Première nuit de Schéhérazade

Scheherazade, en cet endroit, s’apercevant qu’il était jour...

Première nuit de Shéhérazade auprès du Sultan

Schéhérazade, en cet endroit, s’apercevant qu’il était jour, et sachant que le sultan se levait de grand matin pour faire sa prière et tenir son conseil, cessa de parler. « Bon Dieu ! ma sœur, dit alors Dinarzade, que votre conte est merveilleux ! » « La suite en est encore plus surprenante, répondit Schéhérazade, et vous en tomberiez d’accord, si le sultan voulait me laisser vivre encore aujourd’hui et me donner la permission de vous la raconter la nuit prochaine. » Schahriar, qui avait écouté Schéhérazade avec plaisir, dit en lui-même : « J’attendrai jusqu’à demain ; je la ferai toujours bien mourir quand j’aurai entendu la fin de son conte. » Ayant donc pris la résolution de ne pas faire ôter la vie à Schéhérazade ce jour-là, il se leva pour faire sa prière et aller au conseil.
 
Pendant ce temps-là le grand-vizir était dans une inquiétude cruelle. Au lieu de goûter la douceur du sommeil, il avait passé la nuit à soupirer et à plaindre le sort de sa fille, dont il devait être le bourreau. Mais si dans cette triste attente il craignait la vue du sultan, il fut agréablement surpris, lorsqu’il vit que ce prince entrait au conseil, sans lui donner l’ordre funeste qu’il en attendait.
 
Le sultan, selon sa coutume, passa la journée à régler les affaires de son empire ; et quand la nuit fut venue, il coucha encore avec Schéhérazade. Le lendemain avant que le jour parût, Dinarzade ne manqua pas de s’adresser à sa sœur, et de lui dire   « Ma chère sœur, si vous ne dormez pas, je vous supplie, en attendant le jour qui paraîtra bientôt, de continuer le conte d’hier. » Le sultan n’attendit pas que Schéhérazade lui en demandât la permission. « Achevez, lui dit-il, le conte du génie et du marchand, je suis curieux d’en entendre la fin. » Schéhérazade prit alors la parole, et continua son conte dans ces termes :…

 

Antoine Galland, Les Mille et une nuits, 1704.
> Texte intégral : Paris, Ledentu, 1832