Titre : Le Temps
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1889-10-13
Contributeur : Nefftzer, Auguste (1820-1876). Fondateur de la publication. Directeur de publication
Contributeur : Hébrard, Adrien (1833-1914). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 13 octobre 1889 13 octobre 1889
Description : 1889/10/13 (Numéro 10386). 1889/10/13 (Numéro 10386).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
un s'aDonne aux Bureaux du Journal, 5, BOULEVARD DES ITALIENS, A PARIS, et dans tous les bureaux ne reste
DIMANCHE 13 OCTOBRE i889
V1ISUT-NËUV1ÈME ANNEfci. A» i0386
PRIX DE L'ABONNEMENT
PAHiS Trois mois, 14 fr. Six mois, 38 fr. Un an, 56 fa
DBP" 4 ALSACE-LORRAINE 17fr.; 34 fr.; 68 fr.
UNION POSTALE lSfr.; 36 fr.; 72t
LES ABONNEMENTS DATENT DES l»r ET 16 DE CHAQUE MOIS
Un numéro (départements) 3O centimes^
ANNONCES MM. LAGRANGE, CERF ET Ce, 8, place de la Bourse
(Droit d'insertion réserve à la rédaction.)
°,
BUREAUX 5, boulevard des Italiens. PARIS
1,
.adresse téléqraphiaue TEMPS PARIS -̃,
'̃• PRIX DE L'ABONNEMENT
jAlljç t Trois mois, 1 4 fr. Six mois, 28 fr. Un an, 56 ff,
DËPt» & YlSACE-lÔrRAINB 17fr.; 34 fr.; 68 fr.
BHM POSTALE lSfr.; 36 fr.; 72 fr.
LES ABONNEMENTS DATENT DES 1er ET 16 DE CHAQUE MOIS
JJn numéro <à Paris) lo centinaes.
Directeur politique Adrien Hébrard
• La rédaction ne répond pas des articles communiqués
JURE AUX 5, boulevard des Italiens, PARIS
Adresse télégraphique TEMPS PARIS •••'
PARIS, 12 OCTOBRE
gULLETIN DU JOUR
Le tsar est à Berlin. 11 a été reçu à la gare
conformément au cérémonial qui, depuis 1
quelque temps, exige de la part des souve-
rains de grandes embrassades. Il est allé, en
compagnie de l'empereur Guillaume, déjeu-
ner à l'ambassade de Russie. Le soir, il a pris S
part au dîner de gala dans la salle blanche 1
du château royal. Des toasts ont été échan- j
gés entre les deux souverains.
L'œil le plus perçant découvrirait malaisé-
ment dans le texte sans doute arrêté d'a-
vance de ces brèves paroles autre chose
que l'expression d'une courtoisie banale.
Alexandre III a fait au prince de Bismarck
ten buvant nominativement à sa santé, un
honneur que le chancelier aurait peut-être
plus vivement apprécié si toujours con-
formément au programme Guillaume II
n'avait eu la même attention pour l'ambassa-
deur russe, le comte Schouvalof.
On a beaucoup remarqué que l'organe par
excellence de M. de Bismarck, la Gazette de
V Allemagne du Nord, a jusqu'ici, sur la portée
poli tique de la visite du tsar, « gardé de Conrart
le silence prudent ». Le Reichsanzeiçer publie
Une petite note officielle dont tous les termes
semblent avoir été pesés au trébuchet le plus
exact pour mesurer juste la dose de politesse
qui convient, sans le moindre alliage d'effu-
sion amicale.
Il est à noter que le mot de paix n'y est
prononcé que rétrospectivement, pour ainsi
dire, par rapport aux antiques relations des
deux cours. Pour ce qui concerne l'avenir,
tout ce que la prose officielle trouve à dire,
p'esfc qu'il faut espérerque l'entrevue desdeux
souverains contribuera à la prospérité de leurs
deux peuples. Voilà un langage qui n'est pas
compromettant et qui est singulièrement loin
des tendres protestations et des formules ca-
ressantes avec lesquelles la même feuille ac-
pueiDait naguère à Berlin le roi d'Italie et M.
Crispi.
En somme, à en juger par les comptes
rendus les plus impartiaux l'atmosphère
morale de cette première journée n'a pas dû
faire monter le thermomètre fort au-dessus
de zéro.
Le public, qui ne voyait que de loin ce
Spectacle à grand appareil, s'est un peu dé-
dommagé en commentant à perte de vue
certains incidents significatifs. Les bruits
qui couraient depuis quelque temps sur la
santé du prince de Bismarck ont été confir-
més par la retraite un peu précipitée du
chancelier, qui ne peut supporter longtemps
la station verticale, et par la prévenance du
tsar qui a fait plier 1 étiquette et a dû faire
tressaillir l'ombre de Louis XIV en offrant
à l'homme d'Etat plus que septuagénaire un
fauteuil devant un souverain debout.
Il vient de se passer à Londres un incident
qui, pour la première fois, rend sensible au
peuple anglais le véritable caractère de la lé-
gislation exceptionnelle en vigueur en Ir-
de. Il s'agit encore de M. Conybeare, le
député radical anglais du comté deCornwall,
récemment emprisonné en Irlande pendant
plusieurs mois pour avoir prêté assistance
au plan de campagne en distribuant des vi-
vres à des tenanciers évincés qui s'étaient
fortifiés dans leurs logis.
M. Conybeare est en même temps repré-
sentant de l'un des quartiers de Londres au
School Board, c'est-à-dire à la commission
scolaire élective qui dirige l'immense ma-
thine de l'enseignement primaire dans la
métropole. Il venait, à l'expiration de sa
peine, reprendre son siège dans cette as-
semblée non politique tout au moins par
ses attributions légales.
Le président, un ecclésiastique anglican
du nom de Diggle, s'empressa de l'informer
avec urbanité qu'il avait consulté un avo-
cat. conservateur et que cette lumière du
barreau avait conclu à la déchéance de M.
Conybeare de son mandat, comme consé-
quence de sa condamnation en Irlande. Na-
turellement, le député de la circonscription
de Camborne en Cornwall a voulu protester
contre cet ukase. M. Diggle a prétendu qu'en
vertu de cette simple consultation et ipsofacto
M. Conybeare avait perdu le droit de pren-
dre part aux délibérations et lui à enlevé la
parole.
Mrs Besant, qui représente à la fois son
sexe et le parti socialiste dans le School
Board, a soutenu que l'opinion d'un conseil,
si éminent fût-il, n'avait pas encore force de
loi et qu'il convenait provisoirement de lais-
ser les choses en l'état, quitte à solliciter
d'un tribunal compétent une solution autori-
FEUILLETON DU (ftCîîtpS
DU 13 OCTOBRE 1889 [38]
»
•" .> '̃'̃ XXXIV ̃•
Voilà le monsieur et la dame, dit la voi-
sine en ouvrant la porte.
Rosalie leva les yeux et resta pétrifiée à la
vue d'Estelle.
Elle avait voulu se lever; ses vêtements, à
peine rajustés sur elle, étaient recouverts de la
mante de deuil, qui cachait tout son costume.
Sous ces plis rigides qui tombaient à terre, as-
sise sur une chaise de paille, elle avait l'air
d'une sombre statue de la douleur. Ses yeux
s'attachèrent sur la jeune fille avec une fixité
presque effrayante.
Rosalie. dit Estelle, émue de revoir dans
cet état la seule femme qui, bien ou mal, eût
pris soin de son enfance.
Regardez-la, monsieur, dit la malade à
Benoist en étendant les bras vers elle, regar-
dez-la c'est le portrait vivant de son père!
Benoist peussa doucement au dehors la voi-
sine qui s'attardait, et ferma la porte.
Que me vouliez-vous ? dit-il en revenant.
Je ne vous connais pas, monsieur, fit Ro-
salie. Je vous ai donné la lettre, j'ai eu tort. Il
faut me la rendre.
Sans rien dire, Estelle prit dans le parois-
sien la lettre qu'elle avait mise àcôté de l'image
et de l'enveloppe, et la tendit à son ancienne
bonne, qui la prit vivement et la déchira en
mille miettes.
Reproduction et traduction interdites* J 1
sée. Grâce à l'intervention de M. Lyulph
Stanley, le rejeton libéral d'une branche de
l'aristocratique maison de Derby, il a été dé-
cidé, par voie de compromis, que l'on con-
sulterait un second légiste avant de pousser
plus avant.
Il n'en demeure pas moins que le parti li-
béral anglais voit pour la première fois s'ac-
complir sous ses yeux une des conséquen-
ces les pius fréquentes en Irlande de la lé-
gislation de M. Balfour. Sous le prétexte
qu'un condamné pour délits de presse ou de
parole rentre dans la catégorie des individus
affligés de casiers judiciaires, on étend à ce
cas des incapacités dont la loi ne frappait
que les condamnés de droit commun.
«^»-
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps
Munich, 12 octobre, 8'heures.
Le prince Ferdinand de Cobourg a passé pres-
que toute la journée d'hier, avec ses parents, au
château de Nymphenbourg. Le soir, à neuf heu-
res, il a pris le train express pour Genève. On dit
qu'il se rendra de cette ville à Paris.
Vienne, 12 octobre, 8 h. 25.
D'après le Nouveau Tagblalt, le voyage du prince
Ferdinand serait motivé surtout par l'état de ses
finances qui ont été très fortement compromises
depuis son élévation au trône bulgare. Ferdinand
aurait avancé des sommes considérables au Trésor
public pour effectuer le règlement du compte du
prince Alexandre et pour hâter les travaux de che-
min de fer. Il comptait sur l'emprunt de 25 millions,
qui devait être conclu avec des maisons américai-
nes, pour se rembourser et pour créer de nouvelles
ressources au Trésor. Les négociations n'ayant pas
abouti, le prince veut faire appel à la bonne volon-
té de ses très riches parents, et notamment obtenir
l'autorisation d'hypothéquer la part qui lui revient
des domaines de la famille.
Il se confirme que c'est sur le conseil donné par
de très hauts personnages autrichiens que le prince
Ferdinand a abrégé son séjour à Vienne.
Vienne, 12 octobre, 8 h. 50.
Une note de la Correspondance politique s'occupe
de l'arrivée prochaine à Vienne du ministre des af-
faires étrangères de Roumanie, M. Lahovary. Elle
se félicite de ce que cet homme d'Etat vienne con-
férer personnellement avec le comte Kalnoky. Des
résolutions heureuses pour les deux pays peuvent
résulter de cette entrevue. Au point de vue com-
mercial, les deux pays ont également souflert de
l'état de choses actuel et doivent également dési-
rer la conclusion d'un traité de commerce. Les né-
gociations dans ce but ont été seulement interrom-
pues et peuvent être reprises. Si les difficultés
sont trop grandes pour permettre la rapide conclu-
sion d'un traité définitif, on pourrait, en attendant,
signer un arrangement provisoire comme on l'a
fait avec la France.
La Correspondance entonne ensuite un éloge du
ministère actuel en Roumanie qui, venant d'une
telle source, est assez surprenant.
Vienne, 12 octobre, midi 30.
Le prince Liechtenstein a donné sa démission de
député au Rcichsrath et renonce à la vie politique.
Le Vaterland dit que le prince ne veut pas mettre
obstacle à la réorganisation de la majorité, qui est
devenue nécessaire.
Belgrade, 12 octobre, 8 h. 15.
Le cahinet se présentera décidément tel qu'il est
devant la Skouptchina et réglera sa conduite d'après
les décisions que prendra la majorité.
Le nouveau groupe radical, dont M. Pachitch est
le chef, est résolument antidynastique et travaillera
à l'élévation sur le trône de la maison Karageor-
gevitch. Plusieurs membres de ce groupe sont en
relations suivies avec le prince Pierre, qu'ils ont
connu pendant leur exil à Cettinje.
Les régents ont de nouveau demandé au roi Mi-
lan qu'il autorise le jeune roi à voir sa mère. Le roi
persiste dans son refus.
Athènes, 12 octobre, 9 h. 30.
L'empereur Guillaume restera cinq jours en Grèce.
Les trois premiers jours seront consacrés aux fêtes
nuptiales à Athènes, et les deux derniers à une ex-
cursion dans le Péloponèse. Il s'embarquera le 31
octobre à Nauplie. L'impératrice Frédéric restera
une vingtaine de jours à Athènes.
L'étiquette ottomane ne permettant pas au sultan
d'aller à la rencontre de l'empereur, c'est Munir-
Pacha qui est désigné pour présenter les félicita-
tions de son souverain à l'empereur, au-devant de
qui il se rendra sur un navire turc.
La première entrevue du sultan et de l'empereur
Guillaume aura lieu sur l'escalier qui descend du
palais de Dolma-Bagtché à la mer.
Bien des gens cherchent, en ce moment,
à tirer l'horoscope de la nouvelle Chambre;
que va-t-elle faire et quelle attitude prendra
le gouvernement? Souhaitons que tous deux
sachent s'inspirer *des vœux si énergique-
ment exprimés par le suffrage universel et
profiter des leçons du passé. D'où venait, en
effet, ce sentiment de lassitude et d'énerve-
ment que l'on éprouvait partout vers la fin
de la précédente législature? Pourquoi la re-
présentation nationale se trouvait-elle frap-
Maintenant, dit-elle, il ne reste plus
rien, rien du tout du secret de votre famille.
J'aime mieux cela. J'avais gardé le brouillon
de la lettre, je ne sais pas pourquoi; quand
j'étais trop tracassée, je le relisais, pour me
dire que j'avais bien fait. C'est mon image
que vous avez là dans votre livre? Vous l'aviez
gardée? Vous ne m'aviez donc pas oubliée? 2
Dites-moi, qui est ce monsieur qui est avec
vous?
-J'étais l'ami de Raymond, dit Benoist d'une
voix grave. Je suis le fiancé d'Estelle.
Les yeux de Rosalie allèrent de l'un à l'autre
des jeunes gens.
Alors, il ne faut pas de secrets entre vous.
C'est bien, soupira t-elle avec un peu d'allége-
ment.
Rosalie, dit la jeune femme, pourquoi
avez-vous écrit si tard? Un jour plus tôt seule-
ment, tant de malheurs pouvaient être empê-
chés 1
Ce n'est pas ma faute, s'écria vivement
la malheureuse, recommençant avec des êtres
réels le combat que depuis treize mois elle se
livrait journellement à elle-même-. Ce n'est pas i
ma faute! J'étais à Vitré chez ma tante, lors-
que j'ai trouvé un numéro du Petit Tournai qui
annonçait votre mariage. Je n'ai pas seulement
regardé la date. et puis, j'aurais écrit quand
même Ce mariage-là ne pouvait pas se faire,
c'était un péché abominable. J'ai écrit sur-le-
châmp, et comme mon cousin allait à Laval, j
je lui ai donné la lettre pour la mettre à la
poste. Je ne voulais pas que M. de Beaurand
vînt m'ennuyer avec des questions, je voulais
faire mon devoir et être tranquille. Ah Sei-
gneur Dieu! tranquille! Je ne l'ai plus été un
seul jour, plus une seule minute. Je ne savais
pas, moi, qu'il recevrait la lettre étant marié!
Je voulais empêcher le mariage! Est-ce que je
pouvais supposer que le malheureux s'en pren-
drait à lui-même
Comment avez-vous eu son adresse? de-
manda Benoist.
Rosalie" le regarda d'un air de reproche.
J'en avais assez mis h la boîte, de ces let-
tres pour son père, pour le général de Beau- j
rand- Ah monsieur, j'avais eu ma part de pé-
ché, autrefois; mais j'étais jeune, je ne savais
pas et c'était pour l'amour de ma pauvre mal-
tresse Et je croyais bien l'avoir expié Et puis
quand j'ai lu le journal deux jours après.
Vous comDrenez bien, je l'achetais^ous les ma- j
pée d'une impopularité qui menaçait de tour- 1
ner contre le régime parlementaire lui-
même? Ce qu'on lui reprochait par dessus
tout, c'était, sans contredit, ses fluctuations
perpétuelles et l'équivoque où elle paraissait
se complaire. Les hostilités de groupes
avaient réduit la majorité à l'impuissance, et
l'on oscillait constamment d'une politique à
une autre, suivant les hasards des interpel-
lations et les caprices ou les calculs de la
droite, devenue l'arbitre de nos querelles
intestines. Par exemple, on renversait un
ministère parce qu'il s'était opposé à la revi-
sion et. pour avoir demandé cette même re-
vision, le cabinet suivant succombait à son
tour. Ajoutons que le pouvoir exécutif offrait
trop souvent l'image de l'incohérence légis-
lative. Il fallait, afin de durer quelques mois
ou seulement quelques semaines, faire une
part aux diverses fractions de l'opinion répu-
blicaine on s'évertuait donc à juxtaposer,
dans les combinaisons ministérielles, les
personnalités les plus disparates, incapables
d'élaborer et de soutenir avec persévérance
un programme commun de sorte qu'en un
pays si fortement épris de fermeté gouverne-
mentale, le gouvernement temporisait et
transigeait sans cesse, mais ne gouvernait
presque jamais. Aussi le nombre des mé-
contents allait-il grandissant et cette forme
du pessimisme qu'on a nommée l' « autrecho-
sisme » se répandait-elle de plus en plus.
C'est ce mécontentement général que des
ambitieux sans scrupules essayèrent d'ex-
ploiter au profit d'une nouvelle dictature mi-
litaire. Ah la nation réclamait une main
ferme Eh bien, on lui donnerait une « poi-
gne » de soldat qui s'entendrait à conduire
le peuple « comme un enfant ». Grâce à des
prodiges de réclame, une ridicule légende
prit corps, et, sous prétexte de régénérer la
République, il se produisit une formidable
levée de boucliers contre nos libres institu-
tions. Par bonheur, le bon sens public ne
tarda pas à s'apercevoir que le remède serait
infiniment pire que le mal. L'équivoque avait
ruiné le crédit de la Chambre, et voilà que la
faction plébiscitaire apportait une autre équi-
voque, combien plus illogique et plus redou-
table Que voyait-on, en effet, dans le soi-
disant parti national ? A côté d'anciens dé-
mocrates, de revenants de l'empire et de
fidèles de la monarchie, des communistes ré-
volutionnaires y fraternisaient avec de pré-
tendus conservateurs; sous la même ban-
nière s'enrôlaient descléricaux, desathéesma-
térialistes, des apôtres du divorce. On criait
« Vive la République » avec le dessein d'é-
trangler « la gueuse » au plus vite; on pro-
testait de son- dévouement au suffrage uni-
versel et l'on se préparait à confisquer la
souveraineté nationale. Ces contradictions
monstrueuses, tous les libéraux sincères se
mirent à les dénoncer sans trêve, en dépit
des outrages, des calomnies et des menaces;
ils ont réussi à arracher les masques, et le
boulangisme est apparu enfin au corps élec-
toral désabusé ce qu'il avait toujours été en
réalité, c'est-à-dire une manœuvre désespé-
rée de la réaction aux abois aussi le verdict
populaire vient-il d'en faire bonne et com-
plète justice.
Mais, si le pays s'est débarrassé de l'équi-
voque revisionniste, ce n'est pas, apparem-
ment, pour que nos législateurs retombent
dans la confusion et l'impuissance d'antan.
Que réclame-t-il donc impérieusement? Avant
tout, de la netteté et de la logique. « Nous
voulons, ont déclaré les électeurs, une politi-
que loyalement républicaine, et républicaine
sans autre épithète. Plus de coteries ni de
dogmes étroits! Plus de définitions subtiles
ni e discussions byzantines! Arrière les rhé-
teurs et les sophistes Il nous faut des hom-
mes d'affaires, des esprits lucides etpratiques,
désireux de contribuer efficacement au pro-
grès de la démocratie et à l'épanouissement
des richesses nationales. Au gouvernement,
par conséquent, de proposer une série de lois
bien claires répondant incontestablement
aux besoins des populations laborieuses
aux députés de les étudier consciencieuse-
ment et de les faire aboutir. De l'initiative et
de l'énergie dans le ministère, à la Chambre
une majorité compacte, disciplinée, prête à
se laisser guider par le cabinet qu'elle juge
digne de sa confiance, et nous goûterons en-
fin les bienfaits du régime parlementaire pra-
tiqué avec sincérité, de ce régime de raison
et de liberté dont on ne nous a guère pré-
senté, il faut bien le dire, depuis trop long-
temps, qu'une lamentable et décevante con-
trefaçon.
Nous avons sous les yeux la statistique des
grèves qui ont éclaté aux Etats-Unis, de 1881 à
1886, et, en France, de 1874 à 1885. La pre-
mière est due à M. Carroll Wright, chef du Bu-
reau or labor de Washington; la seconde émane
de notre ministère du commerce. Les consta-
tins, après ma lettre, pour savoir ce qui serait
arrivé! Et quand j'ai vu que le pauvre
homme s'était tué. j'ai cru que je deviendrais
folle!
Elle fit de ses bras maigres un geste déses-
péré, puis les laissa retomber, et sa mante
abattit sur elle ses plis noirs, pareils à des ai-
les de chauve-souris.
-Je n'ai plus jamais dormi une seule nuit
depuis ce moment-là Ça commençait sitôt le
soleil couché. Je me disais C'est ta faute Et
puis je me répondais Il fallait pourtant bien
lui dire Je ne pouvais pas laisser faire un sa-
crilège pareil Et à me parler et à me répondre,
je finissais par me sentir le feu dans la tête
et je pensais que, si je mourais subitement,
pendant que j'étais comme ça, je serais bien
sûr en état de péché mortel, et alors.
Son visage se contracta sous l'horrible peur
de l'enfer, qui avait été la torture de sa vie.
Je n'étais bien que dans les églises là, je
sentais que j'étais en sûreté. J'ai fait des vœux,
j'ai fait des pèlerinages. mais on ferme les
églises la nuit, et c'est la nuit que ça recom-
mençait à me tourmenter! Et puis, un soir, à j'
Coutances, j'ai vu Estelle en noir. ça m'a en-
foncé un poignard dans le cœur Ça me pa-
raissait si impossible qu'elle eût épousé son
frère, je ne m'en représentais pas l'idée. Quand
je l'ai vue en deuil, j'ai compris que, pourtant,
elle était veuve, puisqu'elle ne savait pas. ça
m'a fait un mal que je ne puis pas dire. Vous
avez eu du chagrin, dites? fit-elle sévèrement
en regardant la jeune femme.
J'aimais Raymond comme un frère, ré-
pondit Estelle; je l'ai beaucoup pleuré.
-Comme un frère? fit Rosalie en penchant
vers elle son visage transfiguré. Comme un
frère seulement? Et il s'est tué tout de suite en
revenant de l'église? Le bon Dieu a eu pour-
tant pitié de moi un peu
Elle ferma les yeux pour savourer une sorte
de rayonnement intérieur qui transparaissait
sur sa figure décharnée. Estelle et Benoist ¡
échangèrent un regard. Evidemment, Rosalie
n'était pas responsable l'excitation particulière
de son esprit la rendait insensible aux re-
proches comme aux raisonnements.
Rosalie, dit avec douceur la jeune femme
tentant une dernière épreuve, on m'a accusée
d'un crime. C'est pourtant votre imprudence
qui en est la cause. J
La cause ? La cause est dans la faute du J
tations qu'elles permettent sont infiniment cu-
rieuses.
On remarque tout d'abord que le recours à
la grève est beaucoup plus fréquent aux Etats-
Unis qu'en France, tout compte fait, bien en-
tendu, de la différence qui existe entre les
deux populations. Aux Etats-Unis, le nombre
moyen des grèves a été, pendant la période de
1881 à 1886, de 650 par an. Il a été, chez nous,
de 74 seulement. Le nombre total des grévistes
a atteint 1,323,203 pour les dix années étudiées
par M. Carroll Wright, tandis que, pendant les
onze années qu'embrasse la statistique fran-
çaise, il n'a pas dépassé 216,602. Mentionnons
tout de suite que ce dernier nombre ne s'appli-
que qu'à 673 grèves sur 804 qui ont eu lieu en
France de 1874 à 1885; les renseignements
recueillis par le ministère du commerce ont
donc été incomplets sur ce point. Mais quel
qu'ait été le nombre des grévistes pour les 131
grèves restantes, un écart considérable subsis
tera, en tout état de cause, entre les deux pays.
On voit par là que la condition de l'ouvrier
aux Etats-Unis semble autrement défectueuse
que celle de l'ouvrier en France, en dépit des
hauts salaires que font tant valoir, dans leurs
discours, les protectionnistes américains. Il est
certain que les salaires sont incomparablement
plus élevés aux Etats-Unis que dans notre pays;
mais, d'une part, la vie est hors de prix de
l'autre côté de l'Atlantique en raison même de
l'exagération des droits protecteurs, et, d'autre
part, la hausse artificielle produite par les vi-
ces du système monétaire en vigueur aux Etats-
Unis, y place l'ouvrier dans une situation in-
stable que ne connaissent pas nos populations
ouvrières. Les partisans de la frappe illimitée
de l'argent perdent trop souvent de vue cette
considération. Toute hausse des prix qui est
dueà une altérationdel'étalon monétaire écrase
le salarié, car les salaires ont peine à suivre
cette hausse, et ils ne la suivent, trop fréquem-
ment, qu'à force de revendications, de luttes et
de grèves.
Le plus clair résultat de celles-ci, c'est d'em-
pirer le sort des grévistes. Nous voudrions que
tous les ouvriers pussent méditer les chiffres
que nous allons reproduire. Aux Etats-Unis,
sur les 1,323,203 travailleurs qui sc sont mis en
grève, de 1881 à 1886, il y en a eu 660,396 qui
ont complètement échoué; 518,583 ont réussi à
faire prévaloir leurs réclamations 144,224 n'ont
eu qu'un succès partiel. En France, sur 753
grèves examinées à ce point de vue, 427, soit
57 0/0, ont totalement échoué 206, ou 27 0/0,
ont abouti à l'adoption des vœux des grévistes;
120, soit 160/0, se sont terminées par une trans-
action. La proportion des échecs absolus est
considérable, on le voit; dans l'ordre normal
des choses, une arme qui donnerait de pareils
mécomptes serait immédiatement jetée au re-
but. Or, voici des chiffres qui complètent tris-
tement ceux-là
La statistique américaine établit que les per-
tes subies par les grévistes, privés de salaire,
se sont élevées à 260 millions de francs; en
outre, un capital de plus de 16 millions a été
employé à soutenir. les grèves, et, finalement,
détruit. Pour toutes les grèves où les ouvriers
ont dû reprendre le travail aux anciennes con-
ditions, les sacrifices faits l'ont été sans com-
pensation. Dans les cas où les ouvriers ont eu
complètement gain de cause, il leur a fallu,
d'abord, d'après les calculs de M. Wright, 76
journées de travail au tarif nouveau pour com-
bler seulement les pertes subies pendant la
grève. Enfin, dans les cas où il y a eu transac-
tion, le nombre des journées de travail néces-
saires pour combler le déficit éprouvé par les
grévistes n'est pas moindre de 361.
En France, les constatations sont les mêmes.
On calcule que, dans les grèves qui se termi-
nent par un succès des grévistes, et dans le cas
où ceux-ci parviennent à faire augmenter de
10 0/0 leurs salaires, il leur faut travailler 160'
jours pour regagner simplement ce que l'in-
terruption du travail leur a enlevé. Quant à
ceux qui échouent, et c'est le plus grand
nombre,- ils voient leur situation cruellement
aggravée; leur épargne, s'ils en possédaient, a
sombré dans l'aventure.
On peut se rendre compte de la lumière que
peut jeter, sur les questions sociales les plus
ardues, la statistique ainsi comprise. Elle est
appelée, selon nous, à rendre d'inappréciables
services au monde du travail. Mais elle devra
doursuivre et hâter, dans ce but, sa transfor-
mation, devenir de plus en plus complète, de
plus en plus précise. Ainsi, on a dû remarquer
des variations fâcheuses entre les chiffres de
notre statistique française, qui cite tantôt 804
grèves, tantôt 673, tantôt 753 eile donne mê-
me un autre chiffre encore, celui de 700, quand
elle s'occupe de la durée des grèves. Ces diver-
gences prouvent que les informations sont
prises sans une méthode suffisante, ou don-
nées avec négligence. Trop longtemps on a
souri et médit de la statistique trop de gens
considèrent comme superflu de répondre aux
demandes de l'administration c'est à celle-ci
à tenir la main à ce qu'on la prenne au sé-
rieux.
Puis, les renseignements communiqués au
public sont trop vieux. En 1889, nous devrions
avoir, pour la France, les résultats de 1888.
C'est une habitude à prendre. Souvent les sta-
tistiques existent, mais elles dorment dans un
carton. Il faut les en faire sortir, fût-ce au prix
de quelques sacrifices pécuniaires. Enfin, la
statistique intéresse, aujourd'hui, tout le mon-
de. Qu'est-elle, sinon la démocratie prise sur le
vif? La statistique, ce n'est autre chose qu'une
père et de la mère. Vous avez expié pour eux
vous devez être contente.
Pourtant, insista Estelle, on m'a accusée
d'avoir tué Raymond. C'est bien cruel, Ro-
salie 1
Tué fit la malheureuse en frissonnant.
Tué votre frère. Oh c'est horrible, cela I
Qu'avez-vous dit?
-Je n'ai rien dit; j'ai tout supporté en si-
lence, espérant qu'un jour la vérité serait con-
nue, et maintenant. je ne dirai rien non plus.
Je continuerai de supporter.
Rosalie laissa retomber sa tête sur sa poi-
trine et parut méditer profondément. Tout à
coup, elle se laissa glisser de sa chaise et tom-
ba à genoux devant Estelle.
Pardonnez-moi, dit-elle d'une voix brisée;
pardonnez-moi, pour que je puisse dormir,
pour que je me repose 1 Personne, excepté
vous, ne peut plus me pardonner, et il faut
qu'on me pardonne, sans quoi je perdrai l'es-
prit Il l'a deviné, votre fiancé, j'ai voulu
tromper le bon Dieu, moi qui n'avais jamais
menti Je n'ai pas dit à confesse que M. de
Beaurand s'était tué. Je pensais que ça n'avait
rien à voir avec l'affaire. J'avais voulu empê-
cher un crime, j'avais bien fait! Mon confes-
seur me l'a dit, quand il m'a demandé si le ma-
riage avait eu lieu, je lui ai dit que je ne savais
pas. C'était un mensonge horrible mais je ne
voulais pas que quelqu'un me dît que j'étais
cause de la mort de M. de Beaurand. Non, je
ne pouvais pas supporter ça, et je n'ai jamais
dit son nom. Et maintenant, je vois bien que
c'est ça qui m'étouffe. Le mort ne peut plus
parler, il n'y a plus que vous de la famille di-
tes-moi que vous me pardonnez la mort de vo-
tre frère, et je vous croirai
Elle se prosterna sur le carreau, ensevelie
dans sa mante à mille plis.
Estelle sentit jaillir de ses yeux des larmes
de miséricorde. Pourquoi tenir rigueur « ce
pauvre être affaissé? La fatalité qui s'était ap-
pesantie sur les victimes de ce drame de fa-
mille ne serait-elle pas apaisée par une parole
de clémence?
Rosalie, dit-elle en se penchant pour la
toucher de la main, au nom des morts, je vous
pardonne.
La malheureuse voulut se redresser, mais les
forces lui manquèrent; Estelle et Benoist la
prirent sous les bras et la mirent sur sa chaise;
elle pouvait à peine respirer.
projection des faits sociaux. Il faut que les
masses en soient saisies en temps utile, pour
qu'elles en puissent faire leur profit.
AFFAIRES COLONIALES
̃V\ Tunisie 7 '• .;̃ V,- ̃ y
La deuxième division de l'escadre de la Méditer-
ranée et du Levant, composée des cuirassés Cour-
bet, Amiral- Baudin, Dévastation, du croiseur-torpil-
leur Condor, auquel s'était joint le D'Estrécs, croiseur-
stationnaire de Tunisie, est arrivée avant-hier à
Sfax. Une grande foule couvrait les quais.
A sept heures, l'amiral et ses officiers descen-
daient à terre pour assister à un banquet de cent
cinquante couverts, auquel ont pris part les offi-
ciers de la division navale et de l'armée de terre,
les autorités françaises et indigènes, le ministre de
la Plume, les consuls étrangers et quelques notabi-
lités civiles.
Le vice-président de la municipalité a remercié,
ua nom de la ville de Sfax, l'amiral et les officiers de
l'honneur qu'ils lui ont fait en acceptant cette invita-
tion, et a rappelé combien était grande la sympathie
de la population de Sfax pour la marine française.
Faisant allusion à la part qu'elle a prise dans les opé-
rations qui ont suivi l'établissement du protectorat,
il a dit que les Européens gardent le souvenir du se-
cours qu'ils ont reçu en un jour de danger, et que la
population indigène, dont la marine a éprouvé la
bravoure, a bientôt reconnu dans la France, qu'elle
combattait, une amie loyale et généreuse, grâce au
mérite et à la sagesse de nos gouvernants.
Le vice-président a terminé son discours en in-
vitant les principaux représentants étrangers qui
sont venus se joindre à la municipalité. pour fêter
les marins francais, à lever leurs verres en l'hon-
neur du gouvernement de la République et de la
marine française.
Nouvelles coloniales et maritimes »'
LANCEMENT DE L' « AVANT-GARDE »
On a lancé hier, au Havre, l'éclaireur-torpilleur
l'Avant-Garde, construit s«r les chantiers Normand
.pour la marine française.
En acier, à deux hélices, ce petit bâtiment a les
dimensions suivantes longueur, 42 mètres; lar-
geur, 4 m. 50; tirant d'eau arrière sous les hélices,
m. 30; déplacement, 11!) tonneaux. Il doit filer
20 nœuds 1/2 avec 1,350 chevaux.
Armement une torpille sur hampe à l'avant;
deux tubes lance-torpil;es sur affût à pivot placés
sur le pont, l'un à l'arrière des cheminées, l'autre
tout à fait à l'arrière du navire; enfin, quatre ca-
nons à tir rapide de 47 millimètres.
On attend à Toulon le transport l'Orne, signalé
le 2 octobre à Port-Saïd, et parti de Toulon dans
les premiers jours de juin pour transporter des
passagers civils et militaires et du matériel dans
nos établissements de Madagascar et dans notre
colonie de la Réunion, et ramener de ces colonies
des convalescents et du matériel hors d'usage.
A,
LA STATUE DE LEBLANC
La ville de Saint-Denis s'apprête à fêter l'inau-
guration de la statue d'un chimiste, Nicolas Le-
blanc, l'inventeur de la soude artificielle.
C'est une physionomie bien à part que celle de
cette ancienne sous-préfecture, qui a conservé le
dessin général d'une petite ville de province. Quand
on est au centre, du moins aux heures où la popu-
lation ouvrière est retenue dans les ateliers, on
pourrait se croire à cinquante lieues de Paris. On
serait même tenté de croire à une sorte de déca-
dence quand on s'arrête devant de vieilles auber-
ges qui étaient visiblement aménagées pour un va-
et-vient actif de courriers, de rouliers, de campa-
gnards des alentours, et dont les cours ont dû être
égayées par le tintement ininterrompu des grelots.
Mais on ne peut prolonger longtemps sa rêverie
sans être ramené à des impressions plus contempo-
raines par le glapissement discordant du tramway.
En effet, cette ville distincte, qui n'était pour ainsi
dire pas de la banlieue, car elle n'était pas du
côté propice aux parties de campagne et aux dé-
lassements du dimanche, s'est trouvée peu à peu at-
teinte et absorbée par le faubourg. Depuis la Cha-
pelle, par la route bordée de pauvres maisons
meublées, d'entrepôts et de cabarets, à travers
une plaine remplie d'usines pour la plupart mal
odorantes, sinon insalubres, Saint-Denis s'est vu
saisir et happer. La ville a perdu son autonomie
morale de provinciaux, ses habitants sont deve-
nus faubouriens. Le boulangisme y sévit; nulle
part, au scrutin du 22 septembre, il n'a trouvé plus
complètement sa terre d'élection. Les tombes roya-
les ne sont plus guère dans la solitude et ne sont
point entourées du recueillement qu'on avait voulu
leur assurer par cette demi-retraite.
On était bien loin de là, sous le premier empire,
quand Leblanc créa son industrie. Un sous-préfet de
Saint-Denis était alors un personnage; on s'attardait
volontiers sur les portes à regarder passer les voitu-
res. L'inventeur, natif d'Issoudun, mais qui avait
naturellement recherché les avantages de la proxi-
mité de Paris, s'était acquis dans la ville de Saint-
Denis la reconnaissance qui s'attache aux hommes
d'initiative quand ils ont créé dans un milieu fort
calme une industrie nouvelle, amené un peu d'ani-
mation et des sources nouvelles de revenu, et pro-
curé un travail relativement facile aux inoccupés
do la localité. Nicolas Leblanc a toutes sortes de
droits à l'estime et au souvenir de la postérité Sil
a rendu un service universel aux consommateurs
en augmentant la production et en diminuant le
prix de revient d'un produit qui jusqu'alors n'était
tiré qu'à grands frais de la combustion de végé-
taux auxquels il fallait sacrifier de vastes espaces
il a procuré du travail à nombre d'ouvriers, et le
service qu'il a rendu est de ceux dont l'effet se per-
pétue à travers les générations et s'étend à tous les
pays. Il a fait preuve en même temps d'une bien-
Merci, fit-elle à voix basse, merci. je
dormirai.
Elle ferma les yeux et se recueillit. Au bout
d'un instant, elle parut se remettre
Maintenant, dit-elle, j'avouerai tout. Je
pourrai dire aussi que vous m'avez pardonné.
Ça m'aidera dans ma confession. Je vous re-
mercie bien.
Elle parlait simplement, humblement, com-
me elle l'eût fait pour une action de la vie cou-
rante.
Avez-vous besoin de quelque chose? de-
manda Estelle, toute surprise de cette incon-
science. Avez-vous de quoi vivre?
Ma pauvre maîtresse m'a laissé une rente,
répondit Rosalie. Je n'ai besoin de rien, que
de dormir en paix les nuits. Je suis con-
tente de vous avoir vue. C'est ce monsieur
que vous épouserez? Il n'a pas l'air méchant.
Il m'a pourtant fait bien peur tantôt. oh! une
peur!
Elle frissonna et détourna les yeux.
-C'est par frayeur que je lui ai donné ce pa-
pier. Voyez-vous, Estelle, pour le reste, je suis
bien tranquille, je n'ai point de péchés mortels
sur la conscience. Je n'ai été ni voleuse, ni or-
gueilleuse, ni colère, ni rien, enfin. Mais on
m'a fait mentir. De moi-même, je n'aurais ja-
mais dit un mensonge, et du temps de ma
pauvre maîtresse, pour la servir. Aussi je
n'avais qu'une peur, c'était de mentir. et j'ai
menti au bon Dieu. Quand ce monsieur m'a
dit que j'étais une menteuse, j'ai perdu la tête.
Ça me-mettait en rage. Enfin, c'est fini; le
bon Dieu me pardonnera, n'est-ce pas?
Cui! dit Estelle, profondément émue de
la droiture native et de la foi confiante de la
pauvre créature. Il vous pardonnera, parce que
vous avez cru bien faire, toujours, même quand
j'étais petite. Adieu, Rosalie, soyez en paix.
Ils sortirent de la maisonnette l'air pur, en
les frappant au visage, leur fit une impression
singulière, comme s'ils avaient été longtemps
enfermés dans une cave humide et sombre;
instinctivement Benoist conduisit sa compagne
vers les remparts déserts, et ils s'assirent en-
semble sur le banc de pierre où il avait lu la
lettre.
Que voulez-vous faire à présent? deman-
da-t-il.
Estelle regarda au loin dans la direction de
l'orient.
veillance et d'une dignité de caractère qui facilitent
tous les hommages. Il fut un ami sincère des tra-
vailleurs et sut sauvegarder son indépendance, sa
fidélité même aux souvenirs de la Révolution en
face d'un despote victorieux qui ne prisait, même
dans la vie civile, que l'obéissance passive.
Il y a six ou sept ans que la souscription pour la
statue de Nicolas Leblanc fut lancée, avec l'appui
de l'Académie des sciences, par un groupe de chi-
mistes industriels les plus en mesure d'apprécier
les services rendus par ce novateur, de mesurer
l'étape franche c'est au couronnement de leur en-
treprise que nous allons assister.
Il y manquera un assistant qui avait été bien sen-
sible à cette œuvre de réparation c'était le peintre
Auguste Anastasi, le gendre de Leblanc. Il est
mort il y a peu de mois on a rappelé ses succès
personnels d'artiste, mais on a généralement omis
de rappeler une alliance dont il était fier. On s'ex-
poserait à une chicane de mots pénible en disant
qu'il n'a pas assez vécu pour voir luire le jour si
longtemps attendu. Il ne l'aurait pas vu, car, de-
puis un certain nombre d'années, le malheureux
Anastasi était aveug'.e. Il avait été, par préférence,
le peintre des midis torrides et des paysages inon-
dés de lumière solaire, si bien qu'on se demandait
parfois s'il n'avait pas été aveuglé par sa peinture;
il pouvait bien l'avoir été tout au moins par ses
études de prédilection. Privé de la vue, obligé de
renoncer à son art, Anastasi avait réussi à conso-
ler le déclin de sa vie en célébrant le souvenir de
son beau-père, en se faisant son biographe. Il avait
dicté une notice très complète, appuyée sur de nom-
breux documents de famille et d'où les orateurs de
l'inauguration tireront assurément le plus clair de
leurs informations. La justice veut qu'en parlant du
savant et du bienfaisant industriel ils donnent un
souvenir à l'artiste qui s'est fait pieusement son
historien et qui mériterait un rappel, ne fût-ce que
sur le piédestal. r
̃– ♦ :;̃•
LE TSAR A BERLIN f
(Dépêches de notre correspondant particuliery
Berlin, 12 octobre, 8 h. 10
Jusqu'au dernier moment on ne savait pas si le 6
tsar descendrait à l'ambassade russe ou au .palais
impérial. C'est la veille de l'arrivée que le minis-
tère de la maison impériale russe a annoncé aux
fonctionnaires do la cour que le tsar descendrait à
l'ambassade. Le roi Humbert et l'empereur d'Au-
triche sont descendus au palais.
On raconte que, hier matin, de fort bonne heure,
M. de Bismarck s'est présenté chez l'empereur pour
lui demander s'il ne vaudrait pas mieux qu'il s'abs-
tint de paraître pendant le séjour du tsar et qu'il
retournât à Friedrichsruhe. L'empereur Guillaume
a très fortement insisté pour qu'il restât et a sur-
tout demandé au chancelier de se trouver à la gare
au moment de l'arrivée du tsar. La discussion en-
tre l'empereur et le chancelier a duré si longtemps
que M. de Bismark n'a pas eu le temps de rentrer
pour revêtir son uniforme de gala; c'est pour
cela qu'il était à la gare en petite tenue. Il s'était
fait apporter en toute hâte le grand-cordon de Saint-
André.
Berlin, 12 octobre, 8 h. 20.
Si pendant le trajet de la gare à l'ambassade
russe la foule avait une attitude très réservée, quoi-
que respectueuse, il y a eu, lorsque le tsar est sorti
en voiture pour faire quelques visites, plus d'en-
thousiasme.
Pendant le défilé des troupes, qui a duré trois
quarts d'heure, M. de Bismarck s'est trouvé indis-
posé et a dû rentrer chez lui. Il n'a pu, paraît-il, en
raison de son état phlébitique, rester debout commo
le tsar, l'empereur et les princes, pendant le dé-
filé.
L'ambassadeur de Russie, le comte Schouvalof, a
offert un déjeuner au tsar. L'empereur Guillaume y
a assisté, ainsi que les princes. Au dessert, le
comte Schouvalof a souhaité, en levant son verre,
la bienvenue à l'empereur Alexandre.
La musique du régiment de l'empereur Alexandre
a joué l'hymne national russe.
Aussitôt après, l'empereur de Russie a bu à la
santé de l'empereur Guillaume, auquel il a adressé
quelques paroles en français.
Après le déjeuner, qui s'est terminé à midi trois
quarts, l'empereur Alexandre et le grand-duc Geor-
ges sont montés dans une voiture attelée de deux
chevaux et se sont rendus, suivis des personnes
faisant le service d'honneur, au château royal, où
ils ont fait une visite à l'impératrice Augusta-Vic-
toria. Ils se sont ensuite fait conduire au palais im-
périal pour rendre visite à l'impératrice Frédéric.
Berlin, 12 octobre, 8 h. 30.
Dans l'après-midi le tsar s'est rendu à Charlot-
tenbourg, pour visiter le tombeau de l'empereur
Guillaume I".
A quatre heures et demie le prince de Bismarck,
remis de son indisposition, s'est présenté à l'ambas-
sade. Il portait l'uniforme de la landwehr de la garde
et le grand- cordon de Saint-André. L'audience a
duré une heure vingt minutes. Le chancelier a été
reconduit jusqu'à sa voiture par l'ambassadeur de
Russie. On dit que le tsar a écouté en silence les
considérations que le chancelier lui a présentées.
On a du reste remarqué que toute la journée le
tsar est resté impassible, ne répondant à aucune
avance et restant sur une réserve certainement très
courtoise, mais excluant toute cordialité.
Berlin, 12 octobre, 8 h. 50.
A six heures du soir, dans la salle Blanche du
château, a eu lieu un dîner de gala de 140 couverts.
Le tsar était assis entre l'empereur Guillaume et
l'impératrice Victoria-Augusta. Vis-à-vis d'eux se
trouvait M. de Bismarck.
Au dessert, l'empereur Guillaume a porté le toasi
Retourner à Paris, dit-elle, et aller à la
tombe de Raymond. Voyez-vous, mon ami, il
me semble que je n'aurai jamais assez de lar-
mes pour l'infortuné Mon cœur se brise quand
je pense à ses derniers instants 1
Il a vécu heureux, répondit mélancolique-
ment Benoist.
Elle ne disait rien; il vit qu'elle pleurait
sous sa voilette.
Pleurez, chère, dit-il affectueusement ces
larmes sont d'honnêtes et pures larmes fra-
ternelles, qui vous honorent.
Elle comprit qu'il avait cessé d'être jaloux.
Alors, reprit-elle en maîtrisant son cha-
grin, qu'allez-vous faire?
Vous accompagner jusqu'à Paris; ensuite
j'irai voir ma mère.
Elle l'interrogea du regard et se contente
d'une muette réponse.
Et vous ? demanda-t-il.
-Moi? je ne sais pas. Saumeray m'effraye'
J'y trouverais trop de souvenirs de mon en^
fance, et c'est cela surtout que je veux oublier!
L'hôtel de Beaurand me fait horreur Je n'ai
plus d'asile. Pourtant il me faudra quelques
jours pour m'organiser une existence. Je vous
demanderai encore une chose, mon ami je
veux créer une fondation utile, un hospice ou
un asile. un asile plutôt, pour ceux qui n'ont
ni parents ni amis. avec toute la fortune des
Beaurand. Ce sera pour la mémoire de Ray-
mond. et de son père. Il y a longtemps que
j'y pensais, à présent j'y suis résolue. Il me
restera la fortune de ma mère, la seule à la-
quelle j'aie droit.
Ce sera fait, répondit Benoist. Je vous de-
mande seulement d'attendre un peu de temps
pour que je voie ma mère, que je cause avec
elle.
Estelle baissa la tête.
C'est juste, fit-elle. Votre mère ne voudra
pas de moi pour fille, si elle sait la vérité, et
pourtant..
Ma mère est droite et bonne, répliqua Be-
noist. j'-ai grand espoir dans sa justice. Mais
qu'elle y consente ou non. Estelle, je vous l'ai
dit, vous êtes nù* femme- t, « « t ̃•
Une heure aprèW,. ils quittèrent le Mont-SalaV
Michel. HENRY GRÉVILLE.
-•• -•̃̃̃. HENRY GREVILL.E.
(La fin au prochain feuilleton-)
DIMANCHE 13 OCTOBRE i889
V1ISUT-NËUV1ÈME ANNEfci. A» i0386
PRIX DE L'ABONNEMENT
PAHiS Trois mois, 14 fr. Six mois, 38 fr. Un an, 56 fa
DBP" 4 ALSACE-LORRAINE 17fr.; 34 fr.; 68 fr.
UNION POSTALE lSfr.; 36 fr.; 72t
LES ABONNEMENTS DATENT DES l»r ET 16 DE CHAQUE MOIS
Un numéro (départements) 3O centimes^
ANNONCES MM. LAGRANGE, CERF ET Ce, 8, place de la Bourse
(Droit d'insertion réserve à la rédaction.)
°,
BUREAUX 5, boulevard des Italiens. PARIS
1,
.adresse téléqraphiaue TEMPS PARIS -̃,
'̃• PRIX DE L'ABONNEMENT
jAlljç t Trois mois, 1 4 fr. Six mois, 28 fr. Un an, 56 ff,
DËPt» & YlSACE-lÔrRAINB 17fr.; 34 fr.; 68 fr.
BHM POSTALE lSfr.; 36 fr.; 72 fr.
LES ABONNEMENTS DATENT DES 1er ET 16 DE CHAQUE MOIS
JJn numéro <à Paris) lo centinaes.
Directeur politique Adrien Hébrard
• La rédaction ne répond pas des articles communiqués
JURE AUX 5, boulevard des Italiens, PARIS
Adresse télégraphique TEMPS PARIS •••'
PARIS, 12 OCTOBRE
gULLETIN DU JOUR
Le tsar est à Berlin. 11 a été reçu à la gare
conformément au cérémonial qui, depuis 1
quelque temps, exige de la part des souve-
rains de grandes embrassades. Il est allé, en
compagnie de l'empereur Guillaume, déjeu-
ner à l'ambassade de Russie. Le soir, il a pris S
part au dîner de gala dans la salle blanche 1
du château royal. Des toasts ont été échan- j
gés entre les deux souverains.
L'œil le plus perçant découvrirait malaisé-
ment dans le texte sans doute arrêté d'a-
vance de ces brèves paroles autre chose
que l'expression d'une courtoisie banale.
Alexandre III a fait au prince de Bismarck
ten buvant nominativement à sa santé, un
honneur que le chancelier aurait peut-être
plus vivement apprécié si toujours con-
formément au programme Guillaume II
n'avait eu la même attention pour l'ambassa-
deur russe, le comte Schouvalof.
On a beaucoup remarqué que l'organe par
excellence de M. de Bismarck, la Gazette de
V Allemagne du Nord, a jusqu'ici, sur la portée
poli tique de la visite du tsar, « gardé de Conrart
le silence prudent ». Le Reichsanzeiçer publie
Une petite note officielle dont tous les termes
semblent avoir été pesés au trébuchet le plus
exact pour mesurer juste la dose de politesse
qui convient, sans le moindre alliage d'effu-
sion amicale.
Il est à noter que le mot de paix n'y est
prononcé que rétrospectivement, pour ainsi
dire, par rapport aux antiques relations des
deux cours. Pour ce qui concerne l'avenir,
tout ce que la prose officielle trouve à dire,
p'esfc qu'il faut espérerque l'entrevue desdeux
souverains contribuera à la prospérité de leurs
deux peuples. Voilà un langage qui n'est pas
compromettant et qui est singulièrement loin
des tendres protestations et des formules ca-
ressantes avec lesquelles la même feuille ac-
pueiDait naguère à Berlin le roi d'Italie et M.
Crispi.
En somme, à en juger par les comptes
rendus les plus impartiaux l'atmosphère
morale de cette première journée n'a pas dû
faire monter le thermomètre fort au-dessus
de zéro.
Le public, qui ne voyait que de loin ce
Spectacle à grand appareil, s'est un peu dé-
dommagé en commentant à perte de vue
certains incidents significatifs. Les bruits
qui couraient depuis quelque temps sur la
santé du prince de Bismarck ont été confir-
més par la retraite un peu précipitée du
chancelier, qui ne peut supporter longtemps
la station verticale, et par la prévenance du
tsar qui a fait plier 1 étiquette et a dû faire
tressaillir l'ombre de Louis XIV en offrant
à l'homme d'Etat plus que septuagénaire un
fauteuil devant un souverain debout.
Il vient de se passer à Londres un incident
qui, pour la première fois, rend sensible au
peuple anglais le véritable caractère de la lé-
gislation exceptionnelle en vigueur en Ir-
de. Il s'agit encore de M. Conybeare, le
député radical anglais du comté deCornwall,
récemment emprisonné en Irlande pendant
plusieurs mois pour avoir prêté assistance
au plan de campagne en distribuant des vi-
vres à des tenanciers évincés qui s'étaient
fortifiés dans leurs logis.
M. Conybeare est en même temps repré-
sentant de l'un des quartiers de Londres au
School Board, c'est-à-dire à la commission
scolaire élective qui dirige l'immense ma-
thine de l'enseignement primaire dans la
métropole. Il venait, à l'expiration de sa
peine, reprendre son siège dans cette as-
semblée non politique tout au moins par
ses attributions légales.
Le président, un ecclésiastique anglican
du nom de Diggle, s'empressa de l'informer
avec urbanité qu'il avait consulté un avo-
cat. conservateur et que cette lumière du
barreau avait conclu à la déchéance de M.
Conybeare de son mandat, comme consé-
quence de sa condamnation en Irlande. Na-
turellement, le député de la circonscription
de Camborne en Cornwall a voulu protester
contre cet ukase. M. Diggle a prétendu qu'en
vertu de cette simple consultation et ipsofacto
M. Conybeare avait perdu le droit de pren-
dre part aux délibérations et lui à enlevé la
parole.
Mrs Besant, qui représente à la fois son
sexe et le parti socialiste dans le School
Board, a soutenu que l'opinion d'un conseil,
si éminent fût-il, n'avait pas encore force de
loi et qu'il convenait provisoirement de lais-
ser les choses en l'état, quitte à solliciter
d'un tribunal compétent une solution autori-
FEUILLETON DU (ftCîîtpS
DU 13 OCTOBRE 1889 [38]
»
•" .> '̃'̃ XXXIV ̃•
Voilà le monsieur et la dame, dit la voi-
sine en ouvrant la porte.
Rosalie leva les yeux et resta pétrifiée à la
vue d'Estelle.
Elle avait voulu se lever; ses vêtements, à
peine rajustés sur elle, étaient recouverts de la
mante de deuil, qui cachait tout son costume.
Sous ces plis rigides qui tombaient à terre, as-
sise sur une chaise de paille, elle avait l'air
d'une sombre statue de la douleur. Ses yeux
s'attachèrent sur la jeune fille avec une fixité
presque effrayante.
Rosalie. dit Estelle, émue de revoir dans
cet état la seule femme qui, bien ou mal, eût
pris soin de son enfance.
Regardez-la, monsieur, dit la malade à
Benoist en étendant les bras vers elle, regar-
dez-la c'est le portrait vivant de son père!
Benoist peussa doucement au dehors la voi-
sine qui s'attardait, et ferma la porte.
Que me vouliez-vous ? dit-il en revenant.
Je ne vous connais pas, monsieur, fit Ro-
salie. Je vous ai donné la lettre, j'ai eu tort. Il
faut me la rendre.
Sans rien dire, Estelle prit dans le parois-
sien la lettre qu'elle avait mise àcôté de l'image
et de l'enveloppe, et la tendit à son ancienne
bonne, qui la prit vivement et la déchira en
mille miettes.
Reproduction et traduction interdites* J 1
sée. Grâce à l'intervention de M. Lyulph
Stanley, le rejeton libéral d'une branche de
l'aristocratique maison de Derby, il a été dé-
cidé, par voie de compromis, que l'on con-
sulterait un second légiste avant de pousser
plus avant.
Il n'en demeure pas moins que le parti li-
béral anglais voit pour la première fois s'ac-
complir sous ses yeux une des conséquen-
ces les pius fréquentes en Irlande de la lé-
gislation de M. Balfour. Sous le prétexte
qu'un condamné pour délits de presse ou de
parole rentre dans la catégorie des individus
affligés de casiers judiciaires, on étend à ce
cas des incapacités dont la loi ne frappait
que les condamnés de droit commun.
«^»-
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps
Munich, 12 octobre, 8'heures.
Le prince Ferdinand de Cobourg a passé pres-
que toute la journée d'hier, avec ses parents, au
château de Nymphenbourg. Le soir, à neuf heu-
res, il a pris le train express pour Genève. On dit
qu'il se rendra de cette ville à Paris.
Vienne, 12 octobre, 8 h. 25.
D'après le Nouveau Tagblalt, le voyage du prince
Ferdinand serait motivé surtout par l'état de ses
finances qui ont été très fortement compromises
depuis son élévation au trône bulgare. Ferdinand
aurait avancé des sommes considérables au Trésor
public pour effectuer le règlement du compte du
prince Alexandre et pour hâter les travaux de che-
min de fer. Il comptait sur l'emprunt de 25 millions,
qui devait être conclu avec des maisons américai-
nes, pour se rembourser et pour créer de nouvelles
ressources au Trésor. Les négociations n'ayant pas
abouti, le prince veut faire appel à la bonne volon-
té de ses très riches parents, et notamment obtenir
l'autorisation d'hypothéquer la part qui lui revient
des domaines de la famille.
Il se confirme que c'est sur le conseil donné par
de très hauts personnages autrichiens que le prince
Ferdinand a abrégé son séjour à Vienne.
Vienne, 12 octobre, 8 h. 50.
Une note de la Correspondance politique s'occupe
de l'arrivée prochaine à Vienne du ministre des af-
faires étrangères de Roumanie, M. Lahovary. Elle
se félicite de ce que cet homme d'Etat vienne con-
férer personnellement avec le comte Kalnoky. Des
résolutions heureuses pour les deux pays peuvent
résulter de cette entrevue. Au point de vue com-
mercial, les deux pays ont également souflert de
l'état de choses actuel et doivent également dési-
rer la conclusion d'un traité de commerce. Les né-
gociations dans ce but ont été seulement interrom-
pues et peuvent être reprises. Si les difficultés
sont trop grandes pour permettre la rapide conclu-
sion d'un traité définitif, on pourrait, en attendant,
signer un arrangement provisoire comme on l'a
fait avec la France.
La Correspondance entonne ensuite un éloge du
ministère actuel en Roumanie qui, venant d'une
telle source, est assez surprenant.
Vienne, 12 octobre, midi 30.
Le prince Liechtenstein a donné sa démission de
député au Rcichsrath et renonce à la vie politique.
Le Vaterland dit que le prince ne veut pas mettre
obstacle à la réorganisation de la majorité, qui est
devenue nécessaire.
Belgrade, 12 octobre, 8 h. 15.
Le cahinet se présentera décidément tel qu'il est
devant la Skouptchina et réglera sa conduite d'après
les décisions que prendra la majorité.
Le nouveau groupe radical, dont M. Pachitch est
le chef, est résolument antidynastique et travaillera
à l'élévation sur le trône de la maison Karageor-
gevitch. Plusieurs membres de ce groupe sont en
relations suivies avec le prince Pierre, qu'ils ont
connu pendant leur exil à Cettinje.
Les régents ont de nouveau demandé au roi Mi-
lan qu'il autorise le jeune roi à voir sa mère. Le roi
persiste dans son refus.
Athènes, 12 octobre, 9 h. 30.
L'empereur Guillaume restera cinq jours en Grèce.
Les trois premiers jours seront consacrés aux fêtes
nuptiales à Athènes, et les deux derniers à une ex-
cursion dans le Péloponèse. Il s'embarquera le 31
octobre à Nauplie. L'impératrice Frédéric restera
une vingtaine de jours à Athènes.
L'étiquette ottomane ne permettant pas au sultan
d'aller à la rencontre de l'empereur, c'est Munir-
Pacha qui est désigné pour présenter les félicita-
tions de son souverain à l'empereur, au-devant de
qui il se rendra sur un navire turc.
La première entrevue du sultan et de l'empereur
Guillaume aura lieu sur l'escalier qui descend du
palais de Dolma-Bagtché à la mer.
Bien des gens cherchent, en ce moment,
à tirer l'horoscope de la nouvelle Chambre;
que va-t-elle faire et quelle attitude prendra
le gouvernement? Souhaitons que tous deux
sachent s'inspirer *des vœux si énergique-
ment exprimés par le suffrage universel et
profiter des leçons du passé. D'où venait, en
effet, ce sentiment de lassitude et d'énerve-
ment que l'on éprouvait partout vers la fin
de la précédente législature? Pourquoi la re-
présentation nationale se trouvait-elle frap-
Maintenant, dit-elle, il ne reste plus
rien, rien du tout du secret de votre famille.
J'aime mieux cela. J'avais gardé le brouillon
de la lettre, je ne sais pas pourquoi; quand
j'étais trop tracassée, je le relisais, pour me
dire que j'avais bien fait. C'est mon image
que vous avez là dans votre livre? Vous l'aviez
gardée? Vous ne m'aviez donc pas oubliée? 2
Dites-moi, qui est ce monsieur qui est avec
vous?
-J'étais l'ami de Raymond, dit Benoist d'une
voix grave. Je suis le fiancé d'Estelle.
Les yeux de Rosalie allèrent de l'un à l'autre
des jeunes gens.
Alors, il ne faut pas de secrets entre vous.
C'est bien, soupira t-elle avec un peu d'allége-
ment.
Rosalie, dit la jeune femme, pourquoi
avez-vous écrit si tard? Un jour plus tôt seule-
ment, tant de malheurs pouvaient être empê-
chés 1
Ce n'est pas ma faute, s'écria vivement
la malheureuse, recommençant avec des êtres
réels le combat que depuis treize mois elle se
livrait journellement à elle-même-. Ce n'est pas i
ma faute! J'étais à Vitré chez ma tante, lors-
que j'ai trouvé un numéro du Petit Tournai qui
annonçait votre mariage. Je n'ai pas seulement
regardé la date. et puis, j'aurais écrit quand
même Ce mariage-là ne pouvait pas se faire,
c'était un péché abominable. J'ai écrit sur-le-
châmp, et comme mon cousin allait à Laval, j
je lui ai donné la lettre pour la mettre à la
poste. Je ne voulais pas que M. de Beaurand
vînt m'ennuyer avec des questions, je voulais
faire mon devoir et être tranquille. Ah Sei-
gneur Dieu! tranquille! Je ne l'ai plus été un
seul jour, plus une seule minute. Je ne savais
pas, moi, qu'il recevrait la lettre étant marié!
Je voulais empêcher le mariage! Est-ce que je
pouvais supposer que le malheureux s'en pren-
drait à lui-même
Comment avez-vous eu son adresse? de-
manda Benoist.
Rosalie" le regarda d'un air de reproche.
J'en avais assez mis h la boîte, de ces let-
tres pour son père, pour le général de Beau- j
rand- Ah monsieur, j'avais eu ma part de pé-
ché, autrefois; mais j'étais jeune, je ne savais
pas et c'était pour l'amour de ma pauvre mal-
tresse Et je croyais bien l'avoir expié Et puis
quand j'ai lu le journal deux jours après.
Vous comDrenez bien, je l'achetais^ous les ma- j
pée d'une impopularité qui menaçait de tour- 1
ner contre le régime parlementaire lui-
même? Ce qu'on lui reprochait par dessus
tout, c'était, sans contredit, ses fluctuations
perpétuelles et l'équivoque où elle paraissait
se complaire. Les hostilités de groupes
avaient réduit la majorité à l'impuissance, et
l'on oscillait constamment d'une politique à
une autre, suivant les hasards des interpel-
lations et les caprices ou les calculs de la
droite, devenue l'arbitre de nos querelles
intestines. Par exemple, on renversait un
ministère parce qu'il s'était opposé à la revi-
sion et. pour avoir demandé cette même re-
vision, le cabinet suivant succombait à son
tour. Ajoutons que le pouvoir exécutif offrait
trop souvent l'image de l'incohérence légis-
lative. Il fallait, afin de durer quelques mois
ou seulement quelques semaines, faire une
part aux diverses fractions de l'opinion répu-
blicaine on s'évertuait donc à juxtaposer,
dans les combinaisons ministérielles, les
personnalités les plus disparates, incapables
d'élaborer et de soutenir avec persévérance
un programme commun de sorte qu'en un
pays si fortement épris de fermeté gouverne-
mentale, le gouvernement temporisait et
transigeait sans cesse, mais ne gouvernait
presque jamais. Aussi le nombre des mé-
contents allait-il grandissant et cette forme
du pessimisme qu'on a nommée l' « autrecho-
sisme » se répandait-elle de plus en plus.
C'est ce mécontentement général que des
ambitieux sans scrupules essayèrent d'ex-
ploiter au profit d'une nouvelle dictature mi-
litaire. Ah la nation réclamait une main
ferme Eh bien, on lui donnerait une « poi-
gne » de soldat qui s'entendrait à conduire
le peuple « comme un enfant ». Grâce à des
prodiges de réclame, une ridicule légende
prit corps, et, sous prétexte de régénérer la
République, il se produisit une formidable
levée de boucliers contre nos libres institu-
tions. Par bonheur, le bon sens public ne
tarda pas à s'apercevoir que le remède serait
infiniment pire que le mal. L'équivoque avait
ruiné le crédit de la Chambre, et voilà que la
faction plébiscitaire apportait une autre équi-
voque, combien plus illogique et plus redou-
table Que voyait-on, en effet, dans le soi-
disant parti national ? A côté d'anciens dé-
mocrates, de revenants de l'empire et de
fidèles de la monarchie, des communistes ré-
volutionnaires y fraternisaient avec de pré-
tendus conservateurs; sous la même ban-
nière s'enrôlaient descléricaux, desathéesma-
térialistes, des apôtres du divorce. On criait
« Vive la République » avec le dessein d'é-
trangler « la gueuse » au plus vite; on pro-
testait de son- dévouement au suffrage uni-
versel et l'on se préparait à confisquer la
souveraineté nationale. Ces contradictions
monstrueuses, tous les libéraux sincères se
mirent à les dénoncer sans trêve, en dépit
des outrages, des calomnies et des menaces;
ils ont réussi à arracher les masques, et le
boulangisme est apparu enfin au corps élec-
toral désabusé ce qu'il avait toujours été en
réalité, c'est-à-dire une manœuvre désespé-
rée de la réaction aux abois aussi le verdict
populaire vient-il d'en faire bonne et com-
plète justice.
Mais, si le pays s'est débarrassé de l'équi-
voque revisionniste, ce n'est pas, apparem-
ment, pour que nos législateurs retombent
dans la confusion et l'impuissance d'antan.
Que réclame-t-il donc impérieusement? Avant
tout, de la netteté et de la logique. « Nous
voulons, ont déclaré les électeurs, une politi-
que loyalement républicaine, et républicaine
sans autre épithète. Plus de coteries ni de
dogmes étroits! Plus de définitions subtiles
ni e discussions byzantines! Arrière les rhé-
teurs et les sophistes Il nous faut des hom-
mes d'affaires, des esprits lucides etpratiques,
désireux de contribuer efficacement au pro-
grès de la démocratie et à l'épanouissement
des richesses nationales. Au gouvernement,
par conséquent, de proposer une série de lois
bien claires répondant incontestablement
aux besoins des populations laborieuses
aux députés de les étudier consciencieuse-
ment et de les faire aboutir. De l'initiative et
de l'énergie dans le ministère, à la Chambre
une majorité compacte, disciplinée, prête à
se laisser guider par le cabinet qu'elle juge
digne de sa confiance, et nous goûterons en-
fin les bienfaits du régime parlementaire pra-
tiqué avec sincérité, de ce régime de raison
et de liberté dont on ne nous a guère pré-
senté, il faut bien le dire, depuis trop long-
temps, qu'une lamentable et décevante con-
trefaçon.
Nous avons sous les yeux la statistique des
grèves qui ont éclaté aux Etats-Unis, de 1881 à
1886, et, en France, de 1874 à 1885. La pre-
mière est due à M. Carroll Wright, chef du Bu-
reau or labor de Washington; la seconde émane
de notre ministère du commerce. Les consta-
tins, après ma lettre, pour savoir ce qui serait
arrivé! Et quand j'ai vu que le pauvre
homme s'était tué. j'ai cru que je deviendrais
folle!
Elle fit de ses bras maigres un geste déses-
péré, puis les laissa retomber, et sa mante
abattit sur elle ses plis noirs, pareils à des ai-
les de chauve-souris.
-Je n'ai plus jamais dormi une seule nuit
depuis ce moment-là Ça commençait sitôt le
soleil couché. Je me disais C'est ta faute Et
puis je me répondais Il fallait pourtant bien
lui dire Je ne pouvais pas laisser faire un sa-
crilège pareil Et à me parler et à me répondre,
je finissais par me sentir le feu dans la tête
et je pensais que, si je mourais subitement,
pendant que j'étais comme ça, je serais bien
sûr en état de péché mortel, et alors.
Son visage se contracta sous l'horrible peur
de l'enfer, qui avait été la torture de sa vie.
Je n'étais bien que dans les églises là, je
sentais que j'étais en sûreté. J'ai fait des vœux,
j'ai fait des pèlerinages. mais on ferme les
églises la nuit, et c'est la nuit que ça recom-
mençait à me tourmenter! Et puis, un soir, à j'
Coutances, j'ai vu Estelle en noir. ça m'a en-
foncé un poignard dans le cœur Ça me pa-
raissait si impossible qu'elle eût épousé son
frère, je ne m'en représentais pas l'idée. Quand
je l'ai vue en deuil, j'ai compris que, pourtant,
elle était veuve, puisqu'elle ne savait pas. ça
m'a fait un mal que je ne puis pas dire. Vous
avez eu du chagrin, dites? fit-elle sévèrement
en regardant la jeune femme.
J'aimais Raymond comme un frère, ré-
pondit Estelle; je l'ai beaucoup pleuré.
-Comme un frère? fit Rosalie en penchant
vers elle son visage transfiguré. Comme un
frère seulement? Et il s'est tué tout de suite en
revenant de l'église? Le bon Dieu a eu pour-
tant pitié de moi un peu
Elle ferma les yeux pour savourer une sorte
de rayonnement intérieur qui transparaissait
sur sa figure décharnée. Estelle et Benoist ¡
échangèrent un regard. Evidemment, Rosalie
n'était pas responsable l'excitation particulière
de son esprit la rendait insensible aux re-
proches comme aux raisonnements.
Rosalie, dit avec douceur la jeune femme
tentant une dernière épreuve, on m'a accusée
d'un crime. C'est pourtant votre imprudence
qui en est la cause. J
La cause ? La cause est dans la faute du J
tations qu'elles permettent sont infiniment cu-
rieuses.
On remarque tout d'abord que le recours à
la grève est beaucoup plus fréquent aux Etats-
Unis qu'en France, tout compte fait, bien en-
tendu, de la différence qui existe entre les
deux populations. Aux Etats-Unis, le nombre
moyen des grèves a été, pendant la période de
1881 à 1886, de 650 par an. Il a été, chez nous,
de 74 seulement. Le nombre total des grévistes
a atteint 1,323,203 pour les dix années étudiées
par M. Carroll Wright, tandis que, pendant les
onze années qu'embrasse la statistique fran-
çaise, il n'a pas dépassé 216,602. Mentionnons
tout de suite que ce dernier nombre ne s'appli-
que qu'à 673 grèves sur 804 qui ont eu lieu en
France de 1874 à 1885; les renseignements
recueillis par le ministère du commerce ont
donc été incomplets sur ce point. Mais quel
qu'ait été le nombre des grévistes pour les 131
grèves restantes, un écart considérable subsis
tera, en tout état de cause, entre les deux pays.
On voit par là que la condition de l'ouvrier
aux Etats-Unis semble autrement défectueuse
que celle de l'ouvrier en France, en dépit des
hauts salaires que font tant valoir, dans leurs
discours, les protectionnistes américains. Il est
certain que les salaires sont incomparablement
plus élevés aux Etats-Unis que dans notre pays;
mais, d'une part, la vie est hors de prix de
l'autre côté de l'Atlantique en raison même de
l'exagération des droits protecteurs, et, d'autre
part, la hausse artificielle produite par les vi-
ces du système monétaire en vigueur aux Etats-
Unis, y place l'ouvrier dans une situation in-
stable que ne connaissent pas nos populations
ouvrières. Les partisans de la frappe illimitée
de l'argent perdent trop souvent de vue cette
considération. Toute hausse des prix qui est
dueà une altérationdel'étalon monétaire écrase
le salarié, car les salaires ont peine à suivre
cette hausse, et ils ne la suivent, trop fréquem-
ment, qu'à force de revendications, de luttes et
de grèves.
Le plus clair résultat de celles-ci, c'est d'em-
pirer le sort des grévistes. Nous voudrions que
tous les ouvriers pussent méditer les chiffres
que nous allons reproduire. Aux Etats-Unis,
sur les 1,323,203 travailleurs qui sc sont mis en
grève, de 1881 à 1886, il y en a eu 660,396 qui
ont complètement échoué; 518,583 ont réussi à
faire prévaloir leurs réclamations 144,224 n'ont
eu qu'un succès partiel. En France, sur 753
grèves examinées à ce point de vue, 427, soit
57 0/0, ont totalement échoué 206, ou 27 0/0,
ont abouti à l'adoption des vœux des grévistes;
120, soit 160/0, se sont terminées par une trans-
action. La proportion des échecs absolus est
considérable, on le voit; dans l'ordre normal
des choses, une arme qui donnerait de pareils
mécomptes serait immédiatement jetée au re-
but. Or, voici des chiffres qui complètent tris-
tement ceux-là
La statistique américaine établit que les per-
tes subies par les grévistes, privés de salaire,
se sont élevées à 260 millions de francs; en
outre, un capital de plus de 16 millions a été
employé à soutenir. les grèves, et, finalement,
détruit. Pour toutes les grèves où les ouvriers
ont dû reprendre le travail aux anciennes con-
ditions, les sacrifices faits l'ont été sans com-
pensation. Dans les cas où les ouvriers ont eu
complètement gain de cause, il leur a fallu,
d'abord, d'après les calculs de M. Wright, 76
journées de travail au tarif nouveau pour com-
bler seulement les pertes subies pendant la
grève. Enfin, dans les cas où il y a eu transac-
tion, le nombre des journées de travail néces-
saires pour combler le déficit éprouvé par les
grévistes n'est pas moindre de 361.
En France, les constatations sont les mêmes.
On calcule que, dans les grèves qui se termi-
nent par un succès des grévistes, et dans le cas
où ceux-ci parviennent à faire augmenter de
10 0/0 leurs salaires, il leur faut travailler 160'
jours pour regagner simplement ce que l'in-
terruption du travail leur a enlevé. Quant à
ceux qui échouent, et c'est le plus grand
nombre,- ils voient leur situation cruellement
aggravée; leur épargne, s'ils en possédaient, a
sombré dans l'aventure.
On peut se rendre compte de la lumière que
peut jeter, sur les questions sociales les plus
ardues, la statistique ainsi comprise. Elle est
appelée, selon nous, à rendre d'inappréciables
services au monde du travail. Mais elle devra
doursuivre et hâter, dans ce but, sa transfor-
mation, devenir de plus en plus complète, de
plus en plus précise. Ainsi, on a dû remarquer
des variations fâcheuses entre les chiffres de
notre statistique française, qui cite tantôt 804
grèves, tantôt 673, tantôt 753 eile donne mê-
me un autre chiffre encore, celui de 700, quand
elle s'occupe de la durée des grèves. Ces diver-
gences prouvent que les informations sont
prises sans une méthode suffisante, ou don-
nées avec négligence. Trop longtemps on a
souri et médit de la statistique trop de gens
considèrent comme superflu de répondre aux
demandes de l'administration c'est à celle-ci
à tenir la main à ce qu'on la prenne au sé-
rieux.
Puis, les renseignements communiqués au
public sont trop vieux. En 1889, nous devrions
avoir, pour la France, les résultats de 1888.
C'est une habitude à prendre. Souvent les sta-
tistiques existent, mais elles dorment dans un
carton. Il faut les en faire sortir, fût-ce au prix
de quelques sacrifices pécuniaires. Enfin, la
statistique intéresse, aujourd'hui, tout le mon-
de. Qu'est-elle, sinon la démocratie prise sur le
vif? La statistique, ce n'est autre chose qu'une
père et de la mère. Vous avez expié pour eux
vous devez être contente.
Pourtant, insista Estelle, on m'a accusée
d'avoir tué Raymond. C'est bien cruel, Ro-
salie 1
Tué fit la malheureuse en frissonnant.
Tué votre frère. Oh c'est horrible, cela I
Qu'avez-vous dit?
-Je n'ai rien dit; j'ai tout supporté en si-
lence, espérant qu'un jour la vérité serait con-
nue, et maintenant. je ne dirai rien non plus.
Je continuerai de supporter.
Rosalie laissa retomber sa tête sur sa poi-
trine et parut méditer profondément. Tout à
coup, elle se laissa glisser de sa chaise et tom-
ba à genoux devant Estelle.
Pardonnez-moi, dit-elle d'une voix brisée;
pardonnez-moi, pour que je puisse dormir,
pour que je me repose 1 Personne, excepté
vous, ne peut plus me pardonner, et il faut
qu'on me pardonne, sans quoi je perdrai l'es-
prit Il l'a deviné, votre fiancé, j'ai voulu
tromper le bon Dieu, moi qui n'avais jamais
menti Je n'ai pas dit à confesse que M. de
Beaurand s'était tué. Je pensais que ça n'avait
rien à voir avec l'affaire. J'avais voulu empê-
cher un crime, j'avais bien fait! Mon confes-
seur me l'a dit, quand il m'a demandé si le ma-
riage avait eu lieu, je lui ai dit que je ne savais
pas. C'était un mensonge horrible mais je ne
voulais pas que quelqu'un me dît que j'étais
cause de la mort de M. de Beaurand. Non, je
ne pouvais pas supporter ça, et je n'ai jamais
dit son nom. Et maintenant, je vois bien que
c'est ça qui m'étouffe. Le mort ne peut plus
parler, il n'y a plus que vous de la famille di-
tes-moi que vous me pardonnez la mort de vo-
tre frère, et je vous croirai
Elle se prosterna sur le carreau, ensevelie
dans sa mante à mille plis.
Estelle sentit jaillir de ses yeux des larmes
de miséricorde. Pourquoi tenir rigueur « ce
pauvre être affaissé? La fatalité qui s'était ap-
pesantie sur les victimes de ce drame de fa-
mille ne serait-elle pas apaisée par une parole
de clémence?
Rosalie, dit-elle en se penchant pour la
toucher de la main, au nom des morts, je vous
pardonne.
La malheureuse voulut se redresser, mais les
forces lui manquèrent; Estelle et Benoist la
prirent sous les bras et la mirent sur sa chaise;
elle pouvait à peine respirer.
projection des faits sociaux. Il faut que les
masses en soient saisies en temps utile, pour
qu'elles en puissent faire leur profit.
AFFAIRES COLONIALES
̃V\ Tunisie 7 '• .;̃ V,- ̃ y
La deuxième division de l'escadre de la Méditer-
ranée et du Levant, composée des cuirassés Cour-
bet, Amiral- Baudin, Dévastation, du croiseur-torpil-
leur Condor, auquel s'était joint le D'Estrécs, croiseur-
stationnaire de Tunisie, est arrivée avant-hier à
Sfax. Une grande foule couvrait les quais.
A sept heures, l'amiral et ses officiers descen-
daient à terre pour assister à un banquet de cent
cinquante couverts, auquel ont pris part les offi-
ciers de la division navale et de l'armée de terre,
les autorités françaises et indigènes, le ministre de
la Plume, les consuls étrangers et quelques notabi-
lités civiles.
Le vice-président de la municipalité a remercié,
ua nom de la ville de Sfax, l'amiral et les officiers de
l'honneur qu'ils lui ont fait en acceptant cette invita-
tion, et a rappelé combien était grande la sympathie
de la population de Sfax pour la marine française.
Faisant allusion à la part qu'elle a prise dans les opé-
rations qui ont suivi l'établissement du protectorat,
il a dit que les Européens gardent le souvenir du se-
cours qu'ils ont reçu en un jour de danger, et que la
population indigène, dont la marine a éprouvé la
bravoure, a bientôt reconnu dans la France, qu'elle
combattait, une amie loyale et généreuse, grâce au
mérite et à la sagesse de nos gouvernants.
Le vice-président a terminé son discours en in-
vitant les principaux représentants étrangers qui
sont venus se joindre à la municipalité. pour fêter
les marins francais, à lever leurs verres en l'hon-
neur du gouvernement de la République et de la
marine française.
Nouvelles coloniales et maritimes »'
LANCEMENT DE L' « AVANT-GARDE »
On a lancé hier, au Havre, l'éclaireur-torpilleur
l'Avant-Garde, construit s«r les chantiers Normand
.pour la marine française.
En acier, à deux hélices, ce petit bâtiment a les
dimensions suivantes longueur, 42 mètres; lar-
geur, 4 m. 50; tirant d'eau arrière sous les hélices,
m. 30; déplacement, 11!) tonneaux. Il doit filer
20 nœuds 1/2 avec 1,350 chevaux.
Armement une torpille sur hampe à l'avant;
deux tubes lance-torpil;es sur affût à pivot placés
sur le pont, l'un à l'arrière des cheminées, l'autre
tout à fait à l'arrière du navire; enfin, quatre ca-
nons à tir rapide de 47 millimètres.
On attend à Toulon le transport l'Orne, signalé
le 2 octobre à Port-Saïd, et parti de Toulon dans
les premiers jours de juin pour transporter des
passagers civils et militaires et du matériel dans
nos établissements de Madagascar et dans notre
colonie de la Réunion, et ramener de ces colonies
des convalescents et du matériel hors d'usage.
A,
LA STATUE DE LEBLANC
La ville de Saint-Denis s'apprête à fêter l'inau-
guration de la statue d'un chimiste, Nicolas Le-
blanc, l'inventeur de la soude artificielle.
C'est une physionomie bien à part que celle de
cette ancienne sous-préfecture, qui a conservé le
dessin général d'une petite ville de province. Quand
on est au centre, du moins aux heures où la popu-
lation ouvrière est retenue dans les ateliers, on
pourrait se croire à cinquante lieues de Paris. On
serait même tenté de croire à une sorte de déca-
dence quand on s'arrête devant de vieilles auber-
ges qui étaient visiblement aménagées pour un va-
et-vient actif de courriers, de rouliers, de campa-
gnards des alentours, et dont les cours ont dû être
égayées par le tintement ininterrompu des grelots.
Mais on ne peut prolonger longtemps sa rêverie
sans être ramené à des impressions plus contempo-
raines par le glapissement discordant du tramway.
En effet, cette ville distincte, qui n'était pour ainsi
dire pas de la banlieue, car elle n'était pas du
côté propice aux parties de campagne et aux dé-
lassements du dimanche, s'est trouvée peu à peu at-
teinte et absorbée par le faubourg. Depuis la Cha-
pelle, par la route bordée de pauvres maisons
meublées, d'entrepôts et de cabarets, à travers
une plaine remplie d'usines pour la plupart mal
odorantes, sinon insalubres, Saint-Denis s'est vu
saisir et happer. La ville a perdu son autonomie
morale de provinciaux, ses habitants sont deve-
nus faubouriens. Le boulangisme y sévit; nulle
part, au scrutin du 22 septembre, il n'a trouvé plus
complètement sa terre d'élection. Les tombes roya-
les ne sont plus guère dans la solitude et ne sont
point entourées du recueillement qu'on avait voulu
leur assurer par cette demi-retraite.
On était bien loin de là, sous le premier empire,
quand Leblanc créa son industrie. Un sous-préfet de
Saint-Denis était alors un personnage; on s'attardait
volontiers sur les portes à regarder passer les voitu-
res. L'inventeur, natif d'Issoudun, mais qui avait
naturellement recherché les avantages de la proxi-
mité de Paris, s'était acquis dans la ville de Saint-
Denis la reconnaissance qui s'attache aux hommes
d'initiative quand ils ont créé dans un milieu fort
calme une industrie nouvelle, amené un peu d'ani-
mation et des sources nouvelles de revenu, et pro-
curé un travail relativement facile aux inoccupés
do la localité. Nicolas Leblanc a toutes sortes de
droits à l'estime et au souvenir de la postérité Sil
a rendu un service universel aux consommateurs
en augmentant la production et en diminuant le
prix de revient d'un produit qui jusqu'alors n'était
tiré qu'à grands frais de la combustion de végé-
taux auxquels il fallait sacrifier de vastes espaces
il a procuré du travail à nombre d'ouvriers, et le
service qu'il a rendu est de ceux dont l'effet se per-
pétue à travers les générations et s'étend à tous les
pays. Il a fait preuve en même temps d'une bien-
Merci, fit-elle à voix basse, merci. je
dormirai.
Elle ferma les yeux et se recueillit. Au bout
d'un instant, elle parut se remettre
Maintenant, dit-elle, j'avouerai tout. Je
pourrai dire aussi que vous m'avez pardonné.
Ça m'aidera dans ma confession. Je vous re-
mercie bien.
Elle parlait simplement, humblement, com-
me elle l'eût fait pour une action de la vie cou-
rante.
Avez-vous besoin de quelque chose? de-
manda Estelle, toute surprise de cette incon-
science. Avez-vous de quoi vivre?
Ma pauvre maîtresse m'a laissé une rente,
répondit Rosalie. Je n'ai besoin de rien, que
de dormir en paix les nuits. Je suis con-
tente de vous avoir vue. C'est ce monsieur
que vous épouserez? Il n'a pas l'air méchant.
Il m'a pourtant fait bien peur tantôt. oh! une
peur!
Elle frissonna et détourna les yeux.
-C'est par frayeur que je lui ai donné ce pa-
pier. Voyez-vous, Estelle, pour le reste, je suis
bien tranquille, je n'ai point de péchés mortels
sur la conscience. Je n'ai été ni voleuse, ni or-
gueilleuse, ni colère, ni rien, enfin. Mais on
m'a fait mentir. De moi-même, je n'aurais ja-
mais dit un mensonge, et du temps de ma
pauvre maîtresse, pour la servir. Aussi je
n'avais qu'une peur, c'était de mentir. et j'ai
menti au bon Dieu. Quand ce monsieur m'a
dit que j'étais une menteuse, j'ai perdu la tête.
Ça me-mettait en rage. Enfin, c'est fini; le
bon Dieu me pardonnera, n'est-ce pas?
Cui! dit Estelle, profondément émue de
la droiture native et de la foi confiante de la
pauvre créature. Il vous pardonnera, parce que
vous avez cru bien faire, toujours, même quand
j'étais petite. Adieu, Rosalie, soyez en paix.
Ils sortirent de la maisonnette l'air pur, en
les frappant au visage, leur fit une impression
singulière, comme s'ils avaient été longtemps
enfermés dans une cave humide et sombre;
instinctivement Benoist conduisit sa compagne
vers les remparts déserts, et ils s'assirent en-
semble sur le banc de pierre où il avait lu la
lettre.
Que voulez-vous faire à présent? deman-
da-t-il.
Estelle regarda au loin dans la direction de
l'orient.
veillance et d'une dignité de caractère qui facilitent
tous les hommages. Il fut un ami sincère des tra-
vailleurs et sut sauvegarder son indépendance, sa
fidélité même aux souvenirs de la Révolution en
face d'un despote victorieux qui ne prisait, même
dans la vie civile, que l'obéissance passive.
Il y a six ou sept ans que la souscription pour la
statue de Nicolas Leblanc fut lancée, avec l'appui
de l'Académie des sciences, par un groupe de chi-
mistes industriels les plus en mesure d'apprécier
les services rendus par ce novateur, de mesurer
l'étape franche c'est au couronnement de leur en-
treprise que nous allons assister.
Il y manquera un assistant qui avait été bien sen-
sible à cette œuvre de réparation c'était le peintre
Auguste Anastasi, le gendre de Leblanc. Il est
mort il y a peu de mois on a rappelé ses succès
personnels d'artiste, mais on a généralement omis
de rappeler une alliance dont il était fier. On s'ex-
poserait à une chicane de mots pénible en disant
qu'il n'a pas assez vécu pour voir luire le jour si
longtemps attendu. Il ne l'aurait pas vu, car, de-
puis un certain nombre d'années, le malheureux
Anastasi était aveug'.e. Il avait été, par préférence,
le peintre des midis torrides et des paysages inon-
dés de lumière solaire, si bien qu'on se demandait
parfois s'il n'avait pas été aveuglé par sa peinture;
il pouvait bien l'avoir été tout au moins par ses
études de prédilection. Privé de la vue, obligé de
renoncer à son art, Anastasi avait réussi à conso-
ler le déclin de sa vie en célébrant le souvenir de
son beau-père, en se faisant son biographe. Il avait
dicté une notice très complète, appuyée sur de nom-
breux documents de famille et d'où les orateurs de
l'inauguration tireront assurément le plus clair de
leurs informations. La justice veut qu'en parlant du
savant et du bienfaisant industriel ils donnent un
souvenir à l'artiste qui s'est fait pieusement son
historien et qui mériterait un rappel, ne fût-ce que
sur le piédestal. r
̃– ♦ :;̃•
LE TSAR A BERLIN f
(Dépêches de notre correspondant particuliery
Berlin, 12 octobre, 8 h. 10
Jusqu'au dernier moment on ne savait pas si le 6
tsar descendrait à l'ambassade russe ou au .palais
impérial. C'est la veille de l'arrivée que le minis-
tère de la maison impériale russe a annoncé aux
fonctionnaires do la cour que le tsar descendrait à
l'ambassade. Le roi Humbert et l'empereur d'Au-
triche sont descendus au palais.
On raconte que, hier matin, de fort bonne heure,
M. de Bismarck s'est présenté chez l'empereur pour
lui demander s'il ne vaudrait pas mieux qu'il s'abs-
tint de paraître pendant le séjour du tsar et qu'il
retournât à Friedrichsruhe. L'empereur Guillaume
a très fortement insisté pour qu'il restât et a sur-
tout demandé au chancelier de se trouver à la gare
au moment de l'arrivée du tsar. La discussion en-
tre l'empereur et le chancelier a duré si longtemps
que M. de Bismark n'a pas eu le temps de rentrer
pour revêtir son uniforme de gala; c'est pour
cela qu'il était à la gare en petite tenue. Il s'était
fait apporter en toute hâte le grand-cordon de Saint-
André.
Berlin, 12 octobre, 8 h. 20.
Si pendant le trajet de la gare à l'ambassade
russe la foule avait une attitude très réservée, quoi-
que respectueuse, il y a eu, lorsque le tsar est sorti
en voiture pour faire quelques visites, plus d'en-
thousiasme.
Pendant le défilé des troupes, qui a duré trois
quarts d'heure, M. de Bismarck s'est trouvé indis-
posé et a dû rentrer chez lui. Il n'a pu, paraît-il, en
raison de son état phlébitique, rester debout commo
le tsar, l'empereur et les princes, pendant le dé-
filé.
L'ambassadeur de Russie, le comte Schouvalof, a
offert un déjeuner au tsar. L'empereur Guillaume y
a assisté, ainsi que les princes. Au dessert, le
comte Schouvalof a souhaité, en levant son verre,
la bienvenue à l'empereur Alexandre.
La musique du régiment de l'empereur Alexandre
a joué l'hymne national russe.
Aussitôt après, l'empereur de Russie a bu à la
santé de l'empereur Guillaume, auquel il a adressé
quelques paroles en français.
Après le déjeuner, qui s'est terminé à midi trois
quarts, l'empereur Alexandre et le grand-duc Geor-
ges sont montés dans une voiture attelée de deux
chevaux et se sont rendus, suivis des personnes
faisant le service d'honneur, au château royal, où
ils ont fait une visite à l'impératrice Augusta-Vic-
toria. Ils se sont ensuite fait conduire au palais im-
périal pour rendre visite à l'impératrice Frédéric.
Berlin, 12 octobre, 8 h. 30.
Dans l'après-midi le tsar s'est rendu à Charlot-
tenbourg, pour visiter le tombeau de l'empereur
Guillaume I".
A quatre heures et demie le prince de Bismarck,
remis de son indisposition, s'est présenté à l'ambas-
sade. Il portait l'uniforme de la landwehr de la garde
et le grand- cordon de Saint-André. L'audience a
duré une heure vingt minutes. Le chancelier a été
reconduit jusqu'à sa voiture par l'ambassadeur de
Russie. On dit que le tsar a écouté en silence les
considérations que le chancelier lui a présentées.
On a du reste remarqué que toute la journée le
tsar est resté impassible, ne répondant à aucune
avance et restant sur une réserve certainement très
courtoise, mais excluant toute cordialité.
Berlin, 12 octobre, 8 h. 50.
A six heures du soir, dans la salle Blanche du
château, a eu lieu un dîner de gala de 140 couverts.
Le tsar était assis entre l'empereur Guillaume et
l'impératrice Victoria-Augusta. Vis-à-vis d'eux se
trouvait M. de Bismarck.
Au dessert, l'empereur Guillaume a porté le toasi
Retourner à Paris, dit-elle, et aller à la
tombe de Raymond. Voyez-vous, mon ami, il
me semble que je n'aurai jamais assez de lar-
mes pour l'infortuné Mon cœur se brise quand
je pense à ses derniers instants 1
Il a vécu heureux, répondit mélancolique-
ment Benoist.
Elle ne disait rien; il vit qu'elle pleurait
sous sa voilette.
Pleurez, chère, dit-il affectueusement ces
larmes sont d'honnêtes et pures larmes fra-
ternelles, qui vous honorent.
Elle comprit qu'il avait cessé d'être jaloux.
Alors, reprit-elle en maîtrisant son cha-
grin, qu'allez-vous faire?
Vous accompagner jusqu'à Paris; ensuite
j'irai voir ma mère.
Elle l'interrogea du regard et se contente
d'une muette réponse.
Et vous ? demanda-t-il.
-Moi? je ne sais pas. Saumeray m'effraye'
J'y trouverais trop de souvenirs de mon en^
fance, et c'est cela surtout que je veux oublier!
L'hôtel de Beaurand me fait horreur Je n'ai
plus d'asile. Pourtant il me faudra quelques
jours pour m'organiser une existence. Je vous
demanderai encore une chose, mon ami je
veux créer une fondation utile, un hospice ou
un asile. un asile plutôt, pour ceux qui n'ont
ni parents ni amis. avec toute la fortune des
Beaurand. Ce sera pour la mémoire de Ray-
mond. et de son père. Il y a longtemps que
j'y pensais, à présent j'y suis résolue. Il me
restera la fortune de ma mère, la seule à la-
quelle j'aie droit.
Ce sera fait, répondit Benoist. Je vous de-
mande seulement d'attendre un peu de temps
pour que je voie ma mère, que je cause avec
elle.
Estelle baissa la tête.
C'est juste, fit-elle. Votre mère ne voudra
pas de moi pour fille, si elle sait la vérité, et
pourtant..
Ma mère est droite et bonne, répliqua Be-
noist. j'-ai grand espoir dans sa justice. Mais
qu'elle y consente ou non. Estelle, je vous l'ai
dit, vous êtes nù* femme- t, « « t ̃•
Une heure aprèW,. ils quittèrent le Mont-SalaV
Michel. HENRY GRÉVILLE.
-•• -•̃̃̃. HENRY GREVILL.E.
(La fin au prochain feuilleton-)
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