Titre : Comoedia / rédacteur en chef : Gaston de Pawlowski
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1908-12-06
Contributeur : Pawlowski, Gaston de (1874-1933). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32745939d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 06 décembre 1908 06 décembre 1908
Description : 1908/12/06 (A2,N433). 1908/12/06 (A2,N433).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7646086b
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-123
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 13/04/2015
2'Annêe. «= N° 433 (Quotidien)
Le Numéro : 5 centimes -
-Dimanche 6 Décembre 1906
COMŒDIA
Rédacteur en Chef : O. de PAWLOWSKI
RÉDACTION & ADMINISTRATION *
27, Boulevard Poissonnière, PARIS
1. TÉLÉPHONE : 288-07
Adresse Télégraphique : COMŒDIA-PARIS
ABONNEMENTS
UN AN « 6 MOIS
Paris et Départements 24 fr. 12 fr.
Étranger. 40 c 20 p
RÉDACTION & ADMINISTRATION :
27* Bouleuard 'Poissonnière, PARIS
, .i
TÉLÉPHONE : 288-07
Adresse Télégraphique: COMOEDIA.PARIS
ABONNEMENTS
UN AN S MOIS
Paris et Départements 24 fr. 12 fr.
Étranger. 40 » 20 »
Le plus beau
spectacle
vJe pauvre Gruer! Depuis hier, il
n'est plus directeur de l'Académie
royale de musique et de danse. Quelle
disgrâce !
Au moins, en connaît-on la raison;
Tandis que nul ne pourrait dire pour
quel motif ce Gruer avait été appelé à
la fonction délicate qu'il vient de perdre.
! Une seule chose était certaine, c'est
qu'il possédait beaucoup d'argent. D'où
cette fortune lui venait-elle? Les uns di-
sent qu'il avait tenu brelan ; d'autres,
qu'il s'était enrichi dans le Système;
d'autres, qu'il avait longtemps vécu aux
Iles où il avait pratiqué le plus profitable
des commerces, celui qu'on appelle le
commerce du bois d'ébène, lequel con-
siste à aller chercher des nègres en Afri-
que pour les revendre à fort bénéfice
aux planteurs des Antilles. Le bon sens
penche pour cette dernière version, car
il faut avoir été négrier pour se mêler
de régenter la ttoupe piaillante, jacas-
sante, endiablée, frivole et féroce qui,
par ses chants et ses danses, est chargée
de-réjouir les yeux et res brèmes de là
Cour et de la Ville.
Bref, Gruer avait obtenu l'emploi, et
le prince de Carignan:\ seul, pourrait
dire quel pot-de-vin il lui avait versé.
Gruer gouvernait sa troupe non en di-
recteur mais en sultan. Il n'est pas bien
sûr qu'il eût grand souci du plaisir du
public, mais il ne négligeait rien pour
le sien. Il avait remarqué que le mieux,
pour être heureux et n'avoir pas d'en-
nuis, était de faire toutes les volontés de
Celles décès demoiselles qui avaient
beaucoup de succès ou de riches adora-
teurs, et il n'y manquait point. Congés,
doublures, gratifications, changements de
rôles; celles qui roulaient carrosse ob-
tenaient de lui tout ce qu'elles voulaient.
Elles n'avaient qu'un mot à dire. Mieux.
Il allait au-devant de leurs plus effrontés
caprices.
La conséquence était qu'on sifflait
parfois au parterre, lorsqu'une de ces
déesses paraissait en jupes trop courtes,
ou chantait avec une voix de verjus un
rôle qui eût demandé un organe de ve-
lours, ou s'essayait à un pas pour le-
quel elle n'était pas assez dératée.
Mais, dans la coulisse, ce n'était
que concerts d'adulations, des « mon
petit Gruer » par-ci, des « ce bon
Gruer » par-là, des « mon coeur »,
des « homme divin » - Un paradis de
toile peinte et. des figures qui ne l'é-
taient pas moins.
Nulle ne refusait rien au cher direc-
teur, et il ne se privait pas de deman-
der.
Or, il y a trois jours, la représenta-
tion fut quelque peu mouvementée. On
dut expulser plusieurs malappris qui se
plaignaient de n'en avoir pas pour leur
argent, et le reste du public prit haute-
ment leur parti.
Ces demoiselles étaient furieuses.
Elles parlaient de démissionner en
masse.
— Pas de folie! leur dit Gruer. Lais-
sez partir les hommes et restez ici. J'ai
préparé de quoi vous consoler!
Fut fait comme il disait. Un quart
d'heure après, seul au milieu des nym-
phes, le joyeux directeur s'écriait:
— Maintenant, mes poulettes, à table.
Vive la joie! Loin de nous la mélancolie
et foin des goujats!
(Les goujats, c'était le public, le bon
public qui paie et fait vivre tout le tri-
pot.)
Alors, comme cela se serait passé sur
la scène même, une table magnifique-
ment garnie apparut tout à coup, ruis-
selante de lumières, de vaisselle plate et
de fleurs. Dans des bassins d'argent,
des bouteilles pansues se dressaient au
milieu de la glace. Et des nègres, en li-
vrée orientale, s'empressaient pour le
service.
Les mets les plus rares, les sauces les
plus épicées, les vins les plus généreux
et la mousse pétillante du champagne ne
tardèrent pas à changer en bruyante
gaieté l'air d'orage de tout à l'heure. Je
vous caisse à penser ce qu'était la con-
versation. Ou plutôt non, vous ne pou-
vez l'imaginer, si vous n'avez jamais
fréquenté des filles d'Opéra. Il y avait,
il est vrai, trois dames de la Cour, ve-
nues là parce qu'elles protègent ouver-
tement quelques-unes de ces demoiselles.
Mais leur présence ne changeait pas le
ton. Au contraire, je crois qu'elles y
ajoutaient du montant. Je ne vous les
nommerai pas, car la noblesse est déjà
assez décriée, pour que je ne fournisse
pas de nouveaux aliments à ses détrac-
teurs. Quant aux actrices, elles avaient
nom : Camargo, Pélissier, Petitpas,
Mariette, Cuppi, Préval. En tout, neuf
dames, neuf beautés descendues de l'O-
tympe, et, au milieu d'elles, Gruer,
Gruer tout seul, comme un satyre qui
aurait surpris au bain Diane et ses nym-
Phes et les aurait invitées à souper.
Vous vous le rappelez, il faisait très
chaud, l'autre soir. Les lumières, le vin,
les épices. la joie, avaient fait de la salle
tlne fournaise. Toutes les fenêtres ou-
Vertes, on brûlait encore.
Pour se rafraîchir, on buvait davan-
tag-e, et plus on buvait, plus on sentait
(le chaleur. Gruer n'y tint plus. Il ôta
ta Perruque. Ce fut comme un signal.
C'es dames ouvrirent leurs corsages, et
tOirent à l'air des appas qui souffraient
d'être emprisonnés et s'épanouirent de
se sentir plus à l'aise. On respira un
peu mieux. On oublia un instant la cha-
leur pour se complimenter les unes les
autres sur ce qu'on avait jusqu'alors ca-
ché.
— Oh! la jolie gorge! entendait-on.
Vit-on jamais petits coquins plus har-
dis ! - Mesdames, faisait Gruer, je crois
voir les plus beaux globes de la voûte
céleste!
— J'en ai deux autres, dit une mar-
quise, qui sont jaloux de voir ceux-ci
au frais et de n'y être pas !
Sur quoi, la marquise, sans vergogne,
se troussa. Les huit autres l'imitèrent.
Gruer était rouge sang de bœuf. Les
nègres qui servaient étaient rouges aussi
sans doute, mais cela ne se voyait pas.
Soudain, le directeur dit:
— Je parie que vous avez trop chaud
encore. Que ne faites-vous comme aux
îles. J'y ai toujours vu que quand le so-
leil est impitoyable, les plus prudes fem-
mes imitent les sauvages et ne gardent
sur le corps que le charme de leur vertu.
— Capon qui s'en dédit ! s'écria Mlle
Camargo, qui fut à l'instant dans la te-
nue d'une, femme des colonies, sauf
qu'il lui manquait la parure de la vertu.
Un clin d'oeil, et toutes les autres
étaient aussi nues qu'elles, les neuf mu-
ses, madame, neuf statues, neuf mer-
veilles que je voudrais bien vous décrire,
si j'y avais été; mais, hélas! j'en suis ré
duit à les imaginer par les on-dit. Et
les neuf statues riaient comme autant de
folles.
Mais soudain, une clameur s'éleva de
la rue. Tout le monde avait oublié que
les fenêtres étaient ouvertes, qu'il y avait
des voisins, des passants, et que toutes
ces lumières devaient éveiller l'attention.
Camargo courut à une croisée, mille per-
sonnes l'accueillirent par des huées:
— Aux petites-maisons ! disaient des
voix farouches ; aux Madelonnettes !
criaient les autres. -
Vite. les dames de la Cour mirent.
des masques. et allèrent - aux fenêtres,
avec leurs compagnes, narguer la foule,
qui jouissait de l'aubaine tout en protes-
tant.
— Ah ! dit Gruer, quels barbares nous
sommes! Phryné n'aurait pas réussi du
tout à Paris! .-
Les dames étaient furieuses que de"
va-nt tant de beautés, il y eût des..hom-
mes pour ne pas tomber à genoux. Mais
comme on leur jetait des pierres, elles
rentrèrent, s'habillèrent à la hâte et al-
lèrent chercher la fraîcheur en des de-
meures plus intimes.
Ce matin, Gruer a reçu sa révocation.
Le surintendant avait été saisi de tant de
plaintes qu'il avait dû sévir.
— Avouez tout de même, lui dit le
roi, que si vous avez été si sévère, c'est
qu'on ne vous avait pas invité!
Paul DOLLFUS.
Nous publierons demain un article de
PAUL ACKER
Poésie et Prosodie
Il n'est pas sans intérêt d'examiner le dé-
bat qui divise actuellement nos poètes et
nos directeurs de théâtrejamais plus qu'au-
jourd'hui on n'a joué d'œuvres en vers, et
jamais les poètes ne se sont plaints davantage
que l'on n'en jouât pas.
Le motif de ce différent est facile à sai-
sir. La plupart des directeurs de théâtre
s'imaginent en effet qu'une œuvre poétique
se compose d'un certain nombre de vers de
douze pieds; les poètes au contraire pen-
sent, à bon droit. que cela ne suffit point.
Versifier les dialogues de la vie de chaque
jour,n'apporter dans son œuvre aucune ima-
gination, aucun idéal, cela peut satisfaire
dans bien des cas aux exigences d'uti'cahier
des charges, mals cela ne saurait contenter
les légitimes aspirations du public.
Chaque jour, davantage, le besoin
d'idéal se tait mieux sentir dans notre lit-
térature contemporaine et, tout naturelle-
ment, les yeux se tournent vers le théâtre
lorsqu'il s'agit de le satisfaire.
Seul, le théâtre nous permet de rêver
éveillés, de rompre avec les nécessités ab-
surdes de la vie quotidienne, d'imaginer de
véritables têtes de l'esprit qui masquent
l'absurde réalité des choses.
Se contenter de reproduire sur la scène
la vie telle qu'elle est, cela équivaut à rem-
placer les tableaux dans les galeries du
Louvre par une exposition de glaces et de
miroirs. Les visiteurs pourraient avec plai-
sir se reconnaître, ils pourraient même com-
poser des groupes impressionnants d'An-
glais ou de provinciaux d'une ressemblance
frappante, la destination du musée ne s'en
trouverait pas moins complètement modi-
fiée,
L'art a pour but de nous donner un idéal
que la nature ne nous fournit pas, le théâtre
manque à sa mission du jour où il ne com-
porte plus aucune illusion.
G. DE PAWLOWSKI.
Échos
Cet après-midi, à deux heures, au th/M.
tre Réjane. reprise de Madame Sans-Gêne.
N
ous avons reçu la lettre suivante :
Monsieur le directeur.
Divers bruits circulent au Théâtre-Français
à propos de l'article de votre collaborateur Hel-
sey : « La Comédie en voyage ! »
Je tiens bien à préciser que c'est au cours
d'une conversation que j'ai eue avec M. Helsey
que les renseignements dont il s'est servi ont
été fournis par moi.
Je vous remercie à l'avance de l'accueil què
I
vous voudrez bien faire à ma déclaration et
vous prie de croire à mes sentiments de consi-
dération distinguée.
• Marcel DESSONNES,
'Pensionnaire de la Comédie-Française.
L
'Illustration, pour son numéro de Noël,
f a eu la coquetterie de faire appel, à
la fois, à la collaboration du pus.gorieu
poète et du plus pur prosateur de ce temps.
M. Edmond Rostand lui a donné le Bois sa-
cré, un magnifique poème de 600 vers. la
même longueur qu'un acte de Cyrano et
la même éblouissante et géniale fantaisie;
M. Anatole France, une « comédie » en
deux actes d'une verve moliéresque. Ce nu-
méro de luxe, où de telles pages alternent
avec les plus merveilleuses gravures, est
ainsi une joie pour l'esprit en même temps
que pour les yeux.
Il sera introuvable dans quelques jours,
tout l'excédent du tirage étant réservé aux
nouveaux abonnés du 1er décembre, qui,
dans leur second numéro, liront Le Foyer,
la pièce de MM. Octave Mirbeau et Thadée
Natanson, quatre jours après sa première
représentation au Théâtre-Français.
T
rerpsichore et. la sculpture. *
Mlle Barbier, la gentille jolie dan-
seuse de 1 Opéra, vient de se révéler, nier,
un grand sculpteur. un grand sculpteur
en miniature..
Elle posait chez le dessinateur Gir,
quand, pour occuper les loisirs de la pose,
elle s'empara soudain de la pâte et de l'é-
bauchoir et réussit, en quelques coups de
main, toute une petite collection de sta-
tuettes extrêmement curieuses et qui of-
frent un intérêt artistique de premier or-
dre.
Il y aura même, au printemps prochain,
assure-t-on, une exposition des premières
œuvres de Mlle Barbier, au Salon des Hu-
moristes. -
s
pectacle coupe. -
Alexandre Bissort raconte que le
théâtre des Folies-Marigny, qui accueillit sa
première pièce, était tenu à ne jouer que
des actes séparés, par une clause formelle
inscrite sur un engagement.
L'étoile de la troupe s'était réservé le
droit d'accepter, pendant les entr'actes, des
rendez-vous galants dans un restaurant voi-
sin. Le rendez-vous durait parfois, èt l'en-
tr'acte prenait des proportions que le direc-
teur était contraint de subir. L'auteur
aussi. ~=- i
Ce fut le premier spectacle coupe.
D
emain ïunjii, s'ouvre aux Grands Ma-
gasins du Printemps, l'Exposition de
Jouets et fctrennes. a tous tes comptons,
occasions et nouveautés les plus utiles et
les plus agréables étrennes.
01
lest frappé par les avantages multi-
ples des voitures et châssis légers
Unie. Que dire donc des gros échantIllons
do tourisme? Quelle merveille de simplicité
et combien se reconnaît la maîtrise du mé-
canicien Georges Richard, à qui aucun pro-
grès digne de ce nom n'échappe.
N
oël et Jour de l'An.
A l'approche de ces deux jours de
fête, on est quelque peu embarrasse pour le
choix de l'objet à offrir. En une magnifique
exposition de tout ce qui peut être agréable
à recevoir: pelisses richement fourrées,
cravates de fourrure pour dames, maroqui-
nerie, cannes ou parapluies aux riches poi-
gnées, sacs et trousses garnis pour hommes
et pour dames, mouchoirs les plus fins, cra-
vates et épingles les plus séduisantes, Jo-
seph Paquin, Bertholle et Cie ont réuni
toutes ces jolies choses dans leur superbe
installation du 43,«du boulevard des Capu-
cines.
(Pendant tout ce mois de décembre, ex-
position permanente que Tout-Paris voudra-
voir).
COMŒDIA ILLUSTRÉ. — Quel impatient vous
faites ! N'entrât pas, je m'habille ! Je serai prête
a iortir dimanche prochain.
L
Drsqu'arrivent les bourraques de i'hi-
ver, les automobilistes s'emoressent de
remplacer leurs carosseries découvertes par
une bonne limousine ou un coupé hermé-
tiquement clos.
Ceux qui sont bien avisés s'adressent à
Védrine, l'habile carrossier, qui sait si bien
construire pour chacun le modèle néces-
saire.
Le MasQue de Verre.
A l'Opéra
M. MESSAGER EST DÉMISSIONNAIRE ; M.
BROUSSAN AUSSI, PAR « CHOC EN RE-
TOUR )). ILS RESTENT CANDIDATS
A LEUR SUCCESSION
Comœdia, hier, a publié en l'enveloppant de
phrases prudentes et quelque peu mystérieuses,
une information relatant qu'un « directeur d'une
grande scène subventionnée avait résigné ses
hautes fonctions de la façon la plus officielle
qui fut, entre les mains du ministre de l'Ins-
truction Publique et
M. Messager
des Beaux-Arts ».
Quel était ce di-
recteur?
Que était ce théâ-
tre?
On suppose que
dans la journée, tou-
tes les hypothèses
surgirent. On passait
les théâtres subven-
tionnés en revue.
On citait des noms,
on échafaudait des
histoires.
Nous, à Comœdia,
nous étions bien
tranquilles. Nous
étions sûrs de notre
nouvelle, et si nous
l'avions volontaire-
ment entortillée de
mystère, c'est que
nous voulions laisser
aux événements — à
certains événements,
le temps de se manifester.
Levons la vanne de nos réserves aujourd'hui,
et écrivons simplement et sans phrases que M.
Messager, un des directeurs de l'Opéra, est dé-
missionnaire; que M. Broussan, co-directeur,
est démissionnaire — par choc en retour. — et
qu'à l'heure actuelle,
ils sont, tous les
deux, candidats à la
direction de notre
Académie nationale
de Musique, mais,
cette fois-ci, à une
direction unique.
M. le ministre de
l'Instruction Publi-
que et des Beaux-
Arts se trouve donc
en présence de deux
démissions.
Il lui faudra choi-
sir.
Lequel de M.
Broussan ou de M.
Messager l'emportera
sur son compéti-
teur?
Tel est le problè-
me qui se pose au-
Tôurdtttu et quii
M. ftrflfiMtn.-. -
faut laisser à M.Doumergue et, au temps, le soin
de résoudre.
LES FRÈRES ENNEMIS
Depuis quelques temps déjà, de graves dis-
sentiments étaient survenus dans cette associa-
tion qui semblait devoir réunir MM. Messager
et Broussan, en un commune besogne. M. Mes-
sager n'avait pas, dit-on, rencontré en M. Brous-
san un alter ego, travaillant de concert avec lui.
Certaines décisions prises par M. Messager
étaient rapportées par M. Broussan, et le navire
de l'Opéra n'obéissait plus au gouvernail d'une
pensée unique. Cette organisation formidable
qui demande à la fois et de l'Art et de l'Admi-
nistration, semblait devenir une Thébaïde où des
frères ennemis allaient s'entre-dechirer. Il y
avait aussi, dit-on, des « fuites » quand, dans
le silenèe majestueux du cabinet directorial, des
projets étaient élaborés. Ces fuites, Dieu me
garde de les attribuer à celui-ci ou celui-là!
Mais enfin elles existaient et rendaient plus ir-
ritables encore l'esprit de M. Messager et celui
de M. Broussan.
Bref, la cassure arriva.
M. Messager, ne voulant pas assumer la res-
ponsabilité d'une charge que les dissensions en-
tre lui et M. Broussan rendaient trop .lourdes,
prit le parti d'aller porter sa démission à M.
Doumergue. -
A l'heure actuelle, les deux directeurs de
l'Opéra occupent,.-chacun, un plateau de- la- ba-
lance ministérielle.
Ils sont tous deux candidats, mais ils enten-
dent être, cette fois-ci, nommés directeurs uni-
ques et la signatures Messager et Broussan »
n'existe plus.
E. R.-D.
CE QUE DIT UN. COMMANDITAIRE
Ce qu'il importe surtout de, faire connaître,
à l'heure présente, c'est la posture exacte des
directeurs l'un envers l'autre. Hier soir, donc,
en quête cte détails, j'ai pu joindre l'un des ac-
tionnaires le mieux placé, pour juger sainement,
et en pleine connaissance de cause, la situa-
tion. L'opinion, ainsi recueillie, confirme pleine-
ment ce que je savais déjà par ailleurs 'depuis
quelques jours.
M. Messager est maintenant démissionnaire.
Sa décision sera incessamment l'objet d'une dé-
libération du Conseil des ministres qui l'accep-
tera définitivement s'il la renouvelle, M. Dou-
mergue n'ayant pas cru devoir l'accueillir. Quant
à M. Broussan, il n'a encore pris aucune déter-
mination parallèle. Voilà les faits dans leur ri-
goureuse réalité. Une double éventualité en dé-
coule: Ou la démission de M. Messager sera
acceptée, et M. Broussan deviendra momentané-
ment liquidateur d'une société dissoute par le
départ de l'un des dirigeants et commanditaire.
Ou, M. Broussan jugera de sa dignité de se re-
tirer également. Dès lors, les deux ex-directeurs
seront peut-être candidats et adversaires.
Chacun cherchera vraisemblablement un nou-
vel associé. Pour moi, dans ces solennelles cir-
constances, je ne puis que penser à la morale
du fabuliste: « Survint un troisième. »
L. VUILLEMIN,
CE QUE DIT M. PIERRE VEBER
Nous avons rencontré, hier soir, M. Pierre
Veber, qui a, on le sait, un gros procès avec
MM. Messager et Broussan:
— fch bien, mon cher, vous connaissez la
nouvelle ?
, — Mais pas du tout, nous répond l'auteur
d'Une grosse affaire.
Nous annonçons alors à M. Veber la démis-
sion de M. Messager. Il frise sa barbe, sourit
d'un air entendu et nous dit:
— Voyez-vous, mon cher, avec l'Opéra actuel,
il ne faut s'étonner de rien. D'ailleurs, je quitte
à l'instant M° Charles Philippe, mon avocat et
ami, qui est chargé de mes intérêts «dans le
procès Messager et Broussan contre le New-York
I Herald et je vous garantis qu'il avait le sou-
rire.
- Mais est-ce que votre procès ne vient
pas jeudi et ne serait-ce pas la raison de la
démission d'aujourd'hui?
— Mon Dieu! nous répond M. Pierre Ve-
ber, c'est possible, car j'ai ouï dire que les
très nombreuses pièces communiquées par me
Charles Philippe à son adversaire, Me Mille-
rand,avaient produit quelque effet.Du reste, nous
verrons bien jeudi. E. R. - D
E. R.-D.
L'Affaire Steinheil
LA FEMME LÉGITIME DE WOLF EXPLIQUE
A (( COMŒDIA )) COMMENT ELLE QUITTA
SON MARI, LE MAQUIGNON, POUR
L'ART DRAMATIQUE
Partir subitement de Paris à destination de
La Palisse pour interviewer une actrice en tour-
née, sans autre bagage qu'un modeste crayon
dans sa poche, c'est ce qui m'est arrivé avant-
hier. Les voyages qui forment la jeunesse et dé-
forment les chapeaux — ça me connaît! mais
débarquer en plein département de l'Allier alors
qu'on ne croyait pas quitter le boulevard quel-
ques heures avant, c'est vexant! Je me hâte de
dire que je ne regrette pas mon voyage. Il m'a
permis de rencontrer la femme d'Alexandre
Wolf, vous savez bien, Alexandre Wolf qui fut
arrêté sur la dénonciation de Mme Steinheil, puis
relâché?
Mme Wolf est au théâtre. Elle fait partie d'une
troupe qui parcourt la province à l'heure actuelle,
et joue dans les départements, La Nuit de Noces,
de Kéroul. Elle joue fort bien, du reste, cette
pièce gaie, je me hâte de l'écrire, et Mme Wolf
y tient le rôle de Sidonie, qui fut, si je ne m'a-
buse, créé à Paris, par Marcelle Yrven.
Me voici à la salle des Fêtes, à la mairie;
gentille, la salle ; jolis décors et petite scène amu-
sante; derrière, les loges et dans l'une d'elles
une femme brune, au visage agréable, avec un
nez un peu busqué, dont la courbe est fine, ce-
pendant. Les yeux sont beaux et expressifs.
Mme Wolf — car c'est-elle — s'appelle aujour-
d'hui Mireille Villeneuve. Elle a, de son pré-
nom, le type provençal, avec la matité de la
peau et le velours du regard des filles d'Arles.
- Vôus êtes, lui dis-je avec la diplomatie ai-
sée d'un éléphant qui visiterait un magasin de
porcelaines, vous êtes Mme Alexandre Wolf. Je
le sais. Voulez-vous qu'on cause. -
Après quelques résistances, l'actrice me fait le
récit de sa vie. Elle n'est pas gaie, sa vie, et si
je suis bon observateur, Mme Wolf-Villeneuve
est une âme inquiète qui se souvient d'autrefois
— d'un autrefois heurté et violent et brutal -
dont elle s'évada toute tremblante et point encore
rassurée.
— Quand Je fus mariée, me dit-elle, à Alexan-
dre Wolf, ce fut, dès le premier jour, une décep-
tion qui devait décider de l'avenir. Mon mari,
qui était le commis en chevaux que vous savez,
était presque toujours hors de la maison, et
quand il rentrait, après avoir bu, c'étaient, entre
nous, des scènes effroyables. Alexandre, qui est
un homme de forte musculature et d'une violen-
ce que l'alcool aggravait bien souvent, me rouait
de coups. Sa mère — pour laquelle, vraiment,
il a un culte — sa mère empêcha souvent le fils
de m'assommer. Une phrase d'elle — une seule
— suffisait if museler ce garçon déchaîné. Mal-
gré sa mère — qui était, d'ailleurs, chez les
Steinheil — il y eut entre nous des choses telles
qu'un jour l'idée me vint de me débarrasser d'un
tel joug.
- w-Nous habitions, à ce moment-là, 53, rue
Vercingétorix. Un soir, dans la rue, Alexandre
mo-jeta à bras le corps dans une - devanture. A
quelque temps de là, il me donna deux coups
de couteau, dont vous pouvez voir les marques.
« Depuis longtemps, j'avais envie de faire
du théâtre. Toute jeune, j'adorais voir jouer le
drame ou le vaudeville. Je pris, un jour, mon
courage à deux mains, et m'en fus au théâtre
Montparnasse. MM. Larochelle et Romain me
firent passer une audition et m'engagèrent. Je
fis mes débuts dans Le Jumeau, avec un,rôle
de cent cinquante lignes, dont je pus me tirer à
honneur, heureusement pour moi, puisque mes
directeurs me gardèrent trois saisons à leur théâ-
tre. L'été, j'allais jouer au théâtre de Belleville,
mais ma situation était bien incertaine; je parle
de celle qui m'était faite chez moi, par mon mari,
dont les colères, souvent, étaient telles que je
ne savais plus si je pourrais aller jouer le soir.
Après un séjour au théâtre d'Antin, je réussis à
signer, avec la tournée Chartier, et je m'en fus
en province et à l'étranger. Libérée, désormais,
du contact, mais toujours sous la menace d'A-
lexandre, j'ai été appelée , il y a quelque temps,
à sortir de ma réserve. C'est à l'occasion du
crime du passage Ronsin. Alexandre Wolf ne fai-
sait-il pas passer ses amoureuses de rencontre
pour moi, et ne donnait-il pas mon nom dans
les hôtels meublés, quand il y fréquentait avec
des compagnes de bars?
« J'ai donc changé de nom* je m'appelle Ville-
neuve, maintenant,, du nom de-mon lieu de nais-
sancer car je suis née à Villeneuve-St-Georges.
ti-et1 tournée, pendant la détention de Wolf,' ne
disait-on pas, dans les villes où je suis passée:
(t Tiens, mais c'est la femme de l'assassin ! »
(C J'ai écrit à M. Leydet, apprenant qu'on me
cherchait, qui j'étais et où j'allais. Je dois dire,
du reste, que je n'ai jamais été convoquée ni à
f Cliché Avenelle, Rouen)
Mme Wolf
Paris ni en province, par commission rogatoire.
« Aujourd'hui, je poursuis ma route. J'adore
mon métier. Ne vaut-il pas mieux que l'enfer
d'autrefois? Mon rôle est d'aller, pour l'instant,
de ville en ville. J'aime mieux ces voyages qu'un
séjour à Paris, où Wolf ne manquerait pas de
me trouver, et le passé m'a appris à me méfier
de ses colères!. »
— Il est donc si terrible que cela, votre ex-
mari?
— Oui, monsieur, c'est un violent dont il faut
tout craindre, quand la colère l'étreint.
— Alors, vous croyez que dans l'affaire Stei-
nheil.
- Oh! non, pas ça, réplique vivement l'actri-
ce, non ! Alexandre est batailleur et capable,
dans une bagarre, de donner un mauvais coup
à quelqu'un; mais de là au crime, il y a loin et
je n'y crois pas!
Voici qu'on appelle Sidonie en scène. Mme
Wolf me quitte et gagne un portant. Elle entre
et le public fit largement. C'est la vie!
E. ROUZIER-DORCIERES.
,çJ'anga"
CE QUE PENSE M. CAMILLE MAUCLAIR DE
M. ISIDORE DE LARA, DONT ON JOUERA,
MERCREDI PROCHAIN, L'ŒUVRE
NOUVELLE A L'OPÉRA-COMIQUE
En considérant le théâtre lyrique, au
lendemain du Crépuscule des dieux, deux
choses nous frappent : la première, c'est
que la mission confiée à l'orchestre d'ex-
primer la psychologie essentielle d'un
drame a fini par faire grand tort aux per-
sonnages. La seconde, c'est que le symbo-
lisme et la valeur allégorique des héros
engendrent la fatigue et l'ennui.
Il en est de même du théâtre à thèse,
du théâtre-tribune. Thèse et symbole sur-
chargent ambitieusement des poupées san^
leur conférer de la vie, et le théâtre veut
de la vie. Il est illogique de nous convo-
quer au théâtre pour nous exposer en trois
heures la doctrine d'un problème social qui
exigerait des mois d'étude: dans ce cadre
illusionniste et factice, la prétention choque
encore davantage. On n'y agite que des
fantômes d'idées, on n'v entend qu'une:
sorte de fable-express sur une vérité mo-
rale. Une série de conférences sérieuse-*
ment préparées vaudrait mieux. Il fàut at~
tendre autre chose d'un spectacle: ainsi
conçu, on n'en extrait ni véritable pensée,
ni vrai plaisir. Quant à la métaphysique
que le drame lyrique porte en ses flancs,
elle n'est, à vrai dire, qu'une délectation
inhérente à l'imprécise et divine sonorité:.
nous nous laissons subjuguer par la svm-
phonie, et les pantins nous intéressent
d'autant moins.
Dans ces conditions, il serait peut-êtref
plus franc qu'un musicien de théâtre' QU un
dramaturge nous dissent : « Vous êtes av
théâtre. Vous n'entendez ni profession dt
foi, ni système philosophique. Vous ver- •
rez des acteurs et des rôles, c'est-à-din
des instruments d'illusion. Mais si d'em
blée, sur les planches, on ne doit voua?
présenter qu'une belle facticité, une vention » destinée à vous émouvoir uri
soir, n'oubliez pas qu'un beau 'coup. doi
théâtre n'est pas facile à trouver, et qu'il
y faut du génie. » - )
Evidemment, les partisans de l'art disj
tingué, savant, mystérieux et ennuyeux nel
sauraient entendre une teUe déclaration!
sans affecter le dédain et gémir sur lai
décadence; mais le public, pour qui, l'afBr.
M. Isidore de Lara
mation de la vie n'est pas, nécessair.ement.J
une déchéance de l'art, serait probablement
enchanté. Depuis le .temps qu'on fait de*
tout devant lui, sur une scène, sauf du
théâtre, et qu'il n'ose pas se ? plaindre ni
avouer qu'il s'assomme sans s'instruire, il
serait ravi d'un aveu si net. De là 2 re«
courir aux naïves truculences du vérisros
italien, il v a un monde. Verdi nous l'a:
prouvé et Charpentier: et je suppose que
Sanga nous le prouvera encore sous una •
forme nouvelle, ardente, et pleine de sin-
cère passion.
Il ne m'appartient pas de raconter l'ac-
tion de I'oeuvre que l'Opéra-Comique vg
représenter. Ce. que je voudrais seulemen<
dire, c'est qu'elle est animée d'un souffle
de vie très puissante. C'est aussi qu'elle
présente, avec une très grande force les
idées d'un homme de théâtre musical ; et
ces idées, indépendantes des formules ré-
cemment à la mode dont on est déjà bien,
las: ces idées ressemblent fort à celles que
je viens d'énoncer.
Sanga est une œuvre de vie, sans allé-
gorie, sans symbolisme prémédité. Aux
yeux de M. de Lara, un personnage ne
devient représentatif et svmbolique qu :à<
force de vivre d'une vie plus intense que
la nôtre. Sanga présente des êtres dont la
vitalité individuelle est exprimée non par
des leitmotive, mais par un .style musical
propre à chaque rôle. L'orchestre ..y reste,
à son plan. Il intervient parfois avec une
vigueur polyphonique suffisant largeme nt à
prouver que l'auteur n'ignore rien d.;s res-
sources de son art; .mais les persoïicages
gardent leur préséance. Et enfin, SanLia a
cette particularité qu'on peut tenir à - bon
droit pour extraordinaire aujourd'hui; c'est
que c'est une œuvre lyrique écrite pour
la voix par un musicien qui aime et ad-
mire la voix humaine.
Il est heureux que Mlles Chenal et Mar-
tyl et que M. Fugère aient des voix su-
perbes. parce que, autrement, ils eusses:
dû rendre leurs rôles. En un temps on la
détestation de la voix humaine est devenue
un dogme, où les chanteurs aphones se
transforment en « tragédien&,'», voici un
auteur qui a la volonté d'écrire encore
pour les chanteurs qui chantent, sans 1 -
écraser sous l'orchestre. C'est plus qu T
n'en faut pour être taxé d'italianisme p~
les précieux et les mystérieux pour L
musique Ivrique n'est qu'un chuchotome'
raffiné.
Depuis quinze ans, M. Isidore de Lard,
joué avec succès à Monte-Carlo, à Cove.it
Garden, à la Scala de Milan, à Cologne ou
en France, a beaucoup travaillé, beaucoup
Le Numéro : 5 centimes -
-Dimanche 6 Décembre 1906
COMŒDIA
Rédacteur en Chef : O. de PAWLOWSKI
RÉDACTION & ADMINISTRATION *
27, Boulevard Poissonnière, PARIS
1. TÉLÉPHONE : 288-07
Adresse Télégraphique : COMŒDIA-PARIS
ABONNEMENTS
UN AN « 6 MOIS
Paris et Départements 24 fr. 12 fr.
Étranger. 40 c 20 p
RÉDACTION & ADMINISTRATION :
27* Bouleuard 'Poissonnière, PARIS
, .i
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UN AN S MOIS
Paris et Départements 24 fr. 12 fr.
Étranger. 40 » 20 »
Le plus beau
spectacle
vJe pauvre Gruer! Depuis hier, il
n'est plus directeur de l'Académie
royale de musique et de danse. Quelle
disgrâce !
Au moins, en connaît-on la raison;
Tandis que nul ne pourrait dire pour
quel motif ce Gruer avait été appelé à
la fonction délicate qu'il vient de perdre.
! Une seule chose était certaine, c'est
qu'il possédait beaucoup d'argent. D'où
cette fortune lui venait-elle? Les uns di-
sent qu'il avait tenu brelan ; d'autres,
qu'il s'était enrichi dans le Système;
d'autres, qu'il avait longtemps vécu aux
Iles où il avait pratiqué le plus profitable
des commerces, celui qu'on appelle le
commerce du bois d'ébène, lequel con-
siste à aller chercher des nègres en Afri-
que pour les revendre à fort bénéfice
aux planteurs des Antilles. Le bon sens
penche pour cette dernière version, car
il faut avoir été négrier pour se mêler
de régenter la ttoupe piaillante, jacas-
sante, endiablée, frivole et féroce qui,
par ses chants et ses danses, est chargée
de-réjouir les yeux et res brèmes de là
Cour et de la Ville.
Bref, Gruer avait obtenu l'emploi, et
le prince de Carignan:\ seul, pourrait
dire quel pot-de-vin il lui avait versé.
Gruer gouvernait sa troupe non en di-
recteur mais en sultan. Il n'est pas bien
sûr qu'il eût grand souci du plaisir du
public, mais il ne négligeait rien pour
le sien. Il avait remarqué que le mieux,
pour être heureux et n'avoir pas d'en-
nuis, était de faire toutes les volontés de
Celles décès demoiselles qui avaient
beaucoup de succès ou de riches adora-
teurs, et il n'y manquait point. Congés,
doublures, gratifications, changements de
rôles; celles qui roulaient carrosse ob-
tenaient de lui tout ce qu'elles voulaient.
Elles n'avaient qu'un mot à dire. Mieux.
Il allait au-devant de leurs plus effrontés
caprices.
La conséquence était qu'on sifflait
parfois au parterre, lorsqu'une de ces
déesses paraissait en jupes trop courtes,
ou chantait avec une voix de verjus un
rôle qui eût demandé un organe de ve-
lours, ou s'essayait à un pas pour le-
quel elle n'était pas assez dératée.
Mais, dans la coulisse, ce n'était
que concerts d'adulations, des « mon
petit Gruer » par-ci, des « ce bon
Gruer » par-là, des « mon coeur »,
des « homme divin » - Un paradis de
toile peinte et. des figures qui ne l'é-
taient pas moins.
Nulle ne refusait rien au cher direc-
teur, et il ne se privait pas de deman-
der.
Or, il y a trois jours, la représenta-
tion fut quelque peu mouvementée. On
dut expulser plusieurs malappris qui se
plaignaient de n'en avoir pas pour leur
argent, et le reste du public prit haute-
ment leur parti.
Ces demoiselles étaient furieuses.
Elles parlaient de démissionner en
masse.
— Pas de folie! leur dit Gruer. Lais-
sez partir les hommes et restez ici. J'ai
préparé de quoi vous consoler!
Fut fait comme il disait. Un quart
d'heure après, seul au milieu des nym-
phes, le joyeux directeur s'écriait:
— Maintenant, mes poulettes, à table.
Vive la joie! Loin de nous la mélancolie
et foin des goujats!
(Les goujats, c'était le public, le bon
public qui paie et fait vivre tout le tri-
pot.)
Alors, comme cela se serait passé sur
la scène même, une table magnifique-
ment garnie apparut tout à coup, ruis-
selante de lumières, de vaisselle plate et
de fleurs. Dans des bassins d'argent,
des bouteilles pansues se dressaient au
milieu de la glace. Et des nègres, en li-
vrée orientale, s'empressaient pour le
service.
Les mets les plus rares, les sauces les
plus épicées, les vins les plus généreux
et la mousse pétillante du champagne ne
tardèrent pas à changer en bruyante
gaieté l'air d'orage de tout à l'heure. Je
vous caisse à penser ce qu'était la con-
versation. Ou plutôt non, vous ne pou-
vez l'imaginer, si vous n'avez jamais
fréquenté des filles d'Opéra. Il y avait,
il est vrai, trois dames de la Cour, ve-
nues là parce qu'elles protègent ouver-
tement quelques-unes de ces demoiselles.
Mais leur présence ne changeait pas le
ton. Au contraire, je crois qu'elles y
ajoutaient du montant. Je ne vous les
nommerai pas, car la noblesse est déjà
assez décriée, pour que je ne fournisse
pas de nouveaux aliments à ses détrac-
teurs. Quant aux actrices, elles avaient
nom : Camargo, Pélissier, Petitpas,
Mariette, Cuppi, Préval. En tout, neuf
dames, neuf beautés descendues de l'O-
tympe, et, au milieu d'elles, Gruer,
Gruer tout seul, comme un satyre qui
aurait surpris au bain Diane et ses nym-
Phes et les aurait invitées à souper.
Vous vous le rappelez, il faisait très
chaud, l'autre soir. Les lumières, le vin,
les épices. la joie, avaient fait de la salle
tlne fournaise. Toutes les fenêtres ou-
Vertes, on brûlait encore.
Pour se rafraîchir, on buvait davan-
tag-e, et plus on buvait, plus on sentait
(le chaleur. Gruer n'y tint plus. Il ôta
ta Perruque. Ce fut comme un signal.
C'es dames ouvrirent leurs corsages, et
tOirent à l'air des appas qui souffraient
d'être emprisonnés et s'épanouirent de
se sentir plus à l'aise. On respira un
peu mieux. On oublia un instant la cha-
leur pour se complimenter les unes les
autres sur ce qu'on avait jusqu'alors ca-
ché.
— Oh! la jolie gorge! entendait-on.
Vit-on jamais petits coquins plus har-
dis ! - Mesdames, faisait Gruer, je crois
voir les plus beaux globes de la voûte
céleste!
— J'en ai deux autres, dit une mar-
quise, qui sont jaloux de voir ceux-ci
au frais et de n'y être pas !
Sur quoi, la marquise, sans vergogne,
se troussa. Les huit autres l'imitèrent.
Gruer était rouge sang de bœuf. Les
nègres qui servaient étaient rouges aussi
sans doute, mais cela ne se voyait pas.
Soudain, le directeur dit:
— Je parie que vous avez trop chaud
encore. Que ne faites-vous comme aux
îles. J'y ai toujours vu que quand le so-
leil est impitoyable, les plus prudes fem-
mes imitent les sauvages et ne gardent
sur le corps que le charme de leur vertu.
— Capon qui s'en dédit ! s'écria Mlle
Camargo, qui fut à l'instant dans la te-
nue d'une, femme des colonies, sauf
qu'il lui manquait la parure de la vertu.
Un clin d'oeil, et toutes les autres
étaient aussi nues qu'elles, les neuf mu-
ses, madame, neuf statues, neuf mer-
veilles que je voudrais bien vous décrire,
si j'y avais été; mais, hélas! j'en suis ré
duit à les imaginer par les on-dit. Et
les neuf statues riaient comme autant de
folles.
Mais soudain, une clameur s'éleva de
la rue. Tout le monde avait oublié que
les fenêtres étaient ouvertes, qu'il y avait
des voisins, des passants, et que toutes
ces lumières devaient éveiller l'attention.
Camargo courut à une croisée, mille per-
sonnes l'accueillirent par des huées:
— Aux petites-maisons ! disaient des
voix farouches ; aux Madelonnettes !
criaient les autres. -
Vite. les dames de la Cour mirent.
des masques. et allèrent - aux fenêtres,
avec leurs compagnes, narguer la foule,
qui jouissait de l'aubaine tout en protes-
tant.
— Ah ! dit Gruer, quels barbares nous
sommes! Phryné n'aurait pas réussi du
tout à Paris! .-
Les dames étaient furieuses que de"
va-nt tant de beautés, il y eût des..hom-
mes pour ne pas tomber à genoux. Mais
comme on leur jetait des pierres, elles
rentrèrent, s'habillèrent à la hâte et al-
lèrent chercher la fraîcheur en des de-
meures plus intimes.
Ce matin, Gruer a reçu sa révocation.
Le surintendant avait été saisi de tant de
plaintes qu'il avait dû sévir.
— Avouez tout de même, lui dit le
roi, que si vous avez été si sévère, c'est
qu'on ne vous avait pas invité!
Paul DOLLFUS.
Nous publierons demain un article de
PAUL ACKER
Poésie et Prosodie
Il n'est pas sans intérêt d'examiner le dé-
bat qui divise actuellement nos poètes et
nos directeurs de théâtrejamais plus qu'au-
jourd'hui on n'a joué d'œuvres en vers, et
jamais les poètes ne se sont plaints davantage
que l'on n'en jouât pas.
Le motif de ce différent est facile à sai-
sir. La plupart des directeurs de théâtre
s'imaginent en effet qu'une œuvre poétique
se compose d'un certain nombre de vers de
douze pieds; les poètes au contraire pen-
sent, à bon droit. que cela ne suffit point.
Versifier les dialogues de la vie de chaque
jour,n'apporter dans son œuvre aucune ima-
gination, aucun idéal, cela peut satisfaire
dans bien des cas aux exigences d'uti'cahier
des charges, mals cela ne saurait contenter
les légitimes aspirations du public.
Chaque jour, davantage, le besoin
d'idéal se tait mieux sentir dans notre lit-
térature contemporaine et, tout naturelle-
ment, les yeux se tournent vers le théâtre
lorsqu'il s'agit de le satisfaire.
Seul, le théâtre nous permet de rêver
éveillés, de rompre avec les nécessités ab-
surdes de la vie quotidienne, d'imaginer de
véritables têtes de l'esprit qui masquent
l'absurde réalité des choses.
Se contenter de reproduire sur la scène
la vie telle qu'elle est, cela équivaut à rem-
placer les tableaux dans les galeries du
Louvre par une exposition de glaces et de
miroirs. Les visiteurs pourraient avec plai-
sir se reconnaître, ils pourraient même com-
poser des groupes impressionnants d'An-
glais ou de provinciaux d'une ressemblance
frappante, la destination du musée ne s'en
trouverait pas moins complètement modi-
fiée,
L'art a pour but de nous donner un idéal
que la nature ne nous fournit pas, le théâtre
manque à sa mission du jour où il ne com-
porte plus aucune illusion.
G. DE PAWLOWSKI.
Échos
Cet après-midi, à deux heures, au th/M.
tre Réjane. reprise de Madame Sans-Gêne.
N
ous avons reçu la lettre suivante :
Monsieur le directeur.
Divers bruits circulent au Théâtre-Français
à propos de l'article de votre collaborateur Hel-
sey : « La Comédie en voyage ! »
Je tiens bien à préciser que c'est au cours
d'une conversation que j'ai eue avec M. Helsey
que les renseignements dont il s'est servi ont
été fournis par moi.
Je vous remercie à l'avance de l'accueil què
I
vous voudrez bien faire à ma déclaration et
vous prie de croire à mes sentiments de consi-
dération distinguée.
• Marcel DESSONNES,
'Pensionnaire de la Comédie-Française.
L
'Illustration, pour son numéro de Noël,
f a eu la coquetterie de faire appel, à
la fois, à la collaboration du pus.gorieu
poète et du plus pur prosateur de ce temps.
M. Edmond Rostand lui a donné le Bois sa-
cré, un magnifique poème de 600 vers. la
même longueur qu'un acte de Cyrano et
la même éblouissante et géniale fantaisie;
M. Anatole France, une « comédie » en
deux actes d'une verve moliéresque. Ce nu-
méro de luxe, où de telles pages alternent
avec les plus merveilleuses gravures, est
ainsi une joie pour l'esprit en même temps
que pour les yeux.
Il sera introuvable dans quelques jours,
tout l'excédent du tirage étant réservé aux
nouveaux abonnés du 1er décembre, qui,
dans leur second numéro, liront Le Foyer,
la pièce de MM. Octave Mirbeau et Thadée
Natanson, quatre jours après sa première
représentation au Théâtre-Français.
T
rerpsichore et. la sculpture. *
Mlle Barbier, la gentille jolie dan-
seuse de 1 Opéra, vient de se révéler, nier,
un grand sculpteur. un grand sculpteur
en miniature..
Elle posait chez le dessinateur Gir,
quand, pour occuper les loisirs de la pose,
elle s'empara soudain de la pâte et de l'é-
bauchoir et réussit, en quelques coups de
main, toute une petite collection de sta-
tuettes extrêmement curieuses et qui of-
frent un intérêt artistique de premier or-
dre.
Il y aura même, au printemps prochain,
assure-t-on, une exposition des premières
œuvres de Mlle Barbier, au Salon des Hu-
moristes. -
s
pectacle coupe. -
Alexandre Bissort raconte que le
théâtre des Folies-Marigny, qui accueillit sa
première pièce, était tenu à ne jouer que
des actes séparés, par une clause formelle
inscrite sur un engagement.
L'étoile de la troupe s'était réservé le
droit d'accepter, pendant les entr'actes, des
rendez-vous galants dans un restaurant voi-
sin. Le rendez-vous durait parfois, èt l'en-
tr'acte prenait des proportions que le direc-
teur était contraint de subir. L'auteur
aussi. ~=- i
Ce fut le premier spectacle coupe.
D
emain ïunjii, s'ouvre aux Grands Ma-
gasins du Printemps, l'Exposition de
Jouets et fctrennes. a tous tes comptons,
occasions et nouveautés les plus utiles et
les plus agréables étrennes.
01
lest frappé par les avantages multi-
ples des voitures et châssis légers
Unie. Que dire donc des gros échantIllons
do tourisme? Quelle merveille de simplicité
et combien se reconnaît la maîtrise du mé-
canicien Georges Richard, à qui aucun pro-
grès digne de ce nom n'échappe.
N
oël et Jour de l'An.
A l'approche de ces deux jours de
fête, on est quelque peu embarrasse pour le
choix de l'objet à offrir. En une magnifique
exposition de tout ce qui peut être agréable
à recevoir: pelisses richement fourrées,
cravates de fourrure pour dames, maroqui-
nerie, cannes ou parapluies aux riches poi-
gnées, sacs et trousses garnis pour hommes
et pour dames, mouchoirs les plus fins, cra-
vates et épingles les plus séduisantes, Jo-
seph Paquin, Bertholle et Cie ont réuni
toutes ces jolies choses dans leur superbe
installation du 43,«du boulevard des Capu-
cines.
(Pendant tout ce mois de décembre, ex-
position permanente que Tout-Paris voudra-
voir).
COMŒDIA ILLUSTRÉ. — Quel impatient vous
faites ! N'entrât pas, je m'habille ! Je serai prête
a iortir dimanche prochain.
L
Drsqu'arrivent les bourraques de i'hi-
ver, les automobilistes s'emoressent de
remplacer leurs carosseries découvertes par
une bonne limousine ou un coupé hermé-
tiquement clos.
Ceux qui sont bien avisés s'adressent à
Védrine, l'habile carrossier, qui sait si bien
construire pour chacun le modèle néces-
saire.
Le MasQue de Verre.
A l'Opéra
M. MESSAGER EST DÉMISSIONNAIRE ; M.
BROUSSAN AUSSI, PAR « CHOC EN RE-
TOUR )). ILS RESTENT CANDIDATS
A LEUR SUCCESSION
Comœdia, hier, a publié en l'enveloppant de
phrases prudentes et quelque peu mystérieuses,
une information relatant qu'un « directeur d'une
grande scène subventionnée avait résigné ses
hautes fonctions de la façon la plus officielle
qui fut, entre les mains du ministre de l'Ins-
truction Publique et
M. Messager
des Beaux-Arts ».
Quel était ce di-
recteur?
Que était ce théâ-
tre?
On suppose que
dans la journée, tou-
tes les hypothèses
surgirent. On passait
les théâtres subven-
tionnés en revue.
On citait des noms,
on échafaudait des
histoires.
Nous, à Comœdia,
nous étions bien
tranquilles. Nous
étions sûrs de notre
nouvelle, et si nous
l'avions volontaire-
ment entortillée de
mystère, c'est que
nous voulions laisser
aux événements — à
certains événements,
le temps de se manifester.
Levons la vanne de nos réserves aujourd'hui,
et écrivons simplement et sans phrases que M.
Messager, un des directeurs de l'Opéra, est dé-
missionnaire; que M. Broussan, co-directeur,
est démissionnaire — par choc en retour. — et
qu'à l'heure actuelle,
ils sont, tous les
deux, candidats à la
direction de notre
Académie nationale
de Musique, mais,
cette fois-ci, à une
direction unique.
M. le ministre de
l'Instruction Publi-
que et des Beaux-
Arts se trouve donc
en présence de deux
démissions.
Il lui faudra choi-
sir.
Lequel de M.
Broussan ou de M.
Messager l'emportera
sur son compéti-
teur?
Tel est le problè-
me qui se pose au-
Tôurdtttu et quii
M. ftrflfiMtn.-. -
faut laisser à M.Doumergue et, au temps, le soin
de résoudre.
LES FRÈRES ENNEMIS
Depuis quelques temps déjà, de graves dis-
sentiments étaient survenus dans cette associa-
tion qui semblait devoir réunir MM. Messager
et Broussan, en un commune besogne. M. Mes-
sager n'avait pas, dit-on, rencontré en M. Brous-
san un alter ego, travaillant de concert avec lui.
Certaines décisions prises par M. Messager
étaient rapportées par M. Broussan, et le navire
de l'Opéra n'obéissait plus au gouvernail d'une
pensée unique. Cette organisation formidable
qui demande à la fois et de l'Art et de l'Admi-
nistration, semblait devenir une Thébaïde où des
frères ennemis allaient s'entre-dechirer. Il y
avait aussi, dit-on, des « fuites » quand, dans
le silenèe majestueux du cabinet directorial, des
projets étaient élaborés. Ces fuites, Dieu me
garde de les attribuer à celui-ci ou celui-là!
Mais enfin elles existaient et rendaient plus ir-
ritables encore l'esprit de M. Messager et celui
de M. Broussan.
Bref, la cassure arriva.
M. Messager, ne voulant pas assumer la res-
ponsabilité d'une charge que les dissensions en-
tre lui et M. Broussan rendaient trop .lourdes,
prit le parti d'aller porter sa démission à M.
Doumergue. -
A l'heure actuelle, les deux directeurs de
l'Opéra occupent,.-chacun, un plateau de- la- ba-
lance ministérielle.
Ils sont tous deux candidats, mais ils enten-
dent être, cette fois-ci, nommés directeurs uni-
ques et la signatures Messager et Broussan »
n'existe plus.
E. R.-D.
CE QUE DIT UN. COMMANDITAIRE
Ce qu'il importe surtout de, faire connaître,
à l'heure présente, c'est la posture exacte des
directeurs l'un envers l'autre. Hier soir, donc,
en quête cte détails, j'ai pu joindre l'un des ac-
tionnaires le mieux placé, pour juger sainement,
et en pleine connaissance de cause, la situa-
tion. L'opinion, ainsi recueillie, confirme pleine-
ment ce que je savais déjà par ailleurs 'depuis
quelques jours.
M. Messager est maintenant démissionnaire.
Sa décision sera incessamment l'objet d'une dé-
libération du Conseil des ministres qui l'accep-
tera définitivement s'il la renouvelle, M. Dou-
mergue n'ayant pas cru devoir l'accueillir. Quant
à M. Broussan, il n'a encore pris aucune déter-
mination parallèle. Voilà les faits dans leur ri-
goureuse réalité. Une double éventualité en dé-
coule: Ou la démission de M. Messager sera
acceptée, et M. Broussan deviendra momentané-
ment liquidateur d'une société dissoute par le
départ de l'un des dirigeants et commanditaire.
Ou, M. Broussan jugera de sa dignité de se re-
tirer également. Dès lors, les deux ex-directeurs
seront peut-être candidats et adversaires.
Chacun cherchera vraisemblablement un nou-
vel associé. Pour moi, dans ces solennelles cir-
constances, je ne puis que penser à la morale
du fabuliste: « Survint un troisième. »
L. VUILLEMIN,
CE QUE DIT M. PIERRE VEBER
Nous avons rencontré, hier soir, M. Pierre
Veber, qui a, on le sait, un gros procès avec
MM. Messager et Broussan:
— fch bien, mon cher, vous connaissez la
nouvelle ?
, — Mais pas du tout, nous répond l'auteur
d'Une grosse affaire.
Nous annonçons alors à M. Veber la démis-
sion de M. Messager. Il frise sa barbe, sourit
d'un air entendu et nous dit:
— Voyez-vous, mon cher, avec l'Opéra actuel,
il ne faut s'étonner de rien. D'ailleurs, je quitte
à l'instant M° Charles Philippe, mon avocat et
ami, qui est chargé de mes intérêts «dans le
procès Messager et Broussan contre le New-York
I Herald et je vous garantis qu'il avait le sou-
rire.
- Mais est-ce que votre procès ne vient
pas jeudi et ne serait-ce pas la raison de la
démission d'aujourd'hui?
— Mon Dieu! nous répond M. Pierre Ve-
ber, c'est possible, car j'ai ouï dire que les
très nombreuses pièces communiquées par me
Charles Philippe à son adversaire, Me Mille-
rand,avaient produit quelque effet.Du reste, nous
verrons bien jeudi. E. R. - D
E. R.-D.
L'Affaire Steinheil
LA FEMME LÉGITIME DE WOLF EXPLIQUE
A (( COMŒDIA )) COMMENT ELLE QUITTA
SON MARI, LE MAQUIGNON, POUR
L'ART DRAMATIQUE
Partir subitement de Paris à destination de
La Palisse pour interviewer une actrice en tour-
née, sans autre bagage qu'un modeste crayon
dans sa poche, c'est ce qui m'est arrivé avant-
hier. Les voyages qui forment la jeunesse et dé-
forment les chapeaux — ça me connaît! mais
débarquer en plein département de l'Allier alors
qu'on ne croyait pas quitter le boulevard quel-
ques heures avant, c'est vexant! Je me hâte de
dire que je ne regrette pas mon voyage. Il m'a
permis de rencontrer la femme d'Alexandre
Wolf, vous savez bien, Alexandre Wolf qui fut
arrêté sur la dénonciation de Mme Steinheil, puis
relâché?
Mme Wolf est au théâtre. Elle fait partie d'une
troupe qui parcourt la province à l'heure actuelle,
et joue dans les départements, La Nuit de Noces,
de Kéroul. Elle joue fort bien, du reste, cette
pièce gaie, je me hâte de l'écrire, et Mme Wolf
y tient le rôle de Sidonie, qui fut, si je ne m'a-
buse, créé à Paris, par Marcelle Yrven.
Me voici à la salle des Fêtes, à la mairie;
gentille, la salle ; jolis décors et petite scène amu-
sante; derrière, les loges et dans l'une d'elles
une femme brune, au visage agréable, avec un
nez un peu busqué, dont la courbe est fine, ce-
pendant. Les yeux sont beaux et expressifs.
Mme Wolf — car c'est-elle — s'appelle aujour-
d'hui Mireille Villeneuve. Elle a, de son pré-
nom, le type provençal, avec la matité de la
peau et le velours du regard des filles d'Arles.
- Vôus êtes, lui dis-je avec la diplomatie ai-
sée d'un éléphant qui visiterait un magasin de
porcelaines, vous êtes Mme Alexandre Wolf. Je
le sais. Voulez-vous qu'on cause. -
Après quelques résistances, l'actrice me fait le
récit de sa vie. Elle n'est pas gaie, sa vie, et si
je suis bon observateur, Mme Wolf-Villeneuve
est une âme inquiète qui se souvient d'autrefois
— d'un autrefois heurté et violent et brutal -
dont elle s'évada toute tremblante et point encore
rassurée.
— Quand Je fus mariée, me dit-elle, à Alexan-
dre Wolf, ce fut, dès le premier jour, une décep-
tion qui devait décider de l'avenir. Mon mari,
qui était le commis en chevaux que vous savez,
était presque toujours hors de la maison, et
quand il rentrait, après avoir bu, c'étaient, entre
nous, des scènes effroyables. Alexandre, qui est
un homme de forte musculature et d'une violen-
ce que l'alcool aggravait bien souvent, me rouait
de coups. Sa mère — pour laquelle, vraiment,
il a un culte — sa mère empêcha souvent le fils
de m'assommer. Une phrase d'elle — une seule
— suffisait if museler ce garçon déchaîné. Mal-
gré sa mère — qui était, d'ailleurs, chez les
Steinheil — il y eut entre nous des choses telles
qu'un jour l'idée me vint de me débarrasser d'un
tel joug.
- w-Nous habitions, à ce moment-là, 53, rue
Vercingétorix. Un soir, dans la rue, Alexandre
mo-jeta à bras le corps dans une - devanture. A
quelque temps de là, il me donna deux coups
de couteau, dont vous pouvez voir les marques.
« Depuis longtemps, j'avais envie de faire
du théâtre. Toute jeune, j'adorais voir jouer le
drame ou le vaudeville. Je pris, un jour, mon
courage à deux mains, et m'en fus au théâtre
Montparnasse. MM. Larochelle et Romain me
firent passer une audition et m'engagèrent. Je
fis mes débuts dans Le Jumeau, avec un,rôle
de cent cinquante lignes, dont je pus me tirer à
honneur, heureusement pour moi, puisque mes
directeurs me gardèrent trois saisons à leur théâ-
tre. L'été, j'allais jouer au théâtre de Belleville,
mais ma situation était bien incertaine; je parle
de celle qui m'était faite chez moi, par mon mari,
dont les colères, souvent, étaient telles que je
ne savais plus si je pourrais aller jouer le soir.
Après un séjour au théâtre d'Antin, je réussis à
signer, avec la tournée Chartier, et je m'en fus
en province et à l'étranger. Libérée, désormais,
du contact, mais toujours sous la menace d'A-
lexandre, j'ai été appelée , il y a quelque temps,
à sortir de ma réserve. C'est à l'occasion du
crime du passage Ronsin. Alexandre Wolf ne fai-
sait-il pas passer ses amoureuses de rencontre
pour moi, et ne donnait-il pas mon nom dans
les hôtels meublés, quand il y fréquentait avec
des compagnes de bars?
« J'ai donc changé de nom* je m'appelle Ville-
neuve, maintenant,, du nom de-mon lieu de nais-
sancer car je suis née à Villeneuve-St-Georges.
disait-on pas, dans les villes où je suis passée:
(t Tiens, mais c'est la femme de l'assassin ! »
(C J'ai écrit à M. Leydet, apprenant qu'on me
cherchait, qui j'étais et où j'allais. Je dois dire,
du reste, que je n'ai jamais été convoquée ni à
f Cliché Avenelle, Rouen)
Mme Wolf
Paris ni en province, par commission rogatoire.
« Aujourd'hui, je poursuis ma route. J'adore
mon métier. Ne vaut-il pas mieux que l'enfer
d'autrefois? Mon rôle est d'aller, pour l'instant,
de ville en ville. J'aime mieux ces voyages qu'un
séjour à Paris, où Wolf ne manquerait pas de
me trouver, et le passé m'a appris à me méfier
de ses colères!. »
— Il est donc si terrible que cela, votre ex-
mari?
— Oui, monsieur, c'est un violent dont il faut
tout craindre, quand la colère l'étreint.
— Alors, vous croyez que dans l'affaire Stei-
nheil.
- Oh! non, pas ça, réplique vivement l'actri-
ce, non ! Alexandre est batailleur et capable,
dans une bagarre, de donner un mauvais coup
à quelqu'un; mais de là au crime, il y a loin et
je n'y crois pas!
Voici qu'on appelle Sidonie en scène. Mme
Wolf me quitte et gagne un portant. Elle entre
et le public fit largement. C'est la vie!
E. ROUZIER-DORCIERES.
,çJ'anga"
CE QUE PENSE M. CAMILLE MAUCLAIR DE
M. ISIDORE DE LARA, DONT ON JOUERA,
MERCREDI PROCHAIN, L'ŒUVRE
NOUVELLE A L'OPÉRA-COMIQUE
En considérant le théâtre lyrique, au
lendemain du Crépuscule des dieux, deux
choses nous frappent : la première, c'est
que la mission confiée à l'orchestre d'ex-
primer la psychologie essentielle d'un
drame a fini par faire grand tort aux per-
sonnages. La seconde, c'est que le symbo-
lisme et la valeur allégorique des héros
engendrent la fatigue et l'ennui.
Il en est de même du théâtre à thèse,
du théâtre-tribune. Thèse et symbole sur-
chargent ambitieusement des poupées san^
leur conférer de la vie, et le théâtre veut
de la vie. Il est illogique de nous convo-
quer au théâtre pour nous exposer en trois
heures la doctrine d'un problème social qui
exigerait des mois d'étude: dans ce cadre
illusionniste et factice, la prétention choque
encore davantage. On n'y agite que des
fantômes d'idées, on n'v entend qu'une:
sorte de fable-express sur une vérité mo-
rale. Une série de conférences sérieuse-*
ment préparées vaudrait mieux. Il fàut at~
tendre autre chose d'un spectacle: ainsi
conçu, on n'en extrait ni véritable pensée,
ni vrai plaisir. Quant à la métaphysique
que le drame lyrique porte en ses flancs,
elle n'est, à vrai dire, qu'une délectation
inhérente à l'imprécise et divine sonorité:.
nous nous laissons subjuguer par la svm-
phonie, et les pantins nous intéressent
d'autant moins.
Dans ces conditions, il serait peut-êtref
plus franc qu'un musicien de théâtre' QU un
dramaturge nous dissent : « Vous êtes av
théâtre. Vous n'entendez ni profession dt
foi, ni système philosophique. Vous ver- •
rez des acteurs et des rôles, c'est-à-din
des instruments d'illusion. Mais si d'em
blée, sur les planches, on ne doit voua?
présenter qu'une belle facticité, une
soir, n'oubliez pas qu'un beau 'coup. doi
théâtre n'est pas facile à trouver, et qu'il
y faut du génie. » - )
Evidemment, les partisans de l'art disj
tingué, savant, mystérieux et ennuyeux nel
sauraient entendre une teUe déclaration!
sans affecter le dédain et gémir sur lai
décadence; mais le public, pour qui, l'afBr.
M. Isidore de Lara
mation de la vie n'est pas, nécessair.ement.J
une déchéance de l'art, serait probablement
enchanté. Depuis le .temps qu'on fait de*
tout devant lui, sur une scène, sauf du
théâtre, et qu'il n'ose pas se ? plaindre ni
avouer qu'il s'assomme sans s'instruire, il
serait ravi d'un aveu si net. De là 2 re«
courir aux naïves truculences du vérisros
italien, il v a un monde. Verdi nous l'a:
prouvé et Charpentier: et je suppose que
Sanga nous le prouvera encore sous una •
forme nouvelle, ardente, et pleine de sin-
cère passion.
Il ne m'appartient pas de raconter l'ac-
tion de I'oeuvre que l'Opéra-Comique vg
représenter. Ce. que je voudrais seulemen<
dire, c'est qu'elle est animée d'un souffle
de vie très puissante. C'est aussi qu'elle
présente, avec une très grande force les
idées d'un homme de théâtre musical ; et
ces idées, indépendantes des formules ré-
cemment à la mode dont on est déjà bien,
las: ces idées ressemblent fort à celles que
je viens d'énoncer.
Sanga est une œuvre de vie, sans allé-
gorie, sans symbolisme prémédité. Aux
yeux de M. de Lara, un personnage ne
devient représentatif et svmbolique qu :à<
force de vivre d'une vie plus intense que
la nôtre. Sanga présente des êtres dont la
vitalité individuelle est exprimée non par
des leitmotive, mais par un .style musical
propre à chaque rôle. L'orchestre ..y reste,
à son plan. Il intervient parfois avec une
vigueur polyphonique suffisant largeme nt à
prouver que l'auteur n'ignore rien d.;s res-
sources de son art; .mais les persoïicages
gardent leur préséance. Et enfin, SanLia a
cette particularité qu'on peut tenir à - bon
droit pour extraordinaire aujourd'hui; c'est
que c'est une œuvre lyrique écrite pour
la voix par un musicien qui aime et ad-
mire la voix humaine.
Il est heureux que Mlles Chenal et Mar-
tyl et que M. Fugère aient des voix su-
perbes. parce que, autrement, ils eusses:
dû rendre leurs rôles. En un temps on la
détestation de la voix humaine est devenue
un dogme, où les chanteurs aphones se
transforment en « tragédien&,'», voici un
auteur qui a la volonté d'écrire encore
pour les chanteurs qui chantent, sans 1 -
écraser sous l'orchestre. C'est plus qu T
n'en faut pour être taxé d'italianisme p~
les précieux et les mystérieux pour L
musique Ivrique n'est qu'un chuchotome'
raffiné.
Depuis quinze ans, M. Isidore de Lard,
joué avec succès à Monte-Carlo, à Cove.it
Garden, à la Scala de Milan, à Cologne ou
en France, a beaucoup travaillé, beaucoup
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