Titre : Dimanche illustré
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Éditeur : [s.n.][s.n.] (Marseille)
Éditeur : [s.n.][s.n.] (Lyon)
Date d'édition : 1925-09-27
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32757502n
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 27 septembre 1925 27 septembre 1925
Description : 1925/09/27. 1925/09/27.
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG13 Collection numérique : BIPFPIG13
Description : Collection numérique : BIPFPIG69 Collection numérique : BIPFPIG69
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k9112039t
Source : La Cité internationale de la bande dessinée et de l'image
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 30/08/2020
« » DIMANCHE-ILLUSTRÉ BiBiEiaiisKiiiiBiiiBiiiiaiiiiiiiiiiiiiiiiiiiaBiiiiiiEiiiiiiiiBiiiiiiBiiiiiKiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin 0 mtiiiiiiiiiiiiiiimmiiiiiiHiiiminiiiiiiiiiiimnHmmmiiJiiiimiiiiiiiimiiiiJ LE 27 SEPTEMBRE 192b niuimii
LES CONTES D’ACTION
LA SINGULIERE DESTINEE DE ROUVANCOURT
URANT mon absence de Pontargis,
Bouvaneourt avait changé de bonne.
La nouvelle servante eut beau m af
firmer que son maître était serti,
elle me trompa d’autant moins que
j’entendais la voix de mon ami clai
ronner dans le laboratoire, au fond du corridor.
Je pris le parti de crier :
— Bouvaneourt ! Eh ! Bouvaneourt ! C’est
moi : Sambreuil ! Puis-je entrer, malgré la
consigne ?
— Ah ! mon bon docteur ! Quelle joie de se
retrouver ! répondit le savant, à la cantonade.
Je n’ai jamais éprouvé un tel désir de vous
serrer les mains, Sambreuil ; mais, voyez le
contre temps ! je suis enfermé là dedans pour
une demi-heure ! Il m’est impossible d’ouvrir
maintenant... Gagnez donc, ie vous prie, mon
cabinet de travail, en passant par le salon ;
nous pourrons causer à travers la porte, comme
ici, et vous y serez plus décemment qu’au
vestibule
Je connaissais de longue date les aîtres du
petit appartement. L’habitation m’était chère,
à cause de l’habitant ; et, comme le salon
Louis XV était le lieu ordinaire de nos entre
tiens, je pris plaisir à le revoir un instant, bien
que le meuble en fût singulièrement préten
tieux dans sa banalité. Bouvaneourt, en effet,
se croyait avant tout — et bien à tort — un
maître décorateur ; il employait ses moments
de loisir à clouer, scier, draper ; et le plus
mince titre de gloire du grand physicien n’était
pas, à ses yeux, d’avoir dessiné et fait exécuter
ces sièges et ces consoles “ pour compléter
une paire de chenets authentiques !
Je saluai donc d’un coup d'œil affectueux
l’horrible mobilier de style, ses bois sculptés
à l’emporte-pièce, sa tapisserie captieuse, qui
feignait cyniquement d’être de l’Aubusson ;
et l’idée ne me vint même pas d’en être choqué,
tant cette laideur m’était devenue familière.
Mais la ridicule prétention de Bouvaneourt
se rappela vivement à mon esprit, quand je fus
dans son cabinet de travail. Il y avait apporté
l’embellissement le plus effroyable. Pour agran
dir la chambre au moyen d’un trompe-l’œil,
il avait appliqué une haute glace contre le mur
séparant le cabinet et le salon Louis XV. C’était
un simulacre de porte, qui faisait pendant à la
porte véritable ; c’était un mirage de sortie,
une réminiscence des attrape-nigauds que
l’on rencontre au musée Grévin. Le grand
miroir s’appuyait à même le tapis, et, afin de
mieux duper la vue, il était encadré par des
rideaux de peluche grenat, pareils à ceux des
fenêtres et des autres portières. Ah ! ces ri
deaux ! Je connus sans effort quelle main les
avait triturés en choux, gonflés en bouillons,
précipités en torrents ; quel infernal tapissier
les avait ligotés de ces torsades à glands ! Et je
restai muet en face du terrible lambrequin,
où les cordelières s’entortillaient à l’étoffe en
des étreintes d’une ingéniosité féroce.
— Eh bien, docteur ! fit la porte du labo
ratoire avec la voix assourdie de Bouvaneourt.
Eh bien, vous n arrivez pas ?
— Si. Mais j’admirais votre sens de la déco
ration... Vous avez là une glace... magnifique.
— N’est-ce pas ? Comment trouvez-vous
le drapage ? C’est mon œuvre, vous savez.
Le. cabinet paraît énorme, hein ? Il a du chic,
à présent. N’est-ce pas qu’il a du chic, mon
cabinet ?
* * A
A la vérité, cette salle ne manquait pas de
“chic”, non, certes, à cause des objets
destinés à lui en fournir, mais pour cette
raison qu elle servait d annexe au laboratoire
contigu et recélait, en désordre, une foule de
machines étonnantes, de toute grandeur, de toute
forme, de toute matière, pour la pratique et la
démonstration. Deux fenêtres, l’une donnant sur
le boulevard et 1 autre sur la rue, éclairaient cette
pièce de coin et parsemaient l’ébonite, le verre
ou le cuivre, de lueurs, de clartés ou de feux.
On voyait ainsi reluire, plus ou moins, plateaux,
disques et cylindres. Sur le bureau s’amonce
laient des manuscrits, comme jetés là dans une
fièvre géniale et glorieuse. L’algèbre d’un pro
blème blanchissait le tableau noir. La Science
exhalait son arôme chimique. Je m’exclamai
en toute sincérité :
— Oui, Bouvaneourt, oui, mon vieux : il a
du chic, votre cabinet !
— Excusez-moi de vous recevoir ainsi,
reprit-d. C’est aujourd'hui samedi ; mon pré
parateur...
— Toujours Félix ?
•— Oui, parbleu !
-— Salut, Félix !
— Bonjour, monsieur Sambreuil,
par MAURICE RENARD
et transparente. Une forte odeur d’ozone se
répandit.
Bouvaneourt ne s’en émut pas.
— Tiens ! fit-il simplement. Très curieux
en effet. C’est, à coup sûr, une trace de la mau
dite expérience. Cela s’en ira progressivement.
Il me tendait la main. Le halo coloré qui
la gantait de mauve était impalpable, mais je
fus étonné de sentir cette main extrêmement
flasque. Tout à coup, le savant la retira brus
quement des miennes et s’étreignit la poitrine,
sous l’empire évident d’une palpitation.
— Vous n allez pas bien, mon cher ; il fau
drait vous reposer. Si je vous examinais ?
— Allons, allons, pas d’enfantillages, doc
teur ! Ceia est passager. Dans une heure, il
n y paraîtra plus, je 1 atteste. Et puis, au diable
les déconvenues, puisque vous voilà de retour !
Parlons d autre chose, s’il vous plaît. Que
dites-vous de cette nouveauté ?... Est-ce du
beau travail, ce lambrequin ? Et la glace !
Du Saint-Gobain, mon vieux !...
Et, tandis que le violon d’Ingres pleur
nichait dans mon souvenir, il m’amena devant
son chef-d’œuvre.
Mais, soudain, la stupeur nous immo
bilisa ; puis, nous nous regardâmes l’un
et 1 autre avec un air interrogateur, sans
oser parler. Enfin, Bouvaneourt me demanda
d une voix tremblante :
Pas de doute, n est-ce pas ? Vous voyez
comme moi ?... Il n’y a rien ici ?...
Parfaitement, balbutiai-je. Rien... Rien
du tout...
A A A
L A, en effet, commence le miracle. Je ne sais
au juste lequel de nous s’en aperçut le
premier. Le fait certain est que nous
étions deux en face du miroir et que mon image
s y reflétait seule. Bouvaneourt avait perdu la
sienne.
A la place quelle aurait dû occuper, s’aper
cevaient le reflet très distinct de la table
et celui, plus lointain, du tableau noir.
_J étais ahuri. Bouvaneourt se mit à jeter des
cris d’allégresse. Peu à peu il se calma.
— Eh bien, mon vieux ! dit-il, voilà, je
crois, une découverte de première grandeur...
et sur laquelle je ne comptais guère ! Oh !
que c’est beau, mon ami ! Il n’y a rien là ! Que
c’est beau ! Mon cher petit docteur !... Au
reste, j’avoue n’y rien comprendre... La cause
m’échappe...
— Votre auréole mauve... insinuai-je.
— Chut ! fit Bouvaneourt. Taisez-vous.
Il s’était assis devant la glace, vide de son
effigie, et argumentait, sans cesser pour cela
de rire et de gesticuler.
— Voyez-vous, docteur, je comprends à
demi. Pour des motifs que je ne vous confierai
pas, de peur d etre vertement réprimandé, je
suis imprégné d’un certain fluide (dont, au
surplus, j étais loin de soupçonner la ténacité).
J en suis même sursaturé, vraisemblablement;
car ce nimbe me paraît un excès du fluide,
surabondant à l’intérieur de moi-même et qui
déborde. Nous venons de découvrir à ce... gaz
;— cette lumière, s; vous préférez — un pouvoir
inopiné. Je ne lui prêtais que la faculté de tra
verser les substances déjà perméables aux
rayons ultra-violets : la chair, le bois, etc...
plus les os et le verre. Certainement, on discerne
des 1 rapports confus entre la propriété que je
lui supposais et cette qualité imprévue qui
vient de se manifester... Tout de même, je ne
m explique pas... Les rayons X, il est vrai,
sont irréflexibles, mais...
— L optique n a pas encore dévoilé le secret
de la réflexion, n est-ce pas ? demandai-je.
— Non. Dans la réflexion, l’optique étudie
un ensemble de résultats dont la cause est mal
connue. Elle constate des faits, sans savoir
exactement la nature de leur source ; énonce
les règles suivant lesquelles ils se produisent
d habitude ; et ces règles, elle les nomme des
“ lois , parce que, jusqu’à ce jour, rien n’est
venu les démentir. La lumière, agent des phé
nomènes optiques, est un mystère. Or, ce
mystère est d’autant plus difficile à démêler
que la moitié de ses manifestations — pressen
ties et travaillées depuis quelques années —
ne sont pas directement perceptibles, étant
non seulement, comme les autres, impalpables
et silencieuses, inodores et sans goût, mais
encore froides et obscures. Oui, il n’y a pas
dix ans, on s imaginait que la lumière était
renvoyée par les objets, plus ou moins tota
lement, mais qu elle ne pénétrait jamais rien.
Quelle magie ! s’écria Bouvaneourt, tous ces
corps transpercés !
Et, de l’index recourbé, il frappait l'acajou
de son fauteuil.
Il y avait à la cheminée du salon ces lourds chenets du XVIII e siècle. J'allai chercher
l'un d'eux. Du premier coup, la glace s'étoila largement. Elle fut bientôt en miettes.
sion... Je vais sans doute faire une assez jolie
découverte...
— Laquelle ?
— La libre pénétration, par la lumière
obscure, de substances que les rayons de Rœnt
gen traversent encore difficilement : le verre,
les os et d’autres... Nous sommes dans les
ténèbres. Je vais essayer une photographie.
Permettez-moi de garder le silence pendant
quelques minutes ; ça ne sera pas long... Allez-y,
Félix !
J’entendis alors ce ronflement de mouches
que bourdonnent les bobines d’induction. Il y
en avait plusieurs en activité ; les trembleurs,
selon le serrage, imitaient le vol sonore de
l’abeille ou celui du frelon, et leur essaim chan
tait un accord passablement cacophonique.
Cette pédale interminable, ronflant parmi le
calme d’une ville de province, engendrait le
sommeil ; et je me serais probablement assoupi,
sans les tramways, dont le passage, au long du
boulevard, emplissait d’un fracas périodique
ce premier étage. Leurs fils électriques cô
toyaient la maison au niveau des fenêtres ;
même, entre celle du laboratoire et celle du
cabinet, une potence, adaptée à la façade, sou
tenait les câbles. Les trolleys,, au contact de
la suture, y produisaient à chaque fois une
étincelle. Mon attente désœuvrée s’en amusa.
Cependant, les bobines continuaient leur
parodie de ruche.
Plusieurs hampes de trolley se succédèrent
en ferraillant. Je les comptais, par une manie
de tout dénombrer.
— Est-ce bientôt fini, Bouvaneourt ?
Félix me renseigna vaguement :
— Un peu de patience, monsieur Sambreuil.
— Ça marche ?
— A merveille. Nous touchons au but.
sonna. Je frissonnai. L’heure était historique.
— Mais, Félix, me lamentai-je, est-ce qu’on
ne peut pas entrer, maintenant ? Je me mor
fonds... Voilà le vingtième tramway qui passe,
mon garçon, et...
Je n’en dis pas davantage. En touchant la
suture, le vingtième trolley fit jaillir un éclair
aussi crépitant, aussi aveuglant que la foudre
du ciel. Puis, simultanément, derrière la porte
du laboratoire éclatèrent une suite de détona
tions et le chapelet des principaux blasphèmes
anodins ;
Pouf !
— Nom d’un tonnerre !...
Pif ! ■
— Saperlipopette !
Paf !
— Mille millions de bottes !...
Et cœtera. Bouvaneourt avait la colère banale,
mais non sacrilège. Quand la pétarade eut
cessé, il s’écria :
— Tout à recommencer !... Quel désastre !...
Mon pauvre Félix, en voilà une mésaventure!...
— Qu’y a-t-il donc ? fis-je.
— Il y a que mes ampoules de Crookes ont
sauté, parbleu ! Voilà ce qu’il y a ! Ça n’est pas
difficile à deviner !
Prudemment, je me tus.
Quelques secondes plus tard, je pus entendre
Félix ouvrir la porte du couloir et s’en aller.
Enfin, Bouvaneourt se montra.
— Ho ! lui dis-je. Qu'avez-vous fait ?...
Dans quel état vous êtes !
Dès l’abord, son aspect m’avait interloqué.
La cause de ma surprise se précisa peu à peu.
Le physicien avait l’air entouré d’un brouil
lard très mince ; une sorte de teinte violette,
analogue, pour l’œil, à de la moisissure, l’en
veloppait tout entier de sa couche vaporeuse
— Mon préparateur, poursuivit Bouvan-
court, m’a demandé à sortir de bonne heure. Il
a congé demain, et je ne tiens pas à différer
cette expérience.
— Elle est donc bien intéressante ?
— Capitale, mon cher. C’est la dernière de
toute une série ; elle doit aboutir à la conclu
Ces mots me donnèrent une furieuse envie
d’être de l’autre côté de la porte, afin de voir
la chose nouvelle se passer pour la première
fois et contempler l’inventeur au moment
de l’invention. Bouvaneourt, par ses trou
vailles, avait inscrit déjà plusieurs dates au
calendrier de la Renommée. Une horloge
Singulière destinée, en effet, que celle de ce savant qui
touche, par ses expériences, aux bornes de l’irréel, sans
jamais réaliser un instant complètement le rêve entrevu,
et qui meurt eh le poursuivant.
LES CONTES D’ACTION
LA SINGULIERE DESTINEE DE ROUVANCOURT
URANT mon absence de Pontargis,
Bouvaneourt avait changé de bonne.
La nouvelle servante eut beau m af
firmer que son maître était serti,
elle me trompa d’autant moins que
j’entendais la voix de mon ami clai
ronner dans le laboratoire, au fond du corridor.
Je pris le parti de crier :
— Bouvaneourt ! Eh ! Bouvaneourt ! C’est
moi : Sambreuil ! Puis-je entrer, malgré la
consigne ?
— Ah ! mon bon docteur ! Quelle joie de se
retrouver ! répondit le savant, à la cantonade.
Je n’ai jamais éprouvé un tel désir de vous
serrer les mains, Sambreuil ; mais, voyez le
contre temps ! je suis enfermé là dedans pour
une demi-heure ! Il m’est impossible d’ouvrir
maintenant... Gagnez donc, ie vous prie, mon
cabinet de travail, en passant par le salon ;
nous pourrons causer à travers la porte, comme
ici, et vous y serez plus décemment qu’au
vestibule
Je connaissais de longue date les aîtres du
petit appartement. L’habitation m’était chère,
à cause de l’habitant ; et, comme le salon
Louis XV était le lieu ordinaire de nos entre
tiens, je pris plaisir à le revoir un instant, bien
que le meuble en fût singulièrement préten
tieux dans sa banalité. Bouvaneourt, en effet,
se croyait avant tout — et bien à tort — un
maître décorateur ; il employait ses moments
de loisir à clouer, scier, draper ; et le plus
mince titre de gloire du grand physicien n’était
pas, à ses yeux, d’avoir dessiné et fait exécuter
ces sièges et ces consoles “ pour compléter
une paire de chenets authentiques !
Je saluai donc d’un coup d'œil affectueux
l’horrible mobilier de style, ses bois sculptés
à l’emporte-pièce, sa tapisserie captieuse, qui
feignait cyniquement d’être de l’Aubusson ;
et l’idée ne me vint même pas d’en être choqué,
tant cette laideur m’était devenue familière.
Mais la ridicule prétention de Bouvaneourt
se rappela vivement à mon esprit, quand je fus
dans son cabinet de travail. Il y avait apporté
l’embellissement le plus effroyable. Pour agran
dir la chambre au moyen d’un trompe-l’œil,
il avait appliqué une haute glace contre le mur
séparant le cabinet et le salon Louis XV. C’était
un simulacre de porte, qui faisait pendant à la
porte véritable ; c’était un mirage de sortie,
une réminiscence des attrape-nigauds que
l’on rencontre au musée Grévin. Le grand
miroir s’appuyait à même le tapis, et, afin de
mieux duper la vue, il était encadré par des
rideaux de peluche grenat, pareils à ceux des
fenêtres et des autres portières. Ah ! ces ri
deaux ! Je connus sans effort quelle main les
avait triturés en choux, gonflés en bouillons,
précipités en torrents ; quel infernal tapissier
les avait ligotés de ces torsades à glands ! Et je
restai muet en face du terrible lambrequin,
où les cordelières s’entortillaient à l’étoffe en
des étreintes d’une ingéniosité féroce.
— Eh bien, docteur ! fit la porte du labo
ratoire avec la voix assourdie de Bouvaneourt.
Eh bien, vous n arrivez pas ?
— Si. Mais j’admirais votre sens de la déco
ration... Vous avez là une glace... magnifique.
— N’est-ce pas ? Comment trouvez-vous
le drapage ? C’est mon œuvre, vous savez.
Le. cabinet paraît énorme, hein ? Il a du chic,
à présent. N’est-ce pas qu’il a du chic, mon
cabinet ?
* * A
A la vérité, cette salle ne manquait pas de
“chic”, non, certes, à cause des objets
destinés à lui en fournir, mais pour cette
raison qu elle servait d annexe au laboratoire
contigu et recélait, en désordre, une foule de
machines étonnantes, de toute grandeur, de toute
forme, de toute matière, pour la pratique et la
démonstration. Deux fenêtres, l’une donnant sur
le boulevard et 1 autre sur la rue, éclairaient cette
pièce de coin et parsemaient l’ébonite, le verre
ou le cuivre, de lueurs, de clartés ou de feux.
On voyait ainsi reluire, plus ou moins, plateaux,
disques et cylindres. Sur le bureau s’amonce
laient des manuscrits, comme jetés là dans une
fièvre géniale et glorieuse. L’algèbre d’un pro
blème blanchissait le tableau noir. La Science
exhalait son arôme chimique. Je m’exclamai
en toute sincérité :
— Oui, Bouvaneourt, oui, mon vieux : il a
du chic, votre cabinet !
— Excusez-moi de vous recevoir ainsi,
reprit-d. C’est aujourd'hui samedi ; mon pré
parateur...
— Toujours Félix ?
•— Oui, parbleu !
-— Salut, Félix !
— Bonjour, monsieur Sambreuil,
par MAURICE RENARD
et transparente. Une forte odeur d’ozone se
répandit.
Bouvaneourt ne s’en émut pas.
— Tiens ! fit-il simplement. Très curieux
en effet. C’est, à coup sûr, une trace de la mau
dite expérience. Cela s’en ira progressivement.
Il me tendait la main. Le halo coloré qui
la gantait de mauve était impalpable, mais je
fus étonné de sentir cette main extrêmement
flasque. Tout à coup, le savant la retira brus
quement des miennes et s’étreignit la poitrine,
sous l’empire évident d’une palpitation.
— Vous n allez pas bien, mon cher ; il fau
drait vous reposer. Si je vous examinais ?
— Allons, allons, pas d’enfantillages, doc
teur ! Ceia est passager. Dans une heure, il
n y paraîtra plus, je 1 atteste. Et puis, au diable
les déconvenues, puisque vous voilà de retour !
Parlons d autre chose, s’il vous plaît. Que
dites-vous de cette nouveauté ?... Est-ce du
beau travail, ce lambrequin ? Et la glace !
Du Saint-Gobain, mon vieux !...
Et, tandis que le violon d’Ingres pleur
nichait dans mon souvenir, il m’amena devant
son chef-d’œuvre.
Mais, soudain, la stupeur nous immo
bilisa ; puis, nous nous regardâmes l’un
et 1 autre avec un air interrogateur, sans
oser parler. Enfin, Bouvaneourt me demanda
d une voix tremblante :
Pas de doute, n est-ce pas ? Vous voyez
comme moi ?... Il n’y a rien ici ?...
Parfaitement, balbutiai-je. Rien... Rien
du tout...
A A A
L A, en effet, commence le miracle. Je ne sais
au juste lequel de nous s’en aperçut le
premier. Le fait certain est que nous
étions deux en face du miroir et que mon image
s y reflétait seule. Bouvaneourt avait perdu la
sienne.
A la place quelle aurait dû occuper, s’aper
cevaient le reflet très distinct de la table
et celui, plus lointain, du tableau noir.
_J étais ahuri. Bouvaneourt se mit à jeter des
cris d’allégresse. Peu à peu il se calma.
— Eh bien, mon vieux ! dit-il, voilà, je
crois, une découverte de première grandeur...
et sur laquelle je ne comptais guère ! Oh !
que c’est beau, mon ami ! Il n’y a rien là ! Que
c’est beau ! Mon cher petit docteur !... Au
reste, j’avoue n’y rien comprendre... La cause
m’échappe...
— Votre auréole mauve... insinuai-je.
— Chut ! fit Bouvaneourt. Taisez-vous.
Il s’était assis devant la glace, vide de son
effigie, et argumentait, sans cesser pour cela
de rire et de gesticuler.
— Voyez-vous, docteur, je comprends à
demi. Pour des motifs que je ne vous confierai
pas, de peur d etre vertement réprimandé, je
suis imprégné d’un certain fluide (dont, au
surplus, j étais loin de soupçonner la ténacité).
J en suis même sursaturé, vraisemblablement;
car ce nimbe me paraît un excès du fluide,
surabondant à l’intérieur de moi-même et qui
déborde. Nous venons de découvrir à ce... gaz
;— cette lumière, s; vous préférez — un pouvoir
inopiné. Je ne lui prêtais que la faculté de tra
verser les substances déjà perméables aux
rayons ultra-violets : la chair, le bois, etc...
plus les os et le verre. Certainement, on discerne
des 1 rapports confus entre la propriété que je
lui supposais et cette qualité imprévue qui
vient de se manifester... Tout de même, je ne
m explique pas... Les rayons X, il est vrai,
sont irréflexibles, mais...
— L optique n a pas encore dévoilé le secret
de la réflexion, n est-ce pas ? demandai-je.
— Non. Dans la réflexion, l’optique étudie
un ensemble de résultats dont la cause est mal
connue. Elle constate des faits, sans savoir
exactement la nature de leur source ; énonce
les règles suivant lesquelles ils se produisent
d habitude ; et ces règles, elle les nomme des
“ lois , parce que, jusqu’à ce jour, rien n’est
venu les démentir. La lumière, agent des phé
nomènes optiques, est un mystère. Or, ce
mystère est d’autant plus difficile à démêler
que la moitié de ses manifestations — pressen
ties et travaillées depuis quelques années —
ne sont pas directement perceptibles, étant
non seulement, comme les autres, impalpables
et silencieuses, inodores et sans goût, mais
encore froides et obscures. Oui, il n’y a pas
dix ans, on s imaginait que la lumière était
renvoyée par les objets, plus ou moins tota
lement, mais qu elle ne pénétrait jamais rien.
Quelle magie ! s’écria Bouvaneourt, tous ces
corps transpercés !
Et, de l’index recourbé, il frappait l'acajou
de son fauteuil.
Il y avait à la cheminée du salon ces lourds chenets du XVIII e siècle. J'allai chercher
l'un d'eux. Du premier coup, la glace s'étoila largement. Elle fut bientôt en miettes.
sion... Je vais sans doute faire une assez jolie
découverte...
— Laquelle ?
— La libre pénétration, par la lumière
obscure, de substances que les rayons de Rœnt
gen traversent encore difficilement : le verre,
les os et d’autres... Nous sommes dans les
ténèbres. Je vais essayer une photographie.
Permettez-moi de garder le silence pendant
quelques minutes ; ça ne sera pas long... Allez-y,
Félix !
J’entendis alors ce ronflement de mouches
que bourdonnent les bobines d’induction. Il y
en avait plusieurs en activité ; les trembleurs,
selon le serrage, imitaient le vol sonore de
l’abeille ou celui du frelon, et leur essaim chan
tait un accord passablement cacophonique.
Cette pédale interminable, ronflant parmi le
calme d’une ville de province, engendrait le
sommeil ; et je me serais probablement assoupi,
sans les tramways, dont le passage, au long du
boulevard, emplissait d’un fracas périodique
ce premier étage. Leurs fils électriques cô
toyaient la maison au niveau des fenêtres ;
même, entre celle du laboratoire et celle du
cabinet, une potence, adaptée à la façade, sou
tenait les câbles. Les trolleys,, au contact de
la suture, y produisaient à chaque fois une
étincelle. Mon attente désœuvrée s’en amusa.
Cependant, les bobines continuaient leur
parodie de ruche.
Plusieurs hampes de trolley se succédèrent
en ferraillant. Je les comptais, par une manie
de tout dénombrer.
— Est-ce bientôt fini, Bouvaneourt ?
Félix me renseigna vaguement :
— Un peu de patience, monsieur Sambreuil.
— Ça marche ?
— A merveille. Nous touchons au but.
sonna. Je frissonnai. L’heure était historique.
— Mais, Félix, me lamentai-je, est-ce qu’on
ne peut pas entrer, maintenant ? Je me mor
fonds... Voilà le vingtième tramway qui passe,
mon garçon, et...
Je n’en dis pas davantage. En touchant la
suture, le vingtième trolley fit jaillir un éclair
aussi crépitant, aussi aveuglant que la foudre
du ciel. Puis, simultanément, derrière la porte
du laboratoire éclatèrent une suite de détona
tions et le chapelet des principaux blasphèmes
anodins ;
Pouf !
— Nom d’un tonnerre !...
Pif ! ■
— Saperlipopette !
Paf !
— Mille millions de bottes !...
Et cœtera. Bouvaneourt avait la colère banale,
mais non sacrilège. Quand la pétarade eut
cessé, il s’écria :
— Tout à recommencer !... Quel désastre !...
Mon pauvre Félix, en voilà une mésaventure!...
— Qu’y a-t-il donc ? fis-je.
— Il y a que mes ampoules de Crookes ont
sauté, parbleu ! Voilà ce qu’il y a ! Ça n’est pas
difficile à deviner !
Prudemment, je me tus.
Quelques secondes plus tard, je pus entendre
Félix ouvrir la porte du couloir et s’en aller.
Enfin, Bouvaneourt se montra.
— Ho ! lui dis-je. Qu'avez-vous fait ?...
Dans quel état vous êtes !
Dès l’abord, son aspect m’avait interloqué.
La cause de ma surprise se précisa peu à peu.
Le physicien avait l’air entouré d’un brouil
lard très mince ; une sorte de teinte violette,
analogue, pour l’œil, à de la moisissure, l’en
veloppait tout entier de sa couche vaporeuse
— Mon préparateur, poursuivit Bouvan-
court, m’a demandé à sortir de bonne heure. Il
a congé demain, et je ne tiens pas à différer
cette expérience.
— Elle est donc bien intéressante ?
— Capitale, mon cher. C’est la dernière de
toute une série ; elle doit aboutir à la conclu
Ces mots me donnèrent une furieuse envie
d’être de l’autre côté de la porte, afin de voir
la chose nouvelle se passer pour la première
fois et contempler l’inventeur au moment
de l’invention. Bouvaneourt, par ses trou
vailles, avait inscrit déjà plusieurs dates au
calendrier de la Renommée. Une horloge
Singulière destinée, en effet, que celle de ce savant qui
touche, par ses expériences, aux bornes de l’irréel, sans
jamais réaliser un instant complètement le rêve entrevu,
et qui meurt eh le poursuivant.
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