Titre : Le Petit Parisien. Supplément littéraire illustré
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1891-02-01
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344191170
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 01 février 1891 01 février 1891
Description : 1891/02/01 (Numéro 104). 1891/02/01 (Numéro 104).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k8303746
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, GRFOL-LC2-3850 (BIS)
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/12/2010
Supplément Littéraire Illustré du " Petit Parisien "
Courrier de la Semaine
Paris doit être content : α» lui & renati ton
cortège dn Boeuf-Gras.
Depuis longtemps, 11 en était privé, et,
pourtant criait la Une de ses réjouissances
classiques, li faut croire qu'il ne s était point
consolé de l'avoir perdue. Toujours estil que
le gouvernement a décidé que la cavalcade
du Boeuf-Gras serait rétablie cette année.
Les vieux Parisiens n'ont pas oublié cette
marche carnavalesque à travers les rues de
la capitale.
Le boeuf, escorté* de boucliers déguisés en
sauvages et ayant la massue sur l'épaule, était
suivi delà fonie joyeuse, à pied ou en char,
de» masques de toutes sortes, â et les cu-
rieux applaudissaient au passage.
En 1845, on eut l'idée de baptiser te Boeuf-
Gras. Quel nom lui donner 1 Un admirateur
de Balzac proposa de l'appeler le Pire Goriot.
On s'amusa de cette dénomination et, désor-
mais, tous lee boeufs reçurent un nom qui
trahissait les préoccupations diverses de la
population parisienne au moment au Car-
naval. Î * ÏÎ
Dagobert, en 18461 nous dit la vogue du Juif-
Errant, Je roman d'Eugène Sue. Monte-Cristo
salue, l'armée suivante, la gloire d'Alexandre
Dumas. En 1851, il se nomme Manlius. Pour-
quoi cette évocation classique 1 Nous l'igno-
rons. Mais cette année-là lut essentiellement
pompeuse: c'était Vellida â Ja déesse Gau-
loise â qui conduisait en personne le char
de l'Agriculture.
La Cote de l'Oncle Tom, le roman de
Mme Beecher-Stove en faveur des nègres, ré-
volutionna le monde, et les boeufs de 1853
prirent les noms des héros de eette oeuvre :
le Père Tom, Shelby, Saint-Clare. Les Trois
Mousquetaires eurent un succès prodigieux t
le Boeuf-Gras de i854 s'appela Porthos· et se»
compagno»* Athos, Aramis et d'Artagnan.
La pantomimo, en 1855, none donna Fierro*,
Paillasse et Bosco. Puis, voici la Crimée â
1 $36 â avec tes boeufs Sêbastopol et Malabo ff.
Ivn 185*7, los parrains sont plus embarras-
ers : Dom Guillaume et Qu'en-dira-t-on sont
de» noms quelconques. C'est comme en 1858 :
L« viathon ot Dalila. Mals on chanta Jes Bot-
1rs rie Bastien en 1859, qui est aussi l'année
4e la campagne d'Italie : alors, rélu se nomma
bastie»'e X ses seconds Lombard et Turin.
Puis, en 1860, Palestro, Solferino, Magenta,
Mil afranca. Puls, en 1861, â c'est Î époque
do l'expédition de Chine â Pékin et Sanghaï.
[Nous sommes plus tard au Mexique et les
boeufs s'appellent Ver a-Cruz et Mexico
Il y a aussi un boeuf qui s'appelle familiè-
rement Tu-Vas-me-le-payer ; ce nom n'a
d'autre but que de donner des gages à la
chanson populaire, car ce refrain court alors
les rues :
Tu vas m'ie payer, Aglaé 1
La chanson baptisera encore le boeuf de
l'année suivante : il sera Pied-qui-remue et
ses frères célébreront les triomphes de la
féerie et de l'opéra en se nommant Rotha-
rnapo et LaUa-Rouck. Eu 1864, il n'y a Je
noms typiques que la Frégate, sans doute à
cause de l'établissement de bains-restaurant
établi sur la Seine et qui excite la curiosité
des Parisiens. En 1865, c'est Emile Augier qui
tient le boeuf sur les fonts baptismaux : il
nomme son filleul Maitre-Guérin, M. Victorien
Sardón tient le second qui s'appelle Vieux
Garçon. Il y a aussi Gladiateur, le célèbre
cheval de course, vainqueur du Grand-Pris
qui consent à servir do parrain à un quadru-
pède qui, s'il ne court pas, fait du moine cou-
rir tout Parle.
Mals on n'en Unirait paH de faire l'énuméra-
tlou des noms portée par les boeufs gras.
Toutefois, si le nom changeait chaque an-
née, en raison de Ja mode, le cortège subis-
sait peu de modifications ; cependant, à diffé-
rentes époques, on peut y voir figurer des
allégoriest des allusions. En 1816, les Trois-
Mousquetaires ouvrent la marche. En 1852,
on réserve dans le cortège une place aux ban- !
nières et étendards des exposants de Londres,
portant le fac-similé des incompensés obte-
nues . En 1867, il y a 1a char du Génie de la
France qui appelle toutes Je» nations à con-
courir à l'Exposition universelle. En 870, un
char maritime est l'apothéose du percement
de l'Isthme de Suez»
Le grand succès fut pour le cortège du
Boeuf-Gras de Í806, en raison (Tun gigantesque
Gargantua qui fit une sensation énorme. 11 se
tenait au milieu d'une armée de cuisiniers,
d'écuyers tranchants, de maîtres-d'hôtel ar-
més d'instruments professionnels. H roulait
des yeux terribles, ouvrait une bouche
énorme qui engloutissait lea piata, y compris
tes marmitons qui íes avaient confectionnés, A
chaque station, il ouvrait sa bouche colossale
¿ans Inquelle on était prié de vouloir bien ,
jeter des dons en argent ou en nature qui:
étaient reçus avec reconnaissance.
Le boeuf, après sa marcha glorieuse, était
naturellem ont abattu, mais il restait celebre
nême après sa mort, et sa viande était débí- j
tée à haut prix che* les grands bouchers. Tou-
tefois, il y put un« exception en 1851, Cette!
année-là, {'éleveur, M. Addine, fit savoir son
intention de vendre ses boeufs gras, commela
viande ordinaire, à k criée. « Le pau vre ainsi 1
que le riche, disait-on, aura la facilité, cette
fois, de pouvoir manger du Boeuf-Gras ».
Comment appellera-t-on le Boeuf-Gras de
eette année ï
Lui donnera-t-on le nom de « Kalakaus »,
le roi dee líes Sandwich qui vient de mou-
rir? ou bien le nom de la nouvelle pièce de
M. Sardón : Thermidor ï
Le problème est peut-être grave, maïs on s
le temps de 1« résoudre.
D'ailleurs, quel que soit le nom qu'on lui
donne, le Boeuf-Gras n'en sera pas moins
condamné h se dire, après sa triomphale pro-
menade à travers Parie : « 11 faut mourir! »
κ Mourir pour trop aimer ! » dit la Desde-
mone de Shakespeare. On meurt d'amour
moins qu'autrefois, mais on tue davantage.
Nous sommes devenus plus énervés et plus
féroces avec le temps. Quelles sont les causes
multiples de ce « phénomène » 1 Je n'ai pas à
les rechercher ici; mais ce qui est certain,
c'est que le pistolet du jeune Werther, le hé-
ros du roman de Goethe, qui se tuait dans un
accès de désespoir d'amour, passerait aujour-
d'hui pour um arme bien démodée: il a été
remplacé par le revolver, un revolver à la
fols généreux et re tenu, qui, sur ses six coups,
a, presque toujours, quatre ou cinq balles
pour la victime, et une ou deux seulement â
qui ne portent pas, d'ailleurs, â pour ié
meurtrier.
Connaissez-vous un drame plus triste que
cette affaire Wladimiroff, qui vient d'être
jugé par la cour d'assises de Seine-et-Ulse Ì
Certes, je ne veux pas être trop sévère. La
Justice a prononcé, le meurtrier est condamné.
Maie ce n'est point une raison pour se taire,
car il y a là une sorte d'étude sociale.
Voici un jeune Slave, aux instincts fou-
gueux et précoces, plein à la tois d'emporte-
ment et d expérience. J'admets que ce ne soit
point un simple aventurier, comme J'incline-
rais à le croire, mais un exalté. H aime, il dit
aimer, et 31 CTOU aimer une femme sensible-
ment plus Âgée et plus riche que lui; il lui
exprime, lui persuade et M impose si vieto-
rieusement ou si effrontément sa passion
qu'elle finit par abdiquer toute résistance. 11
la bat et l'injurie dans les intervalles ; il l'ex-
ploite avant de l'assassin er -
Ce héros de roman, en supposant qu'il soit
romanesque, et non positif, est un pur sau-
vage, et un sauvage très civilisé, le pire de
tous ; il est hardi et rusé, frénétique et calcu-
culateur.
Je veux espérer qu'il n'y a pas beaucoup de
ses pareils dans la jeune génération contem-
poraine.
Voici maintenant une jeune femme ou plu-
tôt une femme encore jeune- Eile est tendre
et malade ; elle a une âme bonne et un orga-
nisme vibrant. Très impressionnable, très
nerveuse, très exaltée, elle est, en outre, em-
poisonnée de morphine ; elle est habituée,
comme une enfant volontaire, à ne pas ren-
contrer d'obstacle à ses fantaisies. Un jour,
elle a le malheur de trouver sur son chemin
« l'homme fatal » dont elle deviendra la proie
et la victime. Malgré tontea lea désillusions eî
tous les avertissements qui lui viennent de
divers côtés et de diverses façons, elle se
laisse aller à la douceur d'aimer et d'être ai-
mée. Il y a en elle une affection et un dévoue*
ment aveugles qu'elle prodigue à ce séduc-
teur persuasif. Tour à tour, elle doute de ses
sentiments, surtout lorsqu'il l'entretient de
ses intérêts, et elle a en lui une confiance cré^
dule et passionnée. Absent, lï lui inspire des
craintes et lui suggère des réflexions ; pré-
sent, il la regarde et la domine, par ses priè-
res, par s$s larmes et par ses menaces, il 3'é'
pouvante, mais elle ne hait pas d'être effrayée ;
c'est une secousse di une surprise pour se&
nerfs malades, il la bat, dit-on, mais elle ne
l'en aime peut-être que davantage ; elle volt,
elle veut voir une preuve de jalousie, et, par
suite, d'amour profond dans ses brutalités.
Elle va pourtant lui échapper, car xì parafi
bien qu'elle se soit reprise au dernier mo-
ment, mais il l'entraîne à un dernier rendez-
vous, à Ville-d'Avray, et Î la tue.
Bien n'est plus affligeant que cette sombre
histoire.
Verrons-nous encore beaucoup de ces faux
martyrs de l'amour qui assassinent írw) vo-
lontiers lea autres ? Je me refuse énergique-
mont, pour ma part, à les trouver sympathi-
ques et à leur donner une pitié qu'ils ne mé-
ritent pas. Si encore ils se tuaient près de leur
victime Í liai» non t íís s aperçoivent. au der-
nier moment, qu'il uy a plus de balles pour
eux dans leur» revolvers et ils survivent à
celle qu'il* ont tuée.
La malheureuse est morte; eux, restent
bien portants.
Ou ou me ramène à Werther! Lui, du
moins, s'il n'avait pas l'énergie de dominer
son désespoir, il ne s'en prenait qu'à lui. Il
envoyait un émouvant Mien Ala fem me qu'il
aimait et i S se tuait soûl. On pouvait et on
devait lô plaindre.
Au moment même où ('on jugeait Pierre de
Wladimtroff à Versailles, un procès du même
genre avait lieu en Pologne,
Un jeune sous-lieutenant, en garnison à
Varsovie, était accusé d'avoir assassiné sa
maîtresse.
C'était une belle fille de théâtre, entourée
d'hommages pour sa grâce et pour ses succès.
Le meurtrier a affirmé que sa maîtresse et
lui avaient convenu de mourir ensemble, la
jeune femme reçut de lui la balle au coeur
qu'elle avait demandée, â mais elle mourut
seule. Son amant, après l'avoir tuée, prit la
fuite.
Interrogé par ses chefs, il eut, du moins,
l'honnêteté dû confesser son crime ; 11 dit tex-
tuellement qu'après avoir frappé, « Il n'avait
pas eu le courage de se fuer lui-même ». j
Voilà l'aveu que d'autres n'ont pas eu la
probité de faire, inaia ani juge tous ces
meurtriers άΰ îaux amour Í
Dans ces drames, le beau rôle â il Mût le
reconnaître â revient toujours à la femme.
Elle du moins, se sacrifie ¿-ans retour.
Quand elle a décidé de mourir, elle meurt. Et
c'est toujours elle qui est la victime ; elle ac-
cepte la mort sans crainte, tandis que, la plu-
part du temps, l'amant trouve le moyen de
revenir de ce voyage qu'on devait Mire à ¡
deux vers la tombe-
Il y a peu do temps encore, sur la route de ;
Mayenne, on trouva le cadavre d'une fillette,
presque une enfant. A côté d'elle était étendu
le corps d'un sergent du 102* régiment de li-
gne, un nommé Corbet. Le sergent avait une
balle dans la poitrine, mais on put le rappe-
ler à la vie. La jeune filie était morte.
Après un séjour de trois mois à l'hôpital,
Corbet comparaissait, Il y a peu de jours,
devant le Conseil de guerre-
Son défenseur a lu une lettre écrite uar 1»
petite morte à une de ses amies, la veille du
suicide. Eifa explique mieux qu'an commen-
taire ces crises d'âmes par où les désespérés
de l'amour aboutissent au suicide. Et, sûre-
ment, mes lecteurs ne résisteront pas à l'é-
motion qu'éveillera en eux la lecture de ce
petit billet que les journaux ont déjà publié :
â Tu vas Wen me pardonner tout le mal que Je
vais te causer, ma pauvre Aérienne, mais lorsque
tu recevras ces quelques lignes, ton amie que tu
aimais tant aura quitté 3a terre.
* Je souffre trop, ma pauvre amie. Nous par-
tons tous les deux, quittant sans regret cette
terre où je n'ai connu à part toi que la douleur.
Tu viendras t'agenouiller sur notre tombe et prier
pour lui et pour moi
» Avant de quitter cette terre, Je ne domande
qu'une chose, c'est d'être réunie dans io même
tombeau i celui avec lequel J'aurais voulu vivre
toute îa vie-
J aurais voulu pouvoir l'envoyer la photographie
de mou flaneé, mais je n'tï pas pu, car noue oe
nous voyons que très rarement- C'est ce qui lait
notre désespoir et qui fera ton deuil, NOUS par-
tons, car il nous est impossible de vivre Tun
saos l'autre.
/e t'envois une bonete de mes cheveux et «ne
Qeur de moa flaneé bien-aimé ».
Voilà bien lo langage de ï amour, et la
jeune fille a tenu son serment- Elle avait Juré
de mourir « elle est morte 1 Sa fin tragique
lui vaut notre pitié. Cette jeune désespérée,
dans sa naïveté touchante, devient presque
héroïque, et, ne pouvant vivre de Iamour,
elle a eu le courage d'en mourir.
Jacques LEFRANC.
LA VISION
(ÎβÏο)
1
On amena, le soir du 2! décembre 1870, à
Fam bulan ce du Grand-Hôte!, un officier qui
avait été blessé, le matin, à l'attaque du Bour-
get. Une balie ìul avait brisé le genou. Il souf-
frait horriblement ; mais, essayant de dissi-
milar sa souffrance, en vieux soldat qu'il
était, il se contentait de mordiller sa lèvre
inférieure et un peu sa barbiche. Lorsqu'on
le descendit de la voiture d'ambulance pour
le transporter dans un lit, 11 dit froidement
aux hommes qui le portaient et dont chaque
mouvement eût dû lui tirer un cri, tant sa
blessure était douloureuse :
â Fâché de la peine, les amis, mais 11 faut
bien avoir recours aux bras des autres quand
on n'a plus ses jambes & soi î
On le coucha sur un lit.
H enleva lui-même sa tunique, son gilet,
défit ses bretelles, mais arrivé au pantalon,
¿es forces lui manquèrent :
â Non, c'est impossible 1 dit-il.
Et II s'abandonna aux Infirmiers,
îi s'appelait Merli er. Il avait quarante-cinq
an», 11 était commandant d'infanterie de ligne.
Dans sa vie, cet homme avait vu souvent
la mort de près et sent! passer sur sa peau !e
froid du fer ou le «internent de la balle. 11
n'avait jamais été blessé En Italie, au Mexi-
que, ¿ Wissembourg, l Froesehwiller, i] eût
dû rester cent fois sur le carreau. « Cast une
des plus belles chances de soldat qu'on puisse
rencontrer, disait-on de lui au régiment;
pour tant de campagne», pas une égrati-
gnure ' Le commandant Merlier avait, avec
une partgnés d'hommes, défendu une dés der-
nières maisons de Reischoffeu et arrêté l'élan
de la horde prussienne acharnée à la pour-
suite de l'armée vaincue, Après Sedan, hon-
teux et furieux de cette capitulation lâche,
Merlier, après avoir trépigné dans la boue de
cette Ile de la Meuse où les Allemands avaient
parqué nos soldats prisonniers, s'était, après
avoir refusé de donner parole qu'il ne com-
battrait point coût«» la Prusse, échappé, au
risque d'être repris et fusillé, gagnant fa Bel-
pique. De là, il était rentré à Pans, par le der-
nier train venant du Nord, et iï s'était rendu
4 l'hôtel du gouverneur de Paris, il ne de-
mandait pas un grade plus élevé, mais il ré-
clamait la droit de commander, à Parts
comme δ Wissembourg, comme à Woerth,un
bataillon. Le commandant Merlier fut â«s plus
intrépides en octobre. Je jour do la sanglante
tentative de sortie par la Malmaison et la Jon-
chère.
Le matin du 21 décembre, à l'attaque du
Bourget, il fut frappé au milieu de la grande
rue, pendant que son régiment se lançait bra-
vement, poitrines découvertes, contre dea
murailles et des tirailleurs abrités.
Par un prodige d'énergie, le commandant,
tombé de cheval, se tin t encore debout, tandis
qu'on sonnait la retraite; mala quand il vou-
lut suivre ses fantassins, un éblouisse-
ment le prit, et, »'appuyant sur sou sabre ;
â A molí di t41; mes enfants, n« pai tei
pas sans moi l
Deux de se3 hommes le ramassèrent sons
une pluie de ballai «t le transportèrent dans
ηηβ usine, à droite Ôe U mite du Bourget.
Lea fusiliers marin a Avaient enlevé, quel-
ques heures aupar avant, cette usine comme à
I abordage, la car»bine im bandoulière et la
hache à main lille était h nous. On laissa là
le commandant durant de longues heures. Un
officier de mobiles lvst avait donné sa gourde,
et, de temps à autre, Mertier humectait ses
lèvres d'un peu de cognac, mal s sans boire ;
II savait que l'alcool, loin de réchauffer, débi-
lite et glace.
Des ambulanciers, ae disputant l'honneur
de soigner un commandant, arrivèrent au
bout de quelque temps. Ces hommes faisaient
partie d'ambulances rivales. Le commandant
eur dit :
â Finissez de vous chamailler, et enlevez-
moi, puisque j9 οθ euia plus bon à rien !
On le coucha dans une voiture à côté d'un
petit mobile de paris, pâle, maigre.blessé àia
poitrine, et qui,pendant la route, ebantonnait
encore, d'un ton narquois, comme pour bra-
ver le mal, ce refrain des « moblots wde Ì87G,
à la fois gamin et attristé :
La Pruase aura son heure 1
c est pas toujours les mômes
Qu'auront i'assiette au beurre î
M erller n'était pas depuis douze heures au
Grand-Hôtel que le chirurgien lui dit que la
blessure reçue nécessiterait l'amputation ; il
regarda fixement le docteur et dit ;
â Î Q'y a pas moyen de me sauver cette
ïambe t.,. J'ai un fils an collège, tl me faut
l'élever, et le voudrais bien n'être pas mis à
la retraite et aux impotents.
â C'est impossible, corn mandant ï
Notez que j'aimerais autant en finir que
de me voir forcé de me traîner comme un es-
cargot avec un pilon comme soutien-
â¢â L'os est broyé, mon commandant ; nous
serions impuissants à vous sauver si vous
vous refusiez à l'amputation,
â C'est bon ; charcuter !
On lut proposa de l'endormir avec du chloro-
forme pendant l'amputation ; le commandant
se mit a rire ι
â Vous me prenez donc pour un poulet ?
Il regarda, pâle, mordillant une cigarette de
laquelle il tirait de temps à autre une bouffée,
Il regarda i opération, cette jambe tuméfiée
qui était la sienne, ces instrumenta posés sur
le linge blanc, ces aiguilles, cette charple dis-
posée en bourdonnets, et ce chirurgien qui,
plus ému gue lui, préparait toutes choses.
Durant i opération, il ne poussa pas même
un soupir, maie quand il vit ce moignon sai-
gnant, cette cuisse d'où, s'échappait un sang
noir, et dont les chairs semblaient palpiter,
prises d'un frémissement nerveux tandis
qu'on les recousait en recouvrant l'os bhnc et
coupé avec te lambeau de chair qui dépassait,
Ü hocha la tète et dit :
â infirma, va 1
II
Au moment oft on le rapportait dans son lit»
Uh officier prussien, pài » élancé, un lorgnon
à l'oeil et le bras eu écharpe, entrait dans la
salle. On venait de le faire prisonnier, et :1
avait la main droite brisée. Ce tte main était
encore gantée. l)e sa main gauche, l'Allemand
tenait sa casquette, et, froidement, il demanda
à feuï qui ï'escortai on t « où était son lit
Quelqu'un lui désigna un lit voi sin de colui
au commandant Merli er.
Celui-ci vit l'officier prussien jeter sa cas-
quette sur le lit, s'asseoir et regarder à droite
et à gauche pendant qu'on retirait sou gant
collé a la chair et qu'on faisait à sa maiu
broyée un premier pansement.
Merller entendit qu'on agitait tout bas,
parmi les médecins, la question de savoir
si on laisserait ie Prussien eî près du com-
mandant ;
â Pourquoi pas t dit l'amputé en interrom-
pant le colloque h voix basse ; deux blessés ne
sont plus eusmis.
A ces mots, l'officier prussien se retourna
lentement du cdfo le Merlier.
â Vous vous trompez, monsieur, dit-il d'un
petit air impertinent, blessés ou bien por-
tants, íes Allemand* et les Français ne peu-
vent i amai*, être amis i
Merlier haussa légèrement les épaules,
Avec votre main en compote et ma
cuisse rasée, dit-il. nous sommes propres et
nous avons bteh le temps de discuter î... fte
craignez rien, ctvn est pas Î amitié qui m'e-
toutfera jamais muir les incendiaires de Ba-
zefiles fc ot le» fusilleurs de femme·,« !
l,e Prusslen regarda Merller et aperçut le
répi du commadant suspendu à la tête du
Ht : soit respect instinctif du grade, â l'Alle-
mand était lieutenant â soit dédain affecté,
il ne répondit pas.
On offrit encore a Merlier de le transporter
ailleurs, de donner un autre lit au Prussien.
Le commandant ne voulut pas. U promit de
ne point s'emporter, d'être calme,
â Après taut, disait-il, tant que je pourrai
manier un sabre ou tenir un revolver, je sa-
rai bon à quelque chose I
Pendant deus Jours, l'amputation parut
avoir réussi, mais au bout do ce temps des
symptômes alarmants parurent.
Ili
Merlier sentait vaguement, à une faiblesse
plus grande et aussi à la façon dont on lui
parlait et dont on parlait de lui, qu'il était
perdu.
Alors, il se dit qu'il voulait au moins voir
son fils et Fera brasser.
U n'avait pas voulu, jusqu'ici, qu'on déran-
geât l'enfant., qu'on l'attristât déjà. Mainte-
nant, il le fallait. U demanda un capitaine de
Courrier de la Semaine
Paris doit être content : α» lui & renati ton
cortège dn Boeuf-Gras.
Depuis longtemps, 11 en était privé, et,
pourtant criait la Une de ses réjouissances
classiques, li faut croire qu'il ne s était point
consolé de l'avoir perdue. Toujours estil que
le gouvernement a décidé que la cavalcade
du Boeuf-Gras serait rétablie cette année.
Les vieux Parisiens n'ont pas oublié cette
marche carnavalesque à travers les rues de
la capitale.
Le boeuf, escorté* de boucliers déguisés en
sauvages et ayant la massue sur l'épaule, était
suivi delà fonie joyeuse, à pied ou en char,
de» masques de toutes sortes, â et les cu-
rieux applaudissaient au passage.
En 1845, on eut l'idée de baptiser te Boeuf-
Gras. Quel nom lui donner 1 Un admirateur
de Balzac proposa de l'appeler le Pire Goriot.
On s'amusa de cette dénomination et, désor-
mais, tous lee boeufs reçurent un nom qui
trahissait les préoccupations diverses de la
population parisienne au moment au Car-
naval. Î * ÏÎ
Dagobert, en 18461 nous dit la vogue du Juif-
Errant, Je roman d'Eugène Sue. Monte-Cristo
salue, l'armée suivante, la gloire d'Alexandre
Dumas. En 1851, il se nomme Manlius. Pour-
quoi cette évocation classique 1 Nous l'igno-
rons. Mais cette année-là lut essentiellement
pompeuse: c'était Vellida â Ja déesse Gau-
loise â qui conduisait en personne le char
de l'Agriculture.
La Cote de l'Oncle Tom, le roman de
Mme Beecher-Stove en faveur des nègres, ré-
volutionna le monde, et les boeufs de 1853
prirent les noms des héros de eette oeuvre :
le Père Tom, Shelby, Saint-Clare. Les Trois
Mousquetaires eurent un succès prodigieux t
le Boeuf-Gras de i854 s'appela Porthos· et se»
compagno»* Athos, Aramis et d'Artagnan.
La pantomimo, en 1855, none donna Fierro*,
Paillasse et Bosco. Puis, voici la Crimée â
1 $36 â avec tes boeufs Sêbastopol et Malabo ff.
Ivn 185*7, los parrains sont plus embarras-
ers : Dom Guillaume et Qu'en-dira-t-on sont
de» noms quelconques. C'est comme en 1858 :
L« viathon ot Dalila. Mals on chanta Jes Bot-
1rs rie Bastien en 1859, qui est aussi l'année
4e la campagne d'Italie : alors, rélu se nomma
bastie»'e X ses seconds Lombard et Turin.
Puis, en 1860, Palestro, Solferino, Magenta,
Mil afranca. Puls, en 1861, â c'est Î époque
do l'expédition de Chine â Pékin et Sanghaï.
[Nous sommes plus tard au Mexique et les
boeufs s'appellent Ver a-Cruz et Mexico
Il y a aussi un boeuf qui s'appelle familiè-
rement Tu-Vas-me-le-payer ; ce nom n'a
d'autre but que de donner des gages à la
chanson populaire, car ce refrain court alors
les rues :
Tu vas m'ie payer, Aglaé 1
La chanson baptisera encore le boeuf de
l'année suivante : il sera Pied-qui-remue et
ses frères célébreront les triomphes de la
féerie et de l'opéra en se nommant Rotha-
rnapo et LaUa-Rouck. Eu 1864, il n'y a Je
noms typiques que la Frégate, sans doute à
cause de l'établissement de bains-restaurant
établi sur la Seine et qui excite la curiosité
des Parisiens. En 1865, c'est Emile Augier qui
tient le boeuf sur les fonts baptismaux : il
nomme son filleul Maitre-Guérin, M. Victorien
Sardón tient le second qui s'appelle Vieux
Garçon. Il y a aussi Gladiateur, le célèbre
cheval de course, vainqueur du Grand-Pris
qui consent à servir do parrain à un quadru-
pède qui, s'il ne court pas, fait du moine cou-
rir tout Parle.
Mals on n'en Unirait paH de faire l'énuméra-
tlou des noms portée par les boeufs gras.
Toutefois, si le nom changeait chaque an-
née, en raison de Ja mode, le cortège subis-
sait peu de modifications ; cependant, à diffé-
rentes époques, on peut y voir figurer des
allégoriest des allusions. En 1816, les Trois-
Mousquetaires ouvrent la marche. En 1852,
on réserve dans le cortège une place aux ban- !
nières et étendards des exposants de Londres,
portant le fac-similé des incompensés obte-
nues . En 1867, il y a 1a char du Génie de la
France qui appelle toutes Je» nations à con-
courir à l'Exposition universelle. En 870, un
char maritime est l'apothéose du percement
de l'Isthme de Suez»
Le grand succès fut pour le cortège du
Boeuf-Gras de Í806, en raison (Tun gigantesque
Gargantua qui fit une sensation énorme. 11 se
tenait au milieu d'une armée de cuisiniers,
d'écuyers tranchants, de maîtres-d'hôtel ar-
més d'instruments professionnels. H roulait
des yeux terribles, ouvrait une bouche
énorme qui engloutissait lea piata, y compris
tes marmitons qui íes avaient confectionnés, A
chaque station, il ouvrait sa bouche colossale
¿ans Inquelle on était prié de vouloir bien ,
jeter des dons en argent ou en nature qui:
étaient reçus avec reconnaissance.
Le boeuf, après sa marcha glorieuse, était
naturellem ont abattu, mais il restait celebre
nême après sa mort, et sa viande était débí- j
tée à haut prix che* les grands bouchers. Tou-
tefois, il y put un« exception en 1851, Cette!
année-là, {'éleveur, M. Addine, fit savoir son
intention de vendre ses boeufs gras, commela
viande ordinaire, à k criée. « Le pau vre ainsi 1
que le riche, disait-on, aura la facilité, cette
fois, de pouvoir manger du Boeuf-Gras ».
Comment appellera-t-on le Boeuf-Gras de
eette année ï
Lui donnera-t-on le nom de « Kalakaus »,
le roi dee líes Sandwich qui vient de mou-
rir? ou bien le nom de la nouvelle pièce de
M. Sardón : Thermidor ï
Le problème est peut-être grave, maïs on s
le temps de 1« résoudre.
D'ailleurs, quel que soit le nom qu'on lui
donne, le Boeuf-Gras n'en sera pas moins
condamné h se dire, après sa triomphale pro-
menade à travers Parie : « 11 faut mourir! »
κ Mourir pour trop aimer ! » dit la Desde-
mone de Shakespeare. On meurt d'amour
moins qu'autrefois, mais on tue davantage.
Nous sommes devenus plus énervés et plus
féroces avec le temps. Quelles sont les causes
multiples de ce « phénomène » 1 Je n'ai pas à
les rechercher ici; mais ce qui est certain,
c'est que le pistolet du jeune Werther, le hé-
ros du roman de Goethe, qui se tuait dans un
accès de désespoir d'amour, passerait aujour-
d'hui pour um arme bien démodée: il a été
remplacé par le revolver, un revolver à la
fols généreux et re tenu, qui, sur ses six coups,
a, presque toujours, quatre ou cinq balles
pour la victime, et une ou deux seulement â
qui ne portent pas, d'ailleurs, â pour ié
meurtrier.
Connaissez-vous un drame plus triste que
cette affaire Wladimiroff, qui vient d'être
jugé par la cour d'assises de Seine-et-Ulse Ì
Certes, je ne veux pas être trop sévère. La
Justice a prononcé, le meurtrier est condamné.
Maie ce n'est point une raison pour se taire,
car il y a là une sorte d'étude sociale.
Voici un jeune Slave, aux instincts fou-
gueux et précoces, plein à la tois d'emporte-
ment et d expérience. J'admets que ce ne soit
point un simple aventurier, comme J'incline-
rais à le croire, mais un exalté. H aime, il dit
aimer, et 31 CTOU aimer une femme sensible-
ment plus Âgée et plus riche que lui; il lui
exprime, lui persuade et M impose si vieto-
rieusement ou si effrontément sa passion
qu'elle finit par abdiquer toute résistance. 11
la bat et l'injurie dans les intervalles ; il l'ex-
ploite avant de l'assassin er -
Ce héros de roman, en supposant qu'il soit
romanesque, et non positif, est un pur sau-
vage, et un sauvage très civilisé, le pire de
tous ; il est hardi et rusé, frénétique et calcu-
culateur.
Je veux espérer qu'il n'y a pas beaucoup de
ses pareils dans la jeune génération contem-
poraine.
Voici maintenant une jeune femme ou plu-
tôt une femme encore jeune- Eile est tendre
et malade ; elle a une âme bonne et un orga-
nisme vibrant. Très impressionnable, très
nerveuse, très exaltée, elle est, en outre, em-
poisonnée de morphine ; elle est habituée,
comme une enfant volontaire, à ne pas ren-
contrer d'obstacle à ses fantaisies. Un jour,
elle a le malheur de trouver sur son chemin
« l'homme fatal » dont elle deviendra la proie
et la victime. Malgré tontea lea désillusions eî
tous les avertissements qui lui viennent de
divers côtés et de diverses façons, elle se
laisse aller à la douceur d'aimer et d'être ai-
mée. Il y a en elle une affection et un dévoue*
ment aveugles qu'elle prodigue à ce séduc-
teur persuasif. Tour à tour, elle doute de ses
sentiments, surtout lorsqu'il l'entretient de
ses intérêts, et elle a en lui une confiance cré^
dule et passionnée. Absent, lï lui inspire des
craintes et lui suggère des réflexions ; pré-
sent, il la regarde et la domine, par ses priè-
res, par s$s larmes et par ses menaces, il 3'é'
pouvante, mais elle ne hait pas d'être effrayée ;
c'est une secousse di une surprise pour se&
nerfs malades, il la bat, dit-on, mais elle ne
l'en aime peut-être que davantage ; elle volt,
elle veut voir une preuve de jalousie, et, par
suite, d'amour profond dans ses brutalités.
Elle va pourtant lui échapper, car xì parafi
bien qu'elle se soit reprise au dernier mo-
ment, mais il l'entraîne à un dernier rendez-
vous, à Ville-d'Avray, et Î la tue.
Bien n'est plus affligeant que cette sombre
histoire.
Verrons-nous encore beaucoup de ces faux
martyrs de l'amour qui assassinent írw) vo-
lontiers lea autres ? Je me refuse énergique-
mont, pour ma part, à les trouver sympathi-
ques et à leur donner une pitié qu'ils ne mé-
ritent pas. Si encore ils se tuaient près de leur
victime Í liai» non t íís s aperçoivent. au der-
nier moment, qu'il uy a plus de balles pour
eux dans leur» revolvers et ils survivent à
celle qu'il* ont tuée.
La malheureuse est morte; eux, restent
bien portants.
Ou ou me ramène à Werther! Lui, du
moins, s'il n'avait pas l'énergie de dominer
son désespoir, il ne s'en prenait qu'à lui. Il
envoyait un émouvant Mien Ala fem me qu'il
aimait et i S se tuait soûl. On pouvait et on
devait lô plaindre.
Au moment même où ('on jugeait Pierre de
Wladimtroff à Versailles, un procès du même
genre avait lieu en Pologne,
Un jeune sous-lieutenant, en garnison à
Varsovie, était accusé d'avoir assassiné sa
maîtresse.
C'était une belle fille de théâtre, entourée
d'hommages pour sa grâce et pour ses succès.
Le meurtrier a affirmé que sa maîtresse et
lui avaient convenu de mourir ensemble, la
jeune femme reçut de lui la balle au coeur
qu'elle avait demandée, â mais elle mourut
seule. Son amant, après l'avoir tuée, prit la
fuite.
Interrogé par ses chefs, il eut, du moins,
l'honnêteté dû confesser son crime ; 11 dit tex-
tuellement qu'après avoir frappé, « Il n'avait
pas eu le courage de se fuer lui-même ». j
Voilà l'aveu que d'autres n'ont pas eu la
probité de faire, inaia ani juge tous ces
meurtriers άΰ îaux amour Í
Dans ces drames, le beau rôle â il Mût le
reconnaître â revient toujours à la femme.
Elle du moins, se sacrifie ¿-ans retour.
Quand elle a décidé de mourir, elle meurt. Et
c'est toujours elle qui est la victime ; elle ac-
cepte la mort sans crainte, tandis que, la plu-
part du temps, l'amant trouve le moyen de
revenir de ce voyage qu'on devait Mire à ¡
deux vers la tombe-
Il y a peu do temps encore, sur la route de ;
Mayenne, on trouva le cadavre d'une fillette,
presque une enfant. A côté d'elle était étendu
le corps d'un sergent du 102* régiment de li-
gne, un nommé Corbet. Le sergent avait une
balle dans la poitrine, mais on put le rappe-
ler à la vie. La jeune filie était morte.
Après un séjour de trois mois à l'hôpital,
Corbet comparaissait, Il y a peu de jours,
devant le Conseil de guerre-
Son défenseur a lu une lettre écrite uar 1»
petite morte à une de ses amies, la veille du
suicide. Eifa explique mieux qu'an commen-
taire ces crises d'âmes par où les désespérés
de l'amour aboutissent au suicide. Et, sûre-
ment, mes lecteurs ne résisteront pas à l'é-
motion qu'éveillera en eux la lecture de ce
petit billet que les journaux ont déjà publié :
â Tu vas Wen me pardonner tout le mal que Je
vais te causer, ma pauvre Aérienne, mais lorsque
tu recevras ces quelques lignes, ton amie que tu
aimais tant aura quitté 3a terre.
* Je souffre trop, ma pauvre amie. Nous par-
tons tous les deux, quittant sans regret cette
terre où je n'ai connu à part toi que la douleur.
Tu viendras t'agenouiller sur notre tombe et prier
pour lui et pour moi
» Avant de quitter cette terre, Je ne domande
qu'une chose, c'est d'être réunie dans io même
tombeau i celui avec lequel J'aurais voulu vivre
toute îa vie-
J aurais voulu pouvoir l'envoyer la photographie
de mou flaneé, mais je n'tï pas pu, car noue oe
nous voyons que très rarement- C'est ce qui lait
notre désespoir et qui fera ton deuil, NOUS par-
tons, car il nous est impossible de vivre Tun
saos l'autre.
/e t'envois une bonete de mes cheveux et «ne
Qeur de moa flaneé bien-aimé ».
Voilà bien lo langage de ï amour, et la
jeune fille a tenu son serment- Elle avait Juré
de mourir « elle est morte 1 Sa fin tragique
lui vaut notre pitié. Cette jeune désespérée,
dans sa naïveté touchante, devient presque
héroïque, et, ne pouvant vivre de Iamour,
elle a eu le courage d'en mourir.
Jacques LEFRANC.
LA VISION
(ÎβÏο)
1
On amena, le soir du 2! décembre 1870, à
Fam bulan ce du Grand-Hôte!, un officier qui
avait été blessé, le matin, à l'attaque du Bour-
get. Une balie ìul avait brisé le genou. Il souf-
frait horriblement ; mais, essayant de dissi-
milar sa souffrance, en vieux soldat qu'il
était, il se contentait de mordiller sa lèvre
inférieure et un peu sa barbiche. Lorsqu'on
le descendit de la voiture d'ambulance pour
le transporter dans un lit, 11 dit froidement
aux hommes qui le portaient et dont chaque
mouvement eût dû lui tirer un cri, tant sa
blessure était douloureuse :
â Fâché de la peine, les amis, mais 11 faut
bien avoir recours aux bras des autres quand
on n'a plus ses jambes & soi î
On le coucha sur un lit.
H enleva lui-même sa tunique, son gilet,
défit ses bretelles, mais arrivé au pantalon,
¿es forces lui manquèrent :
â Non, c'est impossible 1 dit-il.
Et II s'abandonna aux Infirmiers,
îi s'appelait Merli er. Il avait quarante-cinq
an», 11 était commandant d'infanterie de ligne.
Dans sa vie, cet homme avait vu souvent
la mort de près et sent! passer sur sa peau !e
froid du fer ou le «internent de la balle. 11
n'avait jamais été blessé En Italie, au Mexi-
que, ¿ Wissembourg, l Froesehwiller, i] eût
dû rester cent fois sur le carreau. « Cast une
des plus belles chances de soldat qu'on puisse
rencontrer, disait-on de lui au régiment;
pour tant de campagne», pas une égrati-
gnure ' Le commandant Merlier avait, avec
une partgnés d'hommes, défendu une dés der-
nières maisons de Reischoffeu et arrêté l'élan
de la horde prussienne acharnée à la pour-
suite de l'armée vaincue, Après Sedan, hon-
teux et furieux de cette capitulation lâche,
Merlier, après avoir trépigné dans la boue de
cette Ile de la Meuse où les Allemands avaient
parqué nos soldats prisonniers, s'était, après
avoir refusé de donner parole qu'il ne com-
battrait point coût«» la Prusse, échappé, au
risque d'être repris et fusillé, gagnant fa Bel-
pique. De là, il était rentré à Pans, par le der-
nier train venant du Nord, et iï s'était rendu
4 l'hôtel du gouverneur de Paris, il ne de-
mandait pas un grade plus élevé, mais il ré-
clamait la droit de commander, à Parts
comme δ Wissembourg, comme à Woerth,un
bataillon. Le commandant Merlier fut â«s plus
intrépides en octobre. Je jour do la sanglante
tentative de sortie par la Malmaison et la Jon-
chère.
Le matin du 21 décembre, à l'attaque du
Bourget, il fut frappé au milieu de la grande
rue, pendant que son régiment se lançait bra-
vement, poitrines découvertes, contre dea
murailles et des tirailleurs abrités.
Par un prodige d'énergie, le commandant,
tombé de cheval, se tin t encore debout, tandis
qu'on sonnait la retraite; mala quand il vou-
lut suivre ses fantassins, un éblouisse-
ment le prit, et, »'appuyant sur sou sabre ;
â A molí di t41; mes enfants, n« pai tei
pas sans moi l
Deux de se3 hommes le ramassèrent sons
une pluie de ballai «t le transportèrent dans
ηηβ usine, à droite Ôe U mite du Bourget.
Lea fusiliers marin a Avaient enlevé, quel-
ques heures aupar avant, cette usine comme à
I abordage, la car»bine im bandoulière et la
hache à main lille était h nous. On laissa là
le commandant durant de longues heures. Un
officier de mobiles lvst avait donné sa gourde,
et, de temps à autre, Mertier humectait ses
lèvres d'un peu de cognac, mal s sans boire ;
II savait que l'alcool, loin de réchauffer, débi-
lite et glace.
Des ambulanciers, ae disputant l'honneur
de soigner un commandant, arrivèrent au
bout de quelque temps. Ces hommes faisaient
partie d'ambulances rivales. Le commandant
eur dit :
â Finissez de vous chamailler, et enlevez-
moi, puisque j9 οθ euia plus bon à rien !
On le coucha dans une voiture à côté d'un
petit mobile de paris, pâle, maigre.blessé àia
poitrine, et qui,pendant la route, ebantonnait
encore, d'un ton narquois, comme pour bra-
ver le mal, ce refrain des « moblots wde Ì87G,
à la fois gamin et attristé :
La Pruase aura son heure 1
c est pas toujours les mômes
Qu'auront i'assiette au beurre î
M erller n'était pas depuis douze heures au
Grand-Hôtel que le chirurgien lui dit que la
blessure reçue nécessiterait l'amputation ; il
regarda fixement le docteur et dit ;
â Î Q'y a pas moyen de me sauver cette
ïambe t.,. J'ai un fils an collège, tl me faut
l'élever, et le voudrais bien n'être pas mis à
la retraite et aux impotents.
â C'est impossible, corn mandant ï
Notez que j'aimerais autant en finir que
de me voir forcé de me traîner comme un es-
cargot avec un pilon comme soutien-
â¢â L'os est broyé, mon commandant ; nous
serions impuissants à vous sauver si vous
vous refusiez à l'amputation,
â C'est bon ; charcuter !
On lut proposa de l'endormir avec du chloro-
forme pendant l'amputation ; le commandant
se mit a rire ι
â Vous me prenez donc pour un poulet ?
Il regarda, pâle, mordillant une cigarette de
laquelle il tirait de temps à autre une bouffée,
Il regarda i opération, cette jambe tuméfiée
qui était la sienne, ces instrumenta posés sur
le linge blanc, ces aiguilles, cette charple dis-
posée en bourdonnets, et ce chirurgien qui,
plus ému gue lui, préparait toutes choses.
Durant i opération, il ne poussa pas même
un soupir, maie quand il vit ce moignon sai-
gnant, cette cuisse d'où, s'échappait un sang
noir, et dont les chairs semblaient palpiter,
prises d'un frémissement nerveux tandis
qu'on les recousait en recouvrant l'os bhnc et
coupé avec te lambeau de chair qui dépassait,
Ü hocha la tète et dit :
â infirma, va 1
II
Au moment oft on le rapportait dans son lit»
Uh officier prussien, pài » élancé, un lorgnon
à l'oeil et le bras eu écharpe, entrait dans la
salle. On venait de le faire prisonnier, et :1
avait la main droite brisée. Ce tte main était
encore gantée. l)e sa main gauche, l'Allemand
tenait sa casquette, et, froidement, il demanda
à feuï qui ï'escortai on t « où était son lit
Quelqu'un lui désigna un lit voi sin de colui
au commandant Merli er.
Celui-ci vit l'officier prussien jeter sa cas-
quette sur le lit, s'asseoir et regarder à droite
et à gauche pendant qu'on retirait sou gant
collé a la chair et qu'on faisait à sa maiu
broyée un premier pansement.
Merller entendit qu'on agitait tout bas,
parmi les médecins, la question de savoir
si on laisserait ie Prussien eî près du com-
mandant ;
â Pourquoi pas t dit l'amputé en interrom-
pant le colloque h voix basse ; deux blessés ne
sont plus eusmis.
A ces mots, l'officier prussien se retourna
lentement du cdfo le Merlier.
â Vous vous trompez, monsieur, dit-il d'un
petit air impertinent, blessés ou bien por-
tants, íes Allemand* et les Français ne peu-
vent i amai*, être amis i
Merlier haussa légèrement les épaules,
Avec votre main en compote et ma
cuisse rasée, dit-il. nous sommes propres et
nous avons bteh le temps de discuter î... fte
craignez rien, ctvn est pas Î amitié qui m'e-
toutfera jamais muir les incendiaires de Ba-
zefiles fc ot le» fusilleurs de femme·,« !
l,e Prusslen regarda Merller et aperçut le
répi du commadant suspendu à la tête du
Ht : soit respect instinctif du grade, â l'Alle-
mand était lieutenant â soit dédain affecté,
il ne répondit pas.
On offrit encore a Merlier de le transporter
ailleurs, de donner un autre lit au Prussien.
Le commandant ne voulut pas. U promit de
ne point s'emporter, d'être calme,
â Après taut, disait-il, tant que je pourrai
manier un sabre ou tenir un revolver, je sa-
rai bon à quelque chose I
Pendant deus Jours, l'amputation parut
avoir réussi, mais au bout do ce temps des
symptômes alarmants parurent.
Ili
Merlier sentait vaguement, à une faiblesse
plus grande et aussi à la façon dont on lui
parlait et dont on parlait de lui, qu'il était
perdu.
Alors, il se dit qu'il voulait au moins voir
son fils et Fera brasser.
U n'avait pas voulu, jusqu'ici, qu'on déran-
geât l'enfant., qu'on l'attristât déjà. Mainte-
nant, il le fallait. U demanda un capitaine de
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