Titre : Comoedia / rédacteur en chef : Gaston de Pawlowski
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1908-01-03
Contributeur : Pawlowski, Gaston de (1874-1933). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32745939d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 03 janvier 1908 03 janvier 1908
Description : 1908/01/03 (A2,N95). 1908/01/03 (A2,N95).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7646479k
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-123
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 13/04/2015
2° Année - N° 95 (Quotidien)
Le Numéro : 5 centimes ,
Vendredi 3 Janvier
COMŒDIA
Rédacteur en Chef : G. de PAWLOWSKI
; RÉDACTION & ADMINISTRATION :
-17, Bouleuard Poissonnière, PARIS
TÉLÉPHONE : 288-07 /,
Adresse Télégraphique : CGMŒDIA=PARI5
ABONNEMENTS:
UN AN e mois
et Départements 24 fr. 12 fr.
Franger. 40 » 20 D
RÉDACTION & ADMINISTRATION ?
27, Boulevard Poissonnière, PARIS:
TÉLÉPHONE : 288- 07
Adresse Télégraphique : C0MŒDIA=PARÏS
ABONNEMENTS:
UN AN e MOIS
Paris et Départements 24 fr. 12 fr.
Étranger <50 » 20 »
*
Charmante
soirée !
Cela se passe tout au bout, tout au
bout du boulevard. A Londres, pour pré-
cise r* Et cela commence très simple-
Ment - sur le lit d'une demi-mondaine, la
Police trouve le cadavre décapité de cette
pauvre Pécheresse.
La Police en conclut, avec une logique
irrésistible, que la fille d'Eve ne s'est pas
ainsi mise à mal toute seule, et qu'il y
a un assassin dans son cas. Voici tous
les Sherlock Holmes au petit pied qui
Chaussent leurs grandes bottes. Vaines
?' Infructueuses recherches. En
désespoir de cause, on arrête un jeune
dessinateur, Robert Wood. A sa charge,
ce seul fait qu'il écrivit à Phryné, alors
qu'elle Portait encore sa tête blonde, une
tendre carte postale. N'écrivez jamais.
Tout de même, cette carte postale ap-
paraît aux foules comme une pièce à
conviction qui ne saurait convaincre per-
6, L'opinion publique s'émeut, pro-
tesfp manifeste, et Robert Wood qui,
res ant toute cette histoire, n'a, du
reste, pas perdu le sourire, Robert Wood
est acquitté avec félicitations du jury. A
la sortie du prétoire, on dételle les qua-
le e chevaux de son automobile, et on
le Porte en triomphe. Bien.
"ci, rien de très nouveau. C'est
le dela vu de tous les mélos judiciaires,
le postulat de la petite erreur, le com-
missaire battu, l'innocence blanchie, et
blanchie comme on sait blanchir à Lon-
dres. l'!.ous connaissons ce sujet-là. On
Prendrneme dire que nous sortons d'en
pre re- Mais voici où il se perfec-
tionne, annonce et détermine à l'impro-
viste une innovation qui me paraît sur-
chargée de conséquences :
Le soir de l'acquittement, au Malbo-
rough-Theatre, le rideau venant de se le-
ver, stress Beerbolyn Tree, l'étoile de
céans, gagne, comme on dit, l'avant-
trou du se plante énergiquement devant le
teIlt u souffleur, à l'endroit exact et
central Où nous admirons toujours notre
grand Coquelin, et, s'adressant au pu-
blic:
le Mesdames, messieurs, dit-elle, j'ai
plaisir de vous annoncer que
~Robert G0(*' le prétendu assassin d'E-
milie DIrnmock, vient d'être triomphale-
ment acquitté.
Un tonnerre, plusieurs tonnerres
d'applaudissements accueillent ces sim-
ples mots. Puis, le silence se fait, car
on Perçoit que Mistress Beerbohm Tree
n'a pas tout dit. Et, en effet, Mistress
Beerbohm Tree continue:
Parlons un peu, mesdames, mes-
sieurs, de cette affaire qui nous a pas-
sionnés. Je rappellerai d'abord briève-
ment les éléments de la cause. (Elle les
rappelle, dans un fort élégant raccourci.)
Passons maintenant à la description de
l'audience, à laquelle j'assistais. (Des-
cription très vivante, très colorée. Enu-
mération des notabilités présentes dans
l'audit Olre. Croquis alertes des jurés,
des juges, des défenseurs, des témoins.
Portrait plus appuyé de l'accusé.) Que
je v Us résume l'interrogatoire. (Elle
le résume.) Le réquisitoire. (Clair ex-
posé.) Les plaidoiries. (Morceau d'élo-
quence ardent comme la grande scène du
trois.) L'enthousiasme après le prononcé
du jugement. (Tableau de foules.) Et
concluons si vous m'accordez encore un
crédit e quelques minutes, en exami-
nant, en vitupérant aussi, ce que sont,
chez nous, la Justice, les gaietés de la
JUstiCp l'appareil de la Justice, les ma-
critiqUde la Justice. (Idées générales,
tritl. ques ) réformes possibles, un rien de
philosophie, appel à l'humanité, à la rai-
son, à la sagesse.)
Cependant, le public avait écouté, ap-
prouvé, - applaudi « - passionnément. Et
quand Mistress Beerbohm Tree se reti-
ra, annonçant qu'on allait maintenant
frapper les trois coups et jouer la pièce
inscrite sur l'affiche, ce fut du délire.
Jamais, jamais,, au Malborough-Theatre,
on ne connut une plus enivrante soirée.
Et je ne plaisante pas.
Or, si ce menu fait ne vous exalte
guère, si vous n'y voyez pas le principe
d'une révolution théâtrale, c'est que
vous êtes de bien frivoles esprits, de
pauvres petites choses encrassées de
routine.
Mistress Beerbohm Tree n'a pas fait
breveter son idée. Et cette idée est une
fortune. Il s'agit de faire passer l'infor-
mation du journal à la scène. Rien
que ça.
Que dis-je, l'information? Et la chro-
nique, et la critique, et la caricature, et
la publicité, et tout ce qui fait la cuisine
actuelle d'un quotidien qui se respecte
ou se méprise. Tout. La pièce elle-même
sera le roman-feuilleton de cette gazette'
parlée, jouée et mimée.
Il n'y a pas, dans tout le répertoire
de tous les temps, un lever de rideau
qui soit, en intérêt, comparable à cela.
Je vous dis, mes chers directeurs, que
c'est une idée prodigieuse. Réalisez-la,
vous ferez, tous les soirs de l'année, in-
finiment plus que le maximum, pour em-
ployer le langage optimiste des jeunes
auteurs et des marchands de billets.
Et puis, on peut toujours essayer, quitte
à abandonner le système s'il ne réussit
pas. Il n'y a, comme dit en ce moment
M. Samuel, que le premier faux pas qui
coûte.
Songez-y. Nous ne lisons plus nos
journaux. Ils sont trop. Et, d'ailleurs,
nous avons tant de choses à faire, dans
le bref délai d'une journée! Pourtant, il
faut être averti des événements qui se
bousculent avec la frénésie et la fantaisie
dont notre époque se prévaut.
Quelle joie, pour un homme moderne :
ne plus lire son journal, mais entendre,
mais voir son journal! Après le dîner,
être confortablement assis dans un fau-
teuil, tandis que les faits du jour s'expli-
quent et se déroulent devant vous. Bras-
seur nous raconte les méfaits et sinis-
tres; Guitry, la politique extérieure;
Paul Mounet détaille la dernière chro-
nique de Tristan Bernard; Germain
nous expose la mode; Galipaux traduit
par gestes la Vie Littéraire de M. Gas-
ton Deschamps; de Max commente le
procès Harden; Sylvain rend compte du
vaudeville joué hier aux Folies-Drama-
tiques; Dearly critique le début de Mlle
Chose dans Andromaque; Albert Lam-
bert fils, rompu à la concision romanti-
que, apporte les nouvelles en trois li-
gnes. Et que de rubriques savoureuses
restent à ces dames : les échos parle-
mentaires, la température, les satyres,
les tribunaux, la semaine financière, l'A-
cadémie de médecine, le monde et la
ville, les mariages et les deuils, les dé-
placements et villégiatures, les petites
annonces, les sports.
Après quoi, une pièce, n'importe
quelle pièce, puisque aussi bien on a le
droit de s'en aller. Mais quelle char-
mante soirée!
Henry KISTEMAECKERS.
Nous publierons demain un article de
CALIBAN
L'escargot victorieux
Chaque jour les scandales se multiplient
dans les théâtres; chaque jour de coura-
geux spectateurs, candidats à la médaille
d'or de Comœdia, réclament la suppres-
sion des jardins suspendus qui encombrent
nos salles, et nous ne saurions trop ap-
prouver la ténacité dont ils font preuve.
Il importe cependant de bien leur faire
connaître les dangers auxquels ils s'expo-
sent et, pour les édifier, il me suffira de
rappeler la simple histoire suivante :
En 1426, un moine breton nommé Tho-
mas Conecte entreprit, lui aussi, la guerre
aux grands chapeaux, que l'on appelait
alors des hennins. Suivi de quelques dis-
ciples, il s'en alla de ville en ville, anathé-
matisant la coquetterie des dames, parcou-
rant les provinces de l'Ouest, remontant
vers le Nord, acclamé partout.
Les bourgeois tenaient sa mule par la
bride, les églises étaient trop petites pour
l'entendre. On lui construisit des estrades
sur les routes et, à Lille seulement, il pro-
nonça dix-sept sermons incitant les jeunes
gens à abattre les hennins des dames dans
la rue et sur les places.
Il en résulta des désordres inouïs.
Sur son passage, les hennins disparais-
saient pour reparaître tout aussitôt après et
les chroniqueurs du temps comparèrent les
dames à des escargots qui rentrent ou mon-
trent leurs cornes suivant le temps.
Après la France, le moine visita l'Italie,
allant à Rome et à Ferrare, triomphant
partout.
Eh bien! savez-vous comment finit cette
aventure? Le pape Eugène IV, un beau
jour, fit saisir le moine et le fit brûler vif
comme hérétique.
Comœdia offre toujours une médaille
d'or.
G. DE PAWLOWSKI.
Échos
Ce soir, à huit heures trois quarts, aux
Variétés, première représentation (reprise)
de Les Deux Ecoles, comédie en quatre
actes, de M. Alfred Capus.
«
Ce soir, 'à huit heures trois quarts, au
théâtre des Nouveautés, première repré-
sentation (à ce théâtre) de Coralie et Cie
pièce en trois actes, de MM. Albin Vala-
brègue et Maurice Hennequin.
L
ettres d'amour!
Notre distingué confrère Robert
Eude a fort spirituellement marivaude 1 au-
tre soir, au Théâtre des Arts, sur les Let-
tres d'amour des femmes célèbres.
Avec infiniment de grâce et de talent,
nos plus jolies et nos meilleures comédien-
nes: Henriette Roggers, Vera Sergine,
Marguerite Brésil, Madeleine Carlier,
Greuze, Maille, firent valoir la. passion, la
jalousie, la coquetterie de plusieurs billets
suggestifs de Mlles de Lespinasse, Aïssé,
Héloïse, Aspasie, Mme Dubarry et autres
amoureuses célèbres.
Mme Colette Willy devait se joindre à
ces excellentes artistes et elle avait promis
de mimer une lettre d'amour; mais elle
était retenue ce jour-là loin de Paris, et
voici comment elle s'excusa:
Le 31 décembre, je suis forcée d'être à mon
grand regret à trois kilomètres au-dessus de Be-
sançon. On s'occupera ce jour-là d'y vendre,
par autorité de justice et autres stupidités, une
propriété que j'aime beaucoup.
Je ne comprends d'ailleurs rien à cette his-
toire qui suit logiquement, paraît-il, celle d'une
séparation de corps et de bien. C'est vous dire
que je préférerais de beaucoup mimer une let-
tre d'amour au théâtre des Arts. Il faut m'excu-
ser et me plaindre au besoin.
Colette WILLY.
Pauvre Colette!
Mais pourquoi le conférencier Robert
Eude n'a-t-il pas lu cette lettre à ses audi-
teurs. Ce n'était pas une lettre d'amour4
sans doute, mais c'était une lettre de fem-
me, tout à fait. curieuse.
H
îureux âge!
A l'appui de l'assertion de Tristan
Bernard qu un homme de trente ans est un
homme mûr aux yeux d'un lycéen, rappe-
lons que la première édition de La Ciguë,
rimée par Augier au sortir du collège, con-
tient, dans la liste des personnages, cette
indication typique:
CLINIAS, vieux débauché. 30 ans.
L
es surprises du téléphone.
Le hasard veut que deux numéros
téléphoniques voisins et se ressemblant
beaucoup soient attribués, l'un à l'adminis-
jjGaticn d'un théâtre du boulevard, l'autre à
un de nos plus actifs et sympathiques con-
frères, très répandu dans le monde artisti-
que.
Or, les demoiselles de Gutemberg s'obs-
tinent à passer à notre confrère les com-
munications du théâtre. Vingt fois il ré-
clama. Las, à la fin, de renvoyer les spec-
tateurs au « bon.numéro », il se résigne:
— Voulez-vous me louer les fauteuils
119 et 121 ? lui demande une voix incon-
nue.
— Je veux bien, répond-il, morne.
- Alors, je n'ai qu'à me présenter au
contrôle?
— Présentez-vous.
Là-bas, à l'autre bout du fil, on est bien
un peu surpris du peu d'empressement de
ce préposé peu loquace. Mais on l'explique
par le succès de la pièce représentée. Et
ce n'est que le soir, à l'arrivée au « gui-
gnol », que l'on s'aperçoit de quelque
chose.
u
n ioli mot d'Antoine:
Un jour — par quel prodige? —
on n avait pas répété chez lui. Oui. si
étrange, si invraisemblable que cela puisse
paraître, la scène était restée vide toute
une journée. On n'avait « travaillé » que le
soir, devant le public!
Mais. le lendemain, on mit les bouchées
doubles !
Le patron, dans la salle, écoutait. Une
des interprètes luttait en désespérée contre
un texte non encore su entièrement.
Alors, après avoir regardé sa jolie pen-
sionnaire d'un œil exempt d'indulgence,
Antoine se pencha vers son régisseur:
— C'est admirable, dit-il, on leur donne
un jour de repos et ils en profitent pour ne
rien faire ! *
L
a santé de Coquelin cadet.
Un de nos confrères publiait, hier,
une note relative à la santé de Coquelin
cadet. Cette information représentait l'état
du célèbre comédien comme s'étant subite-
ment aggravé.
Comœdia qui, jusqu'ici, s'était tu, doit à
ses lecteurs la vérité. La voici:
Coquelin cadet avait été mis en traite-
ment dans une maison de santé de Neuilly.
S'il faut préciser, nous pouvons dire que
cet établissement, à la tête duquel se trou-
vent deux spécialistes, les docteurs Bour et
Devaux, est situé boulevard du Château,
au numéro 6. A la stute d'une crise qui a
éclaté, brutalement, il y a un peu plus
d'une semaine, le grand artiste a été rendu
à sa famille, laquelle a pris les mesures
que nécessitSTt son état.
U
n homme universel.
A la suite de notre écho concernant
le prochain avènement d un roi de la finance
à la tête d'un théâtre à côté, M. Maurice
Chariot, directeur de la Comédie-Royale.
nous écrit:
Mon cher Masque de Verre,
Comme -suite à l'écho que vous avez publié
avant-hier, permettez-moi de vous dire que s'il
est vrai que l'affiche de' la Comédie-Royale doit
porter, aù mois de février, les noms de glorieu-
ses vedettes, il est tout à fait inexact qu'une
modification quelconque doive intervenir à ce
moment-là ou à un autre dans la direction qui
m'a été et me reste confiée.
Bien cordialement à vous.
Maurice CHARLOT.
N
ous avons signalé ici même le décès
de ce musicien âgé de cent deux ans
qui prenait, paraît-il, matin et soir, un verre
de quinquina Dubonnet.
On nous signale, de Bordeaux, la mort
d'un ancien vigneron, décédé à l'âge de
cent trois ans, mais notre correspondant,
occasionnel ne nous dit pas si le respecta-
ble centenaire buvait, lui aussi, du Dubon-
net.
NOUVELLE A LA MAIN
u
n auteur dramatique raté rend sa fem-
me très malheureuse. Tous les ma
tins, il lui fait une scène:
— Peut-être espère-t-il, dit un confrère,
qu'à la fin ces scènes feront une pièce!.
, Le Masque de Verre.
AU PALAIS
L'affaire Gou rron (A tVa rez)
contre Comœdia
La deuxième audience a été occupée par les plaidoiries
de M" Albert Richard et Maurice Flach et
les répliques. « A huitaine
pour le jugement.
Hier, deuxième audience du procès in-
tenté par M. Alvarez contre Comœdia. Nos
lecteurs sont au courant du procès, tant par
le dernier compte rendu des débats que par
la plaidoirie de Me Henri Robert que nous
avons publiés in extenso. Il nous a toujours
(Photo Pirou)
M4 ALBERT RICHARD
paru, en effet, que l'affaire Alvarez devait
être mise sous les yeux du public de la
façon la plus exacte et la plus complète,
afin de permettre à nos lecteurs, dont quel-
ques-uns furent en l'espèce nos collabora-
teurs, de se faire une opinion sur le droit
de critique.
C'est cette question qui est, en réalité,
soumise à la première chambre du tribunal.
C'est elle que discutait, avec unè robuste
élégance, à l'audience d'hier, M0 Albert Ri-
chard, l'un des avocats de Comœdia.
MO Albert Richard s'est attaché à démon-
trer que les droits de la critique sont sou-
verains, en tant qu'elle n'atteint pas l'hom-
me privé.
« Quiconque se consacre au public, en
« accepte à l'avance le jugement. Il cesse
« de s'appartenir. Il appartient à tout le
« monde et à chacun. Il s'expose à toutes
« les appréciations, à toutes les censures,
« même acerbes, même violentes, même
« injustes. Il doit être prêt à subir toutes
« les amertumes; et, après tout, c'est à
« ce prix-là que s'achète la réputation ou
« la gloire. Saurait-on la payer trop cher! »
Il ne faudrait pas pousser à l'excès la
thèse qui consiste à dire que la critique ne
peut porter aucune atteinte aux intérêts ma-
tériels de l'artiste.
(( Cette thèse conduirait à ce résultat
(( qu'après avoir accordé à la critique tous
« les droits, en fait on les lui retirerait
« tous. La critique serait formidablement
« armée, mais avec défense absolue de se
« servir de ses armes. »
Toute critique qui atteint un artiste dans
l'exercice de son art, l'atteint du même
coup et nécessairement dans le commerce
qu'il fait de cet art.
« Si je dis d'un comédien qu'il inter-
(( prête mal ses rôles, ou qu'il n'est pas fait
« pour les rôles qu'il interprète; si je dis
« d'une ingénue de quarante-cinq ans que
« son éternelle ingénuité finit par manquer
« un peu de fraîcheurs; si je dis d'un té-
« nor qu'ayant parcouru une brillante, mais
« très longue carrière, il a bien le droit
« d'être.un peu essoufflé, ceux dont j'aurlj.,
« ainsi parlé pourront toujours prétendre
« que je leur ai nui dans leur commerce,
« que j'ai porté atteinte à leurs intérêts
« matériels en leur rendant plus difficile
« un engagement, en fournissant un pré-
« texte pour une réduction de leur sa-
« laire. »
D'ailleurs, il y a dans le procès actuel
un intérêt d'ordre supérieur et qui passe
de beaucoup la question d'argent. C'est l'in.
térêt de l'art, du grand art.
« Il peut être loisible à un directeur de"
« petit théâtre, de music-halls, de prétendre
« qu'il n'est qu'un commerçant qui débite
« de la prose ou 'de la musique, comme
« un autre du sucre ou de la canePe, Mais
« il s'agit ici d'un théâtre subventionnée
« M. Gailhard touche une subvention poun
« l'accomplissement d'une mission dont il
« est tenu de rendre compte. La scène
« qu'il dirige, c'est l'Opéra, c'est l'Acadé-
« mie nationale de musique, chargée d'en-
« tretenir parmi nous la. connaissance dt..
« nos chefs-d'œuvre, d'assurer la grandeur
« de l'art lyrique en France et le culte dit
« Beau. Voilà l'institution qu'il faut déf tri';
« dre, et quiconque la défend, même avec!
« une passion jalouse, même avec une ar-
« deur excessive, celui-là, s'il est sincère,
« a droit à des remerciements. »
M. Alvarez ne justifie d'aucun préjudice.
Son assignation elle-même ne parle quel
d'un dommage éventuel, hypothétique. Où
sont les catastrophes qu'il avait supposées?
Voici la péroraison de l'excellent avocat:
« Ces querelles de comédiens à journa-
(( listes, quiconque a l'expérience de la v¡¡;;;
« parisienne peut-il les prendre au sérieux?
« Elles s'agitent dans un milieu spécial qur
« est celui de l'irréel, où tout se passe à
« la lumière artificielle des frises, entret
« cour et- jardin.
« Là, tout est faussé, tout est truqua
« tout est maquillé, les sentiments comme
« les visages ; tout est éphémère, la haine
« comme l'amour.
« Il se produit de temps à autre éiet
(Photo Manuel).
Me MAURICE FLACH
« grands tumultes de passions. Alors, or.
« se menace, on s'invective; 'ce sont ue>
« serments de vengeance. Toutes les colè-
« res sont déchaînées.
« Mais elles s'apaisent bientôt parce
'l'
^IBUNAL CIVIL DE LA SEINE
(Première Chambre)
Affaire Alvarez
contre Comœdia
Plaidoirie de Me Albert Richard
Est-ce b len, Messieurs, contre M. Alvarez que
je plaide J' et qui est demandeur à l'instance ac-
l'Wa ^V°Ue oue j'ai d'abord quelque peine à
me l'imaginer. M, Alvarez, en effet, jusqu'à ce
jour, personnifiait si bien à mes yeux tous les
plus nohtji es héros de la légende théâtrale! Il
était le Prophète, il était Lohengrin, il était Ro-
elas - 1 faut-il croire que le Prophète a un
procès. f-~Ce bien Lohengrin qui, déposant son
armure Qt brave les enchantements, a endossé
pardessus pour courir hâtivement chez son
huissier ? St~ce bien, Messieurs, Roméo qui,
interrompant le doux chant du rossignol, a, de
cette même yoix qui soupirait sous le balcon de
Juliette, dicté les « ou étant et parlant à », « afin
qu'il 1) et Ignore », « les ci-devant et actuelle-
ment » et toutes les expressions que connaît le
argon de la Procédure, mais qui sont si difficiles
à mettre en musique?
Aussi bien, et fort heureusement, M. Alvarez
avoir compris lui-même quelle serait sa
déchéance si Placé SI, Quittant ces régions idéales où
l'ont placé les fictions de la scène, il se présen-
tait devant nous, rout à coup, brutalement, sous
les traits d' u simple plaideur.
Il a compris cel2, M- Alvarez, et il a éprouvé,
quelque sorte, le besoin d. se dédoubler: il
s'appelle DtIle ; S1 M. Gourron. Ah' certes, sous la
modeste redingote de M. Gourron, on aurait quel-
que Dtine r®connaître le personnage auquel no-
tre anhon s'est si bien habituée à prêter
toutes les grâces et toutes les vertus, si une cir-
constance ne venait trahir ce déguisement.
En effet, il est demandé dans l'assignation que
j'ai entre les mains, cent mille francs à titre de
dommages-intérêts. Cent mille francs ! Ah !
voyons, je suppose que ce n'est pas lui, le mo-
deste Gourron, ce bon bourgeois de M. Gourron,
qui a pu songer à réclamer une pareille somme;
il en aurait, j'en suis convaincu, ressenti quelque
ébahissement. Pour se permettre d'avancer un
pareil chiffre, il faut être quelque privilégié de
la fortune, il faut être quelque Satrape qui, à
force de gagner de l'argent, arrive à perdre la no-
tion de sa valeur; il faut être un chanteur com-
me M. Alvarez, habitué, rien qu'en ouvrant la
bouche, à faire pleuvoir autour de lui une pluie
d'or.
C'est donc bien, Messieurs, contre M. Alvarez
que je plaide; et alors ..,..- qu'il me permette de
le lui dire — quelle que soit sa grande personna-
lité et de quelque poids qu'elle pèse dans cette
discussion, le procès qu'il a engagé est, en réa-
lité un bien modeste procès ; surtout, Messieurs,
devant cette première chambre où s'agitent cha-
que jour les plus graves questions de droit, où
les discussions mettent en jeu la fortune et l'hon-
neur des familles, la réclamation, les protesta-
tions indignées d'un artiste qui se plaint d'avoir
été sifflé vous paraîtront, sans nul doute, ne pré-
senter qu'un assez médiocre intérêt.
Ce procès, je le répète, est bien modeste, et
tout le monde sera de cet avis, hormis, sans
doute, M. Alvarez. Il est ténor, et c'est tout dire.
Vous savez, Messieurs, que les ténors ont
une mentalité particulière; ce n'est pas tout à fait
de leur faute si leur personnalité, en certains cas,
se fait un peu encombrante; ils sont si bien les
enfants gâtés du public, ceux que l'on admire,
ceux que l'on encense, ceux qu'une foule en dé-
lire acclame tous les soirs ; on dit même que leur
prestige subsiste quelauefois encore même après
qu'ils ont quitté la scène; et ce sont alors pour
eux d'a apothéoses, quoique sans lumière
électriqt: Gammes de bengale.
Pour v arez, Messieurs, qui est ténor, ce
procès e contraire, le plus considérable des
procès, "ui émeut au plus haut point l'opi-
; Me- ALBERT RICHARD
Me MAURICE FLACH
nion, un procès devant lequel s'effacent et dis-
paraissent immédiatement toutes les autres préoc-
cupations du public et dont le monde entier attend
avec angoisse le dénouement..,
Dans ce procès, M. Alvarez voit d'abord une
œuvre de haute justice, c'est-à-dire la punition,
le châtiment exemplaire de celui qui s'est permis
d'offenser l'un des rois du jour, en commettant
un crime de lèse-majesté. Dans ce procès, M.
Alvarez voit encore, ce qui n'est pas à dédaigner,
une bonne réclame pour lui, car il suppose bien
qu'il sera désormais interdit, par autorité de jus-
tice, à quiconque, de dire qu'il peut chanter faux.
Il n'a qu'un regret, M. Alvarez, si le succès
venait répondre à son attente: ce serait de n'être
pas présent à votre audience, le jour où vous ren-
drez votre décision pour pouvoir alors saluer la
justice congrument, selon les traditions du théâ-
tre, c'est-à-dire le jarret tendu, la main droite
posée sur le cœur avec un sourire figé et des
regards mouillés de gratitude.
Les articles, Messieurs, qui sont incriminés de-
vant vous, ont paru dans Comœdia. Comœdia est
ce que son titre indique; il a été créé, il y a
quelques mois, par mon client, M. Desgrange,
dont la très sympathique, et je puis dire très
grande personnalité, ne me semble avoir été
mêlée à ce procès que pour lui donner plus
d'éclat.
Du jour de son apparition, Comœdia a obtenu
le plus vif succès ; il est imprimé sur six pages ;
il tire actuellement à 70.000 exemplaires, et pour-
tant, Messieurs, il est exclusivement consacré
aux questions théâtrales.
Je laisserai à d'autres le soin de rechercher
pourquoi le théâtre occupe une si grande place
dans les préoccupations de la société actuelle,
et non pas seulement, remarquez-le, le théâtre
qui nous vaut, après tout, quelques-unes de nos
plus délicates jouissances, mais encore et sur-
tout ce qu'on pourrait appeler les à côté du
théâtre..
D'où vient, en d'autres termes, cette inlassa-
ble curiosité du public, qui veut suivre les comé-
diens même après qu'ils ont quitte la scène, qui
s'attache à leur vie privée, aUI épie leurs moin-
dres geStes, leurs moindres mots pour être en-
suite rapportés en des interviews sensationnelles?
De graves censeurs prétendront, peut-être, que
c'est un signe des temps, un signe de décadence,
un témoignage fâcheux de la fragilité de nos es-
prits le crois, Messieurs, qu'il ne faut peut-être
pas aller aussi loin, et, selon moi, cet engoue-
ment peut-être excessif du public pour les choses
et les gens de théâtre, vient tout simplement de
la nécessité où nous sommes de chercher un dé-
lassement à nos travaux quotidiens, de trouver
un terrain neutre qui, dans les salons, se prête
à des conversations faciles, à des conversations
accessibles à tous les esprits et dont sont formel-
lement exclues ces questions politiques si sca-
breuses, si irritantes, et qui sont, vous le savez,
Messieurs, la terreur des maîtresses de maisons.
Toutefois, il ne faudrait pas se placer, vous
l'entendez bien, à un point de vue aussi étroit,
aussi mesquin, à un point de vue de cabotinage
— assez-moi le mot — pour comprendre com-
ment Comœdia a obtenu, ainsi que je le disais
tout à l'heure, si rapidement, le pjus éclatant
succès. Si ce journal a immédiatement rencontré
la faveur du public, c'est, croyez-le bien, parce
Qu'il a répondu à un besoin, et celui-là, plus no-
ble, plus impérieux. On peut dire justement, dans
le cas actuel, que c'est le besoin qui a créé l'or-
gane.
En effet, un homme s'est rencontré qt i. n'ap-
partenant pas au théâtre — vous l'avez dit, rrcn
cher confrère, à la dernière audience, et c'est
exact - a néanmoins entrepris — et ceci est tout
a A son honneur — de prendre en mains les inté-
rêts du théâtre, ces intérêts si souvent méconnus,
ces intérêts si singulièrement compromis par
1 ignorance et par la rapacité des directeurs ou
par la tolérance et les veuleries de la critique,
par le sans-gêne et l'insuffisance des comédiens.
M. Desgrange a pensé que le moment était
venu de créer une feuille quotidienne qui trai-
terait des questions théâtrales, de toutes les
questions théâtrales, avec une impartialité que
lui assurerait précisément son indépendance. Là.
toutes les vérités seraient dites, toutes les opi-
nions pourraient s'exprimer librement; là, mes
sieurs, le public trouverait la manifestation de
ses désirs, de ses préoccupations personnelles,
de ses plaintes si souvent étouffées.
Oh! je sais à merveille qu'à l'annonce de ce
programme, beaucoup ont souri ou se sont con-
tentés de hausser les épaules; plus d'un direc-
teur a pensé que ce beau zèle n'irait pas bien
loin, et qu'il suffirait pour le calmer de quelques
communiqués bien payés, de quelques complai-
sances et surtout d'une abondante distribution
de billets de faveur. Mais la surprise a été gran-
de, quand on a été obligé de constater, au con-
traire, que Comœdia tenait tous ses engage-
ments, c'est-à-dire qu'il renseignait vraiment le
public, que les articles qu'il publiait n'étaient
pas des articles de réclame et que, mieux q::e
cela, ses rédacteurs allaient chaque jour, chaque
soir, dans les principaux théâtres de Paris pour
exercer une surveillance indépendante et pour,
en quelque sorte, monter la garde autour des
chefs-d'œuvre de l'art lyrique et dramatique. Et
alors, comme il fallait, s'y attendre, ce fut une
explosion de colère, une levée de boucliers; ce
fut une coalition Darmi toutes les omnipotences
Le Numéro : 5 centimes ,
Vendredi 3 Janvier
COMŒDIA
Rédacteur en Chef : G. de PAWLOWSKI
; RÉDACTION & ADMINISTRATION :
-17, Bouleuard Poissonnière, PARIS
TÉLÉPHONE : 288-07 /,
Adresse Télégraphique : CGMŒDIA=PARI5
ABONNEMENTS:
UN AN e mois
et Départements 24 fr. 12 fr.
Franger. 40 » 20 D
RÉDACTION & ADMINISTRATION ?
27, Boulevard Poissonnière, PARIS:
TÉLÉPHONE : 288- 07
Adresse Télégraphique : C0MŒDIA=PARÏS
ABONNEMENTS:
UN AN e MOIS
Paris et Départements 24 fr. 12 fr.
Étranger <50 » 20 »
*
Charmante
soirée !
Cela se passe tout au bout, tout au
bout du boulevard. A Londres, pour pré-
cise r* Et cela commence très simple-
Ment - sur le lit d'une demi-mondaine, la
Police trouve le cadavre décapité de cette
pauvre Pécheresse.
La Police en conclut, avec une logique
irrésistible, que la fille d'Eve ne s'est pas
ainsi mise à mal toute seule, et qu'il y
a un assassin dans son cas. Voici tous
les Sherlock Holmes au petit pied qui
Chaussent leurs grandes bottes. Vaines
?' Infructueuses recherches. En
désespoir de cause, on arrête un jeune
dessinateur, Robert Wood. A sa charge,
ce seul fait qu'il écrivit à Phryné, alors
qu'elle Portait encore sa tête blonde, une
tendre carte postale. N'écrivez jamais.
Tout de même, cette carte postale ap-
paraît aux foules comme une pièce à
conviction qui ne saurait convaincre per-
6, L'opinion publique s'émeut, pro-
tesfp manifeste, et Robert Wood qui,
res ant toute cette histoire, n'a, du
reste, pas perdu le sourire, Robert Wood
est acquitté avec félicitations du jury. A
la sortie du prétoire, on dételle les qua-
le e chevaux de son automobile, et on
le Porte en triomphe. Bien.
"ci, rien de très nouveau. C'est
le dela vu de tous les mélos judiciaires,
le postulat de la petite erreur, le com-
missaire battu, l'innocence blanchie, et
blanchie comme on sait blanchir à Lon-
dres. l'!.ous connaissons ce sujet-là. On
Prendrneme dire que nous sortons d'en
pre re- Mais voici où il se perfec-
tionne, annonce et détermine à l'impro-
viste une innovation qui me paraît sur-
chargée de conséquences :
Le soir de l'acquittement, au Malbo-
rough-Theatre, le rideau venant de se le-
ver, stress Beerbolyn Tree, l'étoile de
céans, gagne, comme on dit, l'avant-
trou du se plante énergiquement devant le
teIlt u souffleur, à l'endroit exact et
central Où nous admirons toujours notre
grand Coquelin, et, s'adressant au pu-
blic:
le Mesdames, messieurs, dit-elle, j'ai
plaisir de vous annoncer que
~Robert G0(*' le prétendu assassin d'E-
milie DIrnmock, vient d'être triomphale-
ment acquitté.
Un tonnerre, plusieurs tonnerres
d'applaudissements accueillent ces sim-
ples mots. Puis, le silence se fait, car
on Perçoit que Mistress Beerbohm Tree
n'a pas tout dit. Et, en effet, Mistress
Beerbohm Tree continue:
Parlons un peu, mesdames, mes-
sieurs, de cette affaire qui nous a pas-
sionnés. Je rappellerai d'abord briève-
ment les éléments de la cause. (Elle les
rappelle, dans un fort élégant raccourci.)
Passons maintenant à la description de
l'audience, à laquelle j'assistais. (Des-
cription très vivante, très colorée. Enu-
mération des notabilités présentes dans
l'audit Olre. Croquis alertes des jurés,
des juges, des défenseurs, des témoins.
Portrait plus appuyé de l'accusé.) Que
je v Us résume l'interrogatoire. (Elle
le résume.) Le réquisitoire. (Clair ex-
posé.) Les plaidoiries. (Morceau d'élo-
quence ardent comme la grande scène du
trois.) L'enthousiasme après le prononcé
du jugement. (Tableau de foules.) Et
concluons si vous m'accordez encore un
crédit e quelques minutes, en exami-
nant, en vitupérant aussi, ce que sont,
chez nous, la Justice, les gaietés de la
JUstiCp l'appareil de la Justice, les ma-
critiqUde la Justice. (Idées générales,
tritl. ques ) réformes possibles, un rien de
philosophie, appel à l'humanité, à la rai-
son, à la sagesse.)
Cependant, le public avait écouté, ap-
prouvé, - applaudi « - passionnément. Et
quand Mistress Beerbohm Tree se reti-
ra, annonçant qu'on allait maintenant
frapper les trois coups et jouer la pièce
inscrite sur l'affiche, ce fut du délire.
Jamais, jamais,, au Malborough-Theatre,
on ne connut une plus enivrante soirée.
Et je ne plaisante pas.
Or, si ce menu fait ne vous exalte
guère, si vous n'y voyez pas le principe
d'une révolution théâtrale, c'est que
vous êtes de bien frivoles esprits, de
pauvres petites choses encrassées de
routine.
Mistress Beerbohm Tree n'a pas fait
breveter son idée. Et cette idée est une
fortune. Il s'agit de faire passer l'infor-
mation du journal à la scène. Rien
que ça.
Que dis-je, l'information? Et la chro-
nique, et la critique, et la caricature, et
la publicité, et tout ce qui fait la cuisine
actuelle d'un quotidien qui se respecte
ou se méprise. Tout. La pièce elle-même
sera le roman-feuilleton de cette gazette'
parlée, jouée et mimée.
Il n'y a pas, dans tout le répertoire
de tous les temps, un lever de rideau
qui soit, en intérêt, comparable à cela.
Je vous dis, mes chers directeurs, que
c'est une idée prodigieuse. Réalisez-la,
vous ferez, tous les soirs de l'année, in-
finiment plus que le maximum, pour em-
ployer le langage optimiste des jeunes
auteurs et des marchands de billets.
Et puis, on peut toujours essayer, quitte
à abandonner le système s'il ne réussit
pas. Il n'y a, comme dit en ce moment
M. Samuel, que le premier faux pas qui
coûte.
Songez-y. Nous ne lisons plus nos
journaux. Ils sont trop. Et, d'ailleurs,
nous avons tant de choses à faire, dans
le bref délai d'une journée! Pourtant, il
faut être averti des événements qui se
bousculent avec la frénésie et la fantaisie
dont notre époque se prévaut.
Quelle joie, pour un homme moderne :
ne plus lire son journal, mais entendre,
mais voir son journal! Après le dîner,
être confortablement assis dans un fau-
teuil, tandis que les faits du jour s'expli-
quent et se déroulent devant vous. Bras-
seur nous raconte les méfaits et sinis-
tres; Guitry, la politique extérieure;
Paul Mounet détaille la dernière chro-
nique de Tristan Bernard; Germain
nous expose la mode; Galipaux traduit
par gestes la Vie Littéraire de M. Gas-
ton Deschamps; de Max commente le
procès Harden; Sylvain rend compte du
vaudeville joué hier aux Folies-Drama-
tiques; Dearly critique le début de Mlle
Chose dans Andromaque; Albert Lam-
bert fils, rompu à la concision romanti-
que, apporte les nouvelles en trois li-
gnes. Et que de rubriques savoureuses
restent à ces dames : les échos parle-
mentaires, la température, les satyres,
les tribunaux, la semaine financière, l'A-
cadémie de médecine, le monde et la
ville, les mariages et les deuils, les dé-
placements et villégiatures, les petites
annonces, les sports.
Après quoi, une pièce, n'importe
quelle pièce, puisque aussi bien on a le
droit de s'en aller. Mais quelle char-
mante soirée!
Henry KISTEMAECKERS.
Nous publierons demain un article de
CALIBAN
L'escargot victorieux
Chaque jour les scandales se multiplient
dans les théâtres; chaque jour de coura-
geux spectateurs, candidats à la médaille
d'or de Comœdia, réclament la suppres-
sion des jardins suspendus qui encombrent
nos salles, et nous ne saurions trop ap-
prouver la ténacité dont ils font preuve.
Il importe cependant de bien leur faire
connaître les dangers auxquels ils s'expo-
sent et, pour les édifier, il me suffira de
rappeler la simple histoire suivante :
En 1426, un moine breton nommé Tho-
mas Conecte entreprit, lui aussi, la guerre
aux grands chapeaux, que l'on appelait
alors des hennins. Suivi de quelques dis-
ciples, il s'en alla de ville en ville, anathé-
matisant la coquetterie des dames, parcou-
rant les provinces de l'Ouest, remontant
vers le Nord, acclamé partout.
Les bourgeois tenaient sa mule par la
bride, les églises étaient trop petites pour
l'entendre. On lui construisit des estrades
sur les routes et, à Lille seulement, il pro-
nonça dix-sept sermons incitant les jeunes
gens à abattre les hennins des dames dans
la rue et sur les places.
Il en résulta des désordres inouïs.
Sur son passage, les hennins disparais-
saient pour reparaître tout aussitôt après et
les chroniqueurs du temps comparèrent les
dames à des escargots qui rentrent ou mon-
trent leurs cornes suivant le temps.
Après la France, le moine visita l'Italie,
allant à Rome et à Ferrare, triomphant
partout.
Eh bien! savez-vous comment finit cette
aventure? Le pape Eugène IV, un beau
jour, fit saisir le moine et le fit brûler vif
comme hérétique.
Comœdia offre toujours une médaille
d'or.
G. DE PAWLOWSKI.
Échos
Ce soir, à huit heures trois quarts, aux
Variétés, première représentation (reprise)
de Les Deux Ecoles, comédie en quatre
actes, de M. Alfred Capus.
«
Ce soir, 'à huit heures trois quarts, au
théâtre des Nouveautés, première repré-
sentation (à ce théâtre) de Coralie et Cie
pièce en trois actes, de MM. Albin Vala-
brègue et Maurice Hennequin.
L
ettres d'amour!
Notre distingué confrère Robert
Eude a fort spirituellement marivaude 1 au-
tre soir, au Théâtre des Arts, sur les Let-
tres d'amour des femmes célèbres.
Avec infiniment de grâce et de talent,
nos plus jolies et nos meilleures comédien-
nes: Henriette Roggers, Vera Sergine,
Marguerite Brésil, Madeleine Carlier,
Greuze, Maille, firent valoir la. passion, la
jalousie, la coquetterie de plusieurs billets
suggestifs de Mlles de Lespinasse, Aïssé,
Héloïse, Aspasie, Mme Dubarry et autres
amoureuses célèbres.
Mme Colette Willy devait se joindre à
ces excellentes artistes et elle avait promis
de mimer une lettre d'amour; mais elle
était retenue ce jour-là loin de Paris, et
voici comment elle s'excusa:
Le 31 décembre, je suis forcée d'être à mon
grand regret à trois kilomètres au-dessus de Be-
sançon. On s'occupera ce jour-là d'y vendre,
par autorité de justice et autres stupidités, une
propriété que j'aime beaucoup.
Je ne comprends d'ailleurs rien à cette his-
toire qui suit logiquement, paraît-il, celle d'une
séparation de corps et de bien. C'est vous dire
que je préférerais de beaucoup mimer une let-
tre d'amour au théâtre des Arts. Il faut m'excu-
ser et me plaindre au besoin.
Colette WILLY.
Pauvre Colette!
Mais pourquoi le conférencier Robert
Eude n'a-t-il pas lu cette lettre à ses audi-
teurs. Ce n'était pas une lettre d'amour4
sans doute, mais c'était une lettre de fem-
me, tout à fait. curieuse.
H
îureux âge!
A l'appui de l'assertion de Tristan
Bernard qu un homme de trente ans est un
homme mûr aux yeux d'un lycéen, rappe-
lons que la première édition de La Ciguë,
rimée par Augier au sortir du collège, con-
tient, dans la liste des personnages, cette
indication typique:
CLINIAS, vieux débauché. 30 ans.
L
es surprises du téléphone.
Le hasard veut que deux numéros
téléphoniques voisins et se ressemblant
beaucoup soient attribués, l'un à l'adminis-
jjGaticn d'un théâtre du boulevard, l'autre à
un de nos plus actifs et sympathiques con-
frères, très répandu dans le monde artisti-
que.
Or, les demoiselles de Gutemberg s'obs-
tinent à passer à notre confrère les com-
munications du théâtre. Vingt fois il ré-
clama. Las, à la fin, de renvoyer les spec-
tateurs au « bon.numéro », il se résigne:
— Voulez-vous me louer les fauteuils
119 et 121 ? lui demande une voix incon-
nue.
— Je veux bien, répond-il, morne.
- Alors, je n'ai qu'à me présenter au
contrôle?
— Présentez-vous.
Là-bas, à l'autre bout du fil, on est bien
un peu surpris du peu d'empressement de
ce préposé peu loquace. Mais on l'explique
par le succès de la pièce représentée. Et
ce n'est que le soir, à l'arrivée au « gui-
gnol », que l'on s'aperçoit de quelque
chose.
u
n ioli mot d'Antoine:
Un jour — par quel prodige? —
on n avait pas répété chez lui. Oui. si
étrange, si invraisemblable que cela puisse
paraître, la scène était restée vide toute
une journée. On n'avait « travaillé » que le
soir, devant le public!
Mais. le lendemain, on mit les bouchées
doubles !
Le patron, dans la salle, écoutait. Une
des interprètes luttait en désespérée contre
un texte non encore su entièrement.
Alors, après avoir regardé sa jolie pen-
sionnaire d'un œil exempt d'indulgence,
Antoine se pencha vers son régisseur:
— C'est admirable, dit-il, on leur donne
un jour de repos et ils en profitent pour ne
rien faire ! *
L
a santé de Coquelin cadet.
Un de nos confrères publiait, hier,
une note relative à la santé de Coquelin
cadet. Cette information représentait l'état
du célèbre comédien comme s'étant subite-
ment aggravé.
Comœdia qui, jusqu'ici, s'était tu, doit à
ses lecteurs la vérité. La voici:
Coquelin cadet avait été mis en traite-
ment dans une maison de santé de Neuilly.
S'il faut préciser, nous pouvons dire que
cet établissement, à la tête duquel se trou-
vent deux spécialistes, les docteurs Bour et
Devaux, est situé boulevard du Château,
au numéro 6. A la stute d'une crise qui a
éclaté, brutalement, il y a un peu plus
d'une semaine, le grand artiste a été rendu
à sa famille, laquelle a pris les mesures
que nécessitSTt son état.
U
n homme universel.
A la suite de notre écho concernant
le prochain avènement d un roi de la finance
à la tête d'un théâtre à côté, M. Maurice
Chariot, directeur de la Comédie-Royale.
nous écrit:
Mon cher Masque de Verre,
Comme -suite à l'écho que vous avez publié
avant-hier, permettez-moi de vous dire que s'il
est vrai que l'affiche de' la Comédie-Royale doit
porter, aù mois de février, les noms de glorieu-
ses vedettes, il est tout à fait inexact qu'une
modification quelconque doive intervenir à ce
moment-là ou à un autre dans la direction qui
m'a été et me reste confiée.
Bien cordialement à vous.
Maurice CHARLOT.
N
ous avons signalé ici même le décès
de ce musicien âgé de cent deux ans
qui prenait, paraît-il, matin et soir, un verre
de quinquina Dubonnet.
On nous signale, de Bordeaux, la mort
d'un ancien vigneron, décédé à l'âge de
cent trois ans, mais notre correspondant,
occasionnel ne nous dit pas si le respecta-
ble centenaire buvait, lui aussi, du Dubon-
net.
NOUVELLE A LA MAIN
u
n auteur dramatique raté rend sa fem-
me très malheureuse. Tous les ma
tins, il lui fait une scène:
— Peut-être espère-t-il, dit un confrère,
qu'à la fin ces scènes feront une pièce!.
, Le Masque de Verre.
AU PALAIS
L'affaire Gou rron (A tVa rez)
contre Comœdia
La deuxième audience a été occupée par les plaidoiries
de M" Albert Richard et Maurice Flach et
les répliques. « A huitaine
pour le jugement.
Hier, deuxième audience du procès in-
tenté par M. Alvarez contre Comœdia. Nos
lecteurs sont au courant du procès, tant par
le dernier compte rendu des débats que par
la plaidoirie de Me Henri Robert que nous
avons publiés in extenso. Il nous a toujours
(Photo Pirou)
M4 ALBERT RICHARD
paru, en effet, que l'affaire Alvarez devait
être mise sous les yeux du public de la
façon la plus exacte et la plus complète,
afin de permettre à nos lecteurs, dont quel-
ques-uns furent en l'espèce nos collabora-
teurs, de se faire une opinion sur le droit
de critique.
C'est cette question qui est, en réalité,
soumise à la première chambre du tribunal.
C'est elle que discutait, avec unè robuste
élégance, à l'audience d'hier, M0 Albert Ri-
chard, l'un des avocats de Comœdia.
MO Albert Richard s'est attaché à démon-
trer que les droits de la critique sont sou-
verains, en tant qu'elle n'atteint pas l'hom-
me privé.
« Quiconque se consacre au public, en
« accepte à l'avance le jugement. Il cesse
« de s'appartenir. Il appartient à tout le
« monde et à chacun. Il s'expose à toutes
« les appréciations, à toutes les censures,
« même acerbes, même violentes, même
« injustes. Il doit être prêt à subir toutes
« les amertumes; et, après tout, c'est à
« ce prix-là que s'achète la réputation ou
« la gloire. Saurait-on la payer trop cher! »
Il ne faudrait pas pousser à l'excès la
thèse qui consiste à dire que la critique ne
peut porter aucune atteinte aux intérêts ma-
tériels de l'artiste.
(( Cette thèse conduirait à ce résultat
(( qu'après avoir accordé à la critique tous
« les droits, en fait on les lui retirerait
« tous. La critique serait formidablement
« armée, mais avec défense absolue de se
« servir de ses armes. »
Toute critique qui atteint un artiste dans
l'exercice de son art, l'atteint du même
coup et nécessairement dans le commerce
qu'il fait de cet art.
« Si je dis d'un comédien qu'il inter-
(( prête mal ses rôles, ou qu'il n'est pas fait
« pour les rôles qu'il interprète; si je dis
« d'une ingénue de quarante-cinq ans que
« son éternelle ingénuité finit par manquer
« un peu de fraîcheurs; si je dis d'un té-
« nor qu'ayant parcouru une brillante, mais
« très longue carrière, il a bien le droit
« d'être.un peu essoufflé, ceux dont j'aurlj.,
« ainsi parlé pourront toujours prétendre
« que je leur ai nui dans leur commerce,
« que j'ai porté atteinte à leurs intérêts
« matériels en leur rendant plus difficile
« un engagement, en fournissant un pré-
« texte pour une réduction de leur sa-
« laire. »
D'ailleurs, il y a dans le procès actuel
un intérêt d'ordre supérieur et qui passe
de beaucoup la question d'argent. C'est l'in.
térêt de l'art, du grand art.
« Il peut être loisible à un directeur de"
« petit théâtre, de music-halls, de prétendre
« qu'il n'est qu'un commerçant qui débite
« de la prose ou 'de la musique, comme
« un autre du sucre ou de la canePe, Mais
« il s'agit ici d'un théâtre subventionnée
« M. Gailhard touche une subvention poun
« l'accomplissement d'une mission dont il
« est tenu de rendre compte. La scène
« qu'il dirige, c'est l'Opéra, c'est l'Acadé-
« mie nationale de musique, chargée d'en-
« tretenir parmi nous la. connaissance dt..
« nos chefs-d'œuvre, d'assurer la grandeur
« de l'art lyrique en France et le culte dit
« Beau. Voilà l'institution qu'il faut déf tri';
« dre, et quiconque la défend, même avec!
« une passion jalouse, même avec une ar-
« deur excessive, celui-là, s'il est sincère,
« a droit à des remerciements. »
M. Alvarez ne justifie d'aucun préjudice.
Son assignation elle-même ne parle quel
d'un dommage éventuel, hypothétique. Où
sont les catastrophes qu'il avait supposées?
Voici la péroraison de l'excellent avocat:
« Ces querelles de comédiens à journa-
(( listes, quiconque a l'expérience de la v¡¡;;;
« parisienne peut-il les prendre au sérieux?
« Elles s'agitent dans un milieu spécial qur
« est celui de l'irréel, où tout se passe à
« la lumière artificielle des frises, entret
« cour et- jardin.
« Là, tout est faussé, tout est truqua
« tout est maquillé, les sentiments comme
« les visages ; tout est éphémère, la haine
« comme l'amour.
« Il se produit de temps à autre éiet
(Photo Manuel).
Me MAURICE FLACH
« grands tumultes de passions. Alors, or.
« se menace, on s'invective; 'ce sont ue>
« serments de vengeance. Toutes les colè-
« res sont déchaînées.
« Mais elles s'apaisent bientôt parce
'l'
^IBUNAL CIVIL DE LA SEINE
(Première Chambre)
Affaire Alvarez
contre Comœdia
Plaidoirie de Me Albert Richard
Est-ce b len, Messieurs, contre M. Alvarez que
je plaide J' et qui est demandeur à l'instance ac-
l'Wa ^V°Ue oue j'ai d'abord quelque peine à
me l'imaginer. M, Alvarez, en effet, jusqu'à ce
jour, personnifiait si bien à mes yeux tous les
plus nohtji es héros de la légende théâtrale! Il
était le Prophète, il était Lohengrin, il était Ro-
elas - 1 faut-il croire que le Prophète a un
procès. f-~Ce bien Lohengrin qui, déposant son
armure Qt brave les enchantements, a endossé
pardessus pour courir hâtivement chez son
huissier ? St~ce bien, Messieurs, Roméo qui,
interrompant le doux chant du rossignol, a, de
cette même yoix qui soupirait sous le balcon de
Juliette, dicté les « ou étant et parlant à », « afin
qu'il 1) et Ignore », « les ci-devant et actuelle-
ment » et toutes les expressions que connaît le
argon de la Procédure, mais qui sont si difficiles
à mettre en musique?
Aussi bien, et fort heureusement, M. Alvarez
avoir compris lui-même quelle serait sa
déchéance si Placé SI, Quittant ces régions idéales où
l'ont placé les fictions de la scène, il se présen-
tait devant nous, rout à coup, brutalement, sous
les traits d' u simple plaideur.
Il a compris cel2, M- Alvarez, et il a éprouvé,
quelque sorte, le besoin d. se dédoubler: il
s'appelle DtIle ; S1 M. Gourron. Ah' certes, sous la
modeste redingote de M. Gourron, on aurait quel-
que Dtine r®connaître le personnage auquel no-
tre anhon s'est si bien habituée à prêter
toutes les grâces et toutes les vertus, si une cir-
constance ne venait trahir ce déguisement.
En effet, il est demandé dans l'assignation que
j'ai entre les mains, cent mille francs à titre de
dommages-intérêts. Cent mille francs ! Ah !
voyons, je suppose que ce n'est pas lui, le mo-
deste Gourron, ce bon bourgeois de M. Gourron,
qui a pu songer à réclamer une pareille somme;
il en aurait, j'en suis convaincu, ressenti quelque
ébahissement. Pour se permettre d'avancer un
pareil chiffre, il faut être quelque privilégié de
la fortune, il faut être quelque Satrape qui, à
force de gagner de l'argent, arrive à perdre la no-
tion de sa valeur; il faut être un chanteur com-
me M. Alvarez, habitué, rien qu'en ouvrant la
bouche, à faire pleuvoir autour de lui une pluie
d'or.
C'est donc bien, Messieurs, contre M. Alvarez
que je plaide; et alors ..,..- qu'il me permette de
le lui dire — quelle que soit sa grande personna-
lité et de quelque poids qu'elle pèse dans cette
discussion, le procès qu'il a engagé est, en réa-
lité un bien modeste procès ; surtout, Messieurs,
devant cette première chambre où s'agitent cha-
que jour les plus graves questions de droit, où
les discussions mettent en jeu la fortune et l'hon-
neur des familles, la réclamation, les protesta-
tions indignées d'un artiste qui se plaint d'avoir
été sifflé vous paraîtront, sans nul doute, ne pré-
senter qu'un assez médiocre intérêt.
Ce procès, je le répète, est bien modeste, et
tout le monde sera de cet avis, hormis, sans
doute, M. Alvarez. Il est ténor, et c'est tout dire.
Vous savez, Messieurs, que les ténors ont
une mentalité particulière; ce n'est pas tout à fait
de leur faute si leur personnalité, en certains cas,
se fait un peu encombrante; ils sont si bien les
enfants gâtés du public, ceux que l'on admire,
ceux que l'on encense, ceux qu'une foule en dé-
lire acclame tous les soirs ; on dit même que leur
prestige subsiste quelauefois encore même après
qu'ils ont quitté la scène; et ce sont alors pour
eux d'a apothéoses, quoique sans lumière
électriqt: Gammes de bengale.
Pour v arez, Messieurs, qui est ténor, ce
procès e contraire, le plus considérable des
procès, "ui émeut au plus haut point l'opi-
; Me- ALBERT RICHARD
Me MAURICE FLACH
nion, un procès devant lequel s'effacent et dis-
paraissent immédiatement toutes les autres préoc-
cupations du public et dont le monde entier attend
avec angoisse le dénouement..,
Dans ce procès, M. Alvarez voit d'abord une
œuvre de haute justice, c'est-à-dire la punition,
le châtiment exemplaire de celui qui s'est permis
d'offenser l'un des rois du jour, en commettant
un crime de lèse-majesté. Dans ce procès, M.
Alvarez voit encore, ce qui n'est pas à dédaigner,
une bonne réclame pour lui, car il suppose bien
qu'il sera désormais interdit, par autorité de jus-
tice, à quiconque, de dire qu'il peut chanter faux.
Il n'a qu'un regret, M. Alvarez, si le succès
venait répondre à son attente: ce serait de n'être
pas présent à votre audience, le jour où vous ren-
drez votre décision pour pouvoir alors saluer la
justice congrument, selon les traditions du théâ-
tre, c'est-à-dire le jarret tendu, la main droite
posée sur le cœur avec un sourire figé et des
regards mouillés de gratitude.
Les articles, Messieurs, qui sont incriminés de-
vant vous, ont paru dans Comœdia. Comœdia est
ce que son titre indique; il a été créé, il y a
quelques mois, par mon client, M. Desgrange,
dont la très sympathique, et je puis dire très
grande personnalité, ne me semble avoir été
mêlée à ce procès que pour lui donner plus
d'éclat.
Du jour de son apparition, Comœdia a obtenu
le plus vif succès ; il est imprimé sur six pages ;
il tire actuellement à 70.000 exemplaires, et pour-
tant, Messieurs, il est exclusivement consacré
aux questions théâtrales.
Je laisserai à d'autres le soin de rechercher
pourquoi le théâtre occupe une si grande place
dans les préoccupations de la société actuelle,
et non pas seulement, remarquez-le, le théâtre
qui nous vaut, après tout, quelques-unes de nos
plus délicates jouissances, mais encore et sur-
tout ce qu'on pourrait appeler les à côté du
théâtre..
D'où vient, en d'autres termes, cette inlassa-
ble curiosité du public, qui veut suivre les comé-
diens même après qu'ils ont quitte la scène, qui
s'attache à leur vie privée, aUI épie leurs moin-
dres geStes, leurs moindres mots pour être en-
suite rapportés en des interviews sensationnelles?
De graves censeurs prétendront, peut-être, que
c'est un signe des temps, un signe de décadence,
un témoignage fâcheux de la fragilité de nos es-
prits le crois, Messieurs, qu'il ne faut peut-être
pas aller aussi loin, et, selon moi, cet engoue-
ment peut-être excessif du public pour les choses
et les gens de théâtre, vient tout simplement de
la nécessité où nous sommes de chercher un dé-
lassement à nos travaux quotidiens, de trouver
un terrain neutre qui, dans les salons, se prête
à des conversations faciles, à des conversations
accessibles à tous les esprits et dont sont formel-
lement exclues ces questions politiques si sca-
breuses, si irritantes, et qui sont, vous le savez,
Messieurs, la terreur des maîtresses de maisons.
Toutefois, il ne faudrait pas se placer, vous
l'entendez bien, à un point de vue aussi étroit,
aussi mesquin, à un point de vue de cabotinage
— assez-moi le mot — pour comprendre com-
ment Comœdia a obtenu, ainsi que je le disais
tout à l'heure, si rapidement, le pjus éclatant
succès. Si ce journal a immédiatement rencontré
la faveur du public, c'est, croyez-le bien, parce
Qu'il a répondu à un besoin, et celui-là, plus no-
ble, plus impérieux. On peut dire justement, dans
le cas actuel, que c'est le besoin qui a créé l'or-
gane.
En effet, un homme s'est rencontré qt i. n'ap-
partenant pas au théâtre — vous l'avez dit, rrcn
cher confrère, à la dernière audience, et c'est
exact - a néanmoins entrepris — et ceci est tout
a A son honneur — de prendre en mains les inté-
rêts du théâtre, ces intérêts si souvent méconnus,
ces intérêts si singulièrement compromis par
1 ignorance et par la rapacité des directeurs ou
par la tolérance et les veuleries de la critique,
par le sans-gêne et l'insuffisance des comédiens.
M. Desgrange a pensé que le moment était
venu de créer une feuille quotidienne qui trai-
terait des questions théâtrales, de toutes les
questions théâtrales, avec une impartialité que
lui assurerait précisément son indépendance. Là.
toutes les vérités seraient dites, toutes les opi-
nions pourraient s'exprimer librement; là, mes
sieurs, le public trouverait la manifestation de
ses désirs, de ses préoccupations personnelles,
de ses plaintes si souvent étouffées.
Oh! je sais à merveille qu'à l'annonce de ce
programme, beaucoup ont souri ou se sont con-
tentés de hausser les épaules; plus d'un direc-
teur a pensé que ce beau zèle n'irait pas bien
loin, et qu'il suffirait pour le calmer de quelques
communiqués bien payés, de quelques complai-
sances et surtout d'une abondante distribution
de billets de faveur. Mais la surprise a été gran-
de, quand on a été obligé de constater, au con-
traire, que Comœdia tenait tous ses engage-
ments, c'est-à-dire qu'il renseignait vraiment le
public, que les articles qu'il publiait n'étaient
pas des articles de réclame et que, mieux q::e
cela, ses rédacteurs allaient chaque jour, chaque
soir, dans les principaux théâtres de Paris pour
exercer une surveillance indépendante et pour,
en quelque sorte, monter la garde autour des
chefs-d'œuvre de l'art lyrique et dramatique. Et
alors, comme il fallait, s'y attendre, ce fut une
explosion de colère, une levée de boucliers; ce
fut une coalition Darmi toutes les omnipotences
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.96%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.96%.
- Auteurs similaires La Landelle Gabriel de La Landelle Gabriel de /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "La Landelle Gabriel de" or dc.contributor adj "La Landelle Gabriel de")Chansons du marin français au temps de la marine en bois, recueillies et illustrées par Guy Arnoux [extraites du "Gaillard d'avant", chansons maritimes / par G. de La Landelle] /ark:/12148/bd6t54192953c.highres Le dernier des flibustiers. Fascicule 3 / par G. de La Landelle /ark:/12148/bd6t5781494g.highres
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/6
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k7646479k/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k7646479k/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k7646479k/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k7646479k/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k7646479k
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k7646479k
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k7646479k/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest