Epitre dédicatoire

Êpitre dédicatoire

Auguste et respectable Année, qui dois amener la félicité sur la terre ; toi, hélas ? que je n’ai vue qu’en songe, quand tu viendras à jaillir du sein de l’éternité, ceux qui verront ton soleil fouleront aux pieds mes cendres et celles de trente générations, successivement éteintes et disparues dans le profond abîme de la mort. [...] La pensée survit à l’homme ; et voilà son plus glorieux apanage ! La pensée s’élève de son tombeau, prend un corps durable, immortel ; et tandis que les tonnerres du despotisme tombent et s’éteignent, la plume d’un écrivain franchit l’intervalle des temps, absout, ou punit les maîtres de l’univers.
 
J’ai usé de l’empire que j’ai reçu en naissant ; j’ai cité devant ma raison solitaire les lois, les abus, les coutumes du pays où je vivais inconnu et obscur. J’ai connu cette haine vertueuse que l’être sensible doit à l’oppresseur : j’ai détesté la tyrannie, je l’ai flétrie, je l’ai combattue avec les forces qui étaient en mon pouvoir. Mais, auguste et respectable Année, j’ai eu beau, en te contemplant, élever, enflammer mes idées, elles ne seront peut-être à tes yeux que des idées de servitude.

 

Mercier, L'an 2440, 1771.
> Texte intégral : Londres, 1771

 

Nouveau discours préliminaire dans l’édition de 1801 (Lepetit jeune et Gerard)

Ce n'est pas sans une satisfaction intime, que je réimprime, au bout de vingt-huit années et pour la troisième fois un Rêve qui a annoncé et préparé la révolution française.
Sans doute plusieurs écrivains l’avaient pressentie ; mais sans accorder à J. J. Rousseau, à Voltaire et à d'autres beaucoup plus qu'ils ne méritent, pour quelques lignes vagues ou insignifiantes […]
Sans forcer le sens, et d'une manière claire et précise, j'ai mis au jour et sans équivoque, une prédiction qui embrassait tous les changements possibles, depuis la destruction des parlements, de la noblesse et du clergé, jusqu'à l'adoption du chapeau rond.
Jamais prédiction, j'ose le dire, ne fut plus voisine de l’événement, et ne fut en même-temps plus détaillée sur l'étonnante série de toutes les métamorphoses particulières. Je suis donc le véritable prophète de la révolution, et je le dis sans orgueil ; la providence ménage à chaque auteur dans ce bas monde une bonne fortune ; et pourquoi avoir attribué à des écrivains peu prononcés ou antérieurs, ce qui m'appartenait ouvertement et si récemment.