Titre : Le Temps
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1889-06-11
Contributeur : Nefftzer, Auguste (1820-1876). Fondateur de la publication. Directeur de publication
Contributeur : Hébrard, Adrien (1833-1914). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 11 juin 1889 11 juin 1889
Description : 1889/06/11 (Numéro 10263). 1889/06/11 (Numéro 10263).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
un s-anonne aux Bureaux du Journal, 5, BOULEVARD DES ITALIENS, A PARIS, et dans tous les Bureaux de Posté
VINGT-NEUVIEME ANNEE. TU' 10263.
MARDI li JUIN 1889.
̃̃̃̃̃ PRIX DE L'ABONNEMENT
PARIS..Tn"T. Trois mois, 1 4 fr. Six mois, 28 fr. Un m, 56 fr,'
BÉP" « AESACE-L0RRAIK1 1 *7 fr. 34 fr. 68 fr.
;DHION POSTALE. 18fr: 36 fr.; 72|.
LES ABONNEMENTS DATENT DES 1" ET i6 DE CHAQUE MOIS Wî'r
̃JÇJn numéro (à Paris) ISS cen.tixn.eiSt
Directeur politique Adrien Hébrard
La rédaction ne répond pas des articles communiqués
BUREAUX 5, boulevard des Italiens, PARIS
'v Adreste télégraphique TEMPS PARIS ri i
x PRIX DE L'ABONNEMENT
PARIS Trois mois, 1 4 fr. Six mois, 28 fr. Un an, 56 fr.1
C DËP»8* ALSACE-LORRAINS ̃ lTTfr.; 34 fr.; 68 fr.
DKIOH POSTALE. lSfr.; 36 fr.; 72fr,
LES ABONNEMENTS DATENT DES ter ET 16 DE CHAQUE MOIS
tjn numéro (départements) 3O centimes^
;:• ANNONCES MM. Lagrange, CERF ET G», 8, place de la Bo
(Droit d'tnserhon at réservé ré s a la rédaction.) réd a ction. ) 'f*
BUREAUX 5, boulevard des Italiens, PARIS
i. ·s:_ <
Adresse télégraphique TEMPS PARIS
PARIS, 10 JUIN :?
BULLETIN DU JOUR
La presse allemande, particulièrement la
Gazette de la Croix, ne cesse de publier des
articles remplis de lamentations sur le sort
qui serait fait dans les provinces de la mer
Baltique, la Livonie, rEsthonie et la Cour-
lande à la population germanique.
Sous Nicolas et sous Alexandre II, ces
provinces jouissaient d'une autonomie à peu
près complète. Les gouverneurs, les Schou-
valof et les Souvarof, se contentaient d'être
les exécuteurs des volontés des Etats où la
noblesse, allemande d'origine, possédait la
prépondérance. L'aristocratie de cette région
jouissait à un degré éminent de la faveur des
tsars et fournissait, eu égard à la faiblesse
de son nombre, un chiffre disproportionné
des titulaires des grands emplois de la cour,
de l'armée, du gouvernement et de l'admi-
nistration.
Depuis l'avènement d'Alexandre III, qui
se fait honneur d'être Russe dans l'âme, les
choses ont changé. Non seulement les gen-
tilshommes des trois provinces n'ont plus un
quasi monopole des grâces impériales, mais
encore trois gouverneurs, MM. Sipiaguine,
Chakhovskoï et Zinovief, ont reçu le mandat
d'assimiler le plus possible les institutions à
celles de l'empire.
Il se peut que certains de ces fonctionnai-
res ou de leurs sous-ordres aient la main
lourde. On prétend fort invraisembla-
blement, il faut le dire que M. Zinovief
aurait proposé au tsar d'anéantir la noblesse
allemande en consommant sa ruine écono-
mique. Alexandre III aurait répondu « Je
ne ferai jamais cela; c'est indigne d'un em-
pereur. »
Quoi qu'il en soit de cette anecdote sus-
pecte, qui prouverait tout au moins que les
sujets d'origine germanique du tsar seraient
sûrs de trouver auprès de lui justice et pro-
tection, il n'est pas impossible que des me-
sures de détail aient été prises qui violent les
droits ou lèsent les intérêts de cette noblesse.
Toutefois, il ne faut pas oublier que ces
plaintes nous sont transmises par la presse
allemande,, qui a l'habitude, comme le prou-
vent ses polémiques actuelles contre l'inof-
fensive Suisse, de grossir démesurément les
griefs de ses compatriotes à l'étranger.
De plus, il faut tenir compte d'un double
fait. D'abord, dans ces duchés, dont l'an-
nexion à la Russie date pour les deux pre-
miers de 1721 et pour la Courlande de 1795,
la constitution sociale et politique était encore
-toute féodale et assurait une domination
presque absolue aux nobles. En outre, la
noblesse d'origine germanique n'est qu'une
infinitésimale parcelle de la population totale.
Sur 2,228,000 habitants que comptent ces pro-
vinces, 200,000 seulement sont Allemands,
Le reste, soit plus de deux millions, est lette
ou esthonien de race.
Le tsar a pu légitimement penser qu'il était
de son devoir de gouverner, moins au profit
d'une petite aristocratie étrangère et davan-
tage dans l'intérêt des masses populaires. Ce
ne serait pas la première fois qu'une élite so-
ciale dépouillée d'une main peut-être trop ru-
de de ses privilèges crierait à la persécu-
tion.
L'inauguration du monument de Giordano
Bruno paraît s'être passée sans justifier tou-
tes les mquiétudes qui avaient induit le gou-
vernement et le Sénat à s'abstenir d'y parti-
ciper et le premier à prendre des mesures de
précaution extraordinaires.
'Le soin de prononcer le discours inaugu-
ral avait été confié au sénateur et professeur
Moleschott. On sait que cet illustre savant,
né en Hollande, élevé à Heidelberg et qui a
professé à Zurich avant d'être appelé en Ita-
lie, offre dans sa carrière un cosmopolitisme
qui aurait réjoui le moine de Nola, hôte des
universités de Paris, d'Oxford, de Witten-
berg, de Helmstadt et de Prague.
Le monisme matérialiste de M. Moleschott
aurait peut-être un peu déplu au panthéisme
idéaliste de Bruno qui se réclamait hardiment
de Platon, de Pythagore et de Parménide
contre l'Aristote de la scolastique. Toutefois,
l'orateur s'est placé au point de vue de cette
libre-pensée un peu simpliste qui, fidèle au
plan du monument élevé à GL Bruno sur la
base duquel figurent des médaillons de Ser-
vet et de Vanini, comme de Ramus, de
Jean Huss et de Wycliffe, couvre des mêmes
anathèmes le protestantisme et le catholi-
cisme, voire le spiritualisme lui-même.
Il est fâcheux qu'on ne sache pas encore
élever un monument à la tolérance sans con-
fondre avec l'esprit persécuteur l'essence
même de la religion qu'il déshonora jadis.
m
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps
̃̃̃ Berlin, 10 juin, 8 heures.
Hier soir, à six heures, le shah de Perse est arrivé
à Berlin. L'empereur l'attendait à la gare, ainsi que
les princes, le comte Herbert de Bismarck, le ma-
réchal de Blumenthal et beaucoup de généraux. ̃̃•,
FËUILLETON DU 6femp£
DU 11 JUIN 1889 [12]
LA FAMILLE ZATRAPEZNY
La tante nous retint jusqu'à quatre heures.
Mamemka exprima en vain le désir de partir
plus tôt, disant que les chevaux attendaient de-
puis longtemps et montrant à l'horizon un gros
nuage noir. Anfissa Porfirievna ne voulut rien
écouter. Après le dîner, qu'on servit fort lente-
ment, vint le café. Puis, en bons parents, il fal-
lut bavarder un peu.
On ne pouvait manger, boire et s'en aller
aussi tôt après
Enfin, nous pûmes partir. Durant plus de
deux verstes, Mamenka garda un profond si-
lence on eût pu croire qu'elle avait peur d'être
entendue par Anfissa Porfirievna^ Enfin elle fi-
nit par demander à Agacha
As-tu vu Fomka?'
Certes oui, Soudarynia, avant le dîner je
l'ai vu dans la chambre des filles.
Quelle scélérate que cette Anfissa Porfi-
rievna, de m'avoir obligée à manger à la même
table qu'un vil esclave Est-ce qu'elle n'a pas
osé me dire: « Tu devrais te procurer un Fomou-
chka » Ah par exemple, elle ne me reverra
pas chez elle, je t'en réponds.
Si vous saviez ce qu'on m'a raconté, Sou-
darynia reprit Agacha, Quand ce Fomouchka
dîne avec la barynia, on place le vieux barine,
« le défunt », derrière "sa chaise pour le ser-
vir #. r^-
"r-%V(ïê possible?.
-< C'est la vérité vraie, Soudarynia Et sort-
vant il paraît qu'elle Val fait jouer la Comédie.
Beprodgction, mterdUe^ "r
« "W 1
L'empereur embrassa le shah et lui serra la
main à plusieurs reprises. Il lui présenta ensuite
les princes. Les: deux monarques se rendirent au
château précédés d'un détachement de uhlans et
suivis d'un grand nombre d'autres voitures conte-
nant leur suite. > ̃
En passant sous la porte de Brandebourg, les
souverains furent vivement acclamés par la foule.
Avant d'entrer au château de Béllevue, les sou-
verains assistèrent au défiléde la garde d'honneur.
Après avoir installé son hôte, Iîempereur Guillaume
retourna au château royal, où' il reçut peu après la
visite du shah. Le soir, il y a eu dîner de gala au
château de Bèllevue.
Berlin, 10 juin, 9 h. 30.
11 se confirme, ainsi que vous l'avez déjà annoncé,
que c'est le gouvernement russe qui a fait acheter
les actions des chemins de fer serbes que possédait
le Comptoir d'escompte de Paris.
Rome, 10 juin, 8 h.
La cérémonie de l'inauguration du monument de
Giordano Bruno s'est terminée sans que l'ordre ait
été troublé un instant.
Les députations étaient au nombre d'environ 6,000;
quelques-unes étaient fort nombreuses. La députa-
tion des Abruzzes comptait 2,000 personnes.
Les députations des francs-maçons de France,
d'Allemagne, de Belgique, des Etats-Unis, d'Austro-
Hongrie, de Danemark, etc., marchaient pêle-mêle
avec celle des francs-maçons italiens. Les députa-
tions des universités comprenaient environ 2,000 étu-
diants.
Après la cérémonie, le cortège s'est reformé et
s'est rendu au Capitole.
Du balcon où avait été placé le buste de Gari-
baldi, entouré de drapeaux et de couronnes, le dé-
puté Imbriani, dans un discours très applaudi, a
célébré la mémoire du général. Il a terminé par ces
mots « J'espère que bientôt viendra le jour où
l'hymne dé Garibaldi retentira sur les Alpes ju-
liennes.
Les journaux font remarquer que depuis bien
longtemps aucune manifestation publique n'avait
été aussi calme. Aucun cri séditieux n'a été poussé.
Tous les membres du corps diplomatique, accré-
dités auprès du Vatican, ont été reçus dans l'après-
midi en audience privée par le cardinal Rampolla.
On dit que, pendant leur visite chez le secrétaire
d'Etat, Léon XIII est venu s'entretenir avec eux.
Philippopoli, 10 juin, 7 h. 30.
Le roi Milan est arrivé à Constantinople à bord du
navire autrichien la Minerve. Il s'est rendu immé-
diatement à Thérapia, où des appartements lui ont
été préparés. On ne sait pas de quelle durée sera son
séjour à Constantinople.
Madrid, 10 Ijuin, 9 heures.
Il y a quelque temps déjà, le conseil d'Etat avait
été consulté par le gouvernement sur le cas du
comte de Benomar, dont la conduite à Berlin, alors
qu'il n'était plus ambassadeur, lui avait paru blâ-
mable. Le conseil d'Etat avait émis un avis défa-
vorable à M. de Benomar. Celui-ci ayant commencé
la publication d'une série de lettres pour se justi-
fier, lettres contenant de violentes attaques contre
le ministre actuel des affaires étrangères, le mar-
quis Vega de Armijo, le conseil d'Etat fut de nou-
veau consulté.
Le conseil vient de décider que, pour avoir com-
muniqué des pièces diplomatiques à M. Canovas,
chef de l'opposition, le comte Benomar devait être
poursuivi devant les tribunaux.
Les ministres vont proposer à l'approbation de la
reine les mesures qui seront prises contre l'ancien
ambassadeur.
Madrid, 10 juin, 9 h. 30.
Dans le conseil présidé par la reine à Aranjuez,
M. Sagasta a annoncé que la cinquième session
légistative sera ouverte le 14 juin, sans discours du
trône, tous les projets politiques présentés à la der-
nière session seront reproduits, y compris celui sur
le suffrage universel, dont le gouvernement exigera
la discussion immédiate. Le cabinet acceptera le
débat politique; mais, s'il prend une tournure
obstructionniste, il exigera deux séances par jour.
Le maréchal Concha sera président du Sénat,
M. Alonzo Martinez de la Chambre.
Le gouvernement a conseillé à la régente de reve-
nir à Madrid le 12 juin.
Le conseil a décidé que le ministre des affaires
étrangères déférera le comte de Benomar aux tri-
bunaux, pour avoir fait communication de docu-
ments officiels et pour sa conduite à Berlin après sa
révocation.
(Service Bavas)
Berlin, 10 juin.
Le shah de Perse est arrivé à Potsdam à neuf heu-
res du matin.
Une compagnie du 1er régiment de la garde, avec
son drapeau et sa musique, était postée à la gare en
son honneur.
Le shah s'est rendu dans une voiture attelée de qua-
tre chevaux au château de Friedrichskron, escorté
par un escadron de hussards de la garde. Il a été sa-
jUé par les acclamations de la foule.
̃ K DERNIÈRE HEURE
Les papiers se référant au procès Boulanger
que la commission d'instruction a fait saisir se
trouvaient non seulement chez le sous-intendant
Reichert mais aussi chez un fontionnaire civil
M. Bruant, inspecteur des forêts, sous-chef du
premier bureau au ministère de l'agriculture. Ce
dernier a déclaré en livrant les papiers dont la garde
lui avait été confiée, qu'il en ignorait le contenu.
La saisie de ces papiers marque à peu près la clô-
ture de la tâche de la commission d'instruction.
Celle-ci, qui a siégé ces derniers jours sans inter-
ruption, transmettra probablement demain ou après-
demain, au plus tard, le dossier de l'instruction au
procureur général pour qu'il ait à prendre ses réqui-
sitions.
D'après les bruits qui circulent, l'instruction se-
rait arrivée à constater l'existence, contre M. Bou-
langer, de charges considérées comme graves.
Notre correspondant particulier d'Angoulême
nous télégraphie que MM. Laguerre, Laisant et
leurs collègues boulangistes arrêtés hier à Angou-
lême ont dû être remis en liberté aujourd'hui.
Les arrestations ont été opérées pour désordre
sur la voie publique, outrages et menaces aux
agents. M. Déroulède, en particulier, s'est livré à
On met le vieux barine à genoux et on lui or-
donne de chanter « Soudarynia, douce bary-
nia, accordez-moi votre main 1 » Alors Anfissa
Porfirievna le frappe au visage en disant « Ar-
rière, indigne 1 arrière, esclave » Et Fomka se
balance sur sa chaise en riant aux éclats.
Quel serpent que cette femme!
Oh c'est bien mal, Soudarynia 1 Moi qui
ne suis qu'une esclave, je trouve cela affreux.
et ce Fomka, qui se promenait dans la cour en
criant des grossièretés! Soudarynia, ce qu'on
dit est-il vrai, qu'il est le fils d'Anfissa Porfi-
rievna ? 2
Le fils. ou quelque chose d'autre. on ne
sait pas au juste Quant à moi, Agacha, je
ferais plutôt le voyage à Zabolotié de nuit que
de mettre de nouveau le pied chez cette sor-
cière Et toi, Nikanor, ajouta Mamenka,
qu'est-ce donc que cette fillette que tu as
vue ?
Je racontai en détail la scène dont j'avais été
témoin et Agacha confirma mon récit.
Oui. dit-elle, la pauvre enfant s'est pré-
cipitée dans la chambre des filles comme une
folle. Elle a saisi une croûte de pain et l'a dé-
vorée. Elle semblait affamée. Et si vous aviez
vu son visage tout sanglant et tuméfié.
Quelles histoires 1. quelles histoires!
dit Mamenka à demi-voix.
Et elle resta pensive, plongée dans ses ré-
flexions.
Qui sait?. peut-être ce pénible récit lui fai-
sait-il faire un retour sur elle-même.
Mamenka, demandai-je enhardi par l'ex-
pression de son visage, qu'est-ce donc que « le
défunt»?. ,v
Et comme elle se taisait.:
Est-il vrai que ce vieux est mon oncle ? '1
repris-je. La tante a donc épousé un serf?.
Moi je croyais qu'elle était mariée avec un
mort.
Chut soupira la femme de chambre, tai-
sez-vous, mon petit pigeon n'attristez pas Ba-
rynia, en lui faisant de pareilles questions.
~Gf~~h`
des voies de fait sur le commissaire central, qui,
jeté violemment contre la voiture qu'occupait le
président .de la Ligue, a été assez grièvement blessé
à la jambe.
Les arrestations ont été effectuées dans le cas de
flagrant délit, qui supprime l'inviolabilité parlemen-
taire, et les personnes arrêtées détenues pendant
vingt-quatre heures, selon l'usage, sous réserve de
ce que le parquet pourrait décider ultérieurement.
Notre correspondant dans l'Océanie française
nous annonce que le protectorat français a été établi
à Rimatara et Rurutu, deux des Tubuaï, à la suite
d'une négociation dirigée par M. le pasteur Viénot.
M. Carnot au groupe de l'Economie sociale
Continuant la série de ses visites officielles dans
les diverses parties de l'Exposition, M. Carnot s'est
rendu ce matin, accompagné du général Brugère et
du commandant Cordier, à l'esplanade des Inva-
lides, où il a examiné en détail les diverses expo-
sitions organisées par le groupe de l'Economie
sociale.
Le but que s'est proposé le groupe en faisant son
exposition était celui-ci montrer le travailleur dans
tous les actes de sa vie depuis l'enfance, avec
les institutions qui protègent et guident ses pre-
miers pas, qui dirigent son instruction et son
éducation, qui l'accompagnent à l'atelier, pourvoient
à sa nourriture, à son logement salubre, lui vien-
nent en aide dans toutes les circonstances difficiles,
l'assistent en cas de maladie ou d'accident, soutien-
nent et recueillent sa vieillesse, lui rendent les
derniers devoirs, et cela sans lui imposer aucune
gène, aucune servitude, en respectant scrupuleuse-
ment la liberté.
Pour parfaire leur tâche, les organisateurs n'ont
pas seulement fait construire un pavillon, mais
tout un groupe de constructions où ont été réunies
les institutions qui se rattachent à la vie du
travailleur. Au centre, un bàtiment renfermant une
grande galerie où sont exposés des tableaux et des
graphiques. A côté, un cercle ouvrier décoré des
emblèmes et des livres d'or des sociétés. Là, des
conférences, des causeries seront fréquemment fai-
tes sur des sujets d'économie sociale; les sociétés
chorales et instrumentales créées par l'initiative
ouvrière ou patronale y donneront des concerts.
Autour du pavillon central s'élèvent des maisons
ouvrières de divers types, montrant les efforts qui
sont tentés pour rendre l'ouvrier propriétaire.
Ici est un restaurant populaire, sorte de fourneau
économique qui est exploité par la Société philan-
thropique et où l'on peut avoir pour dix centimes
des portions de viande ou de légumes. Les indigè-
nus de la section coloniale y prennent leur repas
du matin. A côté de cet établissement, la même so-
ciété de bienfaisance a groupé presque toutes ses
institutions d'assistance.
Reçu par MM. Léon Say, 0. Lamy, secrétaire
général du groupe, et Monthiers, chef du service
des sections française, à sa descente de voiture, M.
Carnot est tout d'abord entré dans le cercle ou-
vrier, suivi de nombreuses notabilités parmi les-
quelles on remarquait MM. Rouvier, ministre des
finances, Frédéric Passy, député, Tolain, sénateur,
Levasseur, membre de l'Institut, Siegfried, maire
du Havre, Cheysson, Bucquet, Tranchant, Groult,
fondateur des musées cantonaux, Fontaine-Besson,
fondateur de la chambre de commerce française de
Londres, etc., etc.
Sur son passage, des sociétés musicales jouaient
la Marseillaise. A l'intérieur du cercle, pendant que
M. Carnot faisait sa visite, les Enfants de Lutèce
chantaient une marche.
Au sortir du pavillon, le président de la Républi-
que a été conduit au groupe des constructions ou-
vrières aménagées selon le type de celles que nos
grands industriels donnent en location pour des
prix minimes à leurs ouvriers. Là sont une maison
de Noisiel, une maison belge, une maison de Lillers,
dans le Pas-de-Calais, une maison de la société des
mines d'Anzin, toutes prenant un caractère parti-
culier d'animation et de vie à la présence d'ouvriers
ou de femmes en costumes de travail ou du pays.
M. Carnot est entré ensuite dans la section des
villes et de l'étranger (économie sociale). Il a visité
d'abord'la section américaine, 'dont un membre de
l'Union des chambres syndicales lui a fait les hon-
neurs. Puis il a successivement passé à la Société
coopérative d'Anzin, à l'Angleterre, à la Belgique,
où M. Carlier, commissaire général, l'a reçu; enfin,
à l'Italie, puis aux expositions des villes de Reims
etRouen.
Le pavillon Leclaire (du nom du peintre en bâti-
ment qui a organisé dans son industrie une asso-
ciation des ouvriers), qui se trouve à côté du bâti-
ment précédent, avait ses marches couvertes par
les 300 ouvriers de la maison quand le président de
la République est arrivé au seuil. Des acclamations
enthousiastes ont retenti.
Après l'avoir visité, le président de la République
est entré au pavillon de la participation aux béné-
fices où a été organisée une exposition collective.
M. Carnot s'y est longuement arrêté devant les in-
téressants tableaux que ce pavillon renferme et qui
donnent dans leur détail les résultats obtenus par
toutes les maisons qui ont mis en pratique ce mode
de rémunération.
Dans la grande galerie d'exposition du groupe,
la visite du président a été conduite au travers des
diverses expositions par chacun des présidents de
section.
Là, M Latry, vice-président de la société des crè-
ches a montré à M. Carnot le modèle en relief d'une
crèche de vingt-cinq enfants représentant comme
installation une dépense de 40,000 francs. Il a fait
ressortir les progrès rapides de l'institution qui,
comptant actuellement à Paris et dans la banlieue
quarante-deux crèches, donne à mille mères par
jour la faculté de travailler.
La crèche ne demande à celles-ci que 20 centimes
par jour pour la garde. Or, la dépense pour chaque
enfant étant de 1 franc par jour, c'est 80 centimes
que doit fournir la charité publique. Partout, dans
les sections, le chef de l'Etat s'est prêté avec une
bonne grâce charmante aux explications qui lui ont
été données, et l'intérêt qu'il a pris à cette exposi-
tion d'un genre si nouveau, l'y a retenu jusque vers
midi.
Il n'a point voulu cependant s'en aller sans voir
les fourneaux économiques, dont il a admiré les ser-
vices si bien organisés. Ces fourneaux délivrent
aux invalides jusqu'à deux mille portions en un
jour.
La fête fédérale de gymnastique
La présentation des sociétés de gymnastique au
conseil municipal a été faite en grande pompe au-
jourd'hui, à une heure et demie, sur la place de
Grève, devant l'Hôtel de Ville.
Les gymnastes avaient dès l'aube repris à Vin-
cennes leurs travaux devant les membres des jurys
chargés de leur décerner les prix et' dont on ne
connaîtra les décisions que ce soir. Puis, après avoir
Laisse donc, Agacha, dit Mamenka tout à
coup; il est bon que l'enfant connaisse l'histoire
de sa famille. Ecoute, toi, comment se condui-
sent parfois les nobles!
Et tandis que la voiture nous emportait rapi-
dement vers Zabolotié, ma mère nous raconta
une étrange histoire.
Ma tante Anfissa Porfirievna, sœur cadette
de mon père, s'était fait détester dès son en-
fance par son caractère méchant et acerbe.
Dans sa famille on ne l'appelait que le « ser-
pent Fiska », et ce surnom avait fini par se
répandre dans tout le voisinage. Aussi sa répu-
tation l'empêcha-t-elle longtemps de trouver
un mari, quoique son père et sa mère eussent
résolu, pour se débarrasser d'elle, de lui don-
ner en dot cette même propriété d'Ousetsovo
que nous venions de voir.
Cependant, lorsqu'elle eut près de trente
ans, la destinée lui envoya un mari dans la
personne de Nicolaï Abramitch Saveltseff, fils
d'un noble du voisinage.
La propriété du père Saveltseff, située au bord
de la rivière Voplia, juste en face d'Ousetsovo,
était de peu d'importance, ne comptant guère
que quatre-vingts âmes.
Mais le vieillard avait poussé si loin l'art de
pressurer les paysans qu'il en retirait un re-
venu considérable. Il volait la nuit des légu-
mes dans leurs potagers, ou bien il attirait les
poules de ses serfs dans sa basse-cour; ou en-
core, il ordonnait à ses compères de tondre
en cachette leurs brebis et de traire leurs va-
ches. Plus d'une fois le vieux fut pris en fla-
grant délit, la nuit, et il reçut des coups de bâ-
ton mais il ne s'en vantait pas et, si parfois on
lui fit rendre gorge, il restituait ce qu'il avait
dérobé en criant « Tiens, canaille d'esclave,
ferme ton bec! » et il recommençait le lende-
main, amassant ainsi une fortune et s'inquié-
tant fort peu du mépris des voisins.
Le vieux scélérat, qui entretenait chez lui
un véritable harem, avait pris pour écono-
pris un léger repas, les sociétés étaient rentrées à
Paris.
Leur rassemblement devait s'opérer, à partir de
onze heures et demie, sur les quais depuis la rue
Géoffroy-l'Asnier jusqu'au quartier des gardes ré-
publicains aux Célestins.
Dès onze heures les détachements de gymnastes
arrivent de tous côtés, sillonnent la place de la Bas-
tille, la rue Saint-Antoine et les rues adjacentes.
Quelques sociétés de gens avisés et modestes ont
pris simplement le tramway Louvre-Vincennes, qui
.JeSaajène juste à leur poste.
D'autres arrivent à pied, horriblement crottés,
trempés par l'averse du matin qui a fort maltraité
les pantalons de coutil, et suivis de badauds qu'at-
tirent les drapeaux déployés et les clairons sonnants.
Et que de drapeaux! que de clairons! Presque autant
que de simples gymnastes.
Les sociétés vont et viennent sur le quai à la re-
cherche des écriteaux fixés aux arbres du trottoir
pour leu indiquer leurr rang dans le cortège. Au
bout d'une heure de tâtonnements, le tassement se
fait et la colonne se forme.
Les quais et les rues aboutissant à la place de
Grève sont barrés par les gardiens de la paix et les
gardes républicains à pied et à cheval. Devant l'Hô-
tel de Ville est dressée une estrade tenant la moitié
de la façade; aux premiers rangs sont installés les
membres du conseil municipal, M. le général Jean-
ningros, M. Sansboeuf, président de l'Union des so-
ciétés de gymnastique, etc.
A une heure moins un quart, les clairons com-
mencent à sonner; leurs fanfares viennent frapper
les échos de la place avant que l'on puisse voir dé-
boucher la tête de la colonne. Enfin, le peloton de
clairons apparait, opérant sa conversion 'au coin du
palais et des quais.
Les chemises bleues, blanches et rouges ont été
disposées alternativement, l'ensemble rappelant le
drapeau national. Le défilé des sociétés devant
l'estrade dure une heure environ. En tête mar-
chent les société de la Seine, la Nationale, la
Française, etc. l'Alsacienne-Lorraine, le ruban
tricolore bordé de crêpe noir en sautoir, est saluée
par une longue salve d'applaudissements.
Puis les gymnastes étrangers les Danois, véri-
tables athlètes en maillot de coutil blanc et bas
rouges, les longues moustaches blondes tranchant
sur la peau halée, partagent les bravos de la foule
avec les Suisses, qui défilent au cri de « Vive la
France » procédés de leurs hercules en costumes
moyen âge, portant sur l'épaule de lourdes masses
hérissées de pointes d'acier. Enfin, les sociétés des
pioriniers celles du Nord et de la Franche-Comté,-
se font remarquer par leur belle tenue et la vigueur
de leurs hommes.
La colonne fait le tour de la place et revient se
former en masses profondes face à l'estrade d'hon-
neur au premier rang des centaines de drapeaux
de toutes couleurs, de toutes formes, flottent sous
le soleil, qui se montre enfin rayonnant, faisant cha-
toyer les tons vifs des chemises de flanelle et des
ceintures.
Le défilé terminé à deux heures moins un quart,
les clairons sonnent au drapeau, les porte-étendards
saluent en inclinant la hampe, et M. Sansbœuf pré-
sente les sociétés françaises et étrangères au bu-
reau du conseil municipal.
Il remercie en quelques paroles le conseil des
fortes subventions accordées pour l'organisation de
la fète.
Le président du conseil municipal lui répond, et
la colonne se remet en marche pour Vincennes où
elle doit défiler devant le minisire de la guerre.
Tout le long du parcours, rue de Rivoli, faubourg
Saint-Antoine, elle recueille les ovations d'une foule
innombrable qui garnit les trottoirs, les fenêtres et
les toits des maisons.
Des centaines de charrettes à bras, amenées par
des camelots, pour louer des piaces aux curieux,
forment, à tous les carrefours, de véritables bar-
ricades couvertes de monde.
Nous recevons la dépêche suivante
Toulouse, 10 juin.
De grands orages ont fait beaucoup de ravages
cette nuit dans notre région.
Pendant l'ouragan, un drame horrible se serait
passô^ à Vi]]enouve]]e. On raconte qu'un jeune
homme, ancien valet de ferme, s'étant vu refuser
par le fermier la main de sa fille et ayant été con-
gédié, a pénétré dans la ferme et a assassiné le
père, la mère, la fille et un garçon de ferme.
Le parquet de Villefranche est sur les lieux.
On s'est quelque peu étonné de l'absence
de M. Freppel dans le grand tournoi oratoire
qui s'est ouvert à la Chambre des députés
sur les rapports de l'Etat et de l'Eglise. Nous
n'y avons rien perdu car, si l'évêque d'An-
gers n'a pas fait au palais Bourbon le dis-
cours que l'on attendait de lui, il l'a fait
ailleurs, et nous venons de le lire in extenso
dans un journal de province qui se nomme
Y Anjou. Le 7 juin dernier s'ouvrait à An-
gers ce que l'on a pris l'habitude, dans le
parti conservateur, de nommer une as-
semblée régionale; celle-ci comprenait les re-
présentants de trois provinces, la Touraine,
l'Anjou et le Maine. On croit préluder ainsi
à la résurrection des anciennes provinces, et
l'on joue, en dehors du suffrage universel et
entre amis, aux Etats provinciaux. M. Frep-
pel, qui est à la tête du mouvement dans
l'Ouest, ne pouvait manquer au rendez-vous.
En évêque vigilant, il a voulu inaugurer lui-
même cette réunion, et il y a prononcé un
discours, il serait plus exact de dire un ser-
mon, pour expliquer l'objet de ces assem-
blées provinciales et les résultats qu'on en
peut attendre.
Ce que l'orateur a dit dans cette circon-
stance est bien étonnant. C'est pour célébrer
l'anniversaire de 1789, parait-il, que ces as-
semblées conservatrices se tiennent un peu
partout. Mais il s'agirait de le flétrir que l'on
n'en parlerait pas autrement. L'opinion pu-
blique glorifie cette date lumineuse et, même
dans l'Ouest, l'impose aux réactionnaires les
plus militants. Ceux-ci la subissent et pren-
nent aussitôt leur revanche en en disant le
plus de mal possible. Les premières paroles
de M. Freppel ont été pour déclarer que le
mouvement de 1889 avait complètement
avorté, que les abus et les privilèges sont
me une femme d'une trentaine d'années,
fraiche et robuste, nommée Oulita, qu'il avait
enlevée à son mari, l'un de ses propres serfs.
Cette femme exerçait sur le barine une grande
influence, et le bruit courait que les écono-
mies du vieux pomestchik, placées à la banque
en titres au porteur, lui reviendraient un jour.
Cependant le vieillard n'avait pas consenti à
affranchir « sa femme de charge », de peur
qu'elle ne l'abandonnât; mais il avait éman-
cipé les deux fils d'Oulita, déjà grands, et les
avait placés en apprentissage à Moscou.
Quant au fils unique de Saveltseff, il ne re-
cevait jamais un sou de son père et il gardait
de ce fait une grande rancune à Oulita; ce
jeune Saveltseff, officier dans un régiment qui
tenait garnison à X. passait pour un être fé-
roce. A cette époque, les coups de poing et les
coups de bâton pleuvaient comme grêle sur
les soldats, mais du moins couvrait-on géné-
ralement ces brutalités de quelque prétexte.
Saveltseff, lui, y recourait sans cesse et sans
raison.
Un beau jour, il vint rendre visite â son
père et, ayant appris qu'il y avait, chez les
Zatrapezny, une « demoiselle à marier » qui de-
vait recevoir Ousetsovo, il se présenta chez
mon grand-père.
Quoique la réputation du jeune Saveltseff
eût procédé sa visite, mes grands-parents lui
firent bon accueil, comprenant d'instinct qu'il
venait dans l'intention de rechercher leur
fille cadette en mariage. Sachant bien que le
« serpent Fiska » ne se montrerait pas difficile,
ils s'inquiétèrent fort peu des bruits qui cou-
raient sur la férocité du jeune Saveltseff.
Cependant, le grand-père crut devoir préve-
nir son futur gendre du caractère de sa fille.
Prends garde à toi, Saveltseff; tu n'es
pas tendre, dit-on, mais tu trouveras à qui
parler I
Saveltseff répondit avec calme
Ne vous inquiétez pas; je la ferai mar-
cher droit. -̃̃'̃̃̃̃• '• ;• gj.
devenus dans la société moderne mille fois
plus intolérables que sous l'ancien régime
et que le devoir, par conséquent, de tout bon
Français, est de travailler à les corriger..Tel
est l'objet de ces assemblées provinciales.
Ce premier paradoxe est assez étourdis-
sant. On s'attend à voir l'orateur essayer de
le démontrer. Il n'y manque point; mais
quel émerveillement de voir ce que l'histoire
devient sous sa plume S'agit-il dé rappeler
les abus de l'ancien régime, il a dés atténua-
tions, des euphémismes que nous ne pou-
vons nous lasser d'admirer. Voici, par
exemple, comment il parle de la révocation
de l'édit de Nantes, des dragonnades et des
enfants protestants enlevés de force à leurs
familles et mis dans des couvents « Quel-
ques-uns de ces Français dissidents se
plaignaient, avant 1789, de ce que la royauté,
dans un zèle outré peut-être, obligeait leurs en-
fants à se faire instruire dans une religion qui, .1
avant la prétendue Ré forme, avait été celle de
leurs ancêtres. »
Cela n'est-il pas adorable? Et surtout ne
voyez-vous pas combien, en regard de « ce
zèle un'peu outré peut-être et de cette obliga-
tion si douce » paraît révoltante la loi qui a
proclamé la neutralité confessionnelle, la gra-
tuité de l'école publique, et l'obligation de
l'enseignement primaire en laissant d'ailleurs
toute liberté aux écoles privées de se fonder
et de se multiplier. Eh bien, malgré toute
son éloquence, nous osons affirmer à M. l'é-
vêque d'Angers que l'opinion publique en
France et en Europe, mise en présence de ce
contraste, ne frémira pas d'horreur ou, si
elle frémit, ce pourrait bien être dans un
sens tout contraire.
Faut-il citer un autre exemple de cet art
d'atténuer et de transfigurer les choses ? On
sait qu'avant 1789, la liberté de penser était
fort petite et que l'on a brûlé beaucoup de
livres hérétiques, et assez souventlés auteurs
avec les livres. Vous croyez que l'âme du
prélat s'en indigne Ecoutez-le « Des es-
prits entravés, paratt-il, dans l'essor de
leur. activité, se plaignaient, avant 1789
de ce que, la religion catholique étant la
base de l'enseignement et de l'éducation,
on éprouvait quelque gêne à dire et à im-
primer ce que l'on voulait. » N'est-ce
pas bien innocent en comparaison de ce qui
se fait aujourd'hui où « les bureaucrates d'un
ministère imposent leurs idées, leurs métho-
des et leurs programmes à toutes les écoles,
aux collèges et aux Facultés » ? Eh bien,
non; nous ne frémissons point, et nous osons
soutenir que les savants professeurs des Uni-
versités catholiques eux-mêmes, au point de
vue de la recherche et de la discussion scien-
tifiques, aiment mieux vivre sous la troisième
République qu'avant 1789.
Aux yeux de l'orateur sacré, tous les griefs
qu'il relève contre la société moderne se ré-
sument dans un seul grief, lequel étant ré-
formé, ferait disparaître aussitôt tous les
autres. Ce grief suprême, c'est le caractère
laïque de l'Etat, que la Révolution de 1789 a
fait partout triompher. M. Freppel rêve tou-
jours d'une théocratie. Il faut que les pou-
voirs publics soient soumis à Dieu, et comme
Dieu parle par son Eglise, il faut qu'ils soient
soumis à l'Eglise. Nous en convenons; là
est la grande faute ou le grand mérite de la
Révolution et qui fait que tous les théocra-
tes sont contre elles et tous les libéraux, mê-
me dans le catholicisme car il y a des li-
béraux catholiques sont pour elle. Mais
à cela ni M. Freppel ni nous n'y pouvons
rien, car ce qui a triomphé en 1789 ce n'est
pas la passion révolutionnaire d'une généra-
tionim rudente,c'estl'invincible loi de l'his-
toire telle qu'elle s'atteste dans chaqueévéne-
ment importantdepuislafin du moyen âge. Et
c'est en vain même qu'on adresserait ce re-
proche à la République; tous les gouverne-
ments en France, depuis celui de Napo-
léon 1er, l'ont mérité également; tous les gou-
vernements de l'Europe moderne le méritent
aussi, car nulle part la théocratie ne règne
et nulle part elle ne serait encore possible.
Nous ne serions point surpris si les audi-
teurs de M. Freppel, qui étaient sans doute
moins préoccupés de ces principes absolus
que d'augmenter les chances électorales des
futurs candidats conservateurs, n'avaient
trouvé son éloquence passablement inoppor-
tune et pensé que, sur de telles matières, il
vaut encore mieux se taire que de trop
parler.
Quelle excellente machine de guerre, pour les
adversaires du gouvernement républicain, que
la question du Tonkin? Il semble qu'elle puisse
servir en toute occasion et qu'elle ait toujours
même efficacité. Se trouve-t-on à court d'ar-
guments, au Parlement ou dans la presse, on
est sûr de porter un coup droit à son contradic-
teur en lui lançant cette terrible apostrophe
Et le Tonkin ? C'est un moyen presque infailli-
ble de le réduire à quia. Songez donc l'arme a
été forgée par les républicains eux-mêmes.
L'extrême-gauche, en effet, a toujours renchéri
sur les malédictions dont la droite accablait
notre colonie de l'Extrême-Orient 1 Aussi cette
arme a-t-elle fait merveille aux élections de
1885: elle n'est pas encore émoussée, malgré ce
long usage, et l'on compte bien en tirer profit au
scrutin d'octobre. Comment les populations
ne s'indigneraient-elles pas, quand on leur parle
La grand-mère, de son côté, parla à Fiska
dans le même sens
Fais attention, Fiskal. Tu es mauvaise,
mais ton fiancé est encore plus mauvais que
toi. Pourvu qu'il ne te tue pas, un jour qu'il
sera ivre
Mais Fiska répondit également avec assu-
rance
N'aie pas peur, Mamenka, je le mènerai
à ma façon 1
Quand on eut bien discuté la question de
savoir lequel des deux fiancés était le plus
méchant et lequel des deux mangerait l'au-
tre, le pope les bénit et, six semaines après,
la tante Anfissa Porfirievna devenait Mme
Saveltseff.
Durant quatre ans, jusqu'à la mort de son
père, Nicolas Abramitch Saveltseff traîna sa
femme à la suite de son régiment et, si mé-
chante que fut « le serpent Fiska, » elle ap-
prit à connaître plus féroce qu'elle. Son mari
était noniseulement un tyran, mais un bourreau.
Anfissa Porfirievna avait cru que ses démê-
lés avec lui se borneraient à des coups et à
des injures auxquels elle saurait bien répon-
dre. Mais elle découvrit bientôt qu'elle avait
affaire à plus fort qu'elle. D'ailleurs, s'il n'a-
vait pas assez de son propre bras, il donnait
l'ordre à son ordonnance Sémène, une vérità-
ble brute, de fouetter sa femme. La nuit était
généralement le moment choisi pour ces exé-
cutions, Bien des fois Anfissa Porfirievna se
précipita dans la rue demi-nue en appelant
au secours. Mais la compagnie commandée
par Saveltseff tenait garnison dans un village
isolé, et personne ne prêtait attention à ses
cris. Saveltseff avait eu raison quand il affir-
mait à mon grand-père que sa fille Fiska mar-
cherait droit. Bientôt Anfissa Porfirievna de-
vint un modèle de douceur et d'obéissance.
Mais cette soumission n'était qu'apparente,
comme on peut croire, et au fond de son
cœur, elle était altérée de vengeance. Ce be-
A soin 4çyint une. idée fixe; elle agtait touies les
hgm
de tous ces millions dépensés, dont il est fort ais€
de grossir les chiffres,surtout quand on évoque,
la funèbre imagede ceux qui sont restés là-bas,
frappés par l'ennemi ou par la maladie? Cetta
terre du Tonkin est si éloignée de nous, si pau-
vrement décrite'sur la plupart des géographiess
que nous n'en savons presque rien on peut,
dans un intérêt de parti, nous en faire le plus
sombre tableau nous nous laissons prendre
facilement à la lugubre description et noue
nous enflammons contre les insensés qui on*.
gaspillé en pure perte tant d'argent et tan$
d'existences. i-
Par bonheur, il se trouve que des observa- ̃]
teurs intelligents et impartiaux reviennent de ;̃
ces régions si décriées ils notent leurs im-
pressions dans des revues ou des livres ils lea
communiquent au public dans des conférences,
et ce qu'ils rapportent de leur lointaine expé--
dition, ce n'est pas le découragement et l'effroi,
mais au contraire l'admiration et l'enthousias-
me. Cet enthousiasme est tellement sincère
qu'il gagne même les esprits les plus prévenus
la passion politique est bien forcée de céder
devant la clarté lumineuse des faits I G'esjr
ainsi qu'un publiciste, peu suspect de sympa».
thie pour l'œuvre coloniale de la République,'
M. J. Cornély, nous donne ce matin une apolo-
gie aussi convaincante qu'inattendue des efforts
récents tentés par la France dans l'Extrême-
Orient. Pourquoi cette surprenante cpnver-'
sion? Simplement parce que M. Gornély a eu,
la bonne inspiration d'aller, l'autre soir, à une
séance de la Société de géographie. Là, il a enten<:
du parler du Tonkin par un Français qui vient
d'explorer ses frontières le voyageur a dit ce
qu'il avait vu; il a indiqué comment, à son avis,
il serait possible d'utiliser notre conquête et,;
d'en retirer, pour notre patrie, d'immenses
avantages. Nous pouvons, si nous voulons nous
en donner la peine, détourner au profit de la
France le commerce de quatre-vingts millions
d'hommes, dont les produits passeront néces-
sairement par le Tonkin, dès l'instant que nou2'
leur auront frayé une route commode etrapide.
Et M. Cornély se déclare tout émerveillé de la
simplicité et du caractère pratique des planï
qui ont été développés devant lui. Comment t
on songerait à rendre impossibles ces magni-
fiques projets, on voudrait abandonner cette,
précieuse colonie! A cette pensée, son âme sa-
révolte. Songez donc, s'écrie-t-il, qu'il y a dans.'
ce pays quatre millions de chrétiens « et le len«';
demain du jour où la France quitterait le Ton-
kin, ils seraient quatre millions de cadavres ».V-
Mais si l'on veut bien « au nom des intérêts
inséparables de la religion et de la patrie, sa';
passionner pour cette terre de l'Extrême-Orient.i •
on en fera « une grande artère de l'humanité et
le ganglion central d'un véritable empire fran-,
çais en Indo-Chine ». >$
Voilà ce que peut penser du Tonkin, au sor-
tir d'une conférence géographique, un journa-jr
liste réactionnaire qui n'a pas coutume de pro-j'
diguer les éloges à la politique extérieure oix|>-
intérieure des divers gouvernements républi-j
cains qui se sont succédé. Mais que vont dira'
les amis de M. Cornély, qui lancent tous les
jours l'anathème sur le Tonkin, qui le repré-f
sentent comme une région de pestilence et de
misère, où la France dépense, sans honneur ef
sans bénéfice, son sang et son or? Ne va-t-iï
pas bien les gêner pour la propagande élec?,
torale qu'ils ont déjà méditée ? 2 i^.
La moralité de tout ceci, c'est qu'il est extrê-Y-
mement probable que, lorsque les factions po-
litiques cesseront de se livrer bataille sur la,
question du Tonkin, il en sera de ce paya:
comme de l'Algérie, oudelaTunisie.qûiontété;
si. calomniées, la dernière surtout, et qui nous
rendent aujourd'hui, avec usure, ce que nous
avons fait pour elles. Il faudra peut-être un'
peu plus de temps, à cause de la distance,
mais les richesses à exploiter au Tonkin sonfj
incalculables et, avec de la patience et de l'é-
nergie, nous serons quelque jour amplement
payés de nos sacrifices. Remarquons, en ou-'
tre, qu'on pourrait en dire autant de la plu»
part des griefs de l'opposition qu'il s'agisse
d'administratiun, de financés ou d'enseigne-
ment, elle amplifie le mal à plaisir, tout en dis-
simulant soigneusement les avantages. Elle
compte sur l'ignorance des uns et l'aveugle-
ment volontaire des autres mais la vérité finit
bien par se faire jour et tourne alors à la con-;
fusion de ceux qui avaient audacieusement
abusé l'opinion publique, afin de la confisquer,
à leur profit.
AFFAIRES COLONIALES
r-w ."̃• ̃̃ Indo-Chine ;J
L'Irraouaddy, des Messageries maritimes, ve«-
naht des mers de Chine, est arrivé samedi à Mar-
seille avec trois cent trente passagers civils et mu
litaires. Parmi les personnalités qui viennent do
rentrer en France sur. ce bâtiment, à citer. MM.
Rheinart, résident général au Tonkin et en An-
nam Ristelhueber, consul général de France à
Tien-Tsin Liden, commissaire général de la ma-
rine, venant du Tonkin Thévenet, ingénieur en.
chef des ponts et chaussées, directeur des travaux;
de Port-Arthur (golfe du Petchili); Boulloche, ré-,
sident de France en Annam, etc.
Voici les principales nouvelles que nous apporte,
YIrraouaddy '̃)
Le Journal officiel de l'Indo-Chine française pu«
blie l'état des soumissions et pertes faites par les
pirates pendant la tournée de police du tong-dos
Hoang-Cao-Khai. On y relève 594 soumissions, y
compris celles des mandarins de grades élevés^
généraux ou colonels; 45 pirates ont été exécuté»
par la justice annamite. Enfin, les rebelles ont
livré 174 fusils Gras ou à tir rapide, et une assez
grande quantité d'armes diverses fusils à piston,'
sabres, pistolets, coupe-coupe, etc. On leur a pri^
trois canons, une trentaine de fusils et d'autres
armes. ••
Avant de partir de Hué pour Haïphong et Hong-
offenses, toutes les tortures, se promettant une
revanche éclatante si jamais l'occasion se pré-'
sentait.
Quels supplices elle infligerait à ce mons-
tre dès que le hasard la favoriserait! Sa-
veltseff pouvait tomber malade. son ivrogne-
rie pouvait se terminer par une paralysie qui
le laisserait sans défense. N'avait-il pas été
atteint déjà plusieurs fois d'une sorte de téta--
nos ?. Ces attaques pouvaient revenir avec plus
de violence, et alors! oh alors >j
Assise à table en face de lui, elle ne le quit-'
tait pas des yeux et songeait. songeait tou-;
jours à sa vengeance.
Qu'as-tu à braquer ainsi tes quinquets,
sur moi? criait grossièrement Saveltseff quand
il surprenait le regard énigmatique de sa
femme.
Je t'admire, mon chéri, répondait-elle en
ricanant sournoisement.
Plus d'une fois elle avait pensé sérieusement
à l'empoisonner; elle n'était arrêtée que par la
crainte des conséquences d'une telle action.
Son caractère était si bien connu de tous que,
si Saveltseff était mort subitement, les soup-
çons se seraient portés sur elle.
.Aller en Sibérie à cause de ce maudit?
se disait-elle; non, pas cela Mon heure vien-
dra, et alors autant de coups de fouet reçus,
autant de soufflets je rendrai à ce scélérat! ̃<
Mais bientôt leur existence allait changer. Le
vieux Saveltseff mourut. Toujours avare, il
avait refusé jusqu'à la dernière heure de ré-
pondre aux demandes d'argent de son fils;
et celui-ci, furieux, s'emportait surtout contra
la femme de charge Oulita.
Je sais bien où passe mon argent. Oulita
filoute tout au vieux. Mais mon heura sonneral
je lui reprendrai jusqu'au dernier kopeck, la
misérable!
L'heure de Nicolaï Abramitch Saveltseff avait
sonné. • W
:i'i:t~ 'M;'f~ tj'cuknRINR fS41'TYK9FF),
~1!=r~ j 8 ,L_r-
VINGT-NEUVIEME ANNEE. TU' 10263.
MARDI li JUIN 1889.
̃̃̃̃̃ PRIX DE L'ABONNEMENT
PARIS..Tn"T. Trois mois, 1 4 fr. Six mois, 28 fr. Un m, 56 fr,'
BÉP" « AESACE-L0RRAIK1 1 *7 fr. 34 fr. 68 fr.
;DHION POSTALE. 18fr: 36 fr.; 72|.
LES ABONNEMENTS DATENT DES 1" ET i6 DE CHAQUE MOIS Wî'r
̃JÇJn numéro (à Paris) ISS cen.tixn.eiSt
Directeur politique Adrien Hébrard
La rédaction ne répond pas des articles communiqués
BUREAUX 5, boulevard des Italiens, PARIS
'v Adreste télégraphique TEMPS PARIS ri i
x PRIX DE L'ABONNEMENT
PARIS Trois mois, 1 4 fr. Six mois, 28 fr. Un an, 56 fr.1
C DËP»8* ALSACE-LORRAINS ̃ lTTfr.; 34 fr.; 68 fr.
DKIOH POSTALE. lSfr.; 36 fr.; 72fr,
LES ABONNEMENTS DATENT DES ter ET 16 DE CHAQUE MOIS
tjn numéro (départements) 3O centimes^
;:• ANNONCES MM. Lagrange, CERF ET G», 8, place de la Bo
(Droit d'tnserhon at réservé ré s a la rédaction.) réd a ction. ) 'f*
BUREAUX 5, boulevard des Italiens, PARIS
i. ·s:_ <
Adresse télégraphique TEMPS PARIS
PARIS, 10 JUIN :?
BULLETIN DU JOUR
La presse allemande, particulièrement la
Gazette de la Croix, ne cesse de publier des
articles remplis de lamentations sur le sort
qui serait fait dans les provinces de la mer
Baltique, la Livonie, rEsthonie et la Cour-
lande à la population germanique.
Sous Nicolas et sous Alexandre II, ces
provinces jouissaient d'une autonomie à peu
près complète. Les gouverneurs, les Schou-
valof et les Souvarof, se contentaient d'être
les exécuteurs des volontés des Etats où la
noblesse, allemande d'origine, possédait la
prépondérance. L'aristocratie de cette région
jouissait à un degré éminent de la faveur des
tsars et fournissait, eu égard à la faiblesse
de son nombre, un chiffre disproportionné
des titulaires des grands emplois de la cour,
de l'armée, du gouvernement et de l'admi-
nistration.
Depuis l'avènement d'Alexandre III, qui
se fait honneur d'être Russe dans l'âme, les
choses ont changé. Non seulement les gen-
tilshommes des trois provinces n'ont plus un
quasi monopole des grâces impériales, mais
encore trois gouverneurs, MM. Sipiaguine,
Chakhovskoï et Zinovief, ont reçu le mandat
d'assimiler le plus possible les institutions à
celles de l'empire.
Il se peut que certains de ces fonctionnai-
res ou de leurs sous-ordres aient la main
lourde. On prétend fort invraisembla-
blement, il faut le dire que M. Zinovief
aurait proposé au tsar d'anéantir la noblesse
allemande en consommant sa ruine écono-
mique. Alexandre III aurait répondu « Je
ne ferai jamais cela; c'est indigne d'un em-
pereur. »
Quoi qu'il en soit de cette anecdote sus-
pecte, qui prouverait tout au moins que les
sujets d'origine germanique du tsar seraient
sûrs de trouver auprès de lui justice et pro-
tection, il n'est pas impossible que des me-
sures de détail aient été prises qui violent les
droits ou lèsent les intérêts de cette noblesse.
Toutefois, il ne faut pas oublier que ces
plaintes nous sont transmises par la presse
allemande,, qui a l'habitude, comme le prou-
vent ses polémiques actuelles contre l'inof-
fensive Suisse, de grossir démesurément les
griefs de ses compatriotes à l'étranger.
De plus, il faut tenir compte d'un double
fait. D'abord, dans ces duchés, dont l'an-
nexion à la Russie date pour les deux pre-
miers de 1721 et pour la Courlande de 1795,
la constitution sociale et politique était encore
-toute féodale et assurait une domination
presque absolue aux nobles. En outre, la
noblesse d'origine germanique n'est qu'une
infinitésimale parcelle de la population totale.
Sur 2,228,000 habitants que comptent ces pro-
vinces, 200,000 seulement sont Allemands,
Le reste, soit plus de deux millions, est lette
ou esthonien de race.
Le tsar a pu légitimement penser qu'il était
de son devoir de gouverner, moins au profit
d'une petite aristocratie étrangère et davan-
tage dans l'intérêt des masses populaires. Ce
ne serait pas la première fois qu'une élite so-
ciale dépouillée d'une main peut-être trop ru-
de de ses privilèges crierait à la persécu-
tion.
L'inauguration du monument de Giordano
Bruno paraît s'être passée sans justifier tou-
tes les mquiétudes qui avaient induit le gou-
vernement et le Sénat à s'abstenir d'y parti-
ciper et le premier à prendre des mesures de
précaution extraordinaires.
'Le soin de prononcer le discours inaugu-
ral avait été confié au sénateur et professeur
Moleschott. On sait que cet illustre savant,
né en Hollande, élevé à Heidelberg et qui a
professé à Zurich avant d'être appelé en Ita-
lie, offre dans sa carrière un cosmopolitisme
qui aurait réjoui le moine de Nola, hôte des
universités de Paris, d'Oxford, de Witten-
berg, de Helmstadt et de Prague.
Le monisme matérialiste de M. Moleschott
aurait peut-être un peu déplu au panthéisme
idéaliste de Bruno qui se réclamait hardiment
de Platon, de Pythagore et de Parménide
contre l'Aristote de la scolastique. Toutefois,
l'orateur s'est placé au point de vue de cette
libre-pensée un peu simpliste qui, fidèle au
plan du monument élevé à GL Bruno sur la
base duquel figurent des médaillons de Ser-
vet et de Vanini, comme de Ramus, de
Jean Huss et de Wycliffe, couvre des mêmes
anathèmes le protestantisme et le catholi-
cisme, voire le spiritualisme lui-même.
Il est fâcheux qu'on ne sache pas encore
élever un monument à la tolérance sans con-
fondre avec l'esprit persécuteur l'essence
même de la religion qu'il déshonora jadis.
m
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES
DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps
̃̃̃ Berlin, 10 juin, 8 heures.
Hier soir, à six heures, le shah de Perse est arrivé
à Berlin. L'empereur l'attendait à la gare, ainsi que
les princes, le comte Herbert de Bismarck, le ma-
réchal de Blumenthal et beaucoup de généraux. ̃̃•,
FËUILLETON DU 6femp£
DU 11 JUIN 1889 [12]
LA FAMILLE ZATRAPEZNY
La tante nous retint jusqu'à quatre heures.
Mamemka exprima en vain le désir de partir
plus tôt, disant que les chevaux attendaient de-
puis longtemps et montrant à l'horizon un gros
nuage noir. Anfissa Porfirievna ne voulut rien
écouter. Après le dîner, qu'on servit fort lente-
ment, vint le café. Puis, en bons parents, il fal-
lut bavarder un peu.
On ne pouvait manger, boire et s'en aller
aussi tôt après
Enfin, nous pûmes partir. Durant plus de
deux verstes, Mamenka garda un profond si-
lence on eût pu croire qu'elle avait peur d'être
entendue par Anfissa Porfirievna^ Enfin elle fi-
nit par demander à Agacha
As-tu vu Fomka?'
Certes oui, Soudarynia, avant le dîner je
l'ai vu dans la chambre des filles.
Quelle scélérate que cette Anfissa Porfi-
rievna, de m'avoir obligée à manger à la même
table qu'un vil esclave Est-ce qu'elle n'a pas
osé me dire: « Tu devrais te procurer un Fomou-
chka » Ah par exemple, elle ne me reverra
pas chez elle, je t'en réponds.
Si vous saviez ce qu'on m'a raconté, Sou-
darynia reprit Agacha, Quand ce Fomouchka
dîne avec la barynia, on place le vieux barine,
« le défunt », derrière "sa chaise pour le ser-
vir #. r^-
"r-%V(ïê possible?.
-< C'est la vérité vraie, Soudarynia Et sort-
vant il paraît qu'elle Val fait jouer la Comédie.
Beprodgction, mterdUe^ "r
« "W 1
L'empereur embrassa le shah et lui serra la
main à plusieurs reprises. Il lui présenta ensuite
les princes. Les: deux monarques se rendirent au
château précédés d'un détachement de uhlans et
suivis d'un grand nombre d'autres voitures conte-
nant leur suite. > ̃
En passant sous la porte de Brandebourg, les
souverains furent vivement acclamés par la foule.
Avant d'entrer au château de Béllevue, les sou-
verains assistèrent au défiléde la garde d'honneur.
Après avoir installé son hôte, Iîempereur Guillaume
retourna au château royal, où' il reçut peu après la
visite du shah. Le soir, il y a eu dîner de gala au
château de Bèllevue.
Berlin, 10 juin, 9 h. 30.
11 se confirme, ainsi que vous l'avez déjà annoncé,
que c'est le gouvernement russe qui a fait acheter
les actions des chemins de fer serbes que possédait
le Comptoir d'escompte de Paris.
Rome, 10 juin, 8 h.
La cérémonie de l'inauguration du monument de
Giordano Bruno s'est terminée sans que l'ordre ait
été troublé un instant.
Les députations étaient au nombre d'environ 6,000;
quelques-unes étaient fort nombreuses. La députa-
tion des Abruzzes comptait 2,000 personnes.
Les députations des francs-maçons de France,
d'Allemagne, de Belgique, des Etats-Unis, d'Austro-
Hongrie, de Danemark, etc., marchaient pêle-mêle
avec celle des francs-maçons italiens. Les députa-
tions des universités comprenaient environ 2,000 étu-
diants.
Après la cérémonie, le cortège s'est reformé et
s'est rendu au Capitole.
Du balcon où avait été placé le buste de Gari-
baldi, entouré de drapeaux et de couronnes, le dé-
puté Imbriani, dans un discours très applaudi, a
célébré la mémoire du général. Il a terminé par ces
mots « J'espère que bientôt viendra le jour où
l'hymne dé Garibaldi retentira sur les Alpes ju-
liennes.
Les journaux font remarquer que depuis bien
longtemps aucune manifestation publique n'avait
été aussi calme. Aucun cri séditieux n'a été poussé.
Tous les membres du corps diplomatique, accré-
dités auprès du Vatican, ont été reçus dans l'après-
midi en audience privée par le cardinal Rampolla.
On dit que, pendant leur visite chez le secrétaire
d'Etat, Léon XIII est venu s'entretenir avec eux.
Philippopoli, 10 juin, 7 h. 30.
Le roi Milan est arrivé à Constantinople à bord du
navire autrichien la Minerve. Il s'est rendu immé-
diatement à Thérapia, où des appartements lui ont
été préparés. On ne sait pas de quelle durée sera son
séjour à Constantinople.
Madrid, 10 Ijuin, 9 heures.
Il y a quelque temps déjà, le conseil d'Etat avait
été consulté par le gouvernement sur le cas du
comte de Benomar, dont la conduite à Berlin, alors
qu'il n'était plus ambassadeur, lui avait paru blâ-
mable. Le conseil d'Etat avait émis un avis défa-
vorable à M. de Benomar. Celui-ci ayant commencé
la publication d'une série de lettres pour se justi-
fier, lettres contenant de violentes attaques contre
le ministre actuel des affaires étrangères, le mar-
quis Vega de Armijo, le conseil d'Etat fut de nou-
veau consulté.
Le conseil vient de décider que, pour avoir com-
muniqué des pièces diplomatiques à M. Canovas,
chef de l'opposition, le comte Benomar devait être
poursuivi devant les tribunaux.
Les ministres vont proposer à l'approbation de la
reine les mesures qui seront prises contre l'ancien
ambassadeur.
Madrid, 10 juin, 9 h. 30.
Dans le conseil présidé par la reine à Aranjuez,
M. Sagasta a annoncé que la cinquième session
légistative sera ouverte le 14 juin, sans discours du
trône, tous les projets politiques présentés à la der-
nière session seront reproduits, y compris celui sur
le suffrage universel, dont le gouvernement exigera
la discussion immédiate. Le cabinet acceptera le
débat politique; mais, s'il prend une tournure
obstructionniste, il exigera deux séances par jour.
Le maréchal Concha sera président du Sénat,
M. Alonzo Martinez de la Chambre.
Le gouvernement a conseillé à la régente de reve-
nir à Madrid le 12 juin.
Le conseil a décidé que le ministre des affaires
étrangères déférera le comte de Benomar aux tri-
bunaux, pour avoir fait communication de docu-
ments officiels et pour sa conduite à Berlin après sa
révocation.
(Service Bavas)
Berlin, 10 juin.
Le shah de Perse est arrivé à Potsdam à neuf heu-
res du matin.
Une compagnie du 1er régiment de la garde, avec
son drapeau et sa musique, était postée à la gare en
son honneur.
Le shah s'est rendu dans une voiture attelée de qua-
tre chevaux au château de Friedrichskron, escorté
par un escadron de hussards de la garde. Il a été sa-
jUé par les acclamations de la foule.
̃ K DERNIÈRE HEURE
Les papiers se référant au procès Boulanger
que la commission d'instruction a fait saisir se
trouvaient non seulement chez le sous-intendant
Reichert mais aussi chez un fontionnaire civil
M. Bruant, inspecteur des forêts, sous-chef du
premier bureau au ministère de l'agriculture. Ce
dernier a déclaré en livrant les papiers dont la garde
lui avait été confiée, qu'il en ignorait le contenu.
La saisie de ces papiers marque à peu près la clô-
ture de la tâche de la commission d'instruction.
Celle-ci, qui a siégé ces derniers jours sans inter-
ruption, transmettra probablement demain ou après-
demain, au plus tard, le dossier de l'instruction au
procureur général pour qu'il ait à prendre ses réqui-
sitions.
D'après les bruits qui circulent, l'instruction se-
rait arrivée à constater l'existence, contre M. Bou-
langer, de charges considérées comme graves.
Notre correspondant particulier d'Angoulême
nous télégraphie que MM. Laguerre, Laisant et
leurs collègues boulangistes arrêtés hier à Angou-
lême ont dû être remis en liberté aujourd'hui.
Les arrestations ont été opérées pour désordre
sur la voie publique, outrages et menaces aux
agents. M. Déroulède, en particulier, s'est livré à
On met le vieux barine à genoux et on lui or-
donne de chanter « Soudarynia, douce bary-
nia, accordez-moi votre main 1 » Alors Anfissa
Porfirievna le frappe au visage en disant « Ar-
rière, indigne 1 arrière, esclave » Et Fomka se
balance sur sa chaise en riant aux éclats.
Quel serpent que cette femme!
Oh c'est bien mal, Soudarynia 1 Moi qui
ne suis qu'une esclave, je trouve cela affreux.
et ce Fomka, qui se promenait dans la cour en
criant des grossièretés! Soudarynia, ce qu'on
dit est-il vrai, qu'il est le fils d'Anfissa Porfi-
rievna ? 2
Le fils. ou quelque chose d'autre. on ne
sait pas au juste Quant à moi, Agacha, je
ferais plutôt le voyage à Zabolotié de nuit que
de mettre de nouveau le pied chez cette sor-
cière Et toi, Nikanor, ajouta Mamenka,
qu'est-ce donc que cette fillette que tu as
vue ?
Je racontai en détail la scène dont j'avais été
témoin et Agacha confirma mon récit.
Oui. dit-elle, la pauvre enfant s'est pré-
cipitée dans la chambre des filles comme une
folle. Elle a saisi une croûte de pain et l'a dé-
vorée. Elle semblait affamée. Et si vous aviez
vu son visage tout sanglant et tuméfié.
Quelles histoires 1. quelles histoires!
dit Mamenka à demi-voix.
Et elle resta pensive, plongée dans ses ré-
flexions.
Qui sait?. peut-être ce pénible récit lui fai-
sait-il faire un retour sur elle-même.
Mamenka, demandai-je enhardi par l'ex-
pression de son visage, qu'est-ce donc que « le
défunt»?. ,v
Et comme elle se taisait.:
Est-il vrai que ce vieux est mon oncle ? '1
repris-je. La tante a donc épousé un serf?.
Moi je croyais qu'elle était mariée avec un
mort.
Chut soupira la femme de chambre, tai-
sez-vous, mon petit pigeon n'attristez pas Ba-
rynia, en lui faisant de pareilles questions.
~Gf~~h`
des voies de fait sur le commissaire central, qui,
jeté violemment contre la voiture qu'occupait le
président .de la Ligue, a été assez grièvement blessé
à la jambe.
Les arrestations ont été effectuées dans le cas de
flagrant délit, qui supprime l'inviolabilité parlemen-
taire, et les personnes arrêtées détenues pendant
vingt-quatre heures, selon l'usage, sous réserve de
ce que le parquet pourrait décider ultérieurement.
Notre correspondant dans l'Océanie française
nous annonce que le protectorat français a été établi
à Rimatara et Rurutu, deux des Tubuaï, à la suite
d'une négociation dirigée par M. le pasteur Viénot.
M. Carnot au groupe de l'Economie sociale
Continuant la série de ses visites officielles dans
les diverses parties de l'Exposition, M. Carnot s'est
rendu ce matin, accompagné du général Brugère et
du commandant Cordier, à l'esplanade des Inva-
lides, où il a examiné en détail les diverses expo-
sitions organisées par le groupe de l'Economie
sociale.
Le but que s'est proposé le groupe en faisant son
exposition était celui-ci montrer le travailleur dans
tous les actes de sa vie depuis l'enfance, avec
les institutions qui protègent et guident ses pre-
miers pas, qui dirigent son instruction et son
éducation, qui l'accompagnent à l'atelier, pourvoient
à sa nourriture, à son logement salubre, lui vien-
nent en aide dans toutes les circonstances difficiles,
l'assistent en cas de maladie ou d'accident, soutien-
nent et recueillent sa vieillesse, lui rendent les
derniers devoirs, et cela sans lui imposer aucune
gène, aucune servitude, en respectant scrupuleuse-
ment la liberté.
Pour parfaire leur tâche, les organisateurs n'ont
pas seulement fait construire un pavillon, mais
tout un groupe de constructions où ont été réunies
les institutions qui se rattachent à la vie du
travailleur. Au centre, un bàtiment renfermant une
grande galerie où sont exposés des tableaux et des
graphiques. A côté, un cercle ouvrier décoré des
emblèmes et des livres d'or des sociétés. Là, des
conférences, des causeries seront fréquemment fai-
tes sur des sujets d'économie sociale; les sociétés
chorales et instrumentales créées par l'initiative
ouvrière ou patronale y donneront des concerts.
Autour du pavillon central s'élèvent des maisons
ouvrières de divers types, montrant les efforts qui
sont tentés pour rendre l'ouvrier propriétaire.
Ici est un restaurant populaire, sorte de fourneau
économique qui est exploité par la Société philan-
thropique et où l'on peut avoir pour dix centimes
des portions de viande ou de légumes. Les indigè-
nus de la section coloniale y prennent leur repas
du matin. A côté de cet établissement, la même so-
ciété de bienfaisance a groupé presque toutes ses
institutions d'assistance.
Reçu par MM. Léon Say, 0. Lamy, secrétaire
général du groupe, et Monthiers, chef du service
des sections française, à sa descente de voiture, M.
Carnot est tout d'abord entré dans le cercle ou-
vrier, suivi de nombreuses notabilités parmi les-
quelles on remarquait MM. Rouvier, ministre des
finances, Frédéric Passy, député, Tolain, sénateur,
Levasseur, membre de l'Institut, Siegfried, maire
du Havre, Cheysson, Bucquet, Tranchant, Groult,
fondateur des musées cantonaux, Fontaine-Besson,
fondateur de la chambre de commerce française de
Londres, etc., etc.
Sur son passage, des sociétés musicales jouaient
la Marseillaise. A l'intérieur du cercle, pendant que
M. Carnot faisait sa visite, les Enfants de Lutèce
chantaient une marche.
Au sortir du pavillon, le président de la Républi-
que a été conduit au groupe des constructions ou-
vrières aménagées selon le type de celles que nos
grands industriels donnent en location pour des
prix minimes à leurs ouvriers. Là sont une maison
de Noisiel, une maison belge, une maison de Lillers,
dans le Pas-de-Calais, une maison de la société des
mines d'Anzin, toutes prenant un caractère parti-
culier d'animation et de vie à la présence d'ouvriers
ou de femmes en costumes de travail ou du pays.
M. Carnot est entré ensuite dans la section des
villes et de l'étranger (économie sociale). Il a visité
d'abord'la section américaine, 'dont un membre de
l'Union des chambres syndicales lui a fait les hon-
neurs. Puis il a successivement passé à la Société
coopérative d'Anzin, à l'Angleterre, à la Belgique,
où M. Carlier, commissaire général, l'a reçu; enfin,
à l'Italie, puis aux expositions des villes de Reims
etRouen.
Le pavillon Leclaire (du nom du peintre en bâti-
ment qui a organisé dans son industrie une asso-
ciation des ouvriers), qui se trouve à côté du bâti-
ment précédent, avait ses marches couvertes par
les 300 ouvriers de la maison quand le président de
la République est arrivé au seuil. Des acclamations
enthousiastes ont retenti.
Après l'avoir visité, le président de la République
est entré au pavillon de la participation aux béné-
fices où a été organisée une exposition collective.
M. Carnot s'y est longuement arrêté devant les in-
téressants tableaux que ce pavillon renferme et qui
donnent dans leur détail les résultats obtenus par
toutes les maisons qui ont mis en pratique ce mode
de rémunération.
Dans la grande galerie d'exposition du groupe,
la visite du président a été conduite au travers des
diverses expositions par chacun des présidents de
section.
Là, M Latry, vice-président de la société des crè-
ches a montré à M. Carnot le modèle en relief d'une
crèche de vingt-cinq enfants représentant comme
installation une dépense de 40,000 francs. Il a fait
ressortir les progrès rapides de l'institution qui,
comptant actuellement à Paris et dans la banlieue
quarante-deux crèches, donne à mille mères par
jour la faculté de travailler.
La crèche ne demande à celles-ci que 20 centimes
par jour pour la garde. Or, la dépense pour chaque
enfant étant de 1 franc par jour, c'est 80 centimes
que doit fournir la charité publique. Partout, dans
les sections, le chef de l'Etat s'est prêté avec une
bonne grâce charmante aux explications qui lui ont
été données, et l'intérêt qu'il a pris à cette exposi-
tion d'un genre si nouveau, l'y a retenu jusque vers
midi.
Il n'a point voulu cependant s'en aller sans voir
les fourneaux économiques, dont il a admiré les ser-
vices si bien organisés. Ces fourneaux délivrent
aux invalides jusqu'à deux mille portions en un
jour.
La fête fédérale de gymnastique
La présentation des sociétés de gymnastique au
conseil municipal a été faite en grande pompe au-
jourd'hui, à une heure et demie, sur la place de
Grève, devant l'Hôtel de Ville.
Les gymnastes avaient dès l'aube repris à Vin-
cennes leurs travaux devant les membres des jurys
chargés de leur décerner les prix et' dont on ne
connaîtra les décisions que ce soir. Puis, après avoir
Laisse donc, Agacha, dit Mamenka tout à
coup; il est bon que l'enfant connaisse l'histoire
de sa famille. Ecoute, toi, comment se condui-
sent parfois les nobles!
Et tandis que la voiture nous emportait rapi-
dement vers Zabolotié, ma mère nous raconta
une étrange histoire.
Ma tante Anfissa Porfirievna, sœur cadette
de mon père, s'était fait détester dès son en-
fance par son caractère méchant et acerbe.
Dans sa famille on ne l'appelait que le « ser-
pent Fiska », et ce surnom avait fini par se
répandre dans tout le voisinage. Aussi sa répu-
tation l'empêcha-t-elle longtemps de trouver
un mari, quoique son père et sa mère eussent
résolu, pour se débarrasser d'elle, de lui don-
ner en dot cette même propriété d'Ousetsovo
que nous venions de voir.
Cependant, lorsqu'elle eut près de trente
ans, la destinée lui envoya un mari dans la
personne de Nicolaï Abramitch Saveltseff, fils
d'un noble du voisinage.
La propriété du père Saveltseff, située au bord
de la rivière Voplia, juste en face d'Ousetsovo,
était de peu d'importance, ne comptant guère
que quatre-vingts âmes.
Mais le vieillard avait poussé si loin l'art de
pressurer les paysans qu'il en retirait un re-
venu considérable. Il volait la nuit des légu-
mes dans leurs potagers, ou bien il attirait les
poules de ses serfs dans sa basse-cour; ou en-
core, il ordonnait à ses compères de tondre
en cachette leurs brebis et de traire leurs va-
ches. Plus d'une fois le vieux fut pris en fla-
grant délit, la nuit, et il reçut des coups de bâ-
ton mais il ne s'en vantait pas et, si parfois on
lui fit rendre gorge, il restituait ce qu'il avait
dérobé en criant « Tiens, canaille d'esclave,
ferme ton bec! » et il recommençait le lende-
main, amassant ainsi une fortune et s'inquié-
tant fort peu du mépris des voisins.
Le vieux scélérat, qui entretenait chez lui
un véritable harem, avait pris pour écono-
pris un léger repas, les sociétés étaient rentrées à
Paris.
Leur rassemblement devait s'opérer, à partir de
onze heures et demie, sur les quais depuis la rue
Géoffroy-l'Asnier jusqu'au quartier des gardes ré-
publicains aux Célestins.
Dès onze heures les détachements de gymnastes
arrivent de tous côtés, sillonnent la place de la Bas-
tille, la rue Saint-Antoine et les rues adjacentes.
Quelques sociétés de gens avisés et modestes ont
pris simplement le tramway Louvre-Vincennes, qui
.JeSaajène juste à leur poste.
D'autres arrivent à pied, horriblement crottés,
trempés par l'averse du matin qui a fort maltraité
les pantalons de coutil, et suivis de badauds qu'at-
tirent les drapeaux déployés et les clairons sonnants.
Et que de drapeaux! que de clairons! Presque autant
que de simples gymnastes.
Les sociétés vont et viennent sur le quai à la re-
cherche des écriteaux fixés aux arbres du trottoir
pour leu indiquer leurr rang dans le cortège. Au
bout d'une heure de tâtonnements, le tassement se
fait et la colonne se forme.
Les quais et les rues aboutissant à la place de
Grève sont barrés par les gardiens de la paix et les
gardes républicains à pied et à cheval. Devant l'Hô-
tel de Ville est dressée une estrade tenant la moitié
de la façade; aux premiers rangs sont installés les
membres du conseil municipal, M. le général Jean-
ningros, M. Sansboeuf, président de l'Union des so-
ciétés de gymnastique, etc.
A une heure moins un quart, les clairons com-
mencent à sonner; leurs fanfares viennent frapper
les échos de la place avant que l'on puisse voir dé-
boucher la tête de la colonne. Enfin, le peloton de
clairons apparait, opérant sa conversion 'au coin du
palais et des quais.
Les chemises bleues, blanches et rouges ont été
disposées alternativement, l'ensemble rappelant le
drapeau national. Le défilé des sociétés devant
l'estrade dure une heure environ. En tête mar-
chent les société de la Seine, la Nationale, la
Française, etc. l'Alsacienne-Lorraine, le ruban
tricolore bordé de crêpe noir en sautoir, est saluée
par une longue salve d'applaudissements.
Puis les gymnastes étrangers les Danois, véri-
tables athlètes en maillot de coutil blanc et bas
rouges, les longues moustaches blondes tranchant
sur la peau halée, partagent les bravos de la foule
avec les Suisses, qui défilent au cri de « Vive la
France » procédés de leurs hercules en costumes
moyen âge, portant sur l'épaule de lourdes masses
hérissées de pointes d'acier. Enfin, les sociétés des
pioriniers celles du Nord et de la Franche-Comté,-
se font remarquer par leur belle tenue et la vigueur
de leurs hommes.
La colonne fait le tour de la place et revient se
former en masses profondes face à l'estrade d'hon-
neur au premier rang des centaines de drapeaux
de toutes couleurs, de toutes formes, flottent sous
le soleil, qui se montre enfin rayonnant, faisant cha-
toyer les tons vifs des chemises de flanelle et des
ceintures.
Le défilé terminé à deux heures moins un quart,
les clairons sonnent au drapeau, les porte-étendards
saluent en inclinant la hampe, et M. Sansbœuf pré-
sente les sociétés françaises et étrangères au bu-
reau du conseil municipal.
Il remercie en quelques paroles le conseil des
fortes subventions accordées pour l'organisation de
la fète.
Le président du conseil municipal lui répond, et
la colonne se remet en marche pour Vincennes où
elle doit défiler devant le minisire de la guerre.
Tout le long du parcours, rue de Rivoli, faubourg
Saint-Antoine, elle recueille les ovations d'une foule
innombrable qui garnit les trottoirs, les fenêtres et
les toits des maisons.
Des centaines de charrettes à bras, amenées par
des camelots, pour louer des piaces aux curieux,
forment, à tous les carrefours, de véritables bar-
ricades couvertes de monde.
Nous recevons la dépêche suivante
Toulouse, 10 juin.
De grands orages ont fait beaucoup de ravages
cette nuit dans notre région.
Pendant l'ouragan, un drame horrible se serait
passô^ à Vi]]enouve]]e. On raconte qu'un jeune
homme, ancien valet de ferme, s'étant vu refuser
par le fermier la main de sa fille et ayant été con-
gédié, a pénétré dans la ferme et a assassiné le
père, la mère, la fille et un garçon de ferme.
Le parquet de Villefranche est sur les lieux.
On s'est quelque peu étonné de l'absence
de M. Freppel dans le grand tournoi oratoire
qui s'est ouvert à la Chambre des députés
sur les rapports de l'Etat et de l'Eglise. Nous
n'y avons rien perdu car, si l'évêque d'An-
gers n'a pas fait au palais Bourbon le dis-
cours que l'on attendait de lui, il l'a fait
ailleurs, et nous venons de le lire in extenso
dans un journal de province qui se nomme
Y Anjou. Le 7 juin dernier s'ouvrait à An-
gers ce que l'on a pris l'habitude, dans le
parti conservateur, de nommer une as-
semblée régionale; celle-ci comprenait les re-
présentants de trois provinces, la Touraine,
l'Anjou et le Maine. On croit préluder ainsi
à la résurrection des anciennes provinces, et
l'on joue, en dehors du suffrage universel et
entre amis, aux Etats provinciaux. M. Frep-
pel, qui est à la tête du mouvement dans
l'Ouest, ne pouvait manquer au rendez-vous.
En évêque vigilant, il a voulu inaugurer lui-
même cette réunion, et il y a prononcé un
discours, il serait plus exact de dire un ser-
mon, pour expliquer l'objet de ces assem-
blées provinciales et les résultats qu'on en
peut attendre.
Ce que l'orateur a dit dans cette circon-
stance est bien étonnant. C'est pour célébrer
l'anniversaire de 1789, parait-il, que ces as-
semblées conservatrices se tiennent un peu
partout. Mais il s'agirait de le flétrir que l'on
n'en parlerait pas autrement. L'opinion pu-
blique glorifie cette date lumineuse et, même
dans l'Ouest, l'impose aux réactionnaires les
plus militants. Ceux-ci la subissent et pren-
nent aussitôt leur revanche en en disant le
plus de mal possible. Les premières paroles
de M. Freppel ont été pour déclarer que le
mouvement de 1889 avait complètement
avorté, que les abus et les privilèges sont
me une femme d'une trentaine d'années,
fraiche et robuste, nommée Oulita, qu'il avait
enlevée à son mari, l'un de ses propres serfs.
Cette femme exerçait sur le barine une grande
influence, et le bruit courait que les écono-
mies du vieux pomestchik, placées à la banque
en titres au porteur, lui reviendraient un jour.
Cependant le vieillard n'avait pas consenti à
affranchir « sa femme de charge », de peur
qu'elle ne l'abandonnât; mais il avait éman-
cipé les deux fils d'Oulita, déjà grands, et les
avait placés en apprentissage à Moscou.
Quant au fils unique de Saveltseff, il ne re-
cevait jamais un sou de son père et il gardait
de ce fait une grande rancune à Oulita; ce
jeune Saveltseff, officier dans un régiment qui
tenait garnison à X. passait pour un être fé-
roce. A cette époque, les coups de poing et les
coups de bâton pleuvaient comme grêle sur
les soldats, mais du moins couvrait-on géné-
ralement ces brutalités de quelque prétexte.
Saveltseff, lui, y recourait sans cesse et sans
raison.
Un beau jour, il vint rendre visite â son
père et, ayant appris qu'il y avait, chez les
Zatrapezny, une « demoiselle à marier » qui de-
vait recevoir Ousetsovo, il se présenta chez
mon grand-père.
Quoique la réputation du jeune Saveltseff
eût procédé sa visite, mes grands-parents lui
firent bon accueil, comprenant d'instinct qu'il
venait dans l'intention de rechercher leur
fille cadette en mariage. Sachant bien que le
« serpent Fiska » ne se montrerait pas difficile,
ils s'inquiétèrent fort peu des bruits qui cou-
raient sur la férocité du jeune Saveltseff.
Cependant, le grand-père crut devoir préve-
nir son futur gendre du caractère de sa fille.
Prends garde à toi, Saveltseff; tu n'es
pas tendre, dit-on, mais tu trouveras à qui
parler I
Saveltseff répondit avec calme
Ne vous inquiétez pas; je la ferai mar-
cher droit. -̃̃'̃̃̃̃• '• ;• gj.
devenus dans la société moderne mille fois
plus intolérables que sous l'ancien régime
et que le devoir, par conséquent, de tout bon
Français, est de travailler à les corriger..Tel
est l'objet de ces assemblées provinciales.
Ce premier paradoxe est assez étourdis-
sant. On s'attend à voir l'orateur essayer de
le démontrer. Il n'y manque point; mais
quel émerveillement de voir ce que l'histoire
devient sous sa plume S'agit-il dé rappeler
les abus de l'ancien régime, il a dés atténua-
tions, des euphémismes que nous ne pou-
vons nous lasser d'admirer. Voici, par
exemple, comment il parle de la révocation
de l'édit de Nantes, des dragonnades et des
enfants protestants enlevés de force à leurs
familles et mis dans des couvents « Quel-
ques-uns de ces Français dissidents se
plaignaient, avant 1789, de ce que la royauté,
dans un zèle outré peut-être, obligeait leurs en-
fants à se faire instruire dans une religion qui, .1
avant la prétendue Ré forme, avait été celle de
leurs ancêtres. »
Cela n'est-il pas adorable? Et surtout ne
voyez-vous pas combien, en regard de « ce
zèle un'peu outré peut-être et de cette obliga-
tion si douce » paraît révoltante la loi qui a
proclamé la neutralité confessionnelle, la gra-
tuité de l'école publique, et l'obligation de
l'enseignement primaire en laissant d'ailleurs
toute liberté aux écoles privées de se fonder
et de se multiplier. Eh bien, malgré toute
son éloquence, nous osons affirmer à M. l'é-
vêque d'Angers que l'opinion publique en
France et en Europe, mise en présence de ce
contraste, ne frémira pas d'horreur ou, si
elle frémit, ce pourrait bien être dans un
sens tout contraire.
Faut-il citer un autre exemple de cet art
d'atténuer et de transfigurer les choses ? On
sait qu'avant 1789, la liberté de penser était
fort petite et que l'on a brûlé beaucoup de
livres hérétiques, et assez souventlés auteurs
avec les livres. Vous croyez que l'âme du
prélat s'en indigne Ecoutez-le « Des es-
prits entravés, paratt-il, dans l'essor de
leur. activité, se plaignaient, avant 1789
de ce que, la religion catholique étant la
base de l'enseignement et de l'éducation,
on éprouvait quelque gêne à dire et à im-
primer ce que l'on voulait. » N'est-ce
pas bien innocent en comparaison de ce qui
se fait aujourd'hui où « les bureaucrates d'un
ministère imposent leurs idées, leurs métho-
des et leurs programmes à toutes les écoles,
aux collèges et aux Facultés » ? Eh bien,
non; nous ne frémissons point, et nous osons
soutenir que les savants professeurs des Uni-
versités catholiques eux-mêmes, au point de
vue de la recherche et de la discussion scien-
tifiques, aiment mieux vivre sous la troisième
République qu'avant 1789.
Aux yeux de l'orateur sacré, tous les griefs
qu'il relève contre la société moderne se ré-
sument dans un seul grief, lequel étant ré-
formé, ferait disparaître aussitôt tous les
autres. Ce grief suprême, c'est le caractère
laïque de l'Etat, que la Révolution de 1789 a
fait partout triompher. M. Freppel rêve tou-
jours d'une théocratie. Il faut que les pou-
voirs publics soient soumis à Dieu, et comme
Dieu parle par son Eglise, il faut qu'ils soient
soumis à l'Eglise. Nous en convenons; là
est la grande faute ou le grand mérite de la
Révolution et qui fait que tous les théocra-
tes sont contre elles et tous les libéraux, mê-
me dans le catholicisme car il y a des li-
béraux catholiques sont pour elle. Mais
à cela ni M. Freppel ni nous n'y pouvons
rien, car ce qui a triomphé en 1789 ce n'est
pas la passion révolutionnaire d'une généra-
tionim rudente,c'estl'invincible loi de l'his-
toire telle qu'elle s'atteste dans chaqueévéne-
ment importantdepuislafin du moyen âge. Et
c'est en vain même qu'on adresserait ce re-
proche à la République; tous les gouverne-
ments en France, depuis celui de Napo-
léon 1er, l'ont mérité également; tous les gou-
vernements de l'Europe moderne le méritent
aussi, car nulle part la théocratie ne règne
et nulle part elle ne serait encore possible.
Nous ne serions point surpris si les audi-
teurs de M. Freppel, qui étaient sans doute
moins préoccupés de ces principes absolus
que d'augmenter les chances électorales des
futurs candidats conservateurs, n'avaient
trouvé son éloquence passablement inoppor-
tune et pensé que, sur de telles matières, il
vaut encore mieux se taire que de trop
parler.
Quelle excellente machine de guerre, pour les
adversaires du gouvernement républicain, que
la question du Tonkin? Il semble qu'elle puisse
servir en toute occasion et qu'elle ait toujours
même efficacité. Se trouve-t-on à court d'ar-
guments, au Parlement ou dans la presse, on
est sûr de porter un coup droit à son contradic-
teur en lui lançant cette terrible apostrophe
Et le Tonkin ? C'est un moyen presque infailli-
ble de le réduire à quia. Songez donc l'arme a
été forgée par les républicains eux-mêmes.
L'extrême-gauche, en effet, a toujours renchéri
sur les malédictions dont la droite accablait
notre colonie de l'Extrême-Orient 1 Aussi cette
arme a-t-elle fait merveille aux élections de
1885: elle n'est pas encore émoussée, malgré ce
long usage, et l'on compte bien en tirer profit au
scrutin d'octobre. Comment les populations
ne s'indigneraient-elles pas, quand on leur parle
La grand-mère, de son côté, parla à Fiska
dans le même sens
Fais attention, Fiskal. Tu es mauvaise,
mais ton fiancé est encore plus mauvais que
toi. Pourvu qu'il ne te tue pas, un jour qu'il
sera ivre
Mais Fiska répondit également avec assu-
rance
N'aie pas peur, Mamenka, je le mènerai
à ma façon 1
Quand on eut bien discuté la question de
savoir lequel des deux fiancés était le plus
méchant et lequel des deux mangerait l'au-
tre, le pope les bénit et, six semaines après,
la tante Anfissa Porfirievna devenait Mme
Saveltseff.
Durant quatre ans, jusqu'à la mort de son
père, Nicolas Abramitch Saveltseff traîna sa
femme à la suite de son régiment et, si mé-
chante que fut « le serpent Fiska, » elle ap-
prit à connaître plus féroce qu'elle. Son mari
était noniseulement un tyran, mais un bourreau.
Anfissa Porfirievna avait cru que ses démê-
lés avec lui se borneraient à des coups et à
des injures auxquels elle saurait bien répon-
dre. Mais elle découvrit bientôt qu'elle avait
affaire à plus fort qu'elle. D'ailleurs, s'il n'a-
vait pas assez de son propre bras, il donnait
l'ordre à son ordonnance Sémène, une vérità-
ble brute, de fouetter sa femme. La nuit était
généralement le moment choisi pour ces exé-
cutions, Bien des fois Anfissa Porfirievna se
précipita dans la rue demi-nue en appelant
au secours. Mais la compagnie commandée
par Saveltseff tenait garnison dans un village
isolé, et personne ne prêtait attention à ses
cris. Saveltseff avait eu raison quand il affir-
mait à mon grand-père que sa fille Fiska mar-
cherait droit. Bientôt Anfissa Porfirievna de-
vint un modèle de douceur et d'obéissance.
Mais cette soumission n'était qu'apparente,
comme on peut croire, et au fond de son
cœur, elle était altérée de vengeance. Ce be-
A soin 4çyint une. idée fixe; elle agtait touies les
hgm
de tous ces millions dépensés, dont il est fort ais€
de grossir les chiffres,surtout quand on évoque,
la funèbre imagede ceux qui sont restés là-bas,
frappés par l'ennemi ou par la maladie? Cetta
terre du Tonkin est si éloignée de nous, si pau-
vrement décrite'sur la plupart des géographiess
que nous n'en savons presque rien on peut,
dans un intérêt de parti, nous en faire le plus
sombre tableau nous nous laissons prendre
facilement à la lugubre description et noue
nous enflammons contre les insensés qui on*.
gaspillé en pure perte tant d'argent et tan$
d'existences. i-
Par bonheur, il se trouve que des observa- ̃]
teurs intelligents et impartiaux reviennent de ;̃
ces régions si décriées ils notent leurs im-
pressions dans des revues ou des livres ils lea
communiquent au public dans des conférences,
et ce qu'ils rapportent de leur lointaine expé--
dition, ce n'est pas le découragement et l'effroi,
mais au contraire l'admiration et l'enthousias-
me. Cet enthousiasme est tellement sincère
qu'il gagne même les esprits les plus prévenus
la passion politique est bien forcée de céder
devant la clarté lumineuse des faits I G'esjr
ainsi qu'un publiciste, peu suspect de sympa».
thie pour l'œuvre coloniale de la République,'
M. J. Cornély, nous donne ce matin une apolo-
gie aussi convaincante qu'inattendue des efforts
récents tentés par la France dans l'Extrême-
Orient. Pourquoi cette surprenante cpnver-'
sion? Simplement parce que M. Gornély a eu,
la bonne inspiration d'aller, l'autre soir, à une
séance de la Société de géographie. Là, il a enten<:
du parler du Tonkin par un Français qui vient
d'explorer ses frontières le voyageur a dit ce
qu'il avait vu; il a indiqué comment, à son avis,
il serait possible d'utiliser notre conquête et,;
d'en retirer, pour notre patrie, d'immenses
avantages. Nous pouvons, si nous voulons nous
en donner la peine, détourner au profit de la
France le commerce de quatre-vingts millions
d'hommes, dont les produits passeront néces-
sairement par le Tonkin, dès l'instant que nou2'
leur auront frayé une route commode etrapide.
Et M. Cornély se déclare tout émerveillé de la
simplicité et du caractère pratique des planï
qui ont été développés devant lui. Comment t
on songerait à rendre impossibles ces magni-
fiques projets, on voudrait abandonner cette,
précieuse colonie! A cette pensée, son âme sa-
révolte. Songez donc, s'écrie-t-il, qu'il y a dans.'
ce pays quatre millions de chrétiens « et le len«';
demain du jour où la France quitterait le Ton-
kin, ils seraient quatre millions de cadavres ».V-
Mais si l'on veut bien « au nom des intérêts
inséparables de la religion et de la patrie, sa';
passionner pour cette terre de l'Extrême-Orient.i •
on en fera « une grande artère de l'humanité et
le ganglion central d'un véritable empire fran-,
çais en Indo-Chine ». >$
Voilà ce que peut penser du Tonkin, au sor-
tir d'une conférence géographique, un journa-jr
liste réactionnaire qui n'a pas coutume de pro-j'
diguer les éloges à la politique extérieure oix|>-
intérieure des divers gouvernements républi-j
cains qui se sont succédé. Mais que vont dira'
les amis de M. Cornély, qui lancent tous les
jours l'anathème sur le Tonkin, qui le repré-f
sentent comme une région de pestilence et de
misère, où la France dépense, sans honneur ef
sans bénéfice, son sang et son or? Ne va-t-iï
pas bien les gêner pour la propagande élec?,
torale qu'ils ont déjà méditée ? 2 i^.
La moralité de tout ceci, c'est qu'il est extrê-Y-
mement probable que, lorsque les factions po-
litiques cesseront de se livrer bataille sur la,
question du Tonkin, il en sera de ce paya:
comme de l'Algérie, oudelaTunisie.qûiontété;
si. calomniées, la dernière surtout, et qui nous
rendent aujourd'hui, avec usure, ce que nous
avons fait pour elles. Il faudra peut-être un'
peu plus de temps, à cause de la distance,
mais les richesses à exploiter au Tonkin sonfj
incalculables et, avec de la patience et de l'é-
nergie, nous serons quelque jour amplement
payés de nos sacrifices. Remarquons, en ou-'
tre, qu'on pourrait en dire autant de la plu»
part des griefs de l'opposition qu'il s'agisse
d'administratiun, de financés ou d'enseigne-
ment, elle amplifie le mal à plaisir, tout en dis-
simulant soigneusement les avantages. Elle
compte sur l'ignorance des uns et l'aveugle-
ment volontaire des autres mais la vérité finit
bien par se faire jour et tourne alors à la con-;
fusion de ceux qui avaient audacieusement
abusé l'opinion publique, afin de la confisquer,
à leur profit.
AFFAIRES COLONIALES
r-w ."̃• ̃̃ Indo-Chine ;J
L'Irraouaddy, des Messageries maritimes, ve«-
naht des mers de Chine, est arrivé samedi à Mar-
seille avec trois cent trente passagers civils et mu
litaires. Parmi les personnalités qui viennent do
rentrer en France sur. ce bâtiment, à citer. MM.
Rheinart, résident général au Tonkin et en An-
nam Ristelhueber, consul général de France à
Tien-Tsin Liden, commissaire général de la ma-
rine, venant du Tonkin Thévenet, ingénieur en.
chef des ponts et chaussées, directeur des travaux;
de Port-Arthur (golfe du Petchili); Boulloche, ré-,
sident de France en Annam, etc.
Voici les principales nouvelles que nous apporte,
YIrraouaddy '̃)
Le Journal officiel de l'Indo-Chine française pu«
blie l'état des soumissions et pertes faites par les
pirates pendant la tournée de police du tong-dos
Hoang-Cao-Khai. On y relève 594 soumissions, y
compris celles des mandarins de grades élevés^
généraux ou colonels; 45 pirates ont été exécuté»
par la justice annamite. Enfin, les rebelles ont
livré 174 fusils Gras ou à tir rapide, et une assez
grande quantité d'armes diverses fusils à piston,'
sabres, pistolets, coupe-coupe, etc. On leur a pri^
trois canons, une trentaine de fusils et d'autres
armes. ••
Avant de partir de Hué pour Haïphong et Hong-
offenses, toutes les tortures, se promettant une
revanche éclatante si jamais l'occasion se pré-'
sentait.
Quels supplices elle infligerait à ce mons-
tre dès que le hasard la favoriserait! Sa-
veltseff pouvait tomber malade. son ivrogne-
rie pouvait se terminer par une paralysie qui
le laisserait sans défense. N'avait-il pas été
atteint déjà plusieurs fois d'une sorte de téta--
nos ?. Ces attaques pouvaient revenir avec plus
de violence, et alors! oh alors >j
Assise à table en face de lui, elle ne le quit-'
tait pas des yeux et songeait. songeait tou-;
jours à sa vengeance.
Qu'as-tu à braquer ainsi tes quinquets,
sur moi? criait grossièrement Saveltseff quand
il surprenait le regard énigmatique de sa
femme.
Je t'admire, mon chéri, répondait-elle en
ricanant sournoisement.
Plus d'une fois elle avait pensé sérieusement
à l'empoisonner; elle n'était arrêtée que par la
crainte des conséquences d'une telle action.
Son caractère était si bien connu de tous que,
si Saveltseff était mort subitement, les soup-
çons se seraient portés sur elle.
.Aller en Sibérie à cause de ce maudit?
se disait-elle; non, pas cela Mon heure vien-
dra, et alors autant de coups de fouet reçus,
autant de soufflets je rendrai à ce scélérat! ̃<
Mais bientôt leur existence allait changer. Le
vieux Saveltseff mourut. Toujours avare, il
avait refusé jusqu'à la dernière heure de ré-
pondre aux demandes d'argent de son fils;
et celui-ci, furieux, s'emportait surtout contra
la femme de charge Oulita.
Je sais bien où passe mon argent. Oulita
filoute tout au vieux. Mais mon heura sonneral
je lui reprendrai jusqu'au dernier kopeck, la
misérable!
L'heure de Nicolaï Abramitch Saveltseff avait
sonné. • W
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