Suzanne Noël, pionnière en chirurgie plastique et esthétique

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Bien qu’elle soit une pionnière de la chirurgie plastique et esthétique, Suzanne Noël (1878-1954) semble avoir été oubliée de nos jours. Pourtant elle a tranché dans la chair et dans l'image contemporaine de la femme.

Höpital Saint-Louis. Extr du Livre d'or de l'Internat des hôpitaux de Paris 1914-1919. Collections de la BIU Santé. (Suzanne Pertat est la seule femme du groupe.)

D'abord sous la tutelle de son mari

Issue d’un un milieu bourgeois provincial, Suzanne Gros épouse à 19 ans un dermatologue, Henri Pertat. Celui-ci l’encourage à passer son baccalauréat puis à entreprendre des études de médecine. En effet, à l’époque une femme devait obtenir l’autorisation de son père ou de son mari pour entreprendre des études. Certes, depuis la fin du XIXe siècle, ses consoeurs Madeleine Brès et Blanche Edwards-Pilliet avaient déjà ouvert la voie aux autres femmes dans ce milieu particulièrement misogyne. Mais on est fondé à penser que ce ne fut pas facile pour elle non plus et que cela a pu être à l’origine de ses prises de position féministes. Dix ans plus tard, la voici interne des hôpitaux. Elle se spécialise en dermatologie comme son mari.

Invention du lifting

Mais, dès 1912, le cas de la tragédienne Sarah Bernhardt, défigurée dans un accident, l'interpelle. En effet, seule la partie supérieure du visage avait fait l’objet d’une intervention par un chirurgien américain  – ceux-ci étant alors des précurseurs dans ce domaine. Afin de remédier à cette dissymétrie flagrante, Suzanne Pertat a alors l’idée d’inventer les pinces pour remonter les chairs, puis de couper en lambeaux et de les cacher derrière les oreilles : méthode qui sera ensuite connue sous le nom de lifting. Certains l’avaient déjà devancée en usant d’une méthode très artisanale comme le maréchal de Richelieu.

La chirurgie reconstructrice en 1914-18

Pendant la Grande Guerre, elle abandonne définitivement sa première spécialisation pour travailler aux côtés de son mentor Hippolyte Morestin, le grand chirurgien spécialiste de la restauration maxillo-faciale. Dans le réputé Service des baveux de l’Hôpital militaire du Val de Grâce, on prend en charge les malheureux poilus dont le visage a été mutilé, ceux que l’on appelle les gueules cassées. C’est de cette expérience acquise lors des interventions en chirurgie reconstructrice que va émerger la chirurgie plastique englobant à la fois la reconstruction et l’esthétique, les praticiens ayant ainsi appris à remodeler les visages. 

Le rôle social de la chirurgie esthétique

Devenue veuve en 1918, la doctoresse épouse un autre médecin, André Noël. Elle ouvre un cabinet médical privé car l’exercice de la chirurgie à vocation purement esthétique était interdite dans les hôpitaux. Mais dans son esprit, il ne s’agit pas que des ans, réparer l’irréparable outrage. Elle voit déjà dans ce métier la possibilité d’une œuvre à portée sociale. Dans son esprit, il semble logique de faire payer les riches et d’opérer gratuitement les pauvres. En gommant leurs rides, elle permet ainsi à des femmes vieillies injustement écartées de leur emploi, une fois rajeunies, de retrouver facilement un travail. En 1926, elle développe sa profession de foi dans un ouvrage : La Chirurgie esthétique, son rôle social. Dès 1925, elle étend ses actes de chirurgie aux autres parties du corps et invente la lipposuccion.
 

Extr. de Album de l'Internat des Hôpitaux de Paris 1912 (Passot est à droite)

En 1919, Raymond Passot, un autre élève du professeur Morestin, se fait la main sur des cadavres, puis vient présenter sa méthode de lifting en 1919 devant l’Académie de médecine :
 

Bulletin de l'Académie nationale de médecine, 1919

On compte beaucoup de détracteurs dans l'auditoire. Face au reproche qui leur est fait d’effectuer des opérations non essentielles à but purement esthétique sortant du champ habituel de la médecine, les chirurgiens se défendent : ils permettent à leurs patients de retrouver une vie sociale normale en gommant des défauts physiques handicapants. D’ailleurs les journaux de l’époque ne s’y trompent pas et saluent la naissance de cette nouvelle spécialisation médicale.
Après la guerre, Suzanne Noël voyage beaucoup pour faire des conférences et reçoit la légion d’honneur en 1928 pour contribution à la notoriété scientifique de la France. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, elle va aussi donner un sens politique à son travail en modifiant le visage des résistants et des juifs, leur permettant ainsi d’échapper aux nazis.

Le Docteur Noël. Collections de la Ville de Paris, bibliothèque Marguerite Durand.

La suffragette

A l’instar de sa consoeur Nicole Girard-Mangin, elle se revendique ouvertement suffragette, n’hésitant pas à inscrire sur son chapeau et les revers de sa veste : « Je veux voter ». A partir de 1936, opérée de la cataracte, elle abandonne peu à peu sa première activité au profit d’une ONG ayant pour but de promouvoir l’éducation et le travail féminins (hors du cadre familial). En 1921, des américaines avaient créé le club Soroptimist international - en latin soroptime signifie les sœurs les meilleures. En 1924 Suzanne Noël est un membre fondateur de la section française des Soroptimistes, puis de la section européenne. En 1946, l'organisation un brin utopiste a pour ambition  «  d' étudier la manière de rendre heureux le monde d’après guerre »,

Ainsi, malgré le mépris ostensible des académiciens, les premiers chirurgiens plastiques surent donner à leur spécialisation ses lettres de noblesse. En effet, elle se voulait aux origines un instrument d’insertion sociale pour leurs patients affligés de défauts physiques rédhibitoires et d’émancipation pour les femmes.  

 

Pour aller plus loin

Billet rédigé dans le cadre du Forum Génération Egalité.
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