Titre : Dimanche illustré
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Éditeur : [s.n.][s.n.] (Marseille)
Éditeur : [s.n.][s.n.] (Lyon)
Date d'édition : 1923-03-25
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32757502n
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 25 mars 1923 25 mars 1923
Description : 1923/03/25. 1923/03/25.
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG13 Collection numérique : BIPFPIG13
Description : Collection numérique : BIPFPIG69 Collection numérique : BIPFPIG69
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k9111944x
Source : La Cité internationale de la bande dessinée et de l'image
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/09/2020
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EXCELSIOR-DIMANCHE
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6 uiiiiiiiiiiiiiiMiiiiiMiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiimiiii<>i«» |Illa:1,1,1 11,1111
LE 25 MARS 1923
LES CONTES D'ACTION
LA MARQUE DE LA BÊTE
par RUDYARD KIPLING
M
ON ami Strickland, de la Police,
qui en sait autant sur les indi
gènes de l’Inde, que nul n’a
besoin d’en savoir, pourra témoi
gner des faits de la cause.
Dumoise, notre médecin, fut éga-
ement témoin de ce que Strickland et moi
nous avons vu. La conclusion qu il lira^ des
faits est absolument erronée. Aujourd’hui,
il est mort : il mourut de façon assez singu-
lière.
Lorsque Fleete arriva dans l’Inde, il possé
dait quelque argent et un peu de terre dans
les Himalayas, auprès d’un endroit appelé
Dharmsala. L’un et l’autre lui avaient été
laissés par un oncle, et il était venu en tirer
rapport. C’était un homme de haute taille,
lourd, inoffensif et sans fiel. Sa connais
sance des jndigènes se trouvait naturellement
bornée, et il se plaignait des difficultés de la
langue.
Venu à cheval de son logis dans la montagne
passer le jour de l’An au chef-lieu du district,
il descendit chez Strickland. La veille du jour
de l’An, il y. eut grand dîner au club et —
chose excusable -— soirée congrument arrosée.
Dans une réunion de gens arrivés des quatre
bouts de l’Empire, on a droit d’être de belle
humeur. La frontière nous avait envoyé de
là-haut un contingent de troupes irrégu
lières qui n’avaient pas vu vingt visages
blancs dans l’année, gens accoutumés à faire
quinze milles de cheval pour aller dîner au
fort le plus proche, au risque d une balle de mon
tagnard Khyberi à la place de leurs rafraîchis
sements. Ils mirent à profit une sécurité si
nouvelle, en tâchant de jouer à la poule avec
un hérisson roulé en boule qu’ils avaient trouvé
dans le jardin, et l’un d’eux fit faire au mar
queur le tour de la chambre en le portant entre
ses dents. Une demi-douzaine de planteurs
étaient venus du Sud et causaient “ cheval ”
avec le plus Grand Menteur d’Asie, lequel
tâchait d’en trouver de meilleures à toutes
leurs histoires à la fois. Tout le monde était
là, comme pour un “ serrez les rangs ” général :
le compte des pertes en camarades morts ou
hors de combat, tombés au cours de l’année
passée.
Ce fut positivement une soirée très arro
sée, et je me souviens que nous chantâmes
Auld Lang Syne, les pieds dans la grande coupe
du championnat de Polo, et la tête parmi les
étoiles, en nous jurant mutuellement une
amitié sans égale au monde. Plus tard, quelques-
uns de ceux-là s’en sont allés annexer des
Birmanies, d’autres ouvrir le Soudan et se
faire ouvrir eux-mêmes par lgs nègres lors
de ce rude coup de torchon sous les murs
de Souakim, quelques-uns décrochèrent étoiles
et médailles, certains se marièrent, ce qui ne
leur valut rien, d’autres firent d’autres choses
qui valaient moins encore, et le reste d’entre
nous demeura dans ses chaînes à trimer pour
Gageons que, après la lecture de cette étrange histoire,
Vous qui ne c-royez plus à la sorcellerie, vous serez
ébranlés dans votre conviction. C’est un récit frappant
de cette Inde inconnue où le mystère habite les temples
et la jungle. Rudyard Kipling lui-même, en nous le
contant, paraît être encore sous l’empire de la sourde
terreur qui remplit ce drame et l’anime magiquement.
V J
remplir des bourses trop plates, à force d’expé
riences trop courtes.
Fleete commença la soirée par du sherry and
bitters, but du champagne à rasades régulières
jusqu’au dessert, celui-ci accompagné d’un
Capri sec, raclant la gorge et fort comme du
whiskey ; il prit de la bénédictine avec son
café, quatre ou cinq whiskey et sodas pour
corser son jeu à la poule, grillade et bière à
deux heures et demie, et vieille eau-de-vie
pour finir. Conséquemment, en sortant du
club, à trois heures et demie du matin, par une
gelée de 14°, il se mit en colère contre son
cheval parce qu’il toussait, et essaya de se
mettre en selle à saute-mouton. Le cheval se
déroba et retourna aux écuries ; sur quoi
Strickland et moi formâmes une garde de
déshonneur pour reconduire Fleete chez lui.
* * *
N otre chemin traversait le bazar et passait
devant un petit temple d’Hanuman, le
Dieu-Singe, divinité de marque et digne
de respect. Personnellement, je fais grand cas de
Hanuman, et j’ai des bontés pour son peuple —
les grands singes gris de la montagne. On ne sait
jamais quand on peut avoir besoin d’un ami.
Il y avait de la lumière dans le temple, et,
en passant, nous pûmes entendre des voix
d’hommes qui chantaient des hymnes. Dans
un temple indigène, les prêtres se lèvent
à toutes les heures de la nuit pour honorer
leur dieu. Avant que nous ne puissions l’arrêter,
Fleete s’était élancé sur les marches, avait
allongé à deux prêtres une claque amicale dans
le dos, et écrasait gravement la cendre du bout
de son cigare au front de l’idole en pierre rouge.
Strickland essaya de l’entraîner au dehors,
mais lui s’assit et dit solennellement :
— Vous voyez ça ? C’est marque de la
B-bête ! Moi, qui l’ai faite. Chouette, hein ?
En moins d’une minute, le temple s’emplit
de désordre et de rumeur, et Strickland, qui
savait ce qu’il en coûte de polluer les dieux,
déclara qu’il pourrait bien se passer tout à
l’heure des choses. En vertu de sa situation
officielle, de son séjour prolongé dans le pays
et de son faible pour se mêler aux indigènes,
il était, lui, connu des prêtres et ressentait
quelque contrariété. Fleete s’assit par terre en
refusant de bouger. Il déclara que “ cette
vieille branche d’Hanuman ” faisait le plus
doux des oreillers.
Là-dessus, sans avertissement préalable,
un Homme d'Argent sortit d’un réduit der
rière l’image du Dieu. Il était entièrement
nu par ce froid mortel, et son corps brillait
comme de l’argent givré, car c’était ce que la
Bible appelle “ un lépreux aussi blanc que
neige ”. De plus, il n’avait pas de visage, étant
lépreux de plusieurs années et son mal étant
lourd sur sa tête. Nous deux, nous nous
baissions pour enlever Fleete, tandis que le
temple s’emplissait de plus en plus, comme
si la foule eût jailli de terre, quand l’Homme
d'Argent se glissa par-dessous nos bras, en
faisant un bruit qui ressemblait exactement au
miaulement d’une loutre, saisit Fleete à plein
corps, et laissa tomber sa propre tête sur la
poitrine de l’autre avant que nous ayons pu
l’arracher de là. Puis il se retira dans un coin
et s’assit en miaulant, tandis que la foule blo
quait toutes les portes.
La colère des prêtres avait paru très grande
jusqu’au moment où l’Homme d’Ârgent
toucha Fleete ; cette caresse sembla les apaiser.
Au bout d’un silence de quelques minutes,
l’un des prêtres vint à Strickland, et lui dit,
en parfait anglais :
— Emmenez votre ami. Il a fini avec Hanu
man, mais Hanuman n'en a pas fini avec lui.
La foule s’écarta, et nous emportâmes
Fleete sur la route.
Strickland était fort mécontent. Il dit que
nous aurions tous dû recevoir des coups de
couteau, et que Fleete pouvait remercier son
étoile d’être sorti de là sain et sauf.
Fleete ne remercia personne. Il déclara qu’il
voulait aller se coucher. Il était magnifique
ment saoul.
Nous avancions, Strickland gardant un
silence rageur, quand Fleete fut pris de fris
sons violents et de sueurs. Il trouvait ces odeurs
du bazar insupportables, s’indignait qu’on
autorisât des abattoirs si près des logis anglais.
-— Est-ce que vous ne sentez pas le sang ?
dit Fleete.
* * *
N OUS le mîmes enfin au lit, juste au lever du
jour, et Strickland m’invita à prendre un
autre whiskey et soda. Pendant que nous
buvions,il parlade l’affaire du temple et m’avoua
qu’il en demeurait absolument déconcerté.
Strickland a horreur de se faire mystifier par
les indigènes, parce que son métier dans la
vie est de maintenir sa supériorité en se ser
vant de leurs propres armes. Il n’a pas encore
réussi, mais d’ici quinze ou vingt ans il aura
fait quelques petits progrès.
— Ils auraient dû nous assassiner, dit-il,
au lieu de nous miauler après. Je me demande
ce qu’ils voulaient. Je n’aime pas ça le moins
du monde.
Je dis que le Conseil de Fabrique du Temple
nous intenterait, selon toute vraisemblance,
une action criminelle pour insulte à leur
religion. Il existe dans le Code pénal indien un
article qui vise précisément l’offense dont
Fleete s’était rendu coupable. Strickland
déclara qu’il serait trop heureux de leur voir
prendre pareille mesure et qu’il le souhaitait
vivement. Avant de partir, je regardai dans la
chambre de Fleete, et le vis couché sur le
côté droit, qui se grattait le sein gauche. Puis
je gagnai mon lit, transi, morose et mal en
point, sur le coup de sept heures du matin.
A une heure, je me rendis à cheval à la
maison de Strickland pour m’enquérir du mal
aux cheveux de Fleete. Je me doutais qu’il
en aurait un sérieux. Fleete déjeunait, il avait
l’air souffrant. Très en colère, il injuriait le
cuisinier qui ne lui avait pas donné sa côtelette
saignante. Un homme qui peut manger de
la viande crue après une nuit arrosée, c’est un
phénomène. Je le dis à Fleete, qui se mit à
rire.
— Vous élevez de drôles de moustiques
dans ces parages, dit-il. Ils m’ont lardé vif.
Mais rien qu’à un endroit.
— Voyons la morsure, dit Strickland.
L’enflure a dû tomber depuis ce matin.
Pendant qu’on préparait les côtelettes,
Fleete ouvrit sa chemise et nous montra,
juste au-dessus du sein gauche, une marque,
reproduction exacte des rosettes noires qu on
voit sur une peau de léopard, — cinq ou six
taches disposées en rond. Strickland regarda,
et dit :
— Ce n’était que rose, ce matin. C est
devenu noir à présent.
Fleete courut à une glace. §
— Par Jupiter 1 dit-il, voilà qui est vilain.
Qu’est-ce que cela peut bien être ?
Un homme sortit d'un réduit derrière l'image du Dieu. Il était presque entièrement nu par ce froid mortel et son corps brillait comme 'de l’argent
givré. L'homme saisit Fleete à plein corps et laissa tomber sa propre tête sur la poitrine de l’autre avant que nous ayons pu l’arracher de là.
EXCELSIOR-DIMANCHE
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6 uiiiiiiiiiiiiiiMiiiiiMiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiimiiii<>i«» |Illa:1,1,1 11,1111
LE 25 MARS 1923
LES CONTES D'ACTION
LA MARQUE DE LA BÊTE
par RUDYARD KIPLING
M
ON ami Strickland, de la Police,
qui en sait autant sur les indi
gènes de l’Inde, que nul n’a
besoin d’en savoir, pourra témoi
gner des faits de la cause.
Dumoise, notre médecin, fut éga-
ement témoin de ce que Strickland et moi
nous avons vu. La conclusion qu il lira^ des
faits est absolument erronée. Aujourd’hui,
il est mort : il mourut de façon assez singu-
lière.
Lorsque Fleete arriva dans l’Inde, il possé
dait quelque argent et un peu de terre dans
les Himalayas, auprès d’un endroit appelé
Dharmsala. L’un et l’autre lui avaient été
laissés par un oncle, et il était venu en tirer
rapport. C’était un homme de haute taille,
lourd, inoffensif et sans fiel. Sa connais
sance des jndigènes se trouvait naturellement
bornée, et il se plaignait des difficultés de la
langue.
Venu à cheval de son logis dans la montagne
passer le jour de l’An au chef-lieu du district,
il descendit chez Strickland. La veille du jour
de l’An, il y. eut grand dîner au club et —
chose excusable -— soirée congrument arrosée.
Dans une réunion de gens arrivés des quatre
bouts de l’Empire, on a droit d’être de belle
humeur. La frontière nous avait envoyé de
là-haut un contingent de troupes irrégu
lières qui n’avaient pas vu vingt visages
blancs dans l’année, gens accoutumés à faire
quinze milles de cheval pour aller dîner au
fort le plus proche, au risque d une balle de mon
tagnard Khyberi à la place de leurs rafraîchis
sements. Ils mirent à profit une sécurité si
nouvelle, en tâchant de jouer à la poule avec
un hérisson roulé en boule qu’ils avaient trouvé
dans le jardin, et l’un d’eux fit faire au mar
queur le tour de la chambre en le portant entre
ses dents. Une demi-douzaine de planteurs
étaient venus du Sud et causaient “ cheval ”
avec le plus Grand Menteur d’Asie, lequel
tâchait d’en trouver de meilleures à toutes
leurs histoires à la fois. Tout le monde était
là, comme pour un “ serrez les rangs ” général :
le compte des pertes en camarades morts ou
hors de combat, tombés au cours de l’année
passée.
Ce fut positivement une soirée très arro
sée, et je me souviens que nous chantâmes
Auld Lang Syne, les pieds dans la grande coupe
du championnat de Polo, et la tête parmi les
étoiles, en nous jurant mutuellement une
amitié sans égale au monde. Plus tard, quelques-
uns de ceux-là s’en sont allés annexer des
Birmanies, d’autres ouvrir le Soudan et se
faire ouvrir eux-mêmes par lgs nègres lors
de ce rude coup de torchon sous les murs
de Souakim, quelques-uns décrochèrent étoiles
et médailles, certains se marièrent, ce qui ne
leur valut rien, d’autres firent d’autres choses
qui valaient moins encore, et le reste d’entre
nous demeura dans ses chaînes à trimer pour
Gageons que, après la lecture de cette étrange histoire,
Vous qui ne c-royez plus à la sorcellerie, vous serez
ébranlés dans votre conviction. C’est un récit frappant
de cette Inde inconnue où le mystère habite les temples
et la jungle. Rudyard Kipling lui-même, en nous le
contant, paraît être encore sous l’empire de la sourde
terreur qui remplit ce drame et l’anime magiquement.
V J
remplir des bourses trop plates, à force d’expé
riences trop courtes.
Fleete commença la soirée par du sherry and
bitters, but du champagne à rasades régulières
jusqu’au dessert, celui-ci accompagné d’un
Capri sec, raclant la gorge et fort comme du
whiskey ; il prit de la bénédictine avec son
café, quatre ou cinq whiskey et sodas pour
corser son jeu à la poule, grillade et bière à
deux heures et demie, et vieille eau-de-vie
pour finir. Conséquemment, en sortant du
club, à trois heures et demie du matin, par une
gelée de 14°, il se mit en colère contre son
cheval parce qu’il toussait, et essaya de se
mettre en selle à saute-mouton. Le cheval se
déroba et retourna aux écuries ; sur quoi
Strickland et moi formâmes une garde de
déshonneur pour reconduire Fleete chez lui.
* * *
N otre chemin traversait le bazar et passait
devant un petit temple d’Hanuman, le
Dieu-Singe, divinité de marque et digne
de respect. Personnellement, je fais grand cas de
Hanuman, et j’ai des bontés pour son peuple —
les grands singes gris de la montagne. On ne sait
jamais quand on peut avoir besoin d’un ami.
Il y avait de la lumière dans le temple, et,
en passant, nous pûmes entendre des voix
d’hommes qui chantaient des hymnes. Dans
un temple indigène, les prêtres se lèvent
à toutes les heures de la nuit pour honorer
leur dieu. Avant que nous ne puissions l’arrêter,
Fleete s’était élancé sur les marches, avait
allongé à deux prêtres une claque amicale dans
le dos, et écrasait gravement la cendre du bout
de son cigare au front de l’idole en pierre rouge.
Strickland essaya de l’entraîner au dehors,
mais lui s’assit et dit solennellement :
— Vous voyez ça ? C’est marque de la
B-bête ! Moi, qui l’ai faite. Chouette, hein ?
En moins d’une minute, le temple s’emplit
de désordre et de rumeur, et Strickland, qui
savait ce qu’il en coûte de polluer les dieux,
déclara qu’il pourrait bien se passer tout à
l’heure des choses. En vertu de sa situation
officielle, de son séjour prolongé dans le pays
et de son faible pour se mêler aux indigènes,
il était, lui, connu des prêtres et ressentait
quelque contrariété. Fleete s’assit par terre en
refusant de bouger. Il déclara que “ cette
vieille branche d’Hanuman ” faisait le plus
doux des oreillers.
Là-dessus, sans avertissement préalable,
un Homme d'Argent sortit d’un réduit der
rière l’image du Dieu. Il était entièrement
nu par ce froid mortel, et son corps brillait
comme de l’argent givré, car c’était ce que la
Bible appelle “ un lépreux aussi blanc que
neige ”. De plus, il n’avait pas de visage, étant
lépreux de plusieurs années et son mal étant
lourd sur sa tête. Nous deux, nous nous
baissions pour enlever Fleete, tandis que le
temple s’emplissait de plus en plus, comme
si la foule eût jailli de terre, quand l’Homme
d'Argent se glissa par-dessous nos bras, en
faisant un bruit qui ressemblait exactement au
miaulement d’une loutre, saisit Fleete à plein
corps, et laissa tomber sa propre tête sur la
poitrine de l’autre avant que nous ayons pu
l’arracher de là. Puis il se retira dans un coin
et s’assit en miaulant, tandis que la foule blo
quait toutes les portes.
La colère des prêtres avait paru très grande
jusqu’au moment où l’Homme d’Ârgent
toucha Fleete ; cette caresse sembla les apaiser.
Au bout d’un silence de quelques minutes,
l’un des prêtres vint à Strickland, et lui dit,
en parfait anglais :
— Emmenez votre ami. Il a fini avec Hanu
man, mais Hanuman n'en a pas fini avec lui.
La foule s’écarta, et nous emportâmes
Fleete sur la route.
Strickland était fort mécontent. Il dit que
nous aurions tous dû recevoir des coups de
couteau, et que Fleete pouvait remercier son
étoile d’être sorti de là sain et sauf.
Fleete ne remercia personne. Il déclara qu’il
voulait aller se coucher. Il était magnifique
ment saoul.
Nous avancions, Strickland gardant un
silence rageur, quand Fleete fut pris de fris
sons violents et de sueurs. Il trouvait ces odeurs
du bazar insupportables, s’indignait qu’on
autorisât des abattoirs si près des logis anglais.
-— Est-ce que vous ne sentez pas le sang ?
dit Fleete.
* * *
N OUS le mîmes enfin au lit, juste au lever du
jour, et Strickland m’invita à prendre un
autre whiskey et soda. Pendant que nous
buvions,il parlade l’affaire du temple et m’avoua
qu’il en demeurait absolument déconcerté.
Strickland a horreur de se faire mystifier par
les indigènes, parce que son métier dans la
vie est de maintenir sa supériorité en se ser
vant de leurs propres armes. Il n’a pas encore
réussi, mais d’ici quinze ou vingt ans il aura
fait quelques petits progrès.
— Ils auraient dû nous assassiner, dit-il,
au lieu de nous miauler après. Je me demande
ce qu’ils voulaient. Je n’aime pas ça le moins
du monde.
Je dis que le Conseil de Fabrique du Temple
nous intenterait, selon toute vraisemblance,
une action criminelle pour insulte à leur
religion. Il existe dans le Code pénal indien un
article qui vise précisément l’offense dont
Fleete s’était rendu coupable. Strickland
déclara qu’il serait trop heureux de leur voir
prendre pareille mesure et qu’il le souhaitait
vivement. Avant de partir, je regardai dans la
chambre de Fleete, et le vis couché sur le
côté droit, qui se grattait le sein gauche. Puis
je gagnai mon lit, transi, morose et mal en
point, sur le coup de sept heures du matin.
A une heure, je me rendis à cheval à la
maison de Strickland pour m’enquérir du mal
aux cheveux de Fleete. Je me doutais qu’il
en aurait un sérieux. Fleete déjeunait, il avait
l’air souffrant. Très en colère, il injuriait le
cuisinier qui ne lui avait pas donné sa côtelette
saignante. Un homme qui peut manger de
la viande crue après une nuit arrosée, c’est un
phénomène. Je le dis à Fleete, qui se mit à
rire.
— Vous élevez de drôles de moustiques
dans ces parages, dit-il. Ils m’ont lardé vif.
Mais rien qu’à un endroit.
— Voyons la morsure, dit Strickland.
L’enflure a dû tomber depuis ce matin.
Pendant qu’on préparait les côtelettes,
Fleete ouvrit sa chemise et nous montra,
juste au-dessus du sein gauche, une marque,
reproduction exacte des rosettes noires qu on
voit sur une peau de léopard, — cinq ou six
taches disposées en rond. Strickland regarda,
et dit :
— Ce n’était que rose, ce matin. C est
devenu noir à présent.
Fleete courut à une glace. §
— Par Jupiter 1 dit-il, voilà qui est vilain.
Qu’est-ce que cela peut bien être ?
Un homme sortit d'un réduit derrière l'image du Dieu. Il était presque entièrement nu par ce froid mortel et son corps brillait comme 'de l’argent
givré. L'homme saisit Fleete à plein corps et laissa tomber sa propre tête sur la poitrine de l’autre avant que nous ayons pu l’arracher de là.
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