Jugements et critiques

Johann Wolfgang von Goethe

Goethe

« Quoi qu’on ait pu dire et penser de cette femme remarquable, il est impossible de nier que sa présence parmi nous n’ait eu de grands et salutaires résultats. Son ouvrage sur l’Allemagne, inspiré par des relations sociales semblables à celle de que je viens de décrire, peut être regardé comme une batterie puissante par laquelle on a fait une première brèche à la muraille chinoise qui nous séparait de la France. Grâce au livre de cette illustre voyageuse, on se décida enfin, au-delà du Rhin et sur les bords de la Seine, à faire plus ample connaissance avec nous, et notre influence littéraire et scientifique s’étendit sur toutes les contrées occidentales. Bénissons donc tout ce qu’il y avait d’incommode dans le conflit des particularités nationales causé par le passage de Mme de Staël, passage dont nous ne pouvions pas comprendre alors l’immense utilité. »
(Mémoires de Goethe, Campagne de France et Annales, Paris, Charpentier, 1886, vol. 2, p. 419)

 

Sainte-Beuve

« Je ne crois pas qu’il y ait encore à chercher ailleurs la vive image de cette éclosion soudaine du génie allemand, le tableau de cet âge brillant et poétique que l’on peut appeler le siècle de Goethe ; car la belle poésie allemande semble, à peu de choses près, être née et morte avec ce grand homme et n’avoir vécu qu’une vie de patriarche ; depuis c’est déjà une décomposition et une décadence. En abordant l’Allemagne, Mme de Staël insista beaucoup aussi sur la partie philosophique, sur l’ordre de doctrines opposées à celles des idéologues français ; elle se trouvait assez loin elle-même, en ces moments, de la philosophie de ses débuts. Ici se dénote chez elle, remarquons-le bien, un souci croisant de la moralité dans les écrits. Un écrit n’est suffisamment moral, à son gré, que lorsqu’il sert par quelque endroit au perfectionnement de l’âme. Dans l’admirable discours qu’elle fait tenir à Jean-Jacques par un solitaire religieux, il est posé que « le génie ne doit servir qu’à manifester la bonté suprême de l’âme ». Elle paraît très occupée, en plus d’un passage, de combattre l’idée du suicide. « Quand on est très jeune, dit-elle excellemment, la dégradation de l’être n’ayant en rien commencé, le tombeau ne semble qu’une image poétique, qu’un sommeil, environné de figures à genoux qui nous pleurent ; il n’en est plus ainsi, même dès le milieu de la vie, et l’on apprend alors pourquoi la religion, cette science de l’âme, a mêlé l’horreur du meurtre à l’attentat contre soi-même ». Mme de Staël, dans la période douloureuse où elle était alors, n’abjurait pas l’enthousiasme, et elle termine son livre en le célébrant, mais elle s’efforce de le régler en présence de Dieu. »
(Portraits de femmes, Paris, Garnier frères, 1886, p. 156)