Titre : Le Constitutionnel : journal du commerce, politique et littéraire
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1852-08-05
Contributeur : Véron, Louis (1798-1867). Rédacteur
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32747578p
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 124053 Nombre total de vues : 124053
Description : 05 août 1852 05 août 1852
Description : 1852/08/05 (Numéro 218). 1852/08/05 (Numéro 218).
Description : Collection numérique : Grande collecte... Collection numérique : Grande collecte d'archives. Femmes au travail
Description : Collection numérique : La Grande Collecte Collection numérique : La Grande Collecte
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6697323
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
NUMÉRO 218.
mmmMm : rue de Vatois tr&lais -Itoyal); n* l©;]
1-852«—JEUDI 5 AOUT.
»ais; ïjs t.' £»oi»»iK&&*;sesn
Ï-AR1S....... *8"*. PAH TfilMKSTKSi
PART KM SUS. 18 F. —
UN NUMÉRO : *0 CENTIMES.'
pons ï.bs pays ÉTKAMâEKS, «6 reporter
-au tableau qui sera publié dans le iouroîii
les 10 et SS de chaque molïj
Les abcnncmens datent des 1« et 16
de chaque moisi
JOURNAL POLITIQUE, LITTÉRAIRE, UNIVERSEL.
S 'adresser , franco, pour la rédaction, A M. CtJCHïVAX-CkAJaiGNY/ rédacteur en chef, j On s'abonne, dans les départ ersv s<, aux ?i aux Oirectimt 4e poste.—-A Londret, ekes MM. Cosvi® et filsï | S'adresser, franco^ pour l'administration, à M. D ïnaim, direct]
' Les articles déposés ne sont pas rendus ! : * —A àtrnsbrtrg, chez M, AtSUHDBX, All»n
PAUîS, 4 AOUT.
LA FRANCE NOUVELLE-
\
HES FIWAllCaES.-
- ni.
industrie. — commerce. — la contrefaçon
a l'intérieur et a l'étranger.
NOUVEL IMPOT FACULTATIF.
timbre-marque:
L'industrie et le commerce ont aussi leurs
annales, leurs anciens codes utiles à consul
ter. Il y a beaucoup à prendre dans le passé
auprofitdu temps présent.
Lors de l'affranchissement des communes,
la bourgeoisie, l'industrie et le commerce,
émancipés, furent constitués hiérarchique
ment en corporations.
a L'artisan fut, pour ainsi dire, attaché à
la glèbe de l'atelier, eomme le-manant l'é
tait à la glèbe de l'agriculture. La terre
avait ses seigneurs et ses vassaux ; l'indus
trie eut ses maîtres et ses apprentis (1). »
. Sous ce régime des corporations, des ju
randes et des maîtrises, tout travail indus
triel, tout commerce/était réglé, surveillé,
inspecté. Les marques de fabrique et de com
merce eurent alors un double but. Elles in
diquaient l'origine du produit et garantis
saient l'origine de la marchandise. C'était à
la fois la signature du marchand et le certi
ficat, le contrôle, de l'autorité publique.
Ces marques furent d'abord un bienfait
pour la moralité, du commerce et de l'indus
trie, pour la sûreté des transactions. Etienne
Boyleau, garde de la prévôté, chargé par
Louis IX de rédiger une charte pour cette
naissante société industrielle, disait, dans
cette charte : a Nous avons voulu, pour le
profit de tous, mêmement pour les pauvres
et pour les étrangers, ' que la maçphandise
soit si loyale qu'ils n'en soyent déçus, et que
le marchand n'en perçoive de vilain gain,
contre Dieu, contre droit et contre raison. t>
Mais les mœurs et l'esprit des institutions
s'altèrent. Ces marques devinrent bientôt dés
entraves et des charges. L'industrie et lé
commerce, furent rançonnés et ne. furent
plus libres qu'en payant.
£ « Alors, dit un économiste, il était défen
du aux lilandiers de mêler le 111 de chanvre
i
au fil de lin. Le boulanger, privilégié du roi,
pouvait vendre du poisson de mer, de la
chair cuite et des dattes. Le coutelier n'avait
pas le droit de faire le inanche de ses .cou
teaux; le faiseur d'écuelles n'aurait pas pu
se permettre de tourner une cuiller de bois.
La seule profession de chapelier comptait
cinq métiers différens. »
, L'industrie, long-temps persécutée par
une législation tyrannique et fiscale eut sa
révolution. La loi du 17 mars 1791 pro
* Voir les numéros des 8, 15 et 22 juillet.
(1) Rapport de M. Drouyn de Lliuys, député,
sur Je» marques de fabrique et de commerce. 1847.
clama la liberté de l'industrie et abolit les
corporations, les jurandes et les maîtrises.
Les marques de fabrique disparurent, ,
Sous ce régime nouveau la liberté dégéné
ra en licence, et il f :.t bientôt, constaté jjue
si les marques d laDrique, les marques com
merciales ne pouvaient plus être un moyen
de contrôle, de vérification, de surveillance
réglementaire, de garantie pour la cfualité
de la marchandise, elles pouvaient encore,
dans certaines limites et sous certaines "con
ditions, représenter une garantie importan
te, soit pour les consommateurs, soit pour
l'industrie et le commerce.
De là, de nouvelles lois.
La loi du 22 germinal an XI appliqua à\îa
contrefaçon des marques de fabrique les
peiaes.portées contre le faux en écriture pri-
' vée, et vint établir que nul ne pourrait for
mer une action en contrefaçon de sa marque
s'il n'en avait préalablement déposé la mo
dèle au greffe du tribunal de commerce.
Les articles 142 et 143 du Code pénal por
tèrent des peiaes contre celui qui contrefait
les sceaux, timbres ou marques d'un • éta
blissement particulier. „
La loi du 28 juillet 1824 modifia les péna
lités et appliqua les peines correctionnelles
portées en l'article 423 du Code pénal :
1* A toute personne qui aura, soit apposé,
soit fait apparaître sur des objets fabriqués
le nom ou la raison sociale d'un fabricant
autre que celui qui en est l'auteur, ou le
no^n d'un lieu aubre que celui de la fabrica
tion;
2* A tout marchand, commissionnaire ou
débitant qui aura sciemment exposé en ven
te ou mis en circulation des objets marqués
de noms supposés ou altérés.
A côté de ces lois d'un caractère général
nous trouvons diverses ' dispositions spé
ciales:
Pour la quincaillerie et coutellerie , un ar
rêté du 23 nivose an XI ;
Pour la fabrique des savons, les décrets des
1" avril 1811,18 septembre 1811, 22 dé-_
cembrel8I2;
Pour la fabrique des draps, les décrets du
21 septembre 1807, du.25 juillet 1810, du
22 décembre 1812 ( tous trois, au surplus,"
restés sans exécution). "•
Depuis long-temps des plaintes s'élèvent
de toutes parts contre l'obscurité, la com
plication et surtout contre l'impuissance de
ces lois.
Le conseil général des manufactures, les
conseils généraux de la Seine et de plusieurs
autres départemens, les chambres de com
merce, la société d'encouragement, le con
grès scientifique de Reims, la société indus
trielle de Mulhouse, enfin les organes le®
plus accrédités de l'industrie et d.u com
merce ont réclamé des garanties nouvelles
aussi bien dans l'intérêt" dû consommateur
que dans celui des fabricans.
L'illustre Berthollet, inspecteur des ma
nufactures, disait : « Il est important de
s préserver le commerce des infidélités qui
»• peuvent affaiblir la confiance dont il a be-
» soin, et il serait conforme à ses intérêts
» de pouvoir assigner le titre des produits
»' de l'industrie comme celui de l'or et de
» l'argent. »
Dans les deux chambres, des plaintes se'
firent entendre contre les scandafes de la
contrefaçon à l'intérieur et à l'extérieur ;
et le 30 janvier 1844 M. le général Paixhans
présenta ufle proposition conçue en ces
termes : a Un règlement d'administration
publique déterminera les inspections et con
trôles, marques de fabrique et autres ga
ranties facultatives ou obligatoires, auxquelles
seront soumis les produits nationaux, desti
nés, soit au commerce intérieur, soit à l'ex
portation. Ce règlement, avec les disposi
tions pénales qu'il, devra renfermer, sera
présenté aux chambres dans leur prochaine
session. »
La proposition fut retirée, sur la promes
se du ministère d'alors que, dans la prochaine
session, un projet de loi serait présenté, éta
blissant une législation nouvelle sur les
marques de fabrique, facultatives ou obliga
toires.
Ce projet de loi fut porté devant la cham
bre des pairs, d^ns le cours de la session de
1845.
M. le baronDupinfut nommé rapporteur.
La discussion n'eut lieu qu'en 1846. Aux
termes de ce projet de loi, en vingt-trois ar- \
ticles, voté par la chambre des pairs, les
marques de fabrique étaient facultatives.
Ce projet de loi résume, coordonne et
complète des disposions empruntées à dif
férentes époques.
Voici, en peu de mots, l'analyse de ce
projet :
L'article 1 er reconnaît à tout manufac
turier ou commerçant, le droit d'apposer
des marques particulières sur les produits
de sa fabrication ou sur les objets de son
commerce, et indique ce qu'il faut com
prendre sous la dénomination de marque.
A ce droit correspond la défense d'employer
une marque distinctive déjà adoptée par un
autre fabricant ou commerçant (art. 5).
Les art. 6, 7 et 8 sont relatifs à la marque
collective. Le producteur qui emploie cette
marque doit toujours indiquer.son nom ou.
sa raison sociale, afin qu'il ne puisse faire
peser la responsabilité de ses produits sur
toute l'industrie d'une localité.
Quiconque veut s'assurer la propriété d'une
marque, doit en faire le dépôt.
Le titre II traite des pénalités et des juri
dictions. Seront punis d'une amende de 100
à 2,000 fr., et d'un emprisonnement d'un
mois à un an, ou de l'une de ces deux peines
seulement, sans préjudice de la confiscation
et des dommages-intérêts •-1° ceux qui au
ront usurpé, altéré ou contrefait une mar
qué; 2° ceux qui, à côté de 1 indication du
lieu de fabrication; n'auront pas insci A sur
leurs produits leurs marques particulières ; '
3* ceux qui auront insciit sur leurs pro
duits le nom d'un lieu autre que ctlui de la
fabrication ; 4" les complices de ces mêmes
délits; 5» ceux qui,"par l'emploi frauduleux
de marques-industrielles ou commerciales,
auront trompé l'acheteur sur la nature, l'ori
gine ou la qualité de toutes marchandises.
Cette dernière disposition ést l'utile com
plément de l'art. 423 du Code pénal, qui,
en pareil cas, ne punit que la tromperie
sur 3a quantité ou sur la nature des mar
chandises.
Mais dans son rapport du 21 juillet 1845,
M. le baron Dupin regrettait vivement que
le projet de loi restât muet sur les moyens
d'atteindre la fraude des produits destinés à
l'exportation. « Le commerce de la France,
disait-il, a reçu des dommages incalculables
par la mauvaise foi de certains fabrieans in
dignes du nom français. Afin d'obtenir des
gains illicites, ces fraudeurs éhontés s'empa
rent de toutes les apparences, de toutes les
marques qui peuvent confondre lés produits
de b.as aloi et les produits fabriqués avec le
plus de soin et le plus de conscience. »
Le 1T février 1847, le projet de loi voté
par la chambre des pairs fut porté à la cham
bre des députés.
Ce ne fut que le 15 juillet 1847 que M.
Drouyn de Lhuys déposa son rapport sur
ce projet de loi à la chambre des députés.
La commission et le rapport avaient intro
duit dans la loi le principe de la marque
obligatoire pour certains produits qui se-
- raient désignés par des-ordonnances royales.
Dans ce projet de loi , il ne fut point
fait droit à ces vœux exprimés dans la
chambre des pairs, que des moyens répres
sifs fussent proposés contre les fraudes du
commerce d'exportation.
Ce projet de loi, impérieusement récla
mé de toutes parts, au nom de l'industrie
et du commerce, sur les marques de fabri
que, contre la contrefaçon à l'intérieur et à
l'extérieur, ne put être discuté ni voté à la
chambre des députés, et nous sommes en
core, pour les graves intérêts de. l'industrie
et du commerce, engagés dans cette question, !
sous l'empire de cette législation incom
plète, insuffisante, obscure, tombée en 'dé
suétude, éparse çà et là dans les Codes de la
République, de l'Empire et de la Restaura-
lion.
Nous permettra-t-on de citer ici quelques
faits entre mille, pqur prouver combien il
serait urgent de mettre un terme aux frau
des de la contrefaçon, qui portent de si gra
ves préjudices aux commerçms honnêtes,
aux fabricans qui se respectent, et à tout le
commerce français sur les marchés étran
gers?
Les toiles peintes de Saxe, de basse qua
lité, sont vendues pour des étoffes de Mul
house.
Les- soieries et les rubans de Suisse sont
vendus pour des soieries et des rubans de
Lyon, de Nîmes et de Saint-Etienne.
Les aiguilles de plus basse qualité, d'Aix-
la-Chapelle, sont vendues sous le nom et
sous la marque de nos premiers fabricans
(feLaigle.
Les châles que l'on vend comme châles
cachemires sont le plus ordinairement des
cliàles dans la fabrication desquels il n'est
entré que dé la laine ordinaire, du coton ou
de la bourre de soie.
Des pièces de calicot, fortemënt apprê
téès, sont constamment vendues pour de la
•toiley-jen un mot. à Paris,' en France et à l'é
tranger, la fraude se fait non seulement sur
les qualités, mais encore sur 1rs quantités.
Ainsi, des pièces de rubans vendues pour 25
mètres n'en ont souvent que 20.
Dans des caisses de vins français, certains
expéditeurs mettent des bouteilles vides ou
des bouteilles cassées.
Ces scandales, ces abus, 'ces fraudes, dé
passent toute mesure, et nous souffrons d'ê
tre contraints de leur donner ici une nou
velle publicité.
Je lis dans un o,uvrage de M. Nougarède de
Fayet, 4éputé (1) : « Colbert, qui avait or-
» ganisé pour le commerce tant de bonnes
» et utiles institutions; et dont on suit si peu
» aujourd'hui les exemples et les préceptes,
» s'était efforcé de remédier à ce malheu-
• t
» reux entraînement d'esprit des Français,
b qui fait que quelques individus ne se
» font aucun scrupule de déconsidérer,
» pour un faible intérêt, toute une- na-
» tion ; il avait établi , à cet effet, qu'à
» la sortie de France, toutes les marchan-
» dises exportées seraient examinées et les
» ballots et paquets marqués d'une'estam-
» pille constatant leur contenu.
» Cette mesure, conservatrice de la sûreté
» du commerce existe dans plusieurs pays,
» aux Etats-Unis, en Suède, dans d'autres
» encore, et -partout on en obtient les plus
» heureux résultats. Elle a duré en.France
» jusqu'à la révolution. A cette époque, elle
» fut détruite sous prétexte de la liberté du
» commerce. »
Un décret impérial du 21 septembre 1807,
demeuré sans exécution, avait établi une es
tampille facultative et un contrôle pour ga
rantir la bonne fabrication des produits des
tinés au Levant.
Peut-on nier l'urgence de reprendre les
travaux de la chambre des pairs de 1846 et
de la chambre des députés de 1847, travaux
qui n'ont été-suspendus et qui ne sout restés
sans, résultat que devant cette impérieuse
nécessité de faire la révolution de 1848 ?
On peut nous dire : Il existe une legisla-,
tion contre la contrefaçon, contre la fraude
en matière d'industrie et de commerce; qu'on
l'applique avec sévérité. ' i
Il nous sera facile de montrer que cette
législation est aujourd'hui frappée d'impuis
sance, et devient pour l'industriel et le com
merçant honnêtes, dont on contrefait les
marques de fabrique et les produits, une
cause de perte de temps et d'argent qui vien
nent s'ajouter aux préjudices de la contre
façon.
La contrefaçon suit pas à pas les dévelop-
pemeus et les progrès de l'industrie et- du
commerce. ' . ■
Tout industriel, tout commerçant dont les
bons produits d'un prix modéré sont re-
(I) Lettres sur l'Angleterre et sur la France,
3- vol.
cherchés à l'intérieur et sur les
étrangers, est, au bout de peu dé temps, con
trefait; ses produits sont imités, falsifiés
(contrefaçon et falsification sont sœurs) ;
marques de fabrique, signature commer
ciale, marques distinctives de. toutes natu
res sont contrefaites. •
/
Les officiers de policé, suivant l'article 8 .
du décret du 8 septembre 1810, sont tenus
d'effectuer la saisie des ouvrages dont la
marque aura été contrefaite, sur la présen
tation du procès-verbal de d.épôt au tribu
nal de commerce et sur la simple réquisi
tion du propriétaire dé cette marque. C'est
à la diligence des prud'hommes ou de tout
autre officier, de police municipale et ju
diciaire, ou bien à la réquisition de toute
partie intéressée, que le décret du 1 er avril
1811 (art. 3) faisait saisir les savons qui por
taient une fausse marque. Il en était de
même, aux termes d'un autre décret du 22
décembre 1812, relativement à la contrefa
çon de la marque des draps.
Dans la pratique", l'industrie et -le com
merce, si j'en crois tous les renseigriemens
qui me sont donnés, sont loin de trouver au
jourd'hui près des autorités.une sembla
ble protection. Rien de plus difficile d'a
bord, m'assure-t-on, que de saisir le^corps
du délit, c'est-à-dire, les marchandises
contrefaites. L'intermédiaire chargé de la
vente de ces contrefaçons, soit dans son ma
gasin, soit sur des marchés étrangers, se re
fuse à toute déclaration ; mais les difficultés
sont plus grandes encore lorsqu'il s'agit de
pénétrer dans le domicile de celui qui con
trefait. . . .
Aujourd'hui, la contrefaçon se fait sur une"
grande échelle, donne de gros bénéfices,,
et, la plupart du temps, ceux qui s'y livrent
sont, dans leur ville, entourés d'une cer
taine considération; ils comptent de nom
breux amis, et l'industriel,.le commerçant,
qui -arrivent inconnus dans celte localité
pour s'y faire rendre - j ustice , n'y trou- "
vent aucun appui de la part des autorités
administratives ou j udiciairës.
Mais enfin, nous admettons que l'affaire
s'instruit et qu'elle soit soumise à la juridic
tion des tribunaux de commerce. Certes, les
tribunaux de commerce montrent dans ces
affaires une certaine sévérité, mais qui ce-
pendant est bien rarement de nature à dé
courager la contrefaçon. Celai que le décou
ragement atteint, .c'est plutôt l'industriel; le
commerçant dont les marques sont contre
faites, et qui, pour obtenir un jugement en
sa faveur, est toujours obligé d'ajouter de
grandes pertes de temps à de grosses som
mes d'argent pour frais de poursuites.
Je viens donc proposer un nouveau tim<-
bre-marque, qui représenterait tout à la fois
une active protection pour l'industrie et le
commerce et un nouvel impôt pour le tré
sor public. Ce timbre-marque ne po errait
garantir ni la qualité ni la quantité des
marchandises ; il sera seulement le con
trôle officiel des marques de fabrique ou de
la signature sociale de chaque industriel,
T FEUILLETON DU CONSTITUTIONNEL, S AOUT.
EÔÎS ET PMCES JOURNALISTES.
(â* article.)
Be la révolution data l'ère de l'émancipa
tion et de 1 1 puissance du journalisme ; tout
l'a prouvé, et cependant, ayant déjà touché
à quelques-uns des abus qui l'ont discrédité
depuis, il était des lors considéré par quel
ques bons esprits comme un pouvoir ver
moulu et prêt à crouler. M. Necker, par
exemple, en jugeait ainsi. Dans le livre
que sa fille publia à Genève, en 1813, sous le
titre de Manuscrits de M. Necker, nous lisons
au paragraphe 13, les J ournalistes : « Vous
écrirez contre un tel auteur, contre une telle
secte, plus encore contre un tel gouverne
ment, contre une telle nation — et le jour
naliste obéit. Est-ce là une fonction honora
ble? Non sûrement ; nyiis le public n'a pas
'encore pris la chose au sérieux. 11 y a du lu-
v sàrd à tout.» Convenez qu'il y a du vrai dans
cette phrase brutale ; mais ce vrai, si M. Nec-
Iser le trouvait sous sa plume avant 89, c'é
tait plutôt par prévision de l'avenir que
par conviction dtf présent. Le journal n'é-
• tait pas. encore, assez grand garçon en ce
temps-là pour prendre ces allures, pour s'é
battre en ces licences du franc-parler et de
ces opinions à tort et à travers auxquelles il
s'est tant abandonné depuig, et que M. Nec-
lier lui reproche trop tôt. 11 n'avait pas en
core brise ses langes, sa voie n'était pas
frayée, sa carrière n'éiait pa5 ouverte ; pour
qu 'il y entrât, il lui fâllaH la brèche d'un
trôae.
Louis XVI le vit grandir et marcher, mais
il ne sut pas le suivre, ou plutôt prendre le
devant sur lui, et il en fut écrasé. Comme
homme il n'avait pas assez de force, comme
écrivain assez d'esprit et de véhémence pour
diriger ce premier essor de la presse politi
que.
Afin de lutter avec avantage contre les
réactions terribles et les violences de ces
temps violens, il eût fallu un rei d'une vo
lonté assess ferme, d'un talent assez énergi
que pour se montrer suivant les circonstan
ces, ici, à la têle des braves gens que l'intérêt
de Sa cause avait armés; là, commandant
par l'exemple à ceux qui, laplunleeo main,
protégeaient la royauté. On ne l'avait pas
vu marcher avec sa garde suisse au 10
août; il ne parut pas davantage dans les
rangs de la presse militante. Comme il
avait laissé' Màury et Gazales le "défendre
à la tribune, sans ajo'uter une seule parole
éloquente à leurs paroles éloquentes , il
"laissa, sans y aider davantage, Audré Ché-
nier, le chevalier de Lange, Cheron, Rou-
cher et Lacretelle le jeune lui prêter dans
les journaux royalistes le généreux appui
de leur talent et de leur courage.
Chaque matin, le Journal de la Société de
1789, et le Supplément du Journal de Paris,
n'etaient remplis que d'articles inspirés par
l'intérêt de la cause royale; et jamais pour
tant une seule ligne écrite par la main du
roi n'y fut insérée; jamais non plus une-
seule note réellement emanée de lui dans.la
feuille courageuse dont les numéros, deve
nus aujourd'hui introuvables, parurent de
puis» les premiers mois de 1790 jusqu'à la
clôture de l'Assemblée constituante, et qui
s'était donné avec cette épigraphe : a Un seul
Dieu, un seul roi,» ce titre non moins signi
ficatif -.Journal de Louis XVI et de son peuple,
ou le Défenseur de l'autel, du tr ône et'de la pa
trie.
Tous ces journaux monarchiques étaient
une libre arène où tous les preux du roya
lisme menacé entraient en lice hardiment,
mais où manquait toujours l'homme le
plus intéressé dans ces luttes, celui qui eût
dû s'élancer en avant et rompre la première
lance.
En 1792, après la journée du 10 juin qui
livra Louis XVI à tous las outrages d'une
population furieuse, les plus fidèles conseil
lers du roi l'exhortèrent à une démarche
éclatante, en l'engageant à se rendre en per
sonne au sein de l'Assemblée nationale. Un
discours éloquent et vigoureux, sévère et
fortement pensé, fut jugé d'urgence dans
cette grave circonstance, et,cette fois encore,
Louis XVI la'ssa à une plume étrangère le
soin de rédiger cette mâle harangue. C'est
André Chénier qui l'écrivit ; puis, quand la
résolution toujours variable du roi eut
fait avorter le projet de visite à l'Assemblée
nationale, quand-une proclamation de Louis
XVI fut jugée suffisante, c'est encore André
Chénier qui fut chargé de la rédiger et d'y
résumer la pensée de son précèdent dis
cours.
Enfin, au dénoûmentde ce drame t errible
4e la vie de Louis XVI, après le v erdict régi
cide laucé par la. Convention , c'est encore
André Ch^nièr. il poète-orateur, le journa
liste sublime, qui paraît à la place du royal
condamné sur la brèche de son trône dé
truit.
Il faut encore faire parler Louis XVI, il -
faut écrire pour lui aux députés de la Con
vention ; et devant eux, sous le coup de leur
sentence,,en appeler pour le roi au juge
ment du peuple français. André Chénier as
sume encore une fois ïes périls de c< tte no
ble tâche. L'éehafaud qui s'élève déjà pour
Louis XVI, et qui restera debout pour punir
son dernier détenseur, ne lui inspire aucun
effroi ; il a foi dans la justice de la cause à
laquelle il se dévoue, et il écrit sans peur.
« Ce n'est point, dit-il, parlant toujours au
nom du roi, ce n'est point le désir de con
server des j ours bi en malheureux qui m'enga
ge à cette démarche, quoique je ne fusse pas
insensible au plaisir de montrer aux Fran
çais, dans une vie privée, que le trône ne m'a
point corrompu, autaut qu'on a voulu le
Jeur persuader; mais je pense qu'outre l'é
ternelle équité qui l'exige, l'honneur delà
nation, le vôtre, est intéressé au succès dé
cet appel. Alors seulement, et la nation
elle-même, et vous et moi, et le monde
entier, et la postérité pourront savoir avec
certitude si les'Français en veulent à la
vie d'un homme qui fut leur roi, qui a pu
se tromper souvent, mais qui n'a jamais
voulu que le bonheur- de ses concitoyens, et
qui, loin dé mériter qu'on lui impute des
projets sinistres et des ordres sanguinaires,
ne serait peut-être pas réduit à l'état où il se
trouve aujourd'hui s'il n'avait pas toujours
eu en horreur de verser du sang.'Je pense
enfin, Messieurs, que le refus d'une demande
aussi juste et aussi simple pourrait inspirer
aux autres plus de doute que je n't nai moi-
mêmS sur l'inipartialitéde voire jugement.»
Dans la famide de Louis XVI, un seul prin
ce, le comte de Provence, avait consacré au
journalisme quelques-uns de ses loisirs. Mais
au temps dont nous parlons, cette occupation
n'était déjà pour .lui qu'un délassement
futile et pas du tout' l'objet d'une étude sé
rieuse. Ce futur monarque constitutionnel
n'était alors épris que de choses légères, il
n'avait de passion qije pour les à-propos mis
en vers, il n'avait de rêves que pour les poé-
siesd'almanach. Il éparpillaitau vent de tou
tes les petites publicités ses petites rimes et
ses petits articles. Nous le savons positive
ment par l'abbé SJuiavie, mais mieux en
core par les Souvenirs d'un sexagénaire, de
l'académicien Arnault, qui^fut long-temps
secrétaire de son cabinet. L'a chose la plus
curieuse que nous ayons apprise par crtte
dernière révélation quelque peu indiscrète,
c'est que le can-ird, le vrai canard renforcé,
tel qu'on n'ose plus le faire, le canard-vam
pire, le canard-monstre marin est une inven
tion'du royal mystificateur. Depuis, il n'a
rien inventé que la Charte, mais, cette fois,
avec brevet et garantie du gouvernement.
« De tout temps, écrit Arnault. ce prince
rechercha ' les succès littéraires,'faisant de
l'esprit sous l'anonyme dans les journaux,
comme on en fait .au bal sous le masque. Il
glissait de temps à autre, soit dans la Ga
zette de France, soit dans le Journal de Paris,
de petits articles, de petites iettres, dans les
quels il attaquait à la sourdine tel homme
qui ne s'y attendait guère, sauf à sé venger
en prince de l'impudent qui l'attaquait com
me auteur.
» Il aimait beaucoup à s'amuser de la
crédulité parisienne. La description de eet
.animal fantastique qu'on disait, en 1784,
avoir été trouvé dans le Chili, est de son in-
' vention ; c'est un fait de son génie que l'ar
ticle où l'on proposait d'ouvrir une sous
cription en faveur de cet, ouvrier de Lyon
qui marchait sur l'eau. »
Nous avons cherché dans les écrits du
temps les traces de ces mystifications et nous
les avons retrouvées dans les plus sérieux.
Grimm a parlé de" l'homme qui marche sur
l'eau, et après une assez longue fouille, nous
avons pu-exhumer de cet immense ossuaire
politique et littéraire qui a nom le Journal
de Paris, la description aujourd'hui momi
fiée du monstre du Ghili. Ce canard, de royale,
couvée, mérite bien de revoir le jour; nous'
allons donc vous l'exhiber tout armé, ungui-
bus et rostro.
«Des chasseurs espagnols, au Chili, ont
découvert un animal amphibie qu'ils ont
réussi à prendre avec des filets, et qu'ils
conservent en vie : ils lui ont donné le nom
de Harpie. La représentation de la figure de
cet animal a été envoyée à la cour de .Ma
drid, d'où on l'a fût pisser en France, et
elle commence à circuler dans le public.
L'habitude de ce monstre ressemble en quel
que sorte à celle du" sphinx, en ce que le
tra ; n de derrière est liorizoutal sur la terre,
et la tra'n de devant est debout. Si hauteur,
depuis la ventre jusqu'à'l'extrémité de la
tôt!', est de quinze pieds, et sa longueur, de
puis deux espèces de pattes d'oie 'qui sou
tiennent le devant jusqu'à l'extrémité des
queues, est de vingt-dtux pieds. La partie
supérieure est couverte d'un poil rude, et la
forme du corps ressemble à celle de l'hom
me. Du tronc s'élève une tête fort extraor
dinaire, couverte d'une crinière qui pend
des di-ux côtés. La tête, au premier aspect,
offre la ressemblance d'un lion , mais com
me la face est entièrement aplatie, on y re
connaît bientôt celle d'un singe. Une
gueule extrêmement ouverte et avancée
lui donne un air de voracité qui est ef
frayant. Des deux côtés de la tête s'élèvent,
à une certaine hauteur, deux grandes oreil-,
les pointues et velues, comme celles d'un
âûe. Au dessus de ces oreilles sont deux cor
nes tortues, comme celles du taureau, et
au dos de cet animal, vers la hauteur ordi
naire de ses épaules sont placées deux ailes
très fortes, qui ont, au lieu de plumes, des
membranes pareilles à celles des 'ailes de
chauves-souris. Toute cette partie «supé
rieure de 1'aniir.al est soutenue par les deux
pattes d'oie placées un peu en avant du mi
lieu du corps. La partie inférieure ressem
ble à celle du phoque, excepté qu'elle est
couverte de grosses écailles. A deux pieds
environ des pattes est placée une Seule na
geoire, qui s'agite verticalement dans l'eau,
et .qui, sur terre, augmente la rapidité de la
marche de l'animal, de concert avec les ai-~
les, dont il fait usage lorsqu'il poursuit sa
proie. La partie inférieure se termine en
deux queues;„dont l'une, ayant des articu
lations jusqû'àYextrémité, peut envelopper
la proie de l'animal, et l'autre finit par un
dard très pointu, avec lequel, dit-on, il la
perce. » '
Voilà un monstre des mieux conformés
et pas trop mal léché, il faut en convenir; le
Père Bougeant n'aurait pas mieux fait, lui
qui, si long-temps, en avait eu le monopole,
et qui, chaque fois qu'il avait besoin d'ar
gent pour acheter du café ou du tabac, se
disait, sûr de son fait : « Je vais faire un
monstre qui me vaudra un louis. »
- Revenu "en France et peu gêné par son ti
tre de roi qu'il porta, comme on sait, assez
bourgeoisement, Louis XVlIt n'eut rien de
plus pressé que de reprendre stis petites ha
bitudes littéraires. Il tenait à faire voir que
sa plume était toujours finement taillée et
que la pointe ne s'en était pas émoussée dans
l'exil. Le monstre était déjà une spécialité
usée, il s<\farda donc bien de lé ressusciter;
il fit mieux, il styla quelques jolis articles
bien aiguisés et bien mé.chans, et, pour les
envoyer à leur véritable adresse de notes
fines et spirituelles, il les fit jeter dans la
botii he de fer du Nain jaune. Il est bien en
tendu qu'il gardait l'anonyme, mais avec le
vif désir que son esprit le trahît tout d'a
bord et fît dire : « Voilà qui est bien mé
chant : ce doit être du roi. » <
M. Merle, qui dirigeait alors le Nain jaune,
en compagnie deM.Cinchois-Lemaire, nous
a .révélé le seciet de cette collaboration de
Louis XVlIf, dans l'un des trop rares frag-
mens qu'il a publiés de ses Trente ans de
Souvenirs historiques, littéraires et politiques:
a La pensée du. Nain jaune, écrit-il, fut de
nous moquer des ridicules de tous les partis,
de flétrir toutes les lâchetés et toutes les dé
fections, de relever la gloire de la France
en présence des baïonnettes étrangères, et
de rire aux dépens des prétentions exa
gérées... Dans ces «ttaques , nous avions
pour auxiliaire Louis XVIII, qui fut un de
nos premiers abonnés, qui lisait avec em
pressement tous nos numéros, qui en riait de
bon cœur, et gui nous envoya plusieurs fois
des articles très bien tournés, fort spirituels
et passablement malins, écrits de sa main
royale, et dont il nous fut aisé de reconnaî
tre l'auteur, en comparant l'écriture à celle
des notes qu'il nous avait fait remettre par
M. de Talleyrand pour lis lettres du Cou:,m
et de la Cousine. Ces articles nous arrivaient,
par la bouche de fer ; -nous avions donné ce
nom à une boîte que nous avions fait placer
à la porte du cabinet littéraire de M.. Cau-
chois-Lemaire ; par cette voie, nous avons
reçu une foule d'articles très remarquables
qui donnaient une grande réputation d'es
prit et de malice au Nain jaune, et rendaient
notre part de rédaction aussi légère que fa
cile. »
Le retour de l'île d'Elbe mit fin brusijue-
meijt aux loisirs gazetiers de Louis XYIIf •
c'est une plume plus vigoureuse qui reve
nait, une plume vraiment souveraine, aussi
fortement trempée que l'épée maniée par la-
même main, et ce n'est pas dans les jeux d'es
prit du Nain jaune ou de l 'Almanach des Mu
ses qu'elle allait s'exercer; c'esUsur les larges
! âges du Moniteur qu'elle allait creuser son
nouveau, sillon.
Pour Napoléon, il n'y ,avait jamais ea
qu'un seul,vrai journal, c'est celui-là; et
pour ce journal il n'y avait qu'un seul vrai
rédacteur, c'était lui. Il em«odait le jourpa-
mmmMm : rue de Vatois tr&lais -Itoyal); n* l©;]
1-852«—JEUDI 5 AOUT.
»ais; ïjs t.' £»oi»»iK&&*;sesn
Ï-AR1S....... *8"*. PAH TfilMKSTKSi
PART KM SUS. 18 F. —
UN NUMÉRO : *0 CENTIMES.'
pons ï.bs pays ÉTKAMâEKS, «6 reporter
-au tableau qui sera publié dans le iouroîii
les 10 et SS de chaque molïj
Les abcnncmens datent des 1« et 16
de chaque moisi
JOURNAL POLITIQUE, LITTÉRAIRE, UNIVERSEL.
S 'adresser , franco, pour la rédaction, A M. CtJCHïVAX-CkAJaiGNY/ rédacteur en chef, j On s'abonne, dans les départ ersv s<, aux ?i aux Oirectimt 4e poste.—-A Londret, ekes MM. Cosvi® et filsï | S'adresser, franco^ pour l'administration, à M. D ïnaim, direct]
' Les articles déposés ne sont pas rendus ! : * —A àtrnsbrtrg, chez M, AtSUHDBX, All»n
PAUîS, 4 AOUT.
LA FRANCE NOUVELLE-
\
HES FIWAllCaES.-
- ni.
industrie. — commerce. — la contrefaçon
a l'intérieur et a l'étranger.
NOUVEL IMPOT FACULTATIF.
timbre-marque:
L'industrie et le commerce ont aussi leurs
annales, leurs anciens codes utiles à consul
ter. Il y a beaucoup à prendre dans le passé
auprofitdu temps présent.
Lors de l'affranchissement des communes,
la bourgeoisie, l'industrie et le commerce,
émancipés, furent constitués hiérarchique
ment en corporations.
a L'artisan fut, pour ainsi dire, attaché à
la glèbe de l'atelier, eomme le-manant l'é
tait à la glèbe de l'agriculture. La terre
avait ses seigneurs et ses vassaux ; l'indus
trie eut ses maîtres et ses apprentis (1). »
. Sous ce régime des corporations, des ju
randes et des maîtrises, tout travail indus
triel, tout commerce/était réglé, surveillé,
inspecté. Les marques de fabrique et de com
merce eurent alors un double but. Elles in
diquaient l'origine du produit et garantis
saient l'origine de la marchandise. C'était à
la fois la signature du marchand et le certi
ficat, le contrôle, de l'autorité publique.
Ces marques furent d'abord un bienfait
pour la moralité, du commerce et de l'indus
trie, pour la sûreté des transactions. Etienne
Boyleau, garde de la prévôté, chargé par
Louis IX de rédiger une charte pour cette
naissante société industrielle, disait, dans
cette charte : a Nous avons voulu, pour le
profit de tous, mêmement pour les pauvres
et pour les étrangers, ' que la maçphandise
soit si loyale qu'ils n'en soyent déçus, et que
le marchand n'en perçoive de vilain gain,
contre Dieu, contre droit et contre raison. t>
Mais les mœurs et l'esprit des institutions
s'altèrent. Ces marques devinrent bientôt dés
entraves et des charges. L'industrie et lé
commerce, furent rançonnés et ne. furent
plus libres qu'en payant.
£ « Alors, dit un économiste, il était défen
du aux lilandiers de mêler le 111 de chanvre
i
au fil de lin. Le boulanger, privilégié du roi,
pouvait vendre du poisson de mer, de la
chair cuite et des dattes. Le coutelier n'avait
pas le droit de faire le inanche de ses .cou
teaux; le faiseur d'écuelles n'aurait pas pu
se permettre de tourner une cuiller de bois.
La seule profession de chapelier comptait
cinq métiers différens. »
, L'industrie, long-temps persécutée par
une législation tyrannique et fiscale eut sa
révolution. La loi du 17 mars 1791 pro
* Voir les numéros des 8, 15 et 22 juillet.
(1) Rapport de M. Drouyn de Lliuys, député,
sur Je» marques de fabrique et de commerce. 1847.
clama la liberté de l'industrie et abolit les
corporations, les jurandes et les maîtrises.
Les marques de fabrique disparurent, ,
Sous ce régime nouveau la liberté dégéné
ra en licence, et il f :.t bientôt, constaté jjue
si les marques d laDrique, les marques com
merciales ne pouvaient plus être un moyen
de contrôle, de vérification, de surveillance
réglementaire, de garantie pour la cfualité
de la marchandise, elles pouvaient encore,
dans certaines limites et sous certaines "con
ditions, représenter une garantie importan
te, soit pour les consommateurs, soit pour
l'industrie et le commerce.
De là, de nouvelles lois.
La loi du 22 germinal an XI appliqua à\îa
contrefaçon des marques de fabrique les
peiaes.portées contre le faux en écriture pri-
' vée, et vint établir que nul ne pourrait for
mer une action en contrefaçon de sa marque
s'il n'en avait préalablement déposé la mo
dèle au greffe du tribunal de commerce.
Les articles 142 et 143 du Code pénal por
tèrent des peiaes contre celui qui contrefait
les sceaux, timbres ou marques d'un • éta
blissement particulier. „
La loi du 28 juillet 1824 modifia les péna
lités et appliqua les peines correctionnelles
portées en l'article 423 du Code pénal :
1* A toute personne qui aura, soit apposé,
soit fait apparaître sur des objets fabriqués
le nom ou la raison sociale d'un fabricant
autre que celui qui en est l'auteur, ou le
no^n d'un lieu aubre que celui de la fabrica
tion;
2* A tout marchand, commissionnaire ou
débitant qui aura sciemment exposé en ven
te ou mis en circulation des objets marqués
de noms supposés ou altérés.
A côté de ces lois d'un caractère général
nous trouvons diverses ' dispositions spé
ciales:
Pour la quincaillerie et coutellerie , un ar
rêté du 23 nivose an XI ;
Pour la fabrique des savons, les décrets des
1" avril 1811,18 septembre 1811, 22 dé-_
cembrel8I2;
Pour la fabrique des draps, les décrets du
21 septembre 1807, du.25 juillet 1810, du
22 décembre 1812 ( tous trois, au surplus,"
restés sans exécution). "•
Depuis long-temps des plaintes s'élèvent
de toutes parts contre l'obscurité, la com
plication et surtout contre l'impuissance de
ces lois.
Le conseil général des manufactures, les
conseils généraux de la Seine et de plusieurs
autres départemens, les chambres de com
merce, la société d'encouragement, le con
grès scientifique de Reims, la société indus
trielle de Mulhouse, enfin les organes le®
plus accrédités de l'industrie et d.u com
merce ont réclamé des garanties nouvelles
aussi bien dans l'intérêt" dû consommateur
que dans celui des fabricans.
L'illustre Berthollet, inspecteur des ma
nufactures, disait : « Il est important de
s préserver le commerce des infidélités qui
»• peuvent affaiblir la confiance dont il a be-
» soin, et il serait conforme à ses intérêts
» de pouvoir assigner le titre des produits
»' de l'industrie comme celui de l'or et de
» l'argent. »
Dans les deux chambres, des plaintes se'
firent entendre contre les scandafes de la
contrefaçon à l'intérieur et à l'extérieur ;
et le 30 janvier 1844 M. le général Paixhans
présenta ufle proposition conçue en ces
termes : a Un règlement d'administration
publique déterminera les inspections et con
trôles, marques de fabrique et autres ga
ranties facultatives ou obligatoires, auxquelles
seront soumis les produits nationaux, desti
nés, soit au commerce intérieur, soit à l'ex
portation. Ce règlement, avec les disposi
tions pénales qu'il, devra renfermer, sera
présenté aux chambres dans leur prochaine
session. »
La proposition fut retirée, sur la promes
se du ministère d'alors que, dans la prochaine
session, un projet de loi serait présenté, éta
blissant une législation nouvelle sur les
marques de fabrique, facultatives ou obliga
toires.
Ce projet de loi fut porté devant la cham
bre des pairs, d^ns le cours de la session de
1845.
M. le baronDupinfut nommé rapporteur.
La discussion n'eut lieu qu'en 1846. Aux
termes de ce projet de loi, en vingt-trois ar- \
ticles, voté par la chambre des pairs, les
marques de fabrique étaient facultatives.
Ce projet de loi résume, coordonne et
complète des disposions empruntées à dif
férentes époques.
Voici, en peu de mots, l'analyse de ce
projet :
L'article 1 er reconnaît à tout manufac
turier ou commerçant, le droit d'apposer
des marques particulières sur les produits
de sa fabrication ou sur les objets de son
commerce, et indique ce qu'il faut com
prendre sous la dénomination de marque.
A ce droit correspond la défense d'employer
une marque distinctive déjà adoptée par un
autre fabricant ou commerçant (art. 5).
Les art. 6, 7 et 8 sont relatifs à la marque
collective. Le producteur qui emploie cette
marque doit toujours indiquer.son nom ou.
sa raison sociale, afin qu'il ne puisse faire
peser la responsabilité de ses produits sur
toute l'industrie d'une localité.
Quiconque veut s'assurer la propriété d'une
marque, doit en faire le dépôt.
Le titre II traite des pénalités et des juri
dictions. Seront punis d'une amende de 100
à 2,000 fr., et d'un emprisonnement d'un
mois à un an, ou de l'une de ces deux peines
seulement, sans préjudice de la confiscation
et des dommages-intérêts •-1° ceux qui au
ront usurpé, altéré ou contrefait une mar
qué; 2° ceux qui, à côté de 1 indication du
lieu de fabrication; n'auront pas insci A sur
leurs produits leurs marques particulières ; '
3* ceux qui auront insciit sur leurs pro
duits le nom d'un lieu autre que ctlui de la
fabrication ; 4" les complices de ces mêmes
délits; 5» ceux qui,"par l'emploi frauduleux
de marques-industrielles ou commerciales,
auront trompé l'acheteur sur la nature, l'ori
gine ou la qualité de toutes marchandises.
Cette dernière disposition ést l'utile com
plément de l'art. 423 du Code pénal, qui,
en pareil cas, ne punit que la tromperie
sur 3a quantité ou sur la nature des mar
chandises.
Mais dans son rapport du 21 juillet 1845,
M. le baron Dupin regrettait vivement que
le projet de loi restât muet sur les moyens
d'atteindre la fraude des produits destinés à
l'exportation. « Le commerce de la France,
disait-il, a reçu des dommages incalculables
par la mauvaise foi de certains fabrieans in
dignes du nom français. Afin d'obtenir des
gains illicites, ces fraudeurs éhontés s'empa
rent de toutes les apparences, de toutes les
marques qui peuvent confondre lés produits
de b.as aloi et les produits fabriqués avec le
plus de soin et le plus de conscience. »
Le 1T février 1847, le projet de loi voté
par la chambre des pairs fut porté à la cham
bre des députés.
Ce ne fut que le 15 juillet 1847 que M.
Drouyn de Lhuys déposa son rapport sur
ce projet de loi à la chambre des députés.
La commission et le rapport avaient intro
duit dans la loi le principe de la marque
obligatoire pour certains produits qui se-
- raient désignés par des-ordonnances royales.
Dans ce projet de loi , il ne fut point
fait droit à ces vœux exprimés dans la
chambre des pairs, que des moyens répres
sifs fussent proposés contre les fraudes du
commerce d'exportation.
Ce projet de loi, impérieusement récla
mé de toutes parts, au nom de l'industrie
et du commerce, sur les marques de fabri
que, contre la contrefaçon à l'intérieur et à
l'extérieur, ne put être discuté ni voté à la
chambre des députés, et nous sommes en
core, pour les graves intérêts de. l'industrie
et du commerce, engagés dans cette question, !
sous l'empire de cette législation incom
plète, insuffisante, obscure, tombée en 'dé
suétude, éparse çà et là dans les Codes de la
République, de l'Empire et de la Restaura-
lion.
Nous permettra-t-on de citer ici quelques
faits entre mille, pqur prouver combien il
serait urgent de mettre un terme aux frau
des de la contrefaçon, qui portent de si gra
ves préjudices aux commerçms honnêtes,
aux fabricans qui se respectent, et à tout le
commerce français sur les marchés étran
gers?
Les toiles peintes de Saxe, de basse qua
lité, sont vendues pour des étoffes de Mul
house.
Les- soieries et les rubans de Suisse sont
vendus pour des soieries et des rubans de
Lyon, de Nîmes et de Saint-Etienne.
Les aiguilles de plus basse qualité, d'Aix-
la-Chapelle, sont vendues sous le nom et
sous la marque de nos premiers fabricans
(feLaigle.
Les châles que l'on vend comme châles
cachemires sont le plus ordinairement des
cliàles dans la fabrication desquels il n'est
entré que dé la laine ordinaire, du coton ou
de la bourre de soie.
Des pièces de calicot, fortemënt apprê
téès, sont constamment vendues pour de la
•toiley-jen un mot. à Paris,' en France et à l'é
tranger, la fraude se fait non seulement sur
les qualités, mais encore sur 1rs quantités.
Ainsi, des pièces de rubans vendues pour 25
mètres n'en ont souvent que 20.
Dans des caisses de vins français, certains
expéditeurs mettent des bouteilles vides ou
des bouteilles cassées.
Ces scandales, ces abus, 'ces fraudes, dé
passent toute mesure, et nous souffrons d'ê
tre contraints de leur donner ici une nou
velle publicité.
Je lis dans un o,uvrage de M. Nougarède de
Fayet, 4éputé (1) : « Colbert, qui avait or-
» ganisé pour le commerce tant de bonnes
» et utiles institutions; et dont on suit si peu
» aujourd'hui les exemples et les préceptes,
» s'était efforcé de remédier à ce malheu-
• t
» reux entraînement d'esprit des Français,
b qui fait que quelques individus ne se
» font aucun scrupule de déconsidérer,
» pour un faible intérêt, toute une- na-
» tion ; il avait établi , à cet effet, qu'à
» la sortie de France, toutes les marchan-
» dises exportées seraient examinées et les
» ballots et paquets marqués d'une'estam-
» pille constatant leur contenu.
» Cette mesure, conservatrice de la sûreté
» du commerce existe dans plusieurs pays,
» aux Etats-Unis, en Suède, dans d'autres
» encore, et -partout on en obtient les plus
» heureux résultats. Elle a duré en.France
» jusqu'à la révolution. A cette époque, elle
» fut détruite sous prétexte de la liberté du
» commerce. »
Un décret impérial du 21 septembre 1807,
demeuré sans exécution, avait établi une es
tampille facultative et un contrôle pour ga
rantir la bonne fabrication des produits des
tinés au Levant.
Peut-on nier l'urgence de reprendre les
travaux de la chambre des pairs de 1846 et
de la chambre des députés de 1847, travaux
qui n'ont été-suspendus et qui ne sout restés
sans, résultat que devant cette impérieuse
nécessité de faire la révolution de 1848 ?
On peut nous dire : Il existe une legisla-,
tion contre la contrefaçon, contre la fraude
en matière d'industrie et de commerce; qu'on
l'applique avec sévérité. ' i
Il nous sera facile de montrer que cette
législation est aujourd'hui frappée d'impuis
sance, et devient pour l'industriel et le com
merçant honnêtes, dont on contrefait les
marques de fabrique et les produits, une
cause de perte de temps et d'argent qui vien
nent s'ajouter aux préjudices de la contre
façon.
La contrefaçon suit pas à pas les dévelop-
pemeus et les progrès de l'industrie et- du
commerce. ' . ■
Tout industriel, tout commerçant dont les
bons produits d'un prix modéré sont re-
(I) Lettres sur l'Angleterre et sur la France,
3- vol.
cherchés à l'intérieur et sur les
étrangers, est, au bout de peu dé temps, con
trefait; ses produits sont imités, falsifiés
(contrefaçon et falsification sont sœurs) ;
marques de fabrique, signature commer
ciale, marques distinctives de. toutes natu
res sont contrefaites. •
/
Les officiers de policé, suivant l'article 8 .
du décret du 8 septembre 1810, sont tenus
d'effectuer la saisie des ouvrages dont la
marque aura été contrefaite, sur la présen
tation du procès-verbal de d.épôt au tribu
nal de commerce et sur la simple réquisi
tion du propriétaire dé cette marque. C'est
à la diligence des prud'hommes ou de tout
autre officier, de police municipale et ju
diciaire, ou bien à la réquisition de toute
partie intéressée, que le décret du 1 er avril
1811 (art. 3) faisait saisir les savons qui por
taient une fausse marque. Il en était de
même, aux termes d'un autre décret du 22
décembre 1812, relativement à la contrefa
çon de la marque des draps.
Dans la pratique", l'industrie et -le com
merce, si j'en crois tous les renseigriemens
qui me sont donnés, sont loin de trouver au
jourd'hui près des autorités.une sembla
ble protection. Rien de plus difficile d'a
bord, m'assure-t-on, que de saisir le^corps
du délit, c'est-à-dire, les marchandises
contrefaites. L'intermédiaire chargé de la
vente de ces contrefaçons, soit dans son ma
gasin, soit sur des marchés étrangers, se re
fuse à toute déclaration ; mais les difficultés
sont plus grandes encore lorsqu'il s'agit de
pénétrer dans le domicile de celui qui con
trefait. . . .
Aujourd'hui, la contrefaçon se fait sur une"
grande échelle, donne de gros bénéfices,,
et, la plupart du temps, ceux qui s'y livrent
sont, dans leur ville, entourés d'une cer
taine considération; ils comptent de nom
breux amis, et l'industriel,.le commerçant,
qui -arrivent inconnus dans celte localité
pour s'y faire rendre - j ustice , n'y trou- "
vent aucun appui de la part des autorités
administratives ou j udiciairës.
Mais enfin, nous admettons que l'affaire
s'instruit et qu'elle soit soumise à la juridic
tion des tribunaux de commerce. Certes, les
tribunaux de commerce montrent dans ces
affaires une certaine sévérité, mais qui ce-
pendant est bien rarement de nature à dé
courager la contrefaçon. Celai que le décou
ragement atteint, .c'est plutôt l'industriel; le
commerçant dont les marques sont contre
faites, et qui, pour obtenir un jugement en
sa faveur, est toujours obligé d'ajouter de
grandes pertes de temps à de grosses som
mes d'argent pour frais de poursuites.
Je viens donc proposer un nouveau tim<-
bre-marque, qui représenterait tout à la fois
une active protection pour l'industrie et le
commerce et un nouvel impôt pour le tré
sor public. Ce timbre-marque ne po errait
garantir ni la qualité ni la quantité des
marchandises ; il sera seulement le con
trôle officiel des marques de fabrique ou de
la signature sociale de chaque industriel,
T FEUILLETON DU CONSTITUTIONNEL, S AOUT.
EÔÎS ET PMCES JOURNALISTES.
(â* article.)
Be la révolution data l'ère de l'émancipa
tion et de 1 1 puissance du journalisme ; tout
l'a prouvé, et cependant, ayant déjà touché
à quelques-uns des abus qui l'ont discrédité
depuis, il était des lors considéré par quel
ques bons esprits comme un pouvoir ver
moulu et prêt à crouler. M. Necker, par
exemple, en jugeait ainsi. Dans le livre
que sa fille publia à Genève, en 1813, sous le
titre de Manuscrits de M. Necker, nous lisons
au paragraphe 13, les J ournalistes : « Vous
écrirez contre un tel auteur, contre une telle
secte, plus encore contre un tel gouverne
ment, contre une telle nation — et le jour
naliste obéit. Est-ce là une fonction honora
ble? Non sûrement ; nyiis le public n'a pas
'encore pris la chose au sérieux. 11 y a du lu-
v sàrd à tout.» Convenez qu'il y a du vrai dans
cette phrase brutale ; mais ce vrai, si M. Nec-
Iser le trouvait sous sa plume avant 89, c'é
tait plutôt par prévision de l'avenir que
par conviction dtf présent. Le journal n'é-
• tait pas. encore, assez grand garçon en ce
temps-là pour prendre ces allures, pour s'é
battre en ces licences du franc-parler et de
ces opinions à tort et à travers auxquelles il
s'est tant abandonné depuig, et que M. Nec-
lier lui reproche trop tôt. 11 n'avait pas en
core brise ses langes, sa voie n'était pas
frayée, sa carrière n'éiait pa5 ouverte ; pour
qu 'il y entrât, il lui fâllaH la brèche d'un
trôae.
Louis XVI le vit grandir et marcher, mais
il ne sut pas le suivre, ou plutôt prendre le
devant sur lui, et il en fut écrasé. Comme
homme il n'avait pas assez de force, comme
écrivain assez d'esprit et de véhémence pour
diriger ce premier essor de la presse politi
que.
Afin de lutter avec avantage contre les
réactions terribles et les violences de ces
temps violens, il eût fallu un rei d'une vo
lonté assess ferme, d'un talent assez énergi
que pour se montrer suivant les circonstan
ces, ici, à la têle des braves gens que l'intérêt
de Sa cause avait armés; là, commandant
par l'exemple à ceux qui, laplunleeo main,
protégeaient la royauté. On ne l'avait pas
vu marcher avec sa garde suisse au 10
août; il ne parut pas davantage dans les
rangs de la presse militante. Comme il
avait laissé' Màury et Gazales le "défendre
à la tribune, sans ajo'uter une seule parole
éloquente à leurs paroles éloquentes , il
"laissa, sans y aider davantage, Audré Ché-
nier, le chevalier de Lange, Cheron, Rou-
cher et Lacretelle le jeune lui prêter dans
les journaux royalistes le généreux appui
de leur talent et de leur courage.
Chaque matin, le Journal de la Société de
1789, et le Supplément du Journal de Paris,
n'etaient remplis que d'articles inspirés par
l'intérêt de la cause royale; et jamais pour
tant une seule ligne écrite par la main du
roi n'y fut insérée; jamais non plus une-
seule note réellement emanée de lui dans.la
feuille courageuse dont les numéros, deve
nus aujourd'hui introuvables, parurent de
puis» les premiers mois de 1790 jusqu'à la
clôture de l'Assemblée constituante, et qui
s'était donné avec cette épigraphe : a Un seul
Dieu, un seul roi,» ce titre non moins signi
ficatif -.Journal de Louis XVI et de son peuple,
ou le Défenseur de l'autel, du tr ône et'de la pa
trie.
Tous ces journaux monarchiques étaient
une libre arène où tous les preux du roya
lisme menacé entraient en lice hardiment,
mais où manquait toujours l'homme le
plus intéressé dans ces luttes, celui qui eût
dû s'élancer en avant et rompre la première
lance.
En 1792, après la journée du 10 juin qui
livra Louis XVI à tous las outrages d'une
population furieuse, les plus fidèles conseil
lers du roi l'exhortèrent à une démarche
éclatante, en l'engageant à se rendre en per
sonne au sein de l'Assemblée nationale. Un
discours éloquent et vigoureux, sévère et
fortement pensé, fut jugé d'urgence dans
cette grave circonstance, et,cette fois encore,
Louis XVI la'ssa à une plume étrangère le
soin de rédiger cette mâle harangue. C'est
André Chénier qui l'écrivit ; puis, quand la
résolution toujours variable du roi eut
fait avorter le projet de visite à l'Assemblée
nationale, quand-une proclamation de Louis
XVI fut jugée suffisante, c'est encore André
Chénier qui fut chargé de la rédiger et d'y
résumer la pensée de son précèdent dis
cours.
Enfin, au dénoûmentde ce drame t errible
4e la vie de Louis XVI, après le v erdict régi
cide laucé par la. Convention , c'est encore
André Ch^nièr. il poète-orateur, le journa
liste sublime, qui paraît à la place du royal
condamné sur la brèche de son trône dé
truit.
Il faut encore faire parler Louis XVI, il -
faut écrire pour lui aux députés de la Con
vention ; et devant eux, sous le coup de leur
sentence,,en appeler pour le roi au juge
ment du peuple français. André Chénier as
sume encore une fois ïes périls de c< tte no
ble tâche. L'éehafaud qui s'élève déjà pour
Louis XVI, et qui restera debout pour punir
son dernier détenseur, ne lui inspire aucun
effroi ; il a foi dans la justice de la cause à
laquelle il se dévoue, et il écrit sans peur.
« Ce n'est point, dit-il, parlant toujours au
nom du roi, ce n'est point le désir de con
server des j ours bi en malheureux qui m'enga
ge à cette démarche, quoique je ne fusse pas
insensible au plaisir de montrer aux Fran
çais, dans une vie privée, que le trône ne m'a
point corrompu, autaut qu'on a voulu le
Jeur persuader; mais je pense qu'outre l'é
ternelle équité qui l'exige, l'honneur delà
nation, le vôtre, est intéressé au succès dé
cet appel. Alors seulement, et la nation
elle-même, et vous et moi, et le monde
entier, et la postérité pourront savoir avec
certitude si les'Français en veulent à la
vie d'un homme qui fut leur roi, qui a pu
se tromper souvent, mais qui n'a jamais
voulu que le bonheur- de ses concitoyens, et
qui, loin dé mériter qu'on lui impute des
projets sinistres et des ordres sanguinaires,
ne serait peut-être pas réduit à l'état où il se
trouve aujourd'hui s'il n'avait pas toujours
eu en horreur de verser du sang.'Je pense
enfin, Messieurs, que le refus d'une demande
aussi juste et aussi simple pourrait inspirer
aux autres plus de doute que je n't nai moi-
mêmS sur l'inipartialitéde voire jugement.»
Dans la famide de Louis XVI, un seul prin
ce, le comte de Provence, avait consacré au
journalisme quelques-uns de ses loisirs. Mais
au temps dont nous parlons, cette occupation
n'était déjà pour .lui qu'un délassement
futile et pas du tout' l'objet d'une étude sé
rieuse. Ce futur monarque constitutionnel
n'était alors épris que de choses légères, il
n'avait de passion qije pour les à-propos mis
en vers, il n'avait de rêves que pour les poé-
siesd'almanach. Il éparpillaitau vent de tou
tes les petites publicités ses petites rimes et
ses petits articles. Nous le savons positive
ment par l'abbé SJuiavie, mais mieux en
core par les Souvenirs d'un sexagénaire, de
l'académicien Arnault, qui^fut long-temps
secrétaire de son cabinet. L'a chose la plus
curieuse que nous ayons apprise par crtte
dernière révélation quelque peu indiscrète,
c'est que le can-ird, le vrai canard renforcé,
tel qu'on n'ose plus le faire, le canard-vam
pire, le canard-monstre marin est une inven
tion'du royal mystificateur. Depuis, il n'a
rien inventé que la Charte, mais, cette fois,
avec brevet et garantie du gouvernement.
« De tout temps, écrit Arnault. ce prince
rechercha ' les succès littéraires,'faisant de
l'esprit sous l'anonyme dans les journaux,
comme on en fait .au bal sous le masque. Il
glissait de temps à autre, soit dans la Ga
zette de France, soit dans le Journal de Paris,
de petits articles, de petites iettres, dans les
quels il attaquait à la sourdine tel homme
qui ne s'y attendait guère, sauf à sé venger
en prince de l'impudent qui l'attaquait com
me auteur.
» Il aimait beaucoup à s'amuser de la
crédulité parisienne. La description de eet
.animal fantastique qu'on disait, en 1784,
avoir été trouvé dans le Chili, est de son in-
' vention ; c'est un fait de son génie que l'ar
ticle où l'on proposait d'ouvrir une sous
cription en faveur de cet, ouvrier de Lyon
qui marchait sur l'eau. »
Nous avons cherché dans les écrits du
temps les traces de ces mystifications et nous
les avons retrouvées dans les plus sérieux.
Grimm a parlé de" l'homme qui marche sur
l'eau, et après une assez longue fouille, nous
avons pu-exhumer de cet immense ossuaire
politique et littéraire qui a nom le Journal
de Paris, la description aujourd'hui momi
fiée du monstre du Ghili. Ce canard, de royale,
couvée, mérite bien de revoir le jour; nous'
allons donc vous l'exhiber tout armé, ungui-
bus et rostro.
«Des chasseurs espagnols, au Chili, ont
découvert un animal amphibie qu'ils ont
réussi à prendre avec des filets, et qu'ils
conservent en vie : ils lui ont donné le nom
de Harpie. La représentation de la figure de
cet animal a été envoyée à la cour de .Ma
drid, d'où on l'a fût pisser en France, et
elle commence à circuler dans le public.
L'habitude de ce monstre ressemble en quel
que sorte à celle du" sphinx, en ce que le
tra ; n de derrière est liorizoutal sur la terre,
et la tra'n de devant est debout. Si hauteur,
depuis la ventre jusqu'à'l'extrémité de la
tôt!', est de quinze pieds, et sa longueur, de
puis deux espèces de pattes d'oie 'qui sou
tiennent le devant jusqu'à l'extrémité des
queues, est de vingt-dtux pieds. La partie
supérieure est couverte d'un poil rude, et la
forme du corps ressemble à celle de l'hom
me. Du tronc s'élève une tête fort extraor
dinaire, couverte d'une crinière qui pend
des di-ux côtés. La tête, au premier aspect,
offre la ressemblance d'un lion , mais com
me la face est entièrement aplatie, on y re
connaît bientôt celle d'un singe. Une
gueule extrêmement ouverte et avancée
lui donne un air de voracité qui est ef
frayant. Des deux côtés de la tête s'élèvent,
à une certaine hauteur, deux grandes oreil-,
les pointues et velues, comme celles d'un
âûe. Au dessus de ces oreilles sont deux cor
nes tortues, comme celles du taureau, et
au dos de cet animal, vers la hauteur ordi
naire de ses épaules sont placées deux ailes
très fortes, qui ont, au lieu de plumes, des
membranes pareilles à celles des 'ailes de
chauves-souris. Toute cette partie «supé
rieure de 1'aniir.al est soutenue par les deux
pattes d'oie placées un peu en avant du mi
lieu du corps. La partie inférieure ressem
ble à celle du phoque, excepté qu'elle est
couverte de grosses écailles. A deux pieds
environ des pattes est placée une Seule na
geoire, qui s'agite verticalement dans l'eau,
et .qui, sur terre, augmente la rapidité de la
marche de l'animal, de concert avec les ai-~
les, dont il fait usage lorsqu'il poursuit sa
proie. La partie inférieure se termine en
deux queues;„dont l'une, ayant des articu
lations jusqû'àYextrémité, peut envelopper
la proie de l'animal, et l'autre finit par un
dard très pointu, avec lequel, dit-on, il la
perce. » '
Voilà un monstre des mieux conformés
et pas trop mal léché, il faut en convenir; le
Père Bougeant n'aurait pas mieux fait, lui
qui, si long-temps, en avait eu le monopole,
et qui, chaque fois qu'il avait besoin d'ar
gent pour acheter du café ou du tabac, se
disait, sûr de son fait : « Je vais faire un
monstre qui me vaudra un louis. »
- Revenu "en France et peu gêné par son ti
tre de roi qu'il porta, comme on sait, assez
bourgeoisement, Louis XVlIt n'eut rien de
plus pressé que de reprendre stis petites ha
bitudes littéraires. Il tenait à faire voir que
sa plume était toujours finement taillée et
que la pointe ne s'en était pas émoussée dans
l'exil. Le monstre était déjà une spécialité
usée, il s<\farda donc bien de lé ressusciter;
il fit mieux, il styla quelques jolis articles
bien aiguisés et bien mé.chans, et, pour les
envoyer à leur véritable adresse de notes
fines et spirituelles, il les fit jeter dans la
botii he de fer du Nain jaune. Il est bien en
tendu qu'il gardait l'anonyme, mais avec le
vif désir que son esprit le trahît tout d'a
bord et fît dire : « Voilà qui est bien mé
chant : ce doit être du roi. » <
M. Merle, qui dirigeait alors le Nain jaune,
en compagnie deM.Cinchois-Lemaire, nous
a .révélé le seciet de cette collaboration de
Louis XVlIf, dans l'un des trop rares frag-
mens qu'il a publiés de ses Trente ans de
Souvenirs historiques, littéraires et politiques:
a La pensée du. Nain jaune, écrit-il, fut de
nous moquer des ridicules de tous les partis,
de flétrir toutes les lâchetés et toutes les dé
fections, de relever la gloire de la France
en présence des baïonnettes étrangères, et
de rire aux dépens des prétentions exa
gérées... Dans ces «ttaques , nous avions
pour auxiliaire Louis XVIII, qui fut un de
nos premiers abonnés, qui lisait avec em
pressement tous nos numéros, qui en riait de
bon cœur, et gui nous envoya plusieurs fois
des articles très bien tournés, fort spirituels
et passablement malins, écrits de sa main
royale, et dont il nous fut aisé de reconnaî
tre l'auteur, en comparant l'écriture à celle
des notes qu'il nous avait fait remettre par
M. de Talleyrand pour lis lettres du Cou:,m
et de la Cousine. Ces articles nous arrivaient,
par la bouche de fer ; -nous avions donné ce
nom à une boîte que nous avions fait placer
à la porte du cabinet littéraire de M.. Cau-
chois-Lemaire ; par cette voie, nous avons
reçu une foule d'articles très remarquables
qui donnaient une grande réputation d'es
prit et de malice au Nain jaune, et rendaient
notre part de rédaction aussi légère que fa
cile. »
Le retour de l'île d'Elbe mit fin brusijue-
meijt aux loisirs gazetiers de Louis XYIIf •
c'est une plume plus vigoureuse qui reve
nait, une plume vraiment souveraine, aussi
fortement trempée que l'épée maniée par la-
même main, et ce n'est pas dans les jeux d'es
prit du Nain jaune ou de l 'Almanach des Mu
ses qu'elle allait s'exercer; c'esUsur les larges
! âges du Moniteur qu'elle allait creuser son
nouveau, sillon.
Pour Napoléon, il n'y ,avait jamais ea
qu'un seul,vrai journal, c'est celui-là; et
pour ce journal il n'y avait qu'un seul vrai
rédacteur, c'était lui. Il em«odait le jourpa-
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 81.96%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 81.96%.
- Collections numériques similaires Parti populaire français Parti populaire français /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Parti populaire français" or dc.contributor adj "Parti populaire français")Doriot Jacques Doriot Jacques /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Doriot Jacques" or dc.contributor adj "Doriot Jacques")
- Auteurs similaires Parti populaire français Parti populaire français /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Parti populaire français" or dc.contributor adj "Parti populaire français")Doriot Jacques Doriot Jacques /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Doriot Jacques" or dc.contributor adj "Doriot Jacques")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k6697323/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k6697323/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k6697323/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k6697323/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k6697323
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k6697323
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k6697323/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest