Titre : Comoedia / rédacteur en chef : Gaston de Pawlowski
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1908-06-07
Contributeur : Pawlowski, Gaston de (1874-1933). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32745939d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 07 juin 1908 07 juin 1908
Description : 1908/06/07 (A2,N251). 1908/06/07 (A2,N251).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k76466353
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-123
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 13/04/2015
2e Année. N° 251 (Quotidien)
Le Numéro : 5 centime#
Dimanche 7 Juin 1908.
COMŒDIA
Rédacteur en Chef: G. de PAWLOWSKI
RÉDACTION & ADMINISTRATION :
27, Bouleuard Poissonnière, PARIo
TÉLÉPHONE : 288-07
Adresse Télégraphique : COMŒDlA.PARIS
ABONNEMENTS:
UN AN 6 MOIS
Paris et Départements 24 fr. 12 fir.
Étranger. 40 » 20 »
RÉDACTION & AMHNISTRATION:
27, Bouleuard Poissonnière, PARIS
TÉLÉPHONE : 288-07
Adresse Télégraphique : COMŒDIA-PARIS
ABONNEMENTS:
UN AN 8 MOIS
Paris et Départements 24 fr. 12 fr.
Étranger 4tO » 20 D
• PAYSAGES 'ANIMES
Croquis Parisiens
Le chien qui suit le TramWjay
Au petit galop de chasse, entre les
arbres du boulevard, le chien jaune suit
le tramway, et, pour lui, ce n'est point
une petite affaire ; on ne saurait s'imagi-
ner la peine qu'il faut prendre pour faire
avancer une pareille machine.
Il est laid, mais il ne s'en soucie guère ;
comme les vieux grognards de l'Em-
pire, il a bien autre chose à penser: ce
sont les arbres qu'il faut flairer pour
s'assurer qu'aucun ennemi n'est caché
derrière; ce sont les rails qu'il faut soi-
gneusement vérifier, puis l'attelage, puis
les autres voitures qui doivent se ran-
ger. Que sais-je encore? On ne saurait
trop prendre de précautions.
Le cocher paraît s'endormir dans ses
langes; les chevaux, suspendus au ti-
mon, ne se hâtent guère, et le conduc-
teur, les pieds tordus par leur marche
habituelle dans des ornières d'autres
pieds, reste parfois cinq minutes sans
faire tourner sa petite sonnerie de lapin
mécanique. Cependant, puisque ce
tramway appartient à son maître, le
chien jaune l'admire sans réserves.
Aux stations, pendant les arrêts, il
regarde les passants, cherche sur leurs
figures d'inévitables signes d'admiration
et semble leur dire:
— Hein ! est-ce assez joli ce tramway,
regardez comme c'est bien bâti! Trou-
vez-moi donc une aussi belle voiture
dans tout Paris, et, dans tout ce tram-
way, un plus bel homme que mon maî-
tre ! Vous voyez, c'est celui qui est assis
là-haut, sur la tête des autres, avec sa
pipe et sa blouse blanche, un homme
qui prend ses cinq absinthes par jour, ce
qui me fait, au bas mot, six morceaux
de sucre l'un dans l'autre !
Puis un dernier coup d'œil aux roues,
un encouragement aux chevaux, et en
route ! On ne doit point s'attarder à cau-
lorsqu'on est en service commandé.
De temps en temps, le chien jaune
abandonne un instant la voiture et file, à
droite ou à gauche, annoncer aux au-
tres chiens le passage de son maître.
Et, pour économiser du chemin,
quand ils lui tournent le dos, comme il
n'a pas le temps de faire le tour, il se
contente de leur téléphoner la nou-
velle par derrièrè.
Il se multiplie et s'occupe de toùt; il
se convulsé en tirebouchon jusqu'au nez
résigné des chevaux et leur saute entre
les jambes comme une flaque jaune;
il jape quand le veau mugisseur,
caché dans la voiture, oublie de beugler,
et son indignation ne connaît plus de
bornes lorqu'un misérable sapin ne se
dérange pas assez vite.
Puis, dès aue la voie est libre, il court
de ci de là donner de nouveaux coups
de téléphone.
Parfois il regarde en l'air et demande
des ordres, mais son maître sommeille
doucement; il s'en fie à lui, sans doute,
et cette confiance redouble son zèle.
Et même, quand son maître descend
enfin, le chien jaune s'efforce de détour-
ner son attention par ses gambades et
par ses sauts. Il l'emmène, il l'entraine
loin du tramway, et lorsque tout danger
semble écarté, cyniquement il accepte les
compliments et les caresses.
— Mon Dieu, oui, la tâche était bien
dure, mais que ne ferait-on pas pour
un si bon maître!
Sans remords, il s'imagine qu'on lui
attribue toute la peine et que le
bonhomme, un peu distrait, vous sa-
vez, parfois, n'a pas vu qu'il y avait des
chevaux.
Brigade des Voitures
Dans la nuit, trois heures du matin
sonnent lentement à une intègre horloge
qui ne connaît que son devoir, puis, en-
tre les hautes maisons de l'avenue dé-
serte, le silence retombe plus profond en-
core.
Avant le réveil des êtres et des choses
tout semble pour la dernière fois s'endor-
mir lourdement aux premières lueurs de
l'aube, et, dans cette humidité chaude du
jour qui point, c'est comme du sommeil
qui monte de la terre vers le ciel, mêlé
aux fades parfums que versent sans
compter Aubervilliers et Pantin.
Seul, tel Siméon Stylite au faite de sa
colonne, l'agent de la brigade des voi-
tures demeure immobile sur son refuge.
Serviteur incorruptible de l'Idée, il reste
'là, les yeux perdus dans le rêve. son-
geant aux lointaines campagnes qui le vi-
rent naître, qui sait? peut-être même à
sa mère, ruminant lentement.
Et comme, malgré tout, l'inaction lui
Pèse et que le sommeil l'envahit, pour se
distraire il se met à compter les étoiles
qui, une à une, se fondent dans le ciel et
se décolorent.
Quelques noms lui reviennent, len-
tement inculqués par le brigadier au
long d'interminables et incohérentes
théories sur l'orientation.
Voici le Cygne, auquel les enfants ne
doivent, sous aucun prétexte, jeter du
pain ; puis la constellation d'Andromède
et, plus loin, le Dragon, trop souvent,
hélas ! en état d'ivresse manifeste.
Mais brusquement, esclave de sa con-
signe, l'agent se redresse lentement. Son
bâton s'est levé, puis, machinalement, re-
tombe vers l'horizon désert.
Entre Polaire et le Lion, il vient d'a-
percevoir le Chariot.
G. de PAWLOWSKI.
Nous publierons demain une chronique de
MAX et ALEX FISCHER
Échos
Ce soir, à huit heures un quart, au
théâtre de l'Œuvre (salle Femina), pre-
mière représentation de Vas Victis, pièce en
trois actes et quatre tableaux, de Mlle M. Du-
terme ; Les Amours d'Ovide, comédie en
deux actes en vers, de MM. Mouézy-Eon,
Auzanet et Faral, musique de scène de M.
Henri Moreau-Febvre.
Ce soir, à la Cigale, répétition générale
à bureaux ouverts, de Hue! Cocotte! Re-
vue à grand spectacle en deux actes et huit
tableaux, de MM. P.-L. Flers et Eugène
Héros, arrangements et musique nouvelle
de M. Monteux,-Brissac.
L
a Favorite.
Ceci se passait ces jours derniers au
Théâtre Impérial de Finlande. bavardaient
Plusieurs artistes réunis bavardaient
amicalement dans le bureau du régisseur
en fumant une cigarette, quand une artiste
de la maison, fort patronnée par les Puis-
sances, ouvrit la porte et s'écria:
- Ah! c'est affreux! c'est dégoûtant!
quelle fumée! c'est à n'y pas tenir!
Et elle sortit très dignement.
Le lendemain, le directeur des spectacles
impériaux faisait afficher dans les couloirs :
« Défense absolue aux artistes d'entrer
dans le bureau du régisseur sans y avoir
été appelés. »
Quelques jours plus tard, la même ar-
tiste répétait en scène. Dans un groupe
de machinistes, un d'eux, irrévérencieuse-
ment, osa s'écrier:
— Qu'elle est moche!
La cantatrice — c'était une cantatrice -
perçut fort distinctement cette interjection,
et l'attribua, tout naturellement, à une ca-
marade.
Le lendemain, nouvelle affiche dans les
couloirs: « Les artistes sont invités, à r ave-
nir, à ne pas dépasser le troisième plan de
la scène pendant les répétitions. »
Voilà pourquoi ils sont obligés, depuis
lors, d'attendre leur tour dans la cour.
Cela se passait, ces jours derniers, au
Théâtre Impérial de Finlande.
c
omment on fait les bonnes maisons.
Il n'est - point, dans un établisse-
ment aussi colossal que le grand theatre
Impérial de Finlande, de petites économies.
Il importe, en effet, de compenser par la
répétition d'infimes bénéfices, les lourds
sacrifices occasionnés par l'entretien des
étoiles du cru.
Donc, vendredi dernier, jour de paye,
deux des meilleures pensionnaires de la
grande scène finlandaise eurent en pré-
sence du caissier impérial une douloureuse
surprise. En effet, l'un ténor et l'autre ba-
ryton se virent retenir un dixième de leurs
appointements pour avoir été souffrants un
soir de représentation.
De plus, le premier dut payer cent-vingt-
deux francs d'électricité, consommé dans
sa loge. Sur les instances de la direction
Impériale, il avait, d'ailleurs, consenti à
prêter sa loge à l'un de ses illustres cama-
rades, autre baryton de valeur.
Nos voisins seraient-ils à la veille d'un
nouvel emprunt, qu'ils excellent à ce point
dans l'art d'accommoder les restes?
L
e directeur et les anabaptistes.
M. Saugey, l'excellent directeur au-
1 -. - - 1 --
quel incomberont, la saison procnaine, tes
destinées du Grand-Théâtre de Marseille,
n'est pas seulement un artiste: il est aussi
un homme d'esprit. On cite de lui nombre
de boutades fort amusantes.
Un jour, à l'Opéra de Nicç, il dirigeait
une répétition du Prophète, œuvre que, par
le plus grand des hasards, il ne connaissait
pas. Depuis un instant, le directeur donnait
des signes visibles de la plus vive impa-
tience. Elle avait pour cause les entrées
aussi fréquentes qu'intempestives des trois
anabaptistes qui, dans l'œuvre de Meyer-
beer, apparaissent à tout propos, sans qu'on
puisse s'expliquer pourquoi.
A la fin, n'y tenant plus et véritablement
furieux, M. Saugey bondit hors du « gui-
gnol » d'où il assistait à la répétition. Avi-
gnol »
sant le régisseur, il l'apostropha en ces ter-
mes:
— Que ces trois mauvais plaisants ne
s'avisent point de remettre les pieds sur
la scène ou je les f.1anque au tableau avec
une belle amende. Ils apprendront ainsi à
se payer ma tête!. Enchaînons.
L'histoire ne dit pas si Le Prophète gse-
gna à cette métamorphose, que MM. Mes-
sager et Broussan ne se consoleront jamais
de n'avoir pas essayée.
Q
ai elle est?
Qui elie est. la blonde et jeune mu-
sicienne dont panait, î autre jour, ,-
dia. on nous l'a demandé. Et la Presse, dé-
jà, reprenant notrî note, y ajoutait le nom
de la petite malade.
Geo Clarett — tel est, en effet, le pseu-
donyme de la gracieuse compositrice. Sa
mère est un excellent et spirituel pro-
fesseur de musique et chant. Un de ses
très proches parents est un de nos con-
frères: il s'occupe de politique étrangère
dans un journal de l'après-midi.
Une des opérettes de Geo Clarett est,
nous l'avons dit, pour Grévin; une autre,
pour l'Eldorado.
Actuellement au Parc saint-Maur, dans
une villa au nom clair et poétique : « La
Source ». Miss Clarett, bien mieux por-
tante, achève de guérir sa neurasthénie et
de reconstituer ses forces nerveuses. Et, à
la rentrée, ce sera la reprise du travail —
des répétitions; et, bientôt, la terrible pre-
mière !
B
ecque et l'Académie.
Becque avait été plusieurs fois can-
didat.
Il n'en est pas moins vrai qu'il raillait
assez vivement les candidats à l'immorta-
lité: le candidat casse-cou, préoccupé de
prendre date; le candidat principe, qui se
doit à lui-même de faire cette manifestation
que, d'ailleurs, il ne renouvellera pas; le
candidat gaga, que personne ne connaît et
qui tourne à l'amusette; le candidat martyr,
qui ne mange plus, ne dort plus, en tombe
littéralement malade, et verse des larmes
après le scrutin qui l'a blackboulé; enfin,
le candidat qui ne se présente pas et qui le
crie partout, afin de se faire une notoriété.
Et pourtant, il n'eût peut-être pas été fâ-
ché de faire partie des Quarante!
L
es collectionneurs !
Mercredi, - après qu'on eût dégagé,
au cimetière de Montmartre, le cercueil de
Zola du caveau où il était descendu, par me-
sure de prudence, on crut bon de changer la
bière de secours, la première n'offrant plus ■
la sécurité voulue.
Alors il se passa, là, un fait bizarre, et
qui prouve à quel point l'instinct du collec-
tionneur est poussé chez nous. Parmi les
rares privilégiés qui assistaient à cette émou-
vante cérémonie, et même parmi le person-
nel du caractère et des pompes funèbres,
ce fut à qui aurait, du cercueil brisé, soit
un morceau de bois, soit un écrou et même
un fragment d'une des poignées.
Et si, sur l'ordre de M. Lépine, on n'avait
pas enlevé cette triste relique, on l'aurait
peut-être débitée par morceaux, à l'instar
d'une vulgaire corde de pendu.
L
e Théâtre et l'Autel.
Dans le département de la Manche.
près d'Avranches, pour ne pas préciser, lé
vieux curé, homme pieux et respecté, élève
un nouveau sanctuaire à la dévotion des
fidèles; mais, depuis la Séparation, les
temps sont plus durs et l'argent plus rare;
aussi, après de pressantes et vaines exhor-
tations à la bourse des croyants, a-t-il trou-
vé un moyen efficace de continuer les tra-
vaux ; pour cela, il s'est adressé à une char-
mante et déjà talentueuse ingénue du Con-
servatoire, et après les prochains concours,
Mlle X., accompagnée d'élèves et d'artis-
tes des théâtres de Paris, 'ira donner wnè
série de représentations dans les murs
mêmes de l'église en construction.
Le choix des pièces a été dernièrement
arrêté par un comité de choix composé du
brave curé, d'un membre de la fabrique,
ancien ofpcier, et de deux vieilles filles,
l'une tenant commerce de mercerie-bonnete-
rie, l'autre la soeur du précédent curé dé-
cédé.
Et cela nous reporte au moyen âge, où le
théâtre et l'église étaient si intimement et
si naïvement mêlés.
L
e choix du ministre.
En gare de Nantes, l'autre diman-
che. Le train de Paris va partir et les
foules retardataires se ruent vers les wa-
gons, dans un encombrement de paquets,
de valises et de gosses.
Confortablement installé à son coin
d'un compartiment de première, M.Briand,
ministre de l'Instruction publique, qui vient
de voir sa mère un peu souffrante et qui
regagne son cabinet de la rue de Grenelle,
suit d'un œil amusé ce va-et-vient affolé.
Tout à coup, M. le ministre hèle la mar-
chande de journaux.
La brave femme accourt et tend vers le
« gouvernement » son panier bourré de
quotidiens variés.
M. Briand promène un doigt indécis sur
toutes ces feuilles aux titres et aux opinions
panachés. Il hésite longuement, longue-
ment, puis tire Comœdia du panier, tend à
la marchande son sou démocratique et se
rencogne à sa place.
M. le ministre est homme de goût..
H
ier, veille de grand steeple, quelques
sportsmen supputaient les chances
des chevaux engages. L un prônait le cou-
rage de son favori; celui-ci affirmait que
son cheval est imbattable et celui-là lui
déniait toute qualité. La discussion devint
bientôt générale et menaçait même de tour-
ner à l'aigre, lorsqu'une personne présente
qui n'avait rien dit jusqu'alors émit la pro-
position suivante :
— Si nous allions faire un tour au Mou-
lin-Rouge-Palace, cela vous rafraîchirait un
peu les idées: c'est justement l'heure de
l'apéritif-concert: il sera plus intéressant
d'écouter un peu de musique en buvant
une boisson glacée que de prêter l'oreille à
vos propos peu aimables.
Tout le monde se rangea a son avis.
s
cule, la marque Bergougnan, dont les
succès et les triomphes ne se comp-
tent plus, a réussi à garantir à sa clien-
tèle mondiale le bon marché, l'endurance et
la robustesse de ses pneus. Les pneus Ber-
gougnan sont les meilleurs.
Le Masque de Verre.
On demande des Critiques
Les Résultats du Concours
Bien que décidé en hn de saison, notre
Concours de Critiques a remporté un très
grand succès et il nous a fallu faire appel
à toutes les bonnes volontés pour dépouil-
ler minutieusement en deux jours les très
nombre. envois qui nous ont été faits.
Notre idée a séduit d'une façon évidente
tous les jeunes littérateurs, et nous nous
proposons de la reprendre l'an prochain en
lui donnant toute l'envergure qu'elle mé-
rite.
D'une façon générale, on nous permettra
de « critiquer » un peu les critiques qui
nous ont été envoyées. Nos débutants ont
été manifestement intimidés par la tâche
qui leur incombait; ils ont cherché presque
toujours à copier les critiques habituels de
nos grands journaux plutôt qu'à chercher
eux-mêmes une formule nouvelle et vérita-
blement indépendante. On sent que leurs
meilleures idées ont été gênées par ce sou-
ci perpétuel d'imitation. C'est là un défaut
qu'il conviendrait d'éviter dans l'avenir.
Avis aux concurrents
Les manuscrits envoyés ont été classés
rigoureusement en dehors de toute recom-
mandation sans autre indication que la de-
vise fournie par l'auteur. Nous n'avons pas
cru devoir ouvrir les enveloppes contenant
les nom et adresse des auteurs sans les
avoir consultés au préalable, et ils seront li-
bres, à partir de mardi, de venir reprendre
leurs manuscrits et leurs enveloppes fer-
mées, ou de nous autoriser à les ouvrir. Se
présenter chaque jour à la direction, de
trois heures et demie à cinq heures et de-
mie. -
Le classement = Le gagnant
En prenant pour base le coefficient 20,
le manuscrit classé premier s'est vu attri-
buer la note 12; il porte la devise: « Abyjs-
sus abyssum invocat », et nous le publie-
rons mercredi.
Ce compte rendu, comme on le verra,
manque peut-être de brio ; il contient ce-
pendant de sérieuses qualités de littérateur,
une modération et cependant une justesse
dans la critique qui l'ont particulièrement
désigné à notre attention. Nous, publierons
ce compte rendu signé du nom de son au-
teur, s'il veut bien, dans la journée de
mardi, ouvrir lui-même l'enveloppe qui con-
tient son nom.
Aux termes des conditions de notre con-
cours, il aura le droit de faire dans Comœ-
dia, la saison prochaine, le compte rendu
rétribué d'une pièce nouvelle.
Les mentions
Trois comptes rendus viennent ensuite
auxquels a été attribuée la note 10.
Le premier, sans devise, est écrit à l'en-
cre violette et commence par ces mots:
« Etes-vous comme moi? les pontifes m'in-
timident » ; il est d'un style amusant, con-
tient des observations assez justes mais
sans grande portée critique.
Le second, envoyé également sans de-
vise, commence par ces mots: « On vou-
drait, pour excuser l'inconcevable succès
de Madame Sans-Gêne. » C'est un comp-
te rendu fait par une personne bien au cou-
rant des choses du théâtre ; il contient les
meilleures idées générales du concours,
mais ne rentre pas suffisamment dans le
cadre critique nécessaire à un compte rendu
fait dans un journal. C'est très certainement
à ce défaut qu'il doit de ne pas être classé
en tête du concours.
Le troisième (devise : Dis ce que tu vois)
est un bon article littéraire bien écrit con-
tenant une critique assez juste de l'œuvre
de Sardou et du caractère de Napoléon Ier;
malheureusement, cet article pouvait être
écrit aussi bien quinze jours avant la repré-
sentation, et il ne donne en rien l'impres-
sion d'une critique de la-pièce faite le jour
même.
Nous conseillons très vivement à ces trois
auteurs de prendre part à notre prochain
concours ; ils auront, croyons-nous, de for-
tes chances pour obtenir les premières pla-
ces.
Citons enfin.
Citons enfin d'une façon particulière les
comptes rendus suivants: 1° Sans devise,
commençant par: « Une fois de plus Mme
Réjane rebondit 4'une boutique de blanchis-
seuse » ; 2° Anankê.
Ces critiques ont obtenu la note 9.
Ajoutons en terminant que la note 8 a
été attribuée aux critiques suivantes:
1° L'Amour est enfant de Bohême; 2°
sans devise, commençant par: « Si Mada-
me Sans-Gêne était une pièce nouvelle » ;
3° Saltavit et placuit; 4° Desinit in piseem;
5° Freelance; 6° sans devise, commençant
par: « Madame Sans-Gêne, jouée hier au
Théâtre Réjane, appartient au genre des
pièces dites historiques. »
Cent cinquante-huit critiques ont obtenu
des notes variant de 7 à 3.
A l'année prochaine
Tous les autres envois n'ont eu que des
notes inférieures au chiffre 3. Parmi ceux-
ci il en est de bien écrits et qui ne man-
quent point de valeur; malheureusement,
ce sont des lettres telles qu'en pourrait
adresser un spectateur à un parent de pro-
vince plutôt que de véritables critiques.
Leurs auteurs cependant auraient tort d'a-
bandonner la lutte ; il en est plusieurs d en-
tre eux qui. en faisant un petit effort, pour-
raient prétendre aux premières places.
A tous, et peut-être à toutes, nous don-
nons rendez-vous au début de la saison
prochaine.
.COMŒDIA.
OPINIONS D'ARTISTES
Mlle DEMONGEY
Nous recevons de Mlle H. Demongey la
lettre suivante:
Mon cher Comœdia.
Vous me demandez en quelques mots mon
opinion sur le théâtre. C'est très difficile ce
que vous, me demandez là. Ou bien c'est trop
facile, car j'adore mon métier, j'aime tous mes
camarades, et mes camarades me le rendent
bien. ce oui est rare, n'est-ce pas?
Seulement, voilà, j'adore aussi ma liberté,
j'ai horreur des démarches à faire, des protec-
tions à solliciter et je n'ai jamais pu me ré-
soudre à passer par les mille et une petites
bassesses du métier. Je compte arriver grâce
à moi seule, grâce à mon talent, et j'ai la ferme
volonté de tout faire pour percer tout à fait
la saison prochaine. Je vais doubler Yrven dans
quelques jours au Palais-Royal, et puis après!.
J'ai de grands projets en tête, et j'espère
arriver à faire un jour ce qu'a fait ma camarade
Lender dans les emplois de coquettes.
J'ai débuté aux Nouveautés, j'ai joué à diver-
ses reprises déjà au Palais-Royal, puis, à
Nice, et en province, à l'étranger même, au
Caire, où mes tournées ont toujours remporté
un gros succès.
Cette fois, c'est fini!. Je ne vagabonde
plus. Je suis rentrée dans mon beau Paris.,,
j'y suis et j'y reste, puisque c'est ici qu'il faut
venir chercher la consécration de toutes les
gloires.
J'espère que le public de Paris continuera
à me faire bon accueil, et moi, de mon côté,,
je travaillerai de toute mon sme, ptir, méritèrf
ses faveurs' et devenir une grande, grandes
éfoile parmi les étoiles de la grande capital
Et puis après!. Encore après!. ne me dêofÎ
mandez plus rien! Si je réussis, j'aurai d-
audaces que ma modestie m'empêche de vouai
avouer!!. Pour le moment, je ne veux pas pa*
raître trop prétentieuse et je n'en dis pas plud
long.
Croyez, mon cher Comœdia, à mon entier de-*
vouement et à toute la reconnaissance d'urtet.
petite étoile qui grandira, si la chance parvient
enfin à la favoriser un peu!
H. DEMON£JEY.
Vous avez raison, mademoiselle, vous
grandirez, nous en sommes persuadés, et
votre mérite sera d'autant plus grand que
vous l'aurez davantage mérité. Les vœu#
de Comœdia vous accompagneront toujours
JOË BRIDGE..
Bjœrnstjerne Bjœrnson
PAR
Paul HYACINTHE LOYSON
Il est à Paris, en ce moment, rentrant de
Rome, son séjour d'hiver, et fidèle goéland
du Nord, regagnant son cher Aulestad, là-
haut, tout là-haut en Norvège. Bien qu'il
ne reçoive que de rares intimes et qu'il se
garde des interviews comme de la peste, il
m'a paru que la seule présence parmi nous
du plus grand poète Scandinave, l'émule et
le frère d'armes d'Ibsen, apportait une vi-
vante réponse à la question obsédante qui
ne cesse de se poser ici : l'heure d'une re-
naissance idéaliste a-t-elle sonné pour la
scène française? C'est en méditant à cette
conjecture, que j'allais revoir l'illustre ami.
Je le trouvai dans une maison hospitalière,
entouré de nobles tableaux anciens, la fe-
nêtre ouverte sur un vaste parc digne d'une
évocation de Besnard, et, dans un aussi fas-
tueux décor autour du plus simple des hom-
mes, j'eus l'impression d'une belle vie pure
qui s'achève dans la royauté. Le long temps
écoulé depuis notre dernière entrevue avait
épanoui la fraîcheur candide de ses septante-
cinq ans. C'était toujours cette mine diapha-
ne de jeune enfant, ce port majestueux d'ar-
chevêque laïque, ce corps de viking, plus
grand que nature, habité par une âme de
rêve — puis, tout à coup, sous le sourcil
dressé, le regard aquilain fondant sur l'idée.
Le colloque, avec lui, est lent et grave. Il
semble que pour vous parvenir, ses répon-
ses traversent un abîme intérieur où sa pen-
sée s'éprouve religieusement. Mais la ré-
ponse est énergique, définitive.
Je me rappelle notre première rencontre
à Rome, voici plus d'une dizaine d'années.
C'était à une audition littéraire chez Julia
Ward Howe, la poétesse américaine. Le ha-
sard d'une chaise m'avait placé à côté de
lui. Tout en admirant ce vieillard épique si
juvénile, j'ignorais quel était ce voisin. Nous
n'échangeâmes pas une seule parole. Mais,
une heure durant, je subis la puissance de
son magnétisme, je sentis l'emprise sur
tout mon être d'une formidable volonté
morale qui m'ennoblissait en silence. Et
cette sensation fut si étrange que j'en par-
lai le soir à 'des amis. Là est le secret du
sortilège qu'exerce sur nous la littérature
des Scandinaves. Partout, dans leurs œu-
vres, sous les moindres détails du plus
minutieux des réalismes, éclate la préoc-
cupation morale qui demeure maîtresse de
l'action. Ils ont un théâtre idéaliste parce
qu'ils sont des hommes d'idéal. J'ai peine
à décider où Bjœrnson, au cours d'un de-
mi-siècle d'activité, a le plus prodigué ses
créations, poète pour la beauté de son art,
ou tribun pour le bien de son peuple
Sans doute, cette conception de la vie dfl.
l'artiste bon citoyen, c'est celle de nos
aïeux Hellènes, dont nous n'invoquons hy-,
pocritement de chétifs exemples, choisis U
l'époque de décadence, que pour autorisée
nos dévergondages. C'est celle aussi dot
Victor Hugo, si démodée depuis vingt-cinq
ans par la campagne naturaliste. et, chose'
bizarre mais fatale au fond, comme toute
réaction, c'est celle que Zola réhabilita tout
à coup en transmuant son naturalisme en
idéalisme, et en poussant celui-ci jusqu'à
la chimère comme il avait fait l'autre jus-
qu'à l'obsession. Mais de l'idéalisme des
hommes du Nord à celui des Latins, la
différence apparaît ici, qu'il est chez nous
plus en surface et chez eux plus el1. pro-
fondeur. La vie privée de Victor est loin
de valoir sa vie publique. Et dans les
mœurs des neuf dixièmes de nos jeunes
poètes idéalistes, je ne vois pas trop ce qui
les distingue de leurs camarades du café
d'en face à l'enseigne du naturalisme: mê-o
mes bocks, mêmes « grues », même dé-
braillement. Notre idéalisme n'est que Ht"
térature. Voici, par contre, Qui stupéfiera
toutes les cervelles sur le Boulevard: cet
auteur dramatique à succès,, ce poète glo-
rieux, ce mâle superbe qu'est Bjœrnson
et qui, hier, mon cher Fabre, vous arra-
chait ce cri d'admiration lorsque je vous
le montrai sous le péristyle du Panthéon;
« Dieu, qu'il est beau! » — un pareil
homme, depuis sa jeunesse, est monogamet
Un tel poète, depuis cinquante ans, a stl
renouveler son inspiration à la source uni-
que du jardin fermé! Ce qu'avait prêché
Dumas fils, ce converti monté en chaire
avec fureur, Bjœrnson l'a vécu avec har-
monie et sérénité. Son idéalisme est des-
cendu tout tranquillement dans sa con-
science pour y consacrer sa vie intime, et
le poète fut digne de sa poésie. Non qu'il
ait souscrit à un décalogue de tradition:
Bjœrnson, comme Ibsen, fut un révolté. Il
se destinait au pastorat, lorsqu'une crise!
de croyance le fit s'évader de son église,
Mais une fois dehors, il n'y est pas revenu
pour la démolir, rageusement. Il s'en est
allé reconstruire plus haut. Sa réproba-
tion de ce parti pris de démolition, qui est
une des tares de notre siècle entre deux
âges, lui a dicté une pièce récente dont la
vrai titre devrait être: Perversité. Et com-
me un jour. je lui demandais, en nous ar-
rêtant devant Notre-Dame, si l'indigence
de tant d'auteurs contemporains ne tenait'
pas à leur manaue de sens religieux.
Le Numéro : 5 centime#
Dimanche 7 Juin 1908.
COMŒDIA
Rédacteur en Chef: G. de PAWLOWSKI
RÉDACTION & ADMINISTRATION :
27, Bouleuard Poissonnière, PARIo
TÉLÉPHONE : 288-07
Adresse Télégraphique : COMŒDlA.PARIS
ABONNEMENTS:
UN AN 6 MOIS
Paris et Départements 24 fr. 12 fir.
Étranger. 40 » 20 »
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Paris et Départements 24 fr. 12 fr.
Étranger 4tO » 20 D
• PAYSAGES 'ANIMES
Croquis Parisiens
Le chien qui suit le TramWjay
Au petit galop de chasse, entre les
arbres du boulevard, le chien jaune suit
le tramway, et, pour lui, ce n'est point
une petite affaire ; on ne saurait s'imagi-
ner la peine qu'il faut prendre pour faire
avancer une pareille machine.
Il est laid, mais il ne s'en soucie guère ;
comme les vieux grognards de l'Em-
pire, il a bien autre chose à penser: ce
sont les arbres qu'il faut flairer pour
s'assurer qu'aucun ennemi n'est caché
derrière; ce sont les rails qu'il faut soi-
gneusement vérifier, puis l'attelage, puis
les autres voitures qui doivent se ran-
ger. Que sais-je encore? On ne saurait
trop prendre de précautions.
Le cocher paraît s'endormir dans ses
langes; les chevaux, suspendus au ti-
mon, ne se hâtent guère, et le conduc-
teur, les pieds tordus par leur marche
habituelle dans des ornières d'autres
pieds, reste parfois cinq minutes sans
faire tourner sa petite sonnerie de lapin
mécanique. Cependant, puisque ce
tramway appartient à son maître, le
chien jaune l'admire sans réserves.
Aux stations, pendant les arrêts, il
regarde les passants, cherche sur leurs
figures d'inévitables signes d'admiration
et semble leur dire:
— Hein ! est-ce assez joli ce tramway,
regardez comme c'est bien bâti! Trou-
vez-moi donc une aussi belle voiture
dans tout Paris, et, dans tout ce tram-
way, un plus bel homme que mon maî-
tre ! Vous voyez, c'est celui qui est assis
là-haut, sur la tête des autres, avec sa
pipe et sa blouse blanche, un homme
qui prend ses cinq absinthes par jour, ce
qui me fait, au bas mot, six morceaux
de sucre l'un dans l'autre !
Puis un dernier coup d'œil aux roues,
un encouragement aux chevaux, et en
route ! On ne doit point s'attarder à cau-
lorsqu'on est en service commandé.
De temps en temps, le chien jaune
abandonne un instant la voiture et file, à
droite ou à gauche, annoncer aux au-
tres chiens le passage de son maître.
Et, pour économiser du chemin,
quand ils lui tournent le dos, comme il
n'a pas le temps de faire le tour, il se
contente de leur téléphoner la nou-
velle par derrièrè.
Il se multiplie et s'occupe de toùt; il
se convulsé en tirebouchon jusqu'au nez
résigné des chevaux et leur saute entre
les jambes comme une flaque jaune;
il jape quand le veau mugisseur,
caché dans la voiture, oublie de beugler,
et son indignation ne connaît plus de
bornes lorqu'un misérable sapin ne se
dérange pas assez vite.
Puis, dès aue la voie est libre, il court
de ci de là donner de nouveaux coups
de téléphone.
Parfois il regarde en l'air et demande
des ordres, mais son maître sommeille
doucement; il s'en fie à lui, sans doute,
et cette confiance redouble son zèle.
Et même, quand son maître descend
enfin, le chien jaune s'efforce de détour-
ner son attention par ses gambades et
par ses sauts. Il l'emmène, il l'entraine
loin du tramway, et lorsque tout danger
semble écarté, cyniquement il accepte les
compliments et les caresses.
— Mon Dieu, oui, la tâche était bien
dure, mais que ne ferait-on pas pour
un si bon maître!
Sans remords, il s'imagine qu'on lui
attribue toute la peine et que le
bonhomme, un peu distrait, vous sa-
vez, parfois, n'a pas vu qu'il y avait des
chevaux.
Brigade des Voitures
Dans la nuit, trois heures du matin
sonnent lentement à une intègre horloge
qui ne connaît que son devoir, puis, en-
tre les hautes maisons de l'avenue dé-
serte, le silence retombe plus profond en-
core.
Avant le réveil des êtres et des choses
tout semble pour la dernière fois s'endor-
mir lourdement aux premières lueurs de
l'aube, et, dans cette humidité chaude du
jour qui point, c'est comme du sommeil
qui monte de la terre vers le ciel, mêlé
aux fades parfums que versent sans
compter Aubervilliers et Pantin.
Seul, tel Siméon Stylite au faite de sa
colonne, l'agent de la brigade des voi-
tures demeure immobile sur son refuge.
Serviteur incorruptible de l'Idée, il reste
'là, les yeux perdus dans le rêve. son-
geant aux lointaines campagnes qui le vi-
rent naître, qui sait? peut-être même à
sa mère, ruminant lentement.
Et comme, malgré tout, l'inaction lui
Pèse et que le sommeil l'envahit, pour se
distraire il se met à compter les étoiles
qui, une à une, se fondent dans le ciel et
se décolorent.
Quelques noms lui reviennent, len-
tement inculqués par le brigadier au
long d'interminables et incohérentes
théories sur l'orientation.
Voici le Cygne, auquel les enfants ne
doivent, sous aucun prétexte, jeter du
pain ; puis la constellation d'Andromède
et, plus loin, le Dragon, trop souvent,
hélas ! en état d'ivresse manifeste.
Mais brusquement, esclave de sa con-
signe, l'agent se redresse lentement. Son
bâton s'est levé, puis, machinalement, re-
tombe vers l'horizon désert.
Entre Polaire et le Lion, il vient d'a-
percevoir le Chariot.
G. de PAWLOWSKI.
Nous publierons demain une chronique de
MAX et ALEX FISCHER
Échos
Ce soir, à huit heures un quart, au
théâtre de l'Œuvre (salle Femina), pre-
mière représentation de Vas Victis, pièce en
trois actes et quatre tableaux, de Mlle M. Du-
terme ; Les Amours d'Ovide, comédie en
deux actes en vers, de MM. Mouézy-Eon,
Auzanet et Faral, musique de scène de M.
Henri Moreau-Febvre.
Ce soir, à la Cigale, répétition générale
à bureaux ouverts, de Hue! Cocotte! Re-
vue à grand spectacle en deux actes et huit
tableaux, de MM. P.-L. Flers et Eugène
Héros, arrangements et musique nouvelle
de M. Monteux,-Brissac.
L
a Favorite.
Ceci se passait ces jours derniers au
Théâtre Impérial de Finlande. bavardaient
Plusieurs artistes réunis bavardaient
amicalement dans le bureau du régisseur
en fumant une cigarette, quand une artiste
de la maison, fort patronnée par les Puis-
sances, ouvrit la porte et s'écria:
- Ah! c'est affreux! c'est dégoûtant!
quelle fumée! c'est à n'y pas tenir!
Et elle sortit très dignement.
Le lendemain, le directeur des spectacles
impériaux faisait afficher dans les couloirs :
« Défense absolue aux artistes d'entrer
dans le bureau du régisseur sans y avoir
été appelés. »
Quelques jours plus tard, la même ar-
tiste répétait en scène. Dans un groupe
de machinistes, un d'eux, irrévérencieuse-
ment, osa s'écrier:
— Qu'elle est moche!
La cantatrice — c'était une cantatrice -
perçut fort distinctement cette interjection,
et l'attribua, tout naturellement, à une ca-
marade.
Le lendemain, nouvelle affiche dans les
couloirs: « Les artistes sont invités, à r ave-
nir, à ne pas dépasser le troisième plan de
la scène pendant les répétitions. »
Voilà pourquoi ils sont obligés, depuis
lors, d'attendre leur tour dans la cour.
Cela se passait, ces jours derniers, au
Théâtre Impérial de Finlande.
c
omment on fait les bonnes maisons.
Il n'est - point, dans un établisse-
ment aussi colossal que le grand theatre
Impérial de Finlande, de petites économies.
Il importe, en effet, de compenser par la
répétition d'infimes bénéfices, les lourds
sacrifices occasionnés par l'entretien des
étoiles du cru.
Donc, vendredi dernier, jour de paye,
deux des meilleures pensionnaires de la
grande scène finlandaise eurent en pré-
sence du caissier impérial une douloureuse
surprise. En effet, l'un ténor et l'autre ba-
ryton se virent retenir un dixième de leurs
appointements pour avoir été souffrants un
soir de représentation.
De plus, le premier dut payer cent-vingt-
deux francs d'électricité, consommé dans
sa loge. Sur les instances de la direction
Impériale, il avait, d'ailleurs, consenti à
prêter sa loge à l'un de ses illustres cama-
rades, autre baryton de valeur.
Nos voisins seraient-ils à la veille d'un
nouvel emprunt, qu'ils excellent à ce point
dans l'art d'accommoder les restes?
L
e directeur et les anabaptistes.
M. Saugey, l'excellent directeur au-
1 -. - - 1 --
quel incomberont, la saison procnaine, tes
destinées du Grand-Théâtre de Marseille,
n'est pas seulement un artiste: il est aussi
un homme d'esprit. On cite de lui nombre
de boutades fort amusantes.
Un jour, à l'Opéra de Nicç, il dirigeait
une répétition du Prophète, œuvre que, par
le plus grand des hasards, il ne connaissait
pas. Depuis un instant, le directeur donnait
des signes visibles de la plus vive impa-
tience. Elle avait pour cause les entrées
aussi fréquentes qu'intempestives des trois
anabaptistes qui, dans l'œuvre de Meyer-
beer, apparaissent à tout propos, sans qu'on
puisse s'expliquer pourquoi.
A la fin, n'y tenant plus et véritablement
furieux, M. Saugey bondit hors du « gui-
gnol » d'où il assistait à la répétition. Avi-
gnol »
sant le régisseur, il l'apostropha en ces ter-
mes:
— Que ces trois mauvais plaisants ne
s'avisent point de remettre les pieds sur
la scène ou je les f.1anque au tableau avec
une belle amende. Ils apprendront ainsi à
se payer ma tête!. Enchaînons.
L'histoire ne dit pas si Le Prophète gse-
gna à cette métamorphose, que MM. Mes-
sager et Broussan ne se consoleront jamais
de n'avoir pas essayée.
Q
ai elle est?
Qui elie est. la blonde et jeune mu-
sicienne dont panait, î autre jour, ,-
dia. on nous l'a demandé. Et la Presse, dé-
jà, reprenant notrî note, y ajoutait le nom
de la petite malade.
Geo Clarett — tel est, en effet, le pseu-
donyme de la gracieuse compositrice. Sa
mère est un excellent et spirituel pro-
fesseur de musique et chant. Un de ses
très proches parents est un de nos con-
frères: il s'occupe de politique étrangère
dans un journal de l'après-midi.
Une des opérettes de Geo Clarett est,
nous l'avons dit, pour Grévin; une autre,
pour l'Eldorado.
Actuellement au Parc saint-Maur, dans
une villa au nom clair et poétique : « La
Source ». Miss Clarett, bien mieux por-
tante, achève de guérir sa neurasthénie et
de reconstituer ses forces nerveuses. Et, à
la rentrée, ce sera la reprise du travail —
des répétitions; et, bientôt, la terrible pre-
mière !
B
ecque et l'Académie.
Becque avait été plusieurs fois can-
didat.
Il n'en est pas moins vrai qu'il raillait
assez vivement les candidats à l'immorta-
lité: le candidat casse-cou, préoccupé de
prendre date; le candidat principe, qui se
doit à lui-même de faire cette manifestation
que, d'ailleurs, il ne renouvellera pas; le
candidat gaga, que personne ne connaît et
qui tourne à l'amusette; le candidat martyr,
qui ne mange plus, ne dort plus, en tombe
littéralement malade, et verse des larmes
après le scrutin qui l'a blackboulé; enfin,
le candidat qui ne se présente pas et qui le
crie partout, afin de se faire une notoriété.
Et pourtant, il n'eût peut-être pas été fâ-
ché de faire partie des Quarante!
L
es collectionneurs !
Mercredi, - après qu'on eût dégagé,
au cimetière de Montmartre, le cercueil de
Zola du caveau où il était descendu, par me-
sure de prudence, on crut bon de changer la
bière de secours, la première n'offrant plus ■
la sécurité voulue.
Alors il se passa, là, un fait bizarre, et
qui prouve à quel point l'instinct du collec-
tionneur est poussé chez nous. Parmi les
rares privilégiés qui assistaient à cette émou-
vante cérémonie, et même parmi le person-
nel du caractère et des pompes funèbres,
ce fut à qui aurait, du cercueil brisé, soit
un morceau de bois, soit un écrou et même
un fragment d'une des poignées.
Et si, sur l'ordre de M. Lépine, on n'avait
pas enlevé cette triste relique, on l'aurait
peut-être débitée par morceaux, à l'instar
d'une vulgaire corde de pendu.
L
e Théâtre et l'Autel.
Dans le département de la Manche.
près d'Avranches, pour ne pas préciser, lé
vieux curé, homme pieux et respecté, élève
un nouveau sanctuaire à la dévotion des
fidèles; mais, depuis la Séparation, les
temps sont plus durs et l'argent plus rare;
aussi, après de pressantes et vaines exhor-
tations à la bourse des croyants, a-t-il trou-
vé un moyen efficace de continuer les tra-
vaux ; pour cela, il s'est adressé à une char-
mante et déjà talentueuse ingénue du Con-
servatoire, et après les prochains concours,
Mlle X., accompagnée d'élèves et d'artis-
tes des théâtres de Paris, 'ira donner wnè
série de représentations dans les murs
mêmes de l'église en construction.
Le choix des pièces a été dernièrement
arrêté par un comité de choix composé du
brave curé, d'un membre de la fabrique,
ancien ofpcier, et de deux vieilles filles,
l'une tenant commerce de mercerie-bonnete-
rie, l'autre la soeur du précédent curé dé-
cédé.
Et cela nous reporte au moyen âge, où le
théâtre et l'église étaient si intimement et
si naïvement mêlés.
L
e choix du ministre.
En gare de Nantes, l'autre diman-
che. Le train de Paris va partir et les
foules retardataires se ruent vers les wa-
gons, dans un encombrement de paquets,
de valises et de gosses.
Confortablement installé à son coin
d'un compartiment de première, M.Briand,
ministre de l'Instruction publique, qui vient
de voir sa mère un peu souffrante et qui
regagne son cabinet de la rue de Grenelle,
suit d'un œil amusé ce va-et-vient affolé.
Tout à coup, M. le ministre hèle la mar-
chande de journaux.
La brave femme accourt et tend vers le
« gouvernement » son panier bourré de
quotidiens variés.
M. Briand promène un doigt indécis sur
toutes ces feuilles aux titres et aux opinions
panachés. Il hésite longuement, longue-
ment, puis tire Comœdia du panier, tend à
la marchande son sou démocratique et se
rencogne à sa place.
M. le ministre est homme de goût..
H
ier, veille de grand steeple, quelques
sportsmen supputaient les chances
des chevaux engages. L un prônait le cou-
rage de son favori; celui-ci affirmait que
son cheval est imbattable et celui-là lui
déniait toute qualité. La discussion devint
bientôt générale et menaçait même de tour-
ner à l'aigre, lorsqu'une personne présente
qui n'avait rien dit jusqu'alors émit la pro-
position suivante :
— Si nous allions faire un tour au Mou-
lin-Rouge-Palace, cela vous rafraîchirait un
peu les idées: c'est justement l'heure de
l'apéritif-concert: il sera plus intéressant
d'écouter un peu de musique en buvant
une boisson glacée que de prêter l'oreille à
vos propos peu aimables.
Tout le monde se rangea a son avis.
s
cule, la marque Bergougnan, dont les
succès et les triomphes ne se comp-
tent plus, a réussi à garantir à sa clien-
tèle mondiale le bon marché, l'endurance et
la robustesse de ses pneus. Les pneus Ber-
gougnan sont les meilleurs.
Le Masque de Verre.
On demande des Critiques
Les Résultats du Concours
Bien que décidé en hn de saison, notre
Concours de Critiques a remporté un très
grand succès et il nous a fallu faire appel
à toutes les bonnes volontés pour dépouil-
ler minutieusement en deux jours les très
nombre. envois qui nous ont été faits.
Notre idée a séduit d'une façon évidente
tous les jeunes littérateurs, et nous nous
proposons de la reprendre l'an prochain en
lui donnant toute l'envergure qu'elle mé-
rite.
D'une façon générale, on nous permettra
de « critiquer » un peu les critiques qui
nous ont été envoyées. Nos débutants ont
été manifestement intimidés par la tâche
qui leur incombait; ils ont cherché presque
toujours à copier les critiques habituels de
nos grands journaux plutôt qu'à chercher
eux-mêmes une formule nouvelle et vérita-
blement indépendante. On sent que leurs
meilleures idées ont été gênées par ce sou-
ci perpétuel d'imitation. C'est là un défaut
qu'il conviendrait d'éviter dans l'avenir.
Avis aux concurrents
Les manuscrits envoyés ont été classés
rigoureusement en dehors de toute recom-
mandation sans autre indication que la de-
vise fournie par l'auteur. Nous n'avons pas
cru devoir ouvrir les enveloppes contenant
les nom et adresse des auteurs sans les
avoir consultés au préalable, et ils seront li-
bres, à partir de mardi, de venir reprendre
leurs manuscrits et leurs enveloppes fer-
mées, ou de nous autoriser à les ouvrir. Se
présenter chaque jour à la direction, de
trois heures et demie à cinq heures et de-
mie. -
Le classement = Le gagnant
En prenant pour base le coefficient 20,
le manuscrit classé premier s'est vu attri-
buer la note 12; il porte la devise: « Abyjs-
sus abyssum invocat », et nous le publie-
rons mercredi.
Ce compte rendu, comme on le verra,
manque peut-être de brio ; il contient ce-
pendant de sérieuses qualités de littérateur,
une modération et cependant une justesse
dans la critique qui l'ont particulièrement
désigné à notre attention. Nous, publierons
ce compte rendu signé du nom de son au-
teur, s'il veut bien, dans la journée de
mardi, ouvrir lui-même l'enveloppe qui con-
tient son nom.
Aux termes des conditions de notre con-
cours, il aura le droit de faire dans Comœ-
dia, la saison prochaine, le compte rendu
rétribué d'une pièce nouvelle.
Les mentions
Trois comptes rendus viennent ensuite
auxquels a été attribuée la note 10.
Le premier, sans devise, est écrit à l'en-
cre violette et commence par ces mots:
« Etes-vous comme moi? les pontifes m'in-
timident » ; il est d'un style amusant, con-
tient des observations assez justes mais
sans grande portée critique.
Le second, envoyé également sans de-
vise, commence par ces mots: « On vou-
drait, pour excuser l'inconcevable succès
de Madame Sans-Gêne. » C'est un comp-
te rendu fait par une personne bien au cou-
rant des choses du théâtre ; il contient les
meilleures idées générales du concours,
mais ne rentre pas suffisamment dans le
cadre critique nécessaire à un compte rendu
fait dans un journal. C'est très certainement
à ce défaut qu'il doit de ne pas être classé
en tête du concours.
Le troisième (devise : Dis ce que tu vois)
est un bon article littéraire bien écrit con-
tenant une critique assez juste de l'œuvre
de Sardou et du caractère de Napoléon Ier;
malheureusement, cet article pouvait être
écrit aussi bien quinze jours avant la repré-
sentation, et il ne donne en rien l'impres-
sion d'une critique de la-pièce faite le jour
même.
Nous conseillons très vivement à ces trois
auteurs de prendre part à notre prochain
concours ; ils auront, croyons-nous, de for-
tes chances pour obtenir les premières pla-
ces.
Citons enfin.
Citons enfin d'une façon particulière les
comptes rendus suivants: 1° Sans devise,
commençant par: « Une fois de plus Mme
Réjane rebondit 4'une boutique de blanchis-
seuse » ; 2° Anankê.
Ces critiques ont obtenu la note 9.
Ajoutons en terminant que la note 8 a
été attribuée aux critiques suivantes:
1° L'Amour est enfant de Bohême; 2°
sans devise, commençant par: « Si Mada-
me Sans-Gêne était une pièce nouvelle » ;
3° Saltavit et placuit; 4° Desinit in piseem;
5° Freelance; 6° sans devise, commençant
par: « Madame Sans-Gêne, jouée hier au
Théâtre Réjane, appartient au genre des
pièces dites historiques. »
Cent cinquante-huit critiques ont obtenu
des notes variant de 7 à 3.
A l'année prochaine
Tous les autres envois n'ont eu que des
notes inférieures au chiffre 3. Parmi ceux-
ci il en est de bien écrits et qui ne man-
quent point de valeur; malheureusement,
ce sont des lettres telles qu'en pourrait
adresser un spectateur à un parent de pro-
vince plutôt que de véritables critiques.
Leurs auteurs cependant auraient tort d'a-
bandonner la lutte ; il en est plusieurs d en-
tre eux qui. en faisant un petit effort, pour-
raient prétendre aux premières places.
A tous, et peut-être à toutes, nous don-
nons rendez-vous au début de la saison
prochaine.
.COMŒDIA.
OPINIONS D'ARTISTES
Mlle DEMONGEY
Nous recevons de Mlle H. Demongey la
lettre suivante:
Mon cher Comœdia.
Vous me demandez en quelques mots mon
opinion sur le théâtre. C'est très difficile ce
que vous, me demandez là. Ou bien c'est trop
facile, car j'adore mon métier, j'aime tous mes
camarades, et mes camarades me le rendent
bien. ce oui est rare, n'est-ce pas?
Seulement, voilà, j'adore aussi ma liberté,
j'ai horreur des démarches à faire, des protec-
tions à solliciter et je n'ai jamais pu me ré-
soudre à passer par les mille et une petites
bassesses du métier. Je compte arriver grâce
à moi seule, grâce à mon talent, et j'ai la ferme
volonté de tout faire pour percer tout à fait
la saison prochaine. Je vais doubler Yrven dans
quelques jours au Palais-Royal, et puis après!.
J'ai de grands projets en tête, et j'espère
arriver à faire un jour ce qu'a fait ma camarade
Lender dans les emplois de coquettes.
J'ai débuté aux Nouveautés, j'ai joué à diver-
ses reprises déjà au Palais-Royal, puis, à
Nice, et en province, à l'étranger même, au
Caire, où mes tournées ont toujours remporté
un gros succès.
Cette fois, c'est fini!. Je ne vagabonde
plus. Je suis rentrée dans mon beau Paris.,,
j'y suis et j'y reste, puisque c'est ici qu'il faut
venir chercher la consécration de toutes les
gloires.
J'espère que le public de Paris continuera
à me faire bon accueil, et moi, de mon côté,,
je travaillerai de toute mon sme, ptir, méritèrf
ses faveurs' et devenir une grande, grandes
éfoile parmi les étoiles de la grande capital
Et puis après!. Encore après!. ne me dêofÎ
mandez plus rien! Si je réussis, j'aurai d-
audaces que ma modestie m'empêche de vouai
avouer!!. Pour le moment, je ne veux pas pa*
raître trop prétentieuse et je n'en dis pas plud
long.
Croyez, mon cher Comœdia, à mon entier de-*
vouement et à toute la reconnaissance d'urtet.
petite étoile qui grandira, si la chance parvient
enfin à la favoriser un peu!
H. DEMON£JEY.
Vous avez raison, mademoiselle, vous
grandirez, nous en sommes persuadés, et
votre mérite sera d'autant plus grand que
vous l'aurez davantage mérité. Les vœu#
de Comœdia vous accompagneront toujours
JOË BRIDGE..
Bjœrnstjerne Bjœrnson
PAR
Paul HYACINTHE LOYSON
Il est à Paris, en ce moment, rentrant de
Rome, son séjour d'hiver, et fidèle goéland
du Nord, regagnant son cher Aulestad, là-
haut, tout là-haut en Norvège. Bien qu'il
ne reçoive que de rares intimes et qu'il se
garde des interviews comme de la peste, il
m'a paru que la seule présence parmi nous
du plus grand poète Scandinave, l'émule et
le frère d'armes d'Ibsen, apportait une vi-
vante réponse à la question obsédante qui
ne cesse de se poser ici : l'heure d'une re-
naissance idéaliste a-t-elle sonné pour la
scène française? C'est en méditant à cette
conjecture, que j'allais revoir l'illustre ami.
Je le trouvai dans une maison hospitalière,
entouré de nobles tableaux anciens, la fe-
nêtre ouverte sur un vaste parc digne d'une
évocation de Besnard, et, dans un aussi fas-
tueux décor autour du plus simple des hom-
mes, j'eus l'impression d'une belle vie pure
qui s'achève dans la royauté. Le long temps
écoulé depuis notre dernière entrevue avait
épanoui la fraîcheur candide de ses septante-
cinq ans. C'était toujours cette mine diapha-
ne de jeune enfant, ce port majestueux d'ar-
chevêque laïque, ce corps de viking, plus
grand que nature, habité par une âme de
rêve — puis, tout à coup, sous le sourcil
dressé, le regard aquilain fondant sur l'idée.
Le colloque, avec lui, est lent et grave. Il
semble que pour vous parvenir, ses répon-
ses traversent un abîme intérieur où sa pen-
sée s'éprouve religieusement. Mais la ré-
ponse est énergique, définitive.
Je me rappelle notre première rencontre
à Rome, voici plus d'une dizaine d'années.
C'était à une audition littéraire chez Julia
Ward Howe, la poétesse américaine. Le ha-
sard d'une chaise m'avait placé à côté de
lui. Tout en admirant ce vieillard épique si
juvénile, j'ignorais quel était ce voisin. Nous
n'échangeâmes pas une seule parole. Mais,
une heure durant, je subis la puissance de
son magnétisme, je sentis l'emprise sur
tout mon être d'une formidable volonté
morale qui m'ennoblissait en silence. Et
cette sensation fut si étrange que j'en par-
lai le soir à 'des amis. Là est le secret du
sortilège qu'exerce sur nous la littérature
des Scandinaves. Partout, dans leurs œu-
vres, sous les moindres détails du plus
minutieux des réalismes, éclate la préoc-
cupation morale qui demeure maîtresse de
l'action. Ils ont un théâtre idéaliste parce
qu'ils sont des hommes d'idéal. J'ai peine
à décider où Bjœrnson, au cours d'un de-
mi-siècle d'activité, a le plus prodigué ses
créations, poète pour la beauté de son art,
ou tribun pour le bien de son peuple
Sans doute, cette conception de la vie dfl.
l'artiste bon citoyen, c'est celle de nos
aïeux Hellènes, dont nous n'invoquons hy-,
pocritement de chétifs exemples, choisis U
l'époque de décadence, que pour autorisée
nos dévergondages. C'est celle aussi dot
Victor Hugo, si démodée depuis vingt-cinq
ans par la campagne naturaliste. et, chose'
bizarre mais fatale au fond, comme toute
réaction, c'est celle que Zola réhabilita tout
à coup en transmuant son naturalisme en
idéalisme, et en poussant celui-ci jusqu'à
la chimère comme il avait fait l'autre jus-
qu'à l'obsession. Mais de l'idéalisme des
hommes du Nord à celui des Latins, la
différence apparaît ici, qu'il est chez nous
plus en surface et chez eux plus el1. pro-
fondeur. La vie privée de Victor est loin
de valoir sa vie publique. Et dans les
mœurs des neuf dixièmes de nos jeunes
poètes idéalistes, je ne vois pas trop ce qui
les distingue de leurs camarades du café
d'en face à l'enseigne du naturalisme: mê-o
mes bocks, mêmes « grues », même dé-
braillement. Notre idéalisme n'est que Ht"
térature. Voici, par contre, Qui stupéfiera
toutes les cervelles sur le Boulevard: cet
auteur dramatique à succès,, ce poète glo-
rieux, ce mâle superbe qu'est Bjœrnson
et qui, hier, mon cher Fabre, vous arra-
chait ce cri d'admiration lorsque je vous
le montrai sous le péristyle du Panthéon;
« Dieu, qu'il est beau! » — un pareil
homme, depuis sa jeunesse, est monogamet
Un tel poète, depuis cinquante ans, a stl
renouveler son inspiration à la source uni-
que du jardin fermé! Ce qu'avait prêché
Dumas fils, ce converti monté en chaire
avec fureur, Bjœrnson l'a vécu avec har-
monie et sérénité. Son idéalisme est des-
cendu tout tranquillement dans sa con-
science pour y consacrer sa vie intime, et
le poète fut digne de sa poésie. Non qu'il
ait souscrit à un décalogue de tradition:
Bjœrnson, comme Ibsen, fut un révolté. Il
se destinait au pastorat, lorsqu'une crise!
de croyance le fit s'évader de son église,
Mais une fois dehors, il n'y est pas revenu
pour la démolir, rageusement. Il s'en est
allé reconstruire plus haut. Sa réproba-
tion de ce parti pris de démolition, qui est
une des tares de notre siècle entre deux
âges, lui a dicté une pièce récente dont la
vrai titre devrait être: Perversité. Et com-
me un jour. je lui demandais, en nous ar-
rêtant devant Notre-Dame, si l'indigence
de tant d'auteurs contemporains ne tenait'
pas à leur manaue de sens religieux.
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