Titre : La Dépêche algérienne : journal politique quotidien
Éditeur : [s.n.] (Alger)
Date d'édition : 1885-08-07
Contributeur : Robe, Eugène (1890-1970). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32755912k
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 07 août 1885 07 août 1885
Description : 1885/08/07 (A1,N22). 1885/08/07 (A1,N22).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bd6t544804b
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-10449
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 18/04/2021
A*
Première année. — N° 22.
rtBFECTDRK l)‘ALGEH
f>K F'OT LEGAL
Le numéro S centimes. XX Vendredi, 7 août 1885.
La Dépêche Algérienne
JOURNAL POLITIQUE QUOTIDIEN
ABONNEMENTS :
Trois mois Six mois Un an
Algérie 4.50 9 18
France O 12 24
ADMINISTRATION ET RÉDACTION :
Rue de la Marine, n° 9, ancien hôtel Bazin.
Tontes les communications relatives aux annnonces et réclames doivent, es
Algérie, être adressées à t’AGENCE HAVAS, boulevard de la République, Alger.
En France, les communications sont reçues savoir :
A Marseille, chez M. Gustave ALLARD, rue du Bausset, 4 ;
A Paris, chez MM. AUDBOURG et O,- place de la Bourse, 10,
Et par leurs correspondants.
La DÉPÊCHE ALGERIENNE est désig-née pour l’insertion des annonces légales, judiciaires et autres exigées pour la validité des procédures et contrats.
Alger, le 6 Août 1885.
DU JOUR
M. WiLDECK-RGUSSElU
Nous sommes heureux de présenter à nos
lecteurs M. Waleck-Rousseau, le sympa
thique député de Rennes, dont l’avènement
au pouvoir, à la fin de 1881, provoqua une
si légitime curiosité. On se rappelle notam
ment combien on s’émut dans le public de
l’extrême jeunesse du nouveau ministre. M.
Thiers, en effet, n’avait que trente-cinq ans
lorsqu’il reçut pour la première fois le por
tefeuille ministériel, et M. Waldeck-Rous-
seau, lorsqu’il lui fut confié, par Léon Gam
betta, le département de l’intérieur, n’en
avait encore que trente-quatre.
Son genre d’éloquence tout particulier,
son argumentation nette, tranchante, en
quelque sorte mathématique, avait séduit
au plus haut point l’illustre homme d’Etat
aussi fougueux et exhubêrant dans sa parole
que son jeune collègue se montrait pondéré,
précis et sobre dans la sienne Avec ce flair
qui ne le trompait jamais, il avait immé
diatement deviné le précieux concours qu’il
pouvait espérer de lui. le jour où le jeune
rapporteur sur le projet de loi sur la magis
trature tiendrait entre ses mains une des
rênes du pouvoir.
Aussi bien à Rennes où il était venu s’ins
taller après avoir d’abord plaidé à Saint-
Nazaire, M. Waldeck-Rousseau avait-il
rapidement conquis une réputation d’avocat
hors ligne.
J’ai souvent entendu raconter à mon beau-
père, l’un des doyens de la cour d’appel de
Paris, que lorsqu’il allait, il y a quelque
dix ans, plaider à Rennes, les magistrats le
retenaient par ces mots : « Restez-nous
donc encore un jour o i deux, vous ne pou
vez vous en aller sans avoir entendu notre
phénix, notre jeune Waldeck. »
Et, de fait, il plaidait merveilleusement, à
tel point qu’ayant un jour M e Allou pour
adversaire, celui-ci interrompit tout à coup
son confrère par cette exclamation : Que
c’est beau ! »
Il y eut donc moins de surprise que de
curiosité, je le répète, lorsque le brillant
avocat que les Rennais avaient envoyé pres
que malgré lui. à deux reprises, à la Cham
bre des députés, fut nommé ministre de
l’intérieur.
Il se retira à la chute du ministère Gam
betta, le 26 janvier 1882, ayant montré pen
dant son court passage à l’hôtel Beauveau,
qu’il était à la hauteur des espérances qu’on
avait fondées sur lui.
Sa rentrée au ministère de l’Intérieur lors
de la constitution du cabinet du 22 février
1883, fut donc accueillie comme elle devait
l’être.
Pendant les deux années qu’il a passée?
dans le poste qu’il occupait pour la seconde
fois, il a affirmé sa réputation d’homme
d’Etat en prenant l’initiative de réformes
importantes qu’il a soutenues avec le talent
qui lui est propre.
La réorganisation de la magistrature, le
traitement applicable aux récidivistes, la
constitution et la règlementation des asso
ciations ouvrières et des syndicats profes
sionnels ont occupé son esprit sans cesse en
éveil en même temps qu’une foule d’autres
questions moins urgentes peut-être, mais
non moins nécessaires.
Celle à laquelle il s’est attaché avec le
plus d’intérêt est la question ouvrière.
Marchant sur les traces de son père,
homme supérieur, connaissant à fond la
question ouvrière, e’esL à cette question qu’il
s’est attaché avec le plus d’intérêt, condui
sant le mouvement ouvrier pour ne pas dire
qu’il le provoqua. Nos lecteurs se souvien
nent du remarquable discours qu’il pro
nonça l’année dernière à - Saint-Mandé sur
les syndicats professionnels.
A la Chambre où il prit tant de fois la
parole, en faveur de son projet, la hardiesse
de ses idées souleva de grands étonne
ments.
Le mot socialisme d'Etat fut prononcé.
Les ouvriers, que toute sa vie le dépuié
de Rennes a aimés; qu’il a, en toutes occa
sions, soutenus de sa parole, de son auto
rité et de son influence et auxquels il n’a
jamais manqué de fournir lui-même les
moyens de concourir aux adjudications,
quand le cautionnement leur manquait,
n’ont pas oublié que toute son existence leur
a été exclusivement consacrée. Aussi les
adresses d’associations et de syndicats, qu’il
n’a cessé de recevoir en vue de le décider à
accepter la présidence honoraire, ont-elle
occasionné à M. Waldeck-Rousseau de bien
douces satisfactions depuis sa retraite.
Au physique, tout le monde connaît M.
Waldeck-Rousseau. Mince, élégant, d’une
mise correcte sans prétention.
L’abord froid et glacial cache le cœur le
plus bienveillant.
C’est un de ces hommes d’Etat sur les
quels la France a le droit de compter. Etoile
qui disparaît un jour pour reparaître plus
brillante le lendemain.
TOUS ÂRABOPHILES!
Je me suis souvenu ce matin que j’avais
promis, il y a quelques jours, de revenir sur
une pétition de dix-huit conseillers munici
paux indigènes demandant le retrait du dé
cret du 7 avril 1884, qui les a privés du droit
de participer à la nomination des maires
dans les Conseils dont ils sont membres
élus. Ce n’était pas seulement sur la péti
tion elle-même que je voulais revenir, mais
aussi sur les motifs peu sérieux à mon avis,
mais irréfutables aux yeux de certains de
mes confrères, qui ont fait rejeter la péti
tion.
Mais il y a cinq jours de cela, et cinq
[ouïs, c’est presque un siècle, par le temps
qui court. Se souvient-on de ma promesse ?
Tient-on bien à me la voir accomplir ?
J’en doute, et bien des lecteurs vont en
voyer ma mémoire à tous les diables.
Mais il en est d’autres qui sont aussi nos
concitoyens, avec lesquels nous vivons côte
à côte, qui ont droit à ce que l’on s’occupe
de leurs intérêts.
Ce sont les Indigènes musulmans eux-
mêmes, les pétionnaires, ces pelés, ces ton
dus d’autrefois, contre lesquels on a noirci
tant d’encre, fort malencontreusement il y a
quelques années, et en faveur desquels on
en use tant aujourd’hui sans dire un mot de
leurs véritables intérêts.
Il fut un temps, on s’en souvient, où j’é
tais presque seul dans la presse algérienne
à défendre l’Indigène, non pas contre le co
lon ; jamais cela ne fut nécessaire, mais
contre l’administration, — j'ai dit : pres
que seul, afin de n’éveiller aucune suscep
tibilité. — J’étais alors fort maltraité par
mes confrères dont les plus indulgents
m’appelèrent marabout.
Aujourd’hui, tout est changé, et il n’y a
plus un seul journal qui attaque les indi
gènes. Ceux-ci n’ont plus que des partisans,
l’idée a fait son chemin et je suis maintenant
celui qui en parle le moins.
Je n’ai pas besoin de dire combien cette
tranformatioa, à laquelle j’ai peut-être un
peu contribué, me plaît.
Quand on a plaidé la cause des indigè
nes, on n’a plus à craindre les injures du
Radical Algérien , devenu un arabophile
passionné ; mais, malheureusement, peu au
courant de la question.
Aussi, j’aurais voulu voir aborder cette
question soulevée par nos dix-huit conseil
lers municipaux iudigènes, et lire dans les
colonnes la réfutation des arguments invo
qués par le député Lecomte pour justifier
la mesure anti-démocratique dont les indi
gènes ont été l’objet, à propos de la nomi
nation des maires. C’éiait le cas de prendre
en mains la défense de nos concitoyens, et
je voulais en laisser tout l’honneur au Radi
cal algérien.
Je laisserai donc s’écouler quelques jours
encore afin de permettre au Radical de
nous dire ce qu’il pense à ce suj -t
■ - —— r
Informations algériennes
Mlle Gobert aînée, la plus ancienne insti
tutrice-adjointe d’Oran, vient d’être l’objet,
comme sa directrice (Mme Doassans), d’une
distinction universitaire : Diplôme d’une
mention honorable.
X
Nous apprenons que M. Boissin, direc
teur de l’école d’Eckmuhl, vient d’obtenir la
mention honorable du ministre de l’instruc
tion publique.
X
M. le Ministre de l’instruction publique
vient d’envoyer une somme de 87,000 fr.„
qui va permettre de payer ces jours-ci les
indemnités de mobilier et les rappels de
traitement dus au personnel enseignant de
la commune d’Oran depuis le 1 er janvier
1883.
X
Nous apprenons que Mme Carre, direc
trice de l’école de la rue Denfert, se retire
pour faire valoir ses droits à la retraite.
Cette institutrice a dirigé pendant six ans,
avec autant de dévouement que d’habiieté,
l’école la plus importante de JBlida.
X
Par arrêté du ministre de l’instruction
publique, en date du 28 juillet, les examens
pour les brevets de langue arabe, institués
près l’école supérieure des lettres d’Alger,
auront lieu à la fin et au commencement de
l’année scolaire à des dates fixées par la
Recteur.
X
M. Brun, délégué à litre provisoire dans
les fonctions de maître adjoint à l’école nor
male de Constant!ne, est admis en qualité
d élève-maître à l'Ecole unrm-tle supérieure
d’enseignement primaire de Saint-Cloud.
Feuilleton de LA DÉPÊCHE ALGÉRIENNE
n° 22.
LA
PAR
Georges 0HNET
Le banquier baissa le nez, comme lors
qu’il ne voulait pas s’expliquer et, avec une
sourde ironie :
— Je ne l’entretiendrai pas longtemps,
maintenant.
Pascal ne se laissa pas prendre à l’ambi
guïté de la réponse. Il savait ce que parler
voulait dire, même pour Carvajan.
— J’entends, en effet, répéter partout que
le marquis Honoré est à bout de ressources,
et c’est justement là ce qui m’encourage à
vous parler aussi nettement, quoique je sa
che fort bien que le sujet n’est pas pour
vous plaire... Voilà des gens qui, à force
de maladresses, d’excentricités, de folies, je
ne vous chicanerai pas sur les causes, sont
arrivés à la ruine complète. Eh bien ! mon
père, pour le mal qu’ils vous ont fait, que
pouvez-vous leur souhaiter de plus ?
La physionomie de Carvajan prit une ex
pression de gaieté terrible. Il hocha la tête,
et, levant ses yeux jaunes qui rayonnaient
de haine :
— Enfant ! dit-il, avec une dédaigneuse
pitié. Tu ne sais pas de quoi tu parles !
Il y eut dans ces quelques mots tant d’a
mère et de profonde ironie, ce fut si bien le
cri de la vengeance insatiable, que Pascal
en demeura glacé. Il avait espéré amener le
vieillard à faire un retour sur lui-même,
provoquer une discussion de laquelle sorti
rait quelque expédient favorable. Il trou
vait son père froid comme un marbre, ré
pondant à ses attaques avec la bienveillance
câline d’un homme qui cause avec un ga
min. Cependant ii ne se tint pas pour battu:
il revint à la charge :
— Il n’en est pas moins certain que le
marquis de Clairefont est actuellement un
pauvre adversaire pour un combattant tel
que vous...
— Hé ! hé ! fit railleusement Carvajan, il
ne faut jamais mépriser son ennemi. Si de
puis trente ans le marquis avait répé1& ces
paroles, chaque soir, avant de se coucher,
en guise de prière, il n’en serait pas où il
en est.
— Mais il est vieux, .r
— Tiens ! il a mon âge !
— Auprès de lui sont des femmes dignes
d’intérêt...
A ces mots Carvajan se dressa sur ses
pieds î il lança à son fils un regard aigu,
et, d’une voix métallique, sa vraie voix, qui
fit vibrer les nerfs de Pascal :
gi— Des femmes ? Qui te l’a dit ? Tu les as
peut-être vues ? Ah ! ah I nous voilà gen
tils, si cette engeance se mêle de nos affai
res ! Des femmes ! Est-ce qu’il n’y en pas
toujours dans le jeu du marquis ? Il fallait
s’attendre à ce que les cotillons entreraient
en danse. Eh bien ! garçon, est-ce à la vieil
le demoiselle de Saint-Maurice que tu t’in
téresses, ou à la belle Antoinette ?
l.e nom de la jeune fille, jeté avec cette
âpre familiarité, sonna douloureusement à
l’oreille du jeune homme. Il lui sembla que
l’accent avec lequel son père le prononçait
était avilissant. Il voulut couper court aux
commentaires, mais il n’en eut pas le
temps.
— Qui t’a parlé de ces femmes ? continua
le vieillard avec une animation qui allait
grandissante. Les aurais-tu rencontrées,
par hasard ? Tu cours la campagne depuis
que tu es revenu, et elles sont continuelle
ment par les chemins comme des avantu-
riéres... Ah! elles t’ont peut-être bien
parlé ! Elles ne sont pas honteuses... Et
puis, le fils Carvajan... Bonne affaire !
Le banquier eut un rire atroce.
— Mon père, dit Pascal, je vous en sup
plie.. .
— Laisse donc ! Est-ce que je ne les con
nais pas ?... A l’heure qu’il est, elles sont
capables de tout, pour de l’argent... Mais
il faut se défier ; ce sont des gaillardes...
la jeune surtout, avec ses airs candides... et
son capitaine de cavalerie qui ne l'épouse
pas ! Ah ! ah ! va, mon petit ! C’est du vi
lain monde... Ne t’en occupe pas. Tu te
ferais rouler... Il faut la poigne du vieux
Carvajan pour en venir à bout, et encore
ce n’a pas été sans peine ! Si tu crains le
tapage que fera l’écroulement de cette vieil
le bicoque lézardée, craquelée, vermoulue,
qui s’appelle la maison de Clairefont, va
faire un tour à Paris... Tu es jeune : il faut
t’amuser. Mais, crois-mois, n'essaie jamais
de changer de place les quilles de ton père.
Certes, je t’aime bieu... Mais tu pourrais
tout de môme recevoir la boule dans les
jambes !
Pascal voulut faire un dernier effort, par
ler encore. Mais sa belle voix profonde
n’exerçait plus aucune séduction. Dès qu’il
s’agissait de sa haine, le vieillard avait une
armure de diamant sur laquelle tous les
coups, même les mieux portés, s’émous
saient.
— D’ailleurs, ajouta-t-il avec une fausse
bonhomie, toute ta sensiblerie est inutile...
Il n’y a pas auprès du marquas que des
femmes... Il y a aussi un grand gaillard de
dix-huit ans, fort comme un bœuf et qui,
du reste, jusqu’ici n’a employé sa force quà
faire des sottises... Mais s’il veut travailler,
il en a le droit... Nous savons, toi et moi,
comment on fait... J’ai commencé par ba
layer H boutique du père Gâtelier... Et
toi, mauvaise tête, tu as fait le tour du mon
de... Qui est-ce qui empêche ce beau fils
de reconstruire l’édifice de la fortuue pater
nelle ? Hé ! hé ! nous le jugeons peut-être
mal, ce garçon ! Qui sait s’il n’a pas uue
autre vocation que celle d’assommer les
garçons d’écurie et de rosser les bracon
niers, entre deux petits verres de cognac ?...
Je serais ravi qu’il eût des capacités ca
chées, et qu’uu beau matiu il protfvât qu’il
peut être bon à quelque chose...
Carvajan fit une courte pause, son visagœ
Première année. — N° 22.
rtBFECTDRK l)‘ALGEH
f>K F'OT LEGAL
Le numéro S centimes. XX Vendredi, 7 août 1885.
La Dépêche Algérienne
JOURNAL POLITIQUE QUOTIDIEN
ABONNEMENTS :
Trois mois Six mois Un an
Algérie 4.50 9 18
France O 12 24
ADMINISTRATION ET RÉDACTION :
Rue de la Marine, n° 9, ancien hôtel Bazin.
Tontes les communications relatives aux annnonces et réclames doivent, es
Algérie, être adressées à t’AGENCE HAVAS, boulevard de la République, Alger.
En France, les communications sont reçues savoir :
A Marseille, chez M. Gustave ALLARD, rue du Bausset, 4 ;
A Paris, chez MM. AUDBOURG et O,- place de la Bourse, 10,
Et par leurs correspondants.
La DÉPÊCHE ALGERIENNE est désig-née pour l’insertion des annonces légales, judiciaires et autres exigées pour la validité des procédures et contrats.
Alger, le 6 Août 1885.
DU JOUR
M. WiLDECK-RGUSSElU
Nous sommes heureux de présenter à nos
lecteurs M. Waleck-Rousseau, le sympa
thique député de Rennes, dont l’avènement
au pouvoir, à la fin de 1881, provoqua une
si légitime curiosité. On se rappelle notam
ment combien on s’émut dans le public de
l’extrême jeunesse du nouveau ministre. M.
Thiers, en effet, n’avait que trente-cinq ans
lorsqu’il reçut pour la première fois le por
tefeuille ministériel, et M. Waldeck-Rous-
seau, lorsqu’il lui fut confié, par Léon Gam
betta, le département de l’intérieur, n’en
avait encore que trente-quatre.
Son genre d’éloquence tout particulier,
son argumentation nette, tranchante, en
quelque sorte mathématique, avait séduit
au plus haut point l’illustre homme d’Etat
aussi fougueux et exhubêrant dans sa parole
que son jeune collègue se montrait pondéré,
précis et sobre dans la sienne Avec ce flair
qui ne le trompait jamais, il avait immé
diatement deviné le précieux concours qu’il
pouvait espérer de lui. le jour où le jeune
rapporteur sur le projet de loi sur la magis
trature tiendrait entre ses mains une des
rênes du pouvoir.
Aussi bien à Rennes où il était venu s’ins
taller après avoir d’abord plaidé à Saint-
Nazaire, M. Waldeck-Rousseau avait-il
rapidement conquis une réputation d’avocat
hors ligne.
J’ai souvent entendu raconter à mon beau-
père, l’un des doyens de la cour d’appel de
Paris, que lorsqu’il allait, il y a quelque
dix ans, plaider à Rennes, les magistrats le
retenaient par ces mots : « Restez-nous
donc encore un jour o i deux, vous ne pou
vez vous en aller sans avoir entendu notre
phénix, notre jeune Waldeck. »
Et, de fait, il plaidait merveilleusement, à
tel point qu’ayant un jour M e Allou pour
adversaire, celui-ci interrompit tout à coup
son confrère par cette exclamation : Que
c’est beau ! »
Il y eut donc moins de surprise que de
curiosité, je le répète, lorsque le brillant
avocat que les Rennais avaient envoyé pres
que malgré lui. à deux reprises, à la Cham
bre des députés, fut nommé ministre de
l’intérieur.
Il se retira à la chute du ministère Gam
betta, le 26 janvier 1882, ayant montré pen
dant son court passage à l’hôtel Beauveau,
qu’il était à la hauteur des espérances qu’on
avait fondées sur lui.
Sa rentrée au ministère de l’Intérieur lors
de la constitution du cabinet du 22 février
1883, fut donc accueillie comme elle devait
l’être.
Pendant les deux années qu’il a passée?
dans le poste qu’il occupait pour la seconde
fois, il a affirmé sa réputation d’homme
d’Etat en prenant l’initiative de réformes
importantes qu’il a soutenues avec le talent
qui lui est propre.
La réorganisation de la magistrature, le
traitement applicable aux récidivistes, la
constitution et la règlementation des asso
ciations ouvrières et des syndicats profes
sionnels ont occupé son esprit sans cesse en
éveil en même temps qu’une foule d’autres
questions moins urgentes peut-être, mais
non moins nécessaires.
Celle à laquelle il s’est attaché avec le
plus d’intérêt est la question ouvrière.
Marchant sur les traces de son père,
homme supérieur, connaissant à fond la
question ouvrière, e’esL à cette question qu’il
s’est attaché avec le plus d’intérêt, condui
sant le mouvement ouvrier pour ne pas dire
qu’il le provoqua. Nos lecteurs se souvien
nent du remarquable discours qu’il pro
nonça l’année dernière à - Saint-Mandé sur
les syndicats professionnels.
A la Chambre où il prit tant de fois la
parole, en faveur de son projet, la hardiesse
de ses idées souleva de grands étonne
ments.
Le mot socialisme d'Etat fut prononcé.
Les ouvriers, que toute sa vie le dépuié
de Rennes a aimés; qu’il a, en toutes occa
sions, soutenus de sa parole, de son auto
rité et de son influence et auxquels il n’a
jamais manqué de fournir lui-même les
moyens de concourir aux adjudications,
quand le cautionnement leur manquait,
n’ont pas oublié que toute son existence leur
a été exclusivement consacrée. Aussi les
adresses d’associations et de syndicats, qu’il
n’a cessé de recevoir en vue de le décider à
accepter la présidence honoraire, ont-elle
occasionné à M. Waldeck-Rousseau de bien
douces satisfactions depuis sa retraite.
Au physique, tout le monde connaît M.
Waldeck-Rousseau. Mince, élégant, d’une
mise correcte sans prétention.
L’abord froid et glacial cache le cœur le
plus bienveillant.
C’est un de ces hommes d’Etat sur les
quels la France a le droit de compter. Etoile
qui disparaît un jour pour reparaître plus
brillante le lendemain.
TOUS ÂRABOPHILES!
Je me suis souvenu ce matin que j’avais
promis, il y a quelques jours, de revenir sur
une pétition de dix-huit conseillers munici
paux indigènes demandant le retrait du dé
cret du 7 avril 1884, qui les a privés du droit
de participer à la nomination des maires
dans les Conseils dont ils sont membres
élus. Ce n’était pas seulement sur la péti
tion elle-même que je voulais revenir, mais
aussi sur les motifs peu sérieux à mon avis,
mais irréfutables aux yeux de certains de
mes confrères, qui ont fait rejeter la péti
tion.
Mais il y a cinq jours de cela, et cinq
[ouïs, c’est presque un siècle, par le temps
qui court. Se souvient-on de ma promesse ?
Tient-on bien à me la voir accomplir ?
J’en doute, et bien des lecteurs vont en
voyer ma mémoire à tous les diables.
Mais il en est d’autres qui sont aussi nos
concitoyens, avec lesquels nous vivons côte
à côte, qui ont droit à ce que l’on s’occupe
de leurs intérêts.
Ce sont les Indigènes musulmans eux-
mêmes, les pétionnaires, ces pelés, ces ton
dus d’autrefois, contre lesquels on a noirci
tant d’encre, fort malencontreusement il y a
quelques années, et en faveur desquels on
en use tant aujourd’hui sans dire un mot de
leurs véritables intérêts.
Il fut un temps, on s’en souvient, où j’é
tais presque seul dans la presse algérienne
à défendre l’Indigène, non pas contre le co
lon ; jamais cela ne fut nécessaire, mais
contre l’administration, — j'ai dit : pres
que seul, afin de n’éveiller aucune suscep
tibilité. — J’étais alors fort maltraité par
mes confrères dont les plus indulgents
m’appelèrent marabout.
Aujourd’hui, tout est changé, et il n’y a
plus un seul journal qui attaque les indi
gènes. Ceux-ci n’ont plus que des partisans,
l’idée a fait son chemin et je suis maintenant
celui qui en parle le moins.
Je n’ai pas besoin de dire combien cette
tranformatioa, à laquelle j’ai peut-être un
peu contribué, me plaît.
Quand on a plaidé la cause des indigè
nes, on n’a plus à craindre les injures du
Radical Algérien , devenu un arabophile
passionné ; mais, malheureusement, peu au
courant de la question.
Aussi, j’aurais voulu voir aborder cette
question soulevée par nos dix-huit conseil
lers municipaux iudigènes, et lire dans les
colonnes la réfutation des arguments invo
qués par le député Lecomte pour justifier
la mesure anti-démocratique dont les indi
gènes ont été l’objet, à propos de la nomi
nation des maires. C’éiait le cas de prendre
en mains la défense de nos concitoyens, et
je voulais en laisser tout l’honneur au Radi
cal algérien.
Je laisserai donc s’écouler quelques jours
encore afin de permettre au Radical de
nous dire ce qu’il pense à ce suj -t
■ - —— r
Informations algériennes
Mlle Gobert aînée, la plus ancienne insti
tutrice-adjointe d’Oran, vient d’être l’objet,
comme sa directrice (Mme Doassans), d’une
distinction universitaire : Diplôme d’une
mention honorable.
X
Nous apprenons que M. Boissin, direc
teur de l’école d’Eckmuhl, vient d’obtenir la
mention honorable du ministre de l’instruc
tion publique.
X
M. le Ministre de l’instruction publique
vient d’envoyer une somme de 87,000 fr.„
qui va permettre de payer ces jours-ci les
indemnités de mobilier et les rappels de
traitement dus au personnel enseignant de
la commune d’Oran depuis le 1 er janvier
1883.
X
Nous apprenons que Mme Carre, direc
trice de l’école de la rue Denfert, se retire
pour faire valoir ses droits à la retraite.
Cette institutrice a dirigé pendant six ans,
avec autant de dévouement que d’habiieté,
l’école la plus importante de JBlida.
X
Par arrêté du ministre de l’instruction
publique, en date du 28 juillet, les examens
pour les brevets de langue arabe, institués
près l’école supérieure des lettres d’Alger,
auront lieu à la fin et au commencement de
l’année scolaire à des dates fixées par la
Recteur.
X
M. Brun, délégué à litre provisoire dans
les fonctions de maître adjoint à l’école nor
male de Constant!ne, est admis en qualité
d élève-maître à l'Ecole unrm-tle supérieure
d’enseignement primaire de Saint-Cloud.
Feuilleton de LA DÉPÊCHE ALGÉRIENNE
n° 22.
LA
PAR
Georges 0HNET
Le banquier baissa le nez, comme lors
qu’il ne voulait pas s’expliquer et, avec une
sourde ironie :
— Je ne l’entretiendrai pas longtemps,
maintenant.
Pascal ne se laissa pas prendre à l’ambi
guïté de la réponse. Il savait ce que parler
voulait dire, même pour Carvajan.
— J’entends, en effet, répéter partout que
le marquis Honoré est à bout de ressources,
et c’est justement là ce qui m’encourage à
vous parler aussi nettement, quoique je sa
che fort bien que le sujet n’est pas pour
vous plaire... Voilà des gens qui, à force
de maladresses, d’excentricités, de folies, je
ne vous chicanerai pas sur les causes, sont
arrivés à la ruine complète. Eh bien ! mon
père, pour le mal qu’ils vous ont fait, que
pouvez-vous leur souhaiter de plus ?
La physionomie de Carvajan prit une ex
pression de gaieté terrible. Il hocha la tête,
et, levant ses yeux jaunes qui rayonnaient
de haine :
— Enfant ! dit-il, avec une dédaigneuse
pitié. Tu ne sais pas de quoi tu parles !
Il y eut dans ces quelques mots tant d’a
mère et de profonde ironie, ce fut si bien le
cri de la vengeance insatiable, que Pascal
en demeura glacé. Il avait espéré amener le
vieillard à faire un retour sur lui-même,
provoquer une discussion de laquelle sorti
rait quelque expédient favorable. Il trou
vait son père froid comme un marbre, ré
pondant à ses attaques avec la bienveillance
câline d’un homme qui cause avec un ga
min. Cependant ii ne se tint pas pour battu:
il revint à la charge :
— Il n’en est pas moins certain que le
marquis de Clairefont est actuellement un
pauvre adversaire pour un combattant tel
que vous...
— Hé ! hé ! fit railleusement Carvajan, il
ne faut jamais mépriser son ennemi. Si de
puis trente ans le marquis avait répé1& ces
paroles, chaque soir, avant de se coucher,
en guise de prière, il n’en serait pas où il
en est.
— Mais il est vieux, .r
— Tiens ! il a mon âge !
— Auprès de lui sont des femmes dignes
d’intérêt...
A ces mots Carvajan se dressa sur ses
pieds î il lança à son fils un regard aigu,
et, d’une voix métallique, sa vraie voix, qui
fit vibrer les nerfs de Pascal :
gi— Des femmes ? Qui te l’a dit ? Tu les as
peut-être vues ? Ah ! ah I nous voilà gen
tils, si cette engeance se mêle de nos affai
res ! Des femmes ! Est-ce qu’il n’y en pas
toujours dans le jeu du marquis ? Il fallait
s’attendre à ce que les cotillons entreraient
en danse. Eh bien ! garçon, est-ce à la vieil
le demoiselle de Saint-Maurice que tu t’in
téresses, ou à la belle Antoinette ?
l.e nom de la jeune fille, jeté avec cette
âpre familiarité, sonna douloureusement à
l’oreille du jeune homme. Il lui sembla que
l’accent avec lequel son père le prononçait
était avilissant. Il voulut couper court aux
commentaires, mais il n’en eut pas le
temps.
— Qui t’a parlé de ces femmes ? continua
le vieillard avec une animation qui allait
grandissante. Les aurais-tu rencontrées,
par hasard ? Tu cours la campagne depuis
que tu es revenu, et elles sont continuelle
ment par les chemins comme des avantu-
riéres... Ah! elles t’ont peut-être bien
parlé ! Elles ne sont pas honteuses... Et
puis, le fils Carvajan... Bonne affaire !
Le banquier eut un rire atroce.
— Mon père, dit Pascal, je vous en sup
plie.. .
— Laisse donc ! Est-ce que je ne les con
nais pas ?... A l’heure qu’il est, elles sont
capables de tout, pour de l’argent... Mais
il faut se défier ; ce sont des gaillardes...
la jeune surtout, avec ses airs candides... et
son capitaine de cavalerie qui ne l'épouse
pas ! Ah ! ah ! va, mon petit ! C’est du vi
lain monde... Ne t’en occupe pas. Tu te
ferais rouler... Il faut la poigne du vieux
Carvajan pour en venir à bout, et encore
ce n’a pas été sans peine ! Si tu crains le
tapage que fera l’écroulement de cette vieil
le bicoque lézardée, craquelée, vermoulue,
qui s’appelle la maison de Clairefont, va
faire un tour à Paris... Tu es jeune : il faut
t’amuser. Mais, crois-mois, n'essaie jamais
de changer de place les quilles de ton père.
Certes, je t’aime bieu... Mais tu pourrais
tout de môme recevoir la boule dans les
jambes !
Pascal voulut faire un dernier effort, par
ler encore. Mais sa belle voix profonde
n’exerçait plus aucune séduction. Dès qu’il
s’agissait de sa haine, le vieillard avait une
armure de diamant sur laquelle tous les
coups, même les mieux portés, s’émous
saient.
— D’ailleurs, ajouta-t-il avec une fausse
bonhomie, toute ta sensiblerie est inutile...
Il n’y a pas auprès du marquas que des
femmes... Il y a aussi un grand gaillard de
dix-huit ans, fort comme un bœuf et qui,
du reste, jusqu’ici n’a employé sa force quà
faire des sottises... Mais s’il veut travailler,
il en a le droit... Nous savons, toi et moi,
comment on fait... J’ai commencé par ba
layer H boutique du père Gâtelier... Et
toi, mauvaise tête, tu as fait le tour du mon
de... Qui est-ce qui empêche ce beau fils
de reconstruire l’édifice de la fortuue pater
nelle ? Hé ! hé ! nous le jugeons peut-être
mal, ce garçon ! Qui sait s’il n’a pas uue
autre vocation que celle d’assommer les
garçons d’écurie et de rosser les bracon
niers, entre deux petits verres de cognac ?...
Je serais ravi qu’il eût des capacités ca
chées, et qu’uu beau matiu il protfvât qu’il
peut être bon à quelque chose...
Carvajan fit une courte pause, son visagœ
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