i:80 LA VIE PARISIENNE
A MONSIEUR CHARLES MONSELET
A propos d'un passage de l'article : l'ACADÉMlE, paru dans noll'e dernier numéro,.
nous avons reçu la réclamation que voici :
Monsieur et cher confrère,
Je m'empresse de vous remercier — comme je le dois — el:} la ré-
clame singulière et, par occasion, que vous me consacrez dans la Vie
Parisienne, et que me vaut mon nom célèbre, opposé au nom obscur
d'Alfred de Vigny.
Vous dites que je suis un littérateur distingué (morci!) ci à l'appui
de cette arsertion \ous citez mes SO départements en distiqius, une
méchante charge d'atelier, de bureau de ministre, do réunion de
clercs d'avoués en belle humeur, ou d'estaminet. J'ai eu le loiï, héla:: !
de la commettre et le tort, plus grand encore, de ln lancer urbi et or ri
à l'aide du porte-voix du Figaro„ Sans contredit, c'est Iii, la pire de
mes productions et la seule folâtrerie que je me soi- permise.,, en
public, vous n'avez ou garde de dire un mot de mes travaux sérieux
(merci !). Ce qui est fait est f.)iL.. Jo n'ai que ce que je ircriie. Vous
vous e'cs constilué le vengeur du bon gcùt outragé pur mes calem-
bours et calembredaines géographiques, vous avez bien mérité des
quarante tout en vous moquant d'eux
lU. de Bougy se plaignait ensuite île ce qu'on l'eut vieilli de vingt ails, puis il
terminait ainsi :
Je devrais, peut-être, cher confrère, vous en vouloir un pcL] de cet
étrange éloge tiré à bon nombre d'exemplaires, mais je suis doue d'un
excellent caractère. Je préfère rire et vous tondre la main.
Sans rancune et bien à voua !
.i\LF11ED DE norGY.
Pari':, 34 février 186i.
A PROPOS DE M. DE POUnCEA UGNAC
J'ai été voir hier la reprise de M. de Pvurccavf/nac. On n'y ri't
plus guère en dépit du jeu merveilleux de Got. Mon .voisin de stalle
disait, en se retournant vers sa femme : C'c:,t une grossière para-
de; ces seringues!..., ça à pu être drôle dans son temps, quand en
n'était pas difficile, mais aujourd'hui! Ces médecins sont absurdes;
est-ce qu'il y a des médecins comme celu?
Ce monsieur était sincère, et pour la masse du public, M. de Pour-
ceaugnac est une parade burlesque et ennuyeuse, que l'intérêt archéo-
logique seul maintient à la scène.
Par quelle série d'alambics civilisateurs l'esprit français a-t-il donc
passé pour n'être plus sensible aux franches bouffonneries du vieux
temps, pour ne plus goûter ce bon rire éternellement jeune et éter-
nellement vrai qui, après avoir traversé des siècles, résonne encore
vibrant et sonore comme une médaille d'or pur?
Ne sentez-vous pas que sous le rieur, rirait-il aux éclats, se cache
le philosophe railleur; qu'il n'y a pas une situation, pas un moL, si
grotesque qu'il semble, qui ne soit pris dans la nature, pas un éclat
qui ne peigne un ridicule, rien enfin qui ne soit profondément hu-
main et observé ? S'il y a des boutades de gaîlé, des exagérations
comiques, elles ont toutes un point de départ vrai. — Charges si vous
voulez, mais charges faites d'après nature.
Il n'y a là ni convention, ni argot, ni coq-à-1 ane à la mode, ni
exhibition honteuse de laideurs aimées, ni feu d'artifice de pétards il
deux sous, tien enfin de ce qui fait le succès de 110S pièces d'aujour-
d'hui, mais qu'ust-ce que cela prouve?
Got comprend ]a divine bouffonnerie de Molière en artiste cI, on
maître, 01 il en rend toutes les nuances en observateur fia et profond.
Tandis que les deux docteurs débitent leur pathos et lui tâtent le
pouls, le gentilhomme limousin et empanaché a des expressions de
visage d un naturel si comique el si vrai! C'est d'abord un sourire
de condescendance, puis de l'etoDncment, puis de l'inquiétude, puis
de la colère, puis de la rage. Voyez comme Got rend tout cela — et
cependant ILL Faculté ne rit pas. il n'y a plus de médecins comme
cela ? — Non, les docteurs ne portent plus de robes noires et de bon-
nefs pointus, mais Ù. part cela, monfrcz-m'en donc qui ne leur res-
Remb'C>1I t pas et qui, le cas échéant, ne soient pas capables de dire
sérieusement des sottises de même force. Ils ne les diront pas ave.;
Les mêmes mots et les mêmes tournures de phrases, cela 'va sans
dire, nous ne vivons plus sous Louis XIV, mais cela n'est que' l'enve-
10ppc du paquet, donnez-vous la peine de voir ce qu'il y a dedans.
Kous ressemblons tous, grouillants dans notre petit milieu empesté,
Ù. des facteurs en retard. — Nous n'avons pas le temps, toute notre vie
est dms ces cinq mois. Chefs-d'œuvre ou turpitudes, nous lisons tout
intliifJrcmment, el: cela en hâte, pressés, en dévorant une côtelette
et 1.'1 montre à la ira in. — Des l'ails! des faits! Nous courons au de-
n:iÛ!Tcnf.; notre œil, habitué à additionner, saisit un mot sur dix
et il faut, pour nous pluirc, que ce mot soit extrêmement spirituel i
vif, piquant, corsé, épicé; qu'il violente notre attention. — Nous
n allons pas au-devunt des sensations : nous n'avons pas le temps; il
faut qu'elles nous prennent au collet, et nous fassent entrer l'émotion
dans ie cœur comme on fail entrer un clou dans une solive.
.112 suis en'ré une fois à la Bourse, et j'ai été effrayé à la vue de
tous ces gens furieux, en apparence du moins, rouges, animés, ec
bnçant, de toute la force de leurs poumons, des paroles étranges et
incompréhensibles. — Yel¡]l'nl-i]s s'injurier? D'autres, la tête nue
les cheveux en désordre, couraient, heurtaient, bousculaient en éle-
vant en l'air des petits morceaux de papier... On comprend parfai-
tement que lorsque lotis ces êtres agités veulent se distraire, la ver-
deur d'une gaieté franche et naturelle leur paraisse incolore et insl-
pide Il leur faut les joies épileptiques, les distractions de Peau-Rouge
en g'jgr;c-Hc, que l'on trouve au Pnlais-Hoyal.
lïire m::ladif, rire.de salpétriers, rire anglais, rire de buveurs d'ab-
sinthe qui confond l'eau pure avec le vieux volney.
Combien y a-t-il de gens qui tassent une différence entre une idée
fine et rue idée pointue ?
Combien y en a-t-il que l'élude de celte différence intéresse?
Il y a des oreilles dures qui ne sont plus sensibles qu'au rire du
canon et aux facéties du tam-tam chinois.
Et cependant, si étrangers que nous soyons aux délicates jouis-
sances de l'esprit, nous nous piquons de littérature à nos moments
perdus; il nous en faut une, et les auteurs habiles, à force d'étudier
noire état et nos vilains petits penchants, ont fini par trouver un art
correspondant à tout cela. A notre moralité douteuse et toute d'ap-
petronee, prude, guindée, banale, M. Ponsard a offert une moralité à
soixante c entimes le rouleau et en vers, à la. portée de tous les esprits,
et se prenant au sérieux. Rappelez-vous ces cravates blanches t'l, nœud
fait d'avance. Ça n'est pas salissant, pas coûteux, et on a toujours l'air
Imbilie.
Il n 'y a plus que deux classes de gens qui soient impressionnables
par la grande comédie, j entends par l'étude profonde de types hu-
mains et vrais. Dans la première de ces classes se rangent les esprits
d élite, et il y en a peu. Dans la seconde, le peuple, le vrai peuple
que n'a point faussé une éducation de convention.
Quant à la bourgeoisie, à la masse des gens afl,'air,,é's, quant à l'im-
mense famille de l'immortel J:oseph Prud'homme, elle est faite pour
sucer b sein rosé de M. Octave Feuillet et pour s'en lécher les lèvres.
A MONSIEUR CHARLES MONSELET
A propos d'un passage de l'article : l'ACADÉMlE, paru dans noll'e dernier numéro,.
nous avons reçu la réclamation que voici :
Monsieur et cher confrère,
Je m'empresse de vous remercier — comme je le dois — el:} la ré-
clame singulière et, par occasion, que vous me consacrez dans la Vie
Parisienne, et que me vaut mon nom célèbre, opposé au nom obscur
d'Alfred de Vigny.
Vous dites que je suis un littérateur distingué (morci!) ci à l'appui
de cette arsertion \ous citez mes SO départements en distiqius, une
méchante charge d'atelier, de bureau de ministre, do réunion de
clercs d'avoués en belle humeur, ou d'estaminet. J'ai eu le loiï, héla:: !
de la commettre et le tort, plus grand encore, de ln lancer urbi et or ri
à l'aide du porte-voix du Figaro„ Sans contredit, c'est Iii, la pire de
mes productions et la seule folâtrerie que je me soi- permise.,, en
public, vous n'avez ou garde de dire un mot de mes travaux sérieux
(merci !). Ce qui est fait est f.)iL.. Jo n'ai que ce que je ircriie. Vous
vous e'cs constilué le vengeur du bon gcùt outragé pur mes calem-
bours et calembredaines géographiques, vous avez bien mérité des
quarante tout en vous moquant d'eux
lU. de Bougy se plaignait ensuite île ce qu'on l'eut vieilli de vingt ails, puis il
terminait ainsi :
Je devrais, peut-être, cher confrère, vous en vouloir un pcL] de cet
étrange éloge tiré à bon nombre d'exemplaires, mais je suis doue d'un
excellent caractère. Je préfère rire et vous tondre la main.
Sans rancune et bien à voua !
.i\LF11ED DE norGY.
Pari':, 34 février 186i.
A PROPOS DE M. DE POUnCEA UGNAC
J'ai été voir hier la reprise de M. de Pvurccavf/nac. On n'y ri't
plus guère en dépit du jeu merveilleux de Got. Mon .voisin de stalle
disait, en se retournant vers sa femme : C'c:,t une grossière para-
de; ces seringues!..., ça à pu être drôle dans son temps, quand en
n'était pas difficile, mais aujourd'hui! Ces médecins sont absurdes;
est-ce qu'il y a des médecins comme celu?
Ce monsieur était sincère, et pour la masse du public, M. de Pour-
ceaugnac est une parade burlesque et ennuyeuse, que l'intérêt archéo-
logique seul maintient à la scène.
Par quelle série d'alambics civilisateurs l'esprit français a-t-il donc
passé pour n'être plus sensible aux franches bouffonneries du vieux
temps, pour ne plus goûter ce bon rire éternellement jeune et éter-
nellement vrai qui, après avoir traversé des siècles, résonne encore
vibrant et sonore comme une médaille d'or pur?
Ne sentez-vous pas que sous le rieur, rirait-il aux éclats, se cache
le philosophe railleur; qu'il n'y a pas une situation, pas un moL, si
grotesque qu'il semble, qui ne soit pris dans la nature, pas un éclat
qui ne peigne un ridicule, rien enfin qui ne soit profondément hu-
main et observé ? S'il y a des boutades de gaîlé, des exagérations
comiques, elles ont toutes un point de départ vrai. — Charges si vous
voulez, mais charges faites d'après nature.
Il n'y a là ni convention, ni argot, ni coq-à-1 ane à la mode, ni
exhibition honteuse de laideurs aimées, ni feu d'artifice de pétards il
deux sous, tien enfin de ce qui fait le succès de 110S pièces d'aujour-
d'hui, mais qu'ust-ce que cela prouve?
Got comprend ]a divine bouffonnerie de Molière en artiste cI, on
maître, 01 il en rend toutes les nuances en observateur fia et profond.
Tandis que les deux docteurs débitent leur pathos et lui tâtent le
pouls, le gentilhomme limousin et empanaché a des expressions de
visage d un naturel si comique el si vrai! C'est d'abord un sourire
de condescendance, puis de l'etoDncment, puis de l'inquiétude, puis
de la colère, puis de la rage. Voyez comme Got rend tout cela — et
cependant ILL Faculté ne rit pas. il n'y a plus de médecins comme
cela ? — Non, les docteurs ne portent plus de robes noires et de bon-
nefs pointus, mais Ù. part cela, monfrcz-m'en donc qui ne leur res-
Remb'C>1I t pas et qui, le cas échéant, ne soient pas capables de dire
sérieusement des sottises de même force. Ils ne les diront pas ave.;
Les mêmes mots et les mêmes tournures de phrases, cela 'va sans
dire, nous ne vivons plus sous Louis XIV, mais cela n'est que' l'enve-
10ppc du paquet, donnez-vous la peine de voir ce qu'il y a dedans.
Kous ressemblons tous, grouillants dans notre petit milieu empesté,
Ù. des facteurs en retard. — Nous n'avons pas le temps, toute notre vie
est dms ces cinq mois. Chefs-d'œuvre ou turpitudes, nous lisons tout
intliifJrcmment, el: cela en hâte, pressés, en dévorant une côtelette
et 1.'1 montre à la ira in. — Des l'ails! des faits! Nous courons au de-
n:iÛ!Tcnf.; notre œil, habitué à additionner, saisit un mot sur dix
et il faut, pour nous pluirc, que ce mot soit extrêmement spirituel i
vif, piquant, corsé, épicé; qu'il violente notre attention. — Nous
n allons pas au-devunt des sensations : nous n'avons pas le temps; il
faut qu'elles nous prennent au collet, et nous fassent entrer l'émotion
dans ie cœur comme on fail entrer un clou dans une solive.
.112 suis en'ré une fois à la Bourse, et j'ai été effrayé à la vue de
tous ces gens furieux, en apparence du moins, rouges, animés, ec
bnçant, de toute la force de leurs poumons, des paroles étranges et
incompréhensibles. — Yel¡]l'nl-i]s s'injurier? D'autres, la tête nue
les cheveux en désordre, couraient, heurtaient, bousculaient en éle-
vant en l'air des petits morceaux de papier... On comprend parfai-
tement que lorsque lotis ces êtres agités veulent se distraire, la ver-
deur d'une gaieté franche et naturelle leur paraisse incolore et insl-
pide Il leur faut les joies épileptiques, les distractions de Peau-Rouge
en g'jgr;c-Hc, que l'on trouve au Pnlais-Hoyal.
lïire m::ladif, rire.de salpétriers, rire anglais, rire de buveurs d'ab-
sinthe qui confond l'eau pure avec le vieux volney.
Combien y a-t-il de gens qui tassent une différence entre une idée
fine et rue idée pointue ?
Combien y en a-t-il que l'élude de celte différence intéresse?
Il y a des oreilles dures qui ne sont plus sensibles qu'au rire du
canon et aux facéties du tam-tam chinois.
Et cependant, si étrangers que nous soyons aux délicates jouis-
sances de l'esprit, nous nous piquons de littérature à nos moments
perdus; il nous en faut une, et les auteurs habiles, à force d'étudier
noire état et nos vilains petits penchants, ont fini par trouver un art
correspondant à tout cela. A notre moralité douteuse et toute d'ap-
petronee, prude, guindée, banale, M. Ponsard a offert une moralité à
soixante c entimes le rouleau et en vers, à la. portée de tous les esprits,
et se prenant au sérieux. Rappelez-vous ces cravates blanches t'l, nœud
fait d'avance. Ça n'est pas salissant, pas coûteux, et on a toujours l'air
Imbilie.
Il n 'y a plus que deux classes de gens qui soient impressionnables
par la grande comédie, j entends par l'étude profonde de types hu-
mains et vrais. Dans la première de ces classes se rangent les esprits
d élite, et il y en a peu. Dans la seconde, le peuple, le vrai peuple
que n'a point faussé une éducation de convention.
Quant à la bourgeoisie, à la masse des gens afl,'air,,é's, quant à l'im-
mense famille de l'immortel J:oseph Prud'homme, elle est faite pour
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