Titre : Comoedia / rédacteur en chef : Gaston de Pawlowski
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1908-10-14
Contributeur : Pawlowski, Gaston de (1874-1933). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32745939d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 14 octobre 1908 14 octobre 1908
Description : 1908/10/14 (A2,N380). 1908/10/14 (A2,N380).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k76460336
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-123
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 13/04/2015
2 fAnnée. 8" Ne 380 (Quotldlen)-
Le Numéro : & centime*
Mercredi 14 Octobre 1908.
* ,
#
Rédacteur en Chef : G. de PAWLOWSKI
RÉDACTION & ADMINISTRATION :
27i Bouleuard Poissonnière, PARIS
TÉLÉPHONE : 288-07
Adresse Télégraphique : COMŒDIA» PARIS
ABONNEMENTS :
UN AN 6 MOIS
* aris et Départements 24t fr. 12 fr.
Étranger. 40 » 20 D
RÉDACTION & ADMINISTRATION :
27, Boulevard Poissonnière, PARIS
TÉLÉPHONE: 288-07
Numéro provisoire : 401-46
ABONNEMENTS:
;' UN AN e MOIS
- -
Paris et Départements 24 fr. 12 fr.
Etranger. 40 a 20 »
La dixième Muse
Apologue
Il était une fois un poète dont u0 cri-
tique s'était permis de blâmer quelques
vers. On l'a dit et redit, que la race des
poètes est très irritable. En tout cas, elle
le cède peut-être sur ce point à la race
des critiques eux-mêmes, lesquels ne
viennent que bien après les romanciers,
qui, toutefois, sont moins susceptibles
encore que les romancières, et ces der-
nières, vous le savez, de reste, semblent
des anges de patience et de modestie dès
qu'on les compare aux auteurs dramati-
ques, aux exigeants, ombrageux, quin-
teux et intraitables auteurs dramati-
ques. Néanmoins, c'est d'un poète qu'il
s'agit
- o
Ce poète, donc, venait de se voir lé-
gèrement, très légèrement repris par un
critique. Un pareil scandale est-il tolé-
rable? Assurément non! Que fallait-il
donc faire? Parbleu! sauter sur sa plu-
me, et répondre de sa plus belle encre
par une lettre vengeresse. Mais on
n'improvise pas une telle épître: il con-
vient d'y songer longuement et de la
-eemposer à loisir. Notre poète s'installa,
Pour ce motif, au fond d'un grand fau-
teuil et se prit à rêver, pesant des ter-
mes, ciselant des phrases et aiguisant
maintes épigrammes. Et déjà son billet
se muait tout doucement en un furieux
pamphlet, quand soudain une forme
charmante apparut à ses yeux, s'avança
en souriant, et s'assit, ou plutôt se po-
sa. non sans une élégance infinie, sur
une chaise qui se trouvait là.
C'était une jeune femme simplement
Vêtue, et coiffée à la mode d'aujour-
d'hui, mais sans tant de chichis; une
longue chemise, retenue par une cein-
ture, lui tombait jusqu'aux pieds; ses
bras nus, fort jolis, ses pieds chaussés
de sandales, ses jambes exquises, et que
l'on devinait à travers l'étoffe, se
mouvaient harmonieusement, cependant
qu'une grâce divine habitait son visage.
Comme le poète, intimidé, ne souf-
flait mot, la jeune femme sourit un peu
davantage, et parla en ces termes:
— Tu ne me connais pas, jeune
poète. Naturellement, d'ailleurs. Depuis
tant de siècles que nous inspirons, mes
-sœurs fit moi, les gfrs dR.lfcttr.eg, ces in-
grats ont toujours adoré, cultivé, révéré
mes neuf chères compagnes: Clio, musè
de l'histoire; Euterpe, Thalie et Melpo-
mène, qui président au théâtre; Terp-
sichore, qui protège la danse; Erato,
Polymnie, Calliope, patronnes des poè-
tes et des orateurs, et la folle Uranie,
enfin, divinité tutélaire des astrologues et
des aviateurs. Mais quant à moi, ils
m'ignorent, les oublieux, ils affectent de
ne jamais me nommer ; ils ne me ren-
dent aucun des honneurs auxquels j'ai
tous les droits ! Et pourtant, ô poète, je
suis la plus puissante et la plus bien-
faisante des Muses, la dixième, celle de
la Vanité. Salue-moi bien bas, je t'ai déjà
rendu tant de services — et ce n'est pas
fini 1.
» N'est-ce point grâce à moi que les
écrivains travaillent qu'ils font des livres
et des pièces? Sans moi, souhaiteraient-
ils à ce point d'être illustres et décorés
sur toutes les coutures? Auraient-ils in-
venté la publicité, qui les enrichit et les
fait connaître ; les Académies, le repor-
tage littéraire, et tant d'autres gentillesses
de ce genre? Je soutiens les neurasthéni-
ques et aveugles, les malheureux ratés,
ô adolescent plein de dépit! J'aide à
supporter les épreuves, à ricaner avec
mépris devant l'indifférence inexplicable
du .public stupide, ô chanteur puérile-
ment irrité! C'est grâce à moi, ô le plus
romanesque de tous les hommes, qu'on
ne va pas décharger les six coups de
son revolver dans la figure maudite de
tels ou tels directeurs de théâtres ou de
journaux, mais que l'on hausse simple-
ment les épaules en se disant: « Les
pauvres gens ! » Et que si l'on est, d'au-
tre part, sur le point de mourir empoi-
sonné par le fiel et la rancune, après
certains articles de critiques chétifs et
paresseux, on ne succombe pourtant pas
à ces flots de bile, mais que l'on allume
paisiblement une cigarette en déclarant
-sans faiblesse : « Cet imbécile n'a encore
pas compris, comme d'habitude. »
» Honore-moi dans ton cœur, mon
petit ami. Je suis depuis un temps im-
mémorial la déesse omnipotente et sou-
veraine qui, presque seule, anime et di-
rige tes ridicules confrères. Rappelle-toi
ce que fit Apollon lui-même, le premier
en date de tous les poètes, quand un cri-
tique impartial et modéré, le roi Midas,
se permit jadis non pas de donner le
prix, mais de trouver seulement quelque
mérite aux chansons du rustique Pan,
qui avait accepté la lutte avec le dieu:
ce dernier donna froidement au malheu-
reux roi dilettante des oreilles d'âne, et
allez donc ! Quant à ce pauvre et déri-
soire satyre Marsyas, dont le seul crime
avait été d'oser concourir avec le blond
Phébus pour un prix de poésie, sou-
viens-toi de ce que lui infligea son vain-
queur indigné : il l'écorcha vif, rien
moins que cela. A la bonne heure!
« Et Daphné, la délicieuse Daphné!
Apollon, qui l'aimait, la poursuivit si
bien que la pauvrette éperdue implora
les dieux, et que ceux-ci, compatissant à
^a vertu, la changèrent en laurier. Et
alors, sais-tu à quoi se résolut sur le
champ Apollon, l'amoureux Apollon? Il
cueillit incontinent le laurier et, comme
un gros égoïste, comme un gros fat, s'en
tressa à la hâte une couronne, se la mit
bêtement sur la tête, puis s'en fut se
pavaner avec cela.
» Et la lyre d'Orphée, connais-tu l'his-
toire de la lyre d'Orphée? Eh bien! ce-
lui-ci venait de chanter dans un banquet;
un gosse mal élevé qui flânait pas là —
c'était le tout jeune Achille, entre nous,
et ceci se passait dans l'antre de Chi-
ron — ramassa la lyre que le poète avait
à l'instant même posé à terre, et com-
mença d'en tirer, par espièglerie, des
accords affreux: un rire homérique sai-
sit aussitôt toute l'assistance, sauf Or-
phée cependant qui, sottement et gros-
sièrement furieux, saisit le pauvre bam-
bin par une jambe et l'envoya rouler à
vingt pas. C'est Clio qui m'a conté
cela.
» Tu vois que mon règne se perd dans
la nuit des temps, et que les plus res-
pectables entre tous les poètes ont con-
nu mes bienfaits. Observe donc mon
culte avec ferveur, ô mon enfant; de-
viens pieusement et saintement vaniteux,
et ne m'oublie jamais, moi qui suis la
plus ancienne des Muses, et la plus vé-
nérable! »
Elle dit, et disparut. Le jeune poète
rêva quelque temps encore, puis il se
vit tout à coup grand comme le monde,
et, dès lors, n'écrivit jamais plus de let-
tres injurieuses aux gens de peu qui ne
l'admiraient pas. Mais il eut pitié d'eux,
à la vérité, et les plaignit de tout son
coeur.
Marcel BOULENGER.
Nous publierons demain un article de
PIERRE MORTIER
Le théâtre
désesperantiste
L'horreur qu'éprouvent les antisémites
pour les juifs rappelle à s'y méprendre
celle que ressentait Dorian Gray cha-
que tois qu'il jetait les yeux sur soin pro-
pre pdrtrait. Par suite d'une simple coïnci-
dence, notre société moderne, avec son es-
prit d'analyse raisonnée et de critique impi-
toyable, c'est-à-dire, en somme, de destruc-
tion, se trouve symboliser en effet très exac-
tement pi ~t ~j~a~j~M~:
de la race juive. Et de cela il tant bien re-
connaître que les juifs ne sont point respon-
sables.
S'il fallait une démonstration frappante
de cet état d'esprit général, je crois qu'il
suffirait d'examiner deux.pièces de théâtre
écrites ces temps-ci par deux auteurs de
croyances et d'opinions diamétralement op-
posées, et qui toutes deux se soumettent ce-
pendant également à cette tendance géné-
rale, je veut parler. de L'Emigré et d'Israël.
Dans l'une comme dans l'autre, nous
voyons un jeune homme, fier de son nom,
de sa race et de ses idées, qui, dès le se-
cond acte, apprend avec terreur qu'il n'est
que le fils d'un bourgeois ou d'un juif.
Dans les deux pièces, on trouve une cri-
tique violente de la société moderne, et cette
critique aboutit à la ruine de tous les prin-
cipes et à la destruction, sans autre issue
possible, de nos derniers espoirs.
Or, il serait singulièrement étroit de ne
voir là que le simple esprit de la race juive,
alors qu'il s'agit de l'état d'esprit de toute
une époque.
Examinez en effet les pièces qui furent
écrites il y a quelques années seulement:
toutes suivent une marche inverse. Un mal-
heureux enfant dans la plus profonde mi-
sère, forcé de mendier, découvre brusque-
ment qu'il est le fils d'un riche financier ou
d'un roi. Sa situation va en s'élevant du pre-
mier au dernier acte, comme dans une belle
gravure d'Epinal, et vous pouvez constater
que les auteurs de ces pièces-là étaient in-
différemment juifs ou chrétiens. La neuras-
thénie scientifique n'existait pas encore.
Faut-il en conclure, suivant les époques,
à la renaissance ou à la décadence finale
des idées ? Pareille question ferait, je crois,
sourire bien des savants qui pratiquent suc-
cessivement, pour le mieux de leurs recher-
ches, l'analyse et la synthèse. Elle ferait
surtout sourire les historiens qui savent
combien ces flux et ces reflux de la pensée
humaine sont peu de chose dans fhfsfoïre,
et combien sont puissants et toujours renou-
velés les germes vitaux du progrès éternel.
Aujourd'hui, c'est entendu; grâce à l'es-
prit critique de notre époque, nos joujoux
anciens sont tous cassés. On peut taire croi-
re aux enfants, pour les punir, qu'ils n'en
auront jamais d'autres, mais, pour nous, on
nous permettra de penser que tout n'est
point fini pour l'humanité le jour où elle
commence seulement à entr'ouvrir les yeux
sur tout ce qui l'entoure.
G. DE PAWLOWSKI.
x
Échos
Ce soir, à huit heures trois quarts, 'à la
Comédie-Française, représentation de gala
en l'honneur des membres du Congrès de
la Route.
- w w
Ce soir, à neuf heures, réouverture du
Grand-Guignol.
Ce soir, à neuf heures, aux Capucines,
répétition générale du spectacle de réouver-
ture. : ;
Ce soir, à neuf heures, à la Comédie-
Royale, préfère représentation de: L'A-
près-midi Byzantine, de M. Nozière; V']a
l'potin mondain, revue de MM. Fargue et
Charron; La Petite Femme forte, de MM.
Germain et Trébor; Madame est de bois, û-e
E.-G. Gluck.
Les dames sont priées de, venir sans ch a.
peau.
c
orrespondance.
Nous recevons cette lettre d'un, de
nos lecteurs:
Monsieur,
Caque fois que j'assiste aux représentations de
Manon, à l'Opéra-Comique, je suis très étonné,
au tableau de l'hôtel de Transylvanie, de voir les
joueurs manipuler des liasses de billets de ban-
que. Or, si mes souvenirs ne sont pas en dé-
faut, en 1721 (date de l'action de Manon), la
Banque de France n'existait pas (elle n'a été ins-
tituée qu'en 1803); il n'y avait pas d'assignats
(ils ont été créés en 1790) et aucun papier-mon-
naie ne circulait en France. Je crois bien qu'à
cette époque, il n'y avait que la Chine qui connût
le papier-monnaie.
C'est là, me direz-vous,, un bien petit détail.
Evidemment, mais dans une mise en scène aussi
soignée que celle de l'Opéra-Comique, il choque
un peu.
Recevez. je vous prie, monsieur, mes saluta-
tions et mes excuses.
tions et mes excuses. FRISEPOULET.
0
n raconte que.
Claudius, l'autre soir. vêtu d'une
cuirasse de preux chevalier et armé d'une
hallebarde, ainsi que le veut son rôle, fut
légèrement mordu, dans la coulisse, par nn
petit toutou qui, cependant, semblait bien
inoffensif.
Croyant avoir affaire à un chien enragé,
il le frappa du fer de sa hallebarde. Le pau-
vre roquet — un loulou de Poméranie -
fut un peu égratigné, mais si peu ! Sa maî-
tresse, rouge de colère, courut à Claudius:
— Vous auriez pu, au moins, le frapper
avec le manche de votre arme !
— C'est ce que j'aurais fait, répartit
Claudius, — avec un sourire. naturelle-
ment! -, s'if m'avait mordu avec sa queue!
Se non è vero.
w
agner et Beethoven.
Notre érudit collaborateur J.-G.
Prod'homme nous adresse le billet suivant:
Cher Masque de Verre,
Puisque vous voulez bien me demander mon
avis sur la visite à Beethoven racontée par Wag-
ner, je vous dirai que votre écho de dimanche
dernier est de tous points exact.
Wagner n'a jamais connu Beethoven ; son ré-
cit, écrit à Paris en 1840, est purement imagi-
naire, de même que tout le petit roman intitulé:
Un musicien allemand à Paris. Sainte-Beuve
n'est, d'ailleurs, pas le seul à avoir commis
l'erreur que vous signalez. La plupart des criti-
ques qui ont bien voulu parler du premier volu-
me de ma traduction des Œuvres en prose, de
W!agttdant Wagner dit bien expressément qu'il a tiré
Son récif des papiers d'un défttàFâtfl f(imaginaire
toujours).
Bien cordialement vôtre
J.-G. PROD'HOMME.
D
ans le Métro, l'autre jour.
Un grand monsieur, bâti. en colosse,
jeune, élégant, rasé, un artiste sans doute,
parcourt Comœdia, va des échos aux rubri-
ques, et tombe au rez-de-chaussée de Sa-
cha Guitry, qu'il se met à lire.
Le lecteur bientôt se penche vers son
voisin, son compagnon de voyage urbain, et
dans un sourire lui dit, en montrant la si-
gnature du feuilleton :
- Dire qu'il a été mon élève!
Et c'est vrai. Sacha Guitry fut l'élève
de Ch.-E. Faroux, le monsieur rasé qui,
pour être artiste, n'est point acteur, mais
qui est surtout un charmant et érudit con-
frère, littérateur de talent, technicien de
haute valeur, sportsman fervent et cham-
pion de billard. Un moment, Ch.-E. Faroux
professa les mathématiques en un petit éta-
blissement du parc Monceau, que fréquen
tait Sacha Guitry. -
Et Sacha était, paraît-il, un déplorable
élève. --
c
rhez les directeurs : 1
> Les membres de l'Association des
Directeurs ont procède à 1 élection de leur
bureau, qui se trouve .ainsi compose pour
la saison 1908-1909 :
Président : M. Albert Carré ;
Vice-présidents : MM. Porel et Micheau ;
Trésorier : M.. Alphonse Franck;
Secrétaire : M. Richemond.
M
oins cher qu'au bureau.
Vendredi, à quatre heures, alors
que l'animation des boulevards était intense,
un monsieur fort élégant, à la moustache
vaporeuse, sortit du Crédit Lyonnais et,
d'un pas tranquille, s'achemina vers la place
de l'Opéra. Devant le Café Américain il
s'arrêta pour consulter l'affiche de l'Opéra;
la distribution de Thaïs parut l'intéresser vi-
vement.
D'un air satisfait, il poursuivit sa route,
traversa la place de l'Opéra et pénétra dans
le théâtre par le bureau de location, non
sans qu'un marchand de billets, attiré sans
doute par son allure cossue, ne se précipi-
tât vers lui pour lui proposer des « places
excellentes à des prix modérés ».
Calme et digne, M. Messager—car c'é-
tait lui —: sourit et passa.
N
abusons pas des meilleures choses. e"
Ou, en d'autres termes, faut des
théâtres de plein air, mais point trop n'en
faut!
La nouvelle nous vient du point culrni.
nant de l'Auvergne, du sommet du Puy de
Dôme/où, dans les ruines du temple de
Mercure, des gens bien intentionnés veu*
lent faire la pige à Orange. :
Dépêchons-nous de leur crier casse-cou,
car la seule raison d'être des "théâtres anti-
ques résidait dans l'excellence de leur
acoustique. Or, tout nous porte à croire
qu'au sommet du Puy de Dôme la raréfac-
tion de l'air (1.450 mètres d'altitude) doit
donner une acoustique plutôt déplorable!
Mais on a créé un chemin de fer qui
monte au sommet du vieux volcan, et, au
point terminus dudit chemin de fer, une
hostellerie qui, cela se conçoit, ne demande
qu'à servir bravement sa clientèle-, Algrsa
^est-ce pas, des ruines du temple de Mer-
cure à un théâtre de plein air il n'y avait
qu'un tout petit effort d'imagination, à
peine.
L
es petites, les obscures, les sans-grades.
Beaucoup de gens pensent que les
« acttices ») vivent toutes dans le luxe et la
dentelle, dépensent chaque mois plusieurs
centaines de francs chez le parfumeur et
plusieurs billets de mille chez le couturier.
Hélas! c'est prendre une fois de plus
l'exception pour la règle.
A côté des heureuses parvenues — qui
ne doivent pas toujours à leur seul mérite
dramatique leur prospérité — il faut con-
naître les innombrables ingénues, coquettes,
soubrettes ou jeunes premières à qui six
francs par jour — et. encore ! — suffisent
pour subsister, qui raccommodent elles-mê-
mes leurs jupes, font leurs chapeaux et pré-
parent leur dîner.
Et ce ne sont pas toujours celles qui ont
le moins de talent.
T
*ous les bijoux, diamants, perles se ven-
dent très cher chez Dusausoy, expert,
4, boulevard des Italiens, qui achète toute
la journée, toujours au comptant, quelle que
soit l'importance de la somme. Il revend à
petit bénéfice. -
LES PETITES COMEDIES
LA DISTRIBUTION
Marc Virot et Adolphe Poussin sortent de
la Scala et se regardent en souriant.
MARC. - Eh bien! Ça y est! Elle est accep-
tée, notre revue !
ADOLPHE. -Et sur simple scénario ! Je n'ose
y croire.
MARC. — Sois .tranquille: c'est signé. 'Mais
le plus dur reste à faire.
ADOLPHE, d'un ton léger. — Ecrire ? Oh ! je
ne suis pas inquiet, avec notre talent!.
MARC, d'un air de pitié. — Mon pauvre ami!
On voit bien que tu débutes dans le genre.
Mais ce n'est pas le tout d'écrire une revue.
Les vraies difficultés commencent après, avec
les questions de décors, d'accessoires, de cos-
tumes. et surtout! quand il faut faire la dis-
tribution. (levant les yeux au ciel) Ahl tiens:
rien que la distribution!.
ADOLPHE. — Peuh! La belle affaire!. Nous
avons déjà nos interprètes, principaux. et quant
aux marcheuses, ma foi, comme leur nom l'in-
dique, elles marcheront!
MARC. — Enfant!
ADOLPHE. — D'ailleurs, le régisseur est là
pour un coup!
MARC. — Moi aussi. Mais pense qu'elles sont
cinquante!
ADOLPHE. - Va donc! Celles qui t'embête-
ront, tu n'auras qu'à me les envoyer.
MARC. — Ainsi, tu t'imagines.-
ADOLPHE, énergiquement. - Envoie-les moi,
la te dis !
; Mme. — Eti bien, oui, mi. Je- te tes etr-
verraj!
Un mois après, sur le plateau du théâtre.
Brouhaha et remue-ménage.
LE RÉGISSEUR, tenant à la main de petits fas-
cicules et criant d'une voix puissante. — Allons!
Allons! Un peu de silence!. Voilà les rôles:
M. Ferjal, Mlle Huguette, M. Edmons. Ah!
non! je me trompe, c'est le rôle de Cayrol.
Il continue sa distribution.
ADOLPHE, à son collaborateur. - Tu vois
personne ne rouspète! - Ça va.
MARC. —Attends. attends.
LE RÉGISSEUR, hurlant. — Les Ensembles!
Par ici, les Ensembles!. (Une nuée de petites
femmes se pressent autour du régisseur). Te-
nez, voilà les couplets; tâchez de ne pas les
perdre! (D'un ton menaçant.) Et puis, un peu
moins de raffut, n'est-ce pas.? ou je fous tout
le monde au tableau, y compris les auteurs !
; Court moment de silence. -
ADOLPHE à Marc. — Ça' va, ça va tout seul!
MXRC. — Pauvre innocent!
Deux jours plus tard. Marc entre dans le
foyer. Il est aussitôt accosté par une
petite femme dont les cheveux blonds
et bouclés lui font une tête plus grosse
que le corps.
LA PETITE FEMME, à .mi-voix, d'un ton de
reproche. - Dis donc! t'es rien mufle! Tu
m'as dit hier soir, en te déshabillant, que tu
m'avais ajouté dix lignes, et fai toujours que
mes trois mots !. C'était inutile que je t'em-
mène chez moi, alors !
MARC, qui la trouve très toc depuis qu'il l'a
vue de trop près, d'un ton d'impatience. —
Ah!. c'est mon collaborateur qui n'a pas vou-
lu. Tiens, va le voir : il habite 31, rue Véron.
Il s'esquive et tombe au milieu de deux
jeunes dames, de plus en plus blondes,
qui le prennent chacune par un bras.
PREMIÈRE JEUNE DAME. — C'est vous l'auteur?
Oh! vous savez, nous ne sommes pas conten-
tes. L'année dernière, nous avions un duo dans
la revue, et, cette fois-ci, on nous colle dans les
ensembles!
SON AMIE. - C'est dégoûtant!
MARC, se dégageant. — Oh! mes petites fil-
les, ça n'est pas moi que tout ça regarde!
Adressez-vous à mon collaborateur. 31, rue
Véron.
Un mois après, à l'hôpital Lariboisière.
MARC, prenant congé d'Adolphe, plus blanc
(et de beaucoup!) que les draps de son lit, et
sec comme un coup de trique. — Allons, au
revoir, mon vieux. Demain, je viendrai te
dire comment la première aura marché.
ADOLPHE, le regardant d'un air hébété. —
Marc sort de la salle en hochant la tête.
Il se croise avec le médecin de ser-
vice.
MARC. - Eh bien, docteur, est-ce qu'il s'en
tirera? 1.
LE DOCTEUR. - Oui, oui. rassurez-vous!
MARC. — Et. par de rechute à craindre;
LE DOCTEUR, avec un gros-rire. — Aucune!
mais à une condition: c'est qu'il n'écrive ja-
mais plus de revues!
ANDRÉ MYCHO.
v
an der. Zanden, le maestro à la réputa-
tion universelle, - tient ses assises cha-
que soir chez Lapre, le maître restaurateur
dont les soupers sont maintenant courus du
Tout-Paris élégant, et ce grâce aux huîtres
à la chair exquise et aux rougès écrevisses
qui ne se trouvent qu'au célèbre établisse-
ment de là rue Drouot.
NOUVELLE A LA MAIN
L
eurs rosseries.
Lors de la répétition générale, sur
une scène du boulevard, de trois actes qui
furent accueillis plutôt fraîchement, le gros
X., désignant la salle,, s'exclarna :
- Le Congrès du Froid !
Le Masque de Verre.
THÉÂTRE RÉJANE
.- - *
Ç* D A y y Pièce en trois actes,
ISRAËL, de M. BERNSTEIN.
M. Cauthier
(Thibault de Croucy)
Mme Réjane
(Duchesse de Croucy)
SOMMAIRE
Le prince Thibault de Clare, chef de la jeunes-
se antisémite, insulte et provoque le banquier
juif Justin Gutlieb. Mais la duchesse de Crou-
cy, mère de Thibault, lui révèle qu'il est en réa-
lité le fils de Gutlieb. Sur quoi, Thibault se con-
damne au cloître, puis à la mort.
Que cette pièce doive exciter des polémi-
ques, peut-être passionnées, cela va de soi,
puisque la question juive y est posée. Et le
titre même que M. Henry Bernstein a choisi
4>muvj^assez qu'il n'a jpas entendu se déro-
ber à ces controverses. Que la pensée, l'in-
tention intime de'l'auteur doive provoquer
des contrariétés ou des erreurs d'interpré-
tation, c'est ce qu'il fallait prévoir encore,
par la raison même que la donnée de l'œu-
vre est impartiale, que les personnages
maintiennent avec rigueur, de l'exposition
eau dénouement, leur position, leurs senti-
ments, leurs caractères. Et cependant je se-
rais bien surpris que la pensée première de
M. Henry Bernstein ait été d'écrire une
pièce sur la question juive, de donner une
réplique, et bien moins encore une suite, au
Retour de Jérusalem. Le don dramatique est
chez lui trop entier, trop dominant pour
qu'il ne soit pas parti de la vue d'une ac-
tion, d'une situation. Et j'imagine que c'est
cette situation même qui lui aura imposé,
après coup, comme une conséquence néces-
saire, le choix des personnages, des milieux,
des idées où l'action pouvait naître et se dé-
velopper.
Quelle est la situation conçue par
M. Bernstein? Placer deux hommes dans
des partis si complètement ennemis, dans un
tel antagonisme de pensée et de conduite
que la révélation soudaine, pour l'un, qu'il
est en réalité le fils de l'autre, lui retire
d'un coup toutes les raisons possibles d'agir
et de vivre, entache son passé, ruine l'ave-
nir. Rien de plus commode assurément que
de construire sur cette donnée un drame
historique ou un drame d'imagination. L'au-
teur trouve aussitôt à sa disposition les ty-
rans et les nations opprimées, les Troyens
et les Grecs, les Capulets et les Montaigus,
toutes les Haines de peuples, de familles ou
de factions. Mais, dans la société moderne,
autour de nous, parmi nous, comment dé-
couvrir les éléments d'un tel drame, si ce
n'est dans le conflit des religions et des
races. Qu'un jeune noble, chef de l'agita-
tion antisémite, apprenne tout à coup, en
pleine lutte, en pleine bataille, qu'en fait il
est le fils d'un Juif, c'était une donnée pé-
rilleuse mais vraisemblable et possible, la
seule possible peut-être, la seule d'où le
drame imaginé par M. Bernstein pût se dé-
duire logiquement,
Thibault, prince de Clare, héritier pré-
somptif du titre ducal de Croucy, est donc
le chef de la jeunesse antisémite. Et, com-
me il est actif, éloquent, énergique, il a stf
organiser, animer un parti sans disciplina
et sans vie. Dans ses mobiles, d'ailleurs,
nulle trace d'envie, de fanatisme ou de
haine. Socialiste chrétien, le prince de Clara
veut réaliser en France une société fondée
sur l'unité de race et.de foi. Il ne hait pas
les Juifs, mais les Juifs le gênent en tant
qu'élément étranger, et aussi parce qu'ils
représentât l'influence du capital mobilier
'ontre la fortune foncière, l'esprit d'égalité
ontre le commandement aristocratique,
esprit d'entreprise individuelle contre l'ab-
légation et la soumission chrétienne. Sa
loctrine n'est guère moins gênante pour
n certain nombre de ses amis que pour ses
adversaires. Son oncle, par exemple, le
-omte de Grégenoy, lui objectera la menace
grandissante de la Révolution ouvrière, l'ap-
Jui nécessaire du capital juif dans la ba-
taille prochaine. Il n'y a plus en France,
lui dira-t-il, ni juifs ni aristocrates: il n'y a
Mus que des prolétaires et des bourgeois.
Mais Thibault de Clare n'a pas-pettr de»jo-:
/endications révolutionnaires. Un ouvrier
juif n'est pas son ennemi, mais seulement
les Juifs opulents, les Grands Juifs qui me-
nacent de corrompre,.par leur alliance, cette
pure aristocratie de race dont Thibault attend
le rétablissement national.
N M. Signoret (GutUeb)
Or un journal vient précisément de révé-f
1er que le banquier Justin Gutlieb a versé
des sommes énormes aux caisses de pro-
pagande anticléricale. Ce Gutlieb est juif,.
comme le suggère son nom; riche, comma
l'indique son acte. Pourquoi alimente-t-il do
son argent la propagande anticléricale ? Ses
raisons d'agir, comme celles de Thibault,
sont exemptes de toute bassesse, de toutel
médiocrité. Sa vie fut marquée par un pro-
fond, par un immense amour.. Il a aimé
M. Trévflle - M. Duquesn.,
(Marquis de Mauve) (Comte de Grégenoy) (Photos ErnMfo fiiod)
Agnès, duchesse de Croucy, femme d'un
époux indigne. Agnès l'a aimé et il a eu
d'elle un fils, qui est précisément Thibault
de Clare. L'autorité brutale d'un prêtre le
Père de Silvian, a convaincu Agnès de son
péché, a fait de 1 amoureuse une pénitente,
a privé Gutlieb de la femme qu'il adorait
du fils qu'il se sentait prêt à chérir. Vingt
ans de souffrances cachées l'on ainsi con-
duit à détester le dogme chrétien comme
l'ennemi de la vie et de l'amour.
i Voilà les deux adversaires en présence
Le Numéro : & centime*
Mercredi 14 Octobre 1908.
* ,
#
Rédacteur en Chef : G. de PAWLOWSKI
RÉDACTION & ADMINISTRATION :
27i Bouleuard Poissonnière, PARIS
TÉLÉPHONE : 288-07
Adresse Télégraphique : COMŒDIA» PARIS
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UN AN 6 MOIS
* aris et Départements 24t fr. 12 fr.
Étranger. 40 » 20 D
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- -
Paris et Départements 24 fr. 12 fr.
Etranger. 40 a 20 »
La dixième Muse
Apologue
Il était une fois un poète dont u0 cri-
tique s'était permis de blâmer quelques
vers. On l'a dit et redit, que la race des
poètes est très irritable. En tout cas, elle
le cède peut-être sur ce point à la race
des critiques eux-mêmes, lesquels ne
viennent que bien après les romanciers,
qui, toutefois, sont moins susceptibles
encore que les romancières, et ces der-
nières, vous le savez, de reste, semblent
des anges de patience et de modestie dès
qu'on les compare aux auteurs dramati-
ques, aux exigeants, ombrageux, quin-
teux et intraitables auteurs dramati-
ques. Néanmoins, c'est d'un poète qu'il
s'agit
- o
Ce poète, donc, venait de se voir lé-
gèrement, très légèrement repris par un
critique. Un pareil scandale est-il tolé-
rable? Assurément non! Que fallait-il
donc faire? Parbleu! sauter sur sa plu-
me, et répondre de sa plus belle encre
par une lettre vengeresse. Mais on
n'improvise pas une telle épître: il con-
vient d'y songer longuement et de la
-eemposer à loisir. Notre poète s'installa,
Pour ce motif, au fond d'un grand fau-
teuil et se prit à rêver, pesant des ter-
mes, ciselant des phrases et aiguisant
maintes épigrammes. Et déjà son billet
se muait tout doucement en un furieux
pamphlet, quand soudain une forme
charmante apparut à ses yeux, s'avança
en souriant, et s'assit, ou plutôt se po-
sa. non sans une élégance infinie, sur
une chaise qui se trouvait là.
C'était une jeune femme simplement
Vêtue, et coiffée à la mode d'aujour-
d'hui, mais sans tant de chichis; une
longue chemise, retenue par une cein-
ture, lui tombait jusqu'aux pieds; ses
bras nus, fort jolis, ses pieds chaussés
de sandales, ses jambes exquises, et que
l'on devinait à travers l'étoffe, se
mouvaient harmonieusement, cependant
qu'une grâce divine habitait son visage.
Comme le poète, intimidé, ne souf-
flait mot, la jeune femme sourit un peu
davantage, et parla en ces termes:
— Tu ne me connais pas, jeune
poète. Naturellement, d'ailleurs. Depuis
tant de siècles que nous inspirons, mes
-sœurs fit moi, les gfrs dR.lfcttr.eg, ces in-
grats ont toujours adoré, cultivé, révéré
mes neuf chères compagnes: Clio, musè
de l'histoire; Euterpe, Thalie et Melpo-
mène, qui président au théâtre; Terp-
sichore, qui protège la danse; Erato,
Polymnie, Calliope, patronnes des poè-
tes et des orateurs, et la folle Uranie,
enfin, divinité tutélaire des astrologues et
des aviateurs. Mais quant à moi, ils
m'ignorent, les oublieux, ils affectent de
ne jamais me nommer ; ils ne me ren-
dent aucun des honneurs auxquels j'ai
tous les droits ! Et pourtant, ô poète, je
suis la plus puissante et la plus bien-
faisante des Muses, la dixième, celle de
la Vanité. Salue-moi bien bas, je t'ai déjà
rendu tant de services — et ce n'est pas
fini 1.
» N'est-ce point grâce à moi que les
écrivains travaillent qu'ils font des livres
et des pièces? Sans moi, souhaiteraient-
ils à ce point d'être illustres et décorés
sur toutes les coutures? Auraient-ils in-
venté la publicité, qui les enrichit et les
fait connaître ; les Académies, le repor-
tage littéraire, et tant d'autres gentillesses
de ce genre? Je soutiens les neurasthéni-
ques et aveugles, les malheureux ratés,
ô adolescent plein de dépit! J'aide à
supporter les épreuves, à ricaner avec
mépris devant l'indifférence inexplicable
du .public stupide, ô chanteur puérile-
ment irrité! C'est grâce à moi, ô le plus
romanesque de tous les hommes, qu'on
ne va pas décharger les six coups de
son revolver dans la figure maudite de
tels ou tels directeurs de théâtres ou de
journaux, mais que l'on hausse simple-
ment les épaules en se disant: « Les
pauvres gens ! » Et que si l'on est, d'au-
tre part, sur le point de mourir empoi-
sonné par le fiel et la rancune, après
certains articles de critiques chétifs et
paresseux, on ne succombe pourtant pas
à ces flots de bile, mais que l'on allume
paisiblement une cigarette en déclarant
-sans faiblesse : « Cet imbécile n'a encore
pas compris, comme d'habitude. »
» Honore-moi dans ton cœur, mon
petit ami. Je suis depuis un temps im-
mémorial la déesse omnipotente et sou-
veraine qui, presque seule, anime et di-
rige tes ridicules confrères. Rappelle-toi
ce que fit Apollon lui-même, le premier
en date de tous les poètes, quand un cri-
tique impartial et modéré, le roi Midas,
se permit jadis non pas de donner le
prix, mais de trouver seulement quelque
mérite aux chansons du rustique Pan,
qui avait accepté la lutte avec le dieu:
ce dernier donna froidement au malheu-
reux roi dilettante des oreilles d'âne, et
allez donc ! Quant à ce pauvre et déri-
soire satyre Marsyas, dont le seul crime
avait été d'oser concourir avec le blond
Phébus pour un prix de poésie, sou-
viens-toi de ce que lui infligea son vain-
queur indigné : il l'écorcha vif, rien
moins que cela. A la bonne heure!
« Et Daphné, la délicieuse Daphné!
Apollon, qui l'aimait, la poursuivit si
bien que la pauvrette éperdue implora
les dieux, et que ceux-ci, compatissant à
^a vertu, la changèrent en laurier. Et
alors, sais-tu à quoi se résolut sur le
champ Apollon, l'amoureux Apollon? Il
cueillit incontinent le laurier et, comme
un gros égoïste, comme un gros fat, s'en
tressa à la hâte une couronne, se la mit
bêtement sur la tête, puis s'en fut se
pavaner avec cela.
» Et la lyre d'Orphée, connais-tu l'his-
toire de la lyre d'Orphée? Eh bien! ce-
lui-ci venait de chanter dans un banquet;
un gosse mal élevé qui flânait pas là —
c'était le tout jeune Achille, entre nous,
et ceci se passait dans l'antre de Chi-
ron — ramassa la lyre que le poète avait
à l'instant même posé à terre, et com-
mença d'en tirer, par espièglerie, des
accords affreux: un rire homérique sai-
sit aussitôt toute l'assistance, sauf Or-
phée cependant qui, sottement et gros-
sièrement furieux, saisit le pauvre bam-
bin par une jambe et l'envoya rouler à
vingt pas. C'est Clio qui m'a conté
cela.
» Tu vois que mon règne se perd dans
la nuit des temps, et que les plus res-
pectables entre tous les poètes ont con-
nu mes bienfaits. Observe donc mon
culte avec ferveur, ô mon enfant; de-
viens pieusement et saintement vaniteux,
et ne m'oublie jamais, moi qui suis la
plus ancienne des Muses, et la plus vé-
nérable! »
Elle dit, et disparut. Le jeune poète
rêva quelque temps encore, puis il se
vit tout à coup grand comme le monde,
et, dès lors, n'écrivit jamais plus de let-
tres injurieuses aux gens de peu qui ne
l'admiraient pas. Mais il eut pitié d'eux,
à la vérité, et les plaignit de tout son
coeur.
Marcel BOULENGER.
Nous publierons demain un article de
PIERRE MORTIER
Le théâtre
désesperantiste
L'horreur qu'éprouvent les antisémites
pour les juifs rappelle à s'y méprendre
celle que ressentait Dorian Gray cha-
que tois qu'il jetait les yeux sur soin pro-
pre pdrtrait. Par suite d'une simple coïnci-
dence, notre société moderne, avec son es-
prit d'analyse raisonnée et de critique impi-
toyable, c'est-à-dire, en somme, de destruc-
tion, se trouve symboliser en effet très exac-
tement pi ~t ~j~a~j~M~:
de la race juive. Et de cela il tant bien re-
connaître que les juifs ne sont point respon-
sables.
S'il fallait une démonstration frappante
de cet état d'esprit général, je crois qu'il
suffirait d'examiner deux.pièces de théâtre
écrites ces temps-ci par deux auteurs de
croyances et d'opinions diamétralement op-
posées, et qui toutes deux se soumettent ce-
pendant également à cette tendance géné-
rale, je veut parler. de L'Emigré et d'Israël.
Dans l'une comme dans l'autre, nous
voyons un jeune homme, fier de son nom,
de sa race et de ses idées, qui, dès le se-
cond acte, apprend avec terreur qu'il n'est
que le fils d'un bourgeois ou d'un juif.
Dans les deux pièces, on trouve une cri-
tique violente de la société moderne, et cette
critique aboutit à la ruine de tous les prin-
cipes et à la destruction, sans autre issue
possible, de nos derniers espoirs.
Or, il serait singulièrement étroit de ne
voir là que le simple esprit de la race juive,
alors qu'il s'agit de l'état d'esprit de toute
une époque.
Examinez en effet les pièces qui furent
écrites il y a quelques années seulement:
toutes suivent une marche inverse. Un mal-
heureux enfant dans la plus profonde mi-
sère, forcé de mendier, découvre brusque-
ment qu'il est le fils d'un riche financier ou
d'un roi. Sa situation va en s'élevant du pre-
mier au dernier acte, comme dans une belle
gravure d'Epinal, et vous pouvez constater
que les auteurs de ces pièces-là étaient in-
différemment juifs ou chrétiens. La neuras-
thénie scientifique n'existait pas encore.
Faut-il en conclure, suivant les époques,
à la renaissance ou à la décadence finale
des idées ? Pareille question ferait, je crois,
sourire bien des savants qui pratiquent suc-
cessivement, pour le mieux de leurs recher-
ches, l'analyse et la synthèse. Elle ferait
surtout sourire les historiens qui savent
combien ces flux et ces reflux de la pensée
humaine sont peu de chose dans fhfsfoïre,
et combien sont puissants et toujours renou-
velés les germes vitaux du progrès éternel.
Aujourd'hui, c'est entendu; grâce à l'es-
prit critique de notre époque, nos joujoux
anciens sont tous cassés. On peut taire croi-
re aux enfants, pour les punir, qu'ils n'en
auront jamais d'autres, mais, pour nous, on
nous permettra de penser que tout n'est
point fini pour l'humanité le jour où elle
commence seulement à entr'ouvrir les yeux
sur tout ce qui l'entoure.
G. DE PAWLOWSKI.
x
Échos
Ce soir, à huit heures trois quarts, 'à la
Comédie-Française, représentation de gala
en l'honneur des membres du Congrès de
la Route.
- w w
Ce soir, à neuf heures, réouverture du
Grand-Guignol.
Ce soir, à neuf heures, aux Capucines,
répétition générale du spectacle de réouver-
ture. : ;
Ce soir, à neuf heures, à la Comédie-
Royale, préfère représentation de: L'A-
près-midi Byzantine, de M. Nozière; V']a
l'potin mondain, revue de MM. Fargue et
Charron; La Petite Femme forte, de MM.
Germain et Trébor; Madame est de bois, û-e
E.-G. Gluck.
Les dames sont priées de, venir sans ch a.
peau.
c
orrespondance.
Nous recevons cette lettre d'un, de
nos lecteurs:
Monsieur,
Caque fois que j'assiste aux représentations de
Manon, à l'Opéra-Comique, je suis très étonné,
au tableau de l'hôtel de Transylvanie, de voir les
joueurs manipuler des liasses de billets de ban-
que. Or, si mes souvenirs ne sont pas en dé-
faut, en 1721 (date de l'action de Manon), la
Banque de France n'existait pas (elle n'a été ins-
tituée qu'en 1803); il n'y avait pas d'assignats
(ils ont été créés en 1790) et aucun papier-mon-
naie ne circulait en France. Je crois bien qu'à
cette époque, il n'y avait que la Chine qui connût
le papier-monnaie.
C'est là, me direz-vous,, un bien petit détail.
Evidemment, mais dans une mise en scène aussi
soignée que celle de l'Opéra-Comique, il choque
un peu.
Recevez. je vous prie, monsieur, mes saluta-
tions et mes excuses.
tions et mes excuses. FRISEPOULET.
0
n raconte que.
Claudius, l'autre soir. vêtu d'une
cuirasse de preux chevalier et armé d'une
hallebarde, ainsi que le veut son rôle, fut
légèrement mordu, dans la coulisse, par nn
petit toutou qui, cependant, semblait bien
inoffensif.
Croyant avoir affaire à un chien enragé,
il le frappa du fer de sa hallebarde. Le pau-
vre roquet — un loulou de Poméranie -
fut un peu égratigné, mais si peu ! Sa maî-
tresse, rouge de colère, courut à Claudius:
— Vous auriez pu, au moins, le frapper
avec le manche de votre arme !
— C'est ce que j'aurais fait, répartit
Claudius, — avec un sourire. naturelle-
ment! -, s'if m'avait mordu avec sa queue!
Se non è vero.
w
agner et Beethoven.
Notre érudit collaborateur J.-G.
Prod'homme nous adresse le billet suivant:
Cher Masque de Verre,
Puisque vous voulez bien me demander mon
avis sur la visite à Beethoven racontée par Wag-
ner, je vous dirai que votre écho de dimanche
dernier est de tous points exact.
Wagner n'a jamais connu Beethoven ; son ré-
cit, écrit à Paris en 1840, est purement imagi-
naire, de même que tout le petit roman intitulé:
Un musicien allemand à Paris. Sainte-Beuve
n'est, d'ailleurs, pas le seul à avoir commis
l'erreur que vous signalez. La plupart des criti-
ques qui ont bien voulu parler du premier volu-
me de ma traduction des Œuvres en prose, de
W!agtt
Son récif des papiers d'un défttàFâtfl f(imaginaire
toujours).
Bien cordialement vôtre
J.-G. PROD'HOMME.
D
ans le Métro, l'autre jour.
Un grand monsieur, bâti. en colosse,
jeune, élégant, rasé, un artiste sans doute,
parcourt Comœdia, va des échos aux rubri-
ques, et tombe au rez-de-chaussée de Sa-
cha Guitry, qu'il se met à lire.
Le lecteur bientôt se penche vers son
voisin, son compagnon de voyage urbain, et
dans un sourire lui dit, en montrant la si-
gnature du feuilleton :
- Dire qu'il a été mon élève!
Et c'est vrai. Sacha Guitry fut l'élève
de Ch.-E. Faroux, le monsieur rasé qui,
pour être artiste, n'est point acteur, mais
qui est surtout un charmant et érudit con-
frère, littérateur de talent, technicien de
haute valeur, sportsman fervent et cham-
pion de billard. Un moment, Ch.-E. Faroux
professa les mathématiques en un petit éta-
blissement du parc Monceau, que fréquen
tait Sacha Guitry. -
Et Sacha était, paraît-il, un déplorable
élève. --
c
rhez les directeurs : 1
> Les membres de l'Association des
Directeurs ont procède à 1 élection de leur
bureau, qui se trouve .ainsi compose pour
la saison 1908-1909 :
Président : M. Albert Carré ;
Vice-présidents : MM. Porel et Micheau ;
Trésorier : M.. Alphonse Franck;
Secrétaire : M. Richemond.
M
oins cher qu'au bureau.
Vendredi, à quatre heures, alors
que l'animation des boulevards était intense,
un monsieur fort élégant, à la moustache
vaporeuse, sortit du Crédit Lyonnais et,
d'un pas tranquille, s'achemina vers la place
de l'Opéra. Devant le Café Américain il
s'arrêta pour consulter l'affiche de l'Opéra;
la distribution de Thaïs parut l'intéresser vi-
vement.
D'un air satisfait, il poursuivit sa route,
traversa la place de l'Opéra et pénétra dans
le théâtre par le bureau de location, non
sans qu'un marchand de billets, attiré sans
doute par son allure cossue, ne se précipi-
tât vers lui pour lui proposer des « places
excellentes à des prix modérés ».
Calme et digne, M. Messager—car c'é-
tait lui —: sourit et passa.
N
abusons pas des meilleures choses. e"
Ou, en d'autres termes, faut des
théâtres de plein air, mais point trop n'en
faut!
La nouvelle nous vient du point culrni.
nant de l'Auvergne, du sommet du Puy de
Dôme/où, dans les ruines du temple de
Mercure, des gens bien intentionnés veu*
lent faire la pige à Orange. :
Dépêchons-nous de leur crier casse-cou,
car la seule raison d'être des "théâtres anti-
ques résidait dans l'excellence de leur
acoustique. Or, tout nous porte à croire
qu'au sommet du Puy de Dôme la raréfac-
tion de l'air (1.450 mètres d'altitude) doit
donner une acoustique plutôt déplorable!
Mais on a créé un chemin de fer qui
monte au sommet du vieux volcan, et, au
point terminus dudit chemin de fer, une
hostellerie qui, cela se conçoit, ne demande
qu'à servir bravement sa clientèle-, Algrsa
^est-ce pas, des ruines du temple de Mer-
cure à un théâtre de plein air il n'y avait
qu'un tout petit effort d'imagination, à
peine.
L
es petites, les obscures, les sans-grades.
Beaucoup de gens pensent que les
« acttices ») vivent toutes dans le luxe et la
dentelle, dépensent chaque mois plusieurs
centaines de francs chez le parfumeur et
plusieurs billets de mille chez le couturier.
Hélas! c'est prendre une fois de plus
l'exception pour la règle.
A côté des heureuses parvenues — qui
ne doivent pas toujours à leur seul mérite
dramatique leur prospérité — il faut con-
naître les innombrables ingénues, coquettes,
soubrettes ou jeunes premières à qui six
francs par jour — et. encore ! — suffisent
pour subsister, qui raccommodent elles-mê-
mes leurs jupes, font leurs chapeaux et pré-
parent leur dîner.
Et ce ne sont pas toujours celles qui ont
le moins de talent.
T
*ous les bijoux, diamants, perles se ven-
dent très cher chez Dusausoy, expert,
4, boulevard des Italiens, qui achète toute
la journée, toujours au comptant, quelle que
soit l'importance de la somme. Il revend à
petit bénéfice. -
LES PETITES COMEDIES
LA DISTRIBUTION
Marc Virot et Adolphe Poussin sortent de
la Scala et se regardent en souriant.
MARC. - Eh bien! Ça y est! Elle est accep-
tée, notre revue !
ADOLPHE. -Et sur simple scénario ! Je n'ose
y croire.
MARC. — Sois .tranquille: c'est signé. 'Mais
le plus dur reste à faire.
ADOLPHE, d'un ton léger. — Ecrire ? Oh ! je
ne suis pas inquiet, avec notre talent!.
MARC, d'un air de pitié. — Mon pauvre ami!
On voit bien que tu débutes dans le genre.
Mais ce n'est pas le tout d'écrire une revue.
Les vraies difficultés commencent après, avec
les questions de décors, d'accessoires, de cos-
tumes. et surtout! quand il faut faire la dis-
tribution. (levant les yeux au ciel) Ahl tiens:
rien que la distribution!.
ADOLPHE. — Peuh! La belle affaire!. Nous
avons déjà nos interprètes, principaux. et quant
aux marcheuses, ma foi, comme leur nom l'in-
dique, elles marcheront!
MARC. — Enfant!
ADOLPHE. — D'ailleurs, le régisseur est là
pour un coup!
MARC. — Moi aussi. Mais pense qu'elles sont
cinquante!
ADOLPHE. - Va donc! Celles qui t'embête-
ront, tu n'auras qu'à me les envoyer.
MARC. — Ainsi, tu t'imagines.-
ADOLPHE, énergiquement. - Envoie-les moi,
la te dis !
; Mme. — Eti bien, oui, mi. Je- te tes etr-
verraj!
Un mois après, sur le plateau du théâtre.
Brouhaha et remue-ménage.
LE RÉGISSEUR, tenant à la main de petits fas-
cicules et criant d'une voix puissante. — Allons!
Allons! Un peu de silence!. Voilà les rôles:
M. Ferjal, Mlle Huguette, M. Edmons. Ah!
non! je me trompe, c'est le rôle de Cayrol.
Il continue sa distribution.
ADOLPHE, à son collaborateur. - Tu vois
personne ne rouspète! - Ça va.
MARC. —Attends. attends.
LE RÉGISSEUR, hurlant. — Les Ensembles!
Par ici, les Ensembles!. (Une nuée de petites
femmes se pressent autour du régisseur). Te-
nez, voilà les couplets; tâchez de ne pas les
perdre! (D'un ton menaçant.) Et puis, un peu
moins de raffut, n'est-ce pas.? ou je fous tout
le monde au tableau, y compris les auteurs !
; Court moment de silence. -
ADOLPHE à Marc. — Ça' va, ça va tout seul!
MXRC. — Pauvre innocent!
Deux jours plus tard. Marc entre dans le
foyer. Il est aussitôt accosté par une
petite femme dont les cheveux blonds
et bouclés lui font une tête plus grosse
que le corps.
LA PETITE FEMME, à .mi-voix, d'un ton de
reproche. - Dis donc! t'es rien mufle! Tu
m'as dit hier soir, en te déshabillant, que tu
m'avais ajouté dix lignes, et fai toujours que
mes trois mots !. C'était inutile que je t'em-
mène chez moi, alors !
MARC, qui la trouve très toc depuis qu'il l'a
vue de trop près, d'un ton d'impatience. —
Ah!. c'est mon collaborateur qui n'a pas vou-
lu. Tiens, va le voir : il habite 31, rue Véron.
Il s'esquive et tombe au milieu de deux
jeunes dames, de plus en plus blondes,
qui le prennent chacune par un bras.
PREMIÈRE JEUNE DAME. — C'est vous l'auteur?
Oh! vous savez, nous ne sommes pas conten-
tes. L'année dernière, nous avions un duo dans
la revue, et, cette fois-ci, on nous colle dans les
ensembles!
SON AMIE. - C'est dégoûtant!
MARC, se dégageant. — Oh! mes petites fil-
les, ça n'est pas moi que tout ça regarde!
Adressez-vous à mon collaborateur. 31, rue
Véron.
Un mois après, à l'hôpital Lariboisière.
MARC, prenant congé d'Adolphe, plus blanc
(et de beaucoup!) que les draps de son lit, et
sec comme un coup de trique. — Allons, au
revoir, mon vieux. Demain, je viendrai te
dire comment la première aura marché.
ADOLPHE, le regardant d'un air hébété. —
Marc sort de la salle en hochant la tête.
Il se croise avec le médecin de ser-
vice.
MARC. - Eh bien, docteur, est-ce qu'il s'en
tirera? 1.
LE DOCTEUR. - Oui, oui. rassurez-vous!
MARC. — Et. par de rechute à craindre;
LE DOCTEUR, avec un gros-rire. — Aucune!
mais à une condition: c'est qu'il n'écrive ja-
mais plus de revues!
ANDRÉ MYCHO.
v
an der. Zanden, le maestro à la réputa-
tion universelle, - tient ses assises cha-
que soir chez Lapre, le maître restaurateur
dont les soupers sont maintenant courus du
Tout-Paris élégant, et ce grâce aux huîtres
à la chair exquise et aux rougès écrevisses
qui ne se trouvent qu'au célèbre établisse-
ment de là rue Drouot.
NOUVELLE A LA MAIN
L
eurs rosseries.
Lors de la répétition générale, sur
une scène du boulevard, de trois actes qui
furent accueillis plutôt fraîchement, le gros
X., désignant la salle,, s'exclarna :
- Le Congrès du Froid !
Le Masque de Verre.
THÉÂTRE RÉJANE
.- - *
Ç* D A y y Pièce en trois actes,
ISRAËL, de M. BERNSTEIN.
M. Cauthier
(Thibault de Croucy)
Mme Réjane
(Duchesse de Croucy)
SOMMAIRE
Le prince Thibault de Clare, chef de la jeunes-
se antisémite, insulte et provoque le banquier
juif Justin Gutlieb. Mais la duchesse de Crou-
cy, mère de Thibault, lui révèle qu'il est en réa-
lité le fils de Gutlieb. Sur quoi, Thibault se con-
damne au cloître, puis à la mort.
Que cette pièce doive exciter des polémi-
ques, peut-être passionnées, cela va de soi,
puisque la question juive y est posée. Et le
titre même que M. Henry Bernstein a choisi
4>muvj^assez qu'il n'a jpas entendu se déro-
ber à ces controverses. Que la pensée, l'in-
tention intime de'l'auteur doive provoquer
des contrariétés ou des erreurs d'interpré-
tation, c'est ce qu'il fallait prévoir encore,
par la raison même que la donnée de l'œu-
vre est impartiale, que les personnages
maintiennent avec rigueur, de l'exposition
eau dénouement, leur position, leurs senti-
ments, leurs caractères. Et cependant je se-
rais bien surpris que la pensée première de
M. Henry Bernstein ait été d'écrire une
pièce sur la question juive, de donner une
réplique, et bien moins encore une suite, au
Retour de Jérusalem. Le don dramatique est
chez lui trop entier, trop dominant pour
qu'il ne soit pas parti de la vue d'une ac-
tion, d'une situation. Et j'imagine que c'est
cette situation même qui lui aura imposé,
après coup, comme une conséquence néces-
saire, le choix des personnages, des milieux,
des idées où l'action pouvait naître et se dé-
velopper.
Quelle est la situation conçue par
M. Bernstein? Placer deux hommes dans
des partis si complètement ennemis, dans un
tel antagonisme de pensée et de conduite
que la révélation soudaine, pour l'un, qu'il
est en réalité le fils de l'autre, lui retire
d'un coup toutes les raisons possibles d'agir
et de vivre, entache son passé, ruine l'ave-
nir. Rien de plus commode assurément que
de construire sur cette donnée un drame
historique ou un drame d'imagination. L'au-
teur trouve aussitôt à sa disposition les ty-
rans et les nations opprimées, les Troyens
et les Grecs, les Capulets et les Montaigus,
toutes les Haines de peuples, de familles ou
de factions. Mais, dans la société moderne,
autour de nous, parmi nous, comment dé-
couvrir les éléments d'un tel drame, si ce
n'est dans le conflit des religions et des
races. Qu'un jeune noble, chef de l'agita-
tion antisémite, apprenne tout à coup, en
pleine lutte, en pleine bataille, qu'en fait il
est le fils d'un Juif, c'était une donnée pé-
rilleuse mais vraisemblable et possible, la
seule possible peut-être, la seule d'où le
drame imaginé par M. Bernstein pût se dé-
duire logiquement,
Thibault, prince de Clare, héritier pré-
somptif du titre ducal de Croucy, est donc
le chef de la jeunesse antisémite. Et, com-
me il est actif, éloquent, énergique, il a stf
organiser, animer un parti sans disciplina
et sans vie. Dans ses mobiles, d'ailleurs,
nulle trace d'envie, de fanatisme ou de
haine. Socialiste chrétien, le prince de Clara
veut réaliser en France une société fondée
sur l'unité de race et.de foi. Il ne hait pas
les Juifs, mais les Juifs le gênent en tant
qu'élément étranger, et aussi parce qu'ils
représentât l'influence du capital mobilier
'ontre la fortune foncière, l'esprit d'égalité
ontre le commandement aristocratique,
esprit d'entreprise individuelle contre l'ab-
légation et la soumission chrétienne. Sa
loctrine n'est guère moins gênante pour
n certain nombre de ses amis que pour ses
adversaires. Son oncle, par exemple, le
-omte de Grégenoy, lui objectera la menace
grandissante de la Révolution ouvrière, l'ap-
Jui nécessaire du capital juif dans la ba-
taille prochaine. Il n'y a plus en France,
lui dira-t-il, ni juifs ni aristocrates: il n'y a
Mus que des prolétaires et des bourgeois.
Mais Thibault de Clare n'a pas-pettr de»jo-:
/endications révolutionnaires. Un ouvrier
juif n'est pas son ennemi, mais seulement
les Juifs opulents, les Grands Juifs qui me-
nacent de corrompre,.par leur alliance, cette
pure aristocratie de race dont Thibault attend
le rétablissement national.
N M. Signoret (GutUeb)
Or un journal vient précisément de révé-f
1er que le banquier Justin Gutlieb a versé
des sommes énormes aux caisses de pro-
pagande anticléricale. Ce Gutlieb est juif,.
comme le suggère son nom; riche, comma
l'indique son acte. Pourquoi alimente-t-il do
son argent la propagande anticléricale ? Ses
raisons d'agir, comme celles de Thibault,
sont exemptes de toute bassesse, de toutel
médiocrité. Sa vie fut marquée par un pro-
fond, par un immense amour.. Il a aimé
M. Trévflle - M. Duquesn.,
(Marquis de Mauve) (Comte de Grégenoy) (Photos ErnMfo fiiod)
Agnès, duchesse de Croucy, femme d'un
époux indigne. Agnès l'a aimé et il a eu
d'elle un fils, qui est précisément Thibault
de Clare. L'autorité brutale d'un prêtre le
Père de Silvian, a convaincu Agnès de son
péché, a fait de 1 amoureuse une pénitente,
a privé Gutlieb de la femme qu'il adorait
du fils qu'il se sentait prêt à chérir. Vingt
ans de souffrances cachées l'on ainsi con-
duit à détester le dogme chrétien comme
l'ennemi de la vie et de l'amour.
i Voilà les deux adversaires en présence
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