Titre : Comoedia / rédacteur en chef : Gaston de Pawlowski
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1908-02-16
Contributeur : Pawlowski, Gaston de (1874-1933). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32745939d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 16 février 1908 16 février 1908
Description : 1908/02/16 (A2,N139). 1908/02/16 (A2,N139).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7646523j
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-123
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 13/04/2015
III :i^Annëe."- N- â-139 (quoildwril
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Diinanclie 16 Février 1908.
COMŒDIA
Rédacteur en Chef : G, de PAWLOWSKi
RÉDACTION & ADMINISTRATION :
e7, Bouleuard Poissonnière, PARIS
R TÉLÉPHONE: 288-07
f &dresse Télégraphique : C0MŒD1A-PARIS
ABONNEMENTS :
UN AN 6 MOIS
h , — —
't aris- et Départements. 24 fr. 12 fr.
Franger. 40 a 20 9
F
RÉDACTION & ADMINISTRATION:
Bouleuard Poissonnière, PA RIS,
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Adresse Télégraphique : COMŒDIA-PARIS
ABONNEMENTS :
UN AN 6 MOIS
Paris et Départements • 24 fr. 12 fr.
Étranger. 40 D 20 e
L'Expiation
Pas bête, mais tout à la fois apathique
et trépidant M. Siméon Morveau repré-
sentait a merveille, dans les divers
mondes où il se prélassait, le type —
tra Z commun en notre époque de
gra a. es ambitions et de prompte fatigue
— de ,5 1 homme qui passe sa vie à n'avoir
que des velléités.
Au sortir du lycée, il avait eu l'ambi-
tion J agir sur les hommes par le pres-
tige de l'éloquence et de la forte logique.
Mais î sécheresse du Code l'avait bien
vite rebuté, et, ses dons oratoires ne sup-
pléant guère sa médiocre science juri-
dique, ses piteux débuts au barreau lui
inspirèrent des doutes sur sa vocation.
Mais, que diable! ce n'est pas seule-
ment par la parole que l'on domine et
gouverne les hommes ! Ne peut-on pas
les , aire mouvoir du fond d'un cabinet
où, règardant les choses avec lucidité, on
règle le Présent et dicte l'avenir? Aussi,
ses relations de famille lui permettant
cette Ipassade officielle, s'était-il glissé
dans l'entourage d'un ministre. Mais le
tohu bohu des visites et des coups de té-
léphone, la perpétuelle averse des pape-
rasses le dégoûtèrent bientôt.
C'est alors que M. Siméon Morveau,
encore tout glorieux d'un prix de dis-
cours français, découvrit le charme de
la littérature et devint conscient de ses
do^nc, ■'«êraires:
— L a tribune, l'administration, la po-
litique! se dit-il un beau soir, en rêvas-
boles, ?^ant ses bûches, lugubres fari-
eu la' Par obéissance à ma famille, j'ai
eu la sottise d'en être dupe. Faux dé-
parts!. Les lettres! Voilà ma vraie vo-
tt 111 n. Mes billets amusent les femmes
et mes dix-huit ans n'obtinrent-ils pas un
prix à certain concours des Annales cy-
hé getiqueset mondaines?
S'étant donc abonné aux jeunes re-
vues, ne-tiblé un cabinet de travail et
confortablement muni des meilleurs dic-
tionn aires, M. Siméon Morveau com-
mença Ça fort allègrement, un lundi matin,
son œuvre littéraire. Des poèmes amor-
phes lui furent, tout d'abord, un bon
prétexte Pour ne pas trop s'avouer à lui-
même son ignorance. Mais, non plus que
les poèmes en prose: Rancœurs sarcas-
tiques, où il formula son juvénile dégoût
du monde ver8 bieoomtte ne lui va-
lurent pas la gloire, pour la conquête im-
^diaf ® de laquelle il restait trois heures
par joour en pyjama pour raturer du pa-
pier. Un rapide échec dans ses tenta-
tives de roman fantaisiste, puis passion-
nel, puis brutaliste et, enfin, psycholo-
gique, le Conduisit vite à la certitude que
le roman est un genre éculé, bon, tout
au plus, à divertir les culs-de-jatte dans
leur VOiture et les convalescents dans
Ur lit » et les convalescents dans
— Non non ! fit résolument M. Siméon
Morveau. Ne perdons pas de temps aux
modes du Passé!. C'est de la mort que
* Ce faut aujourd'hui, c'est
un art vivant, où l'on crée dans la force
et dans a Passion!. Le Théâtre, glo-
rieuse tradition française! J'en raffole!
Je suis né Pour y réussir.
Le jour même de cette découverte, M.
Siméon Morveau ayant, au préalable,
agrémenté son cabinet de travail d'une
longue y son cabinet de travail d'une
longue glace Pour étudier ses jeux de
physionomie, tandis qu'il esquisserait
d'une voix rauque ses répliques passion-
nées ou narquoises, inaugura sa carrière
d'auteur dramatique.
Féconde peut-être, elle fut certaine-
ment très obscure. On ne joua guère
Monf °^scure* On ne joua guère
M. Morveau qu'entre paravents, et en-
core dans les salons où l'on appréciait
fort l'avantage d'avoir, par ses soins, un
spectacle en échange de simples bou-
quets aux artistes. Mais, de toutes les
carrières amorées par M. Siméon Mor-
veau, la c arrière dramatique fut, de
beaucoup ,celle dont il se découragea le
moins. L'agrément des coulisses, des pit-
toresques relations qu'on y fait, des po-
tins dont 0n s'y régale, l'amusette des
répétitions générales, où il parvenait à
se glisser comme tant d'autres, le pres-
tige d'auteur que ses comédies mon-
daines li^Plaient chez les snobs, le
maintinrent fidèle à cette dernière voca-
D'ailleurs, Pour quelle nouvelle spé-
cialité aurait-il pu se découvrir d'autres
aptitudes? est en vain que, déjà, il
avait eu des velléités d'être tout bonne-
ment un hornrne chic. Son physique ba-
lourd l'avait fait échouer dans la vie élé-
gante comme dans tout le reste. Et c'est
en Vain aUssi que dans l'amertume de
ce ratage encore plus humiliant que les
autres, il s'était, un instant, efforcé aux
libres allures de la vie simple. Mais,
comme il manquait de la bonne humeur,
de la fantaisie, de la joyeuse indépen-
dance qui, parfois, rendent agréable
l'existence des bohèmes, tout de suite il
avait eu le dégoût de sa nouvelle incar-
nation.
Aussi, tout en continuant à rôder dans
les milieux disparates où il avait eu le
vageu désir d'exercer son action, tout en
continauant à distraire son amertume dans
les COUIIS.ses des petits théâtres et dans
les couloirs de répétitions générales, il
débl lérait sans cesse, à rogne que
veux-tu, contre les avocats plaidants, par
tage de ses plaidoiries rentrées ; contre
les hommes politiques, par dépit de n'a-
voir pu devenir l'un d'entre eux; contre
les poètes en prose et en vers, pour se
venger de n' avoir iamais. su exprimer
une haute pensée dans une forme neuve ;
contre les romanciers et les dramaturges,
auxquels il ne pardonnait pas son im-
puissance à faire revivre une humanité
frémissante; contre les dandies, par fu-
reur de n'avoir pu suivre leur train, et
même — ô dérision ! — contre les pau-
vres, par rancune de n'avoir point connu
leur pittoresque insouciance.
Longtemps, on ne prit point garde aux
acerbes propos de cet être vague, aussi
amorphe que sa poésie d'antan, et que,
partout, l'on ne tolérait qu'en raison
même de son caractère indistinct et falot.
Mais le jour où, par suite de confi-
dences échangées, on découvrit que
M. Siméon Morveau, loin d'être l'amène
et passif figurant que l'on supposait, dis-
tillait à voix basse son fiel dans les en-
coignures, derrière les bustes des foyers
de théâtre; alors, tous les gens qu'il vi-
lipendait, dont il bafouait les œuvres,
l'effort, l'élégance ou même la misère
joyeusement supportée, se repentirent de
leur bonne grâce envers ce venimeux
fantoche. On se mit en garde contre sa
malveillance et l'on chercha le moyen de
la lui faire expier :
— Si, tout simplement, nous répan-
dions le bruit qu'il porte la guigne! pro-
posa un facétieux auteur dramatique
dont Morveau avait éreinté la dernière
pièce.
— Ingénieux! Parfait! Que cette ré-
putation s'installe, et, d'ici huit jours, on
le fuira comme la peste ! Le drôle n'aura
que ce qu'il mérite!
Tandis que M. Siméon Morveau, ne se
doutant pas de la fâcheuse rumeur qui se
propageait contre lui, poursuivait sour-
noisement dans l'ombre ses envieux et
perfides débinages, partout ses victimes
dénonçaient avec malice son mauvais
œil. v ,
— Neutre ! Pas gênant ! disaient-ils né-
gligemment de lui ! Mais quel dommage
qu'il apporte la guigne partout où il
passe! Ainsi.
Et l'on citait des exemples de récents
fours auxquels il avait assisté, d'acci-
dents dont il était l'invariable témoin,
d'anicroches judiciaires ou politiques qui
s'étaient produites en sa présence.
Si bien que, au bout de quelques se-
maines, M. Siméon Morveau, dont l'uni-
que fonction, dans la vie, consistait à
être un invité, un figurant, à rôder, fa-
raud, dans les milieux où l'on s'amuse
et dona ceux où 4'on «^ennuie, ne tarda
pas à n'être plus convié nulle part, ni
aux vernissages, ni aux fêtes, ni surtout
aux batailles si chanceuses du théâtre.
- Morveau? Jamais ! Il f. la guigne!
s'écriaient les gens au moment où ils
dressaient leurs listes d'invitation.
Furieux, mélancolique et ne compre-
nant rien à cette métamorphose, M. Si-
méon Morveau reste en tête-à-tête avec
son amertume. Et ceux qui connaissent
le personnage peuvent dire que c'est un
rude châtiment. -
Georges LECOMTE.
Nous publierons demain un article de
MARCEL BOULENGER
ab
Échos
Ce soir, à VApollo, première représenta-
tion de Bohëma, pantomime mêlée de chant
de M. E. Bonnamy.
Ce soir, à neuf heures, à la Cigale, pre-
mière représentation de Tu parles! revue en
deux actes et huit tableaux de Georges Ar-
nould et Georges Bousquet.
u
ne vieille erreur.
Il est une grosse erreur contre la-
quelle il faut réagir une fois pour toutes.
Chacun sait, en effet, que lorsqu'une per-
sonne est atteinte d'un coup de revolver
mortel, elle tombe non pas à la renverse,
c'est-à-dire sur le dos, mais bien en avant,
la face contre terre. Or, au théâtre, chaque
fois qu'un cas semblable se produit, on
commet toujours l'erreur de faire tomber la
victime en arrière. C'est ainsi que, l'autre
soir, à la répétition générale de La Bête
Féroce, à l'Ambigu, M. Caillard, qui se
suicide au dernier acte, s'abattit par terre,
sur le dos.
Erreur continuelle et quasi séculaire! Il
est peut-être temps de rétablir la vérité?
E
xtra muros.
Notre ami Brod, l'excellent dessina-
teur, a longtemps voyagé a travers le
monde.
Il connaît l'Europe, l'Asie, l'Afrique,
l'Amérique. Il connaît même l'Océanie:
- C'est curieux, disait-il l'autre jour,
moi qui vais si souvent au Théâtre-Fran-
çais, je n'ai jamais vu jouer Silvain!
Puis, se reprenant:
— Si, pourtant! Je l'ai entendu un soir
à Buda-Pesth!
v
'ieux souvenirs, vieux portraits.
Qui donc aujourd'hui se souvient de
la grande artiste que fut Louise -
Et comme elle avait bien raison d'intituler
son livre sur les acteurs: Les Ephémères
M'as-tu-vu! La créatrice de la mère Ubu
avait infiniment d'esprit. Un soir qu'elle
méditait, seule devant un bock, en quelque
vague cabaret de Montmartre, vint à s é-
teindre l'éternelle cigarette qu'elle avait
toujours aux lèvres.
Pas d'allumettes. Obligeamment, son voi-
sin lui offrit le feu de son cigare:
— Non, merci, Monsieur, répondit dou-
cement l'actrice, oui avait cooscieneç Jet de
son âge et aussi de son héroïque laideur,
vraiment merci, je vous éteindrais et vous
ne m'allumeriez pas.
FAUSSES NOUVELLES EN TROIS LIGNES
M. Rostand met la dernière main à une pièce
en quatre actes intitulée L'Homme Nu qu'il
destine, paraît-il, à M. Guitry.
M. Henry Bataille met la dernière main à un
Cocorico qu'il destine, paraît-il, à M. Constant
Coquelin.
M. Chimène va interpréter La Peur des Coups,
en province et à, l'étranger. C'est M. Huguenet
qui administrera la tournée.
Mme Régine Martial, en collaboration avec M.
Paul Gavault, va tirer une opérette de la pièce
de M. Nozière Les Liaisons Dangereuses.
Tous les artistes de la Comédie-Française par-
tant en tournée, les mardis et vendredis seront
désormais réservés à des représentations cinéma-
tographiques.
A la suite d'incidents diplomatiques avec la
Belgique, M. Jules Claretie vient de donner sa
démission.
Dernière heure. - La direction vacante de
la Comédie-Française va être attribuée à M.
Jules Claretie, de l'Académie Française.
D
e l'utilité des dictionnaires.
Ouvrez le troisième volume du La-
rousse, à la page 52, et lisez à la deuxième
colonne :
« CLÉONICE, jeune fille grecque, remar-
quable par sa beauté et les grâces de son
esprit. Elle fut aimée de Pausanias à l'épo-
que où, enorgueilli par sa victoire de Pla-
tée, il cherchait à devenir le tyran de sa
patrie. Il venait de s'emparer de Chypre,
puis de Byzance, quand il vit la belle Cléo-
nice. Il se la fit amener une nuit, la tua par
suite d'une méprise, et en eut de grands
remords. »
Serait-ce par hasard le sujet de la pièce
que doit prochainement créer Mme Sarah
Bernhardt? Et qui mieux qu'elle peut in-
carner la belle et jeune Cléonice?.
LE QUATRAIN DU JOUR
ET AVEC ÇA, MONSIEUR?
Le Théâtre-Français et l'Odéon ensemble?
Ce Claretie est mûr pour les pires excès !
Je ne sais pas, mais il me semble
Qu'il avait déjà trop du Théâtre-Français!
c
omme un fakir.
Les superstitions du directeur des
Variétés et en - particqlier se manie de met-
tre un chapeau de paille pendant les répé-
titions sont célèbres dans le monde théâ-
tral, et l'on se souvient encore des difficul-
tés que fit M. Samuel pour jouer une pièce
intituléè le Faux-Pas.
Il vient de prendre quelques mesures ra-
dicales pour bannir à tout jamais de son
théâtre tout ce qui porte malheur.
Et tout d'abord il a formellemené interdit
d'introduire au buffet ou dans les coulisses
du bouillon (!) de peur, sans doute, qu'un
jour « il n'en boive un ».
Il a bien tort.
Le directeur qui monta le Vieux Mar-
cheur, la Veine, le Nouveau Jeu, le Bon-
heur Mesdames, Education de Prince, les
Deux Ecoles, la Revue du Centenaire, et
tant d'autres pièces à succès, n'a pas besoin
de se préoccuper des prétendus mauvais
présages. ---
L
e Cirque Solaire.
Gustave Kahn, dont les amis fêtaient
receinineiii ia aecorauon, va, paran-ll, aoor-
der le théâtre.
Il achève actuellement, nous dit-on, un
grand drame lyrique en trois actes et cinq
tableaux, tiré de son beau roman Le Cirque
Solaire, et dont la musique sera du compo-
siteur Henri Lutz.
Ne quittons pas Henri Lutz sans annon-
cer qu'il a terminé Vlasla, l'ouvrage que
doit créer dans quelques mois la grande
Litvinne.
Voilà de l'harmonie sur les planches.
]
ncognito.
Une de nos plus jeunes et de nos plus
remuantes comédiennes — dont le nom est
aussi joli que le minois est gracieux, jouait,
l'an dernier, un fort beau rôle d'une fort
belle pièce dans un fort important théâtre.
Or, un jour, on la présenta à un mon-
sieur, à un monsieur célèbre, qui lui tint
à peu près ce bizarre langage :
- Mademoiselle, je vous admire beau-
coup. Vous me plaisez infiniment. Si vous
voulez, vous pouvez me rendre le plus heu-
reux des hommes. Il suffit que, chaque se-
maine, vous consentiez à effectuer en ma
compagnie le trajet, aller et retour, Made-
leine-Bastille, en omnibus, et que vous ac-
quittiez vous-même le montant de nos pla-
ces. En reconnaissance de cette légère com-
plaisance, je vous remettrai, chaque se-
maine, un petit « défraiement » de deux
cent cinquante francs.
Ces conditions, vraiment peu « ordi-
naires », séduisirent Mlle G. et, pendant
deux mois, chaque semaine, on put la voir,
en omnibus, avec M. Jacques Lebaudy.
Ils prenaient, sans doute, l'impériale!
Œ
dipe et Antigone.
Hier soir, à l'heure où le crépus-
cule tombe et ou, dans les brumes naissan-
tes, s'allument les premiers becs de gaz,
nous vîmes, traversant la place du Théâtre-
Français, un pauvre aveugle et son guide.
De la main droite, à l'aide de sa canne, il
tâtait la marche des trottoirs-, de la main
gauche .il pressait sur son cœur le bras pro-
tecteur qui le soutenait et le guidait, le bras
de sa fille.
• A son profil moliéresque, à ses traits
doux et affinés, peut-être un peu trop amai-
gris, nous reconnûmes l'archiviste de la
Comédie-Française.
Pauvre Monval !»Avoir passé toute sa vie,
avoir donné toute sa force, toute son intel-
ligence pour une des plus belles causes de
la littérature et du théâtre français, et en
arriver là! -
W> •
''¿ Nous nous sommes enquis à la Comédie.
« Monval, en effet, à force de fouiller, de
fureter, de déchiffrer des manuscrits, en a,
peu à peu, perdu complètement la vue.
Aujourd'hui il ne peut plus rien faire. On
lui a donné un archiviste adjoint qui le sup-
plée à la bibliothèque du théâtre, mais, lui,
vient tous les jours. Sa fille l'amène le ma-
tin et elle le reconduit le soir. Il fait acte
de présence car — vous savez — il n'a pas
droit à sa retraite; il n'a pas les années de
service nécêssaires, et, alors, l'administra-
tion ne peut rien faire pour lui!. »
N'est-ce pas désolant! « Il n'a pas droit
à la retraite ! » Monval a donné sa vue à la
Coméde-Française, mais il lui manque trois
à quatre années de service, et l'administra-
tion ne peut lui servir une retraite! Faire
venir cet homme, ce savant, cet érudit, par
tous les temps, et par tous les dangers de
!a rue, pourquoi? Pour faire acte de pré-
sence.
Allons, monsieur Claretie! Vous combat-
tîtes, voici quelques années, pour la justice.
Parlez pour elle aujourd'hui devant votre
Comité et retraitez votre archiviste. Les
douzièmes que vous emploierez là ne seront
pas contestés.
U
i parfum est à la femme ce que la ro-
sée est à la fleur ! Aussi toutes les
élégantes ont-elles adopté la dernière créa-
tion de Gellé Frères: « Paradisia », nom
exquis comme le parfum, du reste, et dont
la vogue sera bientôt universelle.
u
n bon conseil aux amateurs de théâtre.
Qu'ils aillent, avant la représentation,
prendre des forces en dînant chez Cham-
peaux. Ils y trouveront, outre la bonne
chère et les vins réconfortants, les person-
nalités les plus connues du Tout-Paris.
Le Masque de Verre.
La Vérité
sur l'état de
Coquelin cadet
Il faut en finir une bonne fois, pensons-
nous, avec les nouvelles plus absurdes les
unes que les autres qui circulent, depuis
quelques jours, sur l'état de santé de Co-
quelin cadet. Certains de nos confrères —
sans doute mal renseignés — se sont faits
l'écho des bruits les plus alarmants sur lui;
d'autres sont allés plus loin, et, par delà les
frontières, en Belgique notamment, n'ont
pas craint d'affirmer que le célèbre comé-
dien était « détenu contre son gré » dans
une maison de santé où on l'avait « revêtu
de la camisole de force ». ——;—
Comœdia, par quatre fois, a publié sur
Coquelin cadet les informations les plus
nettes. Il rétablira, aujourd'hui encore, la
vérité.
Coquelin cadet fut frappé de dépression
telle qu'on jugea son isolement nécessaire.
Le fait est parfaitement exact et on le di-
rigea sur la maison de santé des docteurs
Bour et Devaux, à Neuilly. C'est Comœdia
qui l'annonça le premier. Là, chaque jour,
il recevait des visites — trop de visites.
Coquelin avait eu des chagrins divers, des
pertes matérielles, une séparation doulou-
reuse mais nécessaire. Certains de ses vi-
siteurs ne manquaient pas d'amener le ma-
lade à s'entretenir avec eux de ses ennuis.
Il en résulta bientôt une aggravation dans
son état, ainsi que le fait peut se constater
dans tous les cas de neurasthénie aussi ai-
guë que la sienne.
C'est alors que, pour le soustraire à cer-
taines influences pernicieuses pour sa gué-
rison, Coquelin cadet fut ramené à Paris et,
de là, par les soins de sa famille, dirigé,
sur le conseil de TROIS médecins spécia-
listes, dans une maison librement choisie.
Il s'y trouve, à l'heure actuelle, en traite-
ment. Il ne voit personne que ses médecins
et leur entourage et, dans cette atmosphère
- er
Henri Manuel, phot.
COQUELIN cadet
silencieuse mais nécessaire, revient peu à
peu à la normale..
Nous savons où est cette maison, ce jar-
din où il se promène chaque jour, les mé-
decins qui le traitent, comme nous savons
aussi l'espoir qui les anime de guérir
l'homme qui fut le roi du rire bien français..
Nous croirions manquer à notre devoir en
publiant l'endroit où Coquelin cadet est
traité, à l'heure actuelle. L'isolement, qui
est la condition absolue du traitement qu'il
suit, serait détruit. Déjà, depuis un mois,
une amélioration sensible est constatée chez
lui ; les spécialistes qui le soignent espèrent
plus encore. Ce serait saccager, dans un
but malsain d'informations outrancières, ce
modus vivendi sévère mais éclairé, rendu
indispensable par l'état du célèbre comé-
dien et certains événements extérieurs.
On comprendra donc notre réserve.
E. ROUZIER-DORCIÊRES:
THÉATRE ANTOINE
(Matinée de gata au profit de la Caisse de secours
du Syndicat des Artistes Dramatiques)
«
u P, 0 1
Pièce en deux actes et dix tableaux d'Alfred JARRYj
Musique de Claude TERRASSE
Dans un article intitulé L'Escalier est à
l'intérieur, j'essayais d'expliquer, il y a de
celà quelque temps, la façon de procéder
propre aux véritables artistes. Il me faut y
revenir a propos de la reprise d'Ubu-Roi,
car il me semble que l'exemple de Jarry
est, à ce point de vue, particulièrement ca-
ractéristique.
Tous ses anciens amis savent, en etfet,
qu'il ne lui vint jamais un seul instant
l'idée, en écrivant le père Ubu, de réaliser
une œuvre durable; il ne s'agissait, au dé-
but, que de ridiculiser un professeur de
sciences qui, à tort ou à raison, lui était de-
venu odieux. Ce furent donc, tout d'abord,
quelques caricatures dessinées sur les bancs
du lycée; puis telles prononciations qui de-
vinrent proverbiales. A cet âge, chez les
jeunes gens qui ont quelque tempérament
artistique, les haines prennent une impor-
M. HARRY BAUR
Le roi Wenceslas
M. GEMIER
Ubu
tance démesurée et, tout naturellement, par
là même, elles rentrent de plain-pied dans
le domaine de l'Art.
Jarry, venu à Paris, promena au bout
d'une pique la tête de Monsieuye Ubu de
café en café, d'atelier en atelier, et la lé-
gende s'accrut chaque jour en forme d'ava-
lanche, menaçant le petit village bourgeois
situé très bas entre deux prairies.
Les scènes s'ajoutaient aux scènes dans
le désordre le plus parfait et sans aucun,
plan prémédité. La personnalité de Mon-
sieuye Ubu devint, comme celle de Jean
Hiroux, une figure symbolique très connue,
une personnalité précise mais dont aucun
texte n'avait jamais délimité les contours.
Il fallut l'intervention de Gémier et de
la mère France pour préciser Monsieuye
Ubll à la scène, et le texte définitif ne s'en
établit jamais, dans un nombre incalcula-
ble de petites éditions improbables et suc-
cessives de tous formats.
Au surplus, peu importe; il ne s'agit
point, en effet, de chercher dans Ubu-Roi
une œuvre définitive, une page nouvelle de
littérature française : Ubu-Roi est plus et
moins que cela.
Au point de vue littéraire, ce n'est qu'une
farce à peine réalisée. Au point de vue
moral, c'est une indication de génie don-
née, par un jeune garçon qui ne le soup-
çonnait pas et qui mourut désemparé, sans
avoir eu la puissance de travail ou la pa-
tience nécessaires pour devenir un très
grand homme.
Il ne faut pas s'y tromper, en effet, et
c'est là un point que je voudrais surtout
dégager dans cette courte étude : Ubu-Roi
nous indique nettement la façon dont tous
les jeunes auteurs devraient procéder pour
arriver à produire quelque chose de neuf
et de véritablement intéressant. Le but que
se proposent, en effet, tous nos jeunes au-
teurs, est aujourd'hui d'arriver du premier
coup à fournir une œuvre capitale par quoi
ils seront sacrés hommes de génie dès
leur plus jeune âge, nommés trésoriers-
payeurs généraux en province et retraités
de l'Etat ou de la Société des 'Auteurs jus-
qu'à la fin de leurs jours.
Ils n'arrivent ainsi, la constatation en est,
hélas! facile à faire, qu'à nous donner des
œuvres parfaitement vides. Les unes déli-
bérément stupides et pour la défense des-
quelles une seule attitude devient possible:
celle de l'auteur martyr, incompris de tous;
les autres qui séduisent tout d'abord par
leur habile présentation, mais qui finissent
par décevoir étrangement lorsque l'on s'a-
perçoit, au hasard des lectures, que leurs
plus belles pages, à peine maquillées, sont
froidement copiées dans Musset ou dans
Balzac.
L'œuvre géniale, au contraire, même si
elle doit avorter, se construit d'une façon
tout inverse. Ce n'est, à proprement par-
ler, au début, qu'une chose informe, une
protestation d'enfant, un souvenir violent,
un chagrin ou une joie dont on a ressent
une impression vive., Chez l'enfant vérita-
blement doue d'un tempérament artistique,
cette sensation se manifeste impérieuse-
ment par un procédé quelconque d'extério-
risation artistique : une caricature informe
sur un bout de papier, quelques vers écrits
en cachette ou des mémoires commencés.
La forme, embryonnaire peut. varier à l'in-
/f-
Si le jeune homme a du tempérament
cette idée première le recherchera pendant
plusieurs années, il la reprendra sous des
formes nouvelles, la complétera, l'augmen-
tera chaque jour davantage. Ce long travail
se poursuivra durant toute sa vie, parlois
il sera repris par d'autres, par des gens
pour qui il constituera l'émotion primitive
et qui le compléteront à leur tour sous des
formes nouvelles.
Il faut bien le recOnnaîtré, en ef-
jet: cette aventure, cette modeste émotion
primitive peut suffire à alimenter'la car-'
rière tout entière d'un homme de géniel:
et celle de plusieurs autres parfois. L'oeu-,
vre entière de Rabelais et de ses succes-I
seurs dérive de quelques croquis faits par.
un médecin pour égayer ses malades. De-
nos jours, il est aisé de retrouver un pareil
procédé chez nos meilleurs écrivains. Les,
chefs-d'œuvre de gens tels que Tristan Ber-
nard ou Jules Renard dérivent de quelques
émotions d'enfant, de quelques heures pas-
sées à pleurer en silence dans un coin ou |
à faire semblant de s'intéresser à une car-
rière administrative en retirant mélancoli-
quement, avec un coupe-papier, l'ouate
d'un sous-main. Est-il besoin de rappeler
que I'oeuvre entière de Courtelihe dérive
également de quelques déboires administra-
tifs et régimentaires ?
Une fois encore, au début, le sujet pri-
mitif est insignifiant ou banal; mais, en
art, cela n'a aucune importance, bien au
contraire. Il s'agit, en effet, d'éveiller un
tempérament qui sommeille; de provoquert
par réaction, un talent qui s'ignore, et, pout
cela, tous les moyens sont bons. En ma-
tière d'art, plus qu'en toute autre, il suffii
de défaire la première maille pour que tout
le reste se dénoue.
Ubu-Roi n'est pas un chef-d'œuvre, loin
de là, c'est un croquis d'enfant, une œuvre
informe, c'est entendu, mais c'est une œu-
vre originale et SINCÈRE, et c'est pourquoi
elle mérite tout particulièrement de retenir,
notre attention.
Les mises à la scène successives qu'elle
aura subies lui ont peut-être fait perdre un
peu, en la précisant, ce caractère primitif
qu'elle avait de curieux manuscrit, d'ébau-
che enfantine et qui en faisait le plus grand
charme.
Très à sa place dans le cadre sombre de
l Œuvre, elle s'est abîmée en passant au
guignol du Théâtre des Pantins, et elle s'est
trop précisée peut-être dans la nouvelle in-
terprétation que vient de lui donner le Théâ-
tre-Antoine. C'est là un des défauts du
théâtre, qu'il s'agisse du Lys Rouge, de Poil
de Carotte ou d'Ubu-Roi, et cette déforma-
tion inévitable se produit pour les plus
grands chefs-d'œuvre tout aussi bien que
pour cette amusette d'enlant. On sait ce que
sont devenus les Faust de Gœthe matéria-
lisés à la scène en un seul opéra, et l'on
peut penser que si le Pantagruel y était mis,
il subirait le même sort.
Lors de la représentation d'hier, une nou-
velle adjonction : celle de la scène des hom-
mes libres, remplaçant fâcheusement celles
de l'ours et du navire, a encore aggravé
cette précision, et l'on a pu croire un ins-
tant que nous allions retomber dans une
scène de revue de fin d'année avec la fa-
tale apparition d'Hervé.
Le décor de guignol trop joli et trop pré-
cis remplaçant l'incohérent décor emprunté
au théâtre classique faussait également
l'idée que l'on doit se taire d'Ubu-Roi.
Il serait bon, cependant, de le rappeler,
d'une façon définitive. Ce qui fait, pour les
artistes, le charme d'une œuvre telle
qu'Ubu-Roi, c'est son absolue inutilité ap-
parente, la façon radicale dont elle est déli*
vrée de toute actualité. Qu'il s'agisse d'und
œuvre durable telle que la Joconde ou d'une
fantaisie d'enfant telle qu'Ubu-Roi, ce ca-
ractère d'inutilité apparente doit caractéri-
ser l'œuvre d'art, et, dans les deux cas, il
est indispensable que les bourgeois présents
s'écrient: « Mais à quoi cela peut-il bien
servir ? »
Du jour où l'on entreprend une œuvre
quelconque dans un but jorécis* aue ce but
———————————————— LLMJIIW^pP^Hi
"Zè'Wkmfn't V «wm*»*
Diinanclie 16 Février 1908.
COMŒDIA
Rédacteur en Chef : G, de PAWLOWSKi
RÉDACTION & ADMINISTRATION :
e7, Bouleuard Poissonnière, PARIS
R TÉLÉPHONE: 288-07
f &dresse Télégraphique : C0MŒD1A-PARIS
ABONNEMENTS :
UN AN 6 MOIS
h , — —
't aris- et Départements. 24 fr. 12 fr.
Franger. 40 a 20 9
F
RÉDACTION & ADMINISTRATION:
Bouleuard Poissonnière, PA RIS,
TÉLÉPHONE: 288-07
Adresse Télégraphique : COMŒDIA-PARIS
ABONNEMENTS :
UN AN 6 MOIS
Paris et Départements • 24 fr. 12 fr.
Étranger. 40 D 20 e
L'Expiation
Pas bête, mais tout à la fois apathique
et trépidant M. Siméon Morveau repré-
sentait a merveille, dans les divers
mondes où il se prélassait, le type —
tra Z commun en notre époque de
gra a. es ambitions et de prompte fatigue
— de ,5 1 homme qui passe sa vie à n'avoir
que des velléités.
Au sortir du lycée, il avait eu l'ambi-
tion J agir sur les hommes par le pres-
tige de l'éloquence et de la forte logique.
Mais î sécheresse du Code l'avait bien
vite rebuté, et, ses dons oratoires ne sup-
pléant guère sa médiocre science juri-
dique, ses piteux débuts au barreau lui
inspirèrent des doutes sur sa vocation.
Mais, que diable! ce n'est pas seule-
ment par la parole que l'on domine et
gouverne les hommes ! Ne peut-on pas
les , aire mouvoir du fond d'un cabinet
où, règardant les choses avec lucidité, on
règle le Présent et dicte l'avenir? Aussi,
ses relations de famille lui permettant
cette Ipassade officielle, s'était-il glissé
dans l'entourage d'un ministre. Mais le
tohu bohu des visites et des coups de té-
léphone, la perpétuelle averse des pape-
rasses le dégoûtèrent bientôt.
C'est alors que M. Siméon Morveau,
encore tout glorieux d'un prix de dis-
cours français, découvrit le charme de
la littérature et devint conscient de ses
do^nc, ■'«êraires:
— L a tribune, l'administration, la po-
litique! se dit-il un beau soir, en rêvas-
boles, ?^ant ses bûches, lugubres fari-
eu la' Par obéissance à ma famille, j'ai
eu la sottise d'en être dupe. Faux dé-
parts!. Les lettres! Voilà ma vraie vo-
tt 111 n. Mes billets amusent les femmes
et mes dix-huit ans n'obtinrent-ils pas un
prix à certain concours des Annales cy-
hé getiqueset mondaines?
S'étant donc abonné aux jeunes re-
vues, ne-tiblé un cabinet de travail et
confortablement muni des meilleurs dic-
tionn aires, M. Siméon Morveau com-
mença Ça fort allègrement, un lundi matin,
son œuvre littéraire. Des poèmes amor-
phes lui furent, tout d'abord, un bon
prétexte Pour ne pas trop s'avouer à lui-
même son ignorance. Mais, non plus que
les poèmes en prose: Rancœurs sarcas-
tiques, où il formula son juvénile dégoût
du monde ver8 bieoomtte ne lui va-
lurent pas la gloire, pour la conquête im-
^diaf ® de laquelle il restait trois heures
par joour en pyjama pour raturer du pa-
pier. Un rapide échec dans ses tenta-
tives de roman fantaisiste, puis passion-
nel, puis brutaliste et, enfin, psycholo-
gique, le Conduisit vite à la certitude que
le roman est un genre éculé, bon, tout
au plus, à divertir les culs-de-jatte dans
leur VOiture et les convalescents dans
Ur lit » et les convalescents dans
— Non non ! fit résolument M. Siméon
Morveau. Ne perdons pas de temps aux
modes du Passé!. C'est de la mort que
* Ce faut aujourd'hui, c'est
un art vivant, où l'on crée dans la force
et dans a Passion!. Le Théâtre, glo-
rieuse tradition française! J'en raffole!
Je suis né Pour y réussir.
Le jour même de cette découverte, M.
Siméon Morveau ayant, au préalable,
agrémenté son cabinet de travail d'une
longue y son cabinet de travail d'une
longue glace Pour étudier ses jeux de
physionomie, tandis qu'il esquisserait
d'une voix rauque ses répliques passion-
nées ou narquoises, inaugura sa carrière
d'auteur dramatique.
Féconde peut-être, elle fut certaine-
ment très obscure. On ne joua guère
Monf °^scure* On ne joua guère
M. Morveau qu'entre paravents, et en-
core dans les salons où l'on appréciait
fort l'avantage d'avoir, par ses soins, un
spectacle en échange de simples bou-
quets aux artistes. Mais, de toutes les
carrières amorées par M. Siméon Mor-
veau, la c arrière dramatique fut, de
beaucoup ,celle dont il se découragea le
moins. L'agrément des coulisses, des pit-
toresques relations qu'on y fait, des po-
tins dont 0n s'y régale, l'amusette des
répétitions générales, où il parvenait à
se glisser comme tant d'autres, le pres-
tige d'auteur que ses comédies mon-
daines li^Plaient chez les snobs, le
maintinrent fidèle à cette dernière voca-
D'ailleurs, Pour quelle nouvelle spé-
cialité aurait-il pu se découvrir d'autres
aptitudes? est en vain que, déjà, il
avait eu des velléités d'être tout bonne-
ment un hornrne chic. Son physique ba-
lourd l'avait fait échouer dans la vie élé-
gante comme dans tout le reste. Et c'est
en Vain aUssi que dans l'amertume de
ce ratage encore plus humiliant que les
autres, il s'était, un instant, efforcé aux
libres allures de la vie simple. Mais,
comme il manquait de la bonne humeur,
de la fantaisie, de la joyeuse indépen-
dance qui, parfois, rendent agréable
l'existence des bohèmes, tout de suite il
avait eu le dégoût de sa nouvelle incar-
nation.
Aussi, tout en continuant à rôder dans
les milieux disparates où il avait eu le
vageu désir d'exercer son action, tout en
continauant à distraire son amertume dans
les COUIIS.ses des petits théâtres et dans
les couloirs de répétitions générales, il
débl lérait sans cesse, à rogne que
veux-tu, contre les avocats plaidants, par
tage de ses plaidoiries rentrées ; contre
les hommes politiques, par dépit de n'a-
voir pu devenir l'un d'entre eux; contre
les poètes en prose et en vers, pour se
venger de n' avoir iamais. su exprimer
une haute pensée dans une forme neuve ;
contre les romanciers et les dramaturges,
auxquels il ne pardonnait pas son im-
puissance à faire revivre une humanité
frémissante; contre les dandies, par fu-
reur de n'avoir pu suivre leur train, et
même — ô dérision ! — contre les pau-
vres, par rancune de n'avoir point connu
leur pittoresque insouciance.
Longtemps, on ne prit point garde aux
acerbes propos de cet être vague, aussi
amorphe que sa poésie d'antan, et que,
partout, l'on ne tolérait qu'en raison
même de son caractère indistinct et falot.
Mais le jour où, par suite de confi-
dences échangées, on découvrit que
M. Siméon Morveau, loin d'être l'amène
et passif figurant que l'on supposait, dis-
tillait à voix basse son fiel dans les en-
coignures, derrière les bustes des foyers
de théâtre; alors, tous les gens qu'il vi-
lipendait, dont il bafouait les œuvres,
l'effort, l'élégance ou même la misère
joyeusement supportée, se repentirent de
leur bonne grâce envers ce venimeux
fantoche. On se mit en garde contre sa
malveillance et l'on chercha le moyen de
la lui faire expier :
— Si, tout simplement, nous répan-
dions le bruit qu'il porte la guigne! pro-
posa un facétieux auteur dramatique
dont Morveau avait éreinté la dernière
pièce.
— Ingénieux! Parfait! Que cette ré-
putation s'installe, et, d'ici huit jours, on
le fuira comme la peste ! Le drôle n'aura
que ce qu'il mérite!
Tandis que M. Siméon Morveau, ne se
doutant pas de la fâcheuse rumeur qui se
propageait contre lui, poursuivait sour-
noisement dans l'ombre ses envieux et
perfides débinages, partout ses victimes
dénonçaient avec malice son mauvais
œil. v ,
— Neutre ! Pas gênant ! disaient-ils né-
gligemment de lui ! Mais quel dommage
qu'il apporte la guigne partout où il
passe! Ainsi.
Et l'on citait des exemples de récents
fours auxquels il avait assisté, d'acci-
dents dont il était l'invariable témoin,
d'anicroches judiciaires ou politiques qui
s'étaient produites en sa présence.
Si bien que, au bout de quelques se-
maines, M. Siméon Morveau, dont l'uni-
que fonction, dans la vie, consistait à
être un invité, un figurant, à rôder, fa-
raud, dans les milieux où l'on s'amuse
et dona ceux où 4'on «^ennuie, ne tarda
pas à n'être plus convié nulle part, ni
aux vernissages, ni aux fêtes, ni surtout
aux batailles si chanceuses du théâtre.
- Morveau? Jamais ! Il f. la guigne!
s'écriaient les gens au moment où ils
dressaient leurs listes d'invitation.
Furieux, mélancolique et ne compre-
nant rien à cette métamorphose, M. Si-
méon Morveau reste en tête-à-tête avec
son amertume. Et ceux qui connaissent
le personnage peuvent dire que c'est un
rude châtiment. -
Georges LECOMTE.
Nous publierons demain un article de
MARCEL BOULENGER
ab
Échos
Ce soir, à VApollo, première représenta-
tion de Bohëma, pantomime mêlée de chant
de M. E. Bonnamy.
Ce soir, à neuf heures, à la Cigale, pre-
mière représentation de Tu parles! revue en
deux actes et huit tableaux de Georges Ar-
nould et Georges Bousquet.
u
ne vieille erreur.
Il est une grosse erreur contre la-
quelle il faut réagir une fois pour toutes.
Chacun sait, en effet, que lorsqu'une per-
sonne est atteinte d'un coup de revolver
mortel, elle tombe non pas à la renverse,
c'est-à-dire sur le dos, mais bien en avant,
la face contre terre. Or, au théâtre, chaque
fois qu'un cas semblable se produit, on
commet toujours l'erreur de faire tomber la
victime en arrière. C'est ainsi que, l'autre
soir, à la répétition générale de La Bête
Féroce, à l'Ambigu, M. Caillard, qui se
suicide au dernier acte, s'abattit par terre,
sur le dos.
Erreur continuelle et quasi séculaire! Il
est peut-être temps de rétablir la vérité?
E
xtra muros.
Notre ami Brod, l'excellent dessina-
teur, a longtemps voyagé a travers le
monde.
Il connaît l'Europe, l'Asie, l'Afrique,
l'Amérique. Il connaît même l'Océanie:
- C'est curieux, disait-il l'autre jour,
moi qui vais si souvent au Théâtre-Fran-
çais, je n'ai jamais vu jouer Silvain!
Puis, se reprenant:
— Si, pourtant! Je l'ai entendu un soir
à Buda-Pesth!
v
'ieux souvenirs, vieux portraits.
Qui donc aujourd'hui se souvient de
la grande artiste que fut Louise -
Et comme elle avait bien raison d'intituler
son livre sur les acteurs: Les Ephémères
M'as-tu-vu! La créatrice de la mère Ubu
avait infiniment d'esprit. Un soir qu'elle
méditait, seule devant un bock, en quelque
vague cabaret de Montmartre, vint à s é-
teindre l'éternelle cigarette qu'elle avait
toujours aux lèvres.
Pas d'allumettes. Obligeamment, son voi-
sin lui offrit le feu de son cigare:
— Non, merci, Monsieur, répondit dou-
cement l'actrice, oui avait cooscieneç Jet de
son âge et aussi de son héroïque laideur,
vraiment merci, je vous éteindrais et vous
ne m'allumeriez pas.
FAUSSES NOUVELLES EN TROIS LIGNES
M. Rostand met la dernière main à une pièce
en quatre actes intitulée L'Homme Nu qu'il
destine, paraît-il, à M. Guitry.
M. Henry Bataille met la dernière main à un
Cocorico qu'il destine, paraît-il, à M. Constant
Coquelin.
M. Chimène va interpréter La Peur des Coups,
en province et à, l'étranger. C'est M. Huguenet
qui administrera la tournée.
Mme Régine Martial, en collaboration avec M.
Paul Gavault, va tirer une opérette de la pièce
de M. Nozière Les Liaisons Dangereuses.
Tous les artistes de la Comédie-Française par-
tant en tournée, les mardis et vendredis seront
désormais réservés à des représentations cinéma-
tographiques.
A la suite d'incidents diplomatiques avec la
Belgique, M. Jules Claretie vient de donner sa
démission.
Dernière heure. - La direction vacante de
la Comédie-Française va être attribuée à M.
Jules Claretie, de l'Académie Française.
D
e l'utilité des dictionnaires.
Ouvrez le troisième volume du La-
rousse, à la page 52, et lisez à la deuxième
colonne :
« CLÉONICE, jeune fille grecque, remar-
quable par sa beauté et les grâces de son
esprit. Elle fut aimée de Pausanias à l'épo-
que où, enorgueilli par sa victoire de Pla-
tée, il cherchait à devenir le tyran de sa
patrie. Il venait de s'emparer de Chypre,
puis de Byzance, quand il vit la belle Cléo-
nice. Il se la fit amener une nuit, la tua par
suite d'une méprise, et en eut de grands
remords. »
Serait-ce par hasard le sujet de la pièce
que doit prochainement créer Mme Sarah
Bernhardt? Et qui mieux qu'elle peut in-
carner la belle et jeune Cléonice?.
LE QUATRAIN DU JOUR
ET AVEC ÇA, MONSIEUR?
Le Théâtre-Français et l'Odéon ensemble?
Ce Claretie est mûr pour les pires excès !
Je ne sais pas, mais il me semble
Qu'il avait déjà trop du Théâtre-Français!
c
omme un fakir.
Les superstitions du directeur des
Variétés et en - particqlier se manie de met-
tre un chapeau de paille pendant les répé-
titions sont célèbres dans le monde théâ-
tral, et l'on se souvient encore des difficul-
tés que fit M. Samuel pour jouer une pièce
intituléè le Faux-Pas.
Il vient de prendre quelques mesures ra-
dicales pour bannir à tout jamais de son
théâtre tout ce qui porte malheur.
Et tout d'abord il a formellemené interdit
d'introduire au buffet ou dans les coulisses
du bouillon (!) de peur, sans doute, qu'un
jour « il n'en boive un ».
Il a bien tort.
Le directeur qui monta le Vieux Mar-
cheur, la Veine, le Nouveau Jeu, le Bon-
heur Mesdames, Education de Prince, les
Deux Ecoles, la Revue du Centenaire, et
tant d'autres pièces à succès, n'a pas besoin
de se préoccuper des prétendus mauvais
présages. ---
L
e Cirque Solaire.
Gustave Kahn, dont les amis fêtaient
receinineiii ia aecorauon, va, paran-ll, aoor-
der le théâtre.
Il achève actuellement, nous dit-on, un
grand drame lyrique en trois actes et cinq
tableaux, tiré de son beau roman Le Cirque
Solaire, et dont la musique sera du compo-
siteur Henri Lutz.
Ne quittons pas Henri Lutz sans annon-
cer qu'il a terminé Vlasla, l'ouvrage que
doit créer dans quelques mois la grande
Litvinne.
Voilà de l'harmonie sur les planches.
]
ncognito.
Une de nos plus jeunes et de nos plus
remuantes comédiennes — dont le nom est
aussi joli que le minois est gracieux, jouait,
l'an dernier, un fort beau rôle d'une fort
belle pièce dans un fort important théâtre.
Or, un jour, on la présenta à un mon-
sieur, à un monsieur célèbre, qui lui tint
à peu près ce bizarre langage :
- Mademoiselle, je vous admire beau-
coup. Vous me plaisez infiniment. Si vous
voulez, vous pouvez me rendre le plus heu-
reux des hommes. Il suffit que, chaque se-
maine, vous consentiez à effectuer en ma
compagnie le trajet, aller et retour, Made-
leine-Bastille, en omnibus, et que vous ac-
quittiez vous-même le montant de nos pla-
ces. En reconnaissance de cette légère com-
plaisance, je vous remettrai, chaque se-
maine, un petit « défraiement » de deux
cent cinquante francs.
Ces conditions, vraiment peu « ordi-
naires », séduisirent Mlle G. et, pendant
deux mois, chaque semaine, on put la voir,
en omnibus, avec M. Jacques Lebaudy.
Ils prenaient, sans doute, l'impériale!
Œ
dipe et Antigone.
Hier soir, à l'heure où le crépus-
cule tombe et ou, dans les brumes naissan-
tes, s'allument les premiers becs de gaz,
nous vîmes, traversant la place du Théâtre-
Français, un pauvre aveugle et son guide.
De la main droite, à l'aide de sa canne, il
tâtait la marche des trottoirs-, de la main
gauche .il pressait sur son cœur le bras pro-
tecteur qui le soutenait et le guidait, le bras
de sa fille.
• A son profil moliéresque, à ses traits
doux et affinés, peut-être un peu trop amai-
gris, nous reconnûmes l'archiviste de la
Comédie-Française.
Pauvre Monval !»Avoir passé toute sa vie,
avoir donné toute sa force, toute son intel-
ligence pour une des plus belles causes de
la littérature et du théâtre français, et en
arriver là! -
W> •
''¿ Nous nous sommes enquis à la Comédie.
« Monval, en effet, à force de fouiller, de
fureter, de déchiffrer des manuscrits, en a,
peu à peu, perdu complètement la vue.
Aujourd'hui il ne peut plus rien faire. On
lui a donné un archiviste adjoint qui le sup-
plée à la bibliothèque du théâtre, mais, lui,
vient tous les jours. Sa fille l'amène le ma-
tin et elle le reconduit le soir. Il fait acte
de présence car — vous savez — il n'a pas
droit à sa retraite; il n'a pas les années de
service nécêssaires, et, alors, l'administra-
tion ne peut rien faire pour lui!. »
N'est-ce pas désolant! « Il n'a pas droit
à la retraite ! » Monval a donné sa vue à la
Coméde-Française, mais il lui manque trois
à quatre années de service, et l'administra-
tion ne peut lui servir une retraite! Faire
venir cet homme, ce savant, cet érudit, par
tous les temps, et par tous les dangers de
!a rue, pourquoi? Pour faire acte de pré-
sence.
Allons, monsieur Claretie! Vous combat-
tîtes, voici quelques années, pour la justice.
Parlez pour elle aujourd'hui devant votre
Comité et retraitez votre archiviste. Les
douzièmes que vous emploierez là ne seront
pas contestés.
U
i parfum est à la femme ce que la ro-
sée est à la fleur ! Aussi toutes les
élégantes ont-elles adopté la dernière créa-
tion de Gellé Frères: « Paradisia », nom
exquis comme le parfum, du reste, et dont
la vogue sera bientôt universelle.
u
n bon conseil aux amateurs de théâtre.
Qu'ils aillent, avant la représentation,
prendre des forces en dînant chez Cham-
peaux. Ils y trouveront, outre la bonne
chère et les vins réconfortants, les person-
nalités les plus connues du Tout-Paris.
Le Masque de Verre.
La Vérité
sur l'état de
Coquelin cadet
Il faut en finir une bonne fois, pensons-
nous, avec les nouvelles plus absurdes les
unes que les autres qui circulent, depuis
quelques jours, sur l'état de santé de Co-
quelin cadet. Certains de nos confrères —
sans doute mal renseignés — se sont faits
l'écho des bruits les plus alarmants sur lui;
d'autres sont allés plus loin, et, par delà les
frontières, en Belgique notamment, n'ont
pas craint d'affirmer que le célèbre comé-
dien était « détenu contre son gré » dans
une maison de santé où on l'avait « revêtu
de la camisole de force ». ——;—
Comœdia, par quatre fois, a publié sur
Coquelin cadet les informations les plus
nettes. Il rétablira, aujourd'hui encore, la
vérité.
Coquelin cadet fut frappé de dépression
telle qu'on jugea son isolement nécessaire.
Le fait est parfaitement exact et on le di-
rigea sur la maison de santé des docteurs
Bour et Devaux, à Neuilly. C'est Comœdia
qui l'annonça le premier. Là, chaque jour,
il recevait des visites — trop de visites.
Coquelin avait eu des chagrins divers, des
pertes matérielles, une séparation doulou-
reuse mais nécessaire. Certains de ses vi-
siteurs ne manquaient pas d'amener le ma-
lade à s'entretenir avec eux de ses ennuis.
Il en résulta bientôt une aggravation dans
son état, ainsi que le fait peut se constater
dans tous les cas de neurasthénie aussi ai-
guë que la sienne.
C'est alors que, pour le soustraire à cer-
taines influences pernicieuses pour sa gué-
rison, Coquelin cadet fut ramené à Paris et,
de là, par les soins de sa famille, dirigé,
sur le conseil de TROIS médecins spécia-
listes, dans une maison librement choisie.
Il s'y trouve, à l'heure actuelle, en traite-
ment. Il ne voit personne que ses médecins
et leur entourage et, dans cette atmosphère
- er
Henri Manuel, phot.
COQUELIN cadet
silencieuse mais nécessaire, revient peu à
peu à la normale..
Nous savons où est cette maison, ce jar-
din où il se promène chaque jour, les mé-
decins qui le traitent, comme nous savons
aussi l'espoir qui les anime de guérir
l'homme qui fut le roi du rire bien français..
Nous croirions manquer à notre devoir en
publiant l'endroit où Coquelin cadet est
traité, à l'heure actuelle. L'isolement, qui
est la condition absolue du traitement qu'il
suit, serait détruit. Déjà, depuis un mois,
une amélioration sensible est constatée chez
lui ; les spécialistes qui le soignent espèrent
plus encore. Ce serait saccager, dans un
but malsain d'informations outrancières, ce
modus vivendi sévère mais éclairé, rendu
indispensable par l'état du célèbre comé-
dien et certains événements extérieurs.
On comprendra donc notre réserve.
E. ROUZIER-DORCIÊRES:
THÉATRE ANTOINE
(Matinée de gata au profit de la Caisse de secours
du Syndicat des Artistes Dramatiques)
«
u P, 0 1
Pièce en deux actes et dix tableaux d'Alfred JARRYj
Musique de Claude TERRASSE
Dans un article intitulé L'Escalier est à
l'intérieur, j'essayais d'expliquer, il y a de
celà quelque temps, la façon de procéder
propre aux véritables artistes. Il me faut y
revenir a propos de la reprise d'Ubu-Roi,
car il me semble que l'exemple de Jarry
est, à ce point de vue, particulièrement ca-
ractéristique.
Tous ses anciens amis savent, en etfet,
qu'il ne lui vint jamais un seul instant
l'idée, en écrivant le père Ubu, de réaliser
une œuvre durable; il ne s'agissait, au dé-
but, que de ridiculiser un professeur de
sciences qui, à tort ou à raison, lui était de-
venu odieux. Ce furent donc, tout d'abord,
quelques caricatures dessinées sur les bancs
du lycée; puis telles prononciations qui de-
vinrent proverbiales. A cet âge, chez les
jeunes gens qui ont quelque tempérament
artistique, les haines prennent une impor-
M. HARRY BAUR
Le roi Wenceslas
M. GEMIER
Ubu
tance démesurée et, tout naturellement, par
là même, elles rentrent de plain-pied dans
le domaine de l'Art.
Jarry, venu à Paris, promena au bout
d'une pique la tête de Monsieuye Ubu de
café en café, d'atelier en atelier, et la lé-
gende s'accrut chaque jour en forme d'ava-
lanche, menaçant le petit village bourgeois
situé très bas entre deux prairies.
Les scènes s'ajoutaient aux scènes dans
le désordre le plus parfait et sans aucun,
plan prémédité. La personnalité de Mon-
sieuye Ubu devint, comme celle de Jean
Hiroux, une figure symbolique très connue,
une personnalité précise mais dont aucun
texte n'avait jamais délimité les contours.
Il fallut l'intervention de Gémier et de
la mère France pour préciser Monsieuye
Ubll à la scène, et le texte définitif ne s'en
établit jamais, dans un nombre incalcula-
ble de petites éditions improbables et suc-
cessives de tous formats.
Au surplus, peu importe; il ne s'agit
point, en effet, de chercher dans Ubu-Roi
une œuvre définitive, une page nouvelle de
littérature française : Ubu-Roi est plus et
moins que cela.
Au point de vue littéraire, ce n'est qu'une
farce à peine réalisée. Au point de vue
moral, c'est une indication de génie don-
née, par un jeune garçon qui ne le soup-
çonnait pas et qui mourut désemparé, sans
avoir eu la puissance de travail ou la pa-
tience nécessaires pour devenir un très
grand homme.
Il ne faut pas s'y tromper, en effet, et
c'est là un point que je voudrais surtout
dégager dans cette courte étude : Ubu-Roi
nous indique nettement la façon dont tous
les jeunes auteurs devraient procéder pour
arriver à produire quelque chose de neuf
et de véritablement intéressant. Le but que
se proposent, en effet, tous nos jeunes au-
teurs, est aujourd'hui d'arriver du premier
coup à fournir une œuvre capitale par quoi
ils seront sacrés hommes de génie dès
leur plus jeune âge, nommés trésoriers-
payeurs généraux en province et retraités
de l'Etat ou de la Société des 'Auteurs jus-
qu'à la fin de leurs jours.
Ils n'arrivent ainsi, la constatation en est,
hélas! facile à faire, qu'à nous donner des
œuvres parfaitement vides. Les unes déli-
bérément stupides et pour la défense des-
quelles une seule attitude devient possible:
celle de l'auteur martyr, incompris de tous;
les autres qui séduisent tout d'abord par
leur habile présentation, mais qui finissent
par décevoir étrangement lorsque l'on s'a-
perçoit, au hasard des lectures, que leurs
plus belles pages, à peine maquillées, sont
froidement copiées dans Musset ou dans
Balzac.
L'œuvre géniale, au contraire, même si
elle doit avorter, se construit d'une façon
tout inverse. Ce n'est, à proprement par-
ler, au début, qu'une chose informe, une
protestation d'enfant, un souvenir violent,
un chagrin ou une joie dont on a ressent
une impression vive., Chez l'enfant vérita-
blement doue d'un tempérament artistique,
cette sensation se manifeste impérieuse-
ment par un procédé quelconque d'extério-
risation artistique : une caricature informe
sur un bout de papier, quelques vers écrits
en cachette ou des mémoires commencés.
La forme, embryonnaire peut. varier à l'in-
/f-
Si le jeune homme a du tempérament
cette idée première le recherchera pendant
plusieurs années, il la reprendra sous des
formes nouvelles, la complétera, l'augmen-
tera chaque jour davantage. Ce long travail
se poursuivra durant toute sa vie, parlois
il sera repris par d'autres, par des gens
pour qui il constituera l'émotion primitive
et qui le compléteront à leur tour sous des
formes nouvelles.
Il faut bien le recOnnaîtré, en ef-
jet: cette aventure, cette modeste émotion
primitive peut suffire à alimenter'la car-'
rière tout entière d'un homme de géniel:
et celle de plusieurs autres parfois. L'oeu-,
vre entière de Rabelais et de ses succes-I
seurs dérive de quelques croquis faits par.
un médecin pour égayer ses malades. De-
nos jours, il est aisé de retrouver un pareil
procédé chez nos meilleurs écrivains. Les,
chefs-d'œuvre de gens tels que Tristan Ber-
nard ou Jules Renard dérivent de quelques
émotions d'enfant, de quelques heures pas-
sées à pleurer en silence dans un coin ou |
à faire semblant de s'intéresser à une car-
rière administrative en retirant mélancoli-
quement, avec un coupe-papier, l'ouate
d'un sous-main. Est-il besoin de rappeler
que I'oeuvre entière de Courtelihe dérive
également de quelques déboires administra-
tifs et régimentaires ?
Une fois encore, au début, le sujet pri-
mitif est insignifiant ou banal; mais, en
art, cela n'a aucune importance, bien au
contraire. Il s'agit, en effet, d'éveiller un
tempérament qui sommeille; de provoquert
par réaction, un talent qui s'ignore, et, pout
cela, tous les moyens sont bons. En ma-
tière d'art, plus qu'en toute autre, il suffii
de défaire la première maille pour que tout
le reste se dénoue.
Ubu-Roi n'est pas un chef-d'œuvre, loin
de là, c'est un croquis d'enfant, une œuvre
informe, c'est entendu, mais c'est une œu-
vre originale et SINCÈRE, et c'est pourquoi
elle mérite tout particulièrement de retenir,
notre attention.
Les mises à la scène successives qu'elle
aura subies lui ont peut-être fait perdre un
peu, en la précisant, ce caractère primitif
qu'elle avait de curieux manuscrit, d'ébau-
che enfantine et qui en faisait le plus grand
charme.
Très à sa place dans le cadre sombre de
l Œuvre, elle s'est abîmée en passant au
guignol du Théâtre des Pantins, et elle s'est
trop précisée peut-être dans la nouvelle in-
terprétation que vient de lui donner le Théâ-
tre-Antoine. C'est là un des défauts du
théâtre, qu'il s'agisse du Lys Rouge, de Poil
de Carotte ou d'Ubu-Roi, et cette déforma-
tion inévitable se produit pour les plus
grands chefs-d'œuvre tout aussi bien que
pour cette amusette d'enlant. On sait ce que
sont devenus les Faust de Gœthe matéria-
lisés à la scène en un seul opéra, et l'on
peut penser que si le Pantagruel y était mis,
il subirait le même sort.
Lors de la représentation d'hier, une nou-
velle adjonction : celle de la scène des hom-
mes libres, remplaçant fâcheusement celles
de l'ours et du navire, a encore aggravé
cette précision, et l'on a pu croire un ins-
tant que nous allions retomber dans une
scène de revue de fin d'année avec la fa-
tale apparition d'Hervé.
Le décor de guignol trop joli et trop pré-
cis remplaçant l'incohérent décor emprunté
au théâtre classique faussait également
l'idée que l'on doit se taire d'Ubu-Roi.
Il serait bon, cependant, de le rappeler,
d'une façon définitive. Ce qui fait, pour les
artistes, le charme d'une œuvre telle
qu'Ubu-Roi, c'est son absolue inutilité ap-
parente, la façon radicale dont elle est déli*
vrée de toute actualité. Qu'il s'agisse d'und
œuvre durable telle que la Joconde ou d'une
fantaisie d'enfant telle qu'Ubu-Roi, ce ca-
ractère d'inutilité apparente doit caractéri-
ser l'œuvre d'art, et, dans les deux cas, il
est indispensable que les bourgeois présents
s'écrient: « Mais à quoi cela peut-il bien
servir ? »
Du jour où l'on entreprend une œuvre
quelconque dans un but jorécis* aue ce but
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