Titre : Comoedia / rédacteur en chef : Gaston de Pawlowski
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1908-03-31
Contributeur : Pawlowski, Gaston de (1874-1933). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32745939d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 31 mars 1908 31 mars 1908
Description : 1908/03/31 (A2,N183). 1908/03/31 (A2,N183).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7646567q
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-123
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 13/04/2015
2
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cule et disproportionnée à son objet. Se
mettre dans un tel état et lever la main sur
une jolie femme pour défendre les contribu-
tions indirectes, manque vraiment par trop
d'élégance. Pour punir le fumeur obstiné,
voici venir quatre spadassins achetés par le
- traître Adriani et résolus à supprimer le
trop heureux joueur. En garde! un contre
, quatre! voici déjà un estafier transpercé
oar la pointe du Cyrano vénitien ; les autres
fléchissent, quand huit solides marins déli
vrent le brave escrimeur et, à son grand
étonnement, le désarment, lui nouent un
bandeau sur les yeux et l'emmènent. C'est
la vigilante Namounâ qui, trouvant la ville
décidément trop dangereuse pour son Otta-
vio, le fait enlever et l'embarque sur sa
tartane, qui lève l'ancre et disparaît à l'ho-
rizon.
Il faut conclure. Le dernier tableau nous
montre le harem dû vieil Ali, honorable
spécialiste de la traite des blanches. Na-
mouna y fait une entrée triomphale avec
son Vénitien, rachète toutes les esclaves,
déjoue une suprême attaque du pirate, le
fait poignarder et remonte en tartane avec
Ottavio définitivement conquis, et les af-
franchies éternellement reconnaissantes!
Tel fut le résultat de la collaboration
émouvante de MM. Nuitter et Petipa, qui
florissaient en l'an de grâce 1882.
Je me plais à supposer que ce n'est pas
la hardiesse d'une telle affabulation ou la
sublimité excessive de cette conception de
l'art chorégraphique qui put effrayer les
spectateurs de cette époque. Rien de plus
traditionnellement poncif que ce banal scé-
nario, à qui toute l'ingéniosité de M. Staats
n'a pu communiquer hier l'étincelle de vie.
Non. le musicien seul eut les honneurs
de la curée. Ruée sur cette partition nou-
velle, toute la presse musicale (Victorin
Joncières en tête) en déchira les feuillets à
vilaines dents. Et le gros Besson donna de
la voix! Malgré les courageuses protesta-
tions de clairvoyants critiques tels' que
Louis de Fourcaud, l'épithète définitive de
« wagnérien » fut imprimée au fer rouge
sur l'épaule du méprisable compositeur
avant même que Namouna vît les feux de
la rampe. On répétait dans une atmosphère
de sourde hostilité, on ne se gênait pas
pour déclarer « indansable » cette musique
qui apparaît aujourd'hui si nettement ryth-
mée à nos oreilles saturées de phrases in-
vertébrées. « Mais vous ne voulez pour-
tant pas que je refasse Giselle? », gémis-
sait Edouard Lalo, qui doutait du génie
d'Adolphe Adam: « Eh! parbleu! murmu-
rait-nn autour de lui. M. Ta In CAroîf pn
peine de s'élever jusque là! »
C'est donc un geste de nécessaire répa-
ration qu'accomplissait hier l'Académie Na-
tionale de Musique. et d'e Danse en rele-
vant le rideau sur Namouna après une in-
terruption de vingt-six ans.
Vingt-six ans ! La justice des hommes est
lente! Il fut un temps où cette réapparition
*ût causé dans la musique française un
crisson de .ravissement : mais nous ne croi-
, -ons pas insulter à la mémoire de Lalo en
avouant que ce temps nous semble déjà
passé! Le crime est commis, il est irrépa-
rable; la pauvre esclave d'Adriani a passé
les vingt-six plus belles années de sa vie
dans les oubliettes: elle y était entrée fraî-
che "d'une éblouissante jeunesse, c'est pres-
que avec des cheveux blancs qu'elle en sort
aujourd'hui. Elle ne reconnaît plus personne
autour d'elle; hier je n'ai pas vu Claude-
Achille Debussy et Xavier Leroux se livrer
en sa présence aux débordements d'enthou-
siasme qui. si 1 on. eij croit fierje I^lq* f|es
mirent jadis en conflit avec l'autorité con-
servatoriale ! Le « wagnérisme » de Na-
mouna (pour parler le langage, de ses bour-
reaux) nous apparaît aussi problématique
que celui de La Jolie Fille de Perth ou de
Djami/eh, et nous n'y voyons plus qu'une
aimable partition aux timides audaces et
aux nouveautés rétrospectives. Ce n'est pas
ainsi qu'il faudrait l'admirer.
Certaines pages sont demeurées pourtant
d'une étonnante solidité et la délicate couleur
n'en est point fanée. Ces brillants frottis de
violons aigus sous lesquels ondule le noble
dessin de violoncelles éclairé de notes de
harpes qui forment le beau prélude du ta-
bleau de Corfou et reviennent au troisième
tableau soutenir sur les flots la tartane aux
ailes déployées, n'ont-ils pas gardé toute la
fluidité puissante qui nous émeut encore au-
jourd 'hui dans Rheingold (le voilà - bidn te
wagnérisme de Lalo!), où ia même instru-
mentation et la même coupe musicale se
retrouve? Le délicieux trois-seize de la scè-
ne du balcon avec sa fine sérénade en ré
mineut- qu'orne si précieusement un mi bé-
mol de choix n'a-t-il pas conservé une sa-
veur rythmique et harmonique réellement
intacte, et le parfum de cette « valse lente »
— comme ce mot a changé de sens aujour-
d'hui! — si décente et si pure de lignes
n'est-il pas impérissable?
On a beaucoup goûté l'amusante et vio-
lente fête foraine avec la brutale insistance
de son petit thème de trompettes rageuses
si savoureusement harmonisé en équivoques
tonales d'une rare élégance. Et Berlioz, en
songeant à son « Tuba mirum », eût été
ravi de l'adroite disposition des fanfares de
scène qui, juchées sur vji chariot, alignées
sur les tréteaux d'une parade, installées sur
un balcon aristocratique, se renvoyaient des
quatre points cardinaux leur joyeux appel
commenté subtilement par l'orchestre cen-
tral.
On a soupiré d'aise au gracieux solo de
flûte qu'Hennebains déroule sous les pas
de Namouna au dernier acte avec tant de
cristalline douceur, et l'on ne put rester
insensible au clair éblouissement rythmique
des petites cymbales que heurtent les seize
danseuses endiablées de la place de Cor-
fou, rendant plus lumineux encore le char-
mant allegretto qui sonne si bien avec ses
quatre dièzes!
Mais toutes ces joies éparses n'ont pas
suffi à consoler les vrais amis de l'auteur
du Roi d'Ys: on sentait passer l'horreur de
l'injustice sans recours. On a volé à Na-
mouna toute sa jeunesse et il n'est plus
désormais au pouvoir de personne de la lui
rendre.
'Félicitons tout de même la direction de
l'Opéra de son beau geste et gardons, en
présence des œuvres à venir, la terreur
superstitieuse des jugements hâtifs: Na<-
mouna vient de prouver une fois de plus
qu'on ne répare jamais complètement les
erreurs judiciaires!
HENRY GAUTHIER-VILLARS.
La soirée
Avait-on assez dit que Namouna nous
plongerait dans un ennui profond ?
Hier encore, au moment même où j'en-
dossais l'habit à cisailles qui est de rigueur
à l'Opéra, un mien ami, inféodé à quelque
phalange franckiste, est entré chez moi et
s'est mis en devoir de plaindre mon triste
sort de soiriste.
Eh bien! les pronostics fâcheux ne se
sont point réalisés, et je retourne à l'ami
franckiste ses condoléances.
Je n'ai point vu d'éventail dissimuler des
bâillements d'ennui; nul ronflement de
spectateur assoupi ne parvint à mes oreil-
les.
De l'orchestre à l'amphithéâtre, on parut
goûter fort le spectacle, et la preuve qu'on y
peut prendre un plaisir appréciable, c'est
que la plupart des invités qui assistaient à
la générale de dimanche se retrouvèrent
là hier soir.
Des noms au hasard de la lorgnette:
MM. comte de Camondo, C. Dreyfus, mar-
quis de Cara-Riera, comte de Fitz-James, ba-
ron Hottinguer, d'Estournelles de Constant,
prince Troubçtzkoy, M. et Mme Ed. Colonne,
Th. Dubois, Yvo Bosch, H. Rochefort, G. Fau-
ré, A. Meyer, de Reinach, marquis de Massa,
baron de Lassus, comte Potocki, comte de Che-
vigné, marquis de Franoys, comte de Clermont-
Tonnerre, Bonnaud, G de Rotschild, de Ville-
roy, marquis de Bonneval, comtesse de Maillé,
P. Lebaudy, comtesse de Berteux, Lavessière,
Chéramy, de Saint-Marceau, vicomte de Sa-
porta, A. Hébrard, Frank-Puaux, Nicolapoulo,
Gérault-Richard, Jaurès, marquis de Villefran-
che, Claretie, Dujardin-Beaumetz, comte de
Gontaut-Biron, prince d'Hénin, comte de Galli-
let, Jean Hottinguer, vicomte de la Redoute,
comte Greffulhe, Chauchard. H. Ménier, de
Curzon, de Sainte-Croix, baron de Vaux, S. E.
l'ambassadeur des Etats-Unis, H. Deutsch,
prince de Sagan, baronne de Rotschild, etc.
1
Souvenirs de jeunesse
En attendant le lever du rideau; les on-
cles à cheveux grisonnants, qui virent les
représentations de 1882, évoquèrent quel-
ques souvenirs de cette déjà lointaine épo-'
que. On se remémora les incidents qui pré-
cédèrent l'apparition du fameux ballet, dont
on parlait toujours sans le voir jamais : 1 ^in-
tervention du ministre, Antonin Proust, au.'
près du directeur de l'Opéra, qui n'était
point, chose étrange, M. Gailhard (où était-
il donc, M. Gailhard?); le maître Lalo, ma-
lade, ne pouvant achever son œuvre; Gou-
nod, en bop confrère, lui prêtant la main
pour mettre au point l'instrumentation.
Et l'on rappela surtout les noms des cé-
lébrités de la danse qui brillaient en ce
temps-là. sur la scène de l'Opéra, et qui,
malgré la froideur du public pour la musi-
que de Lalo, parvinrent à faire applaudir le
ballet fort bien dansé et mimé parmi des
décors très pittoresques.
Mlle Sangalli principalement, la rivale
alors de Mme Rosita Mauri, obtint un suc-
cès personnel dans le rôle de l'esclave grec-
que.
Un de mes voisins me fit remarquer, à
ce sujet, qu'il est des noms prédestinés à
coiffer des danseuses: ainsi ceux de Piron,
Keller, Salle, figuraient dans la distribution
de Namouna il y a vingt-six ans, et on Les
retrouve aujourd'hui portés par de jeunes
et séduisantes ballerines.
Quant à celui de Petipa, tout commen-
taire serait superflu. C'est un de ces noms
qui décident d'une destinée. Bien avant que
parut le collaborateur de MM. Nuitter et
Edouard Lalo, la chorégraphie fut illustrée
par des Petipa de l'un et l'autre sexe; la
première étoile de l'Opéra de Saint-Péters-
bourg aujourd'hui encore s'honore de por-
ter ce nom; et tant qu'en ce monde il vien-
dra des Petipa, ils seront de père en fils,
de mère en fille, voués à l'art des petits
pas.
Je rie veux pas m'attarder à rapporter
toutes les anecdotes curieuses qui me furent
contées hier soir, à propos de Namouna,
par de vénérables oncles; ce sont là souve-
nirs de jeunesse, et même, pour moi, d'ex-
trême jeunesse. Je n'ai gardé qu'une très
vague souvenance de Mlle Sangalli. En
1882, je n'étais pas encore autorisé, par les
auteurs de mes jours, à fréquenter les dan-
seuses. Pour tout dire, je n'avais que quatre
ans. -
Je préfère vous narrer des faits plus ré-
cents, mieux connus de moi, ceux de la soi-
rée d'hier.
Héroïsme professionnel
Malgré mon désir de rester dans la salle
à me rincer l'œil et les oreilles, il m'a bien
fallu faire un tour dans les coulisses.
N'avais-je pas à prendre des nouvelles de
la jeune danseuse blessée dans l'accident ra-
conté hier par mon excellent ami Paulino?
Mais, je ne m'en cache pas, j'ai reculé
le plus possible ce moment pénible. Dame !
Vous comprenez, depuis que sur la scène
de l'Opéra il pleut des objets aussi hétéro-
clites qu'un projecteur électrique. Qu'est-
ce qui garantit maintenant que les ponts-
volants, les rideaux, les treuils, les tam-
bours, les contrepoids, les cordages, et tous
les appareils de la machinerie ne vont pas
semblablement céder à la tentation de pren-
dre part au ballet?
Aussi, vous l'avouerai-je, avant de ris-
quer un pied sur le plateau, j'ai grimpé
dans, les dessus pour m'assurer de visu de
la parfaite fixité de tous les engins; je suis
allé" notamment, rendre visite aux électri-
ciens préposés au maniement des projec-
teurs, tant du côté cour que du côté jardin;
et je ne suis redescendu en scène qu'après
leur avoir arraché le serment formel qu'ils
ne se livreraierit plus à des fantaisies com-
me celle de la veille.
Malgré cela; je suis resté distrait, inquiet,
toute la soirée. Au moindre bruit, je sur-
sautais, croyant à la chute de quelque nou-
veau bolide., :
J'ai &u, d'ailleurs, ia satisfaction de voir
mes appréhensions partagées par la plupart
des habitués dé la scène; rares furent ceux,
à part les artistes' et les machinistes, qui osè-
rent s'aventurer sur le plateau. Aussi, ne
suis-je pas éloigné de penser que l'accident
drad'avant-hiér fut un ingénieux moyen, in-
venté par les directeurs, pour éloigner, pen-
dant quelque temps, de la scène, les habits
noirs qui l'encombraient chaque soir et gê-
naient la manœuvre des décors.
J'ai cependant remarqué, hier, un groupe
d'intrépides, et quels intrépidesl Des com-
positeurs, des chers maîtres, petits et
grands, appartenant aux écoles les plus dif-
férentes, aux chapelles les plus opposées,
mais tous fraternisant - ô harmonie! que
ne fais-tu pas? — et en nombre tel que M.
Messager ne put retenir cette exclamation:
« Que de musiciens! On n'en a jamais tant
vu sur la scène de l'Opéra! »
Et dire qu'à ce moment un projecteur
tombant du Ciel aurait pu mettre la France
en deuil!
Un petit craquement, fort heureusement,
se produisit dans les dessus, et fit se disper-
ser les dieux.
Qui trompe*U0n?
Vous ai-je, dit que le tableau qui avait eu
le plus de succès était la fête foraine, à la
fin du premier acte? Cette reconstitution
des foires vénitiennes d'autrefois fut fort
bien réglée, avec la même minutie et un
égal souci de la couleur pittoresque que
l'avait été la kermesse dans Faust,
Une surprise fort agréable pour quelques-
uns, fut de retrouver là les célèbres autant
qu'amusants personages de la Comédie-
Italienne: ScaçamQuche, Arlequin Capitan,
PulcineIla, Il Dottioro Balvardo,quî; du haut
de leurs tréteaux, haranguaient la foule aux
costumes bariolés, l'invitant à venir voir
jouer la dernière comédie du jour: Le Mari
trompé. i
Le mari trompé?. Au fait, pourquoi le
mari trompé?
Si quelqu'un fut trompé hier, ce ne furent
assurément que les femmes !
Je ne parle pas seulement de la noble
dame de Corfou que don Ottavio aban-
donne pour s'enfuir avec Namôuna.
Je songe surtout aux femmes qui se
trouvaient dans la salle. Car enfin, si j'en
crois l'Ecriture, « quiconque regarde une
femme avec convoitise, a déjà, dans son
cœur, commis l'adultère avec elle ». C'est
clair et net; et, sur ce point, il n'y a
qu'à croire l'Ecriture !
Or, je vous le demande, comment ne
pas regarder avec convoitise tout ce ba-
taillon de jolies danseuses, si affriolantes
sous leur maillot rose et leur tutu léger?
Comment ne pas. se laisser troubler par
le charme, par la grâce, l'esprit de Mlles
Zambelli, A. Meunier. L. Piron, G. Couat,
Sirède, Barbier, Billon, L. Couat, Urban
Johnsson, Mouret, S. Mante, B. Mante,
Dockès, Guillemin, Demaulde, Loçeron,
Keller, Bonnat, H. Laugier, Moreira, Co-
chin, Lenclud, Marie?
Comment ne pas rêver de Mlles Le-
quien, S. Kubler, Charrier, Milheï, .,.Mie,!-!
celle, Bremont : Poncet, Sauvageau, Y.
And re, Even, J. Laugier, Schwartz, Mau-
poix, Aveline, Garnier?
Comment ne pas être conquis par i-~ MUes
E. Kubler. Martellucci, Boulay, Coussot,
Thierry, JBrana, Soutzo, J. Kats, G. Kats,
Terwoort, Roger, Pichard, Berton, Delord,
Lefèvre, Trellayer, Delamare, M. Roger,
E. Roger, Backeri Petrelle, Delsaux, Dau-
we,, Tersen, L. Noinville, Dupré, Affre,
Jupin, G. Ffanck. C. Bos, Lapré, Léonore
Antoni, Bousquat, Y. Franck, Escudier,
Thouvenin, Laillier, Belli, etc., etc.?
Ah ! Mesdames, vous toutes qui aviez,
hier soir. des maris dans la salle, vous n'a-
vez pas grandë illusion à vous faire! Vous
l'êtes toutes, je crois, ce que nommait si
bien Molière! Il n'y a, sur ce point, qu'à
en croire l'Ecriture!.
Celui qui ne l'est pas
Celui qui ne l'est pas. trompé dans son
attente, c'est assurément M. Staats, car la
soirée fut pour lui un triomphe, autant que
pour Mlle Zambelli.
Et je ne parle pas ici de son interpré-
tation personnelle du rôle de don Ottavio;
je songe à l'œuvre remarquable qu'il a ac-
complie, pour remettre à la scène, en si
peu de temps et de si brillante façon, ce
ballet hérissé de difficultés. Il est large-
ment récompensé de ses consciencieux ef-
forts, de son labeur opiniâtre, et de toute
sa conviction d'artiste, apportée à la pré-
paratiôri de ce spectacle, par les chaleu-
reux àpplaudissements qui lui furent pro-
ciguës eu cours de la représentation.
Celui qui ne l'est pas, non plus, TrqmDé,
c'est le public, et il a clairement manifes-
té sa satisfaction aux directeurs, qui peu-
vent compter cette première reprise de
Namouna comme un succès.
Je m'en voudrais de ne pas féliciter, eii
terminant, M. Girodier, pour son interpré
tation du rôle d'Adriani, et M. Aveline,
tout à fait remarquable dans le pas des
tambourins et le pas marocain.
Malheureusement, on a à déplorer un
léger accident survenu, pendant la danse
des palmés, à Mlle S. Mante. La char-
mante artiste fit. un faux mouvement et se
luxa sans doute quelque muscle du genou.
Une douleur aiguë l'obligea séance tenan-
te à quitter le plateau, et on dut la trans-
porter dans sa loge.
L'accident ne présente, heureusement,
aucune gravité ; mais il nous privera sang
doute du plaisir de voir Mlle S. Mante sur
fa scène de l'Opéra pendant quelques
jours.
Que la toute gracieuse artiste veuille
bien trouver ici l'expression de nos regrets
et nos vœux sincères pour son prompt ré-
tablissement.
P. MËALY.
Un grand succès
Le concert vocal, qui a lieu le mercredi, de
deux heures et demie à six heures, avec des ar-
tistes de l'Opéra, de l'Opéra-Comique et des
principales scènes parisiennes et que M. Dufayel
a ajouté au concert instrumental qui se donne
au five-o'clock tea dans le joli cadre du Jardin
d'hiver, tous les jours sauf le dimanche, obtient
toujours un très vif succès. Buffet-glacier tenu
par Potel et Chabot, à côté du cinématographe.
Comment organiser
une Soirée ?.
Telle est la question que se posent fré.
quemment les gens du monde désireux de
donner un spectacle privé.
Ce n'est point, en effet, chose facile que'
de réunir les « numéros » suscectibles de
composer un programme en tous pointa
complet. Il est néc&ssaire de possé-
der des connaissances absolument spé-
ciales pour arriver au résultat désiré et,
quel que soit le « sens théâtral » des « di-
recteurs occasionnels », leur bonne volonté
ne peut suppléer à la pratique, en pareille
circonstance.
Comœdia, cédant à de nombreuses de-
mandes qui lui furent faites par ses lec-
teurs, a décidé de s'offrir comme intermé-
diaire obligeant entre les gens du monde et
les artistes en quête d'un « cachet » sup-
plémentaire.
Ces derniers, en effet, se trouvent abso-
lument dans des conditions identiques. La
plupart du temps, ils ne savent où s'adres-
ser.
Cette lacune est donc comblée de façon
définitive. Les gens du monde n'ont qu'à
nous dire ce qu'ils désirent comme « nu-
méros » et les artistes à nous faire con-
naître leur spécialité avec l'évaluation de
leur cachet. Aux uns et aux autres, nous
donnons satisfaction aussitôt.
AUX ÉLÈVES,
AUX ARTISTES
inconnus ou sans engagement
Nous rappelons que, trois fois par se-
maine (le JEUDI pour le chant, sous la di-
rection de Mme Boudinier; le LUNDI et !®
SAMEDI pour la déclamation, sous la direc-
tion dç M, Davrigny et de Mme Jane mgy)-,
a huit heure' s quarts, des auditions
',i;;graf,UÎtes >>; sont, tjonjiées^' àCû~in'é&ï&-'~
Que tous ceux que la chance n'a pas fa-
vorisés, dont le talent est reste méconnu,
viennent à ces auditions. Peut-être pour-
rons-nous leur être utile; peut-être nous
sera-t-il possible de les aider dans cette
carrière si belle et si ingrate de !'Art dra-
matique et lyrique.
Que ceux aussi qui n'ont pas encore
travaillé sous la conduite de maîtres écla.1
rés, et qui croient « avoir des disposa
tions », répondent à notre appel. Il !et'&
sera donné, par des professeurs d'une corn
pétence indiscutable, des conseils absolu
ment désintéressés.
A Comœdia, notre but est de servir 1®*
intérêts de tous les fervents de l'Art dril,
matique et lyrique. Ce n'est jamais en vitO
qu'on frappe à notre porte quand on appat.
tient à la grande famille des artistes.
"BIBLIOGRAPHIE
Massilia. — Un nouveau magazine luxueug*
ment édité et entièrement illustré par la VIIO
tographie va commencer sa publication à Me"
seille le 1er avril prochain. Son titre: 'I'fassilia,
ses rubriques: l'Actualité, le Monde, le Théâ-
tre et les Sports. C'est dire que notre nouveau
confrère touchera à tout, traitera de tout et
publiera le compte rendu par l'image de tou*
les grands faits des grandes premier es». des rÉ""
nions mondaines et sportives, etc., etc.
Massilia étendra son rayon d'action sur la
Côte d'Azur et le littoral méditerranéen où 1*
vie mondaine, artistique et sportive si inteflS*
imposait une telle innovation. Massilia ne serd,
t-il pas, en effet, le premier magazine illastf
de luxe édité en province?
Indiquons en terminant que les bureaux à9
notre nouveau confrère sont situés rue SIitlt'
Jacques 29, à Marseille. Nous lui adressons nO
meilleurs vœux de prospérité.
On demande de jeunes
et jolies femmes !..
Me trouvant, ces jours derniers, dans
une grande ville de province, mon atten-
tion fut attirée par une annonce insérée en
troisième page d'un journal régional. Elle
était ainsi conçue: « On demande de jeu-
nes et jolies femmes pour une revue à
grand spectacle. S'adresser, de 2 à 5, à
M. X., régisseur au Casino. »
Tous ceux qui s'occupent quelque peu
des choses de théâtre connaissent cet im-
muable cliché qui revient régulièrement au
commencement et à la fin de chaque sai-
son.
Je n'y aurais point attaché d'importance
si, comme je l'ai dit plus haut, je ne me
fusse trouvé loin de Paris. Il me parut
alors intéressant de me rendre compte par
moi-même si les « formalités d'admission »
changeaient. au-delà des fortifications.
Un ami commun me présenta donc au
régisseur, qui m'admit aux honneurs de la
réception..
Le lendemain, à deux heures précises,
j'étais assis à ses côtés dans son bureau:
il donnait aussitôt l'ordre au garçon de ser-
vice d'introduire les « impétrantes ».
Et les impétrantes, au nombre de dix,
firent leur entrée.
Vous ai-je dit qu'il pleuvait? Toutes ces
malheureuses étaient trempées et le spec-
tacle n'était pas des plus réjouissants à
voir.
— Avancez, mon enfant, dit à la pre-
mière, une fort jolie brune, le régisseur
d'un ton presque amène.
L'interpellée s'avança.
— Qu'est-ce que vous fabriquez dans la
vie?
—— Modiste. - - -
— Avez-vous déjà fait du théâtre, avez-
vous « marché »? Ne serait-ce que pour
accroître votre gain journalier?. Allons,
ne vous troublez pas, et répondez.
— Oui, Monsieur, j'ai fait du théâtre
autrefois, quand j'étais petite. Je tenais le
rôle du poupon dans la Grâce de Dieu.
Mais, comme je n'avais que six semaines,
je n'en ai guère gardé le souvenir!.
— Elle est rigolo comme tout, la petite
femme, ça colle! Soixante francs par mois!
,Soyez ici demain, à quatre heures, vous
commencerez à répéter. A quatre heures,
vous entendez!. A quatre heures deux,
vous auriez cinq francs d'amende. Je vois
que vous êtes bien faite, je n'ai pas besoin
de vous « détailler ».
- Bien Monsieur, merci; je serai là
sans faute!
Et la modiste s'en fut.
— A qui le tour, maintenant? La pre-
mière de ces dames!.
Une grosse boulotte, d'allure très gau-
che, fit un pas en avant. Avant même
qu'on l'interrogeât, elle dit qu'elle avait été
modèle à Paris, qu'elle connaissait parfai-
tement le théâtre, le concert surtout, car,
régulièrement, elle se rendait tous les jours
aux Folies-Bergère, et dans divers autres
music-halls; puis elle continua de la sorte:
— J'ai joué le travesti. Je suis très
bien faite. Regardez plutôt 1.
Alors, d'un geste hardi, relevant sa jupe
jusqu'aux genoux, elle notrw exhiba une
jambe pas trop mal faite, ma foi! Mais le
reste n'était malheureusement pas à l'ave-
nant.
— Vous feriez bien, ma fille, de retour-
ner à Paris: vous y trouverez beaucoup
plus de débouchés. Nous faisons de préfé-
rence travailler les enfants du pays. Al-
lez, n'y revenez pas.
- Mais, Monsieur!. J'ai les meilleures
références! —
— Vous allez sans doute me présenter
votre brevet supérieur! J'ai dit: Nib!
Une grande mince — professionnelle
celle-là — ayant déjà travaillé au Casino,
du reste, fut engagée sans difficulté à des
appointements fantastiques : son expérience
de la scène lui valut, en effet, cent; dix
francs par mois.
- Et les feux?
— Madame- veut rire sans doute? Elle
ne se souvient plus des bons principes?.,
Puis vinrent une rousse, une Monde,
.deux châtaines et trois oxygénées. La I î
fortune leur fut aussi favorable. Ii i
Quelquèsrunés^tiècH^ljf»; .cj>jtmfj$nl
s'inquiéter vivement des costumes quFleut,
étaient réservés.
— Qu'ils soient chics, Monsieur, sur-
tout. Qu'on puisse- au moins se débrouil-
ler un peu?.
— Soyez tranquille, mes petites chattes,
ne 'vous frappez pas!
Et sur ces fortes paroles, la séance fut
levée:
— Nous recommencerons demain, me
dit en. me reconduisant le régisseur. Pen-
sez donc. il me faut soixante femmes!.
Ça va être éDatant, cette revue. Ça dé-
gottera celle des Folies-Bout-de-Bois !. Ils
n'avaient que quarante marcheuses!.
.La concurrence a du bon — mais
ses conséquences ne sont pas toujours
très gaies !.
R n
FEUILLETON DE COMŒDIA
du 31 mars 1908
: (24)
Sous le Masque
(Une vie aù théâtre)
PAR
Pierre NAHOR
(Suite)
On éclate. Elle rit aussi et sa larme coule
sur sa joue mate.
Elle reprend son récit*:
— Alors, ze leur ai dit: Ze vous demande
pardon, Messieurs, c'est l'émotion! Et z'ai
voulu recommencer, mais M. Ambroize Thomas
a sonné sa sonnette et m'a dit: « Merci, mon
enfant, cela suffit ». Et voilà: c'est une fata-
lité !
On rit de plus belle. La bonne fille s'essuie
les yeux, prise aussi de gaieté, ce qui lui fait
une figure fort sympathique, navrée et riante à
la fois; attendrie et consolée d'avoir pu conter
sa mésaventure. Et maintenant qu'on la sait,
on l'abandonne. Celles qui ont passé l'examen,
délivrées et plus légères, répètent, espiègles,
en imitant son zézaiement :
— Rome! l'unique obzet de mon pressenti-
ment!
Enfin, à sept heures, en pleine nuit, la liste
est lue à haute voix, sous le porche, par quel-
qu'un qui tient une lanterne. Au milieu d'un si-
lence inquiet, subit, j'entends un nom, je n'en-
tends* que celui-là! Il me semble que j'ai aper-
çu « Choucoulou », le nez en l'air, sous la
lanterne, mais, je saute dehors, et je tombe
dans les bras de Montgeron:
— Oui ! oui! ça y est!
Le brave homme me soulève et m'embrasse,
puis, bras dessus, bras dessous, nous allons.
ÎIOL'S allons, fiévreux, bavards, joyeux. 11 fait
nuit dgire et il nous semble qu'il fait soleil !
Enfin, nous nous arrêtons, je ne sais où,
pour dîner. Montgeron est, je crois, plus heu-
reux que moi !
— Vous voyez. ffcfi dit-il, devant le homard
plantureux qu'on nous sert, la pendule de Mlle
Mars!! elle a sonné l'heure! la première heu-
re! vous lui devez bien, maintenant, de la re-
prendre chez vous?
- Je m'attendris à ce souvenir; et par un effet
de réaction nerveuse, je sanglote un bon mo-
ment; et voilà ce pauvre garçon stupéfait, n'ima-
ginant pas d'où me viennent ces larmes su-
bites.
— Ce n'est rien. Ce n'est rien, dis-Je, c'est
nerveux !
Et je mange d'un appétit robuste, d'un appé-
tit de russe, comme disait Mlle Laurijon, relé-
guant à cette heure tous les caprices de mon
estomac fermé depuis huit jours!
Et voilà encore une détente qui s'opère. Le
Sauterne me grise; je deviens gaie, bavar-
de. charmante! je constate cela dans les yeux
de Montgeron : de braves gros yeux tendres,
comme tout pleins de larmes.
Je m'anime, je dis des choses drôles. mon
compagnon en devient tout jeune et très en
train. Nous nous attardons, nous allons pren-
dre le café sur le Boulevard, et nous rentrons
en voiture, et fraternellement le bon diable, pas
psychologue pour un sou, décidément, me dé-
pose à mon portail, où il m'embrasse encore
une fois sur les deux joues.
Dans mon lit, je réfléchis à mon "état d'âme»,
et là, franchement, en face de moi-même, je
conclus que j'ai une âme de fille et j'analyse:
Comment? une joie survenue et un peu de
Sauterne, la gaieté d'un souper, la griserie des
paroles, des sensations momentanées et toute
physiques, peuvent vous rendre capable d'at-
céder à ce qui n'est pas même une tentation?
Et des gens s'étonnent de la « facilité »
de pauvres filles, pour un peu d'argent! pour
un peu de joie! Mais le voilà l'éternel
trébuchet ! La matérialité ! L'ambiance heu-
reuse! La minute propice à la détente nerveu-
se ! Une voix me parle et me dit : « Véra, ma
chère, ne sois pas si fière de toi ! tu aurais pu
déjà en deux circonstances te réveiller le len-
demain tout comme une autre, et sans amour
encore! Sans attirance! avec l'excuse seule
d'une heure molle d'oubli conscient!. » C'est
idiot ces possibilités-là !
Et je m'endors, tranquille de me connaître
si mal et sans le moindre dégoût de moi-même.
Le lendemain, je vais de bonne heure trou-
ver Montgeron. Il m'accueille ravi et je pose.
Une folie me passe par la tête.
Comme je vais l'étonner! pensai-je.
— Monsieur Montgeron, dis-je, sans préam-
bule, seriez-vous bien heureux si je devenais vo-
tre maîtresse?
Il sursauta, devint tout rouge, puis tout pâle.
— Pourquoi plaisantez-vous? dit-il.
— Je ne plaisante pas, je suis très sérieuse,
vous voyez bien.
— Alors pourquoi me dites-vous cela? Vous
ne m'aimez pas. Vous ne pouvez pas m'ai-
mer!. Vous avez pour moi une affection frater-
nelle, reconnaissante, peut-être, c'est possible,
parce que vous avez bon cœur, mais je suis trop
vieux., pas beau., vous ne pouvez pas m'ai-
mer.
— Comme vous m'aimez, vous? Non, sans
doute. Mais répondez simplement à ma ques-,
tion : Seriez-vous bien heureux si je devenais
votre maîtresse?
Un rictus fit trembler son menton. Il fit un
brusque mouvement vers moi, qu'il réprima, puis
il se détourna et après quelques pas, alla tomber
sur le divan. Un moment après, je l'entendis pleu-
rer. Je m'approchai et je pris sa main; j'essuyais
ses yeux, de pauvres gros yeux sanglants. Il ser-
ra ma main a la briser, puis la baisa furieuse-
ment. Enfin, il dit de sa voix altérée devenue
toute trouble :
— Vous comprenez bien. je ne veux pas
d'un sacrifice.. je ne puis l'accepter.
— C'est possible, dis-je, que ce soit en effet
cela. c'est d'ailleurs toujours un peu cela pour.
pour une femme. Mais j'ai réfléchi sur moi-
même. je suis singulièrement versatile, voyez-
vous. Je subis les circonstances, je me crois des-
tinée à des. comment dire?. à des chutes ra-
pides et à des repentirs subits. Je m'offre à vous,
sans, amour, c'est vrai, mais volontairement,
parce que Je suis sûre, que nul homme, mieux
que vous, ne peut être plus digne de ce que vous
appelez « ce sacrifice ». Et il me -laît d'agir froi-
dement, avec calcul et préméditation. d'entraver
mon destin, de pouvoir dire : C'est moi qui veux !
ce n'est "as CI toi, incident imprévu ! » Quelle que
soit l'aventure que tu m'apportes dans la suite
des jours, je t'aurai devancée ! et ce ne sera pas
un repentir 1 à-
— Vrai? s'écrie-t-il, subitement Joyeux, com-
me si je lui disais une parole tendre.
— Vrai !
La chose est faite.
Je me trouve absurde, stupide, abjecte, mais je
n'ai pas de repentir. Tout peut m'arriver main-
tenant! et je n'ai plus à craindre les erreurs
sentimentales.
L'étrange réveil! ou plutôt l'étrange aurore!
car je n'ai pas dormi. Du dégoût de moi, mais
pas de regrets, non. Une vague gloriole, au
contraire, d'un acte sans charme, et fort laid,
ma foi, accompli froidement. d'une dette
payée. d'un défi à l'avenir! Vouloir ce qu'on
peut empêcher, c'est une force ! Le suicide est
la plus grande des forces! Terminer, enrayer le
destin, c'est le plus bel effort de la Raison sur
la Vie! Contrarier l'ordre des choses, c'est
presque être Dieu !
Maintenant, si je ressens, par surprise, des
heures troubles, molles, comme l'autre soir,
ma volonté aura prévu, une fois du moins, cette
défaillance au profit d'un brave diable! ma
volonté aura donné une fois, d'elle-même, ce
qu'elle me, parait fort encline à négliger for-
tuitement.
Trois jours., après.
Allons bon! Je ne puis plus voir Montgeron!
Fini le raisonnement ! Maintenant, je subis ;
c'est un dégoût parfait. Mais aussi, c'est trop
bête, tout ça quand on n'a pas le « bandeau » !
Et c'est moi qui l'ai voulu! Quelle fille je suis!
Ah! brute! brute! Je ne regrette pas, cepen-
dant! C'est une très bonne action que j'ai fai-
te là. Il' était sihéureux, ce pauvre garçon, si
gauchement tendre, si brusquement idiot ! Quel
pauvre animal que l'homme! Et celui-ci, pour-
tant, n'est pas le premier venu! Ce qui est sur-
prenant, c'est cette acceptation, et ensuite cette
reconnaissance physique pour un consentement
sans amour ! Sentiment vraiment viril !
Et ce sommeil lourd, invincible, ronflant.
Cette figure rouge et bouffie sur le traversin,
ces paupières gonflées, tendues sur le globe
saillant des prunelles et comme blanchies dans
le visage, congestionné. Cette bouche béate-,
ment ouverte sous la moustache humide. et
moi, un coude sur l'oreiller, le corps dans la
ruelle, contemplant « ce phénomène » après
l'initiation « au mystère! » Contemplant ce spec-
tacle et m'en rassasiant la vue après cette
heure « exquise », cette heure « d'amour 1 »
Eteindre la lumière ? — Ah ! jamais ! Il faut voir
et figer cela dans ses yeux, pour la vie! — Je
songe : je songe que voilà le réveil de beaucoup
de prostituées ! de beaucoup de femmes aussi!.
de beaucoup de jeunes filles sans doute — car
enfin, l'amour, on ne me fera jamais croire que
c'est autre çho$e ! C'est ça, avec quelques va-
riations peut-êtise, mais c'est le même thème.
et-ça-aboutit il ça!. Eh bien, mais! ils ont
raison, les poètes, d'allonger depuis des siè-
cles des kilomètres de stances sur le motif! Et
allez donc les E.vQhées des Bacchanales! Et sa-
luez les Œgipans et tous les animaux de Vénus 1
C'est ça la vérité! C'est ça la volupté! c'est
ça la vie!.
Quelque chose m'étonnera toujours! Com-
ment un acte dit saint, sacré, naturel et obli-
gatoire dans l'état de mariage, devient-il souil-
lure, infamie, dernier outrage, hors de cet
état, par la langue des tribunaux, par la plu-
me des journalistes et des littérateurs, par la
voix des pères outragée demandant vengeance,
et de l'humanité révoltée? Et pourquoi un
geste si naturel, si sacro-saint, si honoré par des
cérémonies publiques et solennelles, est-il si soi-
gneusement dissimulé, caché, dénaturé par édu-
cation, aux jeunes filles? Si cet acte est si
naturel, si normal, si obligatoire, si louable,
si honorablesi saint et si sacré, pourquoi,
honnêtes initiés, le dissimuler comme une hon-
te? Et comme il est difficile de comprendre,
dès qu'on se prend un peu à réfléchir! Il y a
évidemment quelque chose de saugrenu dans
la facture du geste qui gêne nos idées généra-
les sur l'esthétique et la moralité, et qui empê-
che de s'entendre sur sa définition. Je ne puis
expliquer autrement la cause d'aussi bizarres
contradictions. Quoi qu'il en soit, je suis très
satisfaite d'avoir mesuré la différence qui existe
entre le thème exact et la version éducatoire.
Cette science de l'exactitude me disposera, je
pense,, à des bienveillances futures, à de l'in-
dulgtence nécessaire, ou me dispensera d'expé-
riences superflues, c'est à quoi mène en géné-
ral la fêlure des iIlusiou.
A midi, après ces « noces délicieuses », noUJo
avons déjeuné dans l'atelier.
Pourquoi donc avais-je cette envie de fJi"o
tout le temps de ce déjeuner?
Etait-ce envie de rire ou de pleurer?
Ce pauvre Montgeron m'appelle: « Ma che"'
rie » maintenant, et ça m'agace! Et eependa^
c'est bien là une des conséquences bébêt®*
mais inévitables de ma conduite envers lui.
— Ecoutez, dis-je brusquement, je désir*
qu'on ne sache pas, qu'on ne se doute pas de
ce qui a eu lieu.
Il balbutia, interdit:
— Mais oui, sans doute, comme vous VO"'
drez. Cependant, à Paris, c'est difficile d'âd'
mettre. même malgré la disproportion d'âge'
vous comprenez? Si l'on nous voit enserDDICI
au théâtre, au restaurant.
— Vous vous surveillerez, dis-je, et je dirsi
de mon côté, si c'est nécessaire, que vous êg'o
mon parent, mon cousin-germain. cela par'
tra très vraisemblable. et je le préfère.
n sourit, conciliant..
Je rentre rue Lhomondi Mme Harlay me w
çoit comme d'un voyage. m'interroge sv oc
bienveillance et cordialité. Eh bien, suis-je coli
tente? Ça s'est-il bien passé?
Je la regarde interloquée. d'
Ah oui! c'est vrai, j'oubliais le prétexte fi"
ma fugue! Une représentation d'élèves à F®
tainebleau, où je devais passer la nuit. Je A
vais pas pensé au retour. Je réponds avec vov*
bilité, j'improvise des incidents. je dis que
suis fatiguée et je monte.
Ouf! Imbécile! j
Je pense que c'est ma demi-origîne slave Clet
me rend aussi animalement .inconséquente-"
je pense aux épithètes de MITe Laurijon J,
cependant, si je m'avise de réfléchir, c'est log
que et c'est chrétien, ce que j'ai fait là !.
~Véra interompit sa lecture. Un bruit de Pf
dans ~l'er et un appel de M. Harley 1 Il ver,
tissaient il était huit heures et oue ses bâtes
l'attend n Elle jeta son cahier dans un fi
de com .x ii et descendit.
FIN
- - ;x*a:vi rr. - ~(mme~
JCOM~S~3î 'M?~
cule et disproportionnée à son objet. Se
mettre dans un tel état et lever la main sur
une jolie femme pour défendre les contribu-
tions indirectes, manque vraiment par trop
d'élégance. Pour punir le fumeur obstiné,
voici venir quatre spadassins achetés par le
- traître Adriani et résolus à supprimer le
trop heureux joueur. En garde! un contre
, quatre! voici déjà un estafier transpercé
oar la pointe du Cyrano vénitien ; les autres
fléchissent, quand huit solides marins déli
vrent le brave escrimeur et, à son grand
étonnement, le désarment, lui nouent un
bandeau sur les yeux et l'emmènent. C'est
la vigilante Namounâ qui, trouvant la ville
décidément trop dangereuse pour son Otta-
vio, le fait enlever et l'embarque sur sa
tartane, qui lève l'ancre et disparaît à l'ho-
rizon.
Il faut conclure. Le dernier tableau nous
montre le harem dû vieil Ali, honorable
spécialiste de la traite des blanches. Na-
mouna y fait une entrée triomphale avec
son Vénitien, rachète toutes les esclaves,
déjoue une suprême attaque du pirate, le
fait poignarder et remonte en tartane avec
Ottavio définitivement conquis, et les af-
franchies éternellement reconnaissantes!
Tel fut le résultat de la collaboration
émouvante de MM. Nuitter et Petipa, qui
florissaient en l'an de grâce 1882.
Je me plais à supposer que ce n'est pas
la hardiesse d'une telle affabulation ou la
sublimité excessive de cette conception de
l'art chorégraphique qui put effrayer les
spectateurs de cette époque. Rien de plus
traditionnellement poncif que ce banal scé-
nario, à qui toute l'ingéniosité de M. Staats
n'a pu communiquer hier l'étincelle de vie.
Non. le musicien seul eut les honneurs
de la curée. Ruée sur cette partition nou-
velle, toute la presse musicale (Victorin
Joncières en tête) en déchira les feuillets à
vilaines dents. Et le gros Besson donna de
la voix! Malgré les courageuses protesta-
tions de clairvoyants critiques tels' que
Louis de Fourcaud, l'épithète définitive de
« wagnérien » fut imprimée au fer rouge
sur l'épaule du méprisable compositeur
avant même que Namouna vît les feux de
la rampe. On répétait dans une atmosphère
de sourde hostilité, on ne se gênait pas
pour déclarer « indansable » cette musique
qui apparaît aujourd'hui si nettement ryth-
mée à nos oreilles saturées de phrases in-
vertébrées. « Mais vous ne voulez pour-
tant pas que je refasse Giselle? », gémis-
sait Edouard Lalo, qui doutait du génie
d'Adolphe Adam: « Eh! parbleu! murmu-
rait-nn autour de lui. M. Ta In CAroîf pn
peine de s'élever jusque là! »
C'est donc un geste de nécessaire répa-
ration qu'accomplissait hier l'Académie Na-
tionale de Musique. et d'e Danse en rele-
vant le rideau sur Namouna après une in-
terruption de vingt-six ans.
Vingt-six ans ! La justice des hommes est
lente! Il fut un temps où cette réapparition
*ût causé dans la musique française un
crisson de .ravissement : mais nous ne croi-
, -ons pas insulter à la mémoire de Lalo en
avouant que ce temps nous semble déjà
passé! Le crime est commis, il est irrépa-
rable; la pauvre esclave d'Adriani a passé
les vingt-six plus belles années de sa vie
dans les oubliettes: elle y était entrée fraî-
che "d'une éblouissante jeunesse, c'est pres-
que avec des cheveux blancs qu'elle en sort
aujourd'hui. Elle ne reconnaît plus personne
autour d'elle; hier je n'ai pas vu Claude-
Achille Debussy et Xavier Leroux se livrer
en sa présence aux débordements d'enthou-
siasme qui. si 1 on. eij croit fierje I^lq* f|es
mirent jadis en conflit avec l'autorité con-
servatoriale ! Le « wagnérisme » de Na-
mouna (pour parler le langage, de ses bour-
reaux) nous apparaît aussi problématique
que celui de La Jolie Fille de Perth ou de
Djami/eh, et nous n'y voyons plus qu'une
aimable partition aux timides audaces et
aux nouveautés rétrospectives. Ce n'est pas
ainsi qu'il faudrait l'admirer.
Certaines pages sont demeurées pourtant
d'une étonnante solidité et la délicate couleur
n'en est point fanée. Ces brillants frottis de
violons aigus sous lesquels ondule le noble
dessin de violoncelles éclairé de notes de
harpes qui forment le beau prélude du ta-
bleau de Corfou et reviennent au troisième
tableau soutenir sur les flots la tartane aux
ailes déployées, n'ont-ils pas gardé toute la
fluidité puissante qui nous émeut encore au-
jourd 'hui dans Rheingold (le voilà - bidn te
wagnérisme de Lalo!), où ia même instru-
mentation et la même coupe musicale se
retrouve? Le délicieux trois-seize de la scè-
ne du balcon avec sa fine sérénade en ré
mineut- qu'orne si précieusement un mi bé-
mol de choix n'a-t-il pas conservé une sa-
veur rythmique et harmonique réellement
intacte, et le parfum de cette « valse lente »
— comme ce mot a changé de sens aujour-
d'hui! — si décente et si pure de lignes
n'est-il pas impérissable?
On a beaucoup goûté l'amusante et vio-
lente fête foraine avec la brutale insistance
de son petit thème de trompettes rageuses
si savoureusement harmonisé en équivoques
tonales d'une rare élégance. Et Berlioz, en
songeant à son « Tuba mirum », eût été
ravi de l'adroite disposition des fanfares de
scène qui, juchées sur vji chariot, alignées
sur les tréteaux d'une parade, installées sur
un balcon aristocratique, se renvoyaient des
quatre points cardinaux leur joyeux appel
commenté subtilement par l'orchestre cen-
tral.
On a soupiré d'aise au gracieux solo de
flûte qu'Hennebains déroule sous les pas
de Namouna au dernier acte avec tant de
cristalline douceur, et l'on ne put rester
insensible au clair éblouissement rythmique
des petites cymbales que heurtent les seize
danseuses endiablées de la place de Cor-
fou, rendant plus lumineux encore le char-
mant allegretto qui sonne si bien avec ses
quatre dièzes!
Mais toutes ces joies éparses n'ont pas
suffi à consoler les vrais amis de l'auteur
du Roi d'Ys: on sentait passer l'horreur de
l'injustice sans recours. On a volé à Na-
mouna toute sa jeunesse et il n'est plus
désormais au pouvoir de personne de la lui
rendre.
'Félicitons tout de même la direction de
l'Opéra de son beau geste et gardons, en
présence des œuvres à venir, la terreur
superstitieuse des jugements hâtifs: Na<-
mouna vient de prouver une fois de plus
qu'on ne répare jamais complètement les
erreurs judiciaires!
HENRY GAUTHIER-VILLARS.
La soirée
Avait-on assez dit que Namouna nous
plongerait dans un ennui profond ?
Hier encore, au moment même où j'en-
dossais l'habit à cisailles qui est de rigueur
à l'Opéra, un mien ami, inféodé à quelque
phalange franckiste, est entré chez moi et
s'est mis en devoir de plaindre mon triste
sort de soiriste.
Eh bien! les pronostics fâcheux ne se
sont point réalisés, et je retourne à l'ami
franckiste ses condoléances.
Je n'ai point vu d'éventail dissimuler des
bâillements d'ennui; nul ronflement de
spectateur assoupi ne parvint à mes oreil-
les.
De l'orchestre à l'amphithéâtre, on parut
goûter fort le spectacle, et la preuve qu'on y
peut prendre un plaisir appréciable, c'est
que la plupart des invités qui assistaient à
la générale de dimanche se retrouvèrent
là hier soir.
Des noms au hasard de la lorgnette:
MM. comte de Camondo, C. Dreyfus, mar-
quis de Cara-Riera, comte de Fitz-James, ba-
ron Hottinguer, d'Estournelles de Constant,
prince Troubçtzkoy, M. et Mme Ed. Colonne,
Th. Dubois, Yvo Bosch, H. Rochefort, G. Fau-
ré, A. Meyer, de Reinach, marquis de Massa,
baron de Lassus, comte Potocki, comte de Che-
vigné, marquis de Franoys, comte de Clermont-
Tonnerre, Bonnaud, G de Rotschild, de Ville-
roy, marquis de Bonneval, comtesse de Maillé,
P. Lebaudy, comtesse de Berteux, Lavessière,
Chéramy, de Saint-Marceau, vicomte de Sa-
porta, A. Hébrard, Frank-Puaux, Nicolapoulo,
Gérault-Richard, Jaurès, marquis de Villefran-
che, Claretie, Dujardin-Beaumetz, comte de
Gontaut-Biron, prince d'Hénin, comte de Galli-
let, Jean Hottinguer, vicomte de la Redoute,
comte Greffulhe, Chauchard. H. Ménier, de
Curzon, de Sainte-Croix, baron de Vaux, S. E.
l'ambassadeur des Etats-Unis, H. Deutsch,
prince de Sagan, baronne de Rotschild, etc.
1
Souvenirs de jeunesse
En attendant le lever du rideau; les on-
cles à cheveux grisonnants, qui virent les
représentations de 1882, évoquèrent quel-
ques souvenirs de cette déjà lointaine épo-'
que. On se remémora les incidents qui pré-
cédèrent l'apparition du fameux ballet, dont
on parlait toujours sans le voir jamais : 1 ^in-
tervention du ministre, Antonin Proust, au.'
près du directeur de l'Opéra, qui n'était
point, chose étrange, M. Gailhard (où était-
il donc, M. Gailhard?); le maître Lalo, ma-
lade, ne pouvant achever son œuvre; Gou-
nod, en bop confrère, lui prêtant la main
pour mettre au point l'instrumentation.
Et l'on rappela surtout les noms des cé-
lébrités de la danse qui brillaient en ce
temps-là. sur la scène de l'Opéra, et qui,
malgré la froideur du public pour la musi-
que de Lalo, parvinrent à faire applaudir le
ballet fort bien dansé et mimé parmi des
décors très pittoresques.
Mlle Sangalli principalement, la rivale
alors de Mme Rosita Mauri, obtint un suc-
cès personnel dans le rôle de l'esclave grec-
que.
Un de mes voisins me fit remarquer, à
ce sujet, qu'il est des noms prédestinés à
coiffer des danseuses: ainsi ceux de Piron,
Keller, Salle, figuraient dans la distribution
de Namouna il y a vingt-six ans, et on Les
retrouve aujourd'hui portés par de jeunes
et séduisantes ballerines.
Quant à celui de Petipa, tout commen-
taire serait superflu. C'est un de ces noms
qui décident d'une destinée. Bien avant que
parut le collaborateur de MM. Nuitter et
Edouard Lalo, la chorégraphie fut illustrée
par des Petipa de l'un et l'autre sexe; la
première étoile de l'Opéra de Saint-Péters-
bourg aujourd'hui encore s'honore de por-
ter ce nom; et tant qu'en ce monde il vien-
dra des Petipa, ils seront de père en fils,
de mère en fille, voués à l'art des petits
pas.
Je rie veux pas m'attarder à rapporter
toutes les anecdotes curieuses qui me furent
contées hier soir, à propos de Namouna,
par de vénérables oncles; ce sont là souve-
nirs de jeunesse, et même, pour moi, d'ex-
trême jeunesse. Je n'ai gardé qu'une très
vague souvenance de Mlle Sangalli. En
1882, je n'étais pas encore autorisé, par les
auteurs de mes jours, à fréquenter les dan-
seuses. Pour tout dire, je n'avais que quatre
ans. -
Je préfère vous narrer des faits plus ré-
cents, mieux connus de moi, ceux de la soi-
rée d'hier.
Héroïsme professionnel
Malgré mon désir de rester dans la salle
à me rincer l'œil et les oreilles, il m'a bien
fallu faire un tour dans les coulisses.
N'avais-je pas à prendre des nouvelles de
la jeune danseuse blessée dans l'accident ra-
conté hier par mon excellent ami Paulino?
Mais, je ne m'en cache pas, j'ai reculé
le plus possible ce moment pénible. Dame !
Vous comprenez, depuis que sur la scène
de l'Opéra il pleut des objets aussi hétéro-
clites qu'un projecteur électrique. Qu'est-
ce qui garantit maintenant que les ponts-
volants, les rideaux, les treuils, les tam-
bours, les contrepoids, les cordages, et tous
les appareils de la machinerie ne vont pas
semblablement céder à la tentation de pren-
dre part au ballet?
Aussi, vous l'avouerai-je, avant de ris-
quer un pied sur le plateau, j'ai grimpé
dans, les dessus pour m'assurer de visu de
la parfaite fixité de tous les engins; je suis
allé" notamment, rendre visite aux électri-
ciens préposés au maniement des projec-
teurs, tant du côté cour que du côté jardin;
et je ne suis redescendu en scène qu'après
leur avoir arraché le serment formel qu'ils
ne se livreraierit plus à des fantaisies com-
me celle de la veille.
Malgré cela; je suis resté distrait, inquiet,
toute la soirée. Au moindre bruit, je sur-
sautais, croyant à la chute de quelque nou-
veau bolide., :
J'ai &u, d'ailleurs, ia satisfaction de voir
mes appréhensions partagées par la plupart
des habitués dé la scène; rares furent ceux,
à part les artistes' et les machinistes, qui osè-
rent s'aventurer sur le plateau. Aussi, ne
suis-je pas éloigné de penser que l'accident
drad'avant-hiér fut un ingénieux moyen, in-
venté par les directeurs, pour éloigner, pen-
dant quelque temps, de la scène, les habits
noirs qui l'encombraient chaque soir et gê-
naient la manœuvre des décors.
J'ai cependant remarqué, hier, un groupe
d'intrépides, et quels intrépidesl Des com-
positeurs, des chers maîtres, petits et
grands, appartenant aux écoles les plus dif-
férentes, aux chapelles les plus opposées,
mais tous fraternisant - ô harmonie! que
ne fais-tu pas? — et en nombre tel que M.
Messager ne put retenir cette exclamation:
« Que de musiciens! On n'en a jamais tant
vu sur la scène de l'Opéra! »
Et dire qu'à ce moment un projecteur
tombant du Ciel aurait pu mettre la France
en deuil!
Un petit craquement, fort heureusement,
se produisit dans les dessus, et fit se disper-
ser les dieux.
Qui trompe*U0n?
Vous ai-je, dit que le tableau qui avait eu
le plus de succès était la fête foraine, à la
fin du premier acte? Cette reconstitution
des foires vénitiennes d'autrefois fut fort
bien réglée, avec la même minutie et un
égal souci de la couleur pittoresque que
l'avait été la kermesse dans Faust,
Une surprise fort agréable pour quelques-
uns, fut de retrouver là les célèbres autant
qu'amusants personages de la Comédie-
Italienne: ScaçamQuche, Arlequin Capitan,
PulcineIla, Il Dottioro Balvardo,quî; du haut
de leurs tréteaux, haranguaient la foule aux
costumes bariolés, l'invitant à venir voir
jouer la dernière comédie du jour: Le Mari
trompé. i
Le mari trompé?. Au fait, pourquoi le
mari trompé?
Si quelqu'un fut trompé hier, ce ne furent
assurément que les femmes !
Je ne parle pas seulement de la noble
dame de Corfou que don Ottavio aban-
donne pour s'enfuir avec Namôuna.
Je songe surtout aux femmes qui se
trouvaient dans la salle. Car enfin, si j'en
crois l'Ecriture, « quiconque regarde une
femme avec convoitise, a déjà, dans son
cœur, commis l'adultère avec elle ». C'est
clair et net; et, sur ce point, il n'y a
qu'à croire l'Ecriture !
Or, je vous le demande, comment ne
pas regarder avec convoitise tout ce ba-
taillon de jolies danseuses, si affriolantes
sous leur maillot rose et leur tutu léger?
Comment ne pas. se laisser troubler par
le charme, par la grâce, l'esprit de Mlles
Zambelli, A. Meunier. L. Piron, G. Couat,
Sirède, Barbier, Billon, L. Couat, Urban
Johnsson, Mouret, S. Mante, B. Mante,
Dockès, Guillemin, Demaulde, Loçeron,
Keller, Bonnat, H. Laugier, Moreira, Co-
chin, Lenclud, Marie?
Comment ne pas rêver de Mlles Le-
quien, S. Kubler, Charrier, Milheï, .,.Mie,!-!
celle, Bremont : Poncet, Sauvageau, Y.
And re, Even, J. Laugier, Schwartz, Mau-
poix, Aveline, Garnier?
Comment ne pas être conquis par i-~ MUes
E. Kubler. Martellucci, Boulay, Coussot,
Thierry, JBrana, Soutzo, J. Kats, G. Kats,
Terwoort, Roger, Pichard, Berton, Delord,
Lefèvre, Trellayer, Delamare, M. Roger,
E. Roger, Backeri Petrelle, Delsaux, Dau-
we,, Tersen, L. Noinville, Dupré, Affre,
Jupin, G. Ffanck. C. Bos, Lapré, Léonore
Antoni, Bousquat, Y. Franck, Escudier,
Thouvenin, Laillier, Belli, etc., etc.?
Ah ! Mesdames, vous toutes qui aviez,
hier soir. des maris dans la salle, vous n'a-
vez pas grandë illusion à vous faire! Vous
l'êtes toutes, je crois, ce que nommait si
bien Molière! Il n'y a, sur ce point, qu'à
en croire l'Ecriture!.
Celui qui ne l'est pas
Celui qui ne l'est pas. trompé dans son
attente, c'est assurément M. Staats, car la
soirée fut pour lui un triomphe, autant que
pour Mlle Zambelli.
Et je ne parle pas ici de son interpré-
tation personnelle du rôle de don Ottavio;
je songe à l'œuvre remarquable qu'il a ac-
complie, pour remettre à la scène, en si
peu de temps et de si brillante façon, ce
ballet hérissé de difficultés. Il est large-
ment récompensé de ses consciencieux ef-
forts, de son labeur opiniâtre, et de toute
sa conviction d'artiste, apportée à la pré-
paratiôri de ce spectacle, par les chaleu-
reux àpplaudissements qui lui furent pro-
ciguës eu cours de la représentation.
Celui qui ne l'est pas, non plus, TrqmDé,
c'est le public, et il a clairement manifes-
té sa satisfaction aux directeurs, qui peu-
vent compter cette première reprise de
Namouna comme un succès.
Je m'en voudrais de ne pas féliciter, eii
terminant, M. Girodier, pour son interpré
tation du rôle d'Adriani, et M. Aveline,
tout à fait remarquable dans le pas des
tambourins et le pas marocain.
Malheureusement, on a à déplorer un
léger accident survenu, pendant la danse
des palmés, à Mlle S. Mante. La char-
mante artiste fit. un faux mouvement et se
luxa sans doute quelque muscle du genou.
Une douleur aiguë l'obligea séance tenan-
te à quitter le plateau, et on dut la trans-
porter dans sa loge.
L'accident ne présente, heureusement,
aucune gravité ; mais il nous privera sang
doute du plaisir de voir Mlle S. Mante sur
fa scène de l'Opéra pendant quelques
jours.
Que la toute gracieuse artiste veuille
bien trouver ici l'expression de nos regrets
et nos vœux sincères pour son prompt ré-
tablissement.
P. MËALY.
Un grand succès
Le concert vocal, qui a lieu le mercredi, de
deux heures et demie à six heures, avec des ar-
tistes de l'Opéra, de l'Opéra-Comique et des
principales scènes parisiennes et que M. Dufayel
a ajouté au concert instrumental qui se donne
au five-o'clock tea dans le joli cadre du Jardin
d'hiver, tous les jours sauf le dimanche, obtient
toujours un très vif succès. Buffet-glacier tenu
par Potel et Chabot, à côté du cinématographe.
Comment organiser
une Soirée ?.
Telle est la question que se posent fré.
quemment les gens du monde désireux de
donner un spectacle privé.
Ce n'est point, en effet, chose facile que'
de réunir les « numéros » suscectibles de
composer un programme en tous pointa
complet. Il est néc&ssaire de possé-
der des connaissances absolument spé-
ciales pour arriver au résultat désiré et,
quel que soit le « sens théâtral » des « di-
recteurs occasionnels », leur bonne volonté
ne peut suppléer à la pratique, en pareille
circonstance.
Comœdia, cédant à de nombreuses de-
mandes qui lui furent faites par ses lec-
teurs, a décidé de s'offrir comme intermé-
diaire obligeant entre les gens du monde et
les artistes en quête d'un « cachet » sup-
plémentaire.
Ces derniers, en effet, se trouvent abso-
lument dans des conditions identiques. La
plupart du temps, ils ne savent où s'adres-
ser.
Cette lacune est donc comblée de façon
définitive. Les gens du monde n'ont qu'à
nous dire ce qu'ils désirent comme « nu-
méros » et les artistes à nous faire con-
naître leur spécialité avec l'évaluation de
leur cachet. Aux uns et aux autres, nous
donnons satisfaction aussitôt.
AUX ÉLÈVES,
AUX ARTISTES
inconnus ou sans engagement
Nous rappelons que, trois fois par se-
maine (le JEUDI pour le chant, sous la di-
rection de Mme Boudinier; le LUNDI et !®
SAMEDI pour la déclamation, sous la direc-
tion dç M, Davrigny et de Mme Jane mgy)-,
a huit heure' s quarts, des auditions
',i;;graf,UÎtes >>; sont, tjonjiées^' àCû~in'é&ï&-'~
Que tous ceux que la chance n'a pas fa-
vorisés, dont le talent est reste méconnu,
viennent à ces auditions. Peut-être pour-
rons-nous leur être utile; peut-être nous
sera-t-il possible de les aider dans cette
carrière si belle et si ingrate de !'Art dra-
matique et lyrique.
Que ceux aussi qui n'ont pas encore
travaillé sous la conduite de maîtres écla.1
rés, et qui croient « avoir des disposa
tions », répondent à notre appel. Il !et'&
sera donné, par des professeurs d'une corn
pétence indiscutable, des conseils absolu
ment désintéressés.
A Comœdia, notre but est de servir 1®*
intérêts de tous les fervents de l'Art dril,
matique et lyrique. Ce n'est jamais en vitO
qu'on frappe à notre porte quand on appat.
tient à la grande famille des artistes.
"BIBLIOGRAPHIE
Massilia. — Un nouveau magazine luxueug*
ment édité et entièrement illustré par la VIIO
tographie va commencer sa publication à Me"
seille le 1er avril prochain. Son titre: 'I'fassilia,
ses rubriques: l'Actualité, le Monde, le Théâ-
tre et les Sports. C'est dire que notre nouveau
confrère touchera à tout, traitera de tout et
publiera le compte rendu par l'image de tou*
les grands faits des grandes premier es». des rÉ""
nions mondaines et sportives, etc., etc.
Massilia étendra son rayon d'action sur la
Côte d'Azur et le littoral méditerranéen où 1*
vie mondaine, artistique et sportive si inteflS*
imposait une telle innovation. Massilia ne serd,
t-il pas, en effet, le premier magazine illastf
de luxe édité en province?
Indiquons en terminant que les bureaux à9
notre nouveau confrère sont situés rue SIitlt'
Jacques 29, à Marseille. Nous lui adressons nO
meilleurs vœux de prospérité.
On demande de jeunes
et jolies femmes !..
Me trouvant, ces jours derniers, dans
une grande ville de province, mon atten-
tion fut attirée par une annonce insérée en
troisième page d'un journal régional. Elle
était ainsi conçue: « On demande de jeu-
nes et jolies femmes pour une revue à
grand spectacle. S'adresser, de 2 à 5, à
M. X., régisseur au Casino. »
Tous ceux qui s'occupent quelque peu
des choses de théâtre connaissent cet im-
muable cliché qui revient régulièrement au
commencement et à la fin de chaque sai-
son.
Je n'y aurais point attaché d'importance
si, comme je l'ai dit plus haut, je ne me
fusse trouvé loin de Paris. Il me parut
alors intéressant de me rendre compte par
moi-même si les « formalités d'admission »
changeaient. au-delà des fortifications.
Un ami commun me présenta donc au
régisseur, qui m'admit aux honneurs de la
réception..
Le lendemain, à deux heures précises,
j'étais assis à ses côtés dans son bureau:
il donnait aussitôt l'ordre au garçon de ser-
vice d'introduire les « impétrantes ».
Et les impétrantes, au nombre de dix,
firent leur entrée.
Vous ai-je dit qu'il pleuvait? Toutes ces
malheureuses étaient trempées et le spec-
tacle n'était pas des plus réjouissants à
voir.
— Avancez, mon enfant, dit à la pre-
mière, une fort jolie brune, le régisseur
d'un ton presque amène.
L'interpellée s'avança.
— Qu'est-ce que vous fabriquez dans la
vie?
—— Modiste. - - -
— Avez-vous déjà fait du théâtre, avez-
vous « marché »? Ne serait-ce que pour
accroître votre gain journalier?. Allons,
ne vous troublez pas, et répondez.
— Oui, Monsieur, j'ai fait du théâtre
autrefois, quand j'étais petite. Je tenais le
rôle du poupon dans la Grâce de Dieu.
Mais, comme je n'avais que six semaines,
je n'en ai guère gardé le souvenir!.
— Elle est rigolo comme tout, la petite
femme, ça colle! Soixante francs par mois!
,Soyez ici demain, à quatre heures, vous
commencerez à répéter. A quatre heures,
vous entendez!. A quatre heures deux,
vous auriez cinq francs d'amende. Je vois
que vous êtes bien faite, je n'ai pas besoin
de vous « détailler ».
- Bien Monsieur, merci; je serai là
sans faute!
Et la modiste s'en fut.
— A qui le tour, maintenant? La pre-
mière de ces dames!.
Une grosse boulotte, d'allure très gau-
che, fit un pas en avant. Avant même
qu'on l'interrogeât, elle dit qu'elle avait été
modèle à Paris, qu'elle connaissait parfai-
tement le théâtre, le concert surtout, car,
régulièrement, elle se rendait tous les jours
aux Folies-Bergère, et dans divers autres
music-halls; puis elle continua de la sorte:
— J'ai joué le travesti. Je suis très
bien faite. Regardez plutôt 1.
Alors, d'un geste hardi, relevant sa jupe
jusqu'aux genoux, elle notrw exhiba une
jambe pas trop mal faite, ma foi! Mais le
reste n'était malheureusement pas à l'ave-
nant.
— Vous feriez bien, ma fille, de retour-
ner à Paris: vous y trouverez beaucoup
plus de débouchés. Nous faisons de préfé-
rence travailler les enfants du pays. Al-
lez, n'y revenez pas.
- Mais, Monsieur!. J'ai les meilleures
références! —
— Vous allez sans doute me présenter
votre brevet supérieur! J'ai dit: Nib!
Une grande mince — professionnelle
celle-là — ayant déjà travaillé au Casino,
du reste, fut engagée sans difficulté à des
appointements fantastiques : son expérience
de la scène lui valut, en effet, cent; dix
francs par mois.
- Et les feux?
— Madame- veut rire sans doute? Elle
ne se souvient plus des bons principes?.,
Puis vinrent une rousse, une Monde,
.deux châtaines et trois oxygénées. La I î
fortune leur fut aussi favorable. Ii i
Quelquèsrunés^tiècH^ljf»; .cj>jtmfj$nl
s'inquiéter vivement des costumes quFleut,
étaient réservés.
— Qu'ils soient chics, Monsieur, sur-
tout. Qu'on puisse- au moins se débrouil-
ler un peu?.
— Soyez tranquille, mes petites chattes,
ne 'vous frappez pas!
Et sur ces fortes paroles, la séance fut
levée:
— Nous recommencerons demain, me
dit en. me reconduisant le régisseur. Pen-
sez donc. il me faut soixante femmes!.
Ça va être éDatant, cette revue. Ça dé-
gottera celle des Folies-Bout-de-Bois !. Ils
n'avaient que quarante marcheuses!.
.La concurrence a du bon — mais
ses conséquences ne sont pas toujours
très gaies !.
R n
FEUILLETON DE COMŒDIA
du 31 mars 1908
: (24)
Sous le Masque
(Une vie aù théâtre)
PAR
Pierre NAHOR
(Suite)
On éclate. Elle rit aussi et sa larme coule
sur sa joue mate.
Elle reprend son récit*:
— Alors, ze leur ai dit: Ze vous demande
pardon, Messieurs, c'est l'émotion! Et z'ai
voulu recommencer, mais M. Ambroize Thomas
a sonné sa sonnette et m'a dit: « Merci, mon
enfant, cela suffit ». Et voilà: c'est une fata-
lité !
On rit de plus belle. La bonne fille s'essuie
les yeux, prise aussi de gaieté, ce qui lui fait
une figure fort sympathique, navrée et riante à
la fois; attendrie et consolée d'avoir pu conter
sa mésaventure. Et maintenant qu'on la sait,
on l'abandonne. Celles qui ont passé l'examen,
délivrées et plus légères, répètent, espiègles,
en imitant son zézaiement :
— Rome! l'unique obzet de mon pressenti-
ment!
Enfin, à sept heures, en pleine nuit, la liste
est lue à haute voix, sous le porche, par quel-
qu'un qui tient une lanterne. Au milieu d'un si-
lence inquiet, subit, j'entends un nom, je n'en-
tends* que celui-là! Il me semble que j'ai aper-
çu « Choucoulou », le nez en l'air, sous la
lanterne, mais, je saute dehors, et je tombe
dans les bras de Montgeron:
— Oui ! oui! ça y est!
Le brave homme me soulève et m'embrasse,
puis, bras dessus, bras dessous, nous allons.
ÎIOL'S allons, fiévreux, bavards, joyeux. 11 fait
nuit dgire et il nous semble qu'il fait soleil !
Enfin, nous nous arrêtons, je ne sais où,
pour dîner. Montgeron est, je crois, plus heu-
reux que moi !
— Vous voyez. ffcfi dit-il, devant le homard
plantureux qu'on nous sert, la pendule de Mlle
Mars!! elle a sonné l'heure! la première heu-
re! vous lui devez bien, maintenant, de la re-
prendre chez vous?
- Je m'attendris à ce souvenir; et par un effet
de réaction nerveuse, je sanglote un bon mo-
ment; et voilà ce pauvre garçon stupéfait, n'ima-
ginant pas d'où me viennent ces larmes su-
bites.
— Ce n'est rien. Ce n'est rien, dis-Je, c'est
nerveux !
Et je mange d'un appétit robuste, d'un appé-
tit de russe, comme disait Mlle Laurijon, relé-
guant à cette heure tous les caprices de mon
estomac fermé depuis huit jours!
Et voilà encore une détente qui s'opère. Le
Sauterne me grise; je deviens gaie, bavar-
de. charmante! je constate cela dans les yeux
de Montgeron : de braves gros yeux tendres,
comme tout pleins de larmes.
Je m'anime, je dis des choses drôles. mon
compagnon en devient tout jeune et très en
train. Nous nous attardons, nous allons pren-
dre le café sur le Boulevard, et nous rentrons
en voiture, et fraternellement le bon diable, pas
psychologue pour un sou, décidément, me dé-
pose à mon portail, où il m'embrasse encore
une fois sur les deux joues.
Dans mon lit, je réfléchis à mon "état d'âme»,
et là, franchement, en face de moi-même, je
conclus que j'ai une âme de fille et j'analyse:
Comment? une joie survenue et un peu de
Sauterne, la gaieté d'un souper, la griserie des
paroles, des sensations momentanées et toute
physiques, peuvent vous rendre capable d'at-
céder à ce qui n'est pas même une tentation?
Et des gens s'étonnent de la « facilité »
de pauvres filles, pour un peu d'argent! pour
un peu de joie! Mais le voilà l'éternel
trébuchet ! La matérialité ! L'ambiance heu-
reuse! La minute propice à la détente nerveu-
se ! Une voix me parle et me dit : « Véra, ma
chère, ne sois pas si fière de toi ! tu aurais pu
déjà en deux circonstances te réveiller le len-
demain tout comme une autre, et sans amour
encore! Sans attirance! avec l'excuse seule
d'une heure molle d'oubli conscient!. » C'est
idiot ces possibilités-là !
Et je m'endors, tranquille de me connaître
si mal et sans le moindre dégoût de moi-même.
Le lendemain, je vais de bonne heure trou-
ver Montgeron. Il m'accueille ravi et je pose.
Une folie me passe par la tête.
Comme je vais l'étonner! pensai-je.
— Monsieur Montgeron, dis-je, sans préam-
bule, seriez-vous bien heureux si je devenais vo-
tre maîtresse?
Il sursauta, devint tout rouge, puis tout pâle.
— Pourquoi plaisantez-vous? dit-il.
— Je ne plaisante pas, je suis très sérieuse,
vous voyez bien.
— Alors pourquoi me dites-vous cela? Vous
ne m'aimez pas. Vous ne pouvez pas m'ai-
mer!. Vous avez pour moi une affection frater-
nelle, reconnaissante, peut-être, c'est possible,
parce que vous avez bon cœur, mais je suis trop
vieux., pas beau., vous ne pouvez pas m'ai-
mer.
— Comme vous m'aimez, vous? Non, sans
doute. Mais répondez simplement à ma ques-,
tion : Seriez-vous bien heureux si je devenais
votre maîtresse?
Un rictus fit trembler son menton. Il fit un
brusque mouvement vers moi, qu'il réprima, puis
il se détourna et après quelques pas, alla tomber
sur le divan. Un moment après, je l'entendis pleu-
rer. Je m'approchai et je pris sa main; j'essuyais
ses yeux, de pauvres gros yeux sanglants. Il ser-
ra ma main a la briser, puis la baisa furieuse-
ment. Enfin, il dit de sa voix altérée devenue
toute trouble :
— Vous comprenez bien. je ne veux pas
d'un sacrifice.. je ne puis l'accepter.
— C'est possible, dis-je, que ce soit en effet
cela. c'est d'ailleurs toujours un peu cela pour.
pour une femme. Mais j'ai réfléchi sur moi-
même. je suis singulièrement versatile, voyez-
vous. Je subis les circonstances, je me crois des-
tinée à des. comment dire?. à des chutes ra-
pides et à des repentirs subits. Je m'offre à vous,
sans, amour, c'est vrai, mais volontairement,
parce que Je suis sûre, que nul homme, mieux
que vous, ne peut être plus digne de ce que vous
appelez « ce sacrifice ». Et il me -laît d'agir froi-
dement, avec calcul et préméditation. d'entraver
mon destin, de pouvoir dire : C'est moi qui veux !
ce n'est "as CI toi, incident imprévu ! » Quelle que
soit l'aventure que tu m'apportes dans la suite
des jours, je t'aurai devancée ! et ce ne sera pas
un repentir 1 à-
— Vrai? s'écrie-t-il, subitement Joyeux, com-
me si je lui disais une parole tendre.
— Vrai !
La chose est faite.
Je me trouve absurde, stupide, abjecte, mais je
n'ai pas de repentir. Tout peut m'arriver main-
tenant! et je n'ai plus à craindre les erreurs
sentimentales.
L'étrange réveil! ou plutôt l'étrange aurore!
car je n'ai pas dormi. Du dégoût de moi, mais
pas de regrets, non. Une vague gloriole, au
contraire, d'un acte sans charme, et fort laid,
ma foi, accompli froidement. d'une dette
payée. d'un défi à l'avenir! Vouloir ce qu'on
peut empêcher, c'est une force ! Le suicide est
la plus grande des forces! Terminer, enrayer le
destin, c'est le plus bel effort de la Raison sur
la Vie! Contrarier l'ordre des choses, c'est
presque être Dieu !
Maintenant, si je ressens, par surprise, des
heures troubles, molles, comme l'autre soir,
ma volonté aura prévu, une fois du moins, cette
défaillance au profit d'un brave diable! ma
volonté aura donné une fois, d'elle-même, ce
qu'elle me, parait fort encline à négliger for-
tuitement.
Trois jours., après.
Allons bon! Je ne puis plus voir Montgeron!
Fini le raisonnement ! Maintenant, je subis ;
c'est un dégoût parfait. Mais aussi, c'est trop
bête, tout ça quand on n'a pas le « bandeau » !
Et c'est moi qui l'ai voulu! Quelle fille je suis!
Ah! brute! brute! Je ne regrette pas, cepen-
dant! C'est une très bonne action que j'ai fai-
te là. Il' était sihéureux, ce pauvre garçon, si
gauchement tendre, si brusquement idiot ! Quel
pauvre animal que l'homme! Et celui-ci, pour-
tant, n'est pas le premier venu! Ce qui est sur-
prenant, c'est cette acceptation, et ensuite cette
reconnaissance physique pour un consentement
sans amour ! Sentiment vraiment viril !
Et ce sommeil lourd, invincible, ronflant.
Cette figure rouge et bouffie sur le traversin,
ces paupières gonflées, tendues sur le globe
saillant des prunelles et comme blanchies dans
le visage, congestionné. Cette bouche béate-,
ment ouverte sous la moustache humide. et
moi, un coude sur l'oreiller, le corps dans la
ruelle, contemplant « ce phénomène » après
l'initiation « au mystère! » Contemplant ce spec-
tacle et m'en rassasiant la vue après cette
heure « exquise », cette heure « d'amour 1 »
Eteindre la lumière ? — Ah ! jamais ! Il faut voir
et figer cela dans ses yeux, pour la vie! — Je
songe : je songe que voilà le réveil de beaucoup
de prostituées ! de beaucoup de femmes aussi!.
de beaucoup de jeunes filles sans doute — car
enfin, l'amour, on ne me fera jamais croire que
c'est autre çho$e ! C'est ça, avec quelques va-
riations peut-êtise, mais c'est le même thème.
et-ça-aboutit il ça!. Eh bien, mais! ils ont
raison, les poètes, d'allonger depuis des siè-
cles des kilomètres de stances sur le motif! Et
allez donc les E.vQhées des Bacchanales! Et sa-
luez les Œgipans et tous les animaux de Vénus 1
C'est ça la vérité! C'est ça la volupté! c'est
ça la vie!.
Quelque chose m'étonnera toujours! Com-
ment un acte dit saint, sacré, naturel et obli-
gatoire dans l'état de mariage, devient-il souil-
lure, infamie, dernier outrage, hors de cet
état, par la langue des tribunaux, par la plu-
me des journalistes et des littérateurs, par la
voix des pères outragée demandant vengeance,
et de l'humanité révoltée? Et pourquoi un
geste si naturel, si sacro-saint, si honoré par des
cérémonies publiques et solennelles, est-il si soi-
gneusement dissimulé, caché, dénaturé par édu-
cation, aux jeunes filles? Si cet acte est si
naturel, si normal, si obligatoire, si louable,
si honorablesi saint et si sacré, pourquoi,
honnêtes initiés, le dissimuler comme une hon-
te? Et comme il est difficile de comprendre,
dès qu'on se prend un peu à réfléchir! Il y a
évidemment quelque chose de saugrenu dans
la facture du geste qui gêne nos idées généra-
les sur l'esthétique et la moralité, et qui empê-
che de s'entendre sur sa définition. Je ne puis
expliquer autrement la cause d'aussi bizarres
contradictions. Quoi qu'il en soit, je suis très
satisfaite d'avoir mesuré la différence qui existe
entre le thème exact et la version éducatoire.
Cette science de l'exactitude me disposera, je
pense,, à des bienveillances futures, à de l'in-
dulgtence nécessaire, ou me dispensera d'expé-
riences superflues, c'est à quoi mène en géné-
ral la fêlure des iIlusiou.
A midi, après ces « noces délicieuses », noUJo
avons déjeuné dans l'atelier.
Pourquoi donc avais-je cette envie de fJi"o
tout le temps de ce déjeuner?
Etait-ce envie de rire ou de pleurer?
Ce pauvre Montgeron m'appelle: « Ma che"'
rie » maintenant, et ça m'agace! Et eependa^
c'est bien là une des conséquences bébêt®*
mais inévitables de ma conduite envers lui.
— Ecoutez, dis-je brusquement, je désir*
qu'on ne sache pas, qu'on ne se doute pas de
ce qui a eu lieu.
Il balbutia, interdit:
— Mais oui, sans doute, comme vous VO"'
drez. Cependant, à Paris, c'est difficile d'âd'
mettre. même malgré la disproportion d'âge'
vous comprenez? Si l'on nous voit enserDDICI
au théâtre, au restaurant.
— Vous vous surveillerez, dis-je, et je dirsi
de mon côté, si c'est nécessaire, que vous êg'o
mon parent, mon cousin-germain. cela par'
tra très vraisemblable. et je le préfère.
n sourit, conciliant..
Je rentre rue Lhomondi Mme Harlay me w
çoit comme d'un voyage. m'interroge sv oc
bienveillance et cordialité. Eh bien, suis-je coli
tente? Ça s'est-il bien passé?
Je la regarde interloquée. d'
Ah oui! c'est vrai, j'oubliais le prétexte fi"
ma fugue! Une représentation d'élèves à F®
tainebleau, où je devais passer la nuit. Je A
vais pas pensé au retour. Je réponds avec vov*
bilité, j'improvise des incidents. je dis que
suis fatiguée et je monte.
Ouf! Imbécile! j
Je pense que c'est ma demi-origîne slave Clet
me rend aussi animalement .inconséquente-"
je pense aux épithètes de MITe Laurijon J,
cependant, si je m'avise de réfléchir, c'est log
que et c'est chrétien, ce que j'ai fait là !.
~Véra interompit sa lecture. Un bruit de Pf
dans ~l'er et un appel de M. Harley 1 Il ver,
tissaient il était huit heures et oue ses bâtes
l'attend n Elle jeta son cahier dans un fi
de com .x ii et descendit.
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