Titre : Comoedia / rédacteur en chef : Gaston de Pawlowski
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1908-04-04
Contributeur : Pawlowski, Gaston de (1874-1933). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32745939d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 04 avril 1908 04 avril 1908
Description : 1908/04/04 (A2,N187). 1908/04/04 (A2,N187).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7646571m
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-123
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 13/04/2015
y Année. N° 187 (Quotidien) - U famé*, ; à emirmés
Samedi 4 Avril 190&
-
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COMCEDIA
Rédacteur en Chef : G• de PAWLOWSKi
RÉDACTION & ADMINISTRATION !
27, Boulevard Poissonnière, PARIS
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Adresse Télégraphique : COMŒDlA.PARIS
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Étranger. 40 » 20 »
L'Ephémère
perfection
Nos anciennes amours se présentent
au souvenir sous l'aspect d'une image :
nous revoyons l'être autrefois aimé
dans une pose précise, faisant tel geste.
Parfois aussi, nous l'entendons pronon-
cer un mot sans force en lui-même,
et inoubliable par l'intonation. Pourquoi
toute aventure se résorbe i-elle dans un
accident mimique ou phonétique, sinon
parce que ces accents furent l'expres-
sion parfaite du sentiment?
C'est « un doux salut» qui enflamme
le cœur de Dante, et la triple union du
désespoir, de l'expiation et de la joie pa-
radisiaque n'effaceront pas le rayonne-
ment d'un sourire juvénile qui, toujours,
blasonna pour le Michel Ange de la poé-
sie les idées de bonheur.
La sensibilité du spectateur ne dif-
fère pas de celle d'un amoureux, et ce
qui le frappe profondément et plus que
l'action pathétique, c'est la perfection
d'un mouvement ou d'une modulation.
Lorsque le rideau va se lever sur un
drame, nous n'avons aucune préoccu-
pation de plastique et de musique: on
va nous jouer une histoire, et l'intérêt
de cette histoire suffit à notre plaisir:
nous n'attendons pas plus; mais si l'ac-
teur s'élevant à l'artiste devient musi-
cien et met littéralement des notes sous
les mots et, subitement sculpteur et pein-
tre, s'il compose des statues et des ta-
bleaux, il dépasse l'art du masque ou
bien il le réalise complètement, comme
on voudra; et nous éprouvons la plus
grande volupté esthétique qui soit pos-
sible en face d'une manifestation plus
synthétique que la réalité.
La perfection ne se définit pas : sinon,
on dirait qu'elle reflète l'absolu. Ce mot-
là est bien lourd pour un phénomène
aussi météorique.
Auguste et Robert Macaire, Bérénice
ou Dorine, Coriolan ou Shylock peuvent
donner lieu à des incidents de perfec-
tion, et même d'innombrables partitions
sont susceptibles de servir à ce prodi-
gieux effet; car l'interprète crée en ces
ments-là, il produit de la beauté qui
n'était pas contenue dans le texte, ou
du moins qui ne se voyait pas. Pour
grand que soit Un acteur, jamais il ne
sera parfait tout un soir, ni tout un ac-
te, ni pendant une scène ; et quand nous
le disons, nous parlons mal. Au théâtre,
la perfection garde toujours un carac-
tère accidentel: ce n'est qu'un éclair;
mais il illumine tellement, que la sensi-
bilité en garde le reflet jusqu'à la mort
et aussi vif que d'un événement pas-
sionnel.
A la seconde de perfection, le comé-
dien manifeste à la fois tous les arts:
il est poète, peintre, sculpteur, musicien
et quelque chose de plus encore. Si
cette seconde n'était pas si brève et si
intermittente, personne ne saurait lui
être comparé; les plaisirs du théâtre
plus vifs que ceux de la lecture et de la
contemplation, avoisineraient ceux de
l'amour.
Comment se produit la perfection?
C'est simplement un mystère où entre
l'étude, l'habitude, l'effort, l'inspiration,
et surtout ce que les obscurs philoso-
iphes appellent l'inconscient supérieur.
Qu'est-ce que cela? Autre mystère, ou,
si l'on veut une mauvaise formule, on
l'appellera le miracle dramatique. Ce
mot offre du moins un avantage : il pré-
cise l'infime rareté de cette manifesta-
tion suréminente; c'est bien une déro-
gation aux lois naturelles du théâtre, do-
maine de l'imitation, et, par là, si-
dniesque.
Un dévot qui aspirerait à la thauma-
turgie serait un dément; et nul comé-
dien, malgré l'infatuation propre à la
(confrérie, ne se propose d'atteindre ce
point idéal. Entre ce qu'ils prétendent
(au café et devant les camarades et leur
tpensée intime, il y a toujours un abî-
me. Le sentiment de la perfection existe à
'l'état latent chez les plus infirmes, et dès
qu'ils cessent de se comparer aux ému-
;Ies, leur jugement redevient sain et pon-
déré. Malgré eux, ils conçoivent 1 ecra-
j santé idée de la chose parfaite, et 1 im-
possibilité radicale de l'exécuter à vo-
• lonté. Sans pouvoir expliquer le passage
de l'individuel au type, ils savent qu'au-
cune méthode ne régularise l'inspiration
et qu'être parfait dans un art instantané
et que n'emplit qu'un seul des trois ter-
mes du temps, c'est une aventure et la
plus imprévue, une chance et la plus
gratuite, pour le spectateur aussi. Cela
n'advient, est-il utile de le spécifier,
qu'à des acteurs exceptionnellement
doués et appliqués à la fois, et très ra-
rement dans le comique; mais la rareté
d'une manifestation ajoute à sa beauté.
Et ne sommes-nous pas presque insen-
sible au spectacle de l'univers, par con-
séquence de notre familiarité avec lui?
Les vieux amateurs de théâtre, dont
la race semble éteinte, gardaient en mé-
moire une phrase dramatique comme un
l'interprétation où le genre de l'acteur
comme celui de la statuaire; leur sensi-
bilité, charmée et reconnaissante, con-
servait l'écho et le reflet de la minûfe
parfaite et Barbey d'Aurevilly manquait
un rendez-vous d'amour pour revoir et
réentendre une scène de Mlle Mars.
Peut-être la critique théâtrale, si dé-
veloppée aujourd'hui, n'accorde-t-elle
pas l'attention méritée à cette beauté de
l'interprétation où le genre de l'acteur
et le plaisir du spectateur atteignent leur
plus haut point et l'un par l'autre. La
plupart bornent leur sens scéniqueà voir
tel comédien dans tel rôle et à juger la
création du personnage. Or, la vérita-
tle création de l'homme consacré à
Backhos, qui, pendant un instant, l'é-
gale aux chefs-d'œuvre, est cet accent
ou cette posture qui réalise l'idéal et où
l'œil voit le bas-relief, la fresque vivre
et où l'oreille perçoit une harmonie plus
transcendantale que celle qu'écrivirent les
Beethoven et les Wagner. Car la vie se
fait art ou l'art se fait vie, transfigura-
tion étonnante d'un homme qui se
hausse à la plus insigne symbolisation
de l'espèce par une opération tellement
secrète, que nul ne l'a expliquée. Quel-
ques-uns l'ont observée; à ces moments,
il semble que le voile de la grande Isis
se lève et de tous les mirages de la
civilisation aucun ne vaut celui-là en
puissance et en volupté. On pense, mal-
gré soi, à ces récits légendaires où les
trésors delà terre éblouissent, brusque-
ment offerts à une seule heure dans
l'année. Ici, aucune date fatidique, et
cette perfection qui fut découverte et vé-
nérée dans les anciens mystères, à
Memphis comme à Eleusis, se produit
parfois devant une assistance distraite
qui ignore quel mystère se produit, pro-
pre à éveiller des impressions aussi for-
tes que celles des passions.
PÊLADAN.
Nous publierons demain un article de
G. DE PAWLOWSKI
L'utile contagion
Au sujet de la campagne que nous avons
entreprise pour obtenir la réduction du
prix des places au théâtre, certains de nos
confrères ont prétendu que cette réduction
était en tous points impossible et qu'elle ne
pouvait être réalisée qu'en fonction de
l'augmentation du nombre des places.
Evidemment, le raisonnement est assez
séduisant. Il vaut toujours mieux avoir
deux mille spectateurs payants que mille,
et le Théâtre aux Champs de notre ami
Princet, dans la plaine Saint-Denis, par
exemple, assurerait indubitablement de
beaux bénéfices aux impresarii.
Le seul défaut d'un pareil système, c'est
qu'il reste à savoir si le public envahit un
théâtre en raison -du nombrê de places dis-
ponible ou en raison de l'intérêt offert
par la représentation ? On s'écrase évi-
demment dans certaines bonbonnières, tout
simplement parce que le programme y est
fort bien composé; dans certains théâtres
des plus vastes, au contraire, ce ne sont
point les quelques ermites isolés aux qua-
tre coins de la salle qui peuvent donner
l'illusion du succès.
Il est même à remarquer que ledit suc-
cès a toujours favorisé plus particulière-
ment les petites salles et cela tient à une
raison -que nous signalions, il y a de cela
quelque temps, dans Comœdia.
Pour qu'un spectacle ait du succès, il
faut le consentement universel de tous les
spectateurs, cette sorte de contagion que
peut seule donner une juxtaposition d'en-
thousiasmes serrés les uns contre les au-
tres. C'est ce qui explique que, dans la
pratique, les petites salles ont toujours été
vouées au succès plutôt que les grandes.
C'est ce qui explique également que la
suppression des billets de faveur est un
mythe contre la réalisation duquel les au-
teurs devraient être les premiers à s'éle-
ver. G. DE PAWLOWSKI.
Échos
Ce soir, à huit heures et demie, au théâ-
tre Cluny, première représentation de : Qui
qu'a vu Ninette? vaudeville-opérette en
trois actes et quatre tableaux, de MM. Jules
Oudot et Jean Drault.
Aujourd'hui, à une heure trois quarts,
première représentation du spectacle
d'inauguration du Cercle dramatique « Les
Essayeurs » : Le Voyage de la Comédienne,
un acte en vers de Fernand Rivet; Le Ri-
cochet, un acte de Pascal-Bonetti, et Cla-
potin, trois actes de A. Gandrey et Henri
Clerc.
Ce soir, à neuf heures, aux Folies-
Royales, première représentation du spec-
tacle d'inauguration de la ravissante
bonbonnière de la rue Fontaine: L'Envers
d'un Notaire, de M. Léo Trézenick, pour les
représentations de Mlle Irma Perrot; La
Belladone, de M. L. Nérac, pour celles de
Mlle Renée Davennes; Tommy, de MM.
Bonnet et Rosenberg, pour celles de Mlle
Alice Ery; Le Conservateur, de MM. Gré-
geois et Tallet, pour celles de M. Rosen-
berg; et Imposons la Revue nue, pour celles
de Mlle Marnac et de MM. William Burtey
et Bressol.
Ce soir, à Ba-Ta-Clan, première repré-
sentation de La Fiancée du 5ge chasseurs,
vaudeville en trois actes de M. Jean Kolb.
Débuts de M. Soums, du théâtre de la
Gaité.
A
la Société des Auteurs.
Avant-hier matin, à une heure et
demie, on pouvait voir, aux environs de la
rue Hippolyte-Lebas, des hommes exté-
nués et altérés entrer boire un nocturne
bock dans une brasserie du carrefour Cha-
teaudun. C'étaient MM. Albert Carré, Mi-
cheau, Franck, Porel et Peter-Carin, direc-
teurs, et MM. Henry Bernstein, G.-A. de
Caillavet et Paul Gavault, commissaires de
la Société des Auteurs, et membres de la
sous-commission chargée d'élaborer, avec
les directeurs, un nouveau traité général.
Cette sous-commission vient, d'ailleurs, ,
de donner un exemple extraordinaire de
zèle, de travail et de dévouement. Sans
compter les commissions hebdomadaires,
elle n'a pas eu moins de seize séances en
douze jours. Même le soir de la Mi-Carê-
me elle se réunit, et ce fut un spectacle
infiniment pittoresque que celui de voir
siéger les membres de ce triumvirat dans
le déguisement qu'ils devaient porter, quel-
ques heures plus tard, dans les différents
bals où ils devaient se rendre dans la soi-
rée.
Ces commissaires ont, d'ailleurs, pris
deux résolutions qu'ils soumettront à l'as-
semblée générale et qui sont peut-être les
plus importantes qui aient été prises depuis
cinquante ans. Nous y reviendrons en
temps utile.
En attendant, ils ont, dans leur projet
de nouveau traité général avec les direc-
teurs, fait disparaître nombre de petits
abus antiques qui rendaient difficiles toutes
les relations. -
L
a tradition.
Il n'y a pas très longtemps, un so-
ciétaire de notre Comédie-Française de-
vait jouer, dans une grande ville du Midi,
le premier rôle d'un drame de cape et d'é-
pée.
Par quel hasard la brave petite troupe
provinciale se montra-t-elle assez hostile à
l'arrivant? Etait-ce en raison de son- ou-
trecuidance, de s'a morgue? Le fait est qu'à
la seule et unique répétition qui eut lieu
le matin de la représentation, on lui té-
moigna une froideur manifeste. Notre hé-
ros se montra, d'ailleurs, très mécontent
du ieu de ses collègues et morigéna fort,
et à tort, du reste, son principal parte-
naire. Arrivé à la grande scène du « qua-
tre », où le héros empoigne le traître, le
sociétaire arrête brusquement son débit.
Puis, s'adressant au jeune artiste qui doit
lui donner la réplique:
— C'est ici que j'intercale une tradition
qui m'est personnelle. Je vous saisis à la
gorge, je vous force à vous mettre à ge-
noux. et je vous crache à la figure.
— Fort bien! répond l'autre; mais, dans
ces conditions, il faut que je vous fasse
connaître aussi ma tradition à moi. A peine
m'avez-vous touché que je vous f. mon
poing sur la g. et mon pied. quelque
part!
Et le sociétaire, paraît-il, ce jour-là, re-
nonça à « sa tradition ».
L
a liberté du théâtre.
Nous recevons de M. Albert Vala-
brègue ce billet spirituel — et énergique:
3 avril 1908.
Mon cher confrère, ,.",,',
M. Meunier, à la tribune de la Chambre, a
parlé de la liberté de l'Art Dramatique.
Il n'y a pas de liberté de l'Art Dramatique.
Le directeur est le maître de son théâtre et la
Société des Auteurs empêche l'auteur d'être di-
recteur et de se jouer.
Nous n'avons, par conséqunt, que la liberté
de la brochure.
Je me permets de la trouver insuffisante.
Cordialement.
Albin VALABRÈGUE.
p
our mettre l'eau à la bouche de M.
Baillet.
Rappelons les résultats de quelques der-
nières représentations « à bénéfice» qui
furent données à la Comédie-Française.
Celle de Delaunay (16 mai 1887) rap-
porta 42,347 francs; celle de Coquelin aî-
né (15 mai 1889), 37,390 francs; celle de
Maubant (15 mars 1890), 41,000 francs;
celle de Febvre (24 mai 1893), 36,438
francs; celle de Got (20 avril 1895),
36,803 francs; celle de Reichenberg
(1898), 50,000 francs; celle de Worms
(1901), 43,915 francs, etc.
Les représentations « à bénéfice» qui
tiennent le record pécuniaire, sont celles
de Déjazet et d'Alice Lavigne. Elles eu-
rent lieu, l'une dans la salle Ventadour et
rapporta 79,010 francs 50 centimes; l'au-
tre, au Vaudeville, et dépassa cent mille
francs.
Une de celles qui furent les moins fé-
condes est celle qu'on organisa, voici une
quinzaine d'années, à la Porte-Saint-Mar-
tin, au bénéfice de Marie Colombier ; elle
ne se chiffra que par 7,180 francs.
Mais revenons à la Comédie et nous ver-
rons que les représentations de retraite y
sont d'une belle moyenne.
1
1 est très facile à chacun de connaître
exactement la valeur de ses bijoux,
diamants, perles. Dusausoy, q., Douievara
des Italiens, expertise gratuitement et
achète très cher au comptant bijoux, dia-
mants et pierres fines.
UBU ROI
UN « ARGUMENT » INÉDIT D'ALFRED JARRY
Nous devons à l'obligeance de notre aimable
confrère Alphonse Gallais de pouvoir publier
cette page inédite d'Alfred Jarry. C'est une
fantaisiste et délicieuse exégèse où Jarry. pré-
cise très nettement ses intentions satiriques.
Après qu'a préludé une musique de trop de
cuivres pour être moins qu'une fanfare, et qui
est exactement ce que les Allemands appellent
une « bande militaire », le rideau dévoile un
décor qui voudrait représenter Nulle Part, avec
des arbres au pied des lits, de la neige blanche
dans un ciel bien bleu, de même que l'action
se passe en Pologne, pays assez légendaire et
démembré pour être ce Nulle Part ou, tout
au moins, selon une vraisemblable étymologie
franco-grecque, bien loin un quelque part inter-
rogatif.
Fort tard - après la pièce ecnte, on s'est aperçu
qu'il y avait eu des temps anciens, au pays ou
fut premier roi Pyast, homme rustique. un cer-
tain Rogatka ou Henry au grand ventre, qui suc-
céda à un roi Venceslas et aux trois fils dudit,
Boleslas et Ladislas, le troisième n'étant pas
Bougrelas; et que ce Venceslas, ou un autre, fut
dit l'Ivrogne. Nous ne trouvons pas honorable
de construire des pièces historiques.
Nulle part est partout, et le pays ou l'on se
trouve, d'abord. C'est pour cette raison qu'Ubu
parle français. Mais ses défauts divers ne sont
point vices français, exclusivement, auxquels
favorisent le capitaine Bordure, qui parle an-
glais, la Reine Rosemonde, qui charabie au
Cantal, et la foule polonaise qui nasille des tro-
gnes et est vêtue de gris. Si diverses satires se
laissent voir, le lieu de la scène en fait les
interprètes irresponsables.
Monsieur Ubu est un être ignoblet ce pourauoi
il nous ressemble (par en bas) à tous. Il assas-
sine le roi de Pologne (c'est frapper.le tyran,
l'assassinat semble juste à des gens, qui est un
semblant d'acte de justice), puis. étant roi, il
massacre les nobles, puis les fonctionnaires, puis
les paysans. Et ainsi, ayant tué tout le monde,
il a assurément expurgé quelques coupables, et
se manifeste l'homme normal et moral. Finale-
ment, tel qu'un amoraliste, il exécute aes arrêts
lui-même, déchire les gens parce qu'il lui plaît
ainsi et prie les soldats russes de ne point tirer
devers lui, parce qu'il ne lui plaît pas. Il est
un peu enfant terrible, et nul ne le contredit
tant qu'il ne touche point au Czar, qui est ce
que nous respectons tous. Le Czar en fait jus-
tice, lui retire son trône dont il a mésusé, ré-
tablit Bougrelas (était-ce bien la peine?) et
chasse Monsieur Ubu de Pologne, avec les trois
parties de sa puissance résumées en un mot:
« Cornegidouille » (par la puissance des appé-
tits inférieurs).
U bu parle souvent de trois choses toujours
parallèles dans son esprit: la physique, qui
est la nature comparée à l'art, le moins de
compréhension opposé au plus de cérébralité,
la réalité du consentement universel à l'hallu-
cination de l'intelligent, don Juan à Platon, la
vie à la pensée, le scepticisme à la croyance,
la médecine à l'alchimie, l'armée au duel, —
et parallèlement, la phynance, qui sent les hon-
neurs en face de la satisfaction de soi pour soi
seul, tels producteurs de littérature selon le pré-
jugé du nombre universel vis-à-vis de la com-
préhension des intelligents, — et parallèlement,
la merdre.
Il est peut être inutile de chasser Monsieur
Ubu de Pologne, qui est, avons-nous dit, Nulie
Part, car, s'il peut se complaire d'abord en quel-
que artiste inaction, comme à « allumer du feu
en attendant qu'on apporte du bois » et à com-
mander des équipages en yachtant sur la Balti-
que, il finit par se faire nommer maître des
Finances à Paris.
Il était moins indifférent en ce pays de Loin-
Quelque-Part, où. face aux faces de carton des
acteurs qui ont eu assez de talent pour s'oser
vouloir impersonnels, un public de quelques in-
telligents pour quelques heures s'est consenti
Polonais.
Alfred JARRY.
(D'après un Manuscrit original trouvé dans
ses papiers après sa mort.)
v
érité en deçà des Alpes.
Sait-on que l'homme qui a mission
de maintenir 1 ordre intérieur en France,
déchaîne à l'étranger des révolutions?
Le Voile du Bonheur, la comédie de M.
Clemenceau, qui va être représentée au
théâtre de l'Argentina de Rome, a déchaî-
né, en Italie, les plus ardentes polémiques.
Comment l'inoffensif scénario où sont
contés les malheurs conjugaux d'un manda-
rin est-il interprété par nos voisins comme
une façon de pamphlet politique? Mystère.
Le fait est que cléricaux et anticléricaux
menacent de se couper la gorge pendant la
représentation.
Petit-être le traducteur est-il coupable?
Les 'nSïïëris le dïserîî: Traductore, ifadif-
tore.
D.
Regner, 4, rue des Capucines, paye
cher bijoux, diamants, perles, auto-
mobiles, reconnaissances du Mont-de-Piété,
100 0/0, les dégage sans frais, même chez
des tiers. -
ru
n parfum est à la femme ce que la
rosée est à la fleur! Aussi toutes
les élégantes ont-elles adopté la dernière
création de Gellé Frères: « Paradisia »,
nom exq'uis, comme le parfum du reste, et
dont la vogue est déjà universelle.
1
1 est impossible de rêver quelque chose
de plus nouveau, de plus luxueux et de
plus original tout a la tois que ce carnei
d'Artiste, édité par la Maison Manzi, Jovant
et Cie pour les Directeurs des Grands Ma-
gasins de Pygmalion, à l'occasion de leur
Exposition annuelle de Soieries du Lundi
6 Avril ; en un fort bel album dû à la col-
laboration d'un peintre très distingué, Louis
Popineau, et de l'experte Marquise de Cré-
quy, c'est toute l'histoire de la soie en un
texte d'une amusante érudition illustré
d'ingénieux dessins en couleurs; ce Car-
net, à lui seul, est tout un document, il est
divertissant et il est instructif et, pour
toutes ces raisons, il vaut d'être conservé
à l'égal d'un livr; dî chevet. A bté de
la partie artistique, nos charmantes lectri-
ces trouveront, dans cet album, le côté pra-
tique représente par des soieries, des den-
telles, des chemisettes, etc., dont les prix
véritablement extraordinaires de « bon
marché » les surprendront. L'Exposition de
ces merveilles commencera le Lundi
6 Avril et durera toute la semaine: le
grand hall de l'Eden, décoré de glaces et
de fleurs, sera le rendez-vous du Tout-
Paris élégant: le soir des illuminations
splendides, mélange heureux de perles
Weismann'et de lampes ékectriques, dont
l'installation est due à la Compagnie gé-
nérale de travaux d'Eclairage et de Force,
suppléeront à la lumière du jour. Enfin, de
charmants souvenirs seront offerts à la
clientèle: quand nous aurons dit qu'il s'a-
git, en l'espèce, de ravissants bouquets
créés spécialement par la Maison La-
chaume, rue Royale, nous aurons suffisam-
ment démontré que ces souvenirs sont de
ceux qui constituent, non pas une insigni-
fiante bagatelle, mais une attention délicate
à laquelle seront très sensibles, croyons-
nous, les élégantes visiteuses. Point n'est
besoin d'être bon prophète pour prédire
qu'avec de tels avantages, il y aura foule
après-demain Lundi 6 Avril aux Grands
Magasins de PYGMALION.
L
a vieille maison Lapr.é, si fameuse dans
le monde des lettres et des arts, fut
heureusement rajeunie par maunce - umi
le monde le sait maintenant. Aussi les
salons de la rue Drouot sont-ils plus que
jamais le lieu de rendez-vous du véritable
Tout-Paris.
NOUVELLE A LA MAIN
D
ans un journal dont le secrétaire de
rédaction est, comme on dit, un peu
« tapetir n.
- Il nous faut une nouvelle à la main,
demande-t-il.
Et un de ses collaborateurs qu'il a sou-
vent mis à l'épreuve de soupirer avec iro-
nie:
— A la main tendue !
Le Masque de Verre.
M. Georges Baillet
Trente-deux années
de services a la
Comédie=Française
Depuis quelques jours déjà, les couloirs
du Théâtre-Français grouillent d'une ani-
mation agréablement pittoresque.
On ne s'y heurte pas, comme à l'ordi-
naire, à des groupes tenant dans l'ombre
des conciliabules clandestins. On n'y en-
tend parler ni du Foyer, ni des sempiter-
nels « douzièmes de part », ni de M. Cla-
retie, ni de M. Thomson, ni du talent de
M. Huguenet, ni des fâcheuses recettes de
la tournée Leloir. On y rencontre partout,
dans tous les coins, de jolies silhouettes
féminines qui égayent de froufrous, de sou-
rires et de parfums les corridors noirs et
qui promènent une majesté amusée à tra-
vers ce théâtral solennel auquel elles vont,
pour quelques heures, appartenir.
Elles répètent, en effet, La Revue de
Pâques, d'Adrien Vély, qu'elles joueront
ce soir — et ce sera sans doute la pre-
mière revue montée rue de Richelieu —
pour la représentation de retraite de M.
Georges Baillet.
Car l'excellent artiste fait aujourd'hui ses
adieux au public.
Après trente-deux ans d'une carrière
sans défaillance, il va revêtir, pour la der-
nière fois sur la scène du Théâtre-Français,
le pourpoint élimé de Don César et l'ha-
bit cavalier du comte Almaviva.
Tous les vrais amis de la Maison, ceux
qui la fréquentent depuis de longs soirs
et qui ont conservé pour cette institution,
malgré tout admirable, la prédilection éclai-
rée des anciens connaisseurs, regretteront
un départ aussi prématuré.
Parce que M. Baillet fut constamment
modeste et se refusa toujours à signaler
ses succès — car il en eut et de très
beaux — par de retentissants coups de
grosse caisse, on l'a peu à peu relégué à
un injuste second plan. On fit autour de
lui un silence très calculé. On lui refusa,
de plus en plus, les occasions de garder
contact avec le public. Et quand certains
de ses « camarades » entreprirent de lui
arracher sa situation, elle était déjà ébran-
lée par d'adroites et patientes mines.
Il faut, malgré leur tristesse, dire très
haut ces choses. On s'est fort mal conduit
à l'égard de M. Baillet. On le traita-avec
une ingratitude et une férocité tout à fait
modernes — dans le pire sens de ce mot.
Il quitte pourtant sans rancune la Maison
de Molière. Il la quitte avec un attendris-
sement mélancolique et très peu de ran-
cœur. Il a le sourire désenchante de ce
Philinte qu'il a si bien joué et qui constate
sans fureur la férocité humaine. >
Ce soir, c'est à d'autres émotions plus
douces qu'il s'abandonnera. Il a toujours
joui de fa sympathie très particulière du
public élégant de la Maison, et ce sont
presque des amis qui viendront l'applaudir
une fois de plus dans Almaviva du Barbier
de Séville, et dans Don César de Ruy Blas,
ces deux rôles où il est assuré de laisser de
longs souvenirs. La salle est complètement
louée et cette marque de la chaleureuse
estime où le tiennent ses anciens specta-
teurs adoucira pour lui le souvenir assez
pénible de.cog-demièreâ années.
M. tsamci
La carrière de M. Georges Baillet est
admirable d'unité et de régularité.
D'une excellente famille, fils d'un ingé-
nieur du Creuset, il était destiné par tMÎII
père à la chimie industrielle. Mais la pas-
sion du théâtre le tenait. Il vainquit .les ré-
sistances de ses parents et se fit recevoir
au Conservatoire dans. la classe de Bres-
sant. Après un douloureux congé, en 1870,
— il fit la campagne comme lieutenant da
iii L'Ami Fritz * * Diane de Lys »
(Fritz Kobus) (Maximilien)
M. BAILLET DANS LE REPERTOIRE MODERNE
mobiles — il en sortit avec un premier gros
cessit.
Il débuta à l'Odéon aux appointements
de cent cinquante francs par mois. Il y
joua des rôles comme Rodolphe de La Vie
de bohème, comme Ruy Blas, et il les joua
si bien qu'au bout de trois ans, il était en-
gagé au Théâtre-Français.
Après sa remarquable création de Fer-
nand de Thauzette, dans Denise, il fut élu
sociétaire en 1887.
Il parvint alors normalement au Comité
d'administration, où il siégea pendant dix
ans. Il est aujourd'hui chevalier de la Lé-
gion d'honneur. Il prend sa retraite en
pleine santé et en pleine force et sans re-
noncer, d'ailleurs, définitivement à la
scène.
Notre ami Emile Mas, en rendant
compte de la merveilleuse soirée d'aujçur-
« Le Mariage de Figaro » 'D « Ruy Blas
(Almavtva) iDon César de Bazan)
M. BAILLET DANS LE REPERTOIRE CLASSIQUE
d'hui, vous dira, demain, ce qui caractêrt
sait le talent de M. Baillet, combien il t'en-
dit de service au Théâtre-Français et quels
regrets il laissera ; mais il convenait de sa-
luer, comme il le mérite, cet excellent ar.
tiste, d'une distinction devenue si rare, el
qui sut être toute sa vie, dans toute l'ac
ception du terme, à la scène et à la ville,
ce qu'on appelait, au dix-septième siècle,
un « honnête homme ».
EDOUARD HELSEY.
Samedi 4 Avril 190&
-
~-~~)è<<
COMCEDIA
Rédacteur en Chef : G• de PAWLOWSKi
RÉDACTION & ADMINISTRATION !
27, Boulevard Poissonnière, PARIS
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Adresse Télégraphique : COMŒDlA.PARIS
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UN AN * mois
Paris et Dépanements 24 fr. 12 fr.
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Paris et Départements. 24 fr. 12 fr.
Étranger. 40 » 20 »
L'Ephémère
perfection
Nos anciennes amours se présentent
au souvenir sous l'aspect d'une image :
nous revoyons l'être autrefois aimé
dans une pose précise, faisant tel geste.
Parfois aussi, nous l'entendons pronon-
cer un mot sans force en lui-même,
et inoubliable par l'intonation. Pourquoi
toute aventure se résorbe i-elle dans un
accident mimique ou phonétique, sinon
parce que ces accents furent l'expres-
sion parfaite du sentiment?
C'est « un doux salut» qui enflamme
le cœur de Dante, et la triple union du
désespoir, de l'expiation et de la joie pa-
radisiaque n'effaceront pas le rayonne-
ment d'un sourire juvénile qui, toujours,
blasonna pour le Michel Ange de la poé-
sie les idées de bonheur.
La sensibilité du spectateur ne dif-
fère pas de celle d'un amoureux, et ce
qui le frappe profondément et plus que
l'action pathétique, c'est la perfection
d'un mouvement ou d'une modulation.
Lorsque le rideau va se lever sur un
drame, nous n'avons aucune préoccu-
pation de plastique et de musique: on
va nous jouer une histoire, et l'intérêt
de cette histoire suffit à notre plaisir:
nous n'attendons pas plus; mais si l'ac-
teur s'élevant à l'artiste devient musi-
cien et met littéralement des notes sous
les mots et, subitement sculpteur et pein-
tre, s'il compose des statues et des ta-
bleaux, il dépasse l'art du masque ou
bien il le réalise complètement, comme
on voudra; et nous éprouvons la plus
grande volupté esthétique qui soit pos-
sible en face d'une manifestation plus
synthétique que la réalité.
La perfection ne se définit pas : sinon,
on dirait qu'elle reflète l'absolu. Ce mot-
là est bien lourd pour un phénomène
aussi météorique.
Auguste et Robert Macaire, Bérénice
ou Dorine, Coriolan ou Shylock peuvent
donner lieu à des incidents de perfec-
tion, et même d'innombrables partitions
sont susceptibles de servir à ce prodi-
gieux effet; car l'interprète crée en ces
ments-là, il produit de la beauté qui
n'était pas contenue dans le texte, ou
du moins qui ne se voyait pas. Pour
grand que soit Un acteur, jamais il ne
sera parfait tout un soir, ni tout un ac-
te, ni pendant une scène ; et quand nous
le disons, nous parlons mal. Au théâtre,
la perfection garde toujours un carac-
tère accidentel: ce n'est qu'un éclair;
mais il illumine tellement, que la sensi-
bilité en garde le reflet jusqu'à la mort
et aussi vif que d'un événement pas-
sionnel.
A la seconde de perfection, le comé-
dien manifeste à la fois tous les arts:
il est poète, peintre, sculpteur, musicien
et quelque chose de plus encore. Si
cette seconde n'était pas si brève et si
intermittente, personne ne saurait lui
être comparé; les plaisirs du théâtre
plus vifs que ceux de la lecture et de la
contemplation, avoisineraient ceux de
l'amour.
Comment se produit la perfection?
C'est simplement un mystère où entre
l'étude, l'habitude, l'effort, l'inspiration,
et surtout ce que les obscurs philoso-
iphes appellent l'inconscient supérieur.
Qu'est-ce que cela? Autre mystère, ou,
si l'on veut une mauvaise formule, on
l'appellera le miracle dramatique. Ce
mot offre du moins un avantage : il pré-
cise l'infime rareté de cette manifesta-
tion suréminente; c'est bien une déro-
gation aux lois naturelles du théâtre, do-
maine de l'imitation, et, par là, si-
dniesque.
Un dévot qui aspirerait à la thauma-
turgie serait un dément; et nul comé-
dien, malgré l'infatuation propre à la
(confrérie, ne se propose d'atteindre ce
point idéal. Entre ce qu'ils prétendent
(au café et devant les camarades et leur
tpensée intime, il y a toujours un abî-
me. Le sentiment de la perfection existe à
'l'état latent chez les plus infirmes, et dès
qu'ils cessent de se comparer aux ému-
;Ies, leur jugement redevient sain et pon-
déré. Malgré eux, ils conçoivent 1 ecra-
j santé idée de la chose parfaite, et 1 im-
possibilité radicale de l'exécuter à vo-
• lonté. Sans pouvoir expliquer le passage
de l'individuel au type, ils savent qu'au-
cune méthode ne régularise l'inspiration
et qu'être parfait dans un art instantané
et que n'emplit qu'un seul des trois ter-
mes du temps, c'est une aventure et la
plus imprévue, une chance et la plus
gratuite, pour le spectateur aussi. Cela
n'advient, est-il utile de le spécifier,
qu'à des acteurs exceptionnellement
doués et appliqués à la fois, et très ra-
rement dans le comique; mais la rareté
d'une manifestation ajoute à sa beauté.
Et ne sommes-nous pas presque insen-
sible au spectacle de l'univers, par con-
séquence de notre familiarité avec lui?
Les vieux amateurs de théâtre, dont
la race semble éteinte, gardaient en mé-
moire une phrase dramatique comme un
l'interprétation où le genre de l'acteur
comme celui de la statuaire; leur sensi-
bilité, charmée et reconnaissante, con-
servait l'écho et le reflet de la minûfe
parfaite et Barbey d'Aurevilly manquait
un rendez-vous d'amour pour revoir et
réentendre une scène de Mlle Mars.
Peut-être la critique théâtrale, si dé-
veloppée aujourd'hui, n'accorde-t-elle
pas l'attention méritée à cette beauté de
l'interprétation où le genre de l'acteur
et le plaisir du spectateur atteignent leur
plus haut point et l'un par l'autre. La
plupart bornent leur sens scéniqueà voir
tel comédien dans tel rôle et à juger la
création du personnage. Or, la vérita-
tle création de l'homme consacré à
Backhos, qui, pendant un instant, l'é-
gale aux chefs-d'œuvre, est cet accent
ou cette posture qui réalise l'idéal et où
l'œil voit le bas-relief, la fresque vivre
et où l'oreille perçoit une harmonie plus
transcendantale que celle qu'écrivirent les
Beethoven et les Wagner. Car la vie se
fait art ou l'art se fait vie, transfigura-
tion étonnante d'un homme qui se
hausse à la plus insigne symbolisation
de l'espèce par une opération tellement
secrète, que nul ne l'a expliquée. Quel-
ques-uns l'ont observée; à ces moments,
il semble que le voile de la grande Isis
se lève et de tous les mirages de la
civilisation aucun ne vaut celui-là en
puissance et en volupté. On pense, mal-
gré soi, à ces récits légendaires où les
trésors delà terre éblouissent, brusque-
ment offerts à une seule heure dans
l'année. Ici, aucune date fatidique, et
cette perfection qui fut découverte et vé-
nérée dans les anciens mystères, à
Memphis comme à Eleusis, se produit
parfois devant une assistance distraite
qui ignore quel mystère se produit, pro-
pre à éveiller des impressions aussi for-
tes que celles des passions.
PÊLADAN.
Nous publierons demain un article de
G. DE PAWLOWSKI
L'utile contagion
Au sujet de la campagne que nous avons
entreprise pour obtenir la réduction du
prix des places au théâtre, certains de nos
confrères ont prétendu que cette réduction
était en tous points impossible et qu'elle ne
pouvait être réalisée qu'en fonction de
l'augmentation du nombre des places.
Evidemment, le raisonnement est assez
séduisant. Il vaut toujours mieux avoir
deux mille spectateurs payants que mille,
et le Théâtre aux Champs de notre ami
Princet, dans la plaine Saint-Denis, par
exemple, assurerait indubitablement de
beaux bénéfices aux impresarii.
Le seul défaut d'un pareil système, c'est
qu'il reste à savoir si le public envahit un
théâtre en raison -du nombrê de places dis-
ponible ou en raison de l'intérêt offert
par la représentation ? On s'écrase évi-
demment dans certaines bonbonnières, tout
simplement parce que le programme y est
fort bien composé; dans certains théâtres
des plus vastes, au contraire, ce ne sont
point les quelques ermites isolés aux qua-
tre coins de la salle qui peuvent donner
l'illusion du succès.
Il est même à remarquer que ledit suc-
cès a toujours favorisé plus particulière-
ment les petites salles et cela tient à une
raison -que nous signalions, il y a de cela
quelque temps, dans Comœdia.
Pour qu'un spectacle ait du succès, il
faut le consentement universel de tous les
spectateurs, cette sorte de contagion que
peut seule donner une juxtaposition d'en-
thousiasmes serrés les uns contre les au-
tres. C'est ce qui explique que, dans la
pratique, les petites salles ont toujours été
vouées au succès plutôt que les grandes.
C'est ce qui explique également que la
suppression des billets de faveur est un
mythe contre la réalisation duquel les au-
teurs devraient être les premiers à s'éle-
ver. G. DE PAWLOWSKI.
Échos
Ce soir, à huit heures et demie, au théâ-
tre Cluny, première représentation de : Qui
qu'a vu Ninette? vaudeville-opérette en
trois actes et quatre tableaux, de MM. Jules
Oudot et Jean Drault.
Aujourd'hui, à une heure trois quarts,
première représentation du spectacle
d'inauguration du Cercle dramatique « Les
Essayeurs » : Le Voyage de la Comédienne,
un acte en vers de Fernand Rivet; Le Ri-
cochet, un acte de Pascal-Bonetti, et Cla-
potin, trois actes de A. Gandrey et Henri
Clerc.
Ce soir, à neuf heures, aux Folies-
Royales, première représentation du spec-
tacle d'inauguration de la ravissante
bonbonnière de la rue Fontaine: L'Envers
d'un Notaire, de M. Léo Trézenick, pour les
représentations de Mlle Irma Perrot; La
Belladone, de M. L. Nérac, pour celles de
Mlle Renée Davennes; Tommy, de MM.
Bonnet et Rosenberg, pour celles de Mlle
Alice Ery; Le Conservateur, de MM. Gré-
geois et Tallet, pour celles de M. Rosen-
berg; et Imposons la Revue nue, pour celles
de Mlle Marnac et de MM. William Burtey
et Bressol.
Ce soir, à Ba-Ta-Clan, première repré-
sentation de La Fiancée du 5ge chasseurs,
vaudeville en trois actes de M. Jean Kolb.
Débuts de M. Soums, du théâtre de la
Gaité.
A
la Société des Auteurs.
Avant-hier matin, à une heure et
demie, on pouvait voir, aux environs de la
rue Hippolyte-Lebas, des hommes exté-
nués et altérés entrer boire un nocturne
bock dans une brasserie du carrefour Cha-
teaudun. C'étaient MM. Albert Carré, Mi-
cheau, Franck, Porel et Peter-Carin, direc-
teurs, et MM. Henry Bernstein, G.-A. de
Caillavet et Paul Gavault, commissaires de
la Société des Auteurs, et membres de la
sous-commission chargée d'élaborer, avec
les directeurs, un nouveau traité général.
Cette sous-commission vient, d'ailleurs, ,
de donner un exemple extraordinaire de
zèle, de travail et de dévouement. Sans
compter les commissions hebdomadaires,
elle n'a pas eu moins de seize séances en
douze jours. Même le soir de la Mi-Carê-
me elle se réunit, et ce fut un spectacle
infiniment pittoresque que celui de voir
siéger les membres de ce triumvirat dans
le déguisement qu'ils devaient porter, quel-
ques heures plus tard, dans les différents
bals où ils devaient se rendre dans la soi-
rée.
Ces commissaires ont, d'ailleurs, pris
deux résolutions qu'ils soumettront à l'as-
semblée générale et qui sont peut-être les
plus importantes qui aient été prises depuis
cinquante ans. Nous y reviendrons en
temps utile.
En attendant, ils ont, dans leur projet
de nouveau traité général avec les direc-
teurs, fait disparaître nombre de petits
abus antiques qui rendaient difficiles toutes
les relations. -
L
a tradition.
Il n'y a pas très longtemps, un so-
ciétaire de notre Comédie-Française de-
vait jouer, dans une grande ville du Midi,
le premier rôle d'un drame de cape et d'é-
pée.
Par quel hasard la brave petite troupe
provinciale se montra-t-elle assez hostile à
l'arrivant? Etait-ce en raison de son- ou-
trecuidance, de s'a morgue? Le fait est qu'à
la seule et unique répétition qui eut lieu
le matin de la représentation, on lui té-
moigna une froideur manifeste. Notre hé-
ros se montra, d'ailleurs, très mécontent
du ieu de ses collègues et morigéna fort,
et à tort, du reste, son principal parte-
naire. Arrivé à la grande scène du « qua-
tre », où le héros empoigne le traître, le
sociétaire arrête brusquement son débit.
Puis, s'adressant au jeune artiste qui doit
lui donner la réplique:
— C'est ici que j'intercale une tradition
qui m'est personnelle. Je vous saisis à la
gorge, je vous force à vous mettre à ge-
noux. et je vous crache à la figure.
— Fort bien! répond l'autre; mais, dans
ces conditions, il faut que je vous fasse
connaître aussi ma tradition à moi. A peine
m'avez-vous touché que je vous f. mon
poing sur la g. et mon pied. quelque
part!
Et le sociétaire, paraît-il, ce jour-là, re-
nonça à « sa tradition ».
L
a liberté du théâtre.
Nous recevons de M. Albert Vala-
brègue ce billet spirituel — et énergique:
3 avril 1908.
Mon cher confrère, ,.",,',
M. Meunier, à la tribune de la Chambre, a
parlé de la liberté de l'Art Dramatique.
Il n'y a pas de liberté de l'Art Dramatique.
Le directeur est le maître de son théâtre et la
Société des Auteurs empêche l'auteur d'être di-
recteur et de se jouer.
Nous n'avons, par conséqunt, que la liberté
de la brochure.
Je me permets de la trouver insuffisante.
Cordialement.
Albin VALABRÈGUE.
p
our mettre l'eau à la bouche de M.
Baillet.
Rappelons les résultats de quelques der-
nières représentations « à bénéfice» qui
furent données à la Comédie-Française.
Celle de Delaunay (16 mai 1887) rap-
porta 42,347 francs; celle de Coquelin aî-
né (15 mai 1889), 37,390 francs; celle de
Maubant (15 mars 1890), 41,000 francs;
celle de Febvre (24 mai 1893), 36,438
francs; celle de Got (20 avril 1895),
36,803 francs; celle de Reichenberg
(1898), 50,000 francs; celle de Worms
(1901), 43,915 francs, etc.
Les représentations « à bénéfice» qui
tiennent le record pécuniaire, sont celles
de Déjazet et d'Alice Lavigne. Elles eu-
rent lieu, l'une dans la salle Ventadour et
rapporta 79,010 francs 50 centimes; l'au-
tre, au Vaudeville, et dépassa cent mille
francs.
Une de celles qui furent les moins fé-
condes est celle qu'on organisa, voici une
quinzaine d'années, à la Porte-Saint-Mar-
tin, au bénéfice de Marie Colombier ; elle
ne se chiffra que par 7,180 francs.
Mais revenons à la Comédie et nous ver-
rons que les représentations de retraite y
sont d'une belle moyenne.
1
1 est très facile à chacun de connaître
exactement la valeur de ses bijoux,
diamants, perles. Dusausoy, q., Douievara
des Italiens, expertise gratuitement et
achète très cher au comptant bijoux, dia-
mants et pierres fines.
UBU ROI
UN « ARGUMENT » INÉDIT D'ALFRED JARRY
Nous devons à l'obligeance de notre aimable
confrère Alphonse Gallais de pouvoir publier
cette page inédite d'Alfred Jarry. C'est une
fantaisiste et délicieuse exégèse où Jarry. pré-
cise très nettement ses intentions satiriques.
Après qu'a préludé une musique de trop de
cuivres pour être moins qu'une fanfare, et qui
est exactement ce que les Allemands appellent
une « bande militaire », le rideau dévoile un
décor qui voudrait représenter Nulle Part, avec
des arbres au pied des lits, de la neige blanche
dans un ciel bien bleu, de même que l'action
se passe en Pologne, pays assez légendaire et
démembré pour être ce Nulle Part ou, tout
au moins, selon une vraisemblable étymologie
franco-grecque, bien loin un quelque part inter-
rogatif.
Fort tard - après la pièce ecnte, on s'est aperçu
qu'il y avait eu des temps anciens, au pays ou
fut premier roi Pyast, homme rustique. un cer-
tain Rogatka ou Henry au grand ventre, qui suc-
céda à un roi Venceslas et aux trois fils dudit,
Boleslas et Ladislas, le troisième n'étant pas
Bougrelas; et que ce Venceslas, ou un autre, fut
dit l'Ivrogne. Nous ne trouvons pas honorable
de construire des pièces historiques.
Nulle part est partout, et le pays ou l'on se
trouve, d'abord. C'est pour cette raison qu'Ubu
parle français. Mais ses défauts divers ne sont
point vices français, exclusivement, auxquels
favorisent le capitaine Bordure, qui parle an-
glais, la Reine Rosemonde, qui charabie au
Cantal, et la foule polonaise qui nasille des tro-
gnes et est vêtue de gris. Si diverses satires se
laissent voir, le lieu de la scène en fait les
interprètes irresponsables.
Monsieur Ubu est un être ignoblet ce pourauoi
il nous ressemble (par en bas) à tous. Il assas-
sine le roi de Pologne (c'est frapper.le tyran,
l'assassinat semble juste à des gens, qui est un
semblant d'acte de justice), puis. étant roi, il
massacre les nobles, puis les fonctionnaires, puis
les paysans. Et ainsi, ayant tué tout le monde,
il a assurément expurgé quelques coupables, et
se manifeste l'homme normal et moral. Finale-
ment, tel qu'un amoraliste, il exécute aes arrêts
lui-même, déchire les gens parce qu'il lui plaît
ainsi et prie les soldats russes de ne point tirer
devers lui, parce qu'il ne lui plaît pas. Il est
un peu enfant terrible, et nul ne le contredit
tant qu'il ne touche point au Czar, qui est ce
que nous respectons tous. Le Czar en fait jus-
tice, lui retire son trône dont il a mésusé, ré-
tablit Bougrelas (était-ce bien la peine?) et
chasse Monsieur Ubu de Pologne, avec les trois
parties de sa puissance résumées en un mot:
« Cornegidouille » (par la puissance des appé-
tits inférieurs).
U bu parle souvent de trois choses toujours
parallèles dans son esprit: la physique, qui
est la nature comparée à l'art, le moins de
compréhension opposé au plus de cérébralité,
la réalité du consentement universel à l'hallu-
cination de l'intelligent, don Juan à Platon, la
vie à la pensée, le scepticisme à la croyance,
la médecine à l'alchimie, l'armée au duel, —
et parallèlement, la phynance, qui sent les hon-
neurs en face de la satisfaction de soi pour soi
seul, tels producteurs de littérature selon le pré-
jugé du nombre universel vis-à-vis de la com-
préhension des intelligents, — et parallèlement,
la merdre.
Il est peut être inutile de chasser Monsieur
Ubu de Pologne, qui est, avons-nous dit, Nulie
Part, car, s'il peut se complaire d'abord en quel-
que artiste inaction, comme à « allumer du feu
en attendant qu'on apporte du bois » et à com-
mander des équipages en yachtant sur la Balti-
que, il finit par se faire nommer maître des
Finances à Paris.
Il était moins indifférent en ce pays de Loin-
Quelque-Part, où. face aux faces de carton des
acteurs qui ont eu assez de talent pour s'oser
vouloir impersonnels, un public de quelques in-
telligents pour quelques heures s'est consenti
Polonais.
Alfred JARRY.
(D'après un Manuscrit original trouvé dans
ses papiers après sa mort.)
v
érité en deçà des Alpes.
Sait-on que l'homme qui a mission
de maintenir 1 ordre intérieur en France,
déchaîne à l'étranger des révolutions?
Le Voile du Bonheur, la comédie de M.
Clemenceau, qui va être représentée au
théâtre de l'Argentina de Rome, a déchaî-
né, en Italie, les plus ardentes polémiques.
Comment l'inoffensif scénario où sont
contés les malheurs conjugaux d'un manda-
rin est-il interprété par nos voisins comme
une façon de pamphlet politique? Mystère.
Le fait est que cléricaux et anticléricaux
menacent de se couper la gorge pendant la
représentation.
Petit-être le traducteur est-il coupable?
Les 'nSïïëris le dïserîî: Traductore, ifadif-
tore.
D.
Regner, 4, rue des Capucines, paye
cher bijoux, diamants, perles, auto-
mobiles, reconnaissances du Mont-de-Piété,
100 0/0, les dégage sans frais, même chez
des tiers. -
ru
n parfum est à la femme ce que la
rosée est à la fleur! Aussi toutes
les élégantes ont-elles adopté la dernière
création de Gellé Frères: « Paradisia »,
nom exq'uis, comme le parfum du reste, et
dont la vogue est déjà universelle.
1
1 est impossible de rêver quelque chose
de plus nouveau, de plus luxueux et de
plus original tout a la tois que ce carnei
d'Artiste, édité par la Maison Manzi, Jovant
et Cie pour les Directeurs des Grands Ma-
gasins de Pygmalion, à l'occasion de leur
Exposition annuelle de Soieries du Lundi
6 Avril ; en un fort bel album dû à la col-
laboration d'un peintre très distingué, Louis
Popineau, et de l'experte Marquise de Cré-
quy, c'est toute l'histoire de la soie en un
texte d'une amusante érudition illustré
d'ingénieux dessins en couleurs; ce Car-
net, à lui seul, est tout un document, il est
divertissant et il est instructif et, pour
toutes ces raisons, il vaut d'être conservé
à l'égal d'un livr; dî chevet. A bté de
la partie artistique, nos charmantes lectri-
ces trouveront, dans cet album, le côté pra-
tique représente par des soieries, des den-
telles, des chemisettes, etc., dont les prix
véritablement extraordinaires de « bon
marché » les surprendront. L'Exposition de
ces merveilles commencera le Lundi
6 Avril et durera toute la semaine: le
grand hall de l'Eden, décoré de glaces et
de fleurs, sera le rendez-vous du Tout-
Paris élégant: le soir des illuminations
splendides, mélange heureux de perles
Weismann'et de lampes ékectriques, dont
l'installation est due à la Compagnie gé-
nérale de travaux d'Eclairage et de Force,
suppléeront à la lumière du jour. Enfin, de
charmants souvenirs seront offerts à la
clientèle: quand nous aurons dit qu'il s'a-
git, en l'espèce, de ravissants bouquets
créés spécialement par la Maison La-
chaume, rue Royale, nous aurons suffisam-
ment démontré que ces souvenirs sont de
ceux qui constituent, non pas une insigni-
fiante bagatelle, mais une attention délicate
à laquelle seront très sensibles, croyons-
nous, les élégantes visiteuses. Point n'est
besoin d'être bon prophète pour prédire
qu'avec de tels avantages, il y aura foule
après-demain Lundi 6 Avril aux Grands
Magasins de PYGMALION.
L
a vieille maison Lapr.é, si fameuse dans
le monde des lettres et des arts, fut
heureusement rajeunie par maunce - umi
le monde le sait maintenant. Aussi les
salons de la rue Drouot sont-ils plus que
jamais le lieu de rendez-vous du véritable
Tout-Paris.
NOUVELLE A LA MAIN
D
ans un journal dont le secrétaire de
rédaction est, comme on dit, un peu
« tapetir n.
- Il nous faut une nouvelle à la main,
demande-t-il.
Et un de ses collaborateurs qu'il a sou-
vent mis à l'épreuve de soupirer avec iro-
nie:
— A la main tendue !
Le Masque de Verre.
M. Georges Baillet
Trente-deux années
de services a la
Comédie=Française
Depuis quelques jours déjà, les couloirs
du Théâtre-Français grouillent d'une ani-
mation agréablement pittoresque.
On ne s'y heurte pas, comme à l'ordi-
naire, à des groupes tenant dans l'ombre
des conciliabules clandestins. On n'y en-
tend parler ni du Foyer, ni des sempiter-
nels « douzièmes de part », ni de M. Cla-
retie, ni de M. Thomson, ni du talent de
M. Huguenet, ni des fâcheuses recettes de
la tournée Leloir. On y rencontre partout,
dans tous les coins, de jolies silhouettes
féminines qui égayent de froufrous, de sou-
rires et de parfums les corridors noirs et
qui promènent une majesté amusée à tra-
vers ce théâtral solennel auquel elles vont,
pour quelques heures, appartenir.
Elles répètent, en effet, La Revue de
Pâques, d'Adrien Vély, qu'elles joueront
ce soir — et ce sera sans doute la pre-
mière revue montée rue de Richelieu —
pour la représentation de retraite de M.
Georges Baillet.
Car l'excellent artiste fait aujourd'hui ses
adieux au public.
Après trente-deux ans d'une carrière
sans défaillance, il va revêtir, pour la der-
nière fois sur la scène du Théâtre-Français,
le pourpoint élimé de Don César et l'ha-
bit cavalier du comte Almaviva.
Tous les vrais amis de la Maison, ceux
qui la fréquentent depuis de longs soirs
et qui ont conservé pour cette institution,
malgré tout admirable, la prédilection éclai-
rée des anciens connaisseurs, regretteront
un départ aussi prématuré.
Parce que M. Baillet fut constamment
modeste et se refusa toujours à signaler
ses succès — car il en eut et de très
beaux — par de retentissants coups de
grosse caisse, on l'a peu à peu relégué à
un injuste second plan. On fit autour de
lui un silence très calculé. On lui refusa,
de plus en plus, les occasions de garder
contact avec le public. Et quand certains
de ses « camarades » entreprirent de lui
arracher sa situation, elle était déjà ébran-
lée par d'adroites et patientes mines.
Il faut, malgré leur tristesse, dire très
haut ces choses. On s'est fort mal conduit
à l'égard de M. Baillet. On le traita-avec
une ingratitude et une férocité tout à fait
modernes — dans le pire sens de ce mot.
Il quitte pourtant sans rancune la Maison
de Molière. Il la quitte avec un attendris-
sement mélancolique et très peu de ran-
cœur. Il a le sourire désenchante de ce
Philinte qu'il a si bien joué et qui constate
sans fureur la férocité humaine. >
Ce soir, c'est à d'autres émotions plus
douces qu'il s'abandonnera. Il a toujours
joui de fa sympathie très particulière du
public élégant de la Maison, et ce sont
presque des amis qui viendront l'applaudir
une fois de plus dans Almaviva du Barbier
de Séville, et dans Don César de Ruy Blas,
ces deux rôles où il est assuré de laisser de
longs souvenirs. La salle est complètement
louée et cette marque de la chaleureuse
estime où le tiennent ses anciens specta-
teurs adoucira pour lui le souvenir assez
pénible de.cog-demièreâ années.
M. tsamci
La carrière de M. Georges Baillet est
admirable d'unité et de régularité.
D'une excellente famille, fils d'un ingé-
nieur du Creuset, il était destiné par tMÎII
père à la chimie industrielle. Mais la pas-
sion du théâtre le tenait. Il vainquit .les ré-
sistances de ses parents et se fit recevoir
au Conservatoire dans. la classe de Bres-
sant. Après un douloureux congé, en 1870,
— il fit la campagne comme lieutenant da
iii L'Ami Fritz * * Diane de Lys »
(Fritz Kobus) (Maximilien)
M. BAILLET DANS LE REPERTOIRE MODERNE
mobiles — il en sortit avec un premier gros
cessit.
Il débuta à l'Odéon aux appointements
de cent cinquante francs par mois. Il y
joua des rôles comme Rodolphe de La Vie
de bohème, comme Ruy Blas, et il les joua
si bien qu'au bout de trois ans, il était en-
gagé au Théâtre-Français.
Après sa remarquable création de Fer-
nand de Thauzette, dans Denise, il fut élu
sociétaire en 1887.
Il parvint alors normalement au Comité
d'administration, où il siégea pendant dix
ans. Il est aujourd'hui chevalier de la Lé-
gion d'honneur. Il prend sa retraite en
pleine santé et en pleine force et sans re-
noncer, d'ailleurs, définitivement à la
scène.
Notre ami Emile Mas, en rendant
compte de la merveilleuse soirée d'aujçur-
« Le Mariage de Figaro » 'D « Ruy Blas
(Almavtva) iDon César de Bazan)
M. BAILLET DANS LE REPERTOIRE CLASSIQUE
d'hui, vous dira, demain, ce qui caractêrt
sait le talent de M. Baillet, combien il t'en-
dit de service au Théâtre-Français et quels
regrets il laissera ; mais il convenait de sa-
luer, comme il le mérite, cet excellent ar.
tiste, d'une distinction devenue si rare, el
qui sut être toute sa vie, dans toute l'ac
ception du terme, à la scène et à la ville,
ce qu'on appelait, au dix-septième siècle,
un « honnête homme ».
EDOUARD HELSEY.
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