Titre : Comoedia / rédacteur en chef : Gaston de Pawlowski
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1910-10-27
Contributeur : Pawlowski, Gaston de (1874-1933). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32745939d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 27 octobre 1910 27 octobre 1910
Description : 1910/10/27 (A4,N1123). 1910/10/27 (A4,N1123).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7654227t
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-123
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/06/2015
y
<.~MŒ~M.~QEUDI 3Ti!D~r~H~~OC_
Vareinc, et cette découverte, opérée vers
minuit, un soir de grand dîner et de fête
vénitienne, le jette à nouveau dans un dé.
lire avide et haineux sur la nature duquel
l'ex-pensionnaire ne se méprend pas
« Cette fois, dit-elle à son oncle Ferney.
après que Roger, fou de désir et de rage, a
faim tout bonnement l'étrangler, cette fois,
je suis aimée! » Enfin, le lendemain matin,
Roger s'étant bien pénétré toute la nuit de
ia certitude qu'il est trompé, et Fernande,
de son côté, s'étant dérobée, sur le conseil
de l'oncle Ferney, à tout démenti exprès,
la réconciliation finale s'opérera entre les
deux époux. Ainsi, la transformation de
Fernande en une femme du monde du der-
nier jeu, ses façons impudiques, son suc-
cès, l'idée qu'elle est aimée, la fausse
croyance qu'elle fut infidèle auront fait de
Roger un mari durablement amoureux. Et,
je sais bien, encore une fois, que nous som-
mes tous des marionnettes entre les mains
du. petit Dieu, mais pour amener si nette-
ment, si promptement ce résultat, il faut
convenir que l'amour a dû tirer un peu fort
sur lés ficelles!..
Fai parle de ta Comédie de M. Pierre
Wolff avec la franchise, avec l'ardeur à ex-
pnmermonjsentiment que commandait mon
estime même pour son talent et pour son
œuvre. Le& Marionnettes ne réalisent pas,
à mon gré, ce qu'on pouvait, ce qu'on de-
vait aftendré de leur auteur. C'est pourquoi
j'ai dû rechercher et marquer, avec toute
l'exactitude dont Fêtais capable, les rai-
sons qui ont fait quelque peu dévier M.
Pierre Wolff de ses qualités habituelles.
Mais je serait désolé qu'on dût conclure de
ce qui précède, et qui est une discussion
plus qu'une critique, que Les Marionnettes
sont une pièce d'un intérêt ou d'un agré-
ment médiocre. Des personnages entiers,
comme, celui de l'oncle Ferney,sont exécutés
avec cette bonhomie cordiale, cette tendre
boiugonnerié ou l'on reconnaît bien, cette
fois,, l'auteur du Secret de Polichinelle.
Toutes les scènes de figuration mondaine
du second acte sont prestes, piquantes et fi-
nes. Une scène, comme celle où l'ami Ni-
zerolles exprime, sans l'avouer, son amour
à Fernande, est traitée avec la plus sobre et
la plus habile émotion. Il y a partout de l'es-
prit, et aussi un sens aigu de la féminité,
une odeur d'amour, si je puis dire. L'oppo-
sition, indiquée surtout au début de J 'œu-
vre, entre le quinquagénaire Nizerolles, qui
est l'amant-né, l'amant vrai, ef Roger, qui
n'est que l'amateur de femmes, est une idée
fort heureuse, dont M. Wolff aurait pu tirer
grand parti, et qui prouve chez lui, une
fois de plus, le goût et le sens de la réalité
amoureuse. J'ajoute encore, bien que cela
puisse sembler superflu, que l'action est
-menée avec toute l'ingéniosité, toute la
dextérité de métier possible. Cela suffit, et
au delà, à l'agrément du spectacle. M.
Pierre Wolff ne se blessera pas si, de lui,
nous espérions davantage. Et j'ai montré,
je crois, qu'en cette affaire, c'est lui-même
qui nous avait rendus exigeants.
LÉON BLUM.
Comment ils ont joué
-
Ils ont joué une aiuvre dont la place était au
boulevard, comme on joue la comédie au boule-
vard; aussi, sur les planches du Théâtre-Fran-
çais - cette réserve est nécessaire — l'inter-
prétation ne me plaît guère plus que la pièce elle-
même.
Ce que je pense des Marionnettes - j'en ai
fort goûté le style délicat et de charmants dé-
tails — ce que je pense du sujet, de la mentalité
des personnages, je-vous le communiquerai sa-
medi. Ma critique de l'œuvre tient ailleurs,
«Oïière4^S>£e!ie des comédiens: De la mousse, h
de la légèreté, de l'aisance, de la grâce, un peu
'd'émotion; mais pas de profondeur, pas de puis-
sance, un mince effleurement tïes passions, un
dessin à peine ébauché des caractères, au total
un ensemble nous apparaissant d'autant plus miè-
- vre que le cadre immense écrase le mignon ta-
bleautin..
C'est Chérubin qui a revêtu non plus la dé-
froque de Suzanne mais l'habit de cour du comte
Almavdva.
Une observation d'ordre général, un défaut
front la responsabilité remonte au metteur en
scène:
Saut deux ou trois exceptions, les interprètes
, ties AtanonneHes ont une diction « courte », sè-
che; ils dédaignent trop cet art de détailler un
texte sans lequel les plus beaux passages d'une
œuvre joliment écritel, ne peuvent conserver au
théâtre toute leur valeur, toute leur saveur.
Féraudy, s'est attaché surtout à régler — de
façon tout à fait remarquable, je le reconnais —
les mouvements des comédiens; il s'est inquiété
de les faire asseoir, se lever, marcher, courir,
danser; il a commandé de beaux décors, réuni
et disposé habilement des meubles et des acces-
soires de prix ; il a très heureusement « créé
l'ambiance » où s'agitent les Marionnettes. Il a
simplement oublié de tirer Parti de la diction de
ses artistes. Il a cherché des passades et non des
inflexions. De là le manque d'ampleur, et la fai-
blesse de coloris de l'interprétation.
Naturellement, en vieux routier fermé à l'é-
cole du répertoire, il a su personnellement échap-
per à cette imperfection, et dire, et jouer avec
infiniment de délicatesse son intéressant rôle cfe
l'oncle de Fernande.
Ce personnage ne demande que de la bonho-
mie, une sensibilité très douce, très atténuée, qui
n'est que le reflet pâli de la souffrance. des
autres. Féraudy excelle crans l'exécution de ces
demi-teintes. Il est parfait parce qu'il n'a pas
besoin de forcer son talent.
J'aurais ardemment souhaité pouvoir adresser
le même hommage à Mme Piérat ; je suis
contraint de lui crier « casse-cou! »
Le rôle de Fernande est trop fort — je me
sers à dessein d'une expression de Mlle Clairon,
— pour les qualités cre charme et d'émotion de
la créatrice de l'Autre Danger, de Notre jeunesse
et de Comme ils sont tous. Le troisième acte de
cette dernière pièce constitue le maximum de la
puissance dramatique dont Mme Piérat est capa-
ble de faire preuve en ce moment. Or, il y a
dans les Marionnettes un troisième acte exi-
geant une vigueur d'accent, une ampleur dans
la force que la délicieuse comédienne ne possè-
de pas encore. Elle manque de souffle là où il
faudrait au contraire dominer la situation, pren-
dre aux entrailles les spectateurs en se haussant
à l'énergie passionnée des grandes amoureuses.
Fernande c'est la Bartet Q-e Francillon; c'eut
été MIJe Brandès — si elle avait compris son
devoir en restant chez Molière ! — Dans la troupe
actuelle, celle à qui le rôle s'adapterait le mieux,
c'est, à mon avis, Mlle Géniat, tous ceux qui
l'ont applaudie dans Denise ne me contrediront
pas, Mlle Géniat qui a beaucoup plus de « ré-
sistance » que son aînée en sociétariat, mais sa
cadette au théâtre. et en expérience.
Ma critique, bien. entendu, ne porte que sur
le troisième acte, car Mme Piérat est adorable
crans les deux premiers — au 2e surtout -:- et si
je formule un peu durement mon opinion c'est
que je voudrais empêcher une artiste que j'ad-
mire en toute sincérité de s'engager dans une
4voie où elle trouverait hientôt d'amères décep-
tions.
Fernande devient dans la seconde partie de
l'œuvre, un premier rôle dramatique. Mme Pié-
rat jouera peut-être un four cet emploi. Aupara-
vant il est indispensable qu'elle s' « entraîne »
en interprétant Aricie, Junie, Iphigénie, etc. As-
souplir ses dons naturels, forger le métal de sa
voix, élargir lé style de sa diction, tout cela sera
bientôt fait si Mme Piérat veut s'astreindre pen-
dant quelques mois, - laissant de côté les
« nouveautés » —-à l'étude du répertoire.
Grand incarne dans les Marionnettes un triste
individu ! Voyez-vous ce « marquis » mis en
demeure par sa mère d'opter entre une'modeste
pension de 250 francs par mois s'il reste garçon,
ou une très grosse rente s'il consent à épouser
la jeune fille qu'elle lui a choisie, et qui, au
lieu de travailler, — ayant déjà la vie assurée
quand tant de braves gens qui le valent bien en
sont à réclamer cent sous par jour ! — pour con-
tinuer sa misérable existence d'oisif, accepte ce
honteux marché et n'a même pas la probité de le
tenir, se conduisant au premier acte avec Fernan-
de comme up goujat, au second comme un gro-
tesque, et devenant à la fin amoureux par vice,
parce qu'il croit qu'un autre homme a possédé
sa femme !
Que faire d'un pareil pleutre?.
Grand lui a prêté un bel extérieur, une tenue
très élégante, ce que Dumas fils appelait « tous
les dehors d'un véritable gentilhomme ».
Certains lui reprochent de-frop, accentuer la
et rosserie » de ses répliques .- dans les premières
scènes. Mais non ; l'excuse de la femme est pré-
cisément dans cette attitude du mari et nous de-
vons être convaincus qu'elle ne parviendra jamais
à le conquérir par la tendresse et la douceur.
J'ai moins aimé Grand aux derniers actes. Ce
fin comédien, la perfection même dans les êtres
insouciants et charmeurs, manque, lui aussi, de
puissance quand le rôle atteint au drame! Je l'ai
signalé à propos de la Rivale et de Simone. En
pareil cas Grand use d'un procédé très habile,
qui séduit un grand nombre de spectateurs. et
de critiques), mais ne donne pas le change aux
professionnels, à ceux qui ont une réelle connais-
sance cfe l'art du comédien. En observant Grand
attentivement dans les scènes au-dessus de son
-- f (Dessin d'E. Brod.)
Mme PIERAT
(Fernande de Monclars)
M. Léon BERNARD
(Nizerolles)
tempérament, on s'aperçoit de la minute précise
où se produit le déclanchement, la convention se
substituant aussitôt à la belle simplicité du co-
médien. Je reviendrai sur cette critique en préci-
sant au moyen d'exemples.
L'affiche portait Débuts de M. Léon Bernard!
Que signifie cette plaisanterie? Bernard1 a déjà
interprété Bergamin des Romanesques (joué d'o-
riginal par Leloilr). Argani du Malade imaginaire,
il a créé un personnage de second plan de
Comme il sont tous .et tout cela ne compterait
pas ! Se figuTe-t-on par hasard que Nizerolles des
Marionnettes doit prendre le oas sur Argan, un
des rôles les plus difficiles de l'emploi? Ce sont
là de ces petits ridicules indignes de la Maison.
Mais si par débuter on a voulu entendre, jouer
devant la presse, on a tout simplement manqué
d'égards envers le public le vrai juge des débu-
tants!
Bernarcr a composé, grimé, habillé un délicieux
Nizerolles, Il rend avec une finesse touchante
la mélancolie du vieil amoureux qui cache un
cœur de 20 ans sous l'enveloppe d'un homme au
seuil de la vieillesse ! Il y a au second acte une
petite « scène de guignol » tout à fait exquise que
Bernard et Mme Piérat ont jouée avec une pointe
d'émotion d'un charme inexprimable.
Mon seul gros reproche c'est le manque de
variété, de fermeté-, de netteté surtout de son
débit dans un joli « couplet » du premier acte.
Bernai a un peu trop récité ce qu'il fallait dire
et parler.
Dans tout le reste il est excellent et l'on a dé-
sormais une preuve nouvelle de cette vérité :
« Nul n'est indispensable », puisque à défaut
d'un bon comédien à qui l'auteur destinait d'a-
bord Nizerolles, on a aussitôt rencontré un ac-
teur ne le cédant en rien au premier !
Les autres rôles, de moindre importance sont
tous très correctement tenus.
Alexandre, dans un amoureux sincère, sorte
de Guy des Haltes de l'Etrangère affirme encore
sa jeune maîtrise, sa prenante sincérité; Numa
reste "le comédien adroit, trop délaissé, qui porte
au premier plan des figures à peine esquissées ;
J. de Féraudy est un jeune mari désinvolte et
galant; Lafon et Le Roy ne font que passer.
Granval mérite d'être cité à part. Il a campé
un type de vieux gandin avec une fidélité d'ob-
servation étonnante, mettant en harmonie la dé-
marche, le geste, les moindres mouvements du
corps avec sa « figure n" la plus plaisante du
monde. Ce n'est pas une caricature, c'est un
portrait.
Du côté des femmes: Mme Fayolle, à la voix
incisive et mordante serait excellente si elle
voulait ralentir un peu la rapidité de son débit;
Mlle Robinne est belle; Mlle Maille est char-
mante ; Mlle Provost est charmeuse. Mlle Faber
est jolie.
EMILE MAS.
? P. S. — Minait.-V'^îHligne? qui précèdent
ont été écrites aprè£"'iaWpeQtfç*n générale. :
Je sors de la Comédie et une représentation
nouvelle n'a modifié en rien mon opinion per-
sonnelle.
Mais *la loyauté me fait un devoir de constater
un très vif succès de première. Trois rappels
après le premier acte, quatre après le second' et
le troisième, trois à la fin de la nièce. Tel est
le bilan de la soirée.. E. M.
Dialogue dans la salle:
— Vous avez là chère amie, une perle ma-
gnifique. Elle vient évidemment de chez Leo
Weil.
1 1 KILOSA ;
■■ >
(i Trouvaille d'hygiénique coquetterie a
(1 garantissant >
4 l'immaculée fraîcheur des dessous.
4
La mise en scène
et les décors
La nouvelle pièce de M. Pierre Wolff impo-
sait, par son charme simple, par sa puissance
dramatique, par ses qualités bien .françaises de
franchise, de bonté, de fluidité, une mise en
scène et des décors particulièrement soignés et
appropriés.
L'atmosphère, là moins que partout ailleurs,
ne pouvait être indifférente j et s'H avait fallu de
cette opinion une preuve nouveUe. nous l'au-
rions trouvée dans le soin minutieux avec lequel
Les Marionnettes se sont si joliment agitées dans
le luxe, l'émotion, la tendresse, les miNe et une
facettes du visage éternel de l'amour.
Le premier acte se passe dans un décor qui
est, comme lui, simple, très simple d'exposition
et très fourni tout ensemble. C'est un salon
Louis XV meublé avec un goût sans vanité aris-
tocratique; c'est bien le salon du marquis de
Montclars, le salon d'un homme qui ne veut pas
d'un foyer que la nécessité des circonstances lui
a imposé malgré lui. Cette pièce manque volon-
tairement de cette intimité précieuse que re-
cherchent de jeunes époux qui s'aiment. Et cette
volonté d'impersonnalité se décèle partout. Une
vieille tapisserie occupe une partie du panneau
de droite, au fond deux. tableaux froids, pom-
peux, des tablèaux d'ancêtres animent dans leur
cadre ovale l'immense panneau du fond. Quel-
ques sièges, deux ou trois fauteuils de velours
vert sombre traînent ça et là en un désordre sa-
vant.
Le décor du deuxième acte est le plus réussi.
lOri a,, au lever du rideau, l'impression que la
scène a été éventrée de tous les côtés ; au" fond,
une immense échappée lummeuse avec un esca-
lier de fer forgé tout fleuri qui conduit au rez-
de-chaussée où Nizerolles donne une soirée
dansante et joue la comédie.; à droite et à gau-
che, deux immenses baies où passe et repasse
>1 flot des invités. A droite, une fenêtre aux
rideaux tirés laisse apercevoir une échappée de
ciel bleu, quelques arbres.
Tout est fleuri de lumières, de fleurs, de la
grâce des femmes, de l'esprit, de la verve su-
irexcitée des hommes. C'est mieux qu'un décor
d'élégance ; on a une .impression très nette de
frivolité, de convoitise, de fringale amoureuse
de désir. H faut particulièrement signaler l'agent
cernent du sous-sol de la scène qui a été spécia-
lement aménagé pour monter ce décor en tous
,points réussi. Il y a là un siège avec trois cornets
acoustiques qui commandent la manœuvre com-
me dans un bateau.
Le troisième acte se passe à minuit dans un
petit salon de l'hôtel de Roger de Monclars. Un
piano, sur lequel achèvent de mourir des roses,
occupe le fond de 'la scène et le motif d'Héro-
diade, de Massenet, qu'y éveillent les doigts pres-
tigieux de Fernande se mêlera tout à^ 'heure aux
voix lointaines des invités travestis en Napoli-
tains. Aux murs, deux modernes tableaux de
prix, parmi lesquels un Lépine, prêtés par de
grands marchands de tableaux.
A gauche, au fond, une immense ferrasse don-
nant sur le parc de l'hôtel, découvre l'horizon
bleu au milieu du fouillis des grands arbres im-
muables.
L'atmosphère est particulièrement saisissante,
vivante dans son calme de drame pressenti, at-
tendu presque avec impatience. La nuit chan-
tante, un peu lourde, accuse encore cette im-
pression.
Mais tout cela se dissipe au quatrième acte qui
nous présente le même décor au matin. Tout est
clair, lumineux, ainsi qu'il convient pour une
réconciliation que tout l'art de l'auteur, à force
de vérité, de logique, de grandeur simple, avait
fini par nous faire croire improbable.
Cette mise en scène, très vue, très observée,
ces décors ont commenté de la plus heureuse fa-
çon h'œuvre très applaudie du délJlÍcieux écrivain
qu'est M. Pierre Wolff.
Louis SCHNEIDER.
Simple remarque
Il y a foule dans les somptueux salons parti-
culiers du restaurant Henry, dont la cuisine,
célèbre à Paris, est digne, à tous égards, des
gourmets délicats qui se préparent à déjeuner
ou dîner selon toutes les règles de l'art culi-
naire au célèbre établissement du 30 de la rue
Saint-Augustin.
La Soirée
Au fauteuil voisin du mien, j'ai l'agréable sur-
prise de voir s'asseoir l'aimable Mayol qui, dès
l'abord, me dit en confidence :
— Vous savez, je vais jouer la comédie.
— Ah ! bah ! vous aussi !
Et le tuyau précieux déroule devant mes yeux
éblouis ses méandres enchanteurs!
Mayol à la Comédie ! Dame, après Dranem et
Vilbert, là-haut, qui empêcherait Mayol de venir
opérer ici ?
C'est sans doute une surprise aimable que M.
l'administrateur réserve à ses abonnés, à l'oc-
casion de ses vingt-cinq ans de diplomatie dra-
matique.
Eh oui, c'est le fin tuyau! Et Mas ne l'aura
pas! Mais dans quoi Mayol va-t-il débuter? Cli-
tandre? Masc'afille ? Alceste ?
J'affûte fiévreusement lia mine de mon crayon;
j'ouvre mon block-notes à une page immaculée.
je tends l'oreille.
Et Mayol, détaché, y verse ceci:
— Oui, je vais jouer chez moi un acte de Lu-
cien Bayer, avec de la musique de Willy Reds-
tqne.
Zut ! Le tuyau crève ! -
Rattrapons-nous sur l a contemplation de
cette saille de surchoix.
On a fait la bonne mesure à Pierre Wolff.
Tout-Paris est là. Non pas ce puzzle d'élégance
dont les morceaux sont empruntés au haut com-
merce, à la basse finance, au demi-monde trop
clinquant et au vrai monde trop effacé — et
que l'on étiquette volontiers: Tout-Paris; mais
un consommé de toutes les élégances et de tou-
tes les illustrations.
Je jette un œil chez Maurice de Féraudy.
Dans la loge spacieuse, on marche sur des
auteurs: Max Maurey, Tristan Bernard, étalé à
la satané sur un somptueux divan, Xavier
Roux.
Je dis à l'oncle de Ferney combien il, a em-
poigné son public :
— Bah ! proteste le modeste, quand on a un
rôle aussi charmant, tout fait de finesse et de
tendresse, comme c'est facile de plaire !
— Parfait ! Demain j'essaierai de vous rem-
placer.
L'oncle de Ferney a arboré, en habit, un plas-
tron de chemise tout plat, en grosse toile, Parti-
cle à 3 fr. 50 dans les magasins de nouveautés.
— C'est très commode, ces rôles-là, m'ex-
plique l'oncle. Au moins, ils vous permettent
d'écouler votre stock de vieux linge.
Ce diable de Niaerolies aune singulière ma.
nière de décrire la façon, dont il faut actionner,
une- marionnette : •: H -- .,: ',.
j— Pour tua Taire rertttter les bràs îl faut lui
relever les jupes.
Je connais des tas de marionnettes féminines
dont on pourrait en dire autant.
Gentil bout de dialogue entre l'oncle et la
nièce, le délicieux Féraudy et l'étourdissante
Piérat :
FERNANDE. — C'est votre cœur qui me re-
garde.
FERNEY. - Mai$ ce sont mes yeux QUI te
connaissent.
Autre coin de marivaudage :
— L'amour, c'est toujours la même chansm-1
— Cela dépend de qui la chante.
— Oh! il y a tant d'hommes qui chantent
faux !
— Moi, j'ai un assez joli talent f
Philosophie maritale : 5 d'r j
- Je ne me couche jamais sTi
le suis. Au moins, quand j'appr^£jrai
suis réellement, j'aurai cette 53 .sjâCtiûO #
l'avoir dit le premier! ien autoU!
Autre brin de dialogue très pans j
la table de jeu : - 5 d'e#0
— Ah ! mon cher, vous n'avez p
— Si vous en souffriez comme j
Psychologie subtile : de
— Les femmes n'ont rien à cral de ceuS
qui parlent. Elles ont tout à redouter , , C, C d
se taisent.
Cette réplique encore:
— VoUs êtes très jolie, ce s0,f'
- Merci pour hier ! ***
* ,.fjf C
Fichtre! Allons-nous pouvoir P j.
Fîchtré! Al1ons.:nous pouvoir P
Piérat? .,; p~
Des foules empressées et pressées - s'Y
comme des harengs dans une caque ^p
culent. C'est une impressionnante àlgde
de fracs et de robes de gala. t'tI1id~é.
Surmontons notre bien connus 1
trons ! dl1 te
Devant une coiffeuse du temps, XVI"
Devant une coiffeuse du temps ma chère ! Et ce temps, c'est L°UIS
Piérat, en robe de chambre bois de rose, 1%
des craquelures de son maquillage • e SQUScI
Vous fait-il palpiter d'apprendre (itiesous
peignoir bois de rose, Piérat porte
tinaison » rose plus pâle ? ql1Í
Et voici cet Henry IV d'Ephra. 1""qui * 1
frôler de sa barbe en pointe la men. ^,
tend Piérat. Vert'
— Ah! chère belle, murmure le vert- 0
1910, comme nous allons regretter,Ade -
moi, de ne pas Nous avoir donne ;
femme laide dans Comme ils sont -'
- Regardez plutôt les nouvelles sa K
je viens d'acheter, là. pendues au nitf.,
de Vinci, vous savez. Et puis, vOt1 le qUI
dites donc bonsoir à ma petite ChIffo q111 *
fait fête. t feu.
Mam'zelle Chiffon, griffonne noirs t feu-
au bas de mon pantalon le ruban bleu ciel
collier. À
Présentations, salamalecs. tl'S\tf j
— Et puis, reprend Piérat, vous 0
vu ma marionnette. Regardez-moi ça,
pas qui me l'a envoyée. C'est qu'el'e y
à Pierre Wolff, vous sa\ez! I/J
Et cet, amour de Piérat introduit 'J,o'
dans l'intérieur de l'amusant fantoche
et me donne la comédie.. j¡eIJ',
Me voici chez Provost, si belle' 51 tr1
mise comme une fée du Châtelet jj
rose avec ses belles épaules nues. ,jj 1U.
- Regardez cette innovation, me r \iu
belle. Le couturier a fendu ma jupe s po3'l
Et d'un joli mouvement ondule" et P Y,$
la belle Provost découvre à mon illte ffiw4
cheville et quelques centimètres de son J.
Le mollet de Mlle Provost est P,us
nature. *
En repassant à la sacristie, admir~ ¡.'
En repassant à la sacristie, admirons j
Robinne — oh ! que belle !
Je. i
— N'est-ce pas que Piérat est ex.t11 ri&yt
Jà-ded"ans? me dit-elle, en bonne carnar cO
lez-vous noter que ma robe est vert - 1
d'espérance? Alors j'espère. r
— Espérez! conseille Leitner qui Pa 50 01
et qui complimente Robinne. ff' .4' f
J'essaie de harponner Pierre Wol", ^A' i
.)
bon billet! Pierre Wolff est étouffe, Q;
étreintes — et puis, il a l'air si vanne 10
pitié. 1
Rentrons dans la salle. , ri
Laurence Duluc me confie qu'elle P3 f
Russie :
— Je suis attendue par le tsar, lâcht':
gligemment.. ,5! yf
— Manoël attendait bien Gaby Des i0
Yvonne de Bray répète en même te);,
ami Teddy à la Renaissance et la F1* J
Gymnase.
Yvonne est un type dans Je genre de W [
qui dictait dix lettres à la fois. Jf
G. DAVIN DE CHAWy, 1
L'UU le KÉUÎSE^MBKS
nt le plus efficace calmant des A ,
Exigez la signature « BOYEfl
Les Toiletter ,
Les Marionnettes, c'est l'éternelle t'~M)~'
la jeune fUIe pleine d'illusions sur le rrJfJ
l'amour, qu'un beau gentilhomme dédor® f.
lui, par amour pour sa dot. La jeitftf jfj
souffre avec dignité, comme il sied 91J 7
néanmoins, elle fait tout de même tgo,Pd
terrible à son mari, comme il arrive ~~v
et, comme dans tomes les pièces où
mes revendiquent leur droit au bi
Cet orchestre, que j'énumère,
Notre violon n'attend plus.
Déjà» sur les prés chevelus,
La lune verse sa chimère.
Notre violon n'attend plus
Qu'un signe de Monsieur le mairel.
Et enfin, pour clore 1$ saison:
Avec le soleil nous partons
Pour revenir au temps des roses.
Sans or, ô Gilles et Marions,
Avec le soleil nous partons!
Mais il reste dans nos cartons
De quoi chasser les Jours moroaef.
Avec le soleil nous partons
Pour revenir au temps des roses.
Le théâtre de Valvins dura deux étés,
puis, la vie, de son souffle brutal, nous dis-
persa. Les années ont passé. L'atelier-
grange -n'existe plus. La voile du canot de
Stéphane Mallarmé ne penche plus sur
l'eaù son aile de mouette blanche. Le pur
poète est endormi et repose dans la terre.
Et, avec lui, notre jeunesse, notre jeu-
nesse !.
ni
Le Mythe de Pierrot
Devenir acteur! -Qui sait même si un
four, au Théâtre-Français. Braver les idées
reçues, la morale officielle, me déclasser
pour m'imposer plus tard comme un de ces
grands artistes devant qui les préjugés flé-
chissent, un Mounet-Sully, un Coquelin!.
Le cœur battant, j'affronfai les maîtres.
• Worms. d'abord. Le récit du Cid décou-
ragea sa bonne volonté. Acteur tragique:
non. La foi ne remplaçait pas le don et les
moyens. Il ajouta en souriant qu'avec mon
visage glabre et mes longs cheveux, je lui
rappelais un acteur anglais. Et ce conseil:
voir Delaunay. Dans la comédie. Peut-
être.
Delaunay m'écouta dire la tirade de Célio
et la redit, en y mettant son charme d'éter-
nel printemps : Malheur à celui qui se laisse
aller à une douce rêverie sans savoir où sa
chimère le mène, et s'il sera payé de retour.
Mollement couché dans une barque, il aper-
çoit au loin de vertes prairies, des plaines
enchantées, et le mirage léger de son Eldo-
rado. Les flots l'entraînent en silence, et
quand la réalité le réveille, il est aussi loin
du but où il aspire que du rivage qu'il a
1 quitté. Il ne peut plus ni poursuivre sa
route, ni revenir sur ses pas.
Paraphrasant ces mots à mon intention,
il me montra les dégoûts d'une profession
ingrate, les risques, grands pour moi, d'une
aventure. Mal persuadé, je fis appel à un
troisième arbitre : Silvain. Il ne me consentit
dans une tirade d'Emile Augier qu'un mé-
rite: la ponctuation.
Après cela, en dépit de mes joues rasées
Bt de mon air « acteur » anglais ou non, il
fallut bien déchanter.
Le curieux est que Victor passa par la
même crise et sentit se déchaîner en lui la
même délicieuse et funeste passion. Il dé-
dama Le Cid devant Delaunay qui lui re-
connut des qualités supérieures, physique,
voix, mais-le dissuada aussi, et, le voyant,
malgré son conseil, se présenter au Conser-
vatoire, le fit refuser dans son intérêt.
Têtu, je m'obstinai. Je ne serais pas sur
les planches le porte-voix des écrivains,
soit! Est-ée que, n'étant pas un acteur, je
ne pouvais pas du moins devenir un mime?
Ne pouvais-je prendre une place dans cet
art intense et étroit, oub4ié, qui n'avait plus
ni 'troupe, ni théâtre, ni public, plus près
des tréteaux de foire et des music-halls, que
des salles officielles, mais qu'on pouvait
relever en se montrant simplement, comme
Deburau, génial?
Pourquoi et comment, cette idée? En
jouant le Pierrot héritier d'Arène, et le
Pierrot Posthume de Gautier. L'émerveille-
ment indulgent de Mallarmé devant le blê-
me personnage fit le reste. Il avait vu Debu-
rau fils, -Paul Legrand. Ses souvenirs fouet-
tèrent mon émulation. Pierrot, désormais,
m'habita.
Durant cinq et six ans, j'allais être fasci-
né par l'être au masque blanc, aux souples
vêtements de neige, le muet de plâtre qui,
d'un clin d'œil ou d'un pâle sourire, d'un
augural doigt levé ou d'un véhément coup
de pied au derrière, rassemble en son jeu
le drame et la farce, Guignol et Shakes-
peare, la plus triviale bouffonnerie et le
tragique le plus élevé.
La lecture d'un conte tragique du com-
mandant Rivière, deux vers de Gautier:.
L'histoire du Pierrot qui chatouilla sa femme
Et lui fit de la sorte, en riant, rendre l'âme
décidèrent de ma conception satanique,
ultra-romantique et pourtant très moderne:
un Pierrot raffiné, névrosé, cruel et ingénu,
alliant tous les contrastes, véritable protée
psychique, sadique un peu, volontiers ivro-
gne et parfaitement scélérat.
C'est ainsi qu'avec Pierrot assassin de sa
femme, tragique cauchemar à la Hoffmann
ou à l'Egard Poe, dans lequel Pierrot fait
mourir sa femme de rire en lui chatouillant
la plante des pieds, je fus un des précur-
seurs du réveil de la pantomime, et à cette
date de 1881, je pourrais presque dire: le
précurseur.
Richepin allait, un an après, faire jouer à
Sarah son Pierrot assassin, au Trocadéro;
Raoul de Najac se gainait du collant d'Ar-
lequin, dans des pantomimes mondaines;
Willette taillait son crayon pour ses ex-
quis Pierrots et ses Colombines court-vê-
tues.
Le monologue fait homme, Coquelin, ca-
det triomphait. Si j'instaurais la monomime:
l'apparition intense et courte de Pierrot,
seul?
Exemple :
Dans Vlà le Rétameurl Pierrot, exas-
péré par le cri strident, étrangle l'homme,
puis sent passer à travers sa gorge l'irré-
sistible cri que désormais, obsédé jusqu'à
la folie, il poussera.
Dans le Requiem du Papillon, Pierrot
violoniste ayant brûlé à la chandelle un obs-
tiné papillon, voit fondre sur lui un mil-
lier d'ailes vengeresses. Il apaise l'inva-
sion blanche en exécutant pour le mort un
Requiem magistral.
Mais ces monomimes jouées dans des
salons amis, ne détrônaient pas la gloire de
Coquelin cadet.
« — Il faut voir Banville! » conseillait
Guérin, le secrétaire de. rédaction du Gil
Blas. ,.
Certes, en daignant m'ouvrir une seule
fois son salon, le parfait poète des Odes
Funambulesques aurait pu .me donner cette
célébrité d'art que j'eusse alors payée vo-
lontiers de dix ans de ma vie. Mais Ban-
ville resta sceptique. Il tenait la pantomi-
me pour enterrée; on ne ferait pas mieux
que le grand Gaspard Deburau, n'est-ce
pas? Et pour me donner une idée de l'Em-
pereur du geste, lorsqu'il jouait Pierrot,sol-
dat. en Atrique, Banville, vieux gamin de
Paris, mimant la scène,, me piétina l'orteil
d'un fusil imaginaire, et m'enfonça dans
les côtes une baïonnette invisible.
Je vis Paul Legrand, le dernier Pierrot
Parisien, car Rouff, Séverin, jouaient en-
core en province. Paul Legrand, glorieux
survivant d'un art moribond et auquel il ne
souhaitait peut-être pas de survivants, avec
trop de raisons désespérait d'un renouveau,
vieux mime rentré dans l'ombre, si pauvre
et si digne. Dans une revue des Variétés,
traînant la charrette comique, il venait, —
symbole cruel ! — de rappeler le dernier
exode des Funambules exilés: Arlequin lo-
sangé comme uh serpent, Cassandre et
son catharre, Colombine en jupe rose le
suivaient, mélancoliques.
A tout cela, rien d'encourageant.
En vain risquai-je un mimodrame au
Théâtre Beaumarchais, soirée sans lende-
main.; un four noir à une grande fête pour
les sinistrés d'Ischia; des piécettes de bric
et de broc en des représentations de socié-
té. En vain, tant. j'avais la foi, m'advint-il
de rêver, oui, de jouer dans des bouis-bouis
excentriques ou des salles de toile forai-
nes. Pour que mon Pierrot fût remarqué,
il fallut la charmante et précieuse colla-
boration de Paul Vidal; elle l'enveloppa de
l'atmosphère propice, rythma les gestes d'é-
motions musicales appropriés.
Pierrot assassin de sa femme, représen-
té chez Alphonse Daudet, puis ici et là, et
enfin au Théâtre Libre (avec Antoine dans
le croque-mort); Colombine pardonnée,
jbuée au Cercle Funambulesque (Peppa
Invernizzi, de l'Opéra, pour Colombine)
— ces deux pantomimes illuminées par
la rampe, marquèrent aux yeux des lettrés
la petite résurrection du genre, en atten-
dant le regain de vogue dû à Félicia MaUet
dans l'Entant Prodigue, et à Séverin, dans
Chand' d'habits.
Mon Pierrot surprit: il choquait les tra-
ditions. L'excellent Paul Legrand, de sa
voix inhabituée de muet, de son étrange
voix de perroquet guttural, murmurait avec
un accent d'une drôlerie indicible: a C'est
du Shakespeare! » Théodore de Banville,
toujours gavroche, dans une lettre m'ob-
jecta: « Mais, cher monsieur, si Pierrot
est tragique, quel avantage a-t-il sur Thyes-
te ? »
; Pourtant l'effet fut produit.
On retrouverait dans les feuilletons de
Jules Lemaître et de Sarcey, dans une
planche de L'Illustration, historiée de Pier-
rots macabres, et aussi dans le Journal
d'Edmond de Goncourt, l'impression lais-
sée par cette incarnation blanche où se
réalisa, vaille que vaille, le rêve théâtral
de mes vingt ans.
* IV
Tréteaux de Samois
De Valvins à Samois, un pont de douze
années, sous lequel a coulé beaucoup
d'eau.
Nous reprenons, dans le jardin de notre
mère, ou dans la saHe de bal du village,
les représentations d'autrefois. Plus de
foule; seuls des amis venus des environs
de Paris; vos douces figures: Henri Si-
gnoret, Amédée Pigeon, Elémir Bourges,
Jean-Marie Mestrallet et vous, cher Sté-
phane Mallarmé, à peine un peu grisonnant,
mais la même vie-intense dans les prunel-
les! ",
A côté du Déliciéux Riquet à la Houppe,
des charades de Victor déroulent leurs
vers cocasses ou harmonieux. Elles ont
remplacé la pantomime. On ne revoit plus
Pierrot, armé d'une seringue de cheval, in-
fligeant un clystère bouillant à la sage-
femme, ou l'absorbant pour son compte à
travers une malle qu'on fore au villebrè-
quin; Pierrot ne joue plus aux cartes pour
gagner au gendarme, avec ses bottes et son
sabre, ses moustaches et son nez, qu'in-
flexible Shylock, il tranche rasibut d'un
rasoir.
A notre étoile de l'aube, Geneviève Mal-
larmé, aujourd'hui spectatrice amical
cèdent, pléiade frêle, d'autres cousines.'
Celles qui seront un jour nos compagnes,
entre leurs trois jeunes sœurs se parta-
gent, reines d'une heure et fées d'un jour,
le sceptre fragile d'une tige de rose tre:
mière.
Mémorable représentation que celle, de
Riquet à la Houppe, où Mallarmé « y alla de
sa larme », emporté par le frisson lyrique
de son maître-et ami, Théodore de Ban-
ville; oui, représentation mémorable où
une jeune fille enfant, semblable dans sa
pâle maigreur à un oiseau blessé, sut dire
avec son âme l'amour du rêve et la splen-
dejir des choses
Rodenbach, pour que la fête fût complète,
avait écrit un prologue.
Et les charades de Victor, leurs trouvail-
les? Ne tirait-il pas de ce seul mot: Sé-
miramis, les vieillards de Troie assis aux
portes Scées, la Belle au Bois, Psyché in-
clinant sa lampe sur l'Amour endormi, les
flots mugissants qui submergent la ville
d'Ys? Avec Cléopâtre, ne voyait-on pas le
drame de Barbe-Bleue, les urnes des Da-
naïdes, une églogue de Théocrite et la mort
de Celle qui, a dit Victor Hugo, « em-
baumait l'Egypte, toute nue? »
Puis l'intervention cocasse du gendar-
me!
Comme un diable jailli d'une boîte, il
surgissait brusquement pour clore le spec-
tacle et traîner tout le monde au poste:
fantoche discordant, marionnette épilepti-
que, avec ses moustaches en cimeterre, ses
mains boudinées dans des gants d'escri-
me, ses bottes de sept lieues, son chapeau
d'ogre.
Ah! La joyeuse folie! Et se peut-il que
j'ai été, en Pandore, ce fou?.
Déguisements rapides, éclats de jeunes
rip res; notre seconde jeunesse, une jeunesse
qui n'a plus la fièvre d'illusions de la pre-
mière, et qui, grave du chemin parcouru,
s'enivre pourtant encore de l'avenir : ce
mirage tenace, ce plus beau des mirages.
V
Vétheuil
Les années encore, jour à jour, grain de
sable à grain de sable, ont flué au sablier.
Nous ne sommes plus dans la forêt ma-
gique, mais dans un jardin de féerie. Une
admirable retraite où le songe, l'amour et
le travail se reflètent au miroir du fleuve,
dans l'or rouge des crépuscules.
De nouveau, le vieux divertissement
nous requiert, et ce sont des bouffées de
revenez-y, comme l'écho charmant et mé-
lancolique des ritournelles du passé. Vic-
tor, avec un génie bouffe que n'eût pas
désavoué Gautier, joue le Tricorne enckaa
té avec la jeune troupe ; mes filles déjà.
bientôt son fils. Et c'est le répertoire en-
core: Pathelin et sa pièce de drap, Sca-
pin et son sac où Nérine le bâtonne, la
Belle au Bois Dormant, Les Caprices de
Marianne, et, spectre ressuscité d'un long
sommeil, Pierrot assassin de sa Jemmé,
toujours.
Selon l'usage, une de nos plus jeunes
actrices prononçait le prologue. Celui-ci, de
Victor, précéda Le Tricorne enchanté:
Illustre compagnie où sur ces deux rangées,
Sont aux Beaux-Arts, les Belles-Lettres mélan-
[gées
Daignez à notre troupe inexperte sourire.
Elle est faible, qu'importe? Un maître en l'art
[d'écrire
Pour elle empanacha « Le Tricorne enchanté. »
Comme nous, soyez pleins de bonne volonté.
Dans ce décor sommaire, au lieu de toile nue.
Et de vains &oraveatsA voyez une avemvu
Ici, un palazze dont le balcon lierré
Par les feux du soleil d'Italie est doré,
Là un auvent propice où l'on se diSSl IJ)
Et sur le tout un tfède et léger crépusc
Et dots nos bégaiements enfin veuillez il
Que le rythme des vers si vivace et
Ou, comme un via pourpre qui gag*** fà
Théophile Gautier mit SOIr rire écHf
Autour de nous. seuls acteurs à j*
sept visages en fleur, autant que Il
de la semaine, souriaient : nos ~i
Travestis charmants, robes de papil r.
gards où l'enfant est déjà femtfe J
femme est encore enfant.
Notre troisième, ma dernière j^
VI
Marlotte J
(r 'i
Des années encore. Mais Victo^
gne plus remonter sur les tréteau*
cadrent les tentures rouges de 1 iï !)
1 , d l ",,1
les vignes-vierges de la terrasse. 'tt p(
costume pour Pierrot Posthume et i f
Léandre, c'est comme ces acteurs <
parent leur spectacle de retrait e. A
Place à la jeunesse, nos jolies c\Yj
mes grandes filles, le jean-Janot &Jt
pour elles et ce petit garçon, c'est 'V
enivrement de l'avenir que no L"; :
il y a vingt-cinq ans : pour nous
re nous: nmrizon grave du passé, y,
pièces n'ont pas changé et les vers .0.,i
ville, de Gautier, d'Arène, de Ri
dent la jeunesse immortelle de l'e
la grâce, de la beauté.
Que d'absents déjà parmi ceu"; ï-,
applaudirent ! Leurs places restent ;,
tre les anciens et les nouveaux sp^ fj
Armand Point, Philippe Berthelot. fj j
Bourges, Franc-Nohain, Léon Blui^/
L'Heureux, Marcel Ballot, Mme i
de Broutelles, et bien d'autres affi
Puisque voici venu le temps où A
rappelle, ramassons vite ces 50jè
avant que le couvercle de la mails
peaux ne se referme sur les cap^ è
les maiHots vides et les jupes lég
ce rien et ce tout qui est la vie Pyj
Plaisir rare et qui en valut la PeL
bre d'un beau rêve: se dire <3U -Q
personnalité propre s'ajoutèrent
parences complexes, et que noffS
certaines heures ces fantômes , e
de la Vie, tour à tour le famél^ e {è^i
goire, Pathelin le fourbe, Zanetto | j
Scapin, Claudio, Octave et Pierr ain-.i
toutes les nuances du prisme nt~r'~
qu'autour de nous virevoltaient. - Mao
et fantasques, Sylvia, Colombi^;?
ne, des bergères, des princesse'
un délicieux monde d'autrefois-
fard aux joues, comme sorti dgotg'
du temps et vaporisé dans 11j
éclair de lune. 11"'J'
Paul MAR.GtlEJ'. ..Ce
<.~MŒ~M.~QEUDI 3Ti!D~r~H~~OC_
Vareinc, et cette découverte, opérée vers
minuit, un soir de grand dîner et de fête
vénitienne, le jette à nouveau dans un dé.
lire avide et haineux sur la nature duquel
l'ex-pensionnaire ne se méprend pas
« Cette fois, dit-elle à son oncle Ferney.
après que Roger, fou de désir et de rage, a
faim tout bonnement l'étrangler, cette fois,
je suis aimée! » Enfin, le lendemain matin,
Roger s'étant bien pénétré toute la nuit de
ia certitude qu'il est trompé, et Fernande,
de son côté, s'étant dérobée, sur le conseil
de l'oncle Ferney, à tout démenti exprès,
la réconciliation finale s'opérera entre les
deux époux. Ainsi, la transformation de
Fernande en une femme du monde du der-
nier jeu, ses façons impudiques, son suc-
cès, l'idée qu'elle est aimée, la fausse
croyance qu'elle fut infidèle auront fait de
Roger un mari durablement amoureux. Et,
je sais bien, encore une fois, que nous som-
mes tous des marionnettes entre les mains
du. petit Dieu, mais pour amener si nette-
ment, si promptement ce résultat, il faut
convenir que l'amour a dû tirer un peu fort
sur lés ficelles!..
Fai parle de ta Comédie de M. Pierre
Wolff avec la franchise, avec l'ardeur à ex-
pnmermonjsentiment que commandait mon
estime même pour son talent et pour son
œuvre. Le& Marionnettes ne réalisent pas,
à mon gré, ce qu'on pouvait, ce qu'on de-
vait aftendré de leur auteur. C'est pourquoi
j'ai dû rechercher et marquer, avec toute
l'exactitude dont Fêtais capable, les rai-
sons qui ont fait quelque peu dévier M.
Pierre Wolff de ses qualités habituelles.
Mais je serait désolé qu'on dût conclure de
ce qui précède, et qui est une discussion
plus qu'une critique, que Les Marionnettes
sont une pièce d'un intérêt ou d'un agré-
ment médiocre. Des personnages entiers,
comme, celui de l'oncle Ferney,sont exécutés
avec cette bonhomie cordiale, cette tendre
boiugonnerié ou l'on reconnaît bien, cette
fois,, l'auteur du Secret de Polichinelle.
Toutes les scènes de figuration mondaine
du second acte sont prestes, piquantes et fi-
nes. Une scène, comme celle où l'ami Ni-
zerolles exprime, sans l'avouer, son amour
à Fernande, est traitée avec la plus sobre et
la plus habile émotion. Il y a partout de l'es-
prit, et aussi un sens aigu de la féminité,
une odeur d'amour, si je puis dire. L'oppo-
sition, indiquée surtout au début de J 'œu-
vre, entre le quinquagénaire Nizerolles, qui
est l'amant-né, l'amant vrai, ef Roger, qui
n'est que l'amateur de femmes, est une idée
fort heureuse, dont M. Wolff aurait pu tirer
grand parti, et qui prouve chez lui, une
fois de plus, le goût et le sens de la réalité
amoureuse. J'ajoute encore, bien que cela
puisse sembler superflu, que l'action est
-menée avec toute l'ingéniosité, toute la
dextérité de métier possible. Cela suffit, et
au delà, à l'agrément du spectacle. M.
Pierre Wolff ne se blessera pas si, de lui,
nous espérions davantage. Et j'ai montré,
je crois, qu'en cette affaire, c'est lui-même
qui nous avait rendus exigeants.
LÉON BLUM.
Comment ils ont joué
-
Ils ont joué une aiuvre dont la place était au
boulevard, comme on joue la comédie au boule-
vard; aussi, sur les planches du Théâtre-Fran-
çais - cette réserve est nécessaire — l'inter-
prétation ne me plaît guère plus que la pièce elle-
même.
Ce que je pense des Marionnettes - j'en ai
fort goûté le style délicat et de charmants dé-
tails — ce que je pense du sujet, de la mentalité
des personnages, je-vous le communiquerai sa-
medi. Ma critique de l'œuvre tient ailleurs,
«Oïière4^S>£e!ie des comédiens: De la mousse, h
de la légèreté, de l'aisance, de la grâce, un peu
'd'émotion; mais pas de profondeur, pas de puis-
sance, un mince effleurement tïes passions, un
dessin à peine ébauché des caractères, au total
un ensemble nous apparaissant d'autant plus miè-
- vre que le cadre immense écrase le mignon ta-
bleautin..
C'est Chérubin qui a revêtu non plus la dé-
froque de Suzanne mais l'habit de cour du comte
Almavdva.
Une observation d'ordre général, un défaut
front la responsabilité remonte au metteur en
scène:
Saut deux ou trois exceptions, les interprètes
, ties AtanonneHes ont une diction « courte », sè-
che; ils dédaignent trop cet art de détailler un
texte sans lequel les plus beaux passages d'une
œuvre joliment écritel, ne peuvent conserver au
théâtre toute leur valeur, toute leur saveur.
Féraudy, s'est attaché surtout à régler — de
façon tout à fait remarquable, je le reconnais —
les mouvements des comédiens; il s'est inquiété
de les faire asseoir, se lever, marcher, courir,
danser; il a commandé de beaux décors, réuni
et disposé habilement des meubles et des acces-
soires de prix ; il a très heureusement « créé
l'ambiance » où s'agitent les Marionnettes. Il a
simplement oublié de tirer Parti de la diction de
ses artistes. Il a cherché des passades et non des
inflexions. De là le manque d'ampleur, et la fai-
blesse de coloris de l'interprétation.
Naturellement, en vieux routier fermé à l'é-
cole du répertoire, il a su personnellement échap-
per à cette imperfection, et dire, et jouer avec
infiniment de délicatesse son intéressant rôle cfe
l'oncle de Fernande.
Ce personnage ne demande que de la bonho-
mie, une sensibilité très douce, très atténuée, qui
n'est que le reflet pâli de la souffrance. des
autres. Féraudy excelle crans l'exécution de ces
demi-teintes. Il est parfait parce qu'il n'a pas
besoin de forcer son talent.
J'aurais ardemment souhaité pouvoir adresser
le même hommage à Mme Piérat ; je suis
contraint de lui crier « casse-cou! »
Le rôle de Fernande est trop fort — je me
sers à dessein d'une expression de Mlle Clairon,
— pour les qualités cre charme et d'émotion de
la créatrice de l'Autre Danger, de Notre jeunesse
et de Comme ils sont tous. Le troisième acte de
cette dernière pièce constitue le maximum de la
puissance dramatique dont Mme Piérat est capa-
ble de faire preuve en ce moment. Or, il y a
dans les Marionnettes un troisième acte exi-
geant une vigueur d'accent, une ampleur dans
la force que la délicieuse comédienne ne possè-
de pas encore. Elle manque de souffle là où il
faudrait au contraire dominer la situation, pren-
dre aux entrailles les spectateurs en se haussant
à l'énergie passionnée des grandes amoureuses.
Fernande c'est la Bartet Q-e Francillon; c'eut
été MIJe Brandès — si elle avait compris son
devoir en restant chez Molière ! — Dans la troupe
actuelle, celle à qui le rôle s'adapterait le mieux,
c'est, à mon avis, Mlle Géniat, tous ceux qui
l'ont applaudie dans Denise ne me contrediront
pas, Mlle Géniat qui a beaucoup plus de « ré-
sistance » que son aînée en sociétariat, mais sa
cadette au théâtre. et en expérience.
Ma critique, bien. entendu, ne porte que sur
le troisième acte, car Mme Piérat est adorable
crans les deux premiers — au 2e surtout -:- et si
je formule un peu durement mon opinion c'est
que je voudrais empêcher une artiste que j'ad-
mire en toute sincérité de s'engager dans une
4voie où elle trouverait hientôt d'amères décep-
tions.
Fernande devient dans la seconde partie de
l'œuvre, un premier rôle dramatique. Mme Pié-
rat jouera peut-être un four cet emploi. Aupara-
vant il est indispensable qu'elle s' « entraîne »
en interprétant Aricie, Junie, Iphigénie, etc. As-
souplir ses dons naturels, forger le métal de sa
voix, élargir lé style de sa diction, tout cela sera
bientôt fait si Mme Piérat veut s'astreindre pen-
dant quelques mois, - laissant de côté les
« nouveautés » —-à l'étude du répertoire.
Grand incarne dans les Marionnettes un triste
individu ! Voyez-vous ce « marquis » mis en
demeure par sa mère d'opter entre une'modeste
pension de 250 francs par mois s'il reste garçon,
ou une très grosse rente s'il consent à épouser
la jeune fille qu'elle lui a choisie, et qui, au
lieu de travailler, — ayant déjà la vie assurée
quand tant de braves gens qui le valent bien en
sont à réclamer cent sous par jour ! — pour con-
tinuer sa misérable existence d'oisif, accepte ce
honteux marché et n'a même pas la probité de le
tenir, se conduisant au premier acte avec Fernan-
de comme up goujat, au second comme un gro-
tesque, et devenant à la fin amoureux par vice,
parce qu'il croit qu'un autre homme a possédé
sa femme !
Que faire d'un pareil pleutre?.
Grand lui a prêté un bel extérieur, une tenue
très élégante, ce que Dumas fils appelait « tous
les dehors d'un véritable gentilhomme ».
Certains lui reprochent de-frop, accentuer la
et rosserie » de ses répliques .- dans les premières
scènes. Mais non ; l'excuse de la femme est pré-
cisément dans cette attitude du mari et nous de-
vons être convaincus qu'elle ne parviendra jamais
à le conquérir par la tendresse et la douceur.
J'ai moins aimé Grand aux derniers actes. Ce
fin comédien, la perfection même dans les êtres
insouciants et charmeurs, manque, lui aussi, de
puissance quand le rôle atteint au drame! Je l'ai
signalé à propos de la Rivale et de Simone. En
pareil cas Grand use d'un procédé très habile,
qui séduit un grand nombre de spectateurs. et
de critiques), mais ne donne pas le change aux
professionnels, à ceux qui ont une réelle connais-
sance cfe l'art du comédien. En observant Grand
attentivement dans les scènes au-dessus de son
-- f (Dessin d'E. Brod.)
Mme PIERAT
(Fernande de Monclars)
M. Léon BERNARD
(Nizerolles)
tempérament, on s'aperçoit de la minute précise
où se produit le déclanchement, la convention se
substituant aussitôt à la belle simplicité du co-
médien. Je reviendrai sur cette critique en préci-
sant au moyen d'exemples.
L'affiche portait Débuts de M. Léon Bernard!
Que signifie cette plaisanterie? Bernard1 a déjà
interprété Bergamin des Romanesques (joué d'o-
riginal par Leloilr). Argani du Malade imaginaire,
il a créé un personnage de second plan de
Comme il sont tous .et tout cela ne compterait
pas ! Se figuTe-t-on par hasard que Nizerolles des
Marionnettes doit prendre le oas sur Argan, un
des rôles les plus difficiles de l'emploi? Ce sont
là de ces petits ridicules indignes de la Maison.
Mais si par débuter on a voulu entendre, jouer
devant la presse, on a tout simplement manqué
d'égards envers le public le vrai juge des débu-
tants!
Bernarcr a composé, grimé, habillé un délicieux
Nizerolles, Il rend avec une finesse touchante
la mélancolie du vieil amoureux qui cache un
cœur de 20 ans sous l'enveloppe d'un homme au
seuil de la vieillesse ! Il y a au second acte une
petite « scène de guignol » tout à fait exquise que
Bernard et Mme Piérat ont jouée avec une pointe
d'émotion d'un charme inexprimable.
Mon seul gros reproche c'est le manque de
variété, de fermeté-, de netteté surtout de son
débit dans un joli « couplet » du premier acte.
Bernai a un peu trop récité ce qu'il fallait dire
et parler.
Dans tout le reste il est excellent et l'on a dé-
sormais une preuve nouvelle de cette vérité :
« Nul n'est indispensable », puisque à défaut
d'un bon comédien à qui l'auteur destinait d'a-
bord Nizerolles, on a aussitôt rencontré un ac-
teur ne le cédant en rien au premier !
Les autres rôles, de moindre importance sont
tous très correctement tenus.
Alexandre, dans un amoureux sincère, sorte
de Guy des Haltes de l'Etrangère affirme encore
sa jeune maîtrise, sa prenante sincérité; Numa
reste "le comédien adroit, trop délaissé, qui porte
au premier plan des figures à peine esquissées ;
J. de Féraudy est un jeune mari désinvolte et
galant; Lafon et Le Roy ne font que passer.
Granval mérite d'être cité à part. Il a campé
un type de vieux gandin avec une fidélité d'ob-
servation étonnante, mettant en harmonie la dé-
marche, le geste, les moindres mouvements du
corps avec sa « figure n" la plus plaisante du
monde. Ce n'est pas une caricature, c'est un
portrait.
Du côté des femmes: Mme Fayolle, à la voix
incisive et mordante serait excellente si elle
voulait ralentir un peu la rapidité de son débit;
Mlle Robinne est belle; Mlle Maille est char-
mante ; Mlle Provost est charmeuse. Mlle Faber
est jolie.
EMILE MAS.
? P. S. — Minait.-V'^îHligne? qui précèdent
ont été écrites aprè£"'iaWpeQtfç*n générale. :
Je sors de la Comédie et une représentation
nouvelle n'a modifié en rien mon opinion per-
sonnelle.
Mais *la loyauté me fait un devoir de constater
un très vif succès de première. Trois rappels
après le premier acte, quatre après le second' et
le troisième, trois à la fin de la nièce. Tel est
le bilan de la soirée.. E. M.
Dialogue dans la salle:
— Vous avez là chère amie, une perle ma-
gnifique. Elle vient évidemment de chez Leo
Weil.
1 1 KILOSA ;
■■ >
(i Trouvaille d'hygiénique coquetterie a
(1 garantissant >
4 l'immaculée fraîcheur des dessous.
4
La mise en scène
et les décors
La nouvelle pièce de M. Pierre Wolff impo-
sait, par son charme simple, par sa puissance
dramatique, par ses qualités bien .françaises de
franchise, de bonté, de fluidité, une mise en
scène et des décors particulièrement soignés et
appropriés.
L'atmosphère, là moins que partout ailleurs,
ne pouvait être indifférente j et s'H avait fallu de
cette opinion une preuve nouveUe. nous l'au-
rions trouvée dans le soin minutieux avec lequel
Les Marionnettes se sont si joliment agitées dans
le luxe, l'émotion, la tendresse, les miNe et une
facettes du visage éternel de l'amour.
Le premier acte se passe dans un décor qui
est, comme lui, simple, très simple d'exposition
et très fourni tout ensemble. C'est un salon
Louis XV meublé avec un goût sans vanité aris-
tocratique; c'est bien le salon du marquis de
Montclars, le salon d'un homme qui ne veut pas
d'un foyer que la nécessité des circonstances lui
a imposé malgré lui. Cette pièce manque volon-
tairement de cette intimité précieuse que re-
cherchent de jeunes époux qui s'aiment. Et cette
volonté d'impersonnalité se décèle partout. Une
vieille tapisserie occupe une partie du panneau
de droite, au fond deux. tableaux froids, pom-
peux, des tablèaux d'ancêtres animent dans leur
cadre ovale l'immense panneau du fond. Quel-
ques sièges, deux ou trois fauteuils de velours
vert sombre traînent ça et là en un désordre sa-
vant.
Le décor du deuxième acte est le plus réussi.
lOri a,, au lever du rideau, l'impression que la
scène a été éventrée de tous les côtés ; au" fond,
une immense échappée lummeuse avec un esca-
lier de fer forgé tout fleuri qui conduit au rez-
de-chaussée où Nizerolles donne une soirée
dansante et joue la comédie.; à droite et à gau-
che, deux immenses baies où passe et repasse
>1 flot des invités. A droite, une fenêtre aux
rideaux tirés laisse apercevoir une échappée de
ciel bleu, quelques arbres.
Tout est fleuri de lumières, de fleurs, de la
grâce des femmes, de l'esprit, de la verve su-
irexcitée des hommes. C'est mieux qu'un décor
d'élégance ; on a une .impression très nette de
frivolité, de convoitise, de fringale amoureuse
de désir. H faut particulièrement signaler l'agent
cernent du sous-sol de la scène qui a été spécia-
lement aménagé pour monter ce décor en tous
,points réussi. Il y a là un siège avec trois cornets
acoustiques qui commandent la manœuvre com-
me dans un bateau.
Le troisième acte se passe à minuit dans un
petit salon de l'hôtel de Roger de Monclars. Un
piano, sur lequel achèvent de mourir des roses,
occupe le fond de 'la scène et le motif d'Héro-
diade, de Massenet, qu'y éveillent les doigts pres-
tigieux de Fernande se mêlera tout à^ 'heure aux
voix lointaines des invités travestis en Napoli-
tains. Aux murs, deux modernes tableaux de
prix, parmi lesquels un Lépine, prêtés par de
grands marchands de tableaux.
A gauche, au fond, une immense ferrasse don-
nant sur le parc de l'hôtel, découvre l'horizon
bleu au milieu du fouillis des grands arbres im-
muables.
L'atmosphère est particulièrement saisissante,
vivante dans son calme de drame pressenti, at-
tendu presque avec impatience. La nuit chan-
tante, un peu lourde, accuse encore cette im-
pression.
Mais tout cela se dissipe au quatrième acte qui
nous présente le même décor au matin. Tout est
clair, lumineux, ainsi qu'il convient pour une
réconciliation que tout l'art de l'auteur, à force
de vérité, de logique, de grandeur simple, avait
fini par nous faire croire improbable.
Cette mise en scène, très vue, très observée,
ces décors ont commenté de la plus heureuse fa-
çon h'œuvre très applaudie du délJlÍcieux écrivain
qu'est M. Pierre Wolff.
Louis SCHNEIDER.
Simple remarque
Il y a foule dans les somptueux salons parti-
culiers du restaurant Henry, dont la cuisine,
célèbre à Paris, est digne, à tous égards, des
gourmets délicats qui se préparent à déjeuner
ou dîner selon toutes les règles de l'art culi-
naire au célèbre établissement du 30 de la rue
Saint-Augustin.
La Soirée
Au fauteuil voisin du mien, j'ai l'agréable sur-
prise de voir s'asseoir l'aimable Mayol qui, dès
l'abord, me dit en confidence :
— Vous savez, je vais jouer la comédie.
— Ah ! bah ! vous aussi !
Et le tuyau précieux déroule devant mes yeux
éblouis ses méandres enchanteurs!
Mayol à la Comédie ! Dame, après Dranem et
Vilbert, là-haut, qui empêcherait Mayol de venir
opérer ici ?
C'est sans doute une surprise aimable que M.
l'administrateur réserve à ses abonnés, à l'oc-
casion de ses vingt-cinq ans de diplomatie dra-
matique.
Eh oui, c'est le fin tuyau! Et Mas ne l'aura
pas! Mais dans quoi Mayol va-t-il débuter? Cli-
tandre? Masc'afille ? Alceste ?
J'affûte fiévreusement lia mine de mon crayon;
j'ouvre mon block-notes à une page immaculée.
je tends l'oreille.
Et Mayol, détaché, y verse ceci:
— Oui, je vais jouer chez moi un acte de Lu-
cien Bayer, avec de la musique de Willy Reds-
tqne.
Zut ! Le tuyau crève ! -
Rattrapons-nous sur l a contemplation de
cette saille de surchoix.
On a fait la bonne mesure à Pierre Wolff.
Tout-Paris est là. Non pas ce puzzle d'élégance
dont les morceaux sont empruntés au haut com-
merce, à la basse finance, au demi-monde trop
clinquant et au vrai monde trop effacé — et
que l'on étiquette volontiers: Tout-Paris; mais
un consommé de toutes les élégances et de tou-
tes les illustrations.
Je jette un œil chez Maurice de Féraudy.
Dans la loge spacieuse, on marche sur des
auteurs: Max Maurey, Tristan Bernard, étalé à
la satané sur un somptueux divan, Xavier
Roux.
Je dis à l'oncle de Ferney combien il, a em-
poigné son public :
— Bah ! proteste le modeste, quand on a un
rôle aussi charmant, tout fait de finesse et de
tendresse, comme c'est facile de plaire !
— Parfait ! Demain j'essaierai de vous rem-
placer.
L'oncle de Ferney a arboré, en habit, un plas-
tron de chemise tout plat, en grosse toile, Parti-
cle à 3 fr. 50 dans les magasins de nouveautés.
— C'est très commode, ces rôles-là, m'ex-
plique l'oncle. Au moins, ils vous permettent
d'écouler votre stock de vieux linge.
Ce diable de Niaerolies aune singulière ma.
nière de décrire la façon, dont il faut actionner,
une- marionnette : •: H -- .,: ',.
j— Pour tua Taire rertttter les bràs îl faut lui
relever les jupes.
Je connais des tas de marionnettes féminines
dont on pourrait en dire autant.
Gentil bout de dialogue entre l'oncle et la
nièce, le délicieux Féraudy et l'étourdissante
Piérat :
FERNANDE. — C'est votre cœur qui me re-
garde.
FERNEY. - Mai$ ce sont mes yeux QUI te
connaissent.
Autre coin de marivaudage :
— L'amour, c'est toujours la même chansm-1
— Cela dépend de qui la chante.
— Oh! il y a tant d'hommes qui chantent
faux !
— Moi, j'ai un assez joli talent f
Philosophie maritale : 5 d'r j
- Je ne me couche jamais sTi
le suis. Au moins, quand j'appr^£jrai
suis réellement, j'aurai cette 53 .sjâCtiûO #
l'avoir dit le premier! ien autoU!
Autre brin de dialogue très pans j
la table de jeu : - 5 d'e#0
— Ah ! mon cher, vous n'avez p
— Si vous en souffriez comme j
Psychologie subtile : de
— Les femmes n'ont rien à cral de ceuS
qui parlent. Elles ont tout à redouter , , C, C d
se taisent.
Cette réplique encore:
— VoUs êtes très jolie, ce s0,f'
- Merci pour hier ! ***
* ,.fjf C
Fichtre! Allons-nous pouvoir P j.
Fîchtré! Al1ons.:nous pouvoir P
Piérat? .,; p~
Des foules empressées et pressées - s'Y
comme des harengs dans une caque ^p
culent. C'est une impressionnante àlgde
de fracs et de robes de gala. t'tI1id~é.
Surmontons notre bien connus 1
trons ! dl1 te
Devant une coiffeuse du temps, XVI"
Devant une coiffeuse du temps
Piérat, en robe de chambre bois de rose, 1%
des craquelures de son maquillage • e SQUScI
Vous fait-il palpiter d'apprendre (itiesous
peignoir bois de rose, Piérat porte
tinaison » rose plus pâle ? ql1Í
Et voici cet Henry IV d'Ephra. 1""qui * 1
frôler de sa barbe en pointe la men. ^,
tend Piérat. Vert'
— Ah! chère belle, murmure le vert- 0
1910, comme nous allons regretter,Ade -
moi, de ne pas Nous avoir donne ;
femme laide dans Comme ils sont -'
- Regardez plutôt les nouvelles sa K
je viens d'acheter, là. pendues au nitf.,
de Vinci, vous savez. Et puis, vOt1 le qUI
dites donc bonsoir à ma petite ChIffo q111 *
fait fête. t feu.
Mam'zelle Chiffon, griffonne noirs t feu-
au bas de mon pantalon le ruban bleu ciel
collier. À
Présentations, salamalecs. tl'S\tf j
— Et puis, reprend Piérat, vous 0
vu ma marionnette. Regardez-moi ça,
pas qui me l'a envoyée. C'est qu'el'e y
à Pierre Wolff, vous sa\ez! I/J
Et cet, amour de Piérat introduit 'J,o'
dans l'intérieur de l'amusant fantoche
et me donne la comédie.. j¡eIJ',
Me voici chez Provost, si belle' 51 tr1
mise comme une fée du Châtelet jj
rose avec ses belles épaules nues. ,jj 1U.
- Regardez cette innovation, me r \iu
belle. Le couturier a fendu ma jupe s po3'l
Et d'un joli mouvement ondule" et P Y,$
la belle Provost découvre à mon illte ffiw4
cheville et quelques centimètres de son J.
Le mollet de Mlle Provost est P,us
nature. *
En repassant à la sacristie, admir~ ¡.'
En repassant à la sacristie, admirons j
Robinne — oh ! que belle !
Je. i
— N'est-ce pas que Piérat est ex.t11 ri&yt
Jà-ded"ans? me dit-elle, en bonne carnar cO
lez-vous noter que ma robe est vert - 1
d'espérance? Alors j'espère. r
— Espérez! conseille Leitner qui Pa 50 01
et qui complimente Robinne. ff' .4' f
J'essaie de harponner Pierre Wol", ^A' i
.)
bon billet! Pierre Wolff est étouffe, Q;
étreintes — et puis, il a l'air si vanne 10
pitié. 1
Rentrons dans la salle. , ri
Laurence Duluc me confie qu'elle P3 f
Russie :
— Je suis attendue par le tsar, lâcht':
gligemment.. ,5! yf
— Manoël attendait bien Gaby Des i0
Yvonne de Bray répète en même te);,
ami Teddy à la Renaissance et la F1* J
Gymnase.
Yvonne est un type dans Je genre de W [
qui dictait dix lettres à la fois. Jf
G. DAVIN DE CHAWy, 1
L'UU le KÉUÎSE^MBKS
nt le plus efficace calmant des A ,
Exigez la signature « BOYEfl
Les Toiletter ,
Les Marionnettes, c'est l'éternelle t'~M)~'
la jeune fUIe pleine d'illusions sur le rrJfJ
l'amour, qu'un beau gentilhomme dédor® f.
lui, par amour pour sa dot. La jeitftf jfj
souffre avec dignité, comme il sied 91J 7
néanmoins, elle fait tout de même tgo,Pd
terrible à son mari, comme il arrive ~~v
et, comme dans tomes les pièces où
mes revendiquent leur droit au bi
Cet orchestre, que j'énumère,
Notre violon n'attend plus.
Déjà» sur les prés chevelus,
La lune verse sa chimère.
Notre violon n'attend plus
Qu'un signe de Monsieur le mairel.
Et enfin, pour clore 1$ saison:
Avec le soleil nous partons
Pour revenir au temps des roses.
Sans or, ô Gilles et Marions,
Avec le soleil nous partons!
Mais il reste dans nos cartons
De quoi chasser les Jours moroaef.
Avec le soleil nous partons
Pour revenir au temps des roses.
Le théâtre de Valvins dura deux étés,
puis, la vie, de son souffle brutal, nous dis-
persa. Les années ont passé. L'atelier-
grange -n'existe plus. La voile du canot de
Stéphane Mallarmé ne penche plus sur
l'eaù son aile de mouette blanche. Le pur
poète est endormi et repose dans la terre.
Et, avec lui, notre jeunesse, notre jeu-
nesse !.
ni
Le Mythe de Pierrot
Devenir acteur! -Qui sait même si un
four, au Théâtre-Français. Braver les idées
reçues, la morale officielle, me déclasser
pour m'imposer plus tard comme un de ces
grands artistes devant qui les préjugés flé-
chissent, un Mounet-Sully, un Coquelin!.
Le cœur battant, j'affronfai les maîtres.
• Worms. d'abord. Le récit du Cid décou-
ragea sa bonne volonté. Acteur tragique:
non. La foi ne remplaçait pas le don et les
moyens. Il ajouta en souriant qu'avec mon
visage glabre et mes longs cheveux, je lui
rappelais un acteur anglais. Et ce conseil:
voir Delaunay. Dans la comédie. Peut-
être.
Delaunay m'écouta dire la tirade de Célio
et la redit, en y mettant son charme d'éter-
nel printemps : Malheur à celui qui se laisse
aller à une douce rêverie sans savoir où sa
chimère le mène, et s'il sera payé de retour.
Mollement couché dans une barque, il aper-
çoit au loin de vertes prairies, des plaines
enchantées, et le mirage léger de son Eldo-
rado. Les flots l'entraînent en silence, et
quand la réalité le réveille, il est aussi loin
du but où il aspire que du rivage qu'il a
1 quitté. Il ne peut plus ni poursuivre sa
route, ni revenir sur ses pas.
Paraphrasant ces mots à mon intention,
il me montra les dégoûts d'une profession
ingrate, les risques, grands pour moi, d'une
aventure. Mal persuadé, je fis appel à un
troisième arbitre : Silvain. Il ne me consentit
dans une tirade d'Emile Augier qu'un mé-
rite: la ponctuation.
Après cela, en dépit de mes joues rasées
Bt de mon air « acteur » anglais ou non, il
fallut bien déchanter.
Le curieux est que Victor passa par la
même crise et sentit se déchaîner en lui la
même délicieuse et funeste passion. Il dé-
dama Le Cid devant Delaunay qui lui re-
connut des qualités supérieures, physique,
voix, mais-le dissuada aussi, et, le voyant,
malgré son conseil, se présenter au Conser-
vatoire, le fit refuser dans son intérêt.
Têtu, je m'obstinai. Je ne serais pas sur
les planches le porte-voix des écrivains,
soit! Est-ée que, n'étant pas un acteur, je
ne pouvais pas du moins devenir un mime?
Ne pouvais-je prendre une place dans cet
art intense et étroit, oub4ié, qui n'avait plus
ni 'troupe, ni théâtre, ni public, plus près
des tréteaux de foire et des music-halls, que
des salles officielles, mais qu'on pouvait
relever en se montrant simplement, comme
Deburau, génial?
Pourquoi et comment, cette idée? En
jouant le Pierrot héritier d'Arène, et le
Pierrot Posthume de Gautier. L'émerveille-
ment indulgent de Mallarmé devant le blê-
me personnage fit le reste. Il avait vu Debu-
rau fils, -Paul Legrand. Ses souvenirs fouet-
tèrent mon émulation. Pierrot, désormais,
m'habita.
Durant cinq et six ans, j'allais être fasci-
né par l'être au masque blanc, aux souples
vêtements de neige, le muet de plâtre qui,
d'un clin d'œil ou d'un pâle sourire, d'un
augural doigt levé ou d'un véhément coup
de pied au derrière, rassemble en son jeu
le drame et la farce, Guignol et Shakes-
peare, la plus triviale bouffonnerie et le
tragique le plus élevé.
La lecture d'un conte tragique du com-
mandant Rivière, deux vers de Gautier:.
L'histoire du Pierrot qui chatouilla sa femme
Et lui fit de la sorte, en riant, rendre l'âme
décidèrent de ma conception satanique,
ultra-romantique et pourtant très moderne:
un Pierrot raffiné, névrosé, cruel et ingénu,
alliant tous les contrastes, véritable protée
psychique, sadique un peu, volontiers ivro-
gne et parfaitement scélérat.
C'est ainsi qu'avec Pierrot assassin de sa
femme, tragique cauchemar à la Hoffmann
ou à l'Egard Poe, dans lequel Pierrot fait
mourir sa femme de rire en lui chatouillant
la plante des pieds, je fus un des précur-
seurs du réveil de la pantomime, et à cette
date de 1881, je pourrais presque dire: le
précurseur.
Richepin allait, un an après, faire jouer à
Sarah son Pierrot assassin, au Trocadéro;
Raoul de Najac se gainait du collant d'Ar-
lequin, dans des pantomimes mondaines;
Willette taillait son crayon pour ses ex-
quis Pierrots et ses Colombines court-vê-
tues.
Le monologue fait homme, Coquelin, ca-
det triomphait. Si j'instaurais la monomime:
l'apparition intense et courte de Pierrot,
seul?
Exemple :
Dans Vlà le Rétameurl Pierrot, exas-
péré par le cri strident, étrangle l'homme,
puis sent passer à travers sa gorge l'irré-
sistible cri que désormais, obsédé jusqu'à
la folie, il poussera.
Dans le Requiem du Papillon, Pierrot
violoniste ayant brûlé à la chandelle un obs-
tiné papillon, voit fondre sur lui un mil-
lier d'ailes vengeresses. Il apaise l'inva-
sion blanche en exécutant pour le mort un
Requiem magistral.
Mais ces monomimes jouées dans des
salons amis, ne détrônaient pas la gloire de
Coquelin cadet.
« — Il faut voir Banville! » conseillait
Guérin, le secrétaire de. rédaction du Gil
Blas. ,.
Certes, en daignant m'ouvrir une seule
fois son salon, le parfait poète des Odes
Funambulesques aurait pu .me donner cette
célébrité d'art que j'eusse alors payée vo-
lontiers de dix ans de ma vie. Mais Ban-
ville resta sceptique. Il tenait la pantomi-
me pour enterrée; on ne ferait pas mieux
que le grand Gaspard Deburau, n'est-ce
pas? Et pour me donner une idée de l'Em-
pereur du geste, lorsqu'il jouait Pierrot,sol-
dat. en Atrique, Banville, vieux gamin de
Paris, mimant la scène,, me piétina l'orteil
d'un fusil imaginaire, et m'enfonça dans
les côtes une baïonnette invisible.
Je vis Paul Legrand, le dernier Pierrot
Parisien, car Rouff, Séverin, jouaient en-
core en province. Paul Legrand, glorieux
survivant d'un art moribond et auquel il ne
souhaitait peut-être pas de survivants, avec
trop de raisons désespérait d'un renouveau,
vieux mime rentré dans l'ombre, si pauvre
et si digne. Dans une revue des Variétés,
traînant la charrette comique, il venait, —
symbole cruel ! — de rappeler le dernier
exode des Funambules exilés: Arlequin lo-
sangé comme uh serpent, Cassandre et
son catharre, Colombine en jupe rose le
suivaient, mélancoliques.
A tout cela, rien d'encourageant.
En vain risquai-je un mimodrame au
Théâtre Beaumarchais, soirée sans lende-
main.; un four noir à une grande fête pour
les sinistrés d'Ischia; des piécettes de bric
et de broc en des représentations de socié-
té. En vain, tant. j'avais la foi, m'advint-il
de rêver, oui, de jouer dans des bouis-bouis
excentriques ou des salles de toile forai-
nes. Pour que mon Pierrot fût remarqué,
il fallut la charmante et précieuse colla-
boration de Paul Vidal; elle l'enveloppa de
l'atmosphère propice, rythma les gestes d'é-
motions musicales appropriés.
Pierrot assassin de sa femme, représen-
té chez Alphonse Daudet, puis ici et là, et
enfin au Théâtre Libre (avec Antoine dans
le croque-mort); Colombine pardonnée,
jbuée au Cercle Funambulesque (Peppa
Invernizzi, de l'Opéra, pour Colombine)
— ces deux pantomimes illuminées par
la rampe, marquèrent aux yeux des lettrés
la petite résurrection du genre, en atten-
dant le regain de vogue dû à Félicia MaUet
dans l'Entant Prodigue, et à Séverin, dans
Chand' d'habits.
Mon Pierrot surprit: il choquait les tra-
ditions. L'excellent Paul Legrand, de sa
voix inhabituée de muet, de son étrange
voix de perroquet guttural, murmurait avec
un accent d'une drôlerie indicible: a C'est
du Shakespeare! » Théodore de Banville,
toujours gavroche, dans une lettre m'ob-
jecta: « Mais, cher monsieur, si Pierrot
est tragique, quel avantage a-t-il sur Thyes-
te ? »
; Pourtant l'effet fut produit.
On retrouverait dans les feuilletons de
Jules Lemaître et de Sarcey, dans une
planche de L'Illustration, historiée de Pier-
rots macabres, et aussi dans le Journal
d'Edmond de Goncourt, l'impression lais-
sée par cette incarnation blanche où se
réalisa, vaille que vaille, le rêve théâtral
de mes vingt ans.
* IV
Tréteaux de Samois
De Valvins à Samois, un pont de douze
années, sous lequel a coulé beaucoup
d'eau.
Nous reprenons, dans le jardin de notre
mère, ou dans la saHe de bal du village,
les représentations d'autrefois. Plus de
foule; seuls des amis venus des environs
de Paris; vos douces figures: Henri Si-
gnoret, Amédée Pigeon, Elémir Bourges,
Jean-Marie Mestrallet et vous, cher Sté-
phane Mallarmé, à peine un peu grisonnant,
mais la même vie-intense dans les prunel-
les! ",
A côté du Déliciéux Riquet à la Houppe,
des charades de Victor déroulent leurs
vers cocasses ou harmonieux. Elles ont
remplacé la pantomime. On ne revoit plus
Pierrot, armé d'une seringue de cheval, in-
fligeant un clystère bouillant à la sage-
femme, ou l'absorbant pour son compte à
travers une malle qu'on fore au villebrè-
quin; Pierrot ne joue plus aux cartes pour
gagner au gendarme, avec ses bottes et son
sabre, ses moustaches et son nez, qu'in-
flexible Shylock, il tranche rasibut d'un
rasoir.
A notre étoile de l'aube, Geneviève Mal-
larmé, aujourd'hui spectatrice amical
cèdent, pléiade frêle, d'autres cousines.'
Celles qui seront un jour nos compagnes,
entre leurs trois jeunes sœurs se parta-
gent, reines d'une heure et fées d'un jour,
le sceptre fragile d'une tige de rose tre:
mière.
Mémorable représentation que celle, de
Riquet à la Houppe, où Mallarmé « y alla de
sa larme », emporté par le frisson lyrique
de son maître-et ami, Théodore de Ban-
ville; oui, représentation mémorable où
une jeune fille enfant, semblable dans sa
pâle maigreur à un oiseau blessé, sut dire
avec son âme l'amour du rêve et la splen-
dejir des choses
Rodenbach, pour que la fête fût complète,
avait écrit un prologue.
Et les charades de Victor, leurs trouvail-
les? Ne tirait-il pas de ce seul mot: Sé-
miramis, les vieillards de Troie assis aux
portes Scées, la Belle au Bois, Psyché in-
clinant sa lampe sur l'Amour endormi, les
flots mugissants qui submergent la ville
d'Ys? Avec Cléopâtre, ne voyait-on pas le
drame de Barbe-Bleue, les urnes des Da-
naïdes, une églogue de Théocrite et la mort
de Celle qui, a dit Victor Hugo, « em-
baumait l'Egypte, toute nue? »
Puis l'intervention cocasse du gendar-
me!
Comme un diable jailli d'une boîte, il
surgissait brusquement pour clore le spec-
tacle et traîner tout le monde au poste:
fantoche discordant, marionnette épilepti-
que, avec ses moustaches en cimeterre, ses
mains boudinées dans des gants d'escri-
me, ses bottes de sept lieues, son chapeau
d'ogre.
Ah! La joyeuse folie! Et se peut-il que
j'ai été, en Pandore, ce fou?.
Déguisements rapides, éclats de jeunes
rip res; notre seconde jeunesse, une jeunesse
qui n'a plus la fièvre d'illusions de la pre-
mière, et qui, grave du chemin parcouru,
s'enivre pourtant encore de l'avenir : ce
mirage tenace, ce plus beau des mirages.
V
Vétheuil
Les années encore, jour à jour, grain de
sable à grain de sable, ont flué au sablier.
Nous ne sommes plus dans la forêt ma-
gique, mais dans un jardin de féerie. Une
admirable retraite où le songe, l'amour et
le travail se reflètent au miroir du fleuve,
dans l'or rouge des crépuscules.
De nouveau, le vieux divertissement
nous requiert, et ce sont des bouffées de
revenez-y, comme l'écho charmant et mé-
lancolique des ritournelles du passé. Vic-
tor, avec un génie bouffe que n'eût pas
désavoué Gautier, joue le Tricorne enckaa
té avec la jeune troupe ; mes filles déjà.
bientôt son fils. Et c'est le répertoire en-
core: Pathelin et sa pièce de drap, Sca-
pin et son sac où Nérine le bâtonne, la
Belle au Bois Dormant, Les Caprices de
Marianne, et, spectre ressuscité d'un long
sommeil, Pierrot assassin de sa Jemmé,
toujours.
Selon l'usage, une de nos plus jeunes
actrices prononçait le prologue. Celui-ci, de
Victor, précéda Le Tricorne enchanté:
Illustre compagnie où sur ces deux rangées,
Sont aux Beaux-Arts, les Belles-Lettres mélan-
[gées
Daignez à notre troupe inexperte sourire.
Elle est faible, qu'importe? Un maître en l'art
[d'écrire
Pour elle empanacha « Le Tricorne enchanté. »
Comme nous, soyez pleins de bonne volonté.
Dans ce décor sommaire, au lieu de toile nue.
Et de vains &oraveatsA voyez une avemvu
Ici, un palazze dont le balcon lierré
Par les feux du soleil d'Italie est doré,
Là un auvent propice où l'on se diSSl IJ)
Et sur le tout un tfède et léger crépusc
Et dots nos bégaiements enfin veuillez il
Que le rythme des vers si vivace et
Ou, comme un via pourpre qui gag*** fà
Théophile Gautier mit SOIr rire écHf
Autour de nous. seuls acteurs à j*
sept visages en fleur, autant que Il
de la semaine, souriaient : nos ~i
Travestis charmants, robes de papil r.
gards où l'enfant est déjà femtfe J
femme est encore enfant.
Notre troisième, ma dernière j^
VI
Marlotte J
(r 'i
Des années encore. Mais Victo^
gne plus remonter sur les tréteau*
cadrent les tentures rouges de 1 iï !)
1 , d l ",,1
les vignes-vierges de la terrasse. 'tt p(
costume pour Pierrot Posthume et i f
Léandre, c'est comme ces acteurs <
parent leur spectacle de retrait e. A
Place à la jeunesse, nos jolies c\Yj
mes grandes filles, le jean-Janot &Jt
pour elles et ce petit garçon, c'est 'V
enivrement de l'avenir que no L"; :
il y a vingt-cinq ans : pour nous
re nous: nmrizon grave du passé, y,
pièces n'ont pas changé et les vers .0.,i
ville, de Gautier, d'Arène, de Ri
dent la jeunesse immortelle de l'e
la grâce, de la beauté.
Que d'absents déjà parmi ceu"; ï-,
applaudirent ! Leurs places restent ;,
tre les anciens et les nouveaux sp^ fj
Armand Point, Philippe Berthelot. fj j
Bourges, Franc-Nohain, Léon Blui^/
L'Heureux, Marcel Ballot, Mme i
de Broutelles, et bien d'autres affi
Puisque voici venu le temps où A
rappelle, ramassons vite ces 50jè
avant que le couvercle de la mails
peaux ne se referme sur les cap^ è
les maiHots vides et les jupes lég
ce rien et ce tout qui est la vie Pyj
Plaisir rare et qui en valut la PeL
bre d'un beau rêve: se dire <3U -Q
personnalité propre s'ajoutèrent
parences complexes, et que noffS
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de la Vie, tour à tour le famél^ e {è^i
goire, Pathelin le fourbe, Zanetto | j
Scapin, Claudio, Octave et Pierr ain-.i
toutes les nuances du prisme nt~r'~
qu'autour de nous virevoltaient. - Mao
et fantasques, Sylvia, Colombi^;?
ne, des bergères, des princesse'
un délicieux monde d'autrefois-
fard aux joues, comme sorti dgotg'
du temps et vaporisé dans 11j
éclair de lune. 11"'J'
Paul MAR.GtlEJ'. ..Ce
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