ASSASSINAT DE M. FORRICHOr
On nous écrit de Sedhiou, le 28 mai -•̃'?̃
Vous avez dû apprendre par le télégraphe l'as-
sassinat de M. Forrichon à Sedhiou. Cet excellent
administrateur a été tué dans les conditions sui-
vantes
Quatre musulmans, tous griots tisserands, nés
soit à Gorée, soit à Bathurst et appartenant à la
môme famille, avaient formé un complot pour faire
la guerre sainte. L'un deux, Alassane Fay, traitant
assez connu, venait de faire rentrer à Sedhiou tout
son avoir, qu'il voulait consacrer à la mission qu'il
s'était donnée. Rien n'avait transpiré de leurs pro-
jets quand ils arrivèrent à Sedhiou, dans la nuit du
21 mai. En débarquant, Alassane rencontra sur le
wharf de la maison Maurel-Prom un autro trai-
tant, M. Baye, et se mit à prêcher en lui par-
lant de tous ses desseins. Alassane se disait en-
voyé de Dieu, avec mission do massacrer tous
les infidèles, en commençant par ceux du poste. M.
Baye, effrayé de l'état de surexcitation de son core-
ligionnaire, comprit qu'il était capable de faire ce
dont il parlait et courut prévenir le chef du village,
Samba Aïssata qui accompagné de quelques
ouolofs du pays, se rendit de suite dans la case où
s'étaient enfermés les quatre illuminés, et non seu-
lement il ne put leur faire entendre raison, mais en-
core il faillit recevoir un coup de sabre.
Prévenu dans la nuit de cet incident, M. Forri-
chon envoya le' lendemain quatre tirailleurs avec
l'ordre de lui amener les conspirateurs ceux-ci s'y
refusant, sans réfléchir qu'il avait affaire à des fa-
natiques, décidés à mourir pour une cause sainte, M.
Forrichon se rendit dans le village, se dirigea vers
la case qu'ils habitaient et, après trois sommations
restées sans réponse, 11 voulut s'y introduire de
force. Des coups de feu partirent aussitôt, les qua-
tre tirailleurs ripostèrent avec l'unique cartouche
qu'ils avaient chacun. Mais deux d'entre eux étaient
blessés, l'un assez grièvement; l'autre, plus sérieu-
sement encore, se soutenait à peine et fut rejoint,
lorsqu'on battit en retraito sur lo poste, par les
quatre forcenés qui le percèrent de vingt-sept coups
do sabre.
Quant àM. Forrichon, il soutenait bravement la re-
traite en se défendant contre Alassane, il le tua
d'un couD de revolver après avoir été lui-même
touché d'un coup de sabre, et il so serait très pro-
bablement tiré de ce mauvais pas, s'il n'avait été
assailli par derrière par deux des fanatiques.'qui lui
ont littéralement tailladé la tête. M. Forrichon est
tombé à la porte du grand jardin du poste, dans
l'allée qui conduit à la Casamance, au pied du pro-
mier bastion. Trois des musulmans ont été tués, le
quatrième, qui s'était enfui, a été pris le 22 au soir.
Le gouverneur du Sénégal était à ce moment en
Casamance, en tournée d'inspection il remonta à
Sedhiou, où il procéda à une enquête sur les événe-
ments précédents. Il a remplacé l'administrateur
décédé, par le capitaine Laborie, de l'infanterie de
marine, qui est nommé commandant du district do
Casamance.
.• ̃̃ Soudan fran ̃ ••>
•̃•̃̃ Soudan français
On lit dans le Journal officiel du Sénégal :.•̃'
La défaite des troupes de Samory dans les différents
combats de Kokounia le 8 avril, Diamau 9 avril et
Badaddu 27 avril, a produit une très grande impres-
sion sur les populations; nos courriers circulent sur
toutes les routes en toute sécurité. Les populations re-
prennent confiance et se mettent à cultiver, elles com-
mencent à jouir des bienfaits de la paix.
Samory aurait établi son quartier général au delà à
de Kankan, à Ouroussougou, entre le Niger et le Milo.
Il comptait sur les fusils à tir rapide qu'il possède
pour arrêter la marche de notre colonne, qui n'a eu
qu'à paraître pour mettre en fuite ses sofas. Les dé-
faites qu'il a eu à subir coup sur coup et l'occupation
de Kankan par nos troupes l'ont beaucoup découragé.
11 voit tous les jours des défections se produire autour
de lui.
Notre allié Tiéba a dû quitter Sikasso vers la fin de
mars, et aux dernières nouvelles il devait être du côté
de Tànéaba ou de Tengréla, faisant probablement
route vers Kankan. Baye, l'ancien chef du pays de
Kankan, qui vient d'être rétabli, est allé remercier M.
le lieutenant-colonel Archinard et lui a assuré que sa
sir là où il se trouve. On ne se figure pas le pou-
voir d'une grande couturière.
-Mais si, mais si, interrompit Madeleine;
depuis que je suis fiancée, je vous assure que je
pense plus à vous qu'à mon futur époux.
Tu es vraiment insupportable, Madeleine.
Laissez-la, madame. C'est sa soupape de
sûreté. Avec moi, elle sait qu'elle n'a rien à
craindre, puisque je tiens à la garder comme
cliente.
-Sivous écriviez vosmémoircs,madameLéa?
Vous êtes une femme supérieure, vous tout
le monde le dit. Vous m'y mettrez, hein? dans
vos mémoires.
Peut-être bien; cela dépendra de l'avenir.
Quand j'écrirai mes mémoires, on saura alors
que le sort d'une femme est souvent entre les
mains de sa couturière. Ce sera amusant, je
vous en réponds, si je dis tout. Il faut si peu de
chose pour faire dévier une carrière mondaine
Une toilette un peu évaporée, un coup de ci-
seaux de trop à une échancrure de corsage
souvent cela suffit. On joue alors le rôle in-
diqué par sa robe. On prend goût à la coquette-
rie, on écoute les compliments, on veut, après
une toilette un peu hardie, une toilette compro-
mettante, et la folie des chiffons, une folie qui
n'a pas encore trouvé son docteur Blanche,
s'empare de la mondaine. Le tour est joué. C'est
très drôle.
Est-ce que vous encouragez quelquefois la
vertu? demanda cette fiancée très moderne.
Cela rapporte moins, certes, et c'est moins
drôle.
Je le fais pourtant, de temps à autre, pour
changer.
Vous vous exercez sur Mme Francis Rayol,
dit en souriant la mère. Jamais vous ne réussis-
sez mieux que pour elle. Ses toilettes sont d'une
distinction, d'une discrétion. Vous inventez des
tons neutres qui se marient délicieusement.
Je m'en vante, fit la couturière d'un ton un
peu sec.
Puis elle est si jolie! s'écria Madeleine.
Est-ce qu'on sait si elle est jolie? Habillez-
la en petite bourgeoise, et personne ne la'remar-
querait.
Peut-être, insinua la maman, l'habillez-
vous trop vertueusement pour le goût de son
mari. On dit.
On dit tant de choses, madame. Puis les
maris de mes clientes ne me regardent pas. M.
Francis Rayol fait ce qu'il lui plaît c'est bien
personne, ses biens et son pays sont à la France et
rien qu'à la France.
Quant à Ahmadou, l'ancien sultan de Ségou sa
présence est signalée à la frontière du.Macina. Il
aurait fait dire à son frère Mounirou, qui règne au
Macina, qu'il désire traverser ses Etats pour se ren.
dre au Haoussa et de là à la Mecque.
L'état du capitaine Briqublot,résidontde Ségou, qui
a eu le bras fracassé par une balle à l'assaut de Diéna,
n'inspire plus aucune inquiétude. La conservation
du bras est assurée. Les autres blessés de Diéna.
sont en bonne voie de guérison.
La mission Crampel
Un do nos amis a reçu do l'Oubanghi-Ouellé
(pays Banziri), des renseignements intéressants sur
le passage de la mission Crampel, qu'il a l'obli-
geance de nous communiquer.
« Le 12 décembre 1890, dit la lettre dont il s'agit,
la mission Crampel, quittant définitivement le poste
de Bangui, franchissait la région des rapides et ar-
rivait le 24 décembre au village Banziri, du chef
Bombé.
» Le 4 janvier l'expédition quittait les rives do
l'Oubanghipour s'enfoncer dans l'intérieur.L'arrièrc-
garde, sous la direction de M. A. Orsi, allait s'éta-
blir au camp de Makobou, à une vingtaine de kilo-
mètres du fleuve. Mais, hélas avant de quitter
cette région, la mort devait venir éprouver les
membres de là mission.
» Le 28 janvier 1891, M. A. Fondôre, chef de sta-
tion dans l'Oubanghi, qui visitait la région si-
tuée au-dessus des rapides, arrivait au village du
chef Bembé. En descandant de pirogue, la pre-
mière nouvelle qu'on lui annonça fut la mort de M.
Orsi, survenue doux heures avant son arrivée. M.
Orsi, atteint de la dysenterie au campement do
Makobou, avait été transporté le jour même, par
ses hommes, au village du chef Bombé, où il était
arrivé vers onze heures du matin. A quatre heures
de l'après-midi, il rendait le dernier soupir.
» M. Fondère fit aussitôt embarquer le cadavre
dans sa pirogue et, le soir môme, une équipe de
Banziris, fournie par le chef Bembé, descendait
l'Oubanghi, conduisant le corps de M. A. Orsi au
poste dé Bangui, pour y être inhumé. »
Le correspondant ajoute
« Aujourd'hui, je me repose chez Bembé. Devant
la porte de ma tente sont groupés des femmes et
des enfants. Ils regardent tous ce que je fais sur co
morceau de papier, et lorsque je leur dis que ce pa-
pier va partir pour mon pays, loin, bien loin, et
qu'en le recevant mes frères, mes amis sauront que
je suis en bonne santé, ils so font sur la bouche,
avec la main, un signe de stupéfaction. Par mo-
ments, quelques femmes, plus curieuses que les au-
tres, se bousculent pour entrer et venir plus près
de moi. Dans ces mouvements, elles font bouger
les cordes de ma tente. Je me mots à crier avec ma
plus grosse voix et tout ce monde se sauve en se
bousculant et en se renversant. Je me mets à riro
alors et petit à petit les femmes et les enfants re-
viennent se grouper devant ma tonte.
» Cette race de Banziris diffère profondément des
autres races nègres. La première fois que je suis
venu chez eux, j'ai aperçu, non sans étonnement
des femmes aux lèvres minces, au nez presque droit,
et avec des cheveux descendant parfois jusqu'à leurs
piçds. Avec cela elles sont absolument nues, ce qui
m'a permis de constater qu'elles sont fort bien
faites.
» "La plupart d'entre elles ont de fausses tresses, mé-
langées à leurs cheveux. Mais l'effet produit est le
même. Elles sont, en outre, très coquettes. Toutes
les fois que je regarde un groupe de jeunes fem-
mes, elles se mettent immédiatement à danser. Les
vieilles femmes seules ont un peu plus de pudeur.
Elles portent un embryon de costume, d'ailleurs,
bien insuffisant. Quant aux hommes, ils sont vi-
goureux, bien faits et forment des équipes de
pagayeurs infatigables. Je n'ai constaté chez eux
aucune trace d'anthropophagie ot leur accueil m'a
toujours semblé excellent.
» Les tribus qui entourent le poste de Bangui sont,
au contraire, de mœurs déplorables. Durant le mois
d'octobre dernier, elles ont tenu la station en état
de siège. Elles ont réussi môme à lui prendre quatre
qu'elles ont mangés. Leurs villages sont
entourés de fossés et environnés d'une palissade.
Elles sont toujours en guerre ot ne cherchent qu'à se
tuer et à se prendre des hommes ou des femmes
pour les manger. Elles ont été mises un peu à la
raison et actuellement elles regardent à deux fois
avant de se mesurer aux mousquetons européens
UN ACCIDENT DE CHEMIN DE FER. EH SUISSE,
Une terrible catastrophe s'est produite hier, dans
l'après-midi, à Mœnchenstein (la Pierre du Moine),
première) station après Bâle sur la ligne du Jura-
Berne et à cinq kilomètres de Bàlo.
A deux heures quinze, un train de voyageurs or-
dinaire quittait Bàlo en tête se trouvaient deux
machines, puis un wagon de lro classe, un de 2e, un
fourgon postal, un fourgon ordinaire et sept wa-
gons de 3° classe. Ceux-ci étaient presque au com-
plet. p q
Le train contenait environ 600 personnes. Arrivé
au pont Mœnchenstein, la première machine se
trouvait déjà do l'autre côté du pont lorsque celui-ci
s'effondra. p q
Les machines et les trois premiers wagons furent
précipités dans la rivière Birse dont les eaux sont
actuellement très hautes par suite des dernières
pluies.
Le quatrième wagon fut précipité à moitié dans
l'eau, le cinquième wagon de 3° classe resta sus-
pendu entre le pont et les débris le sixième et les
suivants restèrent sur la culée.
La première machine est tombée les roues en
l'air, la deuxième sur les roues, les wagons de pre-
mière et de deuxième classe sont complètement
broyés. p
Le spectacle était terrifiant. De tous côtés on en-
tendait les cris et les gémissements des blessés. On
ne connaît pas encore le nombre exact des victi-
mes. Tous ceux qui ont été précipités dans la ri-
vière ont été écrasés ou noyés parmi les voyageurs
des derniers wagons, qui ont éprouvé une secousso
terrible, il y a de nombreux blessés, la plupart
grièvement beaucoup ont les jambes coupées. On
évalue le nombre des morts à 112 et celui des bles-
sés à 150.
Le train, nous l'avons déjà dit, était bondé de
son droit, après tout. Elle n'avait pas le sou, ou
presque pas. à ce qu'on m'a dit, la petite Mme
Rayol.
Comment sont-ils si à leur aise, alors"
Rayol est un musicien assez goûté dans les sa-
Ions, mais ce n'est pas cela qui enrichit, au con-
traire. Et ce n'est pas son petit acte à l'Opéra-
Comique, l'an dernier, qui l'a rendu millionnaire.
Après tout, il a peut-être hérité de ses parents.
C'est drôle, comme, dans la vie de Paris, on con,
naît peu le passé de ses meilleurs amis.
Et maintenant, mademoiselle, qu'on vous
mette en mariée.
La couturière interrompit sans hésitation le
bavardage de sa riche cliente. Toutes les fem-
mes se turent, regardant la robe de satin blanc
avec sa légère parure de dentelles et de fleurs
d'oranger.
A ce moment on frappa impérieusement à la
porte.
Ne laissez entrer personne cria la coutu-
rière.
Ah je vous en prie, madame Léa, ce doit
être ma cousine je lui ai promis. C'est toi,
Régine? Alors entre, mais ferme vite la porte.
Mon Dieu qu'as-tu ? Tu es toute pâle.
Je crois bien. Quelle émotion Mais j'en
suis malade.
Quoi?
Mme Léa tenait à la main la robe blanche,
qu'elle voulait passer elle-même à lajeune fille;
elle s'arrêta pour écouter, intéressée malgré
elle, tant le visage de la nouvelle venue était
bouleversé.
Figure-toi, c'est le jour de Mme Rayol jo
lui devais une visite. J'entre, je ne trouve per-
sonne, pas un domestique, les portes toutes
ouvertes je crois à un oubli, je tiens mon
porte-cartes à la main, je souris, tu sais, comme
on fait avant de se faire annoncer, et je tombe
sur un drame Mme Rayol, en toilette, sanglo-
tant sur le corps de son mari. Un accident. Il
jouait avec un revolver qu'on ne croyait pas
chargé; il n'a vécu que quelques minutes, ma
chère!
Mme Léa, tenant toujours en l'air sa robe dd
mariée, rigide, effrayante à voir, chercha à ar-
ticuler un mot et n'y réussit pas. Alors, sans
un cri, elle tomba raide, comme morte. Les flots
crémeux de la toilette de mariée la couvrirent
ainsi qu'un linceul blanc.
JEANNE MAIRET.
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