Images de l'autre

Illustration de L'Encyclopédie des voyages

Les voyages, réels et imaginaires, constituent une dimension essentielle du XVIIIe siècle. Les voyages au long cours se multiplient, à l’image du tour du monde de Louis-Antoine de Bougainville ou de l'exploration du Pacifique de James Cook, qui en rapportent des récits très précieux pour la connaissance de cet ailleurs source à la fois de curiosité et d'inquiétude. Les voyages exploratoires ont commencé bien avant : en 1492, Christophe Colomb, parti pour explorer l'Asie, découvre – et sans le savoir – le Nouveau Monde, l'Amérique. Au cours des XVIe et XVIIe siècles, les connaissances progressent, révélant l'étendue du continent américain, au Sud comme au Nord, et la diversité des îles. Beaucoup d'autochtones, notamment des Amérindiens sont victimes des explorations et des conquêtes qui s'ensuivent. Le monde compte dès lors un continent de plus : les Portugais et les Espagnols sont les premiers à prendre la mer.
 
Au XVIIIe siècle, l'esprit du voyage se modifie : il s'agit de développer des connaissances scientifiques sur les populations, la faune, la flore. L'aventure et le voyage ne sont plus une fin mais un moyen de développer et de cartographier un savoir dont le siècle est friand. Jeanne Baré, compagne du botaniste Philibert Commerson, embarque clandestinement – les femmes sont interdites sur les bateaux – en 1766 pour le voyage autour du monde de Bougainville : outre le naturaliste, un ingénieur cartographe et un astronome font aussi partie de l'aventure. James Cook systématisera ce principe en s'entourant de scientifiques de premier plan tant dans l'astronomie que dans la géologie ou la botanique.
 
Ces voyages influencent considérablement la perception du monde et la relation à l'autre. Ces explorations, rendues possibles par la supériorité technique et économique des Européens, deviennent l'instrument d'une diffusion de la pensée européenne, tant dans le domaine économique que politique ou religieux – les empires coloniaux s'inscriront dans cette logique. Les voyages sont à la fois une occasion de rencontrer l'autre et de se rencontrer, soi, à travers la diversité des miroirs humains. La question de l’autre devient de fait, dans les créations littéraires, un chemin privilégié pour la quête de soi. Quand le XVIIe siècle peuplait les cartes d'habitants imaginés à partir des connaissances parcellaires, le XVIIIe siècle se passionne pour une découverte plus scientifique des peuples du monde.

Des « sauvages » anthropophages
« Des nègres du royaume de Bénin »

Découverte

Les globes de Coronelli, offerts à Louis XIV, le Roi soleil, présentent une vision de la terre et du ciel à la toute fin du XVIIe siècle, nourrie à la fois des expéditions et des découvertes scientifiques. Les représentations figurant sur les globes seront vite dépassées par des connaissances nouvelles.
Observez les cinq scènes et lisez les commentaires du géographe qui précisent les images et le sens des scènes ethniques et donnent à l'ensemble une visée encyclopédique. Ces commentaires ont un intérêt historique indéniable pour rendre compte de la représentation des diverses cultures dans l'imaginaire occidental du XVIIe siècle.
 
Quels sont les deux noms donnés, dans ces titres, à des populations pourtant bien différentes ? Les portraits présentés donnent-ils envie de rencontrer ces hommes et ces femmes ? Quels effets ces descriptions ont-elles pu susciter à la Cour royale ?
Dans la scène intitulée Sauvages du Canada, le géographe s'essaie à « une explication abrégée qui convienne à tous les sauvages de l'Amérique en général, et à tout ce vaste continent » : le projet ne semble-t-il pas trop ambitieux quant à la diversité supposée ? Quelle solution le géographe trouve-t-il pour relever ce défi ?
 
Les commentaires de trois dessins ci-dessous – Sauvages de la Nouvelle-Hollande, Sauvages du Canada et Des nègres du royaume d'Angola – mentionnent l'apparition des Européens : comment est décrite la rencontre ? Comment les Européens se sont-ils imposés ? Est-ce au bénéfice de la population locale ? Le géographe se pose-t-il la question ? Les nègres du royaume du Bénin sont traités avec davantage d'égards : ils sont décrits comme policés, respectueux du pouvoir absolu du roi... L'acceptation passe-t-elle nécessairement par ce qui nous ressemble ? Pourquoi est-ce symbolique dans le contexte de création des globes ?

 
Les « sauvages » de la Nouvelle-Hollande (Australie)
« Des nègres du royaume d'Angola »
« Sauvages du Canada »
 

Exploration

Ces quatre textes présentent chacun des voyages imaginaires dont la matière est structurée par le projet littéraire. Quels titres pourraient convenir à ces quatre extraits ? Dans chacun de ces textes, en quoi l’autre apparaît-il différent : par son physique, son langage, son mode de vie, sa philosophie ? Paradoxalement, comment semble-t-il également très proche de la société du XVIIIe siècle, pourquoi est-il important qu'il le soit ? Quels projets se devinent alors derrière les choix littéraires de ces écrivains ? Pourquoi selon vous le passage par un ailleurs est-il si présent dans la création littéraire du XVIIIe siècle ?

> Lettres persanes, Montesquieu, 1721
> Voyage à Lilliput, Jonathan Swift, 1726
> Micromégas, Voltaire, 1752
> Supplément au Voyage de Bougainville, Diderot, 1772

Cook et Bougainville, par leurs expéditions, sont allés à la découverte de cet ailleurs géographique : comment rapportent-ils cette différence ? Leur vision de l’autre apparaît-elle similaire dans leurs récits ? Dans les deux extraits, quel explorateur vous semble être le plus réceptif à ces cultures locales ? Cette altérité décrite dans des récits de voyage présente-t-elle des points communs avec celle imaginée par Montesquieu, Swift, Voltaire ou Diderot ?
Quel changement radical s'observe entre l'extrait de Voyage autour du monde de Bougainville (1771) et celui de Supplément au Voyage de Bougainville de Diderot (1772 pour la première version) ? Qui a la parole dans les deux cas ? Quels arguments oppose le Tahitien au personnage de Bougainville ? Qui est le « sauvage », pour reprendre un terme des globes de Coronelli, dans cette logique ?
Bougainville, puis Diderot, relate l'aventure de Jeanne Baré, qui se travestit en homme pour faire partie de l'expédition de Bougainville car les femmes sont interdites sur les bateaux au XVIIIe siècle, dont le déguisement masculin sera aussitôt démasqué par les Tahitiens : quelle altérité se trouve révélée ici, comment expliquer que les Tahitiens la découvrent d'emblée ?

> Relations de voyages autour du monde, Cook, 1768-1779
> Voyage autour du monde, Bougainville, 1771
> Supplément au voyage de Bougainville, Diderot, 1772

Dans cet extrait des Essais de Montaigne et dans celui de Tristes tropiques de Claude Levi-Strauss, les deux auteurs construisent à leur manière une image de l'autre. Ils utilisent plusieurs fois le terme « sauvage(s) » : avec quelles significations dans chacun des textes ? Cette évocation se nuance de déception : à quelles limites se heurtent les deux auteurs ?
Montaigne, au XVIe siècle, écrit à partir des informations données par un membre d'une expédition française au Brésil de 1555 à 1557, Claude Lévi-Strauss est un ethnologue du XXe siècle qui s'appuie sur ses voyages : comment leur statut s'inscrit-il dans leur écriture ? Montaigne a-t-il déjà repéré l'ethnocentrisme que conceptualise Claude Lévi-Strauss quatre siècles plus tard ?

> Essais, Montaigne, 1580
> Tristes tropiques, Claude Lévi-Strauss, 1955

 

Réflexion

Au XXIe siècle, alors que les moyens de communication donnent l’impression d’un village global, où est l’ailleurs ? Quel serait l’autre qui permet de se découvrir ? S'agit-il toujours d'une question de géographie ? De votre point de vue, de nos jours, l'altérité est-elle perçue comme une richesse ou comme une menace ? N’hésitez pas à ouvrir votre approche pour trouver des exemples : littérature, cinéma, musique, organismes humanitaires, voyages de toutes sortes…

 

Invention

Choisissez une ou plusieurs images présentées dans la partie Découverte : à vous de la commenter à la manière d’un voyageur du XVIIIe siècle en vous inspirant des récits de Cook et de Bougainville sous la forme d’une lettre, d’un article à paraître dans un journal, d’un chapitre de récit de voyage… Elles peuvent aussi devenir le point de départ d’une histoire en vous inspirant des décors et des personnages.

Trois siècles plus tard, que sont-ils devenus ? Tentez la filiation en recherchant des iconographies ou des descriptions des lieux ou des peuples représentés. À commenter ensuite à la manière des outils du XXIe siècle (site internet, blog, réseaux sociaux...)

À vous de jouer : choisissez un « Ailleurs », un lieu ou un domaine que vous ne connaissez pas et partez en reportage en préparant des questions, en prenant des photos avant de rédiger un texte. Vous pouvez aussi redécouvrir le quotidien avec un autre regard en interrogeant et en vous interrogeant sur le sens de ce que vous connaissez si bien au collège, au lycée, dans un club sportif, dans la ville... Là encore, photos, questions, écriture vous permettront de décoder ce qui semble si naturel ! À croiser avec profit avec d'autres cultures en cas d'échanges scolaires par exemple.