Titre : La Chronique mondaine, littéraire & artistique : journal hebdomadaire
Éditeur : [s.n.] (Nîmes)
Date d'édition : 1899-09-02
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32741873b
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 02 septembre 1899 02 septembre 1899
Description : 1899/09/02 (A8). 1899/09/02 (A8).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG30 Collection numérique : BIPFPIG30
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bd6t510549264
Source : Bibliothèque Carré d'art / Nîmes, 33352
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 02/04/2023
HUITIEME ANNEE
Le Numéro: 10 centimes.
SAMEDI 2 SEPTEMBRE 1899
PONT-D'HERRY
Rédacteur en chef: PAUL VIOLETTE.
ABONNEMENTS
Nîmes et département du Gard. . un an 6 fr. — six mois 3 fr. 5o
Autres Départements id. 7 — id. 4 »
ANNONCES ET INSERTIONS
Nouvelles et Echos, la ligne 3 fr.
Réclames, la ligne. t 50
Lia joie de vivre
Tous les journaux sont quotidien-
nement remplis d'annonces de sui-
cides et jamais autant qu'aujourd'hui
on n'a vu un pareil nombre de de'ses-
pére's.
De tout temps, certes, on a vu des
vieillards ou des malheureux que la
souffrance , la misère, la privation
des choses les plus indispensables à
la vie physique ont pousse' à se don-
ner la mort. De tout temps aussi on
a vu des créatures humaines s'ôter
volontairement la vie par suite d'une
de ces catastrophes soudaines qui
ébranlent l'âme tout entière, et pro-
voquent une sorte de frénésie du
désespoir. Mais jamais on n'avait ap-
pris que tant d'hommes et de fern-
mes aient volontairement quitté cette
terre, beaucoup même à un âge où
l'être humain sent d'ordinaire en lui
une surabondance de sève, une ré-
serve d'énergie et d'espérance qui
permet de traverser des crises encore
beaucoup plus âpres que quelques
chagrins de famille, quelques peines
de cœur ou quelques déceptions.
Devant ce dégoût de la vie, cette
incapacité à guérir les blessures in-
térieures, le moraliste hésite. Il se
demande s'il n'y a pas là tout sim-
plement une manière de contagion
morbide, les récits de suicide col-
portés par les journaux engendrant
presque mécaniquement des suici-
des. L'idée de la suprême délivran-
ce étant sans cesse évoqué,peu à peu
les esprits s'y adaptent et l'instinct
de la conservation mollit. Il peut
donc y avoir dans toutes ces fins la-
mentables la manifestation d'un dé-
traquement spécial produit par la
lecture et les influences ambiantes.
Mais cela ne suffit pas. Qu'il s'agisse
du suicide romantique à la Werther,
ou bien du suicide par imitation, à
la suite des faits divers sensation-
nels, il reste toujours à se demander
pourquoi les volontés sont si débi-
les, pourquoi elles ne parviennent
pas à se raidir et se laissent ainsi al-
1er à la fatalité du courant?
Autrefois , durant le moyen âge
surtout, la loi religieuse dominant et
réglant la loi civile, les corps des
suicidés dont les âmes , suivant la
foi, encourent la damnation éternel-
le, étaient jetés à la voirie et leurs
biens confisqués. Les philosophes
du xvm'"° siècle ont protesté contre
i|ne législation qui frappait,' en réa-
Jjté, nPh Ie ÙIORt, nlqis sa famille déjà
durement éprouvée. Et non seule-
ment les peines contre les suicidés
ont disparu , mais aujourd'hui on
éprouve plutôt une compassion sym-
pathique pour ceux qui se réfugient
dans la mort.
Il ne faudrait cependant pas que
cette compassion devînt, parune voie
indirecte, une manière d'encourage-
ment. On doit, au contraire, s'effor-
cer de répandre par tous les moyens
possibles (enseignement, conférence,
journal et livre) les fortes notions à la
lumière desquelles le suicide appa-
raît comme une défaillance et une
lâcheté.
Pour comprendre la vie et pour la
supporter vaillamment , quoiqu'il
advienne, rien n'est plus nécessaire
qu'un idéal , une aspiration vers
l'au-delà, qui nous soulève au des-
sus de notre condition et nous fasse
oublier ou envisager avec philoso-
phie et avec sérénité les amertumes,
les déboires et les cruautés de l'exis-
tence. Plusieurs des désespérés quo-
tidiens dont les journaux enregis-
trent le suicide avaient probable-
ment, eux aussi, soif d'idéal. Seule-
ment, ils avaient placé leur idéal à
un niveau trop bas : les créatures
humaines, sur lesquelles ils avaient
concentré leur affection, disparais-
sant. ils n'ont plus aperçu qu'une
route monotone et morne qu'il fal-
laii parcourir dans les humbles tâ-
ches,avec la fatigue du labeur quo-
tidien et le vide du cœur. Ils n'ont
pu se résigner à cette perspective et
ils ont préféré partir... Pour les re-
tenir et les attacher à leur poste hu-
main, il leur eût fallu la véritable
source de la vie, l'idéal sans lequel
la volonté chancelle et finit par s'a-
ne'antir devant l'attirance hypnoti-
que de la mort. Les banalités de
l'existence ont encore du bon quand
on sait s'en servir et prendre cette
existence par le bon côté. Heureux
ceux qui comprennent la valeur de
ces quatre mots : la joie de vivre —
et en apprécient toute la bienfai-
santé douceur !
Paul Violette.
SOUVENANCE
Quoi ! déjà vingt-deux an»,vous que je vois en-
[core
Toute mignonne,offrant votre rire au ciel bleu,
Telle que vous étiez.à dix ans — c'est l'aurore—
Et quand j'étais moi-même enfant encore un
[peu !
Les roses du jardin penchaient, lasses d'éclore.
Gentiment, souriante et comme pour un jeu,
Vous plaquiez des accords sur le clavier sonore;
Et c'était sous vos doigts comme un trouble
[d'aveu.
Bonheur ! vous ignorez le songe, la chimère ;
Vos rêves gazouillaient au coeur de votre mère;
Vous auriez attendri les lia pris à témoin.
Et pourtant, c'est ainsi que l'amour vient aux
[âmes.
Vous cherchiez, disiez-vons, en essayant les
[gammes
Les notes d'à côté qui s'aiment de très loin.
CLOV1S HUGUES
DU PEUPLE
———
« Le mouvement prolétaire, écrivait
» récemment M. Alfred Fouillée, coin-
s cide, avec l'établissement des écoles
« populaires et la diffusion de la cultu-
» re. D'une part, sans l'idée et le senti-
» ment de la dignité humaine, on ne
» peut réveiller les classes populaires
» de leur sommeil séculaire. D'autre
» part, en fave.r de la classe ouvrière,
» il faut faire ! a conquête spirituelle
» des éléments supérieurs de la classe
» élevée : toutes thoses qui ne peuvent
» être l'œuvre ni des seuls ouvriers ni
» des seuls intérêts économiques. C'est
» donc aux esprits désintéressés que la
» matérialisme utilitaire est forcé de
» faire appel. » (1)
Et des esprits désintéressés ont ré-
pondu. Certes, il existait déjà des ten-
tatives d'enseignement post-scolaire qui
avaient en vue de compléter l'instruc-
tion primaire. On comprend qu'aug-
menter des connaissances pratiques,
meubler l'esprit de notions plus déve-
loppées sur les sciences, les arts et les
lettres, aboutit à rendre 1 individu plus
éclairé, mieux in: ormé sur les éléments
et les phénomènes de la matière et de
l'esprit. Mais il semble que le perfec-
tionnement moral ne résulte nullement
de cette acquisition de données particu-
lières et relatives. La conscience p:r-
sonnelle ne subit aucune amélioration
de cet emmagasinement mnémotechni-
que. Or, dans une démocratie, il est in-
dispensableexerce sa
faculté de penser en vue de la rectitude
de son jugement et de l'élévation de
ses instincts. En un mot, il est utile
que la culture intellectuelle tende à une
direction de la vie, orientée vers la di-
gnité du caractère,la générosité des sen-
timents, l'élargissement des vues. M.
Henrv Bauër a formulé avec une sou-
veraine précision que «le but de l'ins-
» truction, supérieureaux notions maté-
» rielles et rudimentaires , n'est pas
» l'obtention d'un diplôme ou d'un cer-
» tificat qui permette certains emplois :
» c'est d'élever l'esprit à une compré-
» hension plus complète de la vie, à
» la connaissance des rapports et des
» causes, au degré le plus avancé de la
» conquête de la vérité.» En effet,en com-
parant des doctrines adverses, en dépla-
çant nos vues en des pôles opposés de
la pensée, rous sommes amenés à rec-
tifier nos idées,à épurer nos sentiments.
Devenus plus claivoyants, nous nous ré-
formons dans un sens plus équitable,et
capables de plus de justice, nous som-
mes capables d'une bonté plus large.
Ainsi, lorsque nous en arrivons à ap-
précier l'action des idées sur notre pro-
pre jugement, nous sommes plus aptes
• à mesurer l'influence d'idées contraires
sur les jugements des autres. Notre
compréhension acquiert de la généro-
sité. Et dans un adversaire, nous sen-
tons un être respectable de par la sin-
cérité de ses convictions. La tolérance
s'établit ainsi comme régulatrice de nos
opinions. Répudiant tout exclusivisme
aveugle, nous nous affranchissons des
préjugés. De celte émancipation intel-
lectuelle, nous sortons meilleurs parce
que nous nous affirmons plus intel fi-
gents. Pour prendre encore à M. Henry
Bauër une excellente définition ; « le
signe de là c^Ueditd et de la valeur mo-
raie dans les personnalités, c'est la ca-
pacitè d'idées générales. » (2)
Ces esprits désintéressés, ayant con-
quiscette libération de l'esprit, ont vou-
la procurer à d autres. C est une so^te .
fl'ipstjnct, à lq fois spirituel et cordial,
qui les g conduit à faire acte de soli-
darité sociale. Il est si pénible de se
heurter à des partis-pris causés par l'i-
(1 ) L'Idée de Justice sociale, d'après les éco-
les contemporaines.» Revue des Deux-Mondes,
i«r mars 99.
Ù) Chronique. Le Journal, i3 avril 99.
gnorancc, par l'indifférence, par la pa-
resse, que des hommes accueillaats et
ouverts, ont été pénétrés de la nécessité
de leur intervention. Ils ont senti pro-
fondément que des mésintelligences s'é-
vanouiraient devant de loyaux éclaircis-
sements, et ils se sont mis courageuse-
ment à la tâche. Ils ont voulu que le
savoir, comme la richesse, ne fut un
bien légitime qu'à la condition de la
partager avec d'autres hommes moins
privilégiés. Et ils ont fondé La Coo-
pération des Idées, société des Univer-
sités populaires.Voici les articles essen-
tiels des statuts :
«Art. ier.—La Coopération des Idées,
société des Universités populaires est
fondée pour organiser et développer
l'enseignement supérieur du peuple et
l'éducation éthique-socialeen France.
■» Art. 2. — Elle se propose de créer
une Université populaire dans chacune
dea grandes villes de France, et d'abord
à Paris; de former des groupes d'enséi-
gnement supérieur populaire un peu
partout; de publier les meilleures con-
férences et de les répandre ; d'organiser
des conférences , des bibliothèques et
des musées circulants pour tous les
groupes adhérents.
s> Art. 3. — L'Association n'a aucun
caractère politique et religieux. »
Ces citations de texte dispensent de
tout commentaire. Ceux qui retrouvent
dans cette initiative l'exacte expression
de ce qui resta l'un de leurs souhaits
les plus chers n'ont pas besoin qu'on la
leur rende plus chère. Elle se recom-
mande d'elle-même à l'impérieux souci
de leur cœur.
Le bureau actuel préseute les noms
suivants : président, M. Gabriel Séail-
les , professeur à la Sorbonne ; vice-
présidents : Dr Delbet, député , direc-
teur du collège libre des sciences socia-
les, et Henry Michel, professeur à la
Sorbonne. Le secrétaire général M.
Georges Deherme est le véritable pro-
moteur de la Coopération des Idées ,
dont il posa les bases, dès 1896. C'est
un ancien ouvrier typographe. « Il s'est
» instruit lui-même par ses chimères}
» par ses erreurs, autant et plus que par
» les livres. Il sait ce que font fermen-
» ter de rêves et de cauchemars dans
» un esprit ardent l'ignorance et l'aban-
» don. Doué d'une énergie peu commu-
» ne et d'une intelligence supérieure, il
» a dominé ses impatiences, dompté ses
» emportements. Il s'est imposé une
» méthode, il a fait son salut lui-même
» par la science. Affranchi,libéré, il s'est
» tourné avec angoisse vers son passé, il
» a résolu d'éviter aux autres les dan-
» gers qu'il avait courus, et seul, in-
» connu, sans appui, sans ressources,
» il a dévoué sa vie à la fondation de
» ce qu'il a appelé l'enseignement supé-
» rieur parla Coopération des Idées, c (1)
L'un des secrétaires tst notre compa-
triote M. Henry Mazel. Parmi lesmem-
bresdu Comité de Propagande, se trou-
vent MM. Maurice Bouchur , Ferdi-
nand Buisson, Lucien Descaves , Paul
Desjardins , Emile Duclaux , Charles
Gide, Ernest Lavisse , Anat, Leroy-
Beaulieu, Edouard Petit, etc... — Ces
références, pour ainsi dire, expliquent
le prompt succès de l'œuvre. Lorsque
de tels collaborateurs viennent sponta-
nément vers un homme et vers une idée,
c'est l'hommage le plus efficace qu'ils
puissent rendre à l'un et à l'autre. Et
ce sont ces maîtres, membres de l'Ins-
titut, professeurs de Facultés . inspec-
(1) Gabriel Séailles, R_evue Bleue, 12 août 99.
teurs généraux, journalistes , qui ont
parlédirectement aux ouvriers, avec une
familiarité touchante Moyennant une
cotisation de cinquante centimes par
mois, un ouvrier attentif, après sa jour-
née de labeur, a pu écouter la parole de
ces vulgarisateurs bénévoles qui sont
véritablement des apôtres intellectuels.
Voici quelques sujets traités au cours de
cette année :
L'Antisémitisme , par M. Anatole
Leroy-Beaulieu, — Le peuple dans la
littérature française, par M. Charles
Brun, agrégé des lettres, — La Justice,
par M. Micouleau, professeur de philo-
sophie, — L'Utilité des Sociétés coo-
pératives, par M. Charles Gide, profes-
seur à la Faculté de Droit, — L'espril
positif, d'après Aug. Comte, par M. le
Dr Delbet, — La poésie des humbles, par
M. Emile Trolliet, professeur au collège
Stanislas, — Le Salaire minimum, par
M. Arthur Fontaine, sous-directeur de
l'Office du travail,— La Santé et la Ma-
ladie, par M. Emile Duclaux, directeur
de l'Institut Pasteur , — L'Education
de la volonté, par M. Ferdinand Buis-
son, professeur à la Sorbonne, — Des
Bourses du travail et de leur institu-
tion, par M Fernand Pelloutier, typo-
graphe, — Les Grands livres de l'Hu-
manité, par M. Paul Desjardins, pro-
fesseur au lycée Michelet, etc.
Ou voit, par ces exemples , combien
l'enseignement ainsi donné en toute
simplicité, avec ouverture de cœur, em-
brasse de sciences diverses, mais elles
sont vulgarisées avec le souci primor-
dial de servir à l'éducation morale de
l'individu. En l'éclairant sur la direc-
tion de l'esprit, sur les moyens prati-
ques d'améliorer sa condition, les colla-
borateurs de M. G. Deherme ont voulu
donner à l'ouvrier une conscience plus
nette de ses devoirs et de ses droits, no-
tions corrélatives et si indispensables à
cette heure de libre discussion !
La province ne peut se désintéresser
d'une si haute tentative. Aux hommes
de bonne volonté, modestes et obscurs
qu'elle renferme , il appartient de se
mettre sans retard à l'œuvre.
Simplex.
CORRESPOXDAXCE
DE RAYREITH
[Un de nos collaborateurs intermittents —
par trop intermittent, celui-là , — en ce mo-
ment à Bayreuth, nous adresse la correspon-
dance suivante. |
Bayreuth, août 99.
La saison s'achève ; elle a été très
fructueuse , très belle et très intéres-
santé. Les représentations du Ring,
comme on dit ici,—et je dis comme tout
le monde pour ne pas me faire remar-
quer— ont été très suivies. Sans doute,
la musique est l'attrait essentiel de ces
fêtes 1?) musicales, elle n'en est pas l'u-
nique attrait. Et moi profane, qui aime
bien cependant la musique de Wagner,
mais qui n'en perds ni le boire, ni le
manger, ni le reste, )'ai pu me distraire
et m'intéresser autre part qu'aux repré-
sentations.
La vue du public qu'elles rassemblent
en est une joie, et l'on ferait presque le
voyage pour contempler le spectacle
si bariolé, si amusant que donne la
foule pendant les entr'actes. Quelques
solitaires se répandent dans la campa-
gne et vont méditer dans les champs
qui entourent le théâtre ou dans le bois
qui couvre la pente de la colline. Mais
le plus grand nombre demeure par
groupes compacts devant la façade du
Festspielhaus, sur la jolie plate-forme
d'où l'on découvre les ondulations un
Le Numéro: 10 centimes.
SAMEDI 2 SEPTEMBRE 1899
PONT-D'HERRY
Rédacteur en chef: PAUL VIOLETTE.
ABONNEMENTS
Nîmes et département du Gard. . un an 6 fr. — six mois 3 fr. 5o
Autres Départements id. 7 — id. 4 »
ANNONCES ET INSERTIONS
Nouvelles et Echos, la ligne 3 fr.
Réclames, la ligne. t 50
Lia joie de vivre
Tous les journaux sont quotidien-
nement remplis d'annonces de sui-
cides et jamais autant qu'aujourd'hui
on n'a vu un pareil nombre de de'ses-
pére's.
De tout temps, certes, on a vu des
vieillards ou des malheureux que la
souffrance , la misère, la privation
des choses les plus indispensables à
la vie physique ont pousse' à se don-
ner la mort. De tout temps aussi on
a vu des créatures humaines s'ôter
volontairement la vie par suite d'une
de ces catastrophes soudaines qui
ébranlent l'âme tout entière, et pro-
voquent une sorte de frénésie du
désespoir. Mais jamais on n'avait ap-
pris que tant d'hommes et de fern-
mes aient volontairement quitté cette
terre, beaucoup même à un âge où
l'être humain sent d'ordinaire en lui
une surabondance de sève, une ré-
serve d'énergie et d'espérance qui
permet de traverser des crises encore
beaucoup plus âpres que quelques
chagrins de famille, quelques peines
de cœur ou quelques déceptions.
Devant ce dégoût de la vie, cette
incapacité à guérir les blessures in-
térieures, le moraliste hésite. Il se
demande s'il n'y a pas là tout sim-
plement une manière de contagion
morbide, les récits de suicide col-
portés par les journaux engendrant
presque mécaniquement des suici-
des. L'idée de la suprême délivran-
ce étant sans cesse évoqué,peu à peu
les esprits s'y adaptent et l'instinct
de la conservation mollit. Il peut
donc y avoir dans toutes ces fins la-
mentables la manifestation d'un dé-
traquement spécial produit par la
lecture et les influences ambiantes.
Mais cela ne suffit pas. Qu'il s'agisse
du suicide romantique à la Werther,
ou bien du suicide par imitation, à
la suite des faits divers sensation-
nels, il reste toujours à se demander
pourquoi les volontés sont si débi-
les, pourquoi elles ne parviennent
pas à se raidir et se laissent ainsi al-
1er à la fatalité du courant?
Autrefois , durant le moyen âge
surtout, la loi religieuse dominant et
réglant la loi civile, les corps des
suicidés dont les âmes , suivant la
foi, encourent la damnation éternel-
le, étaient jetés à la voirie et leurs
biens confisqués. Les philosophes
du xvm'"° siècle ont protesté contre
i|ne législation qui frappait,' en réa-
Jjté, nPh Ie ÙIORt, nlqis sa famille déjà
durement éprouvée. Et non seule-
ment les peines contre les suicidés
ont disparu , mais aujourd'hui on
éprouve plutôt une compassion sym-
pathique pour ceux qui se réfugient
dans la mort.
Il ne faudrait cependant pas que
cette compassion devînt, parune voie
indirecte, une manière d'encourage-
ment. On doit, au contraire, s'effor-
cer de répandre par tous les moyens
possibles (enseignement, conférence,
journal et livre) les fortes notions à la
lumière desquelles le suicide appa-
raît comme une défaillance et une
lâcheté.
Pour comprendre la vie et pour la
supporter vaillamment , quoiqu'il
advienne, rien n'est plus nécessaire
qu'un idéal , une aspiration vers
l'au-delà, qui nous soulève au des-
sus de notre condition et nous fasse
oublier ou envisager avec philoso-
phie et avec sérénité les amertumes,
les déboires et les cruautés de l'exis-
tence. Plusieurs des désespérés quo-
tidiens dont les journaux enregis-
trent le suicide avaient probable-
ment, eux aussi, soif d'idéal. Seule-
ment, ils avaient placé leur idéal à
un niveau trop bas : les créatures
humaines, sur lesquelles ils avaient
concentré leur affection, disparais-
sant. ils n'ont plus aperçu qu'une
route monotone et morne qu'il fal-
laii parcourir dans les humbles tâ-
ches,avec la fatigue du labeur quo-
tidien et le vide du cœur. Ils n'ont
pu se résigner à cette perspective et
ils ont préféré partir... Pour les re-
tenir et les attacher à leur poste hu-
main, il leur eût fallu la véritable
source de la vie, l'idéal sans lequel
la volonté chancelle et finit par s'a-
ne'antir devant l'attirance hypnoti-
que de la mort. Les banalités de
l'existence ont encore du bon quand
on sait s'en servir et prendre cette
existence par le bon côté. Heureux
ceux qui comprennent la valeur de
ces quatre mots : la joie de vivre —
et en apprécient toute la bienfai-
santé douceur !
Paul Violette.
SOUVENANCE
Quoi ! déjà vingt-deux an»,vous que je vois en-
[core
Toute mignonne,offrant votre rire au ciel bleu,
Telle que vous étiez.à dix ans — c'est l'aurore—
Et quand j'étais moi-même enfant encore un
[peu !
Les roses du jardin penchaient, lasses d'éclore.
Gentiment, souriante et comme pour un jeu,
Vous plaquiez des accords sur le clavier sonore;
Et c'était sous vos doigts comme un trouble
[d'aveu.
Bonheur ! vous ignorez le songe, la chimère ;
Vos rêves gazouillaient au coeur de votre mère;
Vous auriez attendri les lia pris à témoin.
Et pourtant, c'est ainsi que l'amour vient aux
[âmes.
Vous cherchiez, disiez-vons, en essayant les
[gammes
Les notes d'à côté qui s'aiment de très loin.
CLOV1S HUGUES
DU PEUPLE
———
« Le mouvement prolétaire, écrivait
» récemment M. Alfred Fouillée, coin-
s cide, avec l'établissement des écoles
« populaires et la diffusion de la cultu-
» re. D'une part, sans l'idée et le senti-
» ment de la dignité humaine, on ne
» peut réveiller les classes populaires
» de leur sommeil séculaire. D'autre
» part, en fave.r de la classe ouvrière,
» il faut faire ! a conquête spirituelle
» des éléments supérieurs de la classe
» élevée : toutes thoses qui ne peuvent
» être l'œuvre ni des seuls ouvriers ni
» des seuls intérêts économiques. C'est
» donc aux esprits désintéressés que la
» matérialisme utilitaire est forcé de
» faire appel. » (1)
Et des esprits désintéressés ont ré-
pondu. Certes, il existait déjà des ten-
tatives d'enseignement post-scolaire qui
avaient en vue de compléter l'instruc-
tion primaire. On comprend qu'aug-
menter des connaissances pratiques,
meubler l'esprit de notions plus déve-
loppées sur les sciences, les arts et les
lettres, aboutit à rendre 1 individu plus
éclairé, mieux in: ormé sur les éléments
et les phénomènes de la matière et de
l'esprit. Mais il semble que le perfec-
tionnement moral ne résulte nullement
de cette acquisition de données particu-
lières et relatives. La conscience p:r-
sonnelle ne subit aucune amélioration
de cet emmagasinement mnémotechni-
que. Or, dans une démocratie, il est in-
dispensableexerce sa
faculté de penser en vue de la rectitude
de son jugement et de l'élévation de
ses instincts. En un mot, il est utile
que la culture intellectuelle tende à une
direction de la vie, orientée vers la di-
gnité du caractère,la générosité des sen-
timents, l'élargissement des vues. M.
Henrv Bauër a formulé avec une sou-
veraine précision que «le but de l'ins-
» truction, supérieureaux notions maté-
» rielles et rudimentaires , n'est pas
» l'obtention d'un diplôme ou d'un cer-
» tificat qui permette certains emplois :
» c'est d'élever l'esprit à une compré-
» hension plus complète de la vie, à
» la connaissance des rapports et des
» causes, au degré le plus avancé de la
» conquête de la vérité.» En effet,en com-
parant des doctrines adverses, en dépla-
çant nos vues en des pôles opposés de
la pensée, rous sommes amenés à rec-
tifier nos idées,à épurer nos sentiments.
Devenus plus claivoyants, nous nous ré-
formons dans un sens plus équitable,et
capables de plus de justice, nous som-
mes capables d'une bonté plus large.
Ainsi, lorsque nous en arrivons à ap-
précier l'action des idées sur notre pro-
pre jugement, nous sommes plus aptes
• à mesurer l'influence d'idées contraires
sur les jugements des autres. Notre
compréhension acquiert de la généro-
sité. Et dans un adversaire, nous sen-
tons un être respectable de par la sin-
cérité de ses convictions. La tolérance
s'établit ainsi comme régulatrice de nos
opinions. Répudiant tout exclusivisme
aveugle, nous nous affranchissons des
préjugés. De celte émancipation intel-
lectuelle, nous sortons meilleurs parce
que nous nous affirmons plus intel fi-
gents. Pour prendre encore à M. Henry
Bauër une excellente définition ; « le
signe de là c^Ueditd et de la valeur mo-
raie dans les personnalités, c'est la ca-
pacitè d'idées générales. » (2)
Ces esprits désintéressés, ayant con-
quiscette libération de l'esprit, ont vou-
la procurer à d autres. C est une so^te .
fl'ipstjnct, à lq fois spirituel et cordial,
qui les g conduit à faire acte de soli-
darité sociale. Il est si pénible de se
heurter à des partis-pris causés par l'i-
(1 ) L'Idée de Justice sociale, d'après les éco-
les contemporaines.» Revue des Deux-Mondes,
i«r mars 99.
Ù) Chronique. Le Journal, i3 avril 99.
gnorancc, par l'indifférence, par la pa-
resse, que des hommes accueillaats et
ouverts, ont été pénétrés de la nécessité
de leur intervention. Ils ont senti pro-
fondément que des mésintelligences s'é-
vanouiraient devant de loyaux éclaircis-
sements, et ils se sont mis courageuse-
ment à la tâche. Ils ont voulu que le
savoir, comme la richesse, ne fut un
bien légitime qu'à la condition de la
partager avec d'autres hommes moins
privilégiés. Et ils ont fondé La Coo-
pération des Idées, société des Univer-
sités populaires.Voici les articles essen-
tiels des statuts :
«Art. ier.—La Coopération des Idées,
société des Universités populaires est
fondée pour organiser et développer
l'enseignement supérieur du peuple et
l'éducation éthique-socialeen France.
■» Art. 2. — Elle se propose de créer
une Université populaire dans chacune
dea grandes villes de France, et d'abord
à Paris; de former des groupes d'enséi-
gnement supérieur populaire un peu
partout; de publier les meilleures con-
férences et de les répandre ; d'organiser
des conférences , des bibliothèques et
des musées circulants pour tous les
groupes adhérents.
s> Art. 3. — L'Association n'a aucun
caractère politique et religieux. »
Ces citations de texte dispensent de
tout commentaire. Ceux qui retrouvent
dans cette initiative l'exacte expression
de ce qui resta l'un de leurs souhaits
les plus chers n'ont pas besoin qu'on la
leur rende plus chère. Elle se recom-
mande d'elle-même à l'impérieux souci
de leur cœur.
Le bureau actuel préseute les noms
suivants : président, M. Gabriel Séail-
les , professeur à la Sorbonne ; vice-
présidents : Dr Delbet, député , direc-
teur du collège libre des sciences socia-
les, et Henry Michel, professeur à la
Sorbonne. Le secrétaire général M.
Georges Deherme est le véritable pro-
moteur de la Coopération des Idées ,
dont il posa les bases, dès 1896. C'est
un ancien ouvrier typographe. « Il s'est
» instruit lui-même par ses chimères}
» par ses erreurs, autant et plus que par
» les livres. Il sait ce que font fermen-
» ter de rêves et de cauchemars dans
» un esprit ardent l'ignorance et l'aban-
» don. Doué d'une énergie peu commu-
» ne et d'une intelligence supérieure, il
» a dominé ses impatiences, dompté ses
» emportements. Il s'est imposé une
» méthode, il a fait son salut lui-même
» par la science. Affranchi,libéré, il s'est
» tourné avec angoisse vers son passé, il
» a résolu d'éviter aux autres les dan-
» gers qu'il avait courus, et seul, in-
» connu, sans appui, sans ressources,
» il a dévoué sa vie à la fondation de
» ce qu'il a appelé l'enseignement supé-
» rieur parla Coopération des Idées, c (1)
L'un des secrétaires tst notre compa-
triote M. Henry Mazel. Parmi lesmem-
bresdu Comité de Propagande, se trou-
vent MM. Maurice Bouchur , Ferdi-
nand Buisson, Lucien Descaves , Paul
Desjardins , Emile Duclaux , Charles
Gide, Ernest Lavisse , Anat, Leroy-
Beaulieu, Edouard Petit, etc... — Ces
références, pour ainsi dire, expliquent
le prompt succès de l'œuvre. Lorsque
de tels collaborateurs viennent sponta-
nément vers un homme et vers une idée,
c'est l'hommage le plus efficace qu'ils
puissent rendre à l'un et à l'autre. Et
ce sont ces maîtres, membres de l'Ins-
titut, professeurs de Facultés . inspec-
(1) Gabriel Séailles, R_evue Bleue, 12 août 99.
teurs généraux, journalistes , qui ont
parlédirectement aux ouvriers, avec une
familiarité touchante Moyennant une
cotisation de cinquante centimes par
mois, un ouvrier attentif, après sa jour-
née de labeur, a pu écouter la parole de
ces vulgarisateurs bénévoles qui sont
véritablement des apôtres intellectuels.
Voici quelques sujets traités au cours de
cette année :
L'Antisémitisme , par M. Anatole
Leroy-Beaulieu, — Le peuple dans la
littérature française, par M. Charles
Brun, agrégé des lettres, — La Justice,
par M. Micouleau, professeur de philo-
sophie, — L'Utilité des Sociétés coo-
pératives, par M. Charles Gide, profes-
seur à la Faculté de Droit, — L'espril
positif, d'après Aug. Comte, par M. le
Dr Delbet, — La poésie des humbles, par
M. Emile Trolliet, professeur au collège
Stanislas, — Le Salaire minimum, par
M. Arthur Fontaine, sous-directeur de
l'Office du travail,— La Santé et la Ma-
ladie, par M. Emile Duclaux, directeur
de l'Institut Pasteur , — L'Education
de la volonté, par M. Ferdinand Buis-
son, professeur à la Sorbonne, — Des
Bourses du travail et de leur institu-
tion, par M Fernand Pelloutier, typo-
graphe, — Les Grands livres de l'Hu-
manité, par M. Paul Desjardins, pro-
fesseur au lycée Michelet, etc.
Ou voit, par ces exemples , combien
l'enseignement ainsi donné en toute
simplicité, avec ouverture de cœur, em-
brasse de sciences diverses, mais elles
sont vulgarisées avec le souci primor-
dial de servir à l'éducation morale de
l'individu. En l'éclairant sur la direc-
tion de l'esprit, sur les moyens prati-
ques d'améliorer sa condition, les colla-
borateurs de M. G. Deherme ont voulu
donner à l'ouvrier une conscience plus
nette de ses devoirs et de ses droits, no-
tions corrélatives et si indispensables à
cette heure de libre discussion !
La province ne peut se désintéresser
d'une si haute tentative. Aux hommes
de bonne volonté, modestes et obscurs
qu'elle renferme , il appartient de se
mettre sans retard à l'œuvre.
Simplex.
CORRESPOXDAXCE
DE RAYREITH
[Un de nos collaborateurs intermittents —
par trop intermittent, celui-là , — en ce mo-
ment à Bayreuth, nous adresse la correspon-
dance suivante. |
Bayreuth, août 99.
La saison s'achève ; elle a été très
fructueuse , très belle et très intéres-
santé. Les représentations du Ring,
comme on dit ici,—et je dis comme tout
le monde pour ne pas me faire remar-
quer— ont été très suivies. Sans doute,
la musique est l'attrait essentiel de ces
fêtes 1?) musicales, elle n'en est pas l'u-
nique attrait. Et moi profane, qui aime
bien cependant la musique de Wagner,
mais qui n'en perds ni le boire, ni le
manger, ni le reste, )'ai pu me distraire
et m'intéresser autre part qu'aux repré-
sentations.
La vue du public qu'elles rassemblent
en est une joie, et l'on ferait presque le
voyage pour contempler le spectacle
si bariolé, si amusant que donne la
foule pendant les entr'actes. Quelques
solitaires se répandent dans la campa-
gne et vont méditer dans les champs
qui entourent le théâtre ou dans le bois
qui couvre la pente de la colline. Mais
le plus grand nombre demeure par
groupes compacts devant la façade du
Festspielhaus, sur la jolie plate-forme
d'où l'on découvre les ondulations un
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