Titre : Dimanche illustré
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Éditeur : [s.n.][s.n.] (Marseille)
Éditeur : [s.n.][s.n.] (Lyon)
Date d'édition : 1927-01-30
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32757502n
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 30 janvier 1927 30 janvier 1927
Description : 1927/01/30. 1927/01/30.
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG13 Collection numérique : BIPFPIG13
Description : Collection numérique : BIPFPIG69 Collection numérique : BIPFPIG69
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k9112098p
Source : La Cité internationale de la bande dessinée et de l'image
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 30/08/2020
■_ LE 30 JANVIER 1927 mil 5 miîiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiih ni /mu ni ni iinnnnnnnnn DIMANCHE-ILLUSTRÉ ninni
LES ROMANS DE LA VIE
RUBENS, PEINTRE D’APPARAT ET DIPLOMATE
par GASTON DER YS
un art qui, dans son pays, s’appro-
A\ chait de la perfection, le prodi-
H \\ gieux Flamand apporta des accents
* ' nouveaux. A la minutie savante,
-ià la vigueur du réalisme, il ajouta
le souffle de l’idéal et l’envolée du
lyrisme. Il bondit dans les espaces illimités
de l’imagination.
Mais Rubens fut autre chose que ce peintre
magnifique.
D’abord, un grand diplomate, un homme
public chargé de missions importantes et déli
cates, en qui les rois déposaient leur confiance.
Puis il mena une existence véritablement prin-
cière ; il fut un merveilleux patricien. Comblé
d’honneurs, gorgé d’hommages, il se meut dans
le plus extraordinaire et le plus fastueux des
romans. La gloire vient à lui sans qu’il la sol
licite. Le génie coule de sa main et de son cer
veau avec une spontanéité de source. Ce sur
homme brille comme un météore. Et c’est cette
vie exceptionnellement éclatante, cette vie toute
tissue de splendeurs et d’orfrois, que nous
allons essayer d’évoquer.
P ierre-Paul Rubens _ vit le jour en West-
phalie, en 1577, d’une famille noble qui
tire son origine de Styrie et qui s’établit à
Anvers au début du XVI e siècle.
Son père avait exercé de hautes magistra
tures dans cette dernière ville, mais les troubles
religieux l’en avaient éloigné. Dernier de sept
enfants, Pierre-Paul était destiné à la robe. Il
avait dix ans quand son père mourut. Sa mère
revint à Anvers, où elle était née. Rubens y
continua ses études, parla et écrivit bientôt le
atin aussi facilement que sa langue maternelle.
IL est agréé, en qualité de page, dans une
des plus nobles familles de Flandre. Mais il ne
tarda pas à se dégoûter de la vie d’oisiveté qu’il
y menait, et il annonça à sa famille qu’il sentait
s’éveiller en lui une vocation de peintre. Au
bout de quatre ans d’études, il se montrait supé
rieur aux professeurs qu’on lui donna. Il partit
pour l’Italie à l’âge de vingt-trois ans, afin de
se perfectionner dans son art au contact des
maîtres de la Renaissance.
Là, son génie s’émancipera et acquerra une
souplesse et une liberté qui manquent à ses
premières productions.
A Venise, il se grise du Titien et s’enivre de
Véronèse. Le duc de Manïoue l’attire bientôt
à sa cour, charmé à la fois de ses talents et de
son érudition. Il gagne à tel point la confiance
de ce prince que celui-ci l’envoie à la cour
d’Espagne pour présenter au roi Philippe III
de riches présents. Voilà la première mission
diplomatique de Rubens, qui s’en acquitta
avec une habileté qui lui valut les plus grands
compliments.
Nous le trouvons ensuite à Rome, où il copie
' les toiles des maîtres ; à Florence, où le grand-
duc lui demande d’orner la galerie des peintres
célèbres de son portrait peint par lui-même
ét lui fait exécuter plusieurs toiles. Les Car-
rache l’attirent à Bologne, les magnifiques colo
ristes de l’école vénitienne le ramènent à Venise.
Le voici encore à Rome, où le pape et les car
dinaux l’accablent de commandes. A Gênes,
les premiers magistrats et la noblesse lui ré
servent un accueil extrêmement flatteur. Sou
dain, il apprend que sa mère est gravement
malade et se hâte vers la Flandre. Il reçoit, en
route, la nouvelle de la mort de cette mère bien-
aimée et se retire à l’abbaye de Saint-Michel,
près de Bruxelles, tout abîmé de douleur.
Quand il reparaît à Anvers, les honneurs
qu’il reçoit sont ceux qu’on réserve aux princes
les plus distingués. Ainsi, non seulement
Rubens n’aura connu aucune des difficultés,
des angoisses, des luttes, des hostilités, des
injustices qui sont presque toujours l’inévi
table rançon du génie, mais, par une complai
sance inouïe et quasi surnaturelle du destin,
tout s’aplanit devant lui ; les fruits de la ri
chesse et de la gloire s’abaissent doucement
pour que sa main les cueille. L’extraordinaire,
c’est que cette facilité miraculeuse d’une vie
protégée par toutes les bonnes fées m’ait point
gâté son génie. Au contraire, il ne cesse de
s’élever et de s’exalter. Après la période de
début, qui était déjà d’un maître, c’est l’éman
cipation de la période italienne, avec la Sainte-
Trinité, Sainte-Hélène, l’Erection de la Croix
de l’hôpital de Grasse, les Scènes de la vie de
Jésus et des Apôtres du musée du Prado, la
Transfiguration du musée de Nancy. Nous voici
au seuil de la période anversoise. Le génie se
manifeste avec une abondance, une fougue,
une puissance, un éclat qui tiennent du pro
dige. Et ce'sont ces magnifiques toiles du musée
d’Anvers, comme l’Adoration des Mages; c'est
la Descente de. croix de la cathédrale d’Anvers,
la Pêche miraculeuse de la cathédrale de Ma-
r
On a coutume de célébrer, en Rubens, un des plus grands
génies de la peinture. Dans cette page, notre collaborateur,
Gaston Derys, nous fait assister à l’essor du maître, à son
développement et à sa magnifique existence.
^ - ^
fines, la Bataille des Amazones, la Chasse aux
Lions du musée de Munich, la Kermesse du
Louvre...
Veut-il retourner en Italie, dont le climat
convenait mieux à sa santé' et dont 1 atmo
sphère de chefs-d’œuvre manquait à son es
prit ? L'archiduc Albert, gouverneur des Pays-
Bas, l’enchaîne en Flandre par ses bienfaits,
l’appelle à la cour de Bruxelles, le gratifie d’une
pension considérable, du titre de chambellan.
Mais Rubens veut fuir les fêtes de la cour pour
travailler dans le calme. On l’autorise à rési
der à Anvers, où il se fait bâtir une maison
somptueuse, véritable palais. “ Il orna, écrit
un de ses biographes, d’une collection de belles
peintures et de précieux morceaux de sculp
ture antique, une rotonde qu’il avait fait élever
il s’attaque à des sujets profanes et se joue,
avec une virtuosité frémissante et allègre, dans
le paganisme de la Renaissance. Ce sont des
silènes épais et rieurs, des nymphes épanouies
aux chairs nacrées. Mais ce n’est pas un Olympe
de commande. Tous ces demi-dieux et ces
faunesses éclatent d’une vie profonde, et leurs
modèles sont pris dans la vie, reflètent la joie
des kermesses et la splendeur rayonnante des
Flamandes aux joues colorées et aux opulentes
carnations.
Rubens vit entouré d'élèves qui le vénèrent
et qui porteront ces grands noms : Jordaëns,
Van Dyck, Van Egmont, Jean Breughel, Simon
de Vos, les Téniers. Ils travaillaient sous sa
direction et se soumettaient avec piété à sa
discipline. Ils développaient ses esquisses, que
Rubens, peint par lui-même
exprès entre cour et jardin et qui était percée
de grandes fenêtres cintrées et surmontée d un
dôme. L’atelier qu’il fit également construire
n’était pas moins remarquable par son éten
due que par la beauté de son escalier.
Cette princière demeure demandait une
maîtresse de maison. A trente-trois ans, Rubens
épouse la belle Isabelle Brandt, nièce de la
femme de son frère aîné, Philippe Rubens,
secrétaire de la ville d’Anvers. L’archiduc
Albert tint à tenir sur les fonts baptismaux son
premier enfant.
Peu de temps après son mariage, Rubens
exécute ce délicieux Portrait du peintre et de sa
femme qui se trouve à la Pinacothèque de Mu
nich et qui traduit, dans une symphonie si
émouvante et si délicate, la félicité des deux
époux : elle, tendre, gracieuse, câline ; lui, épa
noui, dans sa robuste et aristocratique beauté,
de fierté sereine et fervente.
U
NE vie de travail ordonné et fécond s’ouvre
devant Rubens. Il se lève avec l’aurore et
peint jusqu’à cinq heures, ne coupant cette
longue séance que par un repas. Le soir, il
s’entretient avec les hommes les plus distin
gués de son époque, il enrichit son esprit, déjà
si cultivé, par la lecture des philosophes et des
savants. Il peint beaucoup de tableaux reli
gieux, des tryptiques, la fameuse Descente de
croix de la cathédrale d’Anvers, tableau dont
lé succès fut tel qu’il lui fallut le répéter sou
vent, en variant les attitudes. Simultanément
le maître retouchait et mettait au point, cha
cun gardant sa spécialité, celui-ci les mains,
celui-là les chevaux, cet autre les ciels, cet
autre encore les bocages.
Sa renommée s’étend sur l’Europe : Marie
de Médicis l’appelle à Paris pour lui confier la
décoration de la galerie d’honneur de son palais
du Luxembourg. En moins de deux années
il exécute dans son atelier les vingt et une toiles
magnifiques qui, à travers l’ingénieuse har
monie des allégories, évoquent, en les glori
fiant, les circonstances les plus marquantes de
l’histoire de la reine.
Ces vastes peintures, exécutées comme par
enchantement, et où son génie se jouait avec
autant d’aisance, dans un éblouissant équilibre
de formes et de couleurs, que si son pinceau
se fût exercé sur une esquisse, provoquent des
admirations enthousiastes, et la reine lui de
mande d’exécuter une seconde suite de tableaux
consacrés aux hauts faits de Henri IV, qui
devaient trouver place dans une galerie parallèle.
Rubens en entreprit les esquisses, dont deux,
la Bataille d’Iury et l’Entrée de Henri IV à
Paris, se trouvent au musée des Offices, à Flo
rence. Mais Marie de Médicis se brouille avec
Louis XIII et s’en fut quérir un refuge à la
cour de Bruxelles, avec son second fils, Gaston
d’Orléans. Le projet d’apothéose picturale fut
suspendu. Les six esquisses commencées
furent dispersées à la mort de Rubens.
Si Rubens n’achève point le monument qu'il
devait ériger à la gloire de Henri IV, il est
chargé d’obtenir la médiation de l’infante Isa
belle et du roi d’Espagne dans le différend qui
séparait Marie de Médicis de son fils. Tout
son crédit et toute son habileté ne purent faire
aboutir cette négociation, et la reine s’en fut
terminer ses jours, dans l'isolement et la gêne,
à Cologne, où elle mourut, par une coïncidence
curieuse, dans une maison que le peintre avait
îabitée durant son enfance.
Rubens avait fait connaissance, à Paris, du
duc de Buckingham, favori de Charles I er , roi
d’Angleterre, qui l’engagea à travailler à dis
siper les malentendus qui s’élevaient entre les
couronnes d’Espagne et d’Angleterre.. Il s’ou
vrit de ce désir à l’archiduchesse Isabelle, veuve
du gouverneur des Pays-Bas, qui lui conseilla
d entretenir un commerce épistolaire avec
Buckingham, tandis qu’elle négocierait avec
a cour d’Espagne. Nous le voyons remplir
une mission à Delft, au nom de l’archidu
chesse, puis à Londres, en qualité d’ambassa
deur, au nom du roi d’Espagne.
Croyant qu’il allait renoncer à la peinture
jour se consacrer tout entier à la diplomatie,
Buckingham demande à Rubens de lui vendre
sa collection de tableaux et d’antiques. Rubens
iésita longtemps avant de céder à ses sollicita
tions amicales, mais il se reconstitua en peu de
temps un cabinet de haut goût.
Rubens avait reçu un coup terrible en per
dant sa femme, qu’il adorait, à la veille de la
cinquantaine. C’est pour endormir sa douleur
qu’il accepte ces missions diplomatiques, qui
'entraînent en Angleterre, puis à Madrid, où,
sous prétexte de portraiturer la famille royale,
il poursuit la réconciliation de l’Angleterre et
de l’Espagne. Anobli par Charles I er , anobli par
sabelle, comblé d’honneurs, c’est encore lui
qu’on charge de traiter avec le prince d’Orange,
ors de la rébellion de la Hollande contre les
■’ays-Bas espagnols.
E NFIN, un événement intervient, qui resti
tuera Rubens tout à la peinture. A cinquante-
quatre ans, il épouse Hélène Fourment, jeune
fille de seize ans d’une admirable beauté, à la
ois robuste et délicate et d’un teint éblouis- •
sant.
Dès lors, dans toutes les œuvres du grand
peintre, apparaîtront les grâces charmantes
d’Hélène Fourment, passionnément aimée par
son mari, dont le talent, tout en conservant
son énergie et sa force, se veloute d’une sorte
de tendresse et unit la douceur à la fougue.
Fort nombreux sent les portraits de la déli
cieuse Hélène, particulièrement à Munich. Le
Louvre nous montie Hélène et ses deux enfants.
A Londres, à Berlin, à Vienne, nous pouvons
l’admirer sous les traits d’une déesse. Mais les
plus beaux portraits sont en Angleterre.
Rubens s’attaque encore, et avec le plus rare
bonheur, à de grandes compositions histo
riques, mythologiques ou religieuses, comme
l'Enlèvement des Sabines de la National Gallery,
la Kermesse du Louvre, le Martyre de Saint-
Liévin de Bruxelles. Pour se délasser, il traduit
les paysages qui environnent son fastueux châ
teau de Steen, à quelques lieues d’Anvers.
Il fait preuve d’une inlassable activité. Jamais
sa production n'a été si féconde ni si magni
fique. Et, comme l’observe un des critiques
qui ont étudié son œuvre : “ Il semble que,
pendant qu’il peignait, un génie, l’enlevant
d’un coup d’aile, séparait Rubens du reste des
humains.
Périès conte que, lorsqu'il travaillait, “ il
avait près de lui une personne qui lui lisait
des passages de Plutarque, de Tite-Live, de
Tacite, d’Homère ou de Virgile, ou les ouvrages
qui avaient du rapport au sujet qu'il exécutait ”,
Il parlait avec autant d’aisance que sa langue
maternelle le français, l’anglais, l’espagnol,
l’italien. La marche, l’équitation, la chasse, le
plaisir de' recevoir ses amis, telles étaient ses
distractions.
Malgré cette vie si saine et si bien ordonnée,
Rubens, à cinquante-sept ans, souffrit de
cruelles attaques de goutte, qui finirent par
l’empêcher de peindre et l’emportèrent en 1640.
Anvers lui fit des funérailles splendides,
auxquelles assistèrent toutes les corporations.
Sa veuve lui dédia un mausolée superbe, dans
l’église Saint-Jacques d’Anvers, et l’orna d'une
toile du maître figurant la Vierge entourée de
saints, où l’on assure qu’il s’est peint sous les
traits de saint Georges et qu’il a reproduit
l’effigie de ses deux femmes.
Les souverains de l’Europe se disputèrent
les tableaux et les objets de curiosité de ses
collections. Quant à Hélène Fourment, veuve
à vingt-six ans avec cinq enfants et immorta
lisée dans tous les grands musées, elle se
remaria, vers la trentaine, avec un diplomate»
_ Gaston Derys.
LES ROMANS DE LA VIE
RUBENS, PEINTRE D’APPARAT ET DIPLOMATE
par GASTON DER YS
un art qui, dans son pays, s’appro-
A\ chait de la perfection, le prodi-
H \\ gieux Flamand apporta des accents
* ' nouveaux. A la minutie savante,
-ià la vigueur du réalisme, il ajouta
le souffle de l’idéal et l’envolée du
lyrisme. Il bondit dans les espaces illimités
de l’imagination.
Mais Rubens fut autre chose que ce peintre
magnifique.
D’abord, un grand diplomate, un homme
public chargé de missions importantes et déli
cates, en qui les rois déposaient leur confiance.
Puis il mena une existence véritablement prin-
cière ; il fut un merveilleux patricien. Comblé
d’honneurs, gorgé d’hommages, il se meut dans
le plus extraordinaire et le plus fastueux des
romans. La gloire vient à lui sans qu’il la sol
licite. Le génie coule de sa main et de son cer
veau avec une spontanéité de source. Ce sur
homme brille comme un météore. Et c’est cette
vie exceptionnellement éclatante, cette vie toute
tissue de splendeurs et d’orfrois, que nous
allons essayer d’évoquer.
P ierre-Paul Rubens _ vit le jour en West-
phalie, en 1577, d’une famille noble qui
tire son origine de Styrie et qui s’établit à
Anvers au début du XVI e siècle.
Son père avait exercé de hautes magistra
tures dans cette dernière ville, mais les troubles
religieux l’en avaient éloigné. Dernier de sept
enfants, Pierre-Paul était destiné à la robe. Il
avait dix ans quand son père mourut. Sa mère
revint à Anvers, où elle était née. Rubens y
continua ses études, parla et écrivit bientôt le
atin aussi facilement que sa langue maternelle.
IL est agréé, en qualité de page, dans une
des plus nobles familles de Flandre. Mais il ne
tarda pas à se dégoûter de la vie d’oisiveté qu’il
y menait, et il annonça à sa famille qu’il sentait
s’éveiller en lui une vocation de peintre. Au
bout de quatre ans d’études, il se montrait supé
rieur aux professeurs qu’on lui donna. Il partit
pour l’Italie à l’âge de vingt-trois ans, afin de
se perfectionner dans son art au contact des
maîtres de la Renaissance.
Là, son génie s’émancipera et acquerra une
souplesse et une liberté qui manquent à ses
premières productions.
A Venise, il se grise du Titien et s’enivre de
Véronèse. Le duc de Manïoue l’attire bientôt
à sa cour, charmé à la fois de ses talents et de
son érudition. Il gagne à tel point la confiance
de ce prince que celui-ci l’envoie à la cour
d’Espagne pour présenter au roi Philippe III
de riches présents. Voilà la première mission
diplomatique de Rubens, qui s’en acquitta
avec une habileté qui lui valut les plus grands
compliments.
Nous le trouvons ensuite à Rome, où il copie
' les toiles des maîtres ; à Florence, où le grand-
duc lui demande d’orner la galerie des peintres
célèbres de son portrait peint par lui-même
ét lui fait exécuter plusieurs toiles. Les Car-
rache l’attirent à Bologne, les magnifiques colo
ristes de l’école vénitienne le ramènent à Venise.
Le voici encore à Rome, où le pape et les car
dinaux l’accablent de commandes. A Gênes,
les premiers magistrats et la noblesse lui ré
servent un accueil extrêmement flatteur. Sou
dain, il apprend que sa mère est gravement
malade et se hâte vers la Flandre. Il reçoit, en
route, la nouvelle de la mort de cette mère bien-
aimée et se retire à l’abbaye de Saint-Michel,
près de Bruxelles, tout abîmé de douleur.
Quand il reparaît à Anvers, les honneurs
qu’il reçoit sont ceux qu’on réserve aux princes
les plus distingués. Ainsi, non seulement
Rubens n’aura connu aucune des difficultés,
des angoisses, des luttes, des hostilités, des
injustices qui sont presque toujours l’inévi
table rançon du génie, mais, par une complai
sance inouïe et quasi surnaturelle du destin,
tout s’aplanit devant lui ; les fruits de la ri
chesse et de la gloire s’abaissent doucement
pour que sa main les cueille. L’extraordinaire,
c’est que cette facilité miraculeuse d’une vie
protégée par toutes les bonnes fées m’ait point
gâté son génie. Au contraire, il ne cesse de
s’élever et de s’exalter. Après la période de
début, qui était déjà d’un maître, c’est l’éman
cipation de la période italienne, avec la Sainte-
Trinité, Sainte-Hélène, l’Erection de la Croix
de l’hôpital de Grasse, les Scènes de la vie de
Jésus et des Apôtres du musée du Prado, la
Transfiguration du musée de Nancy. Nous voici
au seuil de la période anversoise. Le génie se
manifeste avec une abondance, une fougue,
une puissance, un éclat qui tiennent du pro
dige. Et ce'sont ces magnifiques toiles du musée
d’Anvers, comme l’Adoration des Mages; c'est
la Descente de. croix de la cathédrale d’Anvers,
la Pêche miraculeuse de la cathédrale de Ma-
r
On a coutume de célébrer, en Rubens, un des plus grands
génies de la peinture. Dans cette page, notre collaborateur,
Gaston Derys, nous fait assister à l’essor du maître, à son
développement et à sa magnifique existence.
^ - ^
fines, la Bataille des Amazones, la Chasse aux
Lions du musée de Munich, la Kermesse du
Louvre...
Veut-il retourner en Italie, dont le climat
convenait mieux à sa santé' et dont 1 atmo
sphère de chefs-d’œuvre manquait à son es
prit ? L'archiduc Albert, gouverneur des Pays-
Bas, l’enchaîne en Flandre par ses bienfaits,
l’appelle à la cour de Bruxelles, le gratifie d’une
pension considérable, du titre de chambellan.
Mais Rubens veut fuir les fêtes de la cour pour
travailler dans le calme. On l’autorise à rési
der à Anvers, où il se fait bâtir une maison
somptueuse, véritable palais. “ Il orna, écrit
un de ses biographes, d’une collection de belles
peintures et de précieux morceaux de sculp
ture antique, une rotonde qu’il avait fait élever
il s’attaque à des sujets profanes et se joue,
avec une virtuosité frémissante et allègre, dans
le paganisme de la Renaissance. Ce sont des
silènes épais et rieurs, des nymphes épanouies
aux chairs nacrées. Mais ce n’est pas un Olympe
de commande. Tous ces demi-dieux et ces
faunesses éclatent d’une vie profonde, et leurs
modèles sont pris dans la vie, reflètent la joie
des kermesses et la splendeur rayonnante des
Flamandes aux joues colorées et aux opulentes
carnations.
Rubens vit entouré d'élèves qui le vénèrent
et qui porteront ces grands noms : Jordaëns,
Van Dyck, Van Egmont, Jean Breughel, Simon
de Vos, les Téniers. Ils travaillaient sous sa
direction et se soumettaient avec piété à sa
discipline. Ils développaient ses esquisses, que
Rubens, peint par lui-même
exprès entre cour et jardin et qui était percée
de grandes fenêtres cintrées et surmontée d un
dôme. L’atelier qu’il fit également construire
n’était pas moins remarquable par son éten
due que par la beauté de son escalier.
Cette princière demeure demandait une
maîtresse de maison. A trente-trois ans, Rubens
épouse la belle Isabelle Brandt, nièce de la
femme de son frère aîné, Philippe Rubens,
secrétaire de la ville d’Anvers. L’archiduc
Albert tint à tenir sur les fonts baptismaux son
premier enfant.
Peu de temps après son mariage, Rubens
exécute ce délicieux Portrait du peintre et de sa
femme qui se trouve à la Pinacothèque de Mu
nich et qui traduit, dans une symphonie si
émouvante et si délicate, la félicité des deux
époux : elle, tendre, gracieuse, câline ; lui, épa
noui, dans sa robuste et aristocratique beauté,
de fierté sereine et fervente.
U
NE vie de travail ordonné et fécond s’ouvre
devant Rubens. Il se lève avec l’aurore et
peint jusqu’à cinq heures, ne coupant cette
longue séance que par un repas. Le soir, il
s’entretient avec les hommes les plus distin
gués de son époque, il enrichit son esprit, déjà
si cultivé, par la lecture des philosophes et des
savants. Il peint beaucoup de tableaux reli
gieux, des tryptiques, la fameuse Descente de
croix de la cathédrale d’Anvers, tableau dont
lé succès fut tel qu’il lui fallut le répéter sou
vent, en variant les attitudes. Simultanément
le maître retouchait et mettait au point, cha
cun gardant sa spécialité, celui-ci les mains,
celui-là les chevaux, cet autre les ciels, cet
autre encore les bocages.
Sa renommée s’étend sur l’Europe : Marie
de Médicis l’appelle à Paris pour lui confier la
décoration de la galerie d’honneur de son palais
du Luxembourg. En moins de deux années
il exécute dans son atelier les vingt et une toiles
magnifiques qui, à travers l’ingénieuse har
monie des allégories, évoquent, en les glori
fiant, les circonstances les plus marquantes de
l’histoire de la reine.
Ces vastes peintures, exécutées comme par
enchantement, et où son génie se jouait avec
autant d’aisance, dans un éblouissant équilibre
de formes et de couleurs, que si son pinceau
se fût exercé sur une esquisse, provoquent des
admirations enthousiastes, et la reine lui de
mande d’exécuter une seconde suite de tableaux
consacrés aux hauts faits de Henri IV, qui
devaient trouver place dans une galerie parallèle.
Rubens en entreprit les esquisses, dont deux,
la Bataille d’Iury et l’Entrée de Henri IV à
Paris, se trouvent au musée des Offices, à Flo
rence. Mais Marie de Médicis se brouille avec
Louis XIII et s’en fut quérir un refuge à la
cour de Bruxelles, avec son second fils, Gaston
d’Orléans. Le projet d’apothéose picturale fut
suspendu. Les six esquisses commencées
furent dispersées à la mort de Rubens.
Si Rubens n’achève point le monument qu'il
devait ériger à la gloire de Henri IV, il est
chargé d’obtenir la médiation de l’infante Isa
belle et du roi d’Espagne dans le différend qui
séparait Marie de Médicis de son fils. Tout
son crédit et toute son habileté ne purent faire
aboutir cette négociation, et la reine s’en fut
terminer ses jours, dans l'isolement et la gêne,
à Cologne, où elle mourut, par une coïncidence
curieuse, dans une maison que le peintre avait
îabitée durant son enfance.
Rubens avait fait connaissance, à Paris, du
duc de Buckingham, favori de Charles I er , roi
d’Angleterre, qui l’engagea à travailler à dis
siper les malentendus qui s’élevaient entre les
couronnes d’Espagne et d’Angleterre.. Il s’ou
vrit de ce désir à l’archiduchesse Isabelle, veuve
du gouverneur des Pays-Bas, qui lui conseilla
d entretenir un commerce épistolaire avec
Buckingham, tandis qu’elle négocierait avec
a cour d’Espagne. Nous le voyons remplir
une mission à Delft, au nom de l’archidu
chesse, puis à Londres, en qualité d’ambassa
deur, au nom du roi d’Espagne.
Croyant qu’il allait renoncer à la peinture
jour se consacrer tout entier à la diplomatie,
Buckingham demande à Rubens de lui vendre
sa collection de tableaux et d’antiques. Rubens
iésita longtemps avant de céder à ses sollicita
tions amicales, mais il se reconstitua en peu de
temps un cabinet de haut goût.
Rubens avait reçu un coup terrible en per
dant sa femme, qu’il adorait, à la veille de la
cinquantaine. C’est pour endormir sa douleur
qu’il accepte ces missions diplomatiques, qui
'entraînent en Angleterre, puis à Madrid, où,
sous prétexte de portraiturer la famille royale,
il poursuit la réconciliation de l’Angleterre et
de l’Espagne. Anobli par Charles I er , anobli par
sabelle, comblé d’honneurs, c’est encore lui
qu’on charge de traiter avec le prince d’Orange,
ors de la rébellion de la Hollande contre les
■’ays-Bas espagnols.
E NFIN, un événement intervient, qui resti
tuera Rubens tout à la peinture. A cinquante-
quatre ans, il épouse Hélène Fourment, jeune
fille de seize ans d’une admirable beauté, à la
ois robuste et délicate et d’un teint éblouis- •
sant.
Dès lors, dans toutes les œuvres du grand
peintre, apparaîtront les grâces charmantes
d’Hélène Fourment, passionnément aimée par
son mari, dont le talent, tout en conservant
son énergie et sa force, se veloute d’une sorte
de tendresse et unit la douceur à la fougue.
Fort nombreux sent les portraits de la déli
cieuse Hélène, particulièrement à Munich. Le
Louvre nous montie Hélène et ses deux enfants.
A Londres, à Berlin, à Vienne, nous pouvons
l’admirer sous les traits d’une déesse. Mais les
plus beaux portraits sont en Angleterre.
Rubens s’attaque encore, et avec le plus rare
bonheur, à de grandes compositions histo
riques, mythologiques ou religieuses, comme
l'Enlèvement des Sabines de la National Gallery,
la Kermesse du Louvre, le Martyre de Saint-
Liévin de Bruxelles. Pour se délasser, il traduit
les paysages qui environnent son fastueux châ
teau de Steen, à quelques lieues d’Anvers.
Il fait preuve d’une inlassable activité. Jamais
sa production n'a été si féconde ni si magni
fique. Et, comme l’observe un des critiques
qui ont étudié son œuvre : “ Il semble que,
pendant qu’il peignait, un génie, l’enlevant
d’un coup d’aile, séparait Rubens du reste des
humains.
Périès conte que, lorsqu'il travaillait, “ il
avait près de lui une personne qui lui lisait
des passages de Plutarque, de Tite-Live, de
Tacite, d’Homère ou de Virgile, ou les ouvrages
qui avaient du rapport au sujet qu'il exécutait ”,
Il parlait avec autant d’aisance que sa langue
maternelle le français, l’anglais, l’espagnol,
l’italien. La marche, l’équitation, la chasse, le
plaisir de' recevoir ses amis, telles étaient ses
distractions.
Malgré cette vie si saine et si bien ordonnée,
Rubens, à cinquante-sept ans, souffrit de
cruelles attaques de goutte, qui finirent par
l’empêcher de peindre et l’emportèrent en 1640.
Anvers lui fit des funérailles splendides,
auxquelles assistèrent toutes les corporations.
Sa veuve lui dédia un mausolée superbe, dans
l’église Saint-Jacques d’Anvers, et l’orna d'une
toile du maître figurant la Vierge entourée de
saints, où l’on assure qu’il s’est peint sous les
traits de saint Georges et qu’il a reproduit
l’effigie de ses deux femmes.
Les souverains de l’Europe se disputèrent
les tableaux et les objets de curiosité de ses
collections. Quant à Hélène Fourment, veuve
à vingt-six ans avec cinq enfants et immorta
lisée dans tous les grands musées, elle se
remaria, vers la trentaine, avec un diplomate»
_ Gaston Derys.
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