Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1875-03-23
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 23 mars 1875 23 mars 1875
Description : 1875/03/23 (A5,N1206). 1875/03/23 (A5,N1206).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/03/2013
Õ. Année. = N° 1206.
Prix du numéro : Paris : 15 centimes. Départements : 20 centimes.
Mardi 22 Mars 1875.
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N JOURNAL REPUBLICAIN CONSERVATEUR
V *
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
13, rme ée Lafayette
-
Les lettres non affranchies seront refusées
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C, place de la Bourse, *
On s'abonne à Londres, chez M. A. MAURICE général
advertising, agent, 13, Tavistockrow, Covont Garden.
Paris, 22 mars isYç/ij,pi;
,
Le vice-président du conseil se félicité
peut-être, à tout prendre, que la séance
de samedi ait été levée si brusquement.
La majorité nouvelle et le ministère ont
évité de la sorte un échange d'explications
délicates. Il reste possible de louvoyer;
heureux dénouement, à en croire une cer-
taine école de politiques, qui. subordonne-
rait volontiers toute sa conduite au désir
de ne pas se compromettre. Le pays
cependant préfère les situations moins
inrléeises. Il n'a trouvé rien de net, mal-
gré les adverbes, dans le fameux pro-
gramme du 12 mars ; et voici l'Assemblée
entrée en vacances sans que le ministère
ait encore écarté les voiles qui ne permet-
tent d'entrevoir que trop confusément ses
dèsseins et son attitude. Le cabinet a donc
maintenant devant lui six semaines au
moins de silence, qui ne seront interrom-
pues que par deux ou trois entrevues avec
la commission permanente. Depuis sa dé-
claration, les amis et les Adversaires du
régime républicain répètent : « C'est aux
actes que nous l'attendons. » Nous pour-
rons bientôt juger des actes. Nous sou-
haitons que le cabinet se décide enfin à
sortir des atermoiements, des incertitude,
et qu'avant peu de jours les actes dissipent
ce que la déclaration, si commeuttie, du
12 mars avait d'ambigu.
S'il pouvait encore hésiter sur la route à
suivre, il nous semble que la voix de l'o-
pinion s'élève avec assez d'ensemble et
d'énergie pour la lui indiquer. L'honorable
M. Buffet n'a qu'à prendre la peine de re-
lire l'allocution, — si claire, celle-là, —
que prononçait samedi M. Laboulaye dans
la réunion du centre gauche. Qu'il écoute
ensuite le concert d'approbations qui, dans
tous les groupes de la gauche et parmi les
libéraux du centre droit, a salué les paro-
les d'un orateur républicain, mais aussi
nettement conservateur que M. Buffet le
peut souhaiter. Ce n'est pas seulement la
République française, ou le Siècle, ou le
Temps, qui ont dit du discours du prési-
dent du centre gaushe : Voilà la vraie po-
litique et le vrai programme. La Presse
elle-même accepte sans restriction les sa-
ges conclusions de M. Laboulaye, et elle
invite le cabinet à s'y conformer : « Levée
de l'état de siège, remplacement des pré-
fets hostiles à la République, préparation
des prochaines élections générales, tels
sont les trois points, écrit-elle, qui parais-
sent surtout nécessaires au nouveau prési-
sident du centre gauche, et dont il attend
du ministère la prompte et complète réa-
lisation. Ce programme est-il de nature à
effrayer M. Buffet ? Nous avons, pour le
croire, une trop haute opinion de son es-
prit politique, une confiance trop grande
dans son libéralisme. » Et plus loin : « Que
le ministère rompe avec ces perpétuelles
hésitations, qu'il adopte enfin an parti,
qu'il accepte le programme fort acceptable,
selon nous, du centre gauche ! Avec une
politique ferme, nette, libérale, il retrou-
vera sa force et l'appui de la majorité. )
Oui, certes, à ces conditions, le minis-
tère peut compter, comme le dit la Presse,
sur l'appui de la majorité. C'est la vérité
pure ; et le seul langage de la Presse, or-
gane accrédité des républicains de raison
qui se sont appelés si longtemps les conser-
vateurs-libéraux, suffirait à le démontrer.
Est-il besoin, du reste, d'être si grand clerc
pour se rendre compte des nécessités qui ré-
sultant de l'état des partes dans l'AsselIlbléc!
i II. ïepéit impossible de comprendre pour-
et commnt M. Buffet se mettrait en
quête de combinaisons inédites pour la
formation d'une majorité. Quelle nouvelle
majorité chercher lorsqu'il en existe une,
et que toutes les autres combinaisons sont
usées ? En se dévouant à la politique, aux
idées qui ont prévalu dans l'Assemblée
depuis un mois, qui ont entraîné le vote
des amendements Wallon, et, par suite,
l'organisation constitutionnelle, M. Buffet
peut être toujours assuré du concours des
gauches et du petit groupe néo-républicain
du centre droit. Voilà désormais la majori-
té. Sans être bien nombreuse, elle est so-
lide; et l'on pourrait, d'ailleurs, mettre
le vice-président du conseil au défi d'en
trouver une autre, meilleure ou pire. Il
faut donc la prendre telle qu'elle est,
pour ce qu'elle est, et s'accommoder de
son programme, que M. Laboulaye a ré-
sumé en termes si précis. Hors de là, il
n'y a plus de majorité quelconque, il n'y a
plus rien. C'est ce que nous avons démon-
tré souvent, et ce que les événements dé-
montrent encore mieux chaque jour. Que
M. Buffet désire attirer à lui et se concilier
tout ce qu'il pourra de ses collègues des
anciens partis monarchistes, rien de plus
naturel et, jusqu'à un certain point, rien
de mieux; mais ce qu'il ne doit jamais
perdre de vue, c'est que l'appui de tous les
républicains est indispensable au minis-
tère pour se maintenir, pour arriver sûre-
ment et honorablement à l'élection des As-
semblées nouvelles, et que l'appui des ré-
publicains ne peut s'obtenir qu'à la condi-
tion assez naturelle de gouverner, non pas
contre eux, mais avec eux.
EUG. LItBERT.
- i. i - • — —
1
L'ITALIE
AUTOUR 13 U PAPE
Sans croire que jamais la querelle du
pape et de l'empereur nous ramène au
douzième siècle et fasse refleurir le
moyen âge dans le sang, il est permis
au spectateur de sang-froid, qui n'est
ni piétiste, ni papiste, de philosopher
sur cette grave question.
A l'heure où nous parlons, il n'y a
qu'un prince en Europe qui ose te-
nir tête aux omnipotents de Berlin.
Demain, peut-être, il y en aura deux ;
mais aujourd'hui Pie IX est seul contre
le vainqueur du Danemark, de l'Au-
triche et de la France. Un vieillaid
désarmé ne craint pas de déclarer
nulles et de nul effet les lois ecclésias-
tiques que l'on promulgue au nom de
l'empereur Guillaume; il signa ouver-
tement un traité d'alliance avec les mé-
contents de la Prusse ; il n'a pas craint
de braver M. de Bismarck en donnant
le thapeau de cardinal à l'archevêque
de Posen, M. Ledochowski, détenu
dans les prisons toujours hospitalières
du grand-chancelier.
Le terrible homme d'Etat qui, de-
puis dix ou douze ans, n'a pas ren-
contré une résistance sans la briser,
ne sait comment fermer la bouche au
saint-père. Si ce vieillard couronné
possédait quelques provinces, on les en-
vahirait ; s'il lui restait une place forte,
on la bombarderait ou on la réduirait
par famine ; s'il avait des sujets, on
leur donnerait plusieurs mois pour émi-
grer en masse ou devenir Allemands.
Mais le pape n'a plus qu'une âme pour
vouloir, une langue pour parler, une
main pour écrire. Et comme il est logé
au cœur de "l'Italie, cloîtré spontané-
ment dans un presbytère inviolable
qui s'appelle le Vatican, protégé par
une garde de vingt-cinq millions d'hom-
mes qui répondent de sa vie et do sa
liberté à plus de cent millions de ca-
tholiques, aucun pouvoir humain ne
saurait l'empêcher de dire ce qu'il croit
vrai et de faire ce qu'il croit bon.
On sait comment le peuple et le roi
d'Italie sont devenus les gardiens du
pontificat. Victor-Emmanuel et les Ita-
liens sont catholiques, mais ils ne sont
point cléricaux : ils respectent l'auto-
rité du prêtre dans l'Eglise ; ils condam-
nent énergiquement son intervention
dans l'Etat. L'émancipation absolue de
la société laïque et l'entière liberté des,
consciences et des cultes, l'Eglise libre
dans l'Etat libre : tel était le rêve de
Cavour. Les successeurs de ce grand
homme en ont fait une réalité. Toutes
les nations catholiques du globe ten-
dent au même but et s'inspirent du
même esprit. Voilà pourquoi, en octobre
1870, Victor-Emmanuel a pu prendre
possessieh da sa capitale sans sou-
lever dans le monde politique une
seule protestation. Si l'immixtion du
prêtre dans la société civile était uni-
versellement condamnée, on blâmait à
plus forte raison le maintien artificiel
et violent de cette théocratie surannée
qui faisait des Etats de l'Eglise un mo-
dèle de mauvais gouvernement.
Mais, en revanche, il semblait juste
et nécessaire à tous les catholiques, je
dirai plus, à tous les êtres intelligents,
que le chef spirituel de tant de millions
d'âmes fût le plus indépendant des
hommes et le plus honoré des princes.
L'âge de Pie IX, ses vertus, les souve-
nirs du mouvement libéral et patrioti-
que dont il fut un moment le promo-
teur, tout écartait l'idée de déchéance.
Depuis longtemps la souveraineté tem-
porelle n'existait plus que de nom : on
n'est pas vraiment roi lorsqu'on règne
malgré son peuple, à la faveur d'une
occupation militaire et sous le bon plai-
sir d'un protecteur étranger. Victor-
Emmanuel , en se substituant à Napo-
léon III comme gardien du saint-père,
entendit que le chef de l'Eglise n'eût
rien à regretter. Le Parlement, d'ac-
cord avec le roi, vota, en mai 1871,
cette fameuse loi des garanties, que
tous les cléricaux du monde ont sa-
luée de leurs imprécations, et que
peut-être ils béniront bientôt; car ja-
mais loi ne fut mieux nommée; Vau-
ban, lui-même, n'a rien construit de
plus solide que ce texte de quatre pa-
ges : ce chiffon de papier est une for-
teresse à l'épreuve du canon Krupp.
En 1871, le législateur italien était à
mille lieues de prévoir que son travail en
19 articles abriterait un jour le souve-
rain pontife contre la mauvaise humeur
d'un roi protestant. Il ne songeait qu'à
prodiguer à tous les catholiques de l'Eu-
rope et du monde des sûretés contre
lui-même. Les derniers mots de l'émi-
nent rapporteur, M. Bonghi, aujour-
d'hui ministre de l'instruction publique,
résument tout l'esprit de la loi. Il s'agit,
dit-il, d'ouvrir les yeux à l'Europe ; il
s'agit de lui faire comprendre efcadopter
cette double résolution de la Chambre
et du pays : que le siège du gouverne-
ment doit être à Rome et qu'à Rome le
pontificat doit exercer , comme autre-
fois, sa direction spirituelle sur le monde
catholique, en toute liberté et sécurité.
L'article lr déclare que la personne
du souverain pontife est sacrée et in-
violable; l'article 2 assimile les atten-
tats contre sa personne aux crimes de
lèse-majesté; l'article 3 assure au pape
les honneurs souverains et lui permet
d'entretenir autour de lui la force ar-
mée qui le gardait autrefois. L'article 4
lui assigne une liste civile de 3,225,000
livres en rente perpétuelle et inalié-
nable; l'article 5 lui cède en usufruit
le Vatican, Saint-Jean-de-Latran, la
villa de Castel-Gandolfo avec leurs
attenances et dépendances.
Aux termes des articles 7 et 8, au-
cun officier de l'autorité, aucun agent
de 15u force publique dans l'exercice de
ses fonctions ne peut entrer chez le
pape ; il est interdit de procéder à au-
cune visite, perquisition, saisie de pa-
piers, de registres ou de documents
dans les bureaux et congrégations du
saint-ÛÓge. L'article 9 dit que la souve-
rain pontife est pleinement libre d'ac-
complir toutes les fonctions de son mi-
nistère spirituel et d'en faire afficher
les actes aux portes des basiliques et
églises de Rome.
Le pape (article 12) correspond libre-
ment avec l'épiscopat et tout le monde
catholique sans aucune ingérence du
gouvernement italien. A cet effet, il a
le droit d'établir dans ses résidences
des bureaux de poste et de télégraphe
desservis par des employés de son
choix. S'il lui plaît de confier ses u let-
tres aux transports de l'Etat, il e$t
exempt de toute taxe et de toute dé-
pense ; son télégraphe est relié gra-
tuitement aux lignes italiennes, qui ex-
pédient ses dépêches gratis.
Cette loi, librement votée par les
deux Chambres et promulguée par le
roi, engage l'Italie envers le pape et
envers là catholicité. La nation a pro-
mis non-seulement de respecter, mais
de faire respecter la personne et la li-
berté du saint-père ; elle ne peut sans
félonie abandonner Pie IX aux violences
de ses ennemis, quels qu'ils soient.
Il est vrai que Pie IX, jusqu'à pré-
sent, n'a pas ratifié la loi des garan-
ties ; il a même protesté contre elle en
mainte occasion. La dotation de 3 mil-
lions 225,000 fr. lui a été portée jusque
dans son palais, et il en a refusé l'offre
réelle. Son acceptation du nouveau ré-
gime est purement passive : il reste
au Vatican, il n'a pas émigré, voilà
tout. Mais quelques actes de mauvaise
humeur, bien excusables chez un vieil-
lard dont on change les habitudes,
peuvent-ils infirmer une loi de l'Etat ?
La loi des garanties n'a pas été votée
au profit d'un seul homme; elle est
faite pour tous les [successeurs de
Pie IX, qui peut-être, n'ayant jamais
tâté du pouvoir temporel, s'en prive-
ront sans trop de regret. Un peuple
loyal n'a qu'une parole, et les Italiens
ne se croient pas relevés de leurs
promesses par quelques rebuffades ;
ils demeurent bel et bien engagés à dé-
fendre le saint-père comme s'il était
leur propre roi. ¿
Devant l'Europe aussi, la loi des ga-
ranties présente un peu les caractères
d'un contrat unilatéral. Si le gouverne-
ment italien s'est réservé le droit de la
prendre pour base de traités interna-
tionaux et si la Chambre l'a permis
par 191 voix contre 109, le. 21 mars
1871, il faut bien reconnaitre que ces
traités n'existent encore qu'à l'état vir-
tuel. Mais il n'est pas douteux que tous
les catholiques de l'Europe et du Nou-
veau-Monde n'aient pris acte des enga-
gements du peuple italien. Ils ne les
ont ni réclamés ni sollicités, mais ils
les ont reçus, puisque la loi est dédiée
pour ainsi dire à la conscience du
monde catholique par son éloquent
rapporteur.
Il est d'usage et de raison que le
corps diplomatique assiste aux débats
parlementaires dans les capitales où il
est accrédité. Lorsque les Chambres
italiennes votèrent la loi des garanties,
l'empereur d'Allemagne était repré-
senté à Rome; il n'éleva aucune objec-
tion contre ces libertés que l'Etat con-
cédait noblement à l'Eglise. Une amitié
sincère unissait alors RomA pt Rerlin.
et les profonds politiques du Nord ne
songeaient qu'à la rendre plus étroite.
Il semblait même, qu'un intérêt commun
associât les deux, puissances alliées
contre les prétentions du Vatican.
Mais la suite des événements a prouvé
que, dans leurs relations avec la pa-
pauté, l'Allemagne et l'Italie ne par-
taient pas du même principe et ne pou-
vaient arriver au même but. De ces
gouvernements amis, l'un, est sincère-
ment libéral et l'autre franchement
autoritaire. Au Quirinal, on n'a jamais
voulu que la séparation de l'Eglise et
de l'Etat; à Potsdam, on veut que l'Etat
soit maître absolu de l'Eglise.
Le roi Victor-Emmanuel, pas plus
que l'empereur Guillaume, n'a jamais
eu à se louer du clergé catholique ; le
pape, les évêques, les jésuites et les
simples curés les mettent volontiers
dans le même sac. Ils sont damnés pa-
rallèlement et chargés de malédictions
identiques. Mais le roi ne s'émeut de
rien ; il vit tranquille, en homme qui a
fait-la part du feu et parqué les hommes
d'Eglise dans le. domaine spirituel; tan-
dis que l'empereur s'obstine à régner
sur les âmes et à les faire marcher au
pas comme de simples troupiers. Voilà
comment les. foudres de la Curie ro-
maine, assez indifférentes à Victor-
Emmanuel, "ont fini par devenir intolé-
rables à son victorieux ami.
Quant à nous, comme Français et
comme libres-penseurs, nous ne sau-
rions prendre parti dans la querelle de
l'empereur piétiste et de ses sujets ca-
tholiques. Le catholicisme et le protes-
tantisme allemands se valent aux yeux
du philosophe et du citoyen : ils sont
aussi libéraux et aussi français l'un que
l'autre. La minorité catholique de l'em-
pire allemand ne nous veut pas plus
de bien que la majorité protestante :
papistes et huguenots faisaient un tout
parfaitement homogène dans cette forte
armée qui nous a envahis, brûlés, ran-
çonnés. et démembrés. Ni l'histoire, ni
la légende n'ont établi qu'un seul de
nos vainqueurs eût épargné ua catho-
lique français pour l'amour du catho-
licisme. M. de Bismarck peut donc faire
en Allemagne autant de martyrs qu'il
le jugera bon, sans que nous en pre-
nions le deuil.
Mais comme membres de la commu-
nauté européenne, nous prenons un vif
intérêt au débat qui s'est élevé entre
l'Allemagne et l'Italie. Les avocats du
giand-chancelier remplissent les jour-
naux d'arguments plus ou moins spé-
cieux qui tendent tous à la violation ou
à l'abrogation de la loi des garantes.
Notre devoir, comme notre intérêt, est de
les réfàter à mesuré qu'ils se produi-
sent.,. Il y va non-seulement da l'indé-
pendance italienne, mais de la dignité
et du salut de l'Europe. Quand la Ça-
zette nationale de Berlin prétend que
les Italiens ont le droit d'imposer si-
lence au pape, de saisir ses papiom de
couper ses communications avec l'épis,
copat.et le clergé catholique du monde,
nous devons remettre en lumière les
articles 7, 8, 9 et 12 de la loi. Lors-
qu'on affirme que le roi Victor-Emma-
nuel est responsable des actes du saint-
pèré, son sujet, nous devons insister
sur les articles 1 et 3, qui déclarent
la personne du pontife inviolable et sa..
oréa, qui le confirment dans son titre
de souverain et lui maintiennent même
la prééminence d'honneur, reconnue en
sa faveur par les souverains catholi-
ques. Et quand un journaliste allemand
nous dit que la loi des garanties pour-
rait être abrogée par les Chambres
comme n'importa quelle autre loi, nous
demandons si l'Italie pourrait faire une
telle concession sans s'annexer morale-
ment à la Prusse ?
Mais, Dieu merci! l'Italie paraît fer-
mement résolue à persister dans cette
ligne droite que ses plus grands hommes
d'Etat lui ont tracée. jAprès avoir con-
quis son indépendance, elle la justifiera
aux yeux du monde entier par une po-
litique à la fois prudenteet noble. Elle
ne court, aucun danger ; si quelques
publicistes allemands s'amusent à la tâ-
ter, nul ne songé" à lui faire violence.
Un peuple a toujours le droit d'être
honnête, fidèle à ses engagements et
libéral. Peut-être, en agissant ainsi, ne
contentera-t-il pas tout le monde, mais
l'opinion de cent millions d'hommea
fera comme une seconde frontière au*
tour de lui..
ABOliT.
Un jour nous vîmes, dans une usine, un
marteau-pilon de pas mal de milliers de
kilogrammes qu'un rien suffisait à mettre
en mouvement ; le bout du petit doigt fai-
sait aller, venir ce monstre, le dirigeait à sa
guise. Il y avait là de quoi faire tomber en
extase plusieurs générations de mécani-
ciens. Seul, un vieux philosophe ne sem-
blait pas partager l'admiration générale, et
nous l'entendîmes même murmurer tout
bas : « Peu h ! il y a mieux que cela dans la.
vie ordinaire ! »
Nous n'avons réellement saisi la portée
de l'exclamation du vieux philosophe qu'en
lisant la description suivante, fournie par
un de nos confrères, généralement bien in-
formé, relativement au plus important
rouage politique du pays:
Il paraît démontré que des obstacles ma.
tériels s'opposent invinciblement à Installa-
tion de deux Assemblées. à Versailles avant
Feuilleton du XIX* SIÈCLE du 23 Mars 1875
Causerie Dramatique
CIRQUE DES CHAMPS-ELYSÉES. - Eve, mystère
en trois parties, poème de M. Louis Gallet,
musique de M. Massenet.
M. Massenet Tient d'obtenir un suc-
cès au cirque des Champs-Elysées. Eve,
mystère, poëme de Louis Gallet, a été
exécuté jeudi au deuxième festival de
la Société de l'harmonie sacrée. L'or-
chestre et les chœurs dirigés par M.
Charles Lamoureux ont fait merveille.
Je ne veux rien diminuer du mérite'
du compositeur ; mais- les musiciens
auraient vraiment bien tott de se plain-
dra du public qui ne m'a jamais: paru
d'humeur plus accommodante qu'en ce
temps-ci. Je suis on ne peut plus
frappé, et charmé, cela va sans dire,
du parti pris dé bienveillance qu'il
manifeste en toute rencontre, et il
faut vraiment être bien abandonné
de la muse ou l'objet d'une persécution
fatale de la male chance, pour ne pas-
obtenir un bill de satisfaction et un vote
do confiance de la foule bénévole qui se
presse aux exécutions musicales. Les
succès s'achètent à bon marché.
Je suis d'autant plus heureux de la
réussite de Y oratorio de M. Massenet
que j'ai un reproche' à me faire à l'en-
droit de ce compositeur. Dans mon der-
nier feuilleton, j'ai commis un lapsus au
préjudice dudit, en lui enlevant la
gloire de la paternité de Don César de
Bazan, pour en orner le char, médio-
crement triomphal, de l'auteur de Ga.r'
nten.
i MM. Bizet et Massenet sont de la
même école et ont entre eux plus d'un
point de contact et de ressemblance:
on peut s'y tromper ; mais il n'est que
juste de rendre à César ce qui appar-
tient à César.
La confusion est de peu d'importance
en somme, et l'on serait heureux de
n'en commettre jamais de plus grosse.
Ceux dont la mémoire est mauvaise,
comme ceux qui l'ont excellente, peu-
vent s'y trouver pris, et je me rappelle
toujours avec une satisfaction secrète
et un consolant retour ce feuilleton,
jadis célèbre, de Jules Janin, où le
prince de la critique, confondant Vil-
lars et Catinat, faisait sans hésita-
tion triompher à Denain ce dernier,
mort depuis trois mois, au détri-
ment du vainqueur du prince Eugène,
du sauveur de la monarchie. C'était
autrement grave. La mémoire a de ces
perfidies.
Je me rappelle, à propos d'erreur,
— et celle-ci en est une bien légère, —,
une conversation que j'eus un jour avec
l'excellent et spirituel M. Viennet. Cet
honnête'académicien avait en répétition
à l'Odéon une tragédie en un acte in-
titulée Selma. La scène se passait en
Crimée, le sujet était" moderne, et fami-
lier dans une certaine mesure. Je n'é-
tonnerai personne sans doute en disant
quo le style en était quelque peu su-
ranné. Quelques mots particulièrement
accentuaient encore ce caractère et
rompaient le tour naturel que l'auteur
avait quelquefois cherché à donner au
dialogue. Avec tous les ménagements
imaginables et tous les témoignages de
déférence possibles, j'osai proposer à M.
Viennet de remplacer ces mots par
quelques vocables plus simples : il prit
mal l'observation et répondit avec une
certaine vivacité. Malgré ses quatre-
vingts ans, il était d'un esprit ardent
et vif : je m'inclinai respectueuse-
ment; mais j'avais ma revanche en
poulie.
— Au moins, lui dis-je, cher et illus-
tre maître, ne m'accorderez-vous point
de mettre au. masculin le mot « steppe »,
que vous avez fait féminin par mé-
garde ?
- Mais stéppe est un mot féminin,
il en a bien le caractère.
— Je ne dis pas non, et je sais que
plusieurs en ont pensé ainsi; mais vous
êtes académicien et l'Académie a dé-
crété, sans nous dire ses raisons, sslon
son habitude, que le mot serait mascu-
lin. Elle a fait comme les marchands
de billets ,à la porte des théâtres, qui
tous les soirs, de leur autorité privée,
offrent au public « un stalle », moins
cher qu'au bureau.
Le spirituel vieillard prit le parti de
rJ.le et s'exécuta de bonne grâce.
Les erreurs des grands sont la con-
solation des humbles.
Je ne sais pas ce 'que l'auteur de
Selma penserait de Y Eve de M. Louis
Gallet ; pour moi, je trouve ce petit
poëme charmant. Parfaitement disposé
pour la mise en œuvre musicale, et
mâchant pour ainsi dire la matière au
compositeur, il est écrit d'une façon
élégante et distinguée, qui n'exclut ni
l'élévàtion ni l'ampleur.
Les mots sont heureusement choisis,
s'onores,colorés,musicaux; ils appellent
la note, — trop souvent en vain — et
semblent souffler d'eux-mêmes dans
l'aile de l'inspiration pour l'aider à pren-
dre son essor.
On me permettra de citer, comme
exemple, ces vers que le poète met dans
la bouche d'Eve innocente et troublée.
Elle a quitté l'homme endormi. Elle mar-
che rêveuse dans la solitude de la fo-
rêt paradisiaque, sous le 'ciel resplen-
dissant d'étoiles. Frémissante et char-
mée, elle écoute les voix de la nuit,
nuit chaude et parfumée, qui planent
autour d'elle, et dit :
0 nuit pleino de murmures !
Quels parfums pénétrants jusqu'à moi sont venus?
Quels souffles éveillésf dans les sombres ramures
Font passer sur ma chair des frissons inconnus f
Le ciol est lumineux, et laforèt superbe
Entrouvre devant moi ses vastes profondeurs.
La lune claire fait étinceïer dans l'herbe
Les insectes ailés courant parmi les fleurs.
Cette nuit odorante et chaude me pénètre.
Loin de l'homme endormi qui dQUO m'égare ici ?
0 nature, apprends-moi le secret de mon être 1
0 nature, dis-moi ce qui me trouble ainsi 1
Ces jolis vers-là peuvent se passer de
musique ; ils chantent tout seuls.
Pour dire toute ma pensée, je ne
trouve pas que la partition réponde
suffisamment à ce que fait augurer la
lecture du poème. Je ne parle ici ni de
la somme de talent employée, ni du
système de composition. La chose pro-
cède évidemment de Gounod : il y ap-
plaudissait fortement. Il se sentait en
pays de connaissance et saluait au
passage la poussière des diamants qu'il
a su tailler de main de maître et dont
nous admirons l'éclat : l'œuvre de M.
Massenet en est toute saupoudrée. Mais
je n'y vois, pour mon compte, rien d'o-
riginal ni de bien saisissant. Je dirai de
M. Massenet, comme de M. Bizet : plus
de talent que de puissance. La phrase
manque ou reste noyée dans la pâte et
ne s'en dégage point. Je lui voudrais
voir çà et là percer l'épaisse frondaison
des harmonies et jeter sa clarté, comme
le rayon de soleil traversant les ra-
meaux enchevêtrés et feuillus des
grands arbres. La phrase, c'est l'idée,
et, ici, les idées sont plus rares que les
petits pois verts qui flottent épars et
clair-semés dans un potage à la Saint-
Germain.
Le prologue, l'introduction et le
chœur qui ouvrent la première partie
de l'oratorio m'ont paru absolument or-
dinaires.
En revanche le prélude de la pre-
mière scène d'Adam et d'Eve est fort
joli ; mais la scène elle-même est d'un
caractère triste et monotone. C'est ici
que se produit pour la première fois le
signe de l'absence du sentiment de l'ap-
propriation de la musique aux situa-
tions, dont M. Massenet na semble
guère avoir plus de notions que son
émule M. Bizet, à qui j'ai adressé le
même reproche.
Ce n'est point que ee sens leur man-
que, disent les adeptes de l'école; mais
ils le dédainnt: Je n'acceptepas cette
fin de non-rècevoir : du moment que
ces messieurs, - eux et tous leurs con-
génères d'ailleurs, — prennent un point
d'appui sur des paroles ou entrepren-
nent de traduire une action dramatique
quelconque, j'ai le droit de leur de-
mander l'expression juste, et de m'ir-
riter des contre-sens. Qu'ils fassent
des symphonies, s'ils refusent de s'as-
servir à une précision relative daùs
l'interprétation d'un sentiment, d'une
passion, d'une situation active ; là,
je n'aurai rien à dire, tant pis pour
moi si ma conception personnelle et
arbitraire me trompe, si mon ima-
gination m'égare et si je fais comme
cet amateur dont parle Théophile Gau-
tier, qui, « entendant une symphonie
pastorale, qu'il prenait pour Y Oratorio
de la Passion, plaçait le dernier soupir
de Jésus mourant à l'endroit où le com-
positeur avait voulu rendre le chant de
la caille dans les blés. »
Des voix mystérieuses tirent Adam
du sommeil miraculeux pendant lequel
la création de la femme syest accom-
plie :
Homme, tu n'es plus seul ! lève-toi, lève-toi 1
• ••• •• •«, • « * f « •
L'homme s'éveille ! il écoute
Ces voix lui parlant dans l'immensité,
Et voici que la femme apparaît sur sa route,
Resplendissante de beauté t
Ces deux êtres se contemplent, éton-
nés, émus, charmés, souriants; comme
dit le poète :
Ignorants de la vie et des douleurs futures,
« L'âme en fête ! » Ils s'admirent et
se regardent avec des curiosités d'en-
fants :
ADAM
Ton visage est brillant comme la fraîche aurore,
Tes eux bleus sont pareils à l'azur de la mer.
l
EVE ,
C'est d'un reflet du ciel que ton front se colore.
Je vois dans tes régards luire un vivant éclair.
ADAM
Teslong3ch«vëùx dor^a, py Ha soleil f,'arrête.
Inondent eomme un flot la blaneheur de to* w».
EVE.
Pour regarder vers toi, je dois lever 1* tète.
Et danl ta forte main jl. seaa treœblq ma xn&in.
ADAM
Que tea sourire est pur 1
SYB
Que ta garnie ut douee !
ENSEMBLE
Autour de nous respire-une éternelle paix.
Sous les arbres en fleurs, par les sentiers de moussa
Veux-tu que nous allions sans nous'quitterJamaisr
La musique de ce joli colloque, - bien
loin de faire présager le futur triomphe
du démon, semble faite tout exprès
pour le porter en terre.
Ce couple tout d'innocence et vivant
d'une vie toute superficielle , qui ne
connaît que l'instant présent et la sen
sation meme que cet instant lui donne,
on le, dirait accablé de soucis ; il est
triste, "il est sombre, dans ce soleIl qui
l'inonde : on dirait de jeunes époux
qui viennent de perdre leur premier
né et se consolent mélancoliquement
l'un rautre en se promettant de le rem-
placer. Le premier effort de la douleur
passé, Adam et Eve n'ont pas dû chan,
ter autrement le jour de la mort d'Abeï.
Le choeur des - femmes qui sait : Ait
premier sourire d'Eve. — il paraît
qu'elle a souri i je ne m'en suis pas
aperçu — est clair et plein de grâce ;
mais l'effet caractéristique du morceau
est emprunté au chœur des femmes quf
ouvre le troisième acte de Y Africaine*
Cet effet résulte de l'adjonction d'une
mesure explétivé qui surprend par 1.9
retard inattendu qu'elle apporte à la
résolution.
L'air chanté par Eve : 0 nuit! doue*
miit l. ne m'a pas beaucoup satisfait
et m'a fait involontairement songer à
cet autre hymne à la nuit do, Désert d&
Félicien David.
La scène ayep chœurs qui suit et
qui constitue te final a â$la deuxième
Prix du numéro : Paris : 15 centimes. Départements : 20 centimes.
Mardi 22 Mars 1875.
- mm
',
N JOURNAL REPUBLICAIN CONSERVATEUR
V *
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
13, rme ée Lafayette
-
Les lettres non affranchies seront refusées
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PARIS
Trois mois. ; 13 fr.
Six iaoML. 25
Un an. 50
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Trois mois. 16 Cr.
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Annonces, chez MM. LAGRANGE, CUpp et ce .l-
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1 P, i-
On s'abonne à Londres,chez M. JL MAUKICBGÉNÉRAL
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Adresser lettres et mandats à L'Acimini.Orateur
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1. manuscrits non insérés ne seront pas rendus
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Annonce*, chez MM. LAGRANGE, CERF et fi"
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On s'abonne à Londres, chez M. A. MAURICE général
advertising, agent, 13, Tavistockrow, Covont Garden.
Paris, 22 mars isYç/ij,pi;
,
Le vice-président du conseil se félicité
peut-être, à tout prendre, que la séance
de samedi ait été levée si brusquement.
La majorité nouvelle et le ministère ont
évité de la sorte un échange d'explications
délicates. Il reste possible de louvoyer;
heureux dénouement, à en croire une cer-
taine école de politiques, qui. subordonne-
rait volontiers toute sa conduite au désir
de ne pas se compromettre. Le pays
cependant préfère les situations moins
inrléeises. Il n'a trouvé rien de net, mal-
gré les adverbes, dans le fameux pro-
gramme du 12 mars ; et voici l'Assemblée
entrée en vacances sans que le ministère
ait encore écarté les voiles qui ne permet-
tent d'entrevoir que trop confusément ses
dèsseins et son attitude. Le cabinet a donc
maintenant devant lui six semaines au
moins de silence, qui ne seront interrom-
pues que par deux ou trois entrevues avec
la commission permanente. Depuis sa dé-
claration, les amis et les Adversaires du
régime républicain répètent : « C'est aux
actes que nous l'attendons. » Nous pour-
rons bientôt juger des actes. Nous sou-
haitons que le cabinet se décide enfin à
sortir des atermoiements, des incertitude,
et qu'avant peu de jours les actes dissipent
ce que la déclaration, si commeuttie, du
12 mars avait d'ambigu.
S'il pouvait encore hésiter sur la route à
suivre, il nous semble que la voix de l'o-
pinion s'élève avec assez d'ensemble et
d'énergie pour la lui indiquer. L'honorable
M. Buffet n'a qu'à prendre la peine de re-
lire l'allocution, — si claire, celle-là, —
que prononçait samedi M. Laboulaye dans
la réunion du centre gauche. Qu'il écoute
ensuite le concert d'approbations qui, dans
tous les groupes de la gauche et parmi les
libéraux du centre droit, a salué les paro-
les d'un orateur républicain, mais aussi
nettement conservateur que M. Buffet le
peut souhaiter. Ce n'est pas seulement la
République française, ou le Siècle, ou le
Temps, qui ont dit du discours du prési-
dent du centre gaushe : Voilà la vraie po-
litique et le vrai programme. La Presse
elle-même accepte sans restriction les sa-
ges conclusions de M. Laboulaye, et elle
invite le cabinet à s'y conformer : « Levée
de l'état de siège, remplacement des pré-
fets hostiles à la République, préparation
des prochaines élections générales, tels
sont les trois points, écrit-elle, qui parais-
sent surtout nécessaires au nouveau prési-
sident du centre gauche, et dont il attend
du ministère la prompte et complète réa-
lisation. Ce programme est-il de nature à
effrayer M. Buffet ? Nous avons, pour le
croire, une trop haute opinion de son es-
prit politique, une confiance trop grande
dans son libéralisme. » Et plus loin : « Que
le ministère rompe avec ces perpétuelles
hésitations, qu'il adopte enfin an parti,
qu'il accepte le programme fort acceptable,
selon nous, du centre gauche ! Avec une
politique ferme, nette, libérale, il retrou-
vera sa force et l'appui de la majorité. )
Oui, certes, à ces conditions, le minis-
tère peut compter, comme le dit la Presse,
sur l'appui de la majorité. C'est la vérité
pure ; et le seul langage de la Presse, or-
gane accrédité des républicains de raison
qui se sont appelés si longtemps les conser-
vateurs-libéraux, suffirait à le démontrer.
Est-il besoin, du reste, d'être si grand clerc
pour se rendre compte des nécessités qui ré-
sultant de l'état des partes dans l'AsselIlbléc!
i II. ïepéit impossible de comprendre pour-
et commnt M. Buffet se mettrait en
quête de combinaisons inédites pour la
formation d'une majorité. Quelle nouvelle
majorité chercher lorsqu'il en existe une,
et que toutes les autres combinaisons sont
usées ? En se dévouant à la politique, aux
idées qui ont prévalu dans l'Assemblée
depuis un mois, qui ont entraîné le vote
des amendements Wallon, et, par suite,
l'organisation constitutionnelle, M. Buffet
peut être toujours assuré du concours des
gauches et du petit groupe néo-républicain
du centre droit. Voilà désormais la majori-
té. Sans être bien nombreuse, elle est so-
lide; et l'on pourrait, d'ailleurs, mettre
le vice-président du conseil au défi d'en
trouver une autre, meilleure ou pire. Il
faut donc la prendre telle qu'elle est,
pour ce qu'elle est, et s'accommoder de
son programme, que M. Laboulaye a ré-
sumé en termes si précis. Hors de là, il
n'y a plus de majorité quelconque, il n'y a
plus rien. C'est ce que nous avons démon-
tré souvent, et ce que les événements dé-
montrent encore mieux chaque jour. Que
M. Buffet désire attirer à lui et se concilier
tout ce qu'il pourra de ses collègues des
anciens partis monarchistes, rien de plus
naturel et, jusqu'à un certain point, rien
de mieux; mais ce qu'il ne doit jamais
perdre de vue, c'est que l'appui de tous les
républicains est indispensable au minis-
tère pour se maintenir, pour arriver sûre-
ment et honorablement à l'élection des As-
semblées nouvelles, et que l'appui des ré-
publicains ne peut s'obtenir qu'à la condi-
tion assez naturelle de gouverner, non pas
contre eux, mais avec eux.
EUG. LItBERT.
- i. i - • — —
1
L'ITALIE
AUTOUR 13 U PAPE
Sans croire que jamais la querelle du
pape et de l'empereur nous ramène au
douzième siècle et fasse refleurir le
moyen âge dans le sang, il est permis
au spectateur de sang-froid, qui n'est
ni piétiste, ni papiste, de philosopher
sur cette grave question.
A l'heure où nous parlons, il n'y a
qu'un prince en Europe qui ose te-
nir tête aux omnipotents de Berlin.
Demain, peut-être, il y en aura deux ;
mais aujourd'hui Pie IX est seul contre
le vainqueur du Danemark, de l'Au-
triche et de la France. Un vieillaid
désarmé ne craint pas de déclarer
nulles et de nul effet les lois ecclésias-
tiques que l'on promulgue au nom de
l'empereur Guillaume; il signa ouver-
tement un traité d'alliance avec les mé-
contents de la Prusse ; il n'a pas craint
de braver M. de Bismarck en donnant
le thapeau de cardinal à l'archevêque
de Posen, M. Ledochowski, détenu
dans les prisons toujours hospitalières
du grand-chancelier.
Le terrible homme d'Etat qui, de-
puis dix ou douze ans, n'a pas ren-
contré une résistance sans la briser,
ne sait comment fermer la bouche au
saint-père. Si ce vieillard couronné
possédait quelques provinces, on les en-
vahirait ; s'il lui restait une place forte,
on la bombarderait ou on la réduirait
par famine ; s'il avait des sujets, on
leur donnerait plusieurs mois pour émi-
grer en masse ou devenir Allemands.
Mais le pape n'a plus qu'une âme pour
vouloir, une langue pour parler, une
main pour écrire. Et comme il est logé
au cœur de "l'Italie, cloîtré spontané-
ment dans un presbytère inviolable
qui s'appelle le Vatican, protégé par
une garde de vingt-cinq millions d'hom-
mes qui répondent de sa vie et do sa
liberté à plus de cent millions de ca-
tholiques, aucun pouvoir humain ne
saurait l'empêcher de dire ce qu'il croit
vrai et de faire ce qu'il croit bon.
On sait comment le peuple et le roi
d'Italie sont devenus les gardiens du
pontificat. Victor-Emmanuel et les Ita-
liens sont catholiques, mais ils ne sont
point cléricaux : ils respectent l'auto-
rité du prêtre dans l'Eglise ; ils condam-
nent énergiquement son intervention
dans l'Etat. L'émancipation absolue de
la société laïque et l'entière liberté des,
consciences et des cultes, l'Eglise libre
dans l'Etat libre : tel était le rêve de
Cavour. Les successeurs de ce grand
homme en ont fait une réalité. Toutes
les nations catholiques du globe ten-
dent au même but et s'inspirent du
même esprit. Voilà pourquoi, en octobre
1870, Victor-Emmanuel a pu prendre
possessieh da sa capitale sans sou-
lever dans le monde politique une
seule protestation. Si l'immixtion du
prêtre dans la société civile était uni-
versellement condamnée, on blâmait à
plus forte raison le maintien artificiel
et violent de cette théocratie surannée
qui faisait des Etats de l'Eglise un mo-
dèle de mauvais gouvernement.
Mais, en revanche, il semblait juste
et nécessaire à tous les catholiques, je
dirai plus, à tous les êtres intelligents,
que le chef spirituel de tant de millions
d'âmes fût le plus indépendant des
hommes et le plus honoré des princes.
L'âge de Pie IX, ses vertus, les souve-
nirs du mouvement libéral et patrioti-
que dont il fut un moment le promo-
teur, tout écartait l'idée de déchéance.
Depuis longtemps la souveraineté tem-
porelle n'existait plus que de nom : on
n'est pas vraiment roi lorsqu'on règne
malgré son peuple, à la faveur d'une
occupation militaire et sous le bon plai-
sir d'un protecteur étranger. Victor-
Emmanuel , en se substituant à Napo-
léon III comme gardien du saint-père,
entendit que le chef de l'Eglise n'eût
rien à regretter. Le Parlement, d'ac-
cord avec le roi, vota, en mai 1871,
cette fameuse loi des garanties, que
tous les cléricaux du monde ont sa-
luée de leurs imprécations, et que
peut-être ils béniront bientôt; car ja-
mais loi ne fut mieux nommée; Vau-
ban, lui-même, n'a rien construit de
plus solide que ce texte de quatre pa-
ges : ce chiffon de papier est une for-
teresse à l'épreuve du canon Krupp.
En 1871, le législateur italien était à
mille lieues de prévoir que son travail en
19 articles abriterait un jour le souve-
rain pontife contre la mauvaise humeur
d'un roi protestant. Il ne songeait qu'à
prodiguer à tous les catholiques de l'Eu-
rope et du monde des sûretés contre
lui-même. Les derniers mots de l'émi-
nent rapporteur, M. Bonghi, aujour-
d'hui ministre de l'instruction publique,
résument tout l'esprit de la loi. Il s'agit,
dit-il, d'ouvrir les yeux à l'Europe ; il
s'agit de lui faire comprendre efcadopter
cette double résolution de la Chambre
et du pays : que le siège du gouverne-
ment doit être à Rome et qu'à Rome le
pontificat doit exercer , comme autre-
fois, sa direction spirituelle sur le monde
catholique, en toute liberté et sécurité.
L'article lr déclare que la personne
du souverain pontife est sacrée et in-
violable; l'article 2 assimile les atten-
tats contre sa personne aux crimes de
lèse-majesté; l'article 3 assure au pape
les honneurs souverains et lui permet
d'entretenir autour de lui la force ar-
mée qui le gardait autrefois. L'article 4
lui assigne une liste civile de 3,225,000
livres en rente perpétuelle et inalié-
nable; l'article 5 lui cède en usufruit
le Vatican, Saint-Jean-de-Latran, la
villa de Castel-Gandolfo avec leurs
attenances et dépendances.
Aux termes des articles 7 et 8, au-
cun officier de l'autorité, aucun agent
de 15u force publique dans l'exercice de
ses fonctions ne peut entrer chez le
pape ; il est interdit de procéder à au-
cune visite, perquisition, saisie de pa-
piers, de registres ou de documents
dans les bureaux et congrégations du
saint-ÛÓge. L'article 9 dit que la souve-
rain pontife est pleinement libre d'ac-
complir toutes les fonctions de son mi-
nistère spirituel et d'en faire afficher
les actes aux portes des basiliques et
églises de Rome.
Le pape (article 12) correspond libre-
ment avec l'épiscopat et tout le monde
catholique sans aucune ingérence du
gouvernement italien. A cet effet, il a
le droit d'établir dans ses résidences
des bureaux de poste et de télégraphe
desservis par des employés de son
choix. S'il lui plaît de confier ses u let-
tres aux transports de l'Etat, il e$t
exempt de toute taxe et de toute dé-
pense ; son télégraphe est relié gra-
tuitement aux lignes italiennes, qui ex-
pédient ses dépêches gratis.
Cette loi, librement votée par les
deux Chambres et promulguée par le
roi, engage l'Italie envers le pape et
envers là catholicité. La nation a pro-
mis non-seulement de respecter, mais
de faire respecter la personne et la li-
berté du saint-père ; elle ne peut sans
félonie abandonner Pie IX aux violences
de ses ennemis, quels qu'ils soient.
Il est vrai que Pie IX, jusqu'à pré-
sent, n'a pas ratifié la loi des garan-
ties ; il a même protesté contre elle en
mainte occasion. La dotation de 3 mil-
lions 225,000 fr. lui a été portée jusque
dans son palais, et il en a refusé l'offre
réelle. Son acceptation du nouveau ré-
gime est purement passive : il reste
au Vatican, il n'a pas émigré, voilà
tout. Mais quelques actes de mauvaise
humeur, bien excusables chez un vieil-
lard dont on change les habitudes,
peuvent-ils infirmer une loi de l'Etat ?
La loi des garanties n'a pas été votée
au profit d'un seul homme; elle est
faite pour tous les [successeurs de
Pie IX, qui peut-être, n'ayant jamais
tâté du pouvoir temporel, s'en prive-
ront sans trop de regret. Un peuple
loyal n'a qu'une parole, et les Italiens
ne se croient pas relevés de leurs
promesses par quelques rebuffades ;
ils demeurent bel et bien engagés à dé-
fendre le saint-père comme s'il était
leur propre roi. ¿
Devant l'Europe aussi, la loi des ga-
ranties présente un peu les caractères
d'un contrat unilatéral. Si le gouverne-
ment italien s'est réservé le droit de la
prendre pour base de traités interna-
tionaux et si la Chambre l'a permis
par 191 voix contre 109, le. 21 mars
1871, il faut bien reconnaitre que ces
traités n'existent encore qu'à l'état vir-
tuel. Mais il n'est pas douteux que tous
les catholiques de l'Europe et du Nou-
veau-Monde n'aient pris acte des enga-
gements du peuple italien. Ils ne les
ont ni réclamés ni sollicités, mais ils
les ont reçus, puisque la loi est dédiée
pour ainsi dire à la conscience du
monde catholique par son éloquent
rapporteur.
Il est d'usage et de raison que le
corps diplomatique assiste aux débats
parlementaires dans les capitales où il
est accrédité. Lorsque les Chambres
italiennes votèrent la loi des garanties,
l'empereur d'Allemagne était repré-
senté à Rome; il n'éleva aucune objec-
tion contre ces libertés que l'Etat con-
cédait noblement à l'Eglise. Une amitié
sincère unissait alors RomA pt Rerlin.
et les profonds politiques du Nord ne
songeaient qu'à la rendre plus étroite.
Il semblait même, qu'un intérêt commun
associât les deux, puissances alliées
contre les prétentions du Vatican.
Mais la suite des événements a prouvé
que, dans leurs relations avec la pa-
pauté, l'Allemagne et l'Italie ne par-
taient pas du même principe et ne pou-
vaient arriver au même but. De ces
gouvernements amis, l'un, est sincère-
ment libéral et l'autre franchement
autoritaire. Au Quirinal, on n'a jamais
voulu que la séparation de l'Eglise et
de l'Etat; à Potsdam, on veut que l'Etat
soit maître absolu de l'Eglise.
Le roi Victor-Emmanuel, pas plus
que l'empereur Guillaume, n'a jamais
eu à se louer du clergé catholique ; le
pape, les évêques, les jésuites et les
simples curés les mettent volontiers
dans le même sac. Ils sont damnés pa-
rallèlement et chargés de malédictions
identiques. Mais le roi ne s'émeut de
rien ; il vit tranquille, en homme qui a
fait-la part du feu et parqué les hommes
d'Eglise dans le. domaine spirituel; tan-
dis que l'empereur s'obstine à régner
sur les âmes et à les faire marcher au
pas comme de simples troupiers. Voilà
comment les. foudres de la Curie ro-
maine, assez indifférentes à Victor-
Emmanuel, "ont fini par devenir intolé-
rables à son victorieux ami.
Quant à nous, comme Français et
comme libres-penseurs, nous ne sau-
rions prendre parti dans la querelle de
l'empereur piétiste et de ses sujets ca-
tholiques. Le catholicisme et le protes-
tantisme allemands se valent aux yeux
du philosophe et du citoyen : ils sont
aussi libéraux et aussi français l'un que
l'autre. La minorité catholique de l'em-
pire allemand ne nous veut pas plus
de bien que la majorité protestante :
papistes et huguenots faisaient un tout
parfaitement homogène dans cette forte
armée qui nous a envahis, brûlés, ran-
çonnés. et démembrés. Ni l'histoire, ni
la légende n'ont établi qu'un seul de
nos vainqueurs eût épargné ua catho-
lique français pour l'amour du catho-
licisme. M. de Bismarck peut donc faire
en Allemagne autant de martyrs qu'il
le jugera bon, sans que nous en pre-
nions le deuil.
Mais comme membres de la commu-
nauté européenne, nous prenons un vif
intérêt au débat qui s'est élevé entre
l'Allemagne et l'Italie. Les avocats du
giand-chancelier remplissent les jour-
naux d'arguments plus ou moins spé-
cieux qui tendent tous à la violation ou
à l'abrogation de la loi des garantes.
Notre devoir, comme notre intérêt, est de
les réfàter à mesuré qu'ils se produi-
sent.,. Il y va non-seulement da l'indé-
pendance italienne, mais de la dignité
et du salut de l'Europe. Quand la Ça-
zette nationale de Berlin prétend que
les Italiens ont le droit d'imposer si-
lence au pape, de saisir ses papiom de
couper ses communications avec l'épis,
copat.et le clergé catholique du monde,
nous devons remettre en lumière les
articles 7, 8, 9 et 12 de la loi. Lors-
qu'on affirme que le roi Victor-Emma-
nuel est responsable des actes du saint-
pèré, son sujet, nous devons insister
sur les articles 1 et 3, qui déclarent
la personne du pontife inviolable et sa..
oréa, qui le confirment dans son titre
de souverain et lui maintiennent même
la prééminence d'honneur, reconnue en
sa faveur par les souverains catholi-
ques. Et quand un journaliste allemand
nous dit que la loi des garanties pour-
rait être abrogée par les Chambres
comme n'importa quelle autre loi, nous
demandons si l'Italie pourrait faire une
telle concession sans s'annexer morale-
ment à la Prusse ?
Mais, Dieu merci! l'Italie paraît fer-
mement résolue à persister dans cette
ligne droite que ses plus grands hommes
d'Etat lui ont tracée. jAprès avoir con-
quis son indépendance, elle la justifiera
aux yeux du monde entier par une po-
litique à la fois prudenteet noble. Elle
ne court, aucun danger ; si quelques
publicistes allemands s'amusent à la tâ-
ter, nul ne songé" à lui faire violence.
Un peuple a toujours le droit d'être
honnête, fidèle à ses engagements et
libéral. Peut-être, en agissant ainsi, ne
contentera-t-il pas tout le monde, mais
l'opinion de cent millions d'hommea
fera comme une seconde frontière au*
tour de lui..
ABOliT.
Un jour nous vîmes, dans une usine, un
marteau-pilon de pas mal de milliers de
kilogrammes qu'un rien suffisait à mettre
en mouvement ; le bout du petit doigt fai-
sait aller, venir ce monstre, le dirigeait à sa
guise. Il y avait là de quoi faire tomber en
extase plusieurs générations de mécani-
ciens. Seul, un vieux philosophe ne sem-
blait pas partager l'admiration générale, et
nous l'entendîmes même murmurer tout
bas : « Peu h ! il y a mieux que cela dans la.
vie ordinaire ! »
Nous n'avons réellement saisi la portée
de l'exclamation du vieux philosophe qu'en
lisant la description suivante, fournie par
un de nos confrères, généralement bien in-
formé, relativement au plus important
rouage politique du pays:
Il paraît démontré que des obstacles ma.
tériels s'opposent invinciblement à Installa-
tion de deux Assemblées. à Versailles avant
Feuilleton du XIX* SIÈCLE du 23 Mars 1875
Causerie Dramatique
CIRQUE DES CHAMPS-ELYSÉES. - Eve, mystère
en trois parties, poème de M. Louis Gallet,
musique de M. Massenet.
M. Massenet Tient d'obtenir un suc-
cès au cirque des Champs-Elysées. Eve,
mystère, poëme de Louis Gallet, a été
exécuté jeudi au deuxième festival de
la Société de l'harmonie sacrée. L'or-
chestre et les chœurs dirigés par M.
Charles Lamoureux ont fait merveille.
Je ne veux rien diminuer du mérite'
du compositeur ; mais- les musiciens
auraient vraiment bien tott de se plain-
dra du public qui ne m'a jamais: paru
d'humeur plus accommodante qu'en ce
temps-ci. Je suis on ne peut plus
frappé, et charmé, cela va sans dire,
du parti pris dé bienveillance qu'il
manifeste en toute rencontre, et il
faut vraiment être bien abandonné
de la muse ou l'objet d'une persécution
fatale de la male chance, pour ne pas-
obtenir un bill de satisfaction et un vote
do confiance de la foule bénévole qui se
presse aux exécutions musicales. Les
succès s'achètent à bon marché.
Je suis d'autant plus heureux de la
réussite de Y oratorio de M. Massenet
que j'ai un reproche' à me faire à l'en-
droit de ce compositeur. Dans mon der-
nier feuilleton, j'ai commis un lapsus au
préjudice dudit, en lui enlevant la
gloire de la paternité de Don César de
Bazan, pour en orner le char, médio-
crement triomphal, de l'auteur de Ga.r'
nten.
i MM. Bizet et Massenet sont de la
même école et ont entre eux plus d'un
point de contact et de ressemblance:
on peut s'y tromper ; mais il n'est que
juste de rendre à César ce qui appar-
tient à César.
La confusion est de peu d'importance
en somme, et l'on serait heureux de
n'en commettre jamais de plus grosse.
Ceux dont la mémoire est mauvaise,
comme ceux qui l'ont excellente, peu-
vent s'y trouver pris, et je me rappelle
toujours avec une satisfaction secrète
et un consolant retour ce feuilleton,
jadis célèbre, de Jules Janin, où le
prince de la critique, confondant Vil-
lars et Catinat, faisait sans hésita-
tion triompher à Denain ce dernier,
mort depuis trois mois, au détri-
ment du vainqueur du prince Eugène,
du sauveur de la monarchie. C'était
autrement grave. La mémoire a de ces
perfidies.
Je me rappelle, à propos d'erreur,
— et celle-ci en est une bien légère, —,
une conversation que j'eus un jour avec
l'excellent et spirituel M. Viennet. Cet
honnête'académicien avait en répétition
à l'Odéon une tragédie en un acte in-
titulée Selma. La scène se passait en
Crimée, le sujet était" moderne, et fami-
lier dans une certaine mesure. Je n'é-
tonnerai personne sans doute en disant
quo le style en était quelque peu su-
ranné. Quelques mots particulièrement
accentuaient encore ce caractère et
rompaient le tour naturel que l'auteur
avait quelquefois cherché à donner au
dialogue. Avec tous les ménagements
imaginables et tous les témoignages de
déférence possibles, j'osai proposer à M.
Viennet de remplacer ces mots par
quelques vocables plus simples : il prit
mal l'observation et répondit avec une
certaine vivacité. Malgré ses quatre-
vingts ans, il était d'un esprit ardent
et vif : je m'inclinai respectueuse-
ment; mais j'avais ma revanche en
poulie.
— Au moins, lui dis-je, cher et illus-
tre maître, ne m'accorderez-vous point
de mettre au. masculin le mot « steppe »,
que vous avez fait féminin par mé-
garde ?
- Mais stéppe est un mot féminin,
il en a bien le caractère.
— Je ne dis pas non, et je sais que
plusieurs en ont pensé ainsi; mais vous
êtes académicien et l'Académie a dé-
crété, sans nous dire ses raisons, sslon
son habitude, que le mot serait mascu-
lin. Elle a fait comme les marchands
de billets ,à la porte des théâtres, qui
tous les soirs, de leur autorité privée,
offrent au public « un stalle », moins
cher qu'au bureau.
Le spirituel vieillard prit le parti de
rJ.le et s'exécuta de bonne grâce.
Les erreurs des grands sont la con-
solation des humbles.
Je ne sais pas ce 'que l'auteur de
Selma penserait de Y Eve de M. Louis
Gallet ; pour moi, je trouve ce petit
poëme charmant. Parfaitement disposé
pour la mise en œuvre musicale, et
mâchant pour ainsi dire la matière au
compositeur, il est écrit d'une façon
élégante et distinguée, qui n'exclut ni
l'élévàtion ni l'ampleur.
Les mots sont heureusement choisis,
s'onores,colorés,musicaux; ils appellent
la note, — trop souvent en vain — et
semblent souffler d'eux-mêmes dans
l'aile de l'inspiration pour l'aider à pren-
dre son essor.
On me permettra de citer, comme
exemple, ces vers que le poète met dans
la bouche d'Eve innocente et troublée.
Elle a quitté l'homme endormi. Elle mar-
che rêveuse dans la solitude de la fo-
rêt paradisiaque, sous le 'ciel resplen-
dissant d'étoiles. Frémissante et char-
mée, elle écoute les voix de la nuit,
nuit chaude et parfumée, qui planent
autour d'elle, et dit :
0 nuit pleino de murmures !
Quels parfums pénétrants jusqu'à moi sont venus?
Quels souffles éveillésf dans les sombres ramures
Font passer sur ma chair des frissons inconnus f
Le ciol est lumineux, et laforèt superbe
Entrouvre devant moi ses vastes profondeurs.
La lune claire fait étinceïer dans l'herbe
Les insectes ailés courant parmi les fleurs.
Cette nuit odorante et chaude me pénètre.
Loin de l'homme endormi qui dQUO m'égare ici ?
0 nature, apprends-moi le secret de mon être 1
0 nature, dis-moi ce qui me trouble ainsi 1
Ces jolis vers-là peuvent se passer de
musique ; ils chantent tout seuls.
Pour dire toute ma pensée, je ne
trouve pas que la partition réponde
suffisamment à ce que fait augurer la
lecture du poème. Je ne parle ici ni de
la somme de talent employée, ni du
système de composition. La chose pro-
cède évidemment de Gounod : il y ap-
plaudissait fortement. Il se sentait en
pays de connaissance et saluait au
passage la poussière des diamants qu'il
a su tailler de main de maître et dont
nous admirons l'éclat : l'œuvre de M.
Massenet en est toute saupoudrée. Mais
je n'y vois, pour mon compte, rien d'o-
riginal ni de bien saisissant. Je dirai de
M. Massenet, comme de M. Bizet : plus
de talent que de puissance. La phrase
manque ou reste noyée dans la pâte et
ne s'en dégage point. Je lui voudrais
voir çà et là percer l'épaisse frondaison
des harmonies et jeter sa clarté, comme
le rayon de soleil traversant les ra-
meaux enchevêtrés et feuillus des
grands arbres. La phrase, c'est l'idée,
et, ici, les idées sont plus rares que les
petits pois verts qui flottent épars et
clair-semés dans un potage à la Saint-
Germain.
Le prologue, l'introduction et le
chœur qui ouvrent la première partie
de l'oratorio m'ont paru absolument or-
dinaires.
En revanche le prélude de la pre-
mière scène d'Adam et d'Eve est fort
joli ; mais la scène elle-même est d'un
caractère triste et monotone. C'est ici
que se produit pour la première fois le
signe de l'absence du sentiment de l'ap-
propriation de la musique aux situa-
tions, dont M. Massenet na semble
guère avoir plus de notions que son
émule M. Bizet, à qui j'ai adressé le
même reproche.
Ce n'est point que ee sens leur man-
que, disent les adeptes de l'école; mais
ils le dédainnt: Je n'acceptepas cette
fin de non-rècevoir : du moment que
ces messieurs, - eux et tous leurs con-
génères d'ailleurs, — prennent un point
d'appui sur des paroles ou entrepren-
nent de traduire une action dramatique
quelconque, j'ai le droit de leur de-
mander l'expression juste, et de m'ir-
riter des contre-sens. Qu'ils fassent
des symphonies, s'ils refusent de s'as-
servir à une précision relative daùs
l'interprétation d'un sentiment, d'une
passion, d'une situation active ; là,
je n'aurai rien à dire, tant pis pour
moi si ma conception personnelle et
arbitraire me trompe, si mon ima-
gination m'égare et si je fais comme
cet amateur dont parle Théophile Gau-
tier, qui, « entendant une symphonie
pastorale, qu'il prenait pour Y Oratorio
de la Passion, plaçait le dernier soupir
de Jésus mourant à l'endroit où le com-
positeur avait voulu rendre le chant de
la caille dans les blés. »
Des voix mystérieuses tirent Adam
du sommeil miraculeux pendant lequel
la création de la femme syest accom-
plie :
Homme, tu n'es plus seul ! lève-toi, lève-toi 1
• ••• •• •«, • « * f « •
L'homme s'éveille ! il écoute
Ces voix lui parlant dans l'immensité,
Et voici que la femme apparaît sur sa route,
Resplendissante de beauté t
Ces deux êtres se contemplent, éton-
nés, émus, charmés, souriants; comme
dit le poète :
Ignorants de la vie et des douleurs futures,
« L'âme en fête ! » Ils s'admirent et
se regardent avec des curiosités d'en-
fants :
ADAM
Ton visage est brillant comme la fraîche aurore,
Tes eux bleus sont pareils à l'azur de la mer.
l
EVE ,
C'est d'un reflet du ciel que ton front se colore.
Je vois dans tes régards luire un vivant éclair.
ADAM
Teslong3ch«vëùx dor^a, py Ha soleil f,'arrête.
Inondent eomme un flot la blaneheur de to* w».
EVE.
Pour regarder vers toi, je dois lever 1* tète.
Et danl ta forte main jl. seaa treœblq ma xn&in.
ADAM
Que tea sourire est pur 1
SYB
Que ta garnie ut douee !
ENSEMBLE
Autour de nous respire-une éternelle paix.
Sous les arbres en fleurs, par les sentiers de moussa
Veux-tu que nous allions sans nous'quitterJamaisr
La musique de ce joli colloque, - bien
loin de faire présager le futur triomphe
du démon, semble faite tout exprès
pour le porter en terre.
Ce couple tout d'innocence et vivant
d'une vie toute superficielle , qui ne
connaît que l'instant présent et la sen
sation meme que cet instant lui donne,
on le, dirait accablé de soucis ; il est
triste, "il est sombre, dans ce soleIl qui
l'inonde : on dirait de jeunes époux
qui viennent de perdre leur premier
né et se consolent mélancoliquement
l'un rautre en se promettant de le rem-
placer. Le premier effort de la douleur
passé, Adam et Eve n'ont pas dû chan,
ter autrement le jour de la mort d'Abeï.
Le choeur des - femmes qui sait : Ait
premier sourire d'Eve. — il paraît
qu'elle a souri i je ne m'en suis pas
aperçu — est clair et plein de grâce ;
mais l'effet caractéristique du morceau
est emprunté au chœur des femmes quf
ouvre le troisième acte de Y Africaine*
Cet effet résulte de l'adjonction d'une
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retard inattendu qu'elle apporte à la
résolution.
L'air chanté par Eve : 0 nuit! doue*
miit l. ne m'a pas beaucoup satisfait
et m'a fait involontairement songer à
cet autre hymne à la nuit do, Désert d&
Félicien David.
La scène ayep chœurs qui suit et
qui constitue te final a â$la deuxième
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