Titre : Ce soir : grand quotidien d'information indépendant / directeur Louis Aragon ; directeur Jean Richard Bloch
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1939-06-13
Contributeur : Aragon, Louis (1897-1982). Directeur de publication
Contributeur : Bloch, Jean-Richard (1884-1947). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32738400h
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 13 juin 1939 13 juin 1939
Description : 1939/06/13 (ED6,A3,N832). 1939/06/13 (ED6,A3,N832).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k76361301
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-109
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 05/01/2015
2.
Mardi 13 juin 7939
Francis
JOURDAIN:
IAURICEROLLINA T.
L'inauguration de je ne sais quel monu-
ment a fait réapparaître dans les journaux
le nom du sympathique poète dont le sata-
nisme paraît aujourd'hui singulièrement
proche du ridicule. Rollinat. Sous la jolie
sonorité de ces syllabes, je retrouve sans
effort la trace de la terrible frousse qu'elles
m'inspiraient jadis. Certes, tous les amis
de mon père m'intimidaient, mais celui-ci
m'épouvantait; moins en raison du carac-
tère impressionnant de son beau visage
inquiet, genre poète-maudit, qu'à cause
xle la légende créée autour de ce possédé-
du-diable. Pour l'enfant que j'étais, Rol-
linat était avant tout l'homme de la peur,
celui qui fait peur et qui a peur, une
e sorte de spécialiste .ou, mieux, de profes-
sionnel de la Peur. Il contait, décrivait,
analysait ses peurs avec une éloquence
— gestes et regards — qui me faisait fris-
sonner. Après le dîner (ah ! le craque-
ment, /BOUS ses dents de loup, des os du
poulet!), il acceptait volontiers de dire
des vers ou de se mettre au piano : alors
mes soeurs et moi, nous fichions le camp,
terrifiés, laissant .Rollinat faire trembler
ses amis, les bobèches et la flamme des
bougies en déclamant, chantant et arra-
chant au paisible «- A. Bord » que nous
avions, le matin même, paresseusement
caressé de nos gammes, des accents de
détresse et de sinistres borborygmes. Les
poètes disaient : « Ce bougre-là a le génie
de la musique. » Les musiciens voyaient
dans ledit bougre un grand poète. Les
uns et les autres vantaient son talent
d'interprète, mais comédiens et chan-
teurs étaient d'accord pour déplorer qu'un
tel créateur ne leur laissât pas le soin
de mettre en valeur des œuvres que, faute
de connaître les rudiments de leur métier.
Rollinat massacrait. La vérité est qu'il
était seul à 1 endre supportables la pau-
vre petite musiquette et les poèmes mé-
diocres qui déchaînaient l' enthousiasme.
Lui disparu, qui pouvait prendre au tra-
gique ou au sérieux la Dame en cire,
1 idiot vagabond qui charme les vipères,
le Mort qui s'en va dans le brouillard
ou les squelettes dont celui qui
Avait le cauchemar de la Perversité,
faisait-, ses compagnons habituels. Crai-
gnant que la Danse macabre dans laquelle
il était entraîné par les camarades sque-
lettes ne se terminât au cabanon, Rollinat
décida d'aller soigner ses névroses dans
- ses - brandes natales. Quelques années
plus tard, je voyais entrer chez mon père
un Rollinat apaisé, à l' allure paysanne et
qui, purgé de ses démons, devenu poète
bucolique, venait, en passant à Paris,
* apporter à son ami des vers anodins.
Intitulé La Nature, ce recueil de paysages
dépeuplés de fantômes et peints avec des
couleurs-sans-danger valait à Rollinat
l'ire et le papier bleu d'un concurrent,
un type dans le genre de Dieu-le-Père en
plus procédurier, un propriétaire de la
Nature qui n'autorisait personne à chasser
sur ses terres. (Ne touchez pas à la Na-
ture, elle appartient à Jean Rameau, écri-
vit alors Raoul Ponchon.)
Ayant glissé entre les doigts de la folie,
Rollinat s'était-il, sous les arbres, débar-
rassé de ses terreurs ? Non ; il donna à
mon père un exemple des supplices que,
sans doute restée « perverse », lui infli-
geait la compagne de - sa vie. Un soir,
celle-ci s'aperçut qu' elle avait oublié sa
natte postiche près de la rivière au bord
de laquelle elle et son poète avaient rêvé
et pêché jusqu'au crépuscule. Elle exigea
du malheureux qu'il partît à la recherche
de ce serpent capillaire. De la maison à
la rivière, ça n'alla pas trop mal, Rollinat
sentant derrière lui la vie du village. Mais
le retour !. N'avoir plus dans le dos que
la nuit et son silence, son mystère, son
secret !. « Je n'osais pas me retourner.
Suant d' angoisse, je crispais mes doigts
sur le maudit chignon. J'ai cru que j'al-
lais crever de peur ! »
La Peur. Elle aura mis dans l' artis-
terie désuète de Rollinat un peu d'huma-
nité et de vérité.
NOS ECHOS
Monsieur et MadaRM vent déjeuntr
r!i« des amis. Arm" d'une grosse
Moupoe. Madame se coudre abondam-
ment M visage. Sop 4peux s'en étonne.
— A quoi bon tout swa T Nos &IIIiÍ
écrit des gens trfcs simples et tu aurais
pu te dispenser.
— C'est par modestie, mon" oher.
— Tu te poudres par modestie t..
- Oui, Je ne veux pas briller en ou,
blie.
ANATOMIE
Le jeune Raymnnd';' six Âns -
ci réussi à attraper sur un rayon
£':! la bibliothèque un gros volume
cli médecine et le voilà en contem-
plation devant la planche anato-
mique qui représente le squelette.
Après un iou lequel son enfantine intelligente, a'
travaillé, il appelle aq mère.
—. Maman, regarde: un monsieur
dont la peau est partie.
CHANCE •
A Calais, dans tin. restaurant, Un
Anglais vient de faire un bon dé-
jeuner. Au moment de régler l'ad-
aition, il déclare au garçon:
-- Je suis désolé, je n'ai pas
d'argent français.
- - Cela .n'a pas d'importance, ré-
pond le garçon, habitué; nous ac-
ceptons aussi-Vorgejxt étranger.
— C'est ète, dit l'Anglais impas-
sible, je n ai pas non plus n'ar-
dent étranger. •
CHAMFORT
- Chamfort n'avait que vingt etuiî
ans lorsqu'il fit représenter sa
pièce : La jeune Indienne, qui il lob,
tint du reste aucun succès, car 'on
dut baisser le rideau avant la fin
de la représentation.
Quel u'un remarqua alors
—: £(i ! l'Indienne, a fait bais-
ser la toile.-..
Le plat du jour
Galette lorraine
250 gommes de beurre, urne
livre de farine, 8 grammes de
set. deux œufs : pétrissez le
tout ensemble. Etalez la pâte
Sllr une épaisseur d'un demi-
cintimètre..
Beurrez une tourtière. Garnis-
sez dp' la pâte en faisant tout
autour un bourrelet roulé. Pi-
quez le fond avec la pointe d'un
coûterai Serriez de petits mor-
ceaux de beurre Cuisez un
quart d'heure au four.
Retirez et garnissez avec la
préparation suivante: deux
erufx battus, titi quart de crème
épaisse, une pincée de sel. Re-
mettez quelques noisettes de
beurre et faites dorer au four
un quart d'heure. Servez tout
de suite. -
DAME TARTINE.
UNE IMPERATRICE MAUDITE
9
La vie errante
D'ELISABETH D:d UTRICHi
PAR Suzanne NORMAND
Illustration de LALANDE
5 RESUME
Avril 1854. — Vienne ac-
cueilli triomphalement une
enfant iSelle et rêveuse, Elisa-
beth de Wittelsbach, fille du
duc de Bavière, qui va devenir
ta femme du jeune empereur,
François-Joseph.
Retour morose
(Suite)
Tôt engraissée, le cheveu sans
apprêt, la couperose au teint,
l'archiduchesse, pour qui le pot-
à-eau de .Marie-Thérèse reprér
sentait le summum de l'hygiène,
considérait, horrifiée, le culte
« païen » voué par Elisabeth à
son corps.
Celle-là était de son sang,
pourtant ? Impossible de la re-
connaître.
Cette chevelure à laquelle
des soins presque maniaque
gardaient un lustre, une sou-
plesse incomparables, ces lon-
gues jambes de chasseresse
dont Elisabeth surveillait
anxieusement la ligne.
Quand elle était arrivée à la
Cour; Sisi ne se préoccupait ni
de son visage, ni de son corps,
ni de ses toilettes, pourtant ?
L'archiduchesse enregistrait
ces.défauts supplémentaires, ou-
bliant qu'elle-même avait rejeté
Elisabeth #â la frivolité.
— Quelle inconvenance !.
murmurart-elle.
Elle sous-entendait que de
telles préoccupations étaient
malsaines, semonçait vertement
son fils pour une indulgence qui
passait toutes les limites.
A Ischl, venait-il pas de per-
mettre l'installation en plein air
de barres et de trapèze, où Eli-
sabeth tournait sur elle-même,
en maillot ? ,.
4
Heur ei malheur
en Hongrie
Bach, ministre die l'Intérieur
et grand ordonnateur des* voya-
ges de propagande, insistait
maintenant pour que François-
Joseph décidât de.se rendre en
Hongrie.
* Aux flancs de l'Empire d'Au-
triche, la Hongrie est un second
chancre.
Depuis 49, on l'a réduite
au silence, on ne l'a ni vaincue,
ni assimilée. Les traités anté-
rieurs à François-Joseph lui re-
connaissaient l'indépendance
politique.. Elle désire farouche-
ment, qu'on la lui accorde de
nouveau, qu'on lui rende sa
Constitution.
Déjà, devant tant d'exigences,
l'archiduchesse Sophie s'insur-
geait. Son vieil absolutisme' de
souveraine autocrate lui remon-
tait au cœur.
A entendre seulement sa belle.
mère partes des Hongrois, Eli-
sabeth, sans les connaitre, se
prenait à les aimer.
— Quoi ? c'étnrt là le peuplé
que l'habileté et la générosité de
Marie-Thérèse avaient conquis ?
Et pour lui, à présent, Vienne
était synonyme de tyrannie.
Cela pouvait-il durer ?
Mai fleurissait tous les jar-
dins, tous les vergers de l'Autri-
che. Bach fixa au 3 le départ
des souverains.
Elisabeth décida qu'elle emmè-
nerait les petites.
L'archiduchesse serra les lè-
vres :
— Les enfants ne sont pas
faits pour voyager, objecta-
l-elle une fois encore.
Mais on passerait outre à ses
conseils. Lé .voyage .d'Italie
avait-il fait du mal à la petite
Sophie ?
Au-dessus des eaux rapides
du Danube, la vieille ville de
Buda étagea bientôt ses maisons
blanches, les flèches et les cour
poles de ses églises, son château
théâtral.
Souvenir de la domination
turque, l'Orient était partout
présent, avec son faste et son
secret, ses ors éteints, ses jar-
dins dérobés.
Dans ce décor à la fois exces-
sif et familier, Elisabeth, éblouie,
regardait évoluer un.peuple in-
connu, des magnats splendide-
ment vêtfts, montés sur des bè-
tes incomparables, des femmes
dont les diamants étaient 1es
plus beaux du monde.
Au long des rues, les hommes
se pressèrent pour voir de plus
près cette impératrice de vingt
uns. Ils lui montraient un visage
pétri de fierté. Sur celui des
femmes, la curiosité tourna, sans
plus attendre, à la sympathie.
Personne ici n'ignorait que
l'archiduchesse Sophie, dont ils
haïssaient l'action et le nom, ue
cessait guère de tourmenter sa
belle-fille. Ils trouvaient cette
jeune femme ravissante. Et ils
la devinaient amicale, frater-
nelle, ce qui était beaucoup plus
précieux.
Impossible de la rendre res-
ponsable des fautes passées, ni
même des restrictions présentes.
Impossible aussi, évidemment.
de l'acclamer. Mais djeite à'eux
se nouait une singulière cnmpIi.
cité.
L'Italie était loin avec le silen-
ce glacial de ses accueils, son
ingéniosité djtns l'offeirsé, sou
nmmosité têtue.
Certes, la Hongrie souffrait,
ne marquait pas d'enthousias-
me, ne flattait pas les souve-
rains. Elisabeth, pourtant, re-
connut, conquise, une noblesse
native, une fierté courtoise où
elle retrouvait ses propres résis-
tances, ses refus humiliés.
Ces gens étaient de sa race.
Elle ne l'oublierait jamais.
A Vienne, l'archiduchesse So-
phie, de la nursery désertée à
son bureau morose, suivait sans
bienveillance toutes les phases
du voyage.
Depuis dix jours que ses en-
fants résidaient à Budam*st. de
commençait à trouver le temps
long.
Le moment ne venait-i] pas
pour eux de -poursuivre leur
tournée vers l'intérieur du pays
hongrois ? Quand cette comédie
finirait-elle ?
Elle s'aperçut que la comédie
tournait au drame, lorsqu'elle
.reçut de François-Joseph la
nouvelle que l'ainée des fillettes,
Sophie, venait de tomber ma-
laae.
« La petite ne cesse de pleu-
rer à fendre l'âme », écrivait
l'empereur.
Suivaient les détails : il s'agis-
sait d'une mauvaise fièvre intes-
tinale, longue, pénible à guérir.
Le départ se trouva remis. Eli-
sabeth ne quittait pas son enfant.
Plus d'une semaine passa avant
qu'elle se résignât à la laisser,
faible encore, et à poursuivre,
vers l'intérieur, son voyage.
Pour lui faire fête, la Hongre
s'était parée.
Dans l'immense plaine, les
bœufs blancs aux cornes re-
courbées ressuscitèrent les temps
bibliques.
Au long des routes, s'ali-
gnaient des hommes en culottes
collantes, en vestes brodées.
nobles, les plus rapides qu'elle
eût jamais vus.
Mais, à Budapest, une petite
fiUe se mourait, et il fallut bien-
tôt refaire en sens inverse la
même route.
Un télégramme apprit la nou-
velle à l'archiduchesse Sophie.
« Notre petite est un ange au
ciel », disait l'empereur.
Il ajoutait qut Sisi s'inclinait
devant la volonté du Tout-Puis-
sant.
Quarante-huit heures plus tard,
le voyage interrompu, Elisabeth,
hagarde de douleur, rentrait à
Luxenbourg, accompagnant le
petit cercueil de son enfant.
Elle ne s'inclinait pas du tout
devant la singulière volonté du
ciel. Elle refusait de compren-
dre.
Elle refusa aussi de s'arrêter
à Vienne, elle pensait avec hor-
reur à l'archiduchesse, à ses
conseils non suivis, à son maca-
bre triomphe.
Seul, François-Joseph affronta
sa mère.
Pu doigt, sans parler, Sophie
désigna le ciel, grand dispensa-
teur de châtiments..
— Elle souffre, balbutia l'em-
pereur.
Il ne s'attarda pas, décida de
repartir seul pour la Hongrie.
Il venait de mettre au point
sa première mesure de clémen-
ce: le retour de ceux qui avaient
pris part à l'insurrection de 48.
A Laxenbourg, sa mère et trots
de ses sœurs accoururent au-
près d'Elisabeth.
Rendue tout à fait inso-
ciable par la douleur. Sisi,
la plus belle, la plus espiègk,
n'était plus, sous les arbres du
parc, qu'une forme amaigrie,
une ombre légère, qui porte au
cœur son premier deuil.
L'héritier de la
Maison d'Autriche
Un matin d'août, pur et QrÙ,
lant.. les Viennois tendirent
l'oreille. Un tonnerre ébranlait
le ciel d'été. Il y eut un coup,
deux, et cela continua. On comp-
ta jusqu'à cent un.
La ville sut, alors, qu'un fils
venait de naître à l'empereur.
C'était la première joie au-
thentique que l'impératrice don-
nait à l'Autriche.
Guère d'illusions à se faire :
les deux filles comptaient pour
peu. L'archiduchesse, pourtant,
ne les avait pas abandonnées à
leur mère.
Depuis que la petite Sophie
était morte, elle reportait sur
Gisèle une double vigilance :
lorsqu'on accordait à l'impéra-
trice Je droit de voir sa fille, elle
trouvait une enfant compassé?,
dont l'obéissance respectueuse
lui serrait le cœur.
— Est-ce encore une fille. ?
interrogea Elisabeth.
Elle se sentait prête à renon-
cer à tout, à mourir sur l'heure,
plutôt que d'affronter la répro-
ation de sa belle-mère.
Mais sa belle-mère approchait
Elle demeurait terriblement fi-
dèle à soi-même, ne vieillissant,
ne faiblissant pas. S'humanisait-
elle ?
Elle venait d'entendre le mé-
decin proclamer la naissance
d'un fils.
Elle répéta :
— C'est un fils !
.Comme si la victoire lui
appartenait.
-ip Elisabeth ferma les yeux. Voi-
là, la couronne était assurée.
Cela lui vaudrait peut-être une
trêve ?
Le poupon criait. Elle rouvrit
les paupières, vit que sa belle-
mère. au rapt habituel, ajoutait
cependant un sourire. Le souri-
re réservé dans les familles
royales aux seuls garçons.
- C'est un fils, Sisi !
François-Joseph pleurait de
joie. Un fils valait bien quelques
larmes de bonheur !
, Avec ses grandes mains pré-
cautionneuses, il passa au cou
fripé du bébé le grand cordon
de la Toison d'Or.
Epuisée, Elisabeth interrogea
encore :
— Comment l'appellerons-
nous ?
L'empereur se redressa, toute
la lignée des Habsbourg sur tes
épaules :
- Rodolphe ! comme le fon-
dateur de notre dynastie.
(A suivre.)
Copyright bu Suzanne Normand
and Ce soi r, 1939.
LE
canard
Donald
1
par lOall
Disney
IRONIE
DU DESTIN
La parole est
M. PIETRO NENNI
, - .:
1 0 1 0
, ; :'
Ilitaiïens, formes enFranee
une Cinquième Colonne"
o
ONe; le sieur Fari-
nacci, collaborateur
de Mussolini, direc-
teur du Regime Fas-
cista, s'adresse aux
Italiens résidant en
France pour leur demander d'orga-
niser une « cinquième colonne ».
La presse a fait à ses propos
une certaine publicité. Ce qui n'est
pas mal, car il y a des provoca-
tions qu'on évente avec la publi-
cité, comme il y en a qu'on dé-
piste avec la discrétion.
La provocation du 'sieur. Fari-
nacci appartient à la première ca-
tégorie.
Que dit Farinacci ?
Il conseille -aux Italiens rési-
dant en France de « feindre d'adhé-
rer » à la cause de la défense de
la démocratie française et « au
moment opportun de pro.voquer le
désordre chez l'ennemie.
Il ajoute : « Des centaines
d'hommes qui tirent dans le dos
des combattants obtiennent de
meilleurs résultats que des milliers
de soldats en ligne. »
Pour donner plus de force à ces
propos criminels, il évoque l'exem-
ple de la « cinquième colonne.
franquiste en Espagne.
Et maintenant, qui est Fari-
nacci ?
Il est un personnage consulaire
de la dictature fasciste en Italie.
Il a été le secrétaire général du
parti fasciste il y a quinze ans,
pendant l'affaire Matteotti. En-
suite Mussolini l'avait confiné dans
un rôle secondaire. Il est resté le
plus typique représentant de la
mentalité « squadriste » (de la
mentalité des premières forma-
tions fascistes pendant la période
de la guerre civile).
Depuis quelques années il ex-
celle dans le rôle d'agent provoca-
teur. C'est lui qui a ouvert la
« chasse au juif » en Italie ; c'est
lui qu'on a chargé d'attaquer le
pape Pie XI ; c'est lui qui, dans
la polémique antifrançaise, s'est
fait le porte-parole des attaques
les plus ordurières. Complétons sa
biographie en disant qu'il est un
des chefs du clan hitlérien, un es-
pèce de « gauleiter » de Hitler en
Italie.
s
'IL a parlé de « cin-
quième colotine », ce
n'est pas pour faire de
la littérature. Les fas-
cistes sont .passés maî-
tres dans Fart de la
provocation, et la « cinquième
colonne », c'est-à-dire l'équipe des
alliés du fascisme attaquant de
l'intérieur le régime d'une nation
qu'on veut abattre, occupe une
bonne place dans leur arsenal de
guerre. On l'a vu en Espagne et
puis en Tchécoslovaquie.
J'étais à Madrid lorsque, pour la
première fois, le général Mola
employa ce terme de « cinquième
colçime ■», en faisant allusion aux
partions de Franco dans Madrid.
Ce mot fil surgir comme un spec-
tre, le spectre de la suspicion, sur
Révolution, nous avait déjà mon-
tré ce qu'entraîne le règne de la
défiance exaspérée entre citoyens.
En Espagne, les pouvoirs pu-
blics furent parfois faibles devant
la conspiration fasciste à l'inté-
rieur. Je souhaite qu'il n'en soit
pas ainsi ailleurs, Mais il m'est avis
que, pour le moment, l'O.V.R.A.
sont pas fameuses. Dans leur
énorme majorité, les Italiens rési-
dant en France se dérobent aux
appels du fascisme. L'émigration,
qui fut dictée par des considéra-
tions d'intérêt matériel : com-
merce. possibilités d'emploi en
France, etc., s'assimile de plus en
plus au sol français, selon la loi
suite renforcer le courant d'oppo-
sition contre l'Axe. Des Italiens de
toute tendance politique ou d'au-
cune tendance politique se sont
groupés par dizaines de milliers
dans l'Union Populaire Italienne,
et, par un mouvement irrésistible
de solidarité avec le peuple fran-
çais dans la commune défense de
la paix, ils ont brisé net toute en-
treprise de division et de provoca-
tion fascistes.
Alors est intervenu le sieur Fa-
rinacci, avec son appel à.la forma-
tion d'une « cinquième colonne »
italienne en France.
Ce qu'il veut, c'est jeter la sus-
picion sur l'ensemble de l'émigra-
tion italienne en France ; insi-
nuer, dans la population, le soup-
çon que même les Italiens pour
qui la France a été une seconde
patrie pourraient être des ennemis;
dresser les travailleurs français
contre les travailleurs italiens,
comme aux temps lointains des in-
cidents d'Aiguës-Mortes, lorsque
Crispi soufflait sur le feu du dé-
saccord franco-italien et que les
malheureux immigrés faisaient les
frais de ses rodomontades et de
ses visions.
Eh bien ! il me semble qu'il
aura suffi de dire ces choses pour
qu'elles ne se produisent pas. Les
organisations antifascistes feront
leur police elles-mêmes et leur tâ-
che se trouvera grandement faci-
litée si les faveurs de l'administra-
tion cessent de se porter sur les
agents de l'O.V.R.A. et se tournent
du côté des travailleurs italiens
honnêtes.
Déjà elles se sont mises en tra-
vers de la tentative criminelle faite
pour dresser l'un contre l'autre les
deux peuples.— le français et l'ita-
lien — que leurs intérêts et leur
culture ppupsent à l'union la plus
étroite.
Elles continueront.
Non, les Italiens en France ne
formeront pas de « cinquième co-
lonne ». Mais ils seront, au con-
traire, les artisans de l'amitié
franco-italienne.
Mais la suspicion que le chef fasciste vent
ainsi jeter sur ses compatriotes s'évanouira
levant leur loyalisme à l'égard de notre pays
la capitale d'Espagne. Je me rap-
pelle un propos de Miaja :
« Dans le pays de don Qui-
chotte, il n'en faut pas plus pour
dresser les frères les uns contre les
autres. »
Point d'ailleurs n'était néces-
saire d'être du pays du chevalier
de la Manche pour comprendre
tout l'avantage que le fascisme
pouvait tirer, et de Ja « cinquième
colonne », et du spectre de la
« cinquième colonne ».
La Terreur, pendant la Grandt.
italienne vise,-par son impudente
provocation, à un résultat plus
concret et moins lointain.
Voici lequel :
Le gouvernement de Rome a ins-
titué une Commission pour le ra-
patriement des Italiens à l'étran-
ger et tout particulièrement des
italiens de France. Cette organisa-
tion a pris la dénomination de
« Commission Ciano », du nom de
t'homme qui est, comme on sait,
ministre par droit nuptial. Or. les
affaires de cette commission ne
normale de toutes les émigrations.
L'émigration politique. elle, a
plus d'une raison de se dérober aux
appels des sirènes noires.
E
N septembre 1938 et en
mars dernier, il y a
eu parmi les Italiens
en France un mouve-
ment impressionnant
cl spontané de révol-
te contre la politique de Home et
les provocations de l'axe. La nazi-
fication de l'Italie est venue en-
NOS MOTS
CROISES
,
par Pierre DUTRAY
HORIZONTALEMENT : 1. Nourri-
ture des son#e-creux et abstracteurs
de quintessence — 2. Ses coups de
tète font tourner plus d'une tête.
— 3. Charrues sans avant-train.
Devient pénible quand on doit le
garder. — 4. Bébé l'enfourche vo-
lontiers lorsqu'il est redoublé. Inu-
tile d'insister après un tel refus;
Emblème de l'espérance. — 5. Elle
étend ses branches par toute la
terre. Vache gardée par un surveil-
lant trop clairvoyant. — 6. Ce vin
n'a pas encore fermenté. Souvent
suivi d'autres. Début de nombreux
rêves. — 7. Fils d'Enée. Elle don-
ne du fil à retordre. — 8. Parfois
épilé pour ressembler à Greta Gar-
bo. Soigneusement gardé par ceux
qui sont à cheval sur l'étiquette. —
9. Dauphin qui ne fréquente pas
les fleuves de France. Moutarde
noire. — 10. Double voyelle. Ainsi
débutent de nombreux contes de
fées. Varient de pays à pays. Pré-
position. — 11. Courtier de chair
humaine. Adjectif démonstratif.
VERTICALEMENT : 1. Il fait
partie du commun des immortels.
— 2. Parlée de manière qu'il faut
un œdipe pour y comprendre quel-
que chose. — 3. Ville de Belgique.
Collaborateur fidèle de Quinault.
— 4. Ne vit pas le retour d'un fa-
meux général anglais. Son contact
est redouté des aérophobes. — 5.
Suites du chatouillement. Souvent
dans la bouche des arpenteurs chi-
nois. — 6. Qui ont le goût du vi-
naigre (féminn pluriel). — 7. En
dect.H lui arrive souvent de faire
de la nuit le jour et inversement.
— 8. S'entend à Marseille. Contri-
buèrent à la gloire de Sainte Thé-
rèse d'Avila. — 9. La pourriture
est son régal. Epoque. — 10. Proté-
gea les Ptolémée après leur mort.
Couche pigmentaire de l'iris. — 11.
Ce qu'une ménagère fait habituelle-
ment le samedi après-midi.
Mardi 13 juin 7939
Francis
JOURDAIN:
IAURICEROLLINA T.
L'inauguration de je ne sais quel monu-
ment a fait réapparaître dans les journaux
le nom du sympathique poète dont le sata-
nisme paraît aujourd'hui singulièrement
proche du ridicule. Rollinat. Sous la jolie
sonorité de ces syllabes, je retrouve sans
effort la trace de la terrible frousse qu'elles
m'inspiraient jadis. Certes, tous les amis
de mon père m'intimidaient, mais celui-ci
m'épouvantait; moins en raison du carac-
tère impressionnant de son beau visage
inquiet, genre poète-maudit, qu'à cause
xle la légende créée autour de ce possédé-
du-diable. Pour l'enfant que j'étais, Rol-
linat était avant tout l'homme de la peur,
celui qui fait peur et qui a peur, une
e sorte de spécialiste .ou, mieux, de profes-
sionnel de la Peur. Il contait, décrivait,
analysait ses peurs avec une éloquence
— gestes et regards — qui me faisait fris-
sonner. Après le dîner (ah ! le craque-
ment, /BOUS ses dents de loup, des os du
poulet!), il acceptait volontiers de dire
des vers ou de se mettre au piano : alors
mes soeurs et moi, nous fichions le camp,
terrifiés, laissant .Rollinat faire trembler
ses amis, les bobèches et la flamme des
bougies en déclamant, chantant et arra-
chant au paisible «- A. Bord » que nous
avions, le matin même, paresseusement
caressé de nos gammes, des accents de
détresse et de sinistres borborygmes. Les
poètes disaient : « Ce bougre-là a le génie
de la musique. » Les musiciens voyaient
dans ledit bougre un grand poète. Les
uns et les autres vantaient son talent
d'interprète, mais comédiens et chan-
teurs étaient d'accord pour déplorer qu'un
tel créateur ne leur laissât pas le soin
de mettre en valeur des œuvres que, faute
de connaître les rudiments de leur métier.
Rollinat massacrait. La vérité est qu'il
était seul à 1 endre supportables la pau-
vre petite musiquette et les poèmes mé-
diocres qui déchaînaient l' enthousiasme.
Lui disparu, qui pouvait prendre au tra-
gique ou au sérieux la Dame en cire,
1 idiot vagabond qui charme les vipères,
le Mort qui s'en va dans le brouillard
ou les squelettes dont celui qui
Avait le cauchemar de la Perversité,
faisait-, ses compagnons habituels. Crai-
gnant que la Danse macabre dans laquelle
il était entraîné par les camarades sque-
lettes ne se terminât au cabanon, Rollinat
décida d'aller soigner ses névroses dans
- ses - brandes natales. Quelques années
plus tard, je voyais entrer chez mon père
un Rollinat apaisé, à l' allure paysanne et
qui, purgé de ses démons, devenu poète
bucolique, venait, en passant à Paris,
* apporter à son ami des vers anodins.
Intitulé La Nature, ce recueil de paysages
dépeuplés de fantômes et peints avec des
couleurs-sans-danger valait à Rollinat
l'ire et le papier bleu d'un concurrent,
un type dans le genre de Dieu-le-Père en
plus procédurier, un propriétaire de la
Nature qui n'autorisait personne à chasser
sur ses terres. (Ne touchez pas à la Na-
ture, elle appartient à Jean Rameau, écri-
vit alors Raoul Ponchon.)
Ayant glissé entre les doigts de la folie,
Rollinat s'était-il, sous les arbres, débar-
rassé de ses terreurs ? Non ; il donna à
mon père un exemple des supplices que,
sans doute restée « perverse », lui infli-
geait la compagne de - sa vie. Un soir,
celle-ci s'aperçut qu' elle avait oublié sa
natte postiche près de la rivière au bord
de laquelle elle et son poète avaient rêvé
et pêché jusqu'au crépuscule. Elle exigea
du malheureux qu'il partît à la recherche
de ce serpent capillaire. De la maison à
la rivière, ça n'alla pas trop mal, Rollinat
sentant derrière lui la vie du village. Mais
le retour !. N'avoir plus dans le dos que
la nuit et son silence, son mystère, son
secret !. « Je n'osais pas me retourner.
Suant d' angoisse, je crispais mes doigts
sur le maudit chignon. J'ai cru que j'al-
lais crever de peur ! »
La Peur. Elle aura mis dans l' artis-
terie désuète de Rollinat un peu d'huma-
nité et de vérité.
NOS ECHOS
Monsieur et MadaRM vent déjeuntr
r!i« des amis. Arm" d'une grosse
Moupoe. Madame se coudre abondam-
ment M visage. Sop 4peux s'en étonne.
— A quoi bon tout swa T Nos &IIIiÍ
écrit des gens trfcs simples et tu aurais
pu te dispenser.
— C'est par modestie, mon" oher.
— Tu te poudres par modestie t..
- Oui, Je ne veux pas briller en ou,
blie.
ANATOMIE
Le jeune Raymnnd';' six Âns -
ci réussi à attraper sur un rayon
£':! la bibliothèque un gros volume
cli médecine et le voilà en contem-
plation devant la planche anato-
mique qui représente le squelette.
Après un iou
travaillé, il appelle aq mère.
—. Maman, regarde: un monsieur
dont la peau est partie.
CHANCE •
A Calais, dans tin. restaurant, Un
Anglais vient de faire un bon dé-
jeuner. Au moment de régler l'ad-
aition, il déclare au garçon:
-- Je suis désolé, je n'ai pas
d'argent français.
- - Cela .n'a pas d'importance, ré-
pond le garçon, habitué; nous ac-
ceptons aussi-Vorgejxt étranger.
— C'est ète, dit l'Anglais impas-
sible, je n ai pas non plus n'ar-
dent étranger. •
CHAMFORT
- Chamfort n'avait que vingt etuiî
ans lorsqu'il fit représenter sa
pièce : La jeune Indienne, qui il lob,
tint du reste aucun succès, car 'on
dut baisser le rideau avant la fin
de la représentation.
Quel u'un remarqua alors
—: £(i ! l'Indienne, a fait bais-
ser la toile.-..
Le plat du jour
Galette lorraine
250 gommes de beurre, urne
livre de farine, 8 grammes de
set. deux œufs : pétrissez le
tout ensemble. Etalez la pâte
Sllr une épaisseur d'un demi-
cintimètre..
Beurrez une tourtière. Garnis-
sez dp' la pâte en faisant tout
autour un bourrelet roulé. Pi-
quez le fond avec la pointe d'un
coûterai Serriez de petits mor-
ceaux de beurre Cuisez un
quart d'heure au four.
Retirez et garnissez avec la
préparation suivante: deux
erufx battus, titi quart de crème
épaisse, une pincée de sel. Re-
mettez quelques noisettes de
beurre et faites dorer au four
un quart d'heure. Servez tout
de suite. -
DAME TARTINE.
UNE IMPERATRICE MAUDITE
9
La vie errante
D'ELISABETH D:d UTRICHi
PAR Suzanne NORMAND
Illustration de LALANDE
5 RESUME
Avril 1854. — Vienne ac-
cueilli triomphalement une
enfant iSelle et rêveuse, Elisa-
beth de Wittelsbach, fille du
duc de Bavière, qui va devenir
ta femme du jeune empereur,
François-Joseph.
Retour morose
(Suite)
Tôt engraissée, le cheveu sans
apprêt, la couperose au teint,
l'archiduchesse, pour qui le pot-
à-eau de .Marie-Thérèse reprér
sentait le summum de l'hygiène,
considérait, horrifiée, le culte
« païen » voué par Elisabeth à
son corps.
Celle-là était de son sang,
pourtant ? Impossible de la re-
connaître.
Cette chevelure à laquelle
des soins presque maniaque
gardaient un lustre, une sou-
plesse incomparables, ces lon-
gues jambes de chasseresse
dont Elisabeth surveillait
anxieusement la ligne.
Quand elle était arrivée à la
Cour; Sisi ne se préoccupait ni
de son visage, ni de son corps,
ni de ses toilettes, pourtant ?
L'archiduchesse enregistrait
ces.défauts supplémentaires, ou-
bliant qu'elle-même avait rejeté
Elisabeth #â la frivolité.
— Quelle inconvenance !.
murmurart-elle.
Elle sous-entendait que de
telles préoccupations étaient
malsaines, semonçait vertement
son fils pour une indulgence qui
passait toutes les limites.
A Ischl, venait-il pas de per-
mettre l'installation en plein air
de barres et de trapèze, où Eli-
sabeth tournait sur elle-même,
en maillot ? ,.
4
Heur ei malheur
en Hongrie
Bach, ministre die l'Intérieur
et grand ordonnateur des* voya-
ges de propagande, insistait
maintenant pour que François-
Joseph décidât de.se rendre en
Hongrie.
* Aux flancs de l'Empire d'Au-
triche, la Hongrie est un second
chancre.
Depuis 49, on l'a réduite
au silence, on ne l'a ni vaincue,
ni assimilée. Les traités anté-
rieurs à François-Joseph lui re-
connaissaient l'indépendance
politique.. Elle désire farouche-
ment, qu'on la lui accorde de
nouveau, qu'on lui rende sa
Constitution.
Déjà, devant tant d'exigences,
l'archiduchesse Sophie s'insur-
geait. Son vieil absolutisme' de
souveraine autocrate lui remon-
tait au cœur.
A entendre seulement sa belle.
mère partes des Hongrois, Eli-
sabeth, sans les connaitre, se
prenait à les aimer.
— Quoi ? c'étnrt là le peuplé
que l'habileté et la générosité de
Marie-Thérèse avaient conquis ?
Et pour lui, à présent, Vienne
était synonyme de tyrannie.
Cela pouvait-il durer ?
Mai fleurissait tous les jar-
dins, tous les vergers de l'Autri-
che. Bach fixa au 3 le départ
des souverains.
Elisabeth décida qu'elle emmè-
nerait les petites.
L'archiduchesse serra les lè-
vres :
— Les enfants ne sont pas
faits pour voyager, objecta-
l-elle une fois encore.
Mais on passerait outre à ses
conseils. Lé .voyage .d'Italie
avait-il fait du mal à la petite
Sophie ?
Au-dessus des eaux rapides
du Danube, la vieille ville de
Buda étagea bientôt ses maisons
blanches, les flèches et les cour
poles de ses églises, son château
théâtral.
Souvenir de la domination
turque, l'Orient était partout
présent, avec son faste et son
secret, ses ors éteints, ses jar-
dins dérobés.
Dans ce décor à la fois exces-
sif et familier, Elisabeth, éblouie,
regardait évoluer un.peuple in-
connu, des magnats splendide-
ment vêtfts, montés sur des bè-
tes incomparables, des femmes
dont les diamants étaient 1es
plus beaux du monde.
Au long des rues, les hommes
se pressèrent pour voir de plus
près cette impératrice de vingt
uns. Ils lui montraient un visage
pétri de fierté. Sur celui des
femmes, la curiosité tourna, sans
plus attendre, à la sympathie.
Personne ici n'ignorait que
l'archiduchesse Sophie, dont ils
haïssaient l'action et le nom, ue
cessait guère de tourmenter sa
belle-fille. Ils trouvaient cette
jeune femme ravissante. Et ils
la devinaient amicale, frater-
nelle, ce qui était beaucoup plus
précieux.
Impossible de la rendre res-
ponsable des fautes passées, ni
même des restrictions présentes.
Impossible aussi, évidemment.
de l'acclamer. Mais djeite à'eux
se nouait une singulière cnmpIi.
cité.
L'Italie était loin avec le silen-
ce glacial de ses accueils, son
ingéniosité djtns l'offeirsé, sou
nmmosité têtue.
Certes, la Hongrie souffrait,
ne marquait pas d'enthousias-
me, ne flattait pas les souve-
rains. Elisabeth, pourtant, re-
connut, conquise, une noblesse
native, une fierté courtoise où
elle retrouvait ses propres résis-
tances, ses refus humiliés.
Ces gens étaient de sa race.
Elle ne l'oublierait jamais.
A Vienne, l'archiduchesse So-
phie, de la nursery désertée à
son bureau morose, suivait sans
bienveillance toutes les phases
du voyage.
Depuis dix jours que ses en-
fants résidaient à Budam*st. de
commençait à trouver le temps
long.
Le moment ne venait-i] pas
pour eux de -poursuivre leur
tournée vers l'intérieur du pays
hongrois ? Quand cette comédie
finirait-elle ?
Elle s'aperçut que la comédie
tournait au drame, lorsqu'elle
.reçut de François-Joseph la
nouvelle que l'ainée des fillettes,
Sophie, venait de tomber ma-
laae.
« La petite ne cesse de pleu-
rer à fendre l'âme », écrivait
l'empereur.
Suivaient les détails : il s'agis-
sait d'une mauvaise fièvre intes-
tinale, longue, pénible à guérir.
Le départ se trouva remis. Eli-
sabeth ne quittait pas son enfant.
Plus d'une semaine passa avant
qu'elle se résignât à la laisser,
faible encore, et à poursuivre,
vers l'intérieur, son voyage.
Pour lui faire fête, la Hongre
s'était parée.
Dans l'immense plaine, les
bœufs blancs aux cornes re-
courbées ressuscitèrent les temps
bibliques.
Au long des routes, s'ali-
gnaient des hommes en culottes
collantes, en vestes brodées.
nobles, les plus rapides qu'elle
eût jamais vus.
Mais, à Budapest, une petite
fiUe se mourait, et il fallut bien-
tôt refaire en sens inverse la
même route.
Un télégramme apprit la nou-
velle à l'archiduchesse Sophie.
« Notre petite est un ange au
ciel », disait l'empereur.
Il ajoutait qut Sisi s'inclinait
devant la volonté du Tout-Puis-
sant.
Quarante-huit heures plus tard,
le voyage interrompu, Elisabeth,
hagarde de douleur, rentrait à
Luxenbourg, accompagnant le
petit cercueil de son enfant.
Elle ne s'inclinait pas du tout
devant la singulière volonté du
ciel. Elle refusait de compren-
dre.
Elle refusa aussi de s'arrêter
à Vienne, elle pensait avec hor-
reur à l'archiduchesse, à ses
conseils non suivis, à son maca-
bre triomphe.
Seul, François-Joseph affronta
sa mère.
Pu doigt, sans parler, Sophie
désigna le ciel, grand dispensa-
teur de châtiments..
— Elle souffre, balbutia l'em-
pereur.
Il ne s'attarda pas, décida de
repartir seul pour la Hongrie.
Il venait de mettre au point
sa première mesure de clémen-
ce: le retour de ceux qui avaient
pris part à l'insurrection de 48.
A Laxenbourg, sa mère et trots
de ses sœurs accoururent au-
près d'Elisabeth.
Rendue tout à fait inso-
ciable par la douleur. Sisi,
la plus belle, la plus espiègk,
n'était plus, sous les arbres du
parc, qu'une forme amaigrie,
une ombre légère, qui porte au
cœur son premier deuil.
L'héritier de la
Maison d'Autriche
Un matin d'août, pur et QrÙ,
lant.. les Viennois tendirent
l'oreille. Un tonnerre ébranlait
le ciel d'été. Il y eut un coup,
deux, et cela continua. On comp-
ta jusqu'à cent un.
La ville sut, alors, qu'un fils
venait de naître à l'empereur.
C'était la première joie au-
thentique que l'impératrice don-
nait à l'Autriche.
Guère d'illusions à se faire :
les deux filles comptaient pour
peu. L'archiduchesse, pourtant,
ne les avait pas abandonnées à
leur mère.
Depuis que la petite Sophie
était morte, elle reportait sur
Gisèle une double vigilance :
lorsqu'on accordait à l'impéra-
trice Je droit de voir sa fille, elle
trouvait une enfant compassé?,
dont l'obéissance respectueuse
lui serrait le cœur.
— Est-ce encore une fille. ?
interrogea Elisabeth.
Elle se sentait prête à renon-
cer à tout, à mourir sur l'heure,
plutôt que d'affronter la répro-
ation de sa belle-mère.
Mais sa belle-mère approchait
Elle demeurait terriblement fi-
dèle à soi-même, ne vieillissant,
ne faiblissant pas. S'humanisait-
elle ?
Elle venait d'entendre le mé-
decin proclamer la naissance
d'un fils.
Elle répéta :
— C'est un fils !
.Comme si la victoire lui
appartenait.
-ip Elisabeth ferma les yeux. Voi-
là, la couronne était assurée.
Cela lui vaudrait peut-être une
trêve ?
Le poupon criait. Elle rouvrit
les paupières, vit que sa belle-
mère. au rapt habituel, ajoutait
cependant un sourire. Le souri-
re réservé dans les familles
royales aux seuls garçons.
- C'est un fils, Sisi !
François-Joseph pleurait de
joie. Un fils valait bien quelques
larmes de bonheur !
, Avec ses grandes mains pré-
cautionneuses, il passa au cou
fripé du bébé le grand cordon
de la Toison d'Or.
Epuisée, Elisabeth interrogea
encore :
— Comment l'appellerons-
nous ?
L'empereur se redressa, toute
la lignée des Habsbourg sur tes
épaules :
- Rodolphe ! comme le fon-
dateur de notre dynastie.
(A suivre.)
Copyright bu Suzanne Normand
and Ce soi r, 1939.
LE
canard
Donald
1
par lOall
Disney
IRONIE
DU DESTIN
La parole est
M. PIETRO NENNI
, - .:
1 0 1 0
, ; :'
Ilitaiïens, formes enFranee
une Cinquième Colonne"
o
ONe; le sieur Fari-
nacci, collaborateur
de Mussolini, direc-
teur du Regime Fas-
cista, s'adresse aux
Italiens résidant en
France pour leur demander d'orga-
niser une « cinquième colonne ».
La presse a fait à ses propos
une certaine publicité. Ce qui n'est
pas mal, car il y a des provoca-
tions qu'on évente avec la publi-
cité, comme il y en a qu'on dé-
piste avec la discrétion.
La provocation du 'sieur. Fari-
nacci appartient à la première ca-
tégorie.
Que dit Farinacci ?
Il conseille -aux Italiens rési-
dant en France de « feindre d'adhé-
rer » à la cause de la défense de
la démocratie française et « au
moment opportun de pro.voquer le
désordre chez l'ennemie.
Il ajoute : « Des centaines
d'hommes qui tirent dans le dos
des combattants obtiennent de
meilleurs résultats que des milliers
de soldats en ligne. »
Pour donner plus de force à ces
propos criminels, il évoque l'exem-
ple de la « cinquième colonne.
franquiste en Espagne.
Et maintenant, qui est Fari-
nacci ?
Il est un personnage consulaire
de la dictature fasciste en Italie.
Il a été le secrétaire général du
parti fasciste il y a quinze ans,
pendant l'affaire Matteotti. En-
suite Mussolini l'avait confiné dans
un rôle secondaire. Il est resté le
plus typique représentant de la
mentalité « squadriste » (de la
mentalité des premières forma-
tions fascistes pendant la période
de la guerre civile).
Depuis quelques années il ex-
celle dans le rôle d'agent provoca-
teur. C'est lui qui a ouvert la
« chasse au juif » en Italie ; c'est
lui qu'on a chargé d'attaquer le
pape Pie XI ; c'est lui qui, dans
la polémique antifrançaise, s'est
fait le porte-parole des attaques
les plus ordurières. Complétons sa
biographie en disant qu'il est un
des chefs du clan hitlérien, un es-
pèce de « gauleiter » de Hitler en
Italie.
s
'IL a parlé de « cin-
quième colotine », ce
n'est pas pour faire de
la littérature. Les fas-
cistes sont .passés maî-
tres dans Fart de la
provocation, et la « cinquième
colonne », c'est-à-dire l'équipe des
alliés du fascisme attaquant de
l'intérieur le régime d'une nation
qu'on veut abattre, occupe une
bonne place dans leur arsenal de
guerre. On l'a vu en Espagne et
puis en Tchécoslovaquie.
J'étais à Madrid lorsque, pour la
première fois, le général Mola
employa ce terme de « cinquième
colçime ■», en faisant allusion aux
partions de Franco dans Madrid.
Ce mot fil surgir comme un spec-
tre, le spectre de la suspicion, sur
Révolution, nous avait déjà mon-
tré ce qu'entraîne le règne de la
défiance exaspérée entre citoyens.
En Espagne, les pouvoirs pu-
blics furent parfois faibles devant
la conspiration fasciste à l'inté-
rieur. Je souhaite qu'il n'en soit
pas ainsi ailleurs, Mais il m'est avis
que, pour le moment, l'O.V.R.A.
sont pas fameuses. Dans leur
énorme majorité, les Italiens rési-
dant en France se dérobent aux
appels du fascisme. L'émigration,
qui fut dictée par des considéra-
tions d'intérêt matériel : com-
merce. possibilités d'emploi en
France, etc., s'assimile de plus en
plus au sol français, selon la loi
suite renforcer le courant d'oppo-
sition contre l'Axe. Des Italiens de
toute tendance politique ou d'au-
cune tendance politique se sont
groupés par dizaines de milliers
dans l'Union Populaire Italienne,
et, par un mouvement irrésistible
de solidarité avec le peuple fran-
çais dans la commune défense de
la paix, ils ont brisé net toute en-
treprise de division et de provoca-
tion fascistes.
Alors est intervenu le sieur Fa-
rinacci, avec son appel à.la forma-
tion d'une « cinquième colonne »
italienne en France.
Ce qu'il veut, c'est jeter la sus-
picion sur l'ensemble de l'émigra-
tion italienne en France ; insi-
nuer, dans la population, le soup-
çon que même les Italiens pour
qui la France a été une seconde
patrie pourraient être des ennemis;
dresser les travailleurs français
contre les travailleurs italiens,
comme aux temps lointains des in-
cidents d'Aiguës-Mortes, lorsque
Crispi soufflait sur le feu du dé-
saccord franco-italien et que les
malheureux immigrés faisaient les
frais de ses rodomontades et de
ses visions.
Eh bien ! il me semble qu'il
aura suffi de dire ces choses pour
qu'elles ne se produisent pas. Les
organisations antifascistes feront
leur police elles-mêmes et leur tâ-
che se trouvera grandement faci-
litée si les faveurs de l'administra-
tion cessent de se porter sur les
agents de l'O.V.R.A. et se tournent
du côté des travailleurs italiens
honnêtes.
Déjà elles se sont mises en tra-
vers de la tentative criminelle faite
pour dresser l'un contre l'autre les
deux peuples.— le français et l'ita-
lien — que leurs intérêts et leur
culture ppupsent à l'union la plus
étroite.
Elles continueront.
Non, les Italiens en France ne
formeront pas de « cinquième co-
lonne ». Mais ils seront, au con-
traire, les artisans de l'amitié
franco-italienne.
Mais la suspicion que le chef fasciste vent
ainsi jeter sur ses compatriotes s'évanouira
levant leur loyalisme à l'égard de notre pays
la capitale d'Espagne. Je me rap-
pelle un propos de Miaja :
« Dans le pays de don Qui-
chotte, il n'en faut pas plus pour
dresser les frères les uns contre les
autres. »
Point d'ailleurs n'était néces-
saire d'être du pays du chevalier
de la Manche pour comprendre
tout l'avantage que le fascisme
pouvait tirer, et de Ja « cinquième
colonne », et du spectre de la
« cinquième colonne ».
La Terreur, pendant la Grandt.
italienne vise,-par son impudente
provocation, à un résultat plus
concret et moins lointain.
Voici lequel :
Le gouvernement de Rome a ins-
titué une Commission pour le ra-
patriement des Italiens à l'étran-
ger et tout particulièrement des
italiens de France. Cette organisa-
tion a pris la dénomination de
« Commission Ciano », du nom de
t'homme qui est, comme on sait,
ministre par droit nuptial. Or. les
affaires de cette commission ne
normale de toutes les émigrations.
L'émigration politique. elle, a
plus d'une raison de se dérober aux
appels des sirènes noires.
E
N septembre 1938 et en
mars dernier, il y a
eu parmi les Italiens
en France un mouve-
ment impressionnant
cl spontané de révol-
te contre la politique de Home et
les provocations de l'axe. La nazi-
fication de l'Italie est venue en-
NOS MOTS
CROISES
,
par Pierre DUTRAY
HORIZONTALEMENT : 1. Nourri-
ture des son#e-creux et abstracteurs
de quintessence — 2. Ses coups de
tète font tourner plus d'une tête.
— 3. Charrues sans avant-train.
Devient pénible quand on doit le
garder. — 4. Bébé l'enfourche vo-
lontiers lorsqu'il est redoublé. Inu-
tile d'insister après un tel refus;
Emblème de l'espérance. — 5. Elle
étend ses branches par toute la
terre. Vache gardée par un surveil-
lant trop clairvoyant. — 6. Ce vin
n'a pas encore fermenté. Souvent
suivi d'autres. Début de nombreux
rêves. — 7. Fils d'Enée. Elle don-
ne du fil à retordre. — 8. Parfois
épilé pour ressembler à Greta Gar-
bo. Soigneusement gardé par ceux
qui sont à cheval sur l'étiquette. —
9. Dauphin qui ne fréquente pas
les fleuves de France. Moutarde
noire. — 10. Double voyelle. Ainsi
débutent de nombreux contes de
fées. Varient de pays à pays. Pré-
position. — 11. Courtier de chair
humaine. Adjectif démonstratif.
VERTICALEMENT : 1. Il fait
partie du commun des immortels.
— 2. Parlée de manière qu'il faut
un œdipe pour y comprendre quel-
que chose. — 3. Ville de Belgique.
Collaborateur fidèle de Quinault.
— 4. Ne vit pas le retour d'un fa-
meux général anglais. Son contact
est redouté des aérophobes. — 5.
Suites du chatouillement. Souvent
dans la bouche des arpenteurs chi-
nois. — 6. Qui ont le goût du vi-
naigre (féminn pluriel). — 7. En
dect.H lui arrive souvent de faire
de la nuit le jour et inversement.
— 8. S'entend à Marseille. Contri-
buèrent à la gloire de Sainte Thé-
rèse d'Avila. — 9. La pourriture
est son régal. Epoque. — 10. Proté-
gea les Ptolémée après leur mort.
Couche pigmentaire de l'iris. — 11.
Ce qu'une ménagère fait habituelle-
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