Titre : Dimanche illustré
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Éditeur : [s.n.][s.n.] (Marseille)
Éditeur : [s.n.][s.n.] (Lyon)
Date d'édition : 1925-09-27
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32757502n
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 27 septembre 1925 27 septembre 1925
Description : 1925/09/27. 1925/09/27.
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG13 Collection numérique : BIPFPIG13
Description : Collection numérique : BIPFPIG69 Collection numérique : BIPFPIG69
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k9112039t
Source : La Cité internationale de la bande dessinée et de l'image
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 30/08/2020
iliimiiii LE 27 SEPTEMBRE 1925 iiiiiiiiiiimiimmiiiiiiiiiiiiiiimpiisïiimnniiimmîïiiiimiiiimmimimiiiii 5 îiiiiiiiiimiiimmiiiimiiiiiiiiiiiimiiiiiiiimiimiiiiiiiiiiiiiiiiimiimiiiiiiiiiiii DIMANCHE-ILLUSTRÉ
SII8IS3II
LES ROMANS DE LA VIE
MADAME DE SÉVIGNÉ, VOYAGEUSE
pair GÂSTOM DERYS
M arie de Rabutin-Chantal, mar
quise de Sévigné,. naquit le
5 février 1627, en Bourgogne, au
■ château de Bourbilly, près de
i Semur. Elle devint, fort jeune,
orpheline de père et de mère et
fut placée sous la tutelle de son oncle
maternel, cet abbé de Coulanges qu’elle
appelle dans ses lettres le “ bien bon ” et
qui administra fort sagement ses biens.
Ses premières années s’écoulèrent à Sucy,
près de Paris, où son grand-père, le financier
Coulanges, possédait une propriété magnifique.
A une culture très étendue — Ménage et
Chapelain furent ses professeurs de littéra
ture — elle joignait les grâces les plus déli
cates. Elle était fort jolie : un teint d’une fraî
cheur éclatante, une physionomie alerte et
spirituelle, des yeux tendres et gais. Elle joi
gnait à tous ces avantages une des dots les
plus opulentes de son temps, et se maria, à
dix-sept ans et demi, avec Henri de Sévigné,
maréchal de camp, d’une des plus nobles
maisons de Bretagne.
Tout souriait à la jeune épousée. Elle s’avan
çait dans la fleur de ses jours, parée de tous
les prestiges et nantie de tous les avantages
qui provoquent les convoitises humaines.
Ironie cruelle du destin : sur cette aurore
dorée d’heureuses promesses allait fondre bien
tôt un orage imprévu, et la vie entière de
M me de Sévigné sera, sous le masque de la
gaîté et de l’enjouement, traversée d’alarmes
et de soucis.
D’humeur volage et aventureuse, Henri de
Sévigné se fait tuer en duel par le chevalier
d’Albret et laisse une succession fort embrouil
lée. Il a compromis la fortune de sa femme
par ses dilapidations et par ses folies.
Veuve à vingt-quatre ans, la marquise ne
devait jamais se remarier. Elle se consacra
toute à l’éducation de son fils et de sa fille,
tandis que le “ bien bon ” remettait de l’ordre
dans ses affaires.
Elle fit une retraite de trois ans, qu 'elle
passa en grande partie dans sa terre des Rochers,
en Bretagne, d’où elle a daté tant de lettres
exquises, comme celle de la fenaison : ‘ Savez-
vous ce que c’est que faner? Il faut que je vous
M’explique : faner est la plus jolie chose du
monde, c’est retourner du foin dans une prai
rie ; dès qu’on en sait tant, on sait faner.
Là-bas, dans sa chère Bretagne, elle était
dehors du matin au soir, au renouveau, pour
admirer le triomphe du mois de mai, quand
“ le rossignol, le coucou, la fauvette ouvraient
le printemps dans les forêts ”, et, dans l’arrière-
saison, pendant “ ces beaux jours de cristal
de l’automne, qui ne sont plus chauds, qui ne
sont pas froids ”.
Tout a été dit sur M me de Sévigné épisto-
lière.
C’est un libre génie du plus pur esprit
français, une âme de feu, pleine de saillies
et d’éclairs, de sensibilité et de raillerie, de
bon sens et de badinage. Ces contrastes
forment le bouquet le plus varié et le plus
riche.
De ce style si franc d’allure et si familier,
qu’on n’aille pas croire que l’art soit banni !
La marquise savait fort bien que ses lettres
étaient attendues par un cercle d’admirateurs,
qu’on en ferait des copies qui circuleraient
de main en main. Elle écrit sans effort apparent,
en laissant sa plume trotter la bride sur le cou,
comme elle dit, mais non sans soin, non sans
un très réel souci de la composition. Elle
improvise avec la virtuosité la plus crâne et
la plus brillante, mais elle reste maîtresse de
son inspiration.
D ANS un temps où l’on ne se déplaçait
qu’en cas de nécessité absolue, en raison
du mauvais état et de l’insécurité des routes,
du manque de confort des hôtelleries, de l’oné
reuse lenteur des moyens de transport,
M me de Sévigné accomplit d’assez fréquentes
P érégrinations, en Bretagne, en Auvergne, en
rovencé. Elle peut être regardée,au XVII e siècle,
comme une intrépide voyageuse. Cette par
ticularité, qui confère tant de pittoresque à
l’existence de la marquise, est trop laissée
dans l’ombre par ses biographes.
L’organisation sérieuse des transports par
routes date de Louis XIV. Mais ils étaient
des plus rudimentaires. Songez que, même au
début du règne de Louis XVI, il n’existait,
à Paris, que vingt-sept coches desservant les
provinces, et que, pour aller à Lyon, le public
ne disposait quotidiennement, en 1790, que
de sept places !
Les personnes de qualité voyageaient dans
un carrosse attelé de six chevaux. ^Quatre
M me de Sévigné, en un temps où l’on se déplaçait diffici
lement, avait la manie des voyages. Notre collaborateur,
Gaston Derys, nous fait assister, dans cette page, aux
pérégrinations de la fameuse épistoliére.
eussent suffi, mais les chutes étaient fréquentes
et il fallait prévoir les accidents. C’était banale
aventure qu’un carrosse versât.
En nous rapportant les péripéties d’un de
ses voyages en Bretagne, la marquise regarde
comme une bonne fortune de n’avoir versé
que deux fois, et encore le carrosse s’était-il
embourbé dans un étang. Heureusement, elle
voyageait avec son cousin de Coulanges, qui
nageait fort bien et l’avait empêchée de se
noyer.
Est-ce en prenant ce bain forcé, qui ne fut
probablement pas le seul dont ses voyages
s’agrémentèrent, que M me de Sévigné gagna
les rhumatismes qui attristèrent ses jours, et
que supportait avec impatience sa remuante
sociabilité? Etre clouée sur un fauteuil lui
paraissait un supplice digne de l’enfer. Elle
et je partirai tout le plutôt que je pourrai.
M me de Sévigné quitta Paris le 11 mai 1676,
à la pointe du jour, pour arriver le 18 mai.
C’était, pour la rapidité du trajet, un véri
table record, qui fait honneur à l’organisation
des relais.
Le surlendemain, elle mande à M me de
Grignan :
J’ai donc pris les eaux ce matin, ma très
chère. Ah ! qu’elles sont méchantes ! On va
à six heures à la fontaine : tout le monde s’y
trouve ; on boit et l’on fait une fort mauvaise
mine, car imaginez-vous qu’elles sont bouil
lantes et'd’un goût de salpêtre fort désagréable.
On tourne, on va, on vient, on se promène,
on entend la messe, on reprend les eaux. Enfin,
on dîne. Après dîner, on va chez quelqu’un.
C’était aujourd’hui chez moi. M me de Brissac
La maison que
M me de Sévigné
possédait a Vichy.
se plaignait enfin de
“continuelles petites
sueurs ” qui la trans
formaient en éponge.
Son médecin lui re
commande les bains
de Bourbon'-l’Ar-
chambault, qu’il con
seillait à toute sa
clientèle et qu’ilavait
mis à la mode. Il en
recueillait d ’ ailleurs
des profits excessifs. Son insistance même
éveilla la méfiance de la marquise, qui se décide
pour Vichy.
Comme celles de Bourbonne, de Plombières,
d’Aix, du Mont-Dore, de Luxeuil et bien
d’autres, les eaux de Vichy étaient déjà réputées
du temps des Romains.
Pendant le moyen âge, seuls les gens de la
région n’oublièrent point leurs vertus théra
peutiques, mais elles recommencèrent d’être
fréquentées au XVII e siècle et devinrent même
à la mode. Louis XIII y fait élever un bâti
ment thermal à galerie. Fléchier y . séjourne
en 1665. Dix ans plus tard, un certain Basville
est si radicalement guéri qu’il ordonne à son
médecin d’entreprendre un éloge dithyram
bique de ces eaux miraculeuses et fait répandre
cet ouvrage à travers le monde. M me de Sé
vigné en prit-elle connaissance ? C’est, en
tout cas, l’année suivante qu’elle se rend à
Vichy.
Le 8 avril 1676, elle écrit à sa fille : “ Je par
tirai, dans le mois qui vient, pour Bourbon ou
pour Vichy. On me dit mille biens de Vichy
et je crois que je l’aimerai mieux, pour deux
raisons : l’une, que M me de Montespan va à
Bourbon, et l’autre, que Vichy est plus près
de vous.
Et, quelques jours après : “ J’irai à Vichy.
La maréchale d’Estrées veut que j’aille à
Vichy. C’est un pays délicieux... La beauté
du pays et la pureté de l’air m’ont décidée
M me DE SÉVIGNÉ,
statue par M mc la
duchesse d’Uzès.
a joué à l’hombre
avec Saint-Hérem et
Plancy.
Il est venu des
demoiselles du pays,
■ avec une flûte, qui
dansent la bourrée
dans la perfection.
C’est là où les bohé
miennes poussent
leurs agréments.Elles
font des “ dégogna-
des ” où les curés trouveront un peu à redire...
Mais enfin, à cinq heures, on va se pro
mener dans des pays délicieux ; à sept heures,
on soupe légèrement' ; on se couche à dix.
Vous en savez présentement autant que
moi. ”
On montre encore, au bord de l’Ailier, la
jolie petite maison où logeait la marquise. Elle
admire les promenades, s’extasie sur les
rochers, les eaux et les bois, se moque des
ridicules de quelques folles, comme cette
M me de Brissac, qui donnait ses maux en
comédie et à qui elle consacra un morceau
délicieux.
Il y avait aussi M me de Péquigny, qui cher
chait à se guérir “ de soixante-seize ans dont
elle était fort incommodée ”, et la brouillonne
M me de la Barrois, qui s’était remariée, après
vingt-deux ans de veuvage, avec un jeune
homme qui l’avait ruinée, “ bredouillante
d’une apoplexie, laide, habillée de bel, air, avec
de petits bonnets à double carillon ”,
Quand la marquise quitta Vichy, le 13 juin,
ses rhumatismes s’étaient fort amendés. Elle
proclame partout l’efficacité des eaux, les
vante même à M me de Montespan.
F rançoise-Marguerite de Sévigné fut pré
sentée à la cour à l’âge de quinze ans.
Elle parut dans les ballets où dansait 1,; roi.
Sa beauté blonde éblouissait les regards. Dans
sa fable du Lion amoureux, le bon La Fon
taine n’a pas caché l’admiration qu’elle lui
inspirait ;
Sévigné de qui les attraits
Servent aux grâces de modèle,
Et qui naquîtes toute belle,
A votre indifférence près.
Pourriez-vous être favorable
Aux jeux innocents d’une fable,
Et, voir, sans vous épouvanter,
Un lion qu’Amour sut dompter?
Maints partis se présentèrent. Bien qu’il ne
fût pas beau, avec son grand nez qui n’en
finissait plus et cette houppe ébouriffée qui
l’avait fait surnommer le Matou, bien qu’il
fût veuf deux fois et qu’il eût deux filles de sa
première femme, bien qu’il eût dépassé la
quarantaine, François-Adhémar de Monteil,
comte de Grignan, conquit sur tous la préfé
rence. Mais M me de Sévigné espérait qu’en
accordant sa fille à un homme de cour, elle
la garderait toujours auprès d’elle.
Cette chère espérance fut bientôt déjouée.
Dans l’année même de son mariage, le 29 no
vembre 1669, le comte fut nommé lieutenant-
général de Provence, où il commanda en lieu
et place du duc de Vendôme, gouverneur
officiel, mais trop jeune pour en exercer les
fonctions.
M me de Grignan demeura pendant plus
d’une année auprès de sa mère, mais, en
février 1671, elle dut se résigner à partir pour
la Provence, laissant la marquise crucifiée de
désespoir.
M me de Grignan répondait-elle entièrement
à cet amour maternel si pathétique et si exclu
sif? Certains biographes de la marquise en
ont douté. Autant celle-ci était primesau-
tière, pleine d’élans, affectueuse et si confiante
qu’elle laissait voir de son cœur ce que la pru
dence obligerait de cacher, dit M me de La
Fayette, autant la comtesse était distante,
mélancolique, peu expansive. Ce n’est point
sans raison que La Fontaine, dans sa dédi
cace, insinue ; “ Vous qui naquîtes si belle,
à votre indifférence près...
Dans son inquiète idolâtrie, M me de Sévigné
soupirait : “ J’accorde avec peine l’amitié que
vous avez pour moi avec cette séparation de
toutes sortes de confidënces.
Il serait plus facile de juger des véritables
sentiments de M me de Grignan si l’on avait
ses réponses à sa mère. Mais elles ont été
détruites, et probablement par un M. de
Castellane-Novejean, cousin de M. de Simiane,
mari d’une des filles de la comtesse, qui se
serait imbécilement écrié, pour justifier son
acte de vandalisme, en parlant de M mea de
Sévigné et de Grignan : “ Ces bavardes-là
ont assez fait parler d’elles.
Mais peut-être la comtesse n’avait-elle pas
le cœur si sec qu’on l’a prétendu, elle qui écri
vait à son époux, après huit ans de mariage,
ces lignes adorables : “ Je vous embrasse
de tout cœur, mon très cher comte. Je suis
avec vous avec toute la tendresse possible.
Je vous conjure d’en être bien persuadé et
de ne point changer l’opinion que vous avez
d’avoir à vous seul une jolie personne. Je vou
drais être aussi jolie, comme il est sûr que je
suis à vous.
M adame de Sévigné quitta Paris pour
rejoindre la comtesse, le 13 juillet 1672.
Notons que, durant les vingt-sept années qui
s’écoulèrent entre le mariage de sa fille et le
jour où la marquise rendit le dernier soupir,
elles ne furent guère séparées que pendant le
quart environ de ce temps.
Accompagnée de l’abbé de Coulanges, le
bien bon ”, de l’abbé La Mousse et de
deux femmes, elle arrive à Auxerre, avec son
carrosse à six chevaux, trois jours plus tard.
Le long du chemin, on lisait Virgile dans la
traduction italienne de Caro. Une femme de
la société devait alors connaître l’italien. Elle
parvient à Lyon le 26 juillet, y séjourne
quatre jours, y reçoit force visites, va voir
Fouquet, le surintendant des finances dis
gracié, qu’elle défendit avec tant de chaleur,
prisonnier au château de Pierre-Encize, com
mandant la rive droite de la Saône, et s’em
barque, le 29 juillet, sur le coche d’eau. Elle
couche à Valence et arrive le lendemain à
Robinet, petit port où l’on descendait pour
gagner Grignan, à cinq heures de là.
Grignan était une résidence quasi royale, le
Versailles de la Provence, pourvue d’une
magnifique terrasse, d’où l’on découvrait,
dans un merveilleux panorama de montagnes
(Lire la suite pase 15.)
SII8IS3II
LES ROMANS DE LA VIE
MADAME DE SÉVIGNÉ, VOYAGEUSE
pair GÂSTOM DERYS
M arie de Rabutin-Chantal, mar
quise de Sévigné,. naquit le
5 février 1627, en Bourgogne, au
■ château de Bourbilly, près de
i Semur. Elle devint, fort jeune,
orpheline de père et de mère et
fut placée sous la tutelle de son oncle
maternel, cet abbé de Coulanges qu’elle
appelle dans ses lettres le “ bien bon ” et
qui administra fort sagement ses biens.
Ses premières années s’écoulèrent à Sucy,
près de Paris, où son grand-père, le financier
Coulanges, possédait une propriété magnifique.
A une culture très étendue — Ménage et
Chapelain furent ses professeurs de littéra
ture — elle joignait les grâces les plus déli
cates. Elle était fort jolie : un teint d’une fraî
cheur éclatante, une physionomie alerte et
spirituelle, des yeux tendres et gais. Elle joi
gnait à tous ces avantages une des dots les
plus opulentes de son temps, et se maria, à
dix-sept ans et demi, avec Henri de Sévigné,
maréchal de camp, d’une des plus nobles
maisons de Bretagne.
Tout souriait à la jeune épousée. Elle s’avan
çait dans la fleur de ses jours, parée de tous
les prestiges et nantie de tous les avantages
qui provoquent les convoitises humaines.
Ironie cruelle du destin : sur cette aurore
dorée d’heureuses promesses allait fondre bien
tôt un orage imprévu, et la vie entière de
M me de Sévigné sera, sous le masque de la
gaîté et de l’enjouement, traversée d’alarmes
et de soucis.
D’humeur volage et aventureuse, Henri de
Sévigné se fait tuer en duel par le chevalier
d’Albret et laisse une succession fort embrouil
lée. Il a compromis la fortune de sa femme
par ses dilapidations et par ses folies.
Veuve à vingt-quatre ans, la marquise ne
devait jamais se remarier. Elle se consacra
toute à l’éducation de son fils et de sa fille,
tandis que le “ bien bon ” remettait de l’ordre
dans ses affaires.
Elle fit une retraite de trois ans, qu 'elle
passa en grande partie dans sa terre des Rochers,
en Bretagne, d’où elle a daté tant de lettres
exquises, comme celle de la fenaison : ‘ Savez-
vous ce que c’est que faner? Il faut que je vous
M’explique : faner est la plus jolie chose du
monde, c’est retourner du foin dans une prai
rie ; dès qu’on en sait tant, on sait faner.
Là-bas, dans sa chère Bretagne, elle était
dehors du matin au soir, au renouveau, pour
admirer le triomphe du mois de mai, quand
“ le rossignol, le coucou, la fauvette ouvraient
le printemps dans les forêts ”, et, dans l’arrière-
saison, pendant “ ces beaux jours de cristal
de l’automne, qui ne sont plus chauds, qui ne
sont pas froids ”.
Tout a été dit sur M me de Sévigné épisto-
lière.
C’est un libre génie du plus pur esprit
français, une âme de feu, pleine de saillies
et d’éclairs, de sensibilité et de raillerie, de
bon sens et de badinage. Ces contrastes
forment le bouquet le plus varié et le plus
riche.
De ce style si franc d’allure et si familier,
qu’on n’aille pas croire que l’art soit banni !
La marquise savait fort bien que ses lettres
étaient attendues par un cercle d’admirateurs,
qu’on en ferait des copies qui circuleraient
de main en main. Elle écrit sans effort apparent,
en laissant sa plume trotter la bride sur le cou,
comme elle dit, mais non sans soin, non sans
un très réel souci de la composition. Elle
improvise avec la virtuosité la plus crâne et
la plus brillante, mais elle reste maîtresse de
son inspiration.
D ANS un temps où l’on ne se déplaçait
qu’en cas de nécessité absolue, en raison
du mauvais état et de l’insécurité des routes,
du manque de confort des hôtelleries, de l’oné
reuse lenteur des moyens de transport,
M me de Sévigné accomplit d’assez fréquentes
P érégrinations, en Bretagne, en Auvergne, en
rovencé. Elle peut être regardée,au XVII e siècle,
comme une intrépide voyageuse. Cette par
ticularité, qui confère tant de pittoresque à
l’existence de la marquise, est trop laissée
dans l’ombre par ses biographes.
L’organisation sérieuse des transports par
routes date de Louis XIV. Mais ils étaient
des plus rudimentaires. Songez que, même au
début du règne de Louis XVI, il n’existait,
à Paris, que vingt-sept coches desservant les
provinces, et que, pour aller à Lyon, le public
ne disposait quotidiennement, en 1790, que
de sept places !
Les personnes de qualité voyageaient dans
un carrosse attelé de six chevaux. ^Quatre
M me de Sévigné, en un temps où l’on se déplaçait diffici
lement, avait la manie des voyages. Notre collaborateur,
Gaston Derys, nous fait assister, dans cette page, aux
pérégrinations de la fameuse épistoliére.
eussent suffi, mais les chutes étaient fréquentes
et il fallait prévoir les accidents. C’était banale
aventure qu’un carrosse versât.
En nous rapportant les péripéties d’un de
ses voyages en Bretagne, la marquise regarde
comme une bonne fortune de n’avoir versé
que deux fois, et encore le carrosse s’était-il
embourbé dans un étang. Heureusement, elle
voyageait avec son cousin de Coulanges, qui
nageait fort bien et l’avait empêchée de se
noyer.
Est-ce en prenant ce bain forcé, qui ne fut
probablement pas le seul dont ses voyages
s’agrémentèrent, que M me de Sévigné gagna
les rhumatismes qui attristèrent ses jours, et
que supportait avec impatience sa remuante
sociabilité? Etre clouée sur un fauteuil lui
paraissait un supplice digne de l’enfer. Elle
et je partirai tout le plutôt que je pourrai.
M me de Sévigné quitta Paris le 11 mai 1676,
à la pointe du jour, pour arriver le 18 mai.
C’était, pour la rapidité du trajet, un véri
table record, qui fait honneur à l’organisation
des relais.
Le surlendemain, elle mande à M me de
Grignan :
J’ai donc pris les eaux ce matin, ma très
chère. Ah ! qu’elles sont méchantes ! On va
à six heures à la fontaine : tout le monde s’y
trouve ; on boit et l’on fait une fort mauvaise
mine, car imaginez-vous qu’elles sont bouil
lantes et'd’un goût de salpêtre fort désagréable.
On tourne, on va, on vient, on se promène,
on entend la messe, on reprend les eaux. Enfin,
on dîne. Après dîner, on va chez quelqu’un.
C’était aujourd’hui chez moi. M me de Brissac
La maison que
M me de Sévigné
possédait a Vichy.
se plaignait enfin de
“continuelles petites
sueurs ” qui la trans
formaient en éponge.
Son médecin lui re
commande les bains
de Bourbon'-l’Ar-
chambault, qu’il con
seillait à toute sa
clientèle et qu’ilavait
mis à la mode. Il en
recueillait d ’ ailleurs
des profits excessifs. Son insistance même
éveilla la méfiance de la marquise, qui se décide
pour Vichy.
Comme celles de Bourbonne, de Plombières,
d’Aix, du Mont-Dore, de Luxeuil et bien
d’autres, les eaux de Vichy étaient déjà réputées
du temps des Romains.
Pendant le moyen âge, seuls les gens de la
région n’oublièrent point leurs vertus théra
peutiques, mais elles recommencèrent d’être
fréquentées au XVII e siècle et devinrent même
à la mode. Louis XIII y fait élever un bâti
ment thermal à galerie. Fléchier y . séjourne
en 1665. Dix ans plus tard, un certain Basville
est si radicalement guéri qu’il ordonne à son
médecin d’entreprendre un éloge dithyram
bique de ces eaux miraculeuses et fait répandre
cet ouvrage à travers le monde. M me de Sé
vigné en prit-elle connaissance ? C’est, en
tout cas, l’année suivante qu’elle se rend à
Vichy.
Le 8 avril 1676, elle écrit à sa fille : “ Je par
tirai, dans le mois qui vient, pour Bourbon ou
pour Vichy. On me dit mille biens de Vichy
et je crois que je l’aimerai mieux, pour deux
raisons : l’une, que M me de Montespan va à
Bourbon, et l’autre, que Vichy est plus près
de vous.
Et, quelques jours après : “ J’irai à Vichy.
La maréchale d’Estrées veut que j’aille à
Vichy. C’est un pays délicieux... La beauté
du pays et la pureté de l’air m’ont décidée
M me DE SÉVIGNÉ,
statue par M mc la
duchesse d’Uzès.
a joué à l’hombre
avec Saint-Hérem et
Plancy.
Il est venu des
demoiselles du pays,
■ avec une flûte, qui
dansent la bourrée
dans la perfection.
C’est là où les bohé
miennes poussent
leurs agréments.Elles
font des “ dégogna-
des ” où les curés trouveront un peu à redire...
Mais enfin, à cinq heures, on va se pro
mener dans des pays délicieux ; à sept heures,
on soupe légèrement' ; on se couche à dix.
Vous en savez présentement autant que
moi. ”
On montre encore, au bord de l’Ailier, la
jolie petite maison où logeait la marquise. Elle
admire les promenades, s’extasie sur les
rochers, les eaux et les bois, se moque des
ridicules de quelques folles, comme cette
M me de Brissac, qui donnait ses maux en
comédie et à qui elle consacra un morceau
délicieux.
Il y avait aussi M me de Péquigny, qui cher
chait à se guérir “ de soixante-seize ans dont
elle était fort incommodée ”, et la brouillonne
M me de la Barrois, qui s’était remariée, après
vingt-deux ans de veuvage, avec un jeune
homme qui l’avait ruinée, “ bredouillante
d’une apoplexie, laide, habillée de bel, air, avec
de petits bonnets à double carillon ”,
Quand la marquise quitta Vichy, le 13 juin,
ses rhumatismes s’étaient fort amendés. Elle
proclame partout l’efficacité des eaux, les
vante même à M me de Montespan.
F rançoise-Marguerite de Sévigné fut pré
sentée à la cour à l’âge de quinze ans.
Elle parut dans les ballets où dansait 1,; roi.
Sa beauté blonde éblouissait les regards. Dans
sa fable du Lion amoureux, le bon La Fon
taine n’a pas caché l’admiration qu’elle lui
inspirait ;
Sévigné de qui les attraits
Servent aux grâces de modèle,
Et qui naquîtes toute belle,
A votre indifférence près.
Pourriez-vous être favorable
Aux jeux innocents d’une fable,
Et, voir, sans vous épouvanter,
Un lion qu’Amour sut dompter?
Maints partis se présentèrent. Bien qu’il ne
fût pas beau, avec son grand nez qui n’en
finissait plus et cette houppe ébouriffée qui
l’avait fait surnommer le Matou, bien qu’il
fût veuf deux fois et qu’il eût deux filles de sa
première femme, bien qu’il eût dépassé la
quarantaine, François-Adhémar de Monteil,
comte de Grignan, conquit sur tous la préfé
rence. Mais M me de Sévigné espérait qu’en
accordant sa fille à un homme de cour, elle
la garderait toujours auprès d’elle.
Cette chère espérance fut bientôt déjouée.
Dans l’année même de son mariage, le 29 no
vembre 1669, le comte fut nommé lieutenant-
général de Provence, où il commanda en lieu
et place du duc de Vendôme, gouverneur
officiel, mais trop jeune pour en exercer les
fonctions.
M me de Grignan demeura pendant plus
d’une année auprès de sa mère, mais, en
février 1671, elle dut se résigner à partir pour
la Provence, laissant la marquise crucifiée de
désespoir.
M me de Grignan répondait-elle entièrement
à cet amour maternel si pathétique et si exclu
sif? Certains biographes de la marquise en
ont douté. Autant celle-ci était primesau-
tière, pleine d’élans, affectueuse et si confiante
qu’elle laissait voir de son cœur ce que la pru
dence obligerait de cacher, dit M me de La
Fayette, autant la comtesse était distante,
mélancolique, peu expansive. Ce n’est point
sans raison que La Fontaine, dans sa dédi
cace, insinue ; “ Vous qui naquîtes si belle,
à votre indifférence près...
Dans son inquiète idolâtrie, M me de Sévigné
soupirait : “ J’accorde avec peine l’amitié que
vous avez pour moi avec cette séparation de
toutes sortes de confidënces.
Il serait plus facile de juger des véritables
sentiments de M me de Grignan si l’on avait
ses réponses à sa mère. Mais elles ont été
détruites, et probablement par un M. de
Castellane-Novejean, cousin de M. de Simiane,
mari d’une des filles de la comtesse, qui se
serait imbécilement écrié, pour justifier son
acte de vandalisme, en parlant de M mea de
Sévigné et de Grignan : “ Ces bavardes-là
ont assez fait parler d’elles.
Mais peut-être la comtesse n’avait-elle pas
le cœur si sec qu’on l’a prétendu, elle qui écri
vait à son époux, après huit ans de mariage,
ces lignes adorables : “ Je vous embrasse
de tout cœur, mon très cher comte. Je suis
avec vous avec toute la tendresse possible.
Je vous conjure d’en être bien persuadé et
de ne point changer l’opinion que vous avez
d’avoir à vous seul une jolie personne. Je vou
drais être aussi jolie, comme il est sûr que je
suis à vous.
M adame de Sévigné quitta Paris pour
rejoindre la comtesse, le 13 juillet 1672.
Notons que, durant les vingt-sept années qui
s’écoulèrent entre le mariage de sa fille et le
jour où la marquise rendit le dernier soupir,
elles ne furent guère séparées que pendant le
quart environ de ce temps.
Accompagnée de l’abbé de Coulanges, le
bien bon ”, de l’abbé La Mousse et de
deux femmes, elle arrive à Auxerre, avec son
carrosse à six chevaux, trois jours plus tard.
Le long du chemin, on lisait Virgile dans la
traduction italienne de Caro. Une femme de
la société devait alors connaître l’italien. Elle
parvient à Lyon le 26 juillet, y séjourne
quatre jours, y reçoit force visites, va voir
Fouquet, le surintendant des finances dis
gracié, qu’elle défendit avec tant de chaleur,
prisonnier au château de Pierre-Encize, com
mandant la rive droite de la Saône, et s’em
barque, le 29 juillet, sur le coche d’eau. Elle
couche à Valence et arrive le lendemain à
Robinet, petit port où l’on descendait pour
gagner Grignan, à cinq heures de là.
Grignan était une résidence quasi royale, le
Versailles de la Provence, pourvue d’une
magnifique terrasse, d’où l’on découvrait,
dans un merveilleux panorama de montagnes
(Lire la suite pase 15.)
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