3* Année. - N' 741
Pin DV NOIIDO : PABII 15 CBHTIMBI — Dirianum 20 CENTIMM.
Mercredi 26 Novembre 1873.
-—
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
,
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- JOURNÉE POLITIQUE
/)aris, 25 novembre 1873.
Au commencement de la séance d'hier,
M. le duc de Broglie a lu un court mes-
sage de M. le président de la République,
remerciant la Chambre de la marque de
confiance qu'elle lui a donnée en votant la
prorogation ne ses pouvoirs. « Vous trou-
verez toujours en moi, dit le maréchal, un
soutien de l'ordre et un fidèle exécuteur des
volontés de l'Assemblée nationale. » L'in-
terpellation du centre gauche est venue
ensuite. MM. Léon Say et Bethmont l'ont
développée avec vivacité et avec force; M.
Beulé, puis M. le duc de Broglie en per-
sonne ont répondu au Fom du minis-
tère , assez pauvrement, comme on le
verra. L'ordre du jour pur et simple a été
voté par une majorité de 50 voix ; le ca-
binet a 18 voix de moins que le maré-
chal de Mac-Mahon. Succès relatif. Au
reste on va trouver plus loin le compte-
rendu et l'appréciation de la séance. Quant
aux changements ministériels, nous serions
fort embarrassés de dire ce qu'ils pourront
être, et, s'il .faut en croire la rumeur pu-
blique, à cette heure même, le gouverne-
ment ne le serait pas moins. Toutes 1 s
combinaisons examinées offrent des diffi-
cultés presque, insurmontables. Comme on
l'a fait remarquer justement, c'est une
œuvre bien difficile que de gouverner con-
tre une minorité de 300 voix, sans compter
le pays !
D'après une dépêche de Philadelphie
que Y American Register communique aux
journaux, le gouvernement des Etats-Unis
aurait résolu d'imposer à l'Espagne, pour
terminer l'affaire du Virginius, les condi-
tions que voici : 1° Faire des excuses pour
l'insulte que les Etats-Unis ont reçue ;
28 restituer aux Etats-Unis le Virgi'nius
avec. tout ce qui a survécu des passagers
et de l'équipage ; 3" indemniser les famil-
les des prisonniers exécutés et remettre les
auteui s des exécutions entre les mains des
autorités américaines ou les punir; 4° res-
tituer aux sujets américains les biens qui
leur ont été confisqués à Cuba.
Si telles sont en réalité les conditions
des Etats-Unis," elles paraîtront inaccep-
tables à quiconque voudra juger de bonne
foi cette-affaire cubaine. Autant vaudrait
déclarer sans ambages que l'on veut pro-
fiter de la faiblesse de l'Espagne pour met-
tre la main sur Cuba, que l'on convoite de-
puis longtemps. Que signifierait sans cela
"tet arrogant ultimatum? Vraiment, les
Etats-Unis ont bonne grâce à s'ériger ainsi
en protecteurs acharnés de quelques for-
bans ! Ils prétendent venger, disent-ils, les
droits de leurs nationaux et, qui plus est,
l'humanité outragée par une exécution san-
glante. Sanglante ! on voudrait bien savoir
quel moyen de s'y prendre pour qu'une
exécution ne le soit pas? Sanglante ou
.!lOB, d'ailleurs, il n'importe guère, si
l'Espagne a usé comme elle l'a voulu d'un
droit de défense légitime; et l'affaire du
Virginius n'est pas autre chose. Les Amé-
ricains allégueront l'amour de l'humanité,
la protection de leurs nationaux, etc.,
mais -ils ne donneront point le change : il
n'y a pour eux, dans tout ceci, en fait
d'amour, que l'amour de Cuba.
Au reste, nous ne' voulons pas croire
que VAmerican Régit ter soit exactement
renseigné. Le congrès des Etals-Unis ou-
vrira sa session le lu décembre, et jus-
que-là rien de décisif ne peut être fait.
L'Espagne, en attendant^ témoigne de
tout son désir de clore amiablement, mais
honorablement, cette querelle. Elle met
tous les amis de la modération et du bon
droit de son côté. L'Angleterre, cependant,
qui avait pris feu plus que de raison aux
premières nouvelles, parce qu'une dou-
zaine d'Anglais se trouvaient au nombre
des corsaires exécutés, l'Angleterre est re-
venue à des sentiments plus équitables et
plus politiques. Et quel intérêt aurait-elle
h voir la perle des Antilles devenir, de
colonie espagnole, possession américaine?
Elle propose un arbitrage. Voici l'un des
cas, en effet, où l'arbitrage est la seule is-
sue raisonnable; si l'Angleterre le veut,
comme elle doit le vouloir, elle mettra les
Etats-Unis dans l'obligation de l'accep-
ter.
, - - EUG. LIÉBERT.
—+ —————-———
On se rappelle qu'au début de la cam-
pagne de 1870 nous disions tous que les
Bavarois ne tarderaient pas à déserter le
drapeau prussien. Après Wissembourg et
Reichshoffen il se trouva qne les Bavarois
étaient devenus plus Prussiens que les
Prussiens eux-mêmes. L'humanité est
ainsi faite ; elle s'agite, le dieu Suecès la
mène.
- Nous croirions faire dajure à l'Assem-
blée nationale en la félicitant d'avoir réagi
contre un entraînement de cette nature,
et d'avoir ainsi déjoué les calculs de ceux
qui, ?e basant sur les 68 voix de majorité
obtenues en faveur de la prorogation,
annonçaient que le ministère sortirait
victoripux de l'interpellation du centre
gauche avec 80 ou 100 voix de majorité.
Ce n'est pas à dire que notre inten-
tion soit de diminuer en aucune façon
le succès d'estime que viennen t de rem-
porter M. le duc de Broglie et M. Beulé. A
cinquante voix de majorité, il a été dé-
cidé que la conduite du cabinet pen-
dant les vacances avait été irréprocha-
ble ; c'est pour le mieux, mais il importe
grandement au pays de savoir sur quels
arguments se sont appuyés MM. les mi-
nistres pour réfuter les reproches que
le parti républicain s'est permis de leur
adresser. - <
• sa -qoaïïté
de ministre de l'intérieur, qui a revendi-
qué l'honneur de répondre à M. Léon
Say au sujet de la non-convocation des
collèges électoraux. Tout a été dit sur
le compte de M. Beulé, et l'on croirait
vraiment qu'il s'était donné pour tâche,
hier, de* justifier les appréciations por-
tées sur lui par ses amis aussi bien que
par ses adversaires. On a toujours envie;
quand on l'entend parler, de lui dire en
parodiant un mot célèbre : Laissez la
politique, et dissertez sur les beaux-arts.
Malheureusement, il n'a point du tout
l'air de se douter que l'administration
française se puisse passer de ses services;
il a même dû, comme il arrive presque
toujours en pareil cas, se prendre au
sérieux dans son rôle d'homme d'Etat,
si bien qu'aujourd'hui on le ferait à coup
sûr renoncer plus aisément aux beaux-
arts qu'à la politique, de même qu'on
eût plutôt arraché à Ingres ses pin-
ceaux que son violon. -
M. le ministre de l'intérieur avait eu du
temps devant lui peur préparer sa ré-
ponse à M. Léon Say ; aussi en a-t-il
abusé pour apporter à la tribune les dé-
veloppements d'une interpellation qu'il
avait eu l'idée, au temps jadis, d'adres-
ser au gouvernement de M. !rs. M.
Beulé, on le voi êt en progrès; ii se
forna^ elC'est aux maîtres qu'il emprunte
ses procédés de discussion. Le grand
art, en effet, le sublime du genre où ex-
cellait autrefois M. Rouher, où M. le duc
de Broglie se fait remarquer aujour-
d'hui, est d'attaquer toujours et de ne
parer jamais. y
Mais nous flatterions M. Beulé outre
mesure si nous lui disions que son coup
d'essai est un coup de maître. Sans doute
la théorie consiste bien dans ce que
nous venons de dire; mais la mise en
pratique n'est pas à la portée de tout
le monde, comme le semble croire M.
Beulé. Il y faut une certaine dose d'ha-
bileté, - de ruse même, sans compter ce
je ne sais quoi qui n'est point l'éloquence,
mais qui suffit lorsqu'on s'adresse à
une majorité dont la seule ambition est
de pouvoir affirmer sans rire qu'elle a
été convaincue. - ,'"
M. Beulé s'est contente de répondre à
M. Léon Say : « Et vous donc! Est-ce que
vous avez convoqué les colléges électo-
raux ata. fur et à mesure dès vacances,
lorsque vous étiez au pouvoir ? » L'ho-
norable président du centre gauche,
prévoyant l'objection, avait eu soin d'y
répondre, mais à défaut de M. Léon.
Say, le bon sens suffisait à faire com-
prendre au ministre de l'intérieur
que les fautes de ses prédécesseurs ,
en admettant qu'il y ait eu des fautes
commises, ne constituaient pas au
gouvernement nouveau le droit de les
commettre à son tour. Autrement, à
quoi bon le 24 mai ? A quoi bon donner
un portefeuille à l'une des lumières de
la France,- à l'illustre M. Beulé, s'il ne
devait pas faire mieux que ses prédéces-
seurs? Mais il faut tout dire, le cas était
grave; il fallait prouver à la France que
si l'on n'avait pas voulu remplit les vi-
des de l'Assemblée , ce n'était point,
comme l'ont prétendu les méchantes
langues, pour conserver aux monar-
chistes la majorité qu'ils croyaient avoir.
Nous comprenons que M. Beulé ait jugé
la tâche au-dessus de ses forces.
Quant à M. le duc de Broglie, appelé
à. la, tribune par un discours très-ferme
de l'honorable M. Bethmont, il a rem-
placé, suivant l'habitude, les arguments
par des déclamations. Sommé de s'ex-
pliquer sur le discours d'Evreux, il a
parlé de l'ordre social en péril, des
théories révolutionnaires, - des passions
démagogiques du feu et du pétrole !
C'est toujours le même système. On
veut gouverner contre vents et marées,
on veut à tout prix conserver le pouvoir
que le hasard des circonstances vous a
fait tomber entre les mains, et comme
on ne peut gouverner par la persuasion,
on gouverne par la peur.
La peur, voilà le grand cheval de ba-
taille do nos hommes d'Etat, leur pre-
mier et dernier argument, leur ultmia
ratio. Il faut, coûte que coûte, entretenir
dans les esprits les plus tristes souve-
nirs, et leur faire croire aux plus ef-
frayants présages ; il faut faire trembler
parce qu'il faut faire voter. Voilà pour
l'Assemblée. -
Et dans le pays, quel effet espère-t-on
produire par ce système de dénigrement
perpétuel, par ces attaques, et disons-le,
par ces provocations sans cesse renou-
velées ? Comme on le disait hier à M. le
duc de Broglie : « Si ce n'est pas aux
républicains de l'Assemblée, à qui donc
s'adressent vos menaces et vos outrages ?
A qui, si ce n'est à nos électeurs ? » En-
core une fois qu'espère-t-on ? Le pays est
tranquille; ni la révolution du 24 mai, ni
les entreprises monarchiques qui en ont
été la suite, rien n'a pu le faire sor-
tir de son calme, rien n'a pu lui faire
oublier le respect de la loi.
Et c'est avec des paroles de haine et
de menace que vous répondeE à tant de
sagesse et de résignation ! C'est mal;
mais quelque chose au moins nous con-
sole : c'est inutilo. Les ministres pas-
sent, les injures s'oublient, mais le droit
reste, et c'est sur le droit, non sur la
peur," qu'on fonde les gouvernements
durables.
E. SCHNERB.
"Y MESSAGE
DU PRÉSIDENT DE.LA RÉPUBLIQUE
- Messieurs,
Je tiens à vous exprimer ma vive recon-
naissance pour la haute marque de -. con-
fiance que vous venez de me donner.
En me remettant pour sept ans le dépôt
du pouvoir exécutif, vous avez voulu assu-
rer au pays la sécurité, gage nécessaire
de sa prospérité. -
Je répondrai, je l'espère, à votre attente;
vous trouverez toujours en moi un ferme
soutien de l'ordre et un fidèle défenseur
des décisions de l'Assemblée souveraine.
— * ; :
p. LANFREY ET FOURNIER
Aux quelques innocents qui pourraient
se demander encore si le 19 novembre
est une aggravation du 24 mai, VUnivers
répond en deux phrases : « M. Lanfrey
ne retournera point à Berne. M. Fournier
n'ira plus à Rome. » Je vons fais grâce
des aménités qui accompagnent ces in-
formation» dans le moniteur poissard du
paradis.
* L?ho;oorabte'.M? «Lanfrey, qui a illus-
tré la France par ses écrits avant de la
représenter en Suisse, est un républi-
cain de vieille date, un libéral déterminé,
un digne fils de 1789. Dans un poste di-
plomatique qu'il n'avait ni sollicité, -ni-
à plus forte raison payé en monnaie de
Target, il a bien servi la patrie ; il a en-
tretenu les meilleures et les plus cor-
diales relations avec une République,
exemplaire. La Suisse, telle que nous la
voyons aujourd'hui, estf 4e modèle des
Etats civilisés : plaise au ciel qu'elle an-
nexe l'Europe entière à sa pacifique et
large organisation ! Toutes les libertés ci-
viles et politiques y fleurissent en pleine
terre, sans alarmer l'esprit éminemment
conservateur d'un peuple riche, labo5-
rieux, moral et religieux entre tous.
M. Lanfrey, heureusement choisi par
M. Thiers, a été comme un vivant trait
d'union entre la France et la Suisse. Nos
estimables voisins, ces amis froids, mais
soli'des dont la fidélité a éclaté dans nos
malheurs, nous pardonnaient les sottes
taquineries du petit agitateur savoyard,
M. Mermillod, catholique à tous crins et.
longtemps évêque chez eux malgré eux :
ils étaient rassurés par le sympathique
bon sens de M. Lanfrey. L'utilité d'un tel
représentant en Suisse fut assez évident
te pour imposer une sorte de respect
aux triomphateurs effarés du 24 mai. Je
crois savoir que la démission de -M. Lan-
frey leur fut offerte au moins deux fois,
et qu'ils craignirent de l'accepter. On
l'accepte aujourd'hui sans hésiter ; peut-
être même l'a-t-on provoquée : c'est la
moralité du 19 novembre. -.
M. Henri Fournier, vieux diplomate,
quoique jeune dâge et d'esprit, est le
premier plénipotentiaire que notre lté pu-
blique ait accrédité auprès de Victor-
Emmanuel régnant à Rome. Le gouver-
nement de M. Thiers est allé le chercher
en Suède pour lui donner le poste dé-
licat, impossible, que M. de Goulard lui-
même, cet homme prêt à tout et bon à
toutes sauces, avait craint d'aborder. Il
faut un vrai génie ou uaelolauté supé-
rieure au génie pour représenter la
France au Quirinal, tandis qu'un autre
agent français, supérieur en grade, la
compromet au Vatican.Le double jeu que
nous jouons à Rome traîne après soi
tout un monde de difficultés inextrica-
bles. M. Fournier avait la tâche de ras-
surer au jour le jour le roi d'Italie, ses
ministres et son parlement sur les in-
tentions de la France, à la barbe d'un
ambassadeur français qui affectait de
traiter le pape en roi, d'ignorer l'annexion
de Rome au royaume d'Italie et l'exis-
tence même de Victor-Emmanuel.
Voilà l'impasse où nous avons logé
M. Fournier, et le plus bel éloge à faire
de ce galant homme d'esprit, c'est do
dire quJil y a fait bonne figure. Il a su,
je ne dirai pas concilier, mais retenir les
sympathies de la nation italienne, qu'une
diplomatie inverse, et pourtant fran-
çaise de nom, aliénait comme à plaisir.
Les moindres citoyens de l'Italie, aussi
bien que le roi et ses ministres, se repo-
saient sur la foi de M. Fournier et, grâce
à lui, s'obstinaient'à ne point douter do
la France. Il n'y a pas un an qu'on me
disait à Rome, à Florenee, à Milan, à
Venise : Nous croirons à la bienveil-t
lance,, ou du moins à la neutralité de
votre pays tant que M. Fournier restera
parmi nous; sa personne est comme un
otage du libéralisme français.
Ces faits étaient connus non-seulement
dans la France du suffrage universel,
mais encore à Versailles, car les triom-
phateurs du 24 mai se rallièrent ouver-
tement à la politique étrangère du grand
citoven qu'ils avaient renversé; on déclara
dans les journaux de l'ordre moral que
M. Fournier, nommément, resterait à
son poste. -
Mais bientôt l'intérêt du pays dut cé-
der à des influences occultes. - M. Four
nier obtint un congé, dont il n'avait que
faire. Le gouvernement italien, par un
juste retour, permit à M. Nigra de res-
pirer l'air natal dans l'intérêt de sa santé,
qui n'avait jamais été meilleure.
M. le comte de Paris entreprend son
voyage de Frohsdorf : aussitôt, le roi
d'Italie est attiré par une invincible cu-
riosité vers les bords sablonneux de la
Sprée. La fusion se fait : l'alliance italo-
prussienne se conclut.
Je me trompe ; elle n'était peut-
être qu'ébauchée. Les Italiens se sen-
taient retenus par un vieux reste d'ami-
tié pour nous. D'ailleurs, ils n'avaient
pas d'argent, et l'on n'arme pas à crédit..
Emprunter à M. de Bismarck, c'était
presque abdiquer l'indépendance natio-
nale ; on hésitait beaucoup, et il y avait
de quoi.
Mais le 19 novembre arrange tout !
M. Fournier ne retournera pas en Italie;
M. Nigra, probablement, ne reviendra
pas en France ; la Prusse offre cent mil-
lions à l'Italie, qui les accepte. Voilà par
quels bienfaits le 19 novembre atteste sa
supériorité sur le 24 mai. Osez donc nier
le progrès !
A BOUT.
.--- + —
Le Journal officiel de ce matin doit pu-
blier la démission du ministère. Ainsi
que nous l'avons prédit, M. de Broglie
sera chargé de reconstituer le cabinet. Les
nouveaux ministres entreront bientôt en
fonctions. Quels seront-ils ?
Plusieurs listes circulent. D'après le
Courrier de Paris, MM. de Broglie, Magne
et probablement M. du Barrail seraient
les seuls conservéd. Le Courrier de Paris
n'indique pas les aoms des nouveaux élus,
ce qui semble prouver qu'aucune décision
n'a été «prise» - »•• « v 1
D'après nos renseignements, une diffi-
culté aurait été soulevée par M. Beulé.
Avant lar séance d'hier la retraite du mi-
nistre de l'intérieur était chose décidée, de
son consentement. On avait donc fUllport-
femilie de plus à donner aux a gens de
bien. » M. Beulé, avant la séance, a mani-
festé la volonté formelle de monter àJa tri-
bune pour répondre aux interpellation. On
fit quelques difficultés d'abord, mais les ma-
lins pensèrent que M. Beulé n'obtiendrait
pas un succès suffisant pour se maintenir
au ministère.
La droite ayant au contraire fait une
ovation de condoléance;à M. Beulé, il dé-
clara nettement au sortir de la séance
qu'il n'avait plus aucun motif de céder la
place à d'autres, que l'Assemblée venait de
lui rendre justice et qu'en conséquence il
devait faire partie de la combinaison m im-
matérielle. w , ;
De là une difficulté nouvelle. On désire
faire entrer dans le ministère MM. de Gour
lard, Depeyre, de Fourtou, d'Audiffrat-
Pasquier et Mathieu-Bodet, sans compter
M. Baragaon et douze ou quinze autresf
M&L Ernoul et de la BouiJIerie étaient les
seuls ministres sacrifiés jusqu'iei. Com-
ment faire 1
Nous croyonV i&joit e M. Beulé
prendrait le portefeuille de rin!trù!!?n
publique et que M. Batbie serait nommé
ministre sans portefeuille, président du
conseil d'Ëtat.
il serait créé dans tous les ministères
des sous-secrétaireries d'Etat, -de manière
à remplir tous les engagements dans la
mesure du possible.
Dans ce cas, voici quelle serait la nou-
velle liste.
, Intérieur, - M. le duc de Broglie; sous-
secrétaire d'Etat, M. Baragnon, réc'amé
par les légitimistes, ou M. Savary, réclamé
par les orléanistes.
Affaires étrangères.— M., da Goulard, avec
un sous-secrétaire d'Etat pris pariai les
divers candidats. \.,
Justice. — M. Depeyre; sous-secrétaire
d'Etat, M. Mathieu-Bodet.
Guerre. — M. le général du Barrail ;
sous - secrétaire d'Etat, M. le général Du-
orot ou M. le général Dasvaux.
Instruction publique. - M. iieulê ; sous-
secrétaire d'Etat, M. de Feurtou.
Marine. — M. l'amiral La Roncière Le
Neury, qai serait la concession faite aux
bonapartistes ; sous-secrétaire d'Etat, M.
DileillignT, qui aspirerait à descendre.
Agriculture et commerCe. — M. ie duc
d'AUdiffret-Pasquier ; gduà-secrétait-o d'E-
tat, M. Lefébure.
Travaux publies. - M. Baragnou, dans
Je cas où M. Savary l'emporterait sur lui
pour la sous-secrétatrerié du ministère de
l'intérieur.
Comme on le voit, nous ne donnons à
nos lecteurs qu'un bon plat d hypothèses
brouillées ; mais si nos lecteurs sont imi-
bus de notre politique, ils diront avec nous
que tout cela leur est absolument égal.
«
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versaillesnovembre 1873.
M. de Broglie, abrité derrière le pallaJ
dium du maréchal, a triomphé dans la nuit
de mercredi à jeudi ; anjourd hui, il
compte s'abriter derrière le vote de jeudi
matin pour triompher encore de liuler-
pellation I léofi Say, relative à la convoca-t
tion des collèges électoraux incomplets.
M. de Broglie ressemble assez à ces tlrall.
leurs qui sautent d'arbre en arbre, sa
garantissent derrière chaque tronc, n'avan-
cent que de quelques mètres à la fois,
mais, en somme, gagnent du teirain sans
courir grand risque. Cependant, il est
des baltes qui arrêtent, parfois, les plux
prudents.
Si rare que soit ce coup de hasard, en-
core faut-il, pour l'obtenir, envoyer quel-
ques coups de fusil de temps à autre. C'est
pour cela qu'on risquera aujourd'hui l'in-
terpellation Léon Say ; le pis qu'il puisse
en advenir, c'est que M. de Broglie n'en
soit pas touché.
Uu message. un troisièmo ! Mais si
court, si court, que rèla ne fait guère en
tout, que deux Messages et demi. Le ma-
réchal exprime à la Chambre sa vive rb
conndisàaDce et se déclare plus que jamais
« ferme soutien de l'ordre et fidèle défen-
seur des décisions du l'Assemblée natio-
nale. »
Le petit mot fait l'effet d'une lettre de
digestion, lorsque le monsieur qui a reçu
la politesse est empêché de rendre une vi-
Sii8 ; on lit le petit mot et l'on pense à
autre chose.
Second intermède. — M. de Janzé (du
centre gauche) dépose un projet de loi,
par lequel les militaires investis d'un com-
mandement actif devront opter entre leur
commandement et leur mandat de député.
C'est le complément naturel de la propo-
sition Philippoteaux, prise l'autre jour tn
si grande faveur par la droite lorsqu'il
s'agissait de protester à la dernière heure
contre les candidatures Saussier et Valazé.
La droite va donc voter le projet avec eu-'
thousiasme. Ah! bien, ouil toutes les gau-
ches votent l'urgence du nouveau projet
et, avec ensemble, toutes les droites se
réunissent pour la repousser. A gauche,
on rit, et, franchement, il y a de quoi :
la droite trouve très moral de mettre ses
députés à elle à la tête des troupes; dans
ce cas, ce n'est plus de la politique, c'est
de la conservation sociale!. Mais qui, dia-
ble! spèret-on tromper?
L'affaire' est engagée. M. Léon Say,
charmé de voir les circonstances telles
qu'une question ministérielle ne peut plus
être transformée en question de gouverne-
ment, passe en revue les lois électorales
de 1849 et de 1852, et, tout en reconnais-
sant que le ministère est resté dans le
droit, se plaint de l'application.
Il est clair que la question électorale
n'est pas seule eu jeu ; c'est toute la poli-
tique arbitraire du Cabinet du 24 mai que
vise l'interpellation. Aussi la droite reçoit-
elle assez mal M. Léon Say lorsqu'il de-
maude au ministère son programme. Un
programme ! Voilà vraiment de l'outrecui-
dance. « Sauver la société, » n'est ce pas
là un programme plus que suffisant, —
sans y mettre de malice !
L'attaque, d'ailleurs, n'est qu'ébauchée ;
elle est assez vive dans la forme, mais non
poussée à fond.. >
C'est cet excellent M. Beulé qui répond.
Nous sommes heureux de voir M. le
ministre de l'intérieur rompre un trop
long silence ; nous sommes sûrs que nous
allons nous amuser. — Nous nous amu-
sons. :
On voit, d'ailleurs, immédiatement, que
le silence pesait à M. Beulé ; durant son
mutisme forcé, il a accumulé un stock
de pensées et d'expressions malheureuses
•qu'il va pouvoir enfin dégorger : « C'est la
première fois que la responsabilité minis -
térielle existe dans toute sa beauté. Les
conseils généraux avaient été l'occasion de
troubles pendant les vacances ; le. Cabinet
avait aussi en face de lui les comices agri-
coles., » '";" "";,
Oh ! lecygne ! Voilà un oiseau qui a volé
sa réputation de chanteur moribond 1
Nous remarquons que la riposte de M.
Beulé à l'interpellation de M. Léon Say
n'eet nullement une réponse, mais tout
simplement unesorte d'interpellation adres-
sée au gouvernement de M. Thiers. Ce
dernier a lu, en effet., la faiblese de re-
tarder pendant six n.,.- une élec.hon., eelle
de la Corse,'à cause de la nu~on de
M. Reuher et de la discussion des ma.L¡-
res premières. Il est curieux de constater
que tout ministère ne se défend de mal
agir qu'en invoquant les torts du ministère
précédent ; imiter le mal n'a pourtant ja-
mais paru à personne un acheminement
verslaperfeetion.
Rires de la gauche, froideur de la droite,
telle était la physionomie générale, lorsque
vers la fin, M. Beulé a dû se relever un
peu. Nous mettons la forme dubitative,
car notre jugement personnel, entravé par
le bruit général, n'a pour base que les ap-
plaudissements du côté droit. Au banc des
ministres, il se fait une procession telle
que, malgré soi, l'on songe. à un enter*
rement officiel.
C'est touchant, de nombreux amis sui-
vent le corps de M. Beulé.
Selon l'ordre et la marche indiqués, M.
Bethmont riposte au nom du centre gau-
che. Dès le atbut, il traduit crûment les
habiletés oratoires de M. le ministre, ce
qui met la droite en grande colère.
Narrant les divers chapitres du roman
de la Fusion, faisait agréablement res-
sortir les variatioiis des divers discours de
M. de Broglie pendant les Vacances, M*
Bethmont demande auquel de ces discours
le Cabinet a l'intention de s'en tenir.
M. Bethmont a certainement proaoncé
aujourd'hui un de ses meilleurs discours.
A la douceur flue qu'il déploie d'habitude^
il a annexé une vigueur qui ne lui est pas
habituelle. Son talent est, d'ordinaire, un
composé d'amabilités; cette fois il a égra-
tigné dans une caresse, et étouffé dans un
baiser; il a toujours employé l'encensoir,
mais il s'en est servi comme d'une massue;
Chaudement, très-chaudement applauoi
par le côté gauche, l'orateur du centre
gauche peut largement revendiquer l'hon-
neur des interruptions du côté droit. Ce-
pendant, il y avait, pour un connaisseur,
dans l'attitude générale de MM. les monar-
chistes un enseignement bien, clair. Ils
semblaient dire : « A quoi bon nous fati-
guer de tontes ces vérités puisqu'il n'est
pas l'heuro d'en convenir! »
Avouons-la, nous ne nous intéres-
sons plus nous même que médiocrement
à ces batailles qui se soldent par un chif
fre de convention, arrêté d'avance ; le
grand intérêt de ces luttes, l'inconnu de-
la fin , manque maintenant. Elles n'of.
frent plus qu'un attrait, l'apparitien do
M. le duc de Broglie. Oh! qu'on ne nous
enlève pas M. le présideut du conseil; qne
le dieu Portefeuille soit favorable à M. le
duc ; sans lui, les batailles parlementaires
deviendraient terrifiantes d'ennui !
Il a paru, il 'a opéré lui-même, malgré
la droite qui' trouve vans doute qu'il
prodigue les triomphes; avant quMl e ilL
prononcé un mot, ou voyait qu'il i.vait
vaincu. On lui demandait, une réponse
sur le retard apporté atn élections, il a
fait ua discours contre le scrutin de liste ;
on lui parlait fusion, il a répondu inté-
rêts sociaux. C'était superbe, et l'on se
disait : Quel admirable ministre que celui-là,
qui trouve moyen de causer de tout ce
qui n'est pas en question ! Il paraît; que
c'est là le comble du parlementarisme :
manger à côté de son assiette. 1
M. le duc étaitdan s un ravissement inouï;
il jouait sur le velours des soixante huit
voix du maréchal et il ne s'était jamais vu
pareille carre de suffrages devant lui;
aussi n'avait-il plus assez de bouche pour
tous ses sourires.
- Seulement le succès rend M. le duc in-
solent ; d'habitude, il n'est qu'imperti-
nent. Jonglant avec c les crises soc-iales » et
« les périls des fondements de la société
moderne *, il s'est laissé entraîner aujour-
d'hui à des brutalités morales vis-à-vis du
centre gauche, et M. Buffet, toujours bon,
s'est dévoué ponr détourner sur lui la' co-
lère du parti républicain.
Entre autres amabilités, M. le duc a
dit : « C'est avec de pareilles paroles (con-
tre Henri V) qu'on allume le feu et le pé-
trole. »
M. Bethmont ne fait qu'un bond à la tri-
bnne. C'est M. de Broglie qui traite en
ce moment M. Léon Say et lui de pétro-
leurs; il y a quelques jonrs, c'étaient les or-
ganes officieux de M. le duc qui se per-
mettaient cette aimable pasquinade vis-à-
vis de M. de Rémusat, etM. Bethmont fait
remarquer que le langage da gouvernement
est fait pour semer les inquiétudes et les
haines en France.
Au milieu des applaudissements fréné-
tiques de tout le côté gauche, M. Buffet,
toujours bon, pousse son rôle de président
jusqu'à tâcher de prendre la défense de
M. de Broglie, qui paie cher ses banalités
à effet. Quant à M. le duc, il secoue la
tête au banc ministériel ; il sent peut être
qu'il s'est trop grisé de ses propres sou-
nres.
Nous ne sommes pas absolument marri.
de ce qui se passe : M. de Broglie a tou-
jours redouté de voir une grosse armée
derrière le maréchal, l'instabilité da chef
du gouvernement répondant de sajstabilité
ministérielle; auj ourd'hui, pris de peur,
— de la peur d'avoir des alliés admis au
passage, — il a fait sauter le pont qui le
séparait du centre gauche. Que chacun
reste sur sa rive.
L'ordre du jour pur et simple, le seul
accepté par le Cabinet, a été voté par 364
voix contre 314 : d'où 150 voix de majorité.
Nous trouvons que. c'est fort beau; des
amis du Cabinet — sont-cebien des amis,
au fond?— trouvent que c'est mesquin.
Ce qu'il y, a de certain, c'est que, pour
arriver à ce résultat, il a fallu les combi-
naisons ministérielles les plus' savantes,
tellement savantes que personne ne s'y
reconnaît encore. - -
Quant aux sous-secrétairats d'Etat, tout le
monde s'y perd. Il n'y a pas moins, pa-
raît-il, de quarante députés ayant la pré-
tention d'obtenir, par ce procédé, la légi-
time récompense de leurs services. C'est
beau d'aimer à servir son pays.
PAUL LÀFARGUE.
♦ —
LA PROCRASTINATION
Est-ce que vous connaissez ce grand
vilain diable de mot? Procrastination l
Sainte-Beuve a essayé, mais sans y réus-
sir, de le mettre à la mode. !l faut croire
que cet énorme et terrible vocable, de
mine quelque peu rébarbative, aura
effarouché la bonne compagnie, qui aime
pour la conversation de tous les jours
des termes plus aisés et coulants. Et ce- -
pendant c'était un mot nécessaire. Il ex-
prime une idée qui ne peut se rendre
que par une assez longue périphrase.
La procrastination, c'est l'habitude de
remettre au lendemain ce qu'on pourrait
faire le jour même.
L'homme qui est affligé de ce défaut
n'a pas non plus de nom dans la langue.
On l'appelle familièrement musard, qui
vient d'un mot de la vieille langue, mu-
ser, aujourd'hui iombé en désuétude. Le
vaudevilliste Picard, en faisant de Mon-
sieur Musard le -titre d'une de ses plus
jolies comédies, a popularisé ce mot,
dans l'acception où il est pris générale-
ment.
C'est bien dommage que musard n'ait
pas droit de cité dans le langage de la
société polie; on en eût fait musarderie, qui
est plus vif et plus agréable que la pro-
crastination de Sainte-Beuve.
Il est vrai que procrastination a encore
un autre sens où n'atteindra jamais mu-
sarder ie. Il enferme une autre sçrie d'i-
dées, celle précisément à laquelle je pen-
sais quand j'ai commencé d'écrire cet
article.
Il y a sans doute beaucoup de gens
qui ne remettent au lendemain un devoir
à accomplir que par insouciance, par
légèreté d'esprit ou paresse de corps.
Ceux-là sont en effet des musards.
Mais il en est d'autres chez qui h pro-
crastination - est un parti pris ; c'est de -
propos délibéré qu'ils renvoient hommes
et choses à un lendemain qui n'arrive
jamais.
Vous vous rappelez la fameuse ensei-
gne du barbier :
— Demain l'on rasera gratis.
Que de gens sont logés à cette ensei-
gne !
Nous verrons. on verra. j'attends
le rapport. remettez moi une note.
je parlerai au ministre. revenez dans
quelques jours. l'affaire s'instruit.
Autant de formules qui sont la traduc-
tion exacte de la fameuse phrase : de-
main l'on rasera gratis.
Toutes ces façons plus ou moins po-
lies d'éconduire un solliciteur importun
ou de traîner en longueur une affaire
dont la solution embarrasse 'Sont conte-
nues et frétillent à travers les syllabes
de ce grand mot : procrastination.
Je vous contais, il y a quelques se-
maines, le chagrin de ces pasteurs pro- -.
•
Pin DV NOIIDO : PABII 15 CBHTIMBI — Dirianum 20 CENTIMM.
Mercredi 26 Novembre 1873.
-—
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
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- JOURNÉE POLITIQUE
/)aris, 25 novembre 1873.
Au commencement de la séance d'hier,
M. le duc de Broglie a lu un court mes-
sage de M. le président de la République,
remerciant la Chambre de la marque de
confiance qu'elle lui a donnée en votant la
prorogation ne ses pouvoirs. « Vous trou-
verez toujours en moi, dit le maréchal, un
soutien de l'ordre et un fidèle exécuteur des
volontés de l'Assemblée nationale. » L'in-
terpellation du centre gauche est venue
ensuite. MM. Léon Say et Bethmont l'ont
développée avec vivacité et avec force; M.
Beulé, puis M. le duc de Broglie en per-
sonne ont répondu au Fom du minis-
tère , assez pauvrement, comme on le
verra. L'ordre du jour pur et simple a été
voté par une majorité de 50 voix ; le ca-
binet a 18 voix de moins que le maré-
chal de Mac-Mahon. Succès relatif. Au
reste on va trouver plus loin le compte-
rendu et l'appréciation de la séance. Quant
aux changements ministériels, nous serions
fort embarrassés de dire ce qu'ils pourront
être, et, s'il .faut en croire la rumeur pu-
blique, à cette heure même, le gouverne-
ment ne le serait pas moins. Toutes 1 s
combinaisons examinées offrent des diffi-
cultés presque, insurmontables. Comme on
l'a fait remarquer justement, c'est une
œuvre bien difficile que de gouverner con-
tre une minorité de 300 voix, sans compter
le pays !
D'après une dépêche de Philadelphie
que Y American Register communique aux
journaux, le gouvernement des Etats-Unis
aurait résolu d'imposer à l'Espagne, pour
terminer l'affaire du Virginius, les condi-
tions que voici : 1° Faire des excuses pour
l'insulte que les Etats-Unis ont reçue ;
28 restituer aux Etats-Unis le Virgi'nius
avec. tout ce qui a survécu des passagers
et de l'équipage ; 3" indemniser les famil-
les des prisonniers exécutés et remettre les
auteui s des exécutions entre les mains des
autorités américaines ou les punir; 4° res-
tituer aux sujets américains les biens qui
leur ont été confisqués à Cuba.
Si telles sont en réalité les conditions
des Etats-Unis," elles paraîtront inaccep-
tables à quiconque voudra juger de bonne
foi cette-affaire cubaine. Autant vaudrait
déclarer sans ambages que l'on veut pro-
fiter de la faiblesse de l'Espagne pour met-
tre la main sur Cuba, que l'on convoite de-
puis longtemps. Que signifierait sans cela
"tet arrogant ultimatum? Vraiment, les
Etats-Unis ont bonne grâce à s'ériger ainsi
en protecteurs acharnés de quelques for-
bans ! Ils prétendent venger, disent-ils, les
droits de leurs nationaux et, qui plus est,
l'humanité outragée par une exécution san-
glante. Sanglante ! on voudrait bien savoir
quel moyen de s'y prendre pour qu'une
exécution ne le soit pas? Sanglante ou
.!lOB, d'ailleurs, il n'importe guère, si
l'Espagne a usé comme elle l'a voulu d'un
droit de défense légitime; et l'affaire du
Virginius n'est pas autre chose. Les Amé-
ricains allégueront l'amour de l'humanité,
la protection de leurs nationaux, etc.,
mais -ils ne donneront point le change : il
n'y a pour eux, dans tout ceci, en fait
d'amour, que l'amour de Cuba.
Au reste, nous ne' voulons pas croire
que VAmerican Régit ter soit exactement
renseigné. Le congrès des Etals-Unis ou-
vrira sa session le lu décembre, et jus-
que-là rien de décisif ne peut être fait.
L'Espagne, en attendant^ témoigne de
tout son désir de clore amiablement, mais
honorablement, cette querelle. Elle met
tous les amis de la modération et du bon
droit de son côté. L'Angleterre, cependant,
qui avait pris feu plus que de raison aux
premières nouvelles, parce qu'une dou-
zaine d'Anglais se trouvaient au nombre
des corsaires exécutés, l'Angleterre est re-
venue à des sentiments plus équitables et
plus politiques. Et quel intérêt aurait-elle
h voir la perle des Antilles devenir, de
colonie espagnole, possession américaine?
Elle propose un arbitrage. Voici l'un des
cas, en effet, où l'arbitrage est la seule is-
sue raisonnable; si l'Angleterre le veut,
comme elle doit le vouloir, elle mettra les
Etats-Unis dans l'obligation de l'accep-
ter.
, - - EUG. LIÉBERT.
—+ —————-———
On se rappelle qu'au début de la cam-
pagne de 1870 nous disions tous que les
Bavarois ne tarderaient pas à déserter le
drapeau prussien. Après Wissembourg et
Reichshoffen il se trouva qne les Bavarois
étaient devenus plus Prussiens que les
Prussiens eux-mêmes. L'humanité est
ainsi faite ; elle s'agite, le dieu Suecès la
mène.
- Nous croirions faire dajure à l'Assem-
blée nationale en la félicitant d'avoir réagi
contre un entraînement de cette nature,
et d'avoir ainsi déjoué les calculs de ceux
qui, ?e basant sur les 68 voix de majorité
obtenues en faveur de la prorogation,
annonçaient que le ministère sortirait
victoripux de l'interpellation du centre
gauche avec 80 ou 100 voix de majorité.
Ce n'est pas à dire que notre inten-
tion soit de diminuer en aucune façon
le succès d'estime que viennen t de rem-
porter M. le duc de Broglie et M. Beulé. A
cinquante voix de majorité, il a été dé-
cidé que la conduite du cabinet pen-
dant les vacances avait été irréprocha-
ble ; c'est pour le mieux, mais il importe
grandement au pays de savoir sur quels
arguments se sont appuyés MM. les mi-
nistres pour réfuter les reproches que
le parti républicain s'est permis de leur
adresser. - <
• sa -qoaïïté
de ministre de l'intérieur, qui a revendi-
qué l'honneur de répondre à M. Léon
Say au sujet de la non-convocation des
collèges électoraux. Tout a été dit sur
le compte de M. Beulé, et l'on croirait
vraiment qu'il s'était donné pour tâche,
hier, de* justifier les appréciations por-
tées sur lui par ses amis aussi bien que
par ses adversaires. On a toujours envie;
quand on l'entend parler, de lui dire en
parodiant un mot célèbre : Laissez la
politique, et dissertez sur les beaux-arts.
Malheureusement, il n'a point du tout
l'air de se douter que l'administration
française se puisse passer de ses services;
il a même dû, comme il arrive presque
toujours en pareil cas, se prendre au
sérieux dans son rôle d'homme d'Etat,
si bien qu'aujourd'hui on le ferait à coup
sûr renoncer plus aisément aux beaux-
arts qu'à la politique, de même qu'on
eût plutôt arraché à Ingres ses pin-
ceaux que son violon. -
M. le ministre de l'intérieur avait eu du
temps devant lui peur préparer sa ré-
ponse à M. Léon Say ; aussi en a-t-il
abusé pour apporter à la tribune les dé-
veloppements d'une interpellation qu'il
avait eu l'idée, au temps jadis, d'adres-
ser au gouvernement de M. !rs. M.
Beulé, on le voi êt en progrès; ii se
forna^ elC'est aux maîtres qu'il emprunte
ses procédés de discussion. Le grand
art, en effet, le sublime du genre où ex-
cellait autrefois M. Rouher, où M. le duc
de Broglie se fait remarquer aujour-
d'hui, est d'attaquer toujours et de ne
parer jamais. y
Mais nous flatterions M. Beulé outre
mesure si nous lui disions que son coup
d'essai est un coup de maître. Sans doute
la théorie consiste bien dans ce que
nous venons de dire; mais la mise en
pratique n'est pas à la portée de tout
le monde, comme le semble croire M.
Beulé. Il y faut une certaine dose d'ha-
bileté, - de ruse même, sans compter ce
je ne sais quoi qui n'est point l'éloquence,
mais qui suffit lorsqu'on s'adresse à
une majorité dont la seule ambition est
de pouvoir affirmer sans rire qu'elle a
été convaincue. - ,'"
M. Beulé s'est contente de répondre à
M. Léon Say : « Et vous donc! Est-ce que
vous avez convoqué les colléges électo-
raux ata. fur et à mesure dès vacances,
lorsque vous étiez au pouvoir ? » L'ho-
norable président du centre gauche,
prévoyant l'objection, avait eu soin d'y
répondre, mais à défaut de M. Léon.
Say, le bon sens suffisait à faire com-
prendre au ministre de l'intérieur
que les fautes de ses prédécesseurs ,
en admettant qu'il y ait eu des fautes
commises, ne constituaient pas au
gouvernement nouveau le droit de les
commettre à son tour. Autrement, à
quoi bon le 24 mai ? A quoi bon donner
un portefeuille à l'une des lumières de
la France,- à l'illustre M. Beulé, s'il ne
devait pas faire mieux que ses prédéces-
seurs? Mais il faut tout dire, le cas était
grave; il fallait prouver à la France que
si l'on n'avait pas voulu remplit les vi-
des de l'Assemblée , ce n'était point,
comme l'ont prétendu les méchantes
langues, pour conserver aux monar-
chistes la majorité qu'ils croyaient avoir.
Nous comprenons que M. Beulé ait jugé
la tâche au-dessus de ses forces.
Quant à M. le duc de Broglie, appelé
à. la, tribune par un discours très-ferme
de l'honorable M. Bethmont, il a rem-
placé, suivant l'habitude, les arguments
par des déclamations. Sommé de s'ex-
pliquer sur le discours d'Evreux, il a
parlé de l'ordre social en péril, des
théories révolutionnaires, - des passions
démagogiques du feu et du pétrole !
C'est toujours le même système. On
veut gouverner contre vents et marées,
on veut à tout prix conserver le pouvoir
que le hasard des circonstances vous a
fait tomber entre les mains, et comme
on ne peut gouverner par la persuasion,
on gouverne par la peur.
La peur, voilà le grand cheval de ba-
taille do nos hommes d'Etat, leur pre-
mier et dernier argument, leur ultmia
ratio. Il faut, coûte que coûte, entretenir
dans les esprits les plus tristes souve-
nirs, et leur faire croire aux plus ef-
frayants présages ; il faut faire trembler
parce qu'il faut faire voter. Voilà pour
l'Assemblée. -
Et dans le pays, quel effet espère-t-on
produire par ce système de dénigrement
perpétuel, par ces attaques, et disons-le,
par ces provocations sans cesse renou-
velées ? Comme on le disait hier à M. le
duc de Broglie : « Si ce n'est pas aux
républicains de l'Assemblée, à qui donc
s'adressent vos menaces et vos outrages ?
A qui, si ce n'est à nos électeurs ? » En-
core une fois qu'espère-t-on ? Le pays est
tranquille; ni la révolution du 24 mai, ni
les entreprises monarchiques qui en ont
été la suite, rien n'a pu le faire sor-
tir de son calme, rien n'a pu lui faire
oublier le respect de la loi.
Et c'est avec des paroles de haine et
de menace que vous répondeE à tant de
sagesse et de résignation ! C'est mal;
mais quelque chose au moins nous con-
sole : c'est inutilo. Les ministres pas-
sent, les injures s'oublient, mais le droit
reste, et c'est sur le droit, non sur la
peur," qu'on fonde les gouvernements
durables.
E. SCHNERB.
"Y MESSAGE
DU PRÉSIDENT DE.LA RÉPUBLIQUE
- Messieurs,
Je tiens à vous exprimer ma vive recon-
naissance pour la haute marque de -. con-
fiance que vous venez de me donner.
En me remettant pour sept ans le dépôt
du pouvoir exécutif, vous avez voulu assu-
rer au pays la sécurité, gage nécessaire
de sa prospérité. -
Je répondrai, je l'espère, à votre attente;
vous trouverez toujours en moi un ferme
soutien de l'ordre et un fidèle défenseur
des décisions de l'Assemblée souveraine.
— * ; :
p. LANFREY ET FOURNIER
Aux quelques innocents qui pourraient
se demander encore si le 19 novembre
est une aggravation du 24 mai, VUnivers
répond en deux phrases : « M. Lanfrey
ne retournera point à Berne. M. Fournier
n'ira plus à Rome. » Je vons fais grâce
des aménités qui accompagnent ces in-
formation» dans le moniteur poissard du
paradis.
* L?ho;oorabte'.M? «Lanfrey, qui a illus-
tré la France par ses écrits avant de la
représenter en Suisse, est un républi-
cain de vieille date, un libéral déterminé,
un digne fils de 1789. Dans un poste di-
plomatique qu'il n'avait ni sollicité, -ni-
à plus forte raison payé en monnaie de
Target, il a bien servi la patrie ; il a en-
tretenu les meilleures et les plus cor-
diales relations avec une République,
exemplaire. La Suisse, telle que nous la
voyons aujourd'hui, estf 4e modèle des
Etats civilisés : plaise au ciel qu'elle an-
nexe l'Europe entière à sa pacifique et
large organisation ! Toutes les libertés ci-
viles et politiques y fleurissent en pleine
terre, sans alarmer l'esprit éminemment
conservateur d'un peuple riche, labo5-
rieux, moral et religieux entre tous.
M. Lanfrey, heureusement choisi par
M. Thiers, a été comme un vivant trait
d'union entre la France et la Suisse. Nos
estimables voisins, ces amis froids, mais
soli'des dont la fidélité a éclaté dans nos
malheurs, nous pardonnaient les sottes
taquineries du petit agitateur savoyard,
M. Mermillod, catholique à tous crins et.
longtemps évêque chez eux malgré eux :
ils étaient rassurés par le sympathique
bon sens de M. Lanfrey. L'utilité d'un tel
représentant en Suisse fut assez évident
te pour imposer une sorte de respect
aux triomphateurs effarés du 24 mai. Je
crois savoir que la démission de -M. Lan-
frey leur fut offerte au moins deux fois,
et qu'ils craignirent de l'accepter. On
l'accepte aujourd'hui sans hésiter ; peut-
être même l'a-t-on provoquée : c'est la
moralité du 19 novembre. -.
M. Henri Fournier, vieux diplomate,
quoique jeune dâge et d'esprit, est le
premier plénipotentiaire que notre lté pu-
blique ait accrédité auprès de Victor-
Emmanuel régnant à Rome. Le gouver-
nement de M. Thiers est allé le chercher
en Suède pour lui donner le poste dé-
licat, impossible, que M. de Goulard lui-
même, cet homme prêt à tout et bon à
toutes sauces, avait craint d'aborder. Il
faut un vrai génie ou uaelolauté supé-
rieure au génie pour représenter la
France au Quirinal, tandis qu'un autre
agent français, supérieur en grade, la
compromet au Vatican.Le double jeu que
nous jouons à Rome traîne après soi
tout un monde de difficultés inextrica-
bles. M. Fournier avait la tâche de ras-
surer au jour le jour le roi d'Italie, ses
ministres et son parlement sur les in-
tentions de la France, à la barbe d'un
ambassadeur français qui affectait de
traiter le pape en roi, d'ignorer l'annexion
de Rome au royaume d'Italie et l'exis-
tence même de Victor-Emmanuel.
Voilà l'impasse où nous avons logé
M. Fournier, et le plus bel éloge à faire
de ce galant homme d'esprit, c'est do
dire quJil y a fait bonne figure. Il a su,
je ne dirai pas concilier, mais retenir les
sympathies de la nation italienne, qu'une
diplomatie inverse, et pourtant fran-
çaise de nom, aliénait comme à plaisir.
Les moindres citoyens de l'Italie, aussi
bien que le roi et ses ministres, se repo-
saient sur la foi de M. Fournier et, grâce
à lui, s'obstinaient'à ne point douter do
la France. Il n'y a pas un an qu'on me
disait à Rome, à Florenee, à Milan, à
Venise : Nous croirons à la bienveil-t
lance,, ou du moins à la neutralité de
votre pays tant que M. Fournier restera
parmi nous; sa personne est comme un
otage du libéralisme français.
Ces faits étaient connus non-seulement
dans la France du suffrage universel,
mais encore à Versailles, car les triom-
phateurs du 24 mai se rallièrent ouver-
tement à la politique étrangère du grand
citoven qu'ils avaient renversé; on déclara
dans les journaux de l'ordre moral que
M. Fournier, nommément, resterait à
son poste. -
Mais bientôt l'intérêt du pays dut cé-
der à des influences occultes. - M. Four
nier obtint un congé, dont il n'avait que
faire. Le gouvernement italien, par un
juste retour, permit à M. Nigra de res-
pirer l'air natal dans l'intérêt de sa santé,
qui n'avait jamais été meilleure.
M. le comte de Paris entreprend son
voyage de Frohsdorf : aussitôt, le roi
d'Italie est attiré par une invincible cu-
riosité vers les bords sablonneux de la
Sprée. La fusion se fait : l'alliance italo-
prussienne se conclut.
Je me trompe ; elle n'était peut-
être qu'ébauchée. Les Italiens se sen-
taient retenus par un vieux reste d'ami-
tié pour nous. D'ailleurs, ils n'avaient
pas d'argent, et l'on n'arme pas à crédit..
Emprunter à M. de Bismarck, c'était
presque abdiquer l'indépendance natio-
nale ; on hésitait beaucoup, et il y avait
de quoi.
Mais le 19 novembre arrange tout !
M. Fournier ne retournera pas en Italie;
M. Nigra, probablement, ne reviendra
pas en France ; la Prusse offre cent mil-
lions à l'Italie, qui les accepte. Voilà par
quels bienfaits le 19 novembre atteste sa
supériorité sur le 24 mai. Osez donc nier
le progrès !
A BOUT.
.--- + —
Le Journal officiel de ce matin doit pu-
blier la démission du ministère. Ainsi
que nous l'avons prédit, M. de Broglie
sera chargé de reconstituer le cabinet. Les
nouveaux ministres entreront bientôt en
fonctions. Quels seront-ils ?
Plusieurs listes circulent. D'après le
Courrier de Paris, MM. de Broglie, Magne
et probablement M. du Barrail seraient
les seuls conservéd. Le Courrier de Paris
n'indique pas les aoms des nouveaux élus,
ce qui semble prouver qu'aucune décision
n'a été «prise» - »•• « v 1
D'après nos renseignements, une diffi-
culté aurait été soulevée par M. Beulé.
Avant lar séance d'hier la retraite du mi-
nistre de l'intérieur était chose décidée, de
son consentement. On avait donc fUllport-
femilie de plus à donner aux a gens de
bien. » M. Beulé, avant la séance, a mani-
festé la volonté formelle de monter àJa tri-
bune pour répondre aux interpellation. On
fit quelques difficultés d'abord, mais les ma-
lins pensèrent que M. Beulé n'obtiendrait
pas un succès suffisant pour se maintenir
au ministère.
La droite ayant au contraire fait une
ovation de condoléance;à M. Beulé, il dé-
clara nettement au sortir de la séance
qu'il n'avait plus aucun motif de céder la
place à d'autres, que l'Assemblée venait de
lui rendre justice et qu'en conséquence il
devait faire partie de la combinaison m im-
matérielle. w , ;
De là une difficulté nouvelle. On désire
faire entrer dans le ministère MM. de Gour
lard, Depeyre, de Fourtou, d'Audiffrat-
Pasquier et Mathieu-Bodet, sans compter
M. Baragaon et douze ou quinze autresf
M&L Ernoul et de la BouiJIerie étaient les
seuls ministres sacrifiés jusqu'iei. Com-
ment faire 1
Nous croyonV i&joit e M. Beulé
prendrait le portefeuille de rin!trù!!?n
publique et que M. Batbie serait nommé
ministre sans portefeuille, président du
conseil d'Ëtat.
il serait créé dans tous les ministères
des sous-secrétaireries d'Etat, -de manière
à remplir tous les engagements dans la
mesure du possible.
Dans ce cas, voici quelle serait la nou-
velle liste.
, Intérieur, - M. le duc de Broglie; sous-
secrétaire d'Etat, M. Baragnon, réc'amé
par les légitimistes, ou M. Savary, réclamé
par les orléanistes.
Affaires étrangères.— M., da Goulard, avec
un sous-secrétaire d'Etat pris pariai les
divers candidats. \.,
Justice. — M. Depeyre; sous-secrétaire
d'Etat, M. Mathieu-Bodet.
Guerre. — M. le général du Barrail ;
sous - secrétaire d'Etat, M. le général Du-
orot ou M. le général Dasvaux.
Instruction publique. - M. iieulê ; sous-
secrétaire d'Etat, M. de Feurtou.
Marine. — M. l'amiral La Roncière Le
Neury, qai serait la concession faite aux
bonapartistes ; sous-secrétaire d'Etat, M.
DileillignT, qui aspirerait à descendre.
Agriculture et commerCe. — M. ie duc
d'AUdiffret-Pasquier ; gduà-secrétait-o d'E-
tat, M. Lefébure.
Travaux publies. - M. Baragnou, dans
Je cas où M. Savary l'emporterait sur lui
pour la sous-secrétatrerié du ministère de
l'intérieur.
Comme on le voit, nous ne donnons à
nos lecteurs qu'un bon plat d hypothèses
brouillées ; mais si nos lecteurs sont imi-
bus de notre politique, ils diront avec nous
que tout cela leur est absolument égal.
«
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versaillesnovembre 1873.
M. de Broglie, abrité derrière le pallaJ
dium du maréchal, a triomphé dans la nuit
de mercredi à jeudi ; anjourd hui, il
compte s'abriter derrière le vote de jeudi
matin pour triompher encore de liuler-
pellation I léofi Say, relative à la convoca-t
tion des collèges électoraux incomplets.
M. de Broglie ressemble assez à ces tlrall.
leurs qui sautent d'arbre en arbre, sa
garantissent derrière chaque tronc, n'avan-
cent que de quelques mètres à la fois,
mais, en somme, gagnent du teirain sans
courir grand risque. Cependant, il est
des baltes qui arrêtent, parfois, les plux
prudents.
Si rare que soit ce coup de hasard, en-
core faut-il, pour l'obtenir, envoyer quel-
ques coups de fusil de temps à autre. C'est
pour cela qu'on risquera aujourd'hui l'in-
terpellation Léon Say ; le pis qu'il puisse
en advenir, c'est que M. de Broglie n'en
soit pas touché.
Uu message. un troisièmo ! Mais si
court, si court, que rèla ne fait guère en
tout, que deux Messages et demi. Le ma-
réchal exprime à la Chambre sa vive rb
conndisàaDce et se déclare plus que jamais
« ferme soutien de l'ordre et fidèle défen-
seur des décisions du l'Assemblée natio-
nale. »
Le petit mot fait l'effet d'une lettre de
digestion, lorsque le monsieur qui a reçu
la politesse est empêché de rendre une vi-
Sii8 ; on lit le petit mot et l'on pense à
autre chose.
Second intermède. — M. de Janzé (du
centre gauche) dépose un projet de loi,
par lequel les militaires investis d'un com-
mandement actif devront opter entre leur
commandement et leur mandat de député.
C'est le complément naturel de la propo-
sition Philippoteaux, prise l'autre jour tn
si grande faveur par la droite lorsqu'il
s'agissait de protester à la dernière heure
contre les candidatures Saussier et Valazé.
La droite va donc voter le projet avec eu-'
thousiasme. Ah! bien, ouil toutes les gau-
ches votent l'urgence du nouveau projet
et, avec ensemble, toutes les droites se
réunissent pour la repousser. A gauche,
on rit, et, franchement, il y a de quoi :
la droite trouve très moral de mettre ses
députés à elle à la tête des troupes; dans
ce cas, ce n'est plus de la politique, c'est
de la conservation sociale!. Mais qui, dia-
ble! spèret-on tromper?
L'affaire' est engagée. M. Léon Say,
charmé de voir les circonstances telles
qu'une question ministérielle ne peut plus
être transformée en question de gouverne-
ment, passe en revue les lois électorales
de 1849 et de 1852, et, tout en reconnais-
sant que le ministère est resté dans le
droit, se plaint de l'application.
Il est clair que la question électorale
n'est pas seule eu jeu ; c'est toute la poli-
tique arbitraire du Cabinet du 24 mai que
vise l'interpellation. Aussi la droite reçoit-
elle assez mal M. Léon Say lorsqu'il de-
maude au ministère son programme. Un
programme ! Voilà vraiment de l'outrecui-
dance. « Sauver la société, » n'est ce pas
là un programme plus que suffisant, —
sans y mettre de malice !
L'attaque, d'ailleurs, n'est qu'ébauchée ;
elle est assez vive dans la forme, mais non
poussée à fond.. >
C'est cet excellent M. Beulé qui répond.
Nous sommes heureux de voir M. le
ministre de l'intérieur rompre un trop
long silence ; nous sommes sûrs que nous
allons nous amuser. — Nous nous amu-
sons. :
On voit, d'ailleurs, immédiatement, que
le silence pesait à M. Beulé ; durant son
mutisme forcé, il a accumulé un stock
de pensées et d'expressions malheureuses
•qu'il va pouvoir enfin dégorger : « C'est la
première fois que la responsabilité minis -
térielle existe dans toute sa beauté. Les
conseils généraux avaient été l'occasion de
troubles pendant les vacances ; le. Cabinet
avait aussi en face de lui les comices agri-
coles., » '";" "";,
Oh ! lecygne ! Voilà un oiseau qui a volé
sa réputation de chanteur moribond 1
Nous remarquons que la riposte de M.
Beulé à l'interpellation de M. Léon Say
n'eet nullement une réponse, mais tout
simplement unesorte d'interpellation adres-
sée au gouvernement de M. Thiers. Ce
dernier a lu, en effet., la faiblese de re-
tarder pendant six n.,.- une élec.hon., eelle
de la Corse,'à cause de la nu~on de
M. Reuher et de la discussion des ma.L¡-
res premières. Il est curieux de constater
que tout ministère ne se défend de mal
agir qu'en invoquant les torts du ministère
précédent ; imiter le mal n'a pourtant ja-
mais paru à personne un acheminement
verslaperfeetion.
Rires de la gauche, froideur de la droite,
telle était la physionomie générale, lorsque
vers la fin, M. Beulé a dû se relever un
peu. Nous mettons la forme dubitative,
car notre jugement personnel, entravé par
le bruit général, n'a pour base que les ap-
plaudissements du côté droit. Au banc des
ministres, il se fait une procession telle
que, malgré soi, l'on songe. à un enter*
rement officiel.
C'est touchant, de nombreux amis sui-
vent le corps de M. Beulé.
Selon l'ordre et la marche indiqués, M.
Bethmont riposte au nom du centre gau-
che. Dès le atbut, il traduit crûment les
habiletés oratoires de M. le ministre, ce
qui met la droite en grande colère.
Narrant les divers chapitres du roman
de la Fusion, faisait agréablement res-
sortir les variatioiis des divers discours de
M. de Broglie pendant les Vacances, M*
Bethmont demande auquel de ces discours
le Cabinet a l'intention de s'en tenir.
M. Bethmont a certainement proaoncé
aujourd'hui un de ses meilleurs discours.
A la douceur flue qu'il déploie d'habitude^
il a annexé une vigueur qui ne lui est pas
habituelle. Son talent est, d'ordinaire, un
composé d'amabilités; cette fois il a égra-
tigné dans une caresse, et étouffé dans un
baiser; il a toujours employé l'encensoir,
mais il s'en est servi comme d'une massue;
Chaudement, très-chaudement applauoi
par le côté gauche, l'orateur du centre
gauche peut largement revendiquer l'hon-
neur des interruptions du côté droit. Ce-
pendant, il y avait, pour un connaisseur,
dans l'attitude générale de MM. les monar-
chistes un enseignement bien, clair. Ils
semblaient dire : « A quoi bon nous fati-
guer de tontes ces vérités puisqu'il n'est
pas l'heuro d'en convenir! »
Avouons-la, nous ne nous intéres-
sons plus nous même que médiocrement
à ces batailles qui se soldent par un chif
fre de convention, arrêté d'avance ; le
grand intérêt de ces luttes, l'inconnu de-
la fin , manque maintenant. Elles n'of.
frent plus qu'un attrait, l'apparitien do
M. le duc de Broglie. Oh! qu'on ne nous
enlève pas M. le présideut du conseil; qne
le dieu Portefeuille soit favorable à M. le
duc ; sans lui, les batailles parlementaires
deviendraient terrifiantes d'ennui !
Il a paru, il 'a opéré lui-même, malgré
la droite qui' trouve vans doute qu'il
prodigue les triomphes; avant quMl e ilL
prononcé un mot, ou voyait qu'il i.vait
vaincu. On lui demandait, une réponse
sur le retard apporté atn élections, il a
fait ua discours contre le scrutin de liste ;
on lui parlait fusion, il a répondu inté-
rêts sociaux. C'était superbe, et l'on se
disait : Quel admirable ministre que celui-là,
qui trouve moyen de causer de tout ce
qui n'est pas en question ! Il paraît; que
c'est là le comble du parlementarisme :
manger à côté de son assiette. 1
M. le duc étaitdan s un ravissement inouï;
il jouait sur le velours des soixante huit
voix du maréchal et il ne s'était jamais vu
pareille carre de suffrages devant lui;
aussi n'avait-il plus assez de bouche pour
tous ses sourires.
- Seulement le succès rend M. le duc in-
solent ; d'habitude, il n'est qu'imperti-
nent. Jonglant avec c les crises soc-iales » et
« les périls des fondements de la société
moderne *, il s'est laissé entraîner aujour-
d'hui à des brutalités morales vis-à-vis du
centre gauche, et M. Buffet, toujours bon,
s'est dévoué ponr détourner sur lui la' co-
lère du parti républicain.
Entre autres amabilités, M. le duc a
dit : « C'est avec de pareilles paroles (con-
tre Henri V) qu'on allume le feu et le pé-
trole. »
M. Bethmont ne fait qu'un bond à la tri-
bnne. C'est M. de Broglie qui traite en
ce moment M. Léon Say et lui de pétro-
leurs; il y a quelques jonrs, c'étaient les or-
ganes officieux de M. le duc qui se per-
mettaient cette aimable pasquinade vis-à-
vis de M. de Rémusat, etM. Bethmont fait
remarquer que le langage da gouvernement
est fait pour semer les inquiétudes et les
haines en France.
Au milieu des applaudissements fréné-
tiques de tout le côté gauche, M. Buffet,
toujours bon, pousse son rôle de président
jusqu'à tâcher de prendre la défense de
M. de Broglie, qui paie cher ses banalités
à effet. Quant à M. le duc, il secoue la
tête au banc ministériel ; il sent peut être
qu'il s'est trop grisé de ses propres sou-
nres.
Nous ne sommes pas absolument marri.
de ce qui se passe : M. de Broglie a tou-
jours redouté de voir une grosse armée
derrière le maréchal, l'instabilité da chef
du gouvernement répondant de sajstabilité
ministérielle; auj ourd'hui, pris de peur,
— de la peur d'avoir des alliés admis au
passage, — il a fait sauter le pont qui le
séparait du centre gauche. Que chacun
reste sur sa rive.
L'ordre du jour pur et simple, le seul
accepté par le Cabinet, a été voté par 364
voix contre 314 : d'où 150 voix de majorité.
Nous trouvons que. c'est fort beau; des
amis du Cabinet — sont-cebien des amis,
au fond?— trouvent que c'est mesquin.
Ce qu'il y, a de certain, c'est que, pour
arriver à ce résultat, il a fallu les combi-
naisons ministérielles les plus' savantes,
tellement savantes que personne ne s'y
reconnaît encore. - -
Quant aux sous-secrétairats d'Etat, tout le
monde s'y perd. Il n'y a pas moins, pa-
raît-il, de quarante députés ayant la pré-
tention d'obtenir, par ce procédé, la légi-
time récompense de leurs services. C'est
beau d'aimer à servir son pays.
PAUL LÀFARGUE.
♦ —
LA PROCRASTINATION
Est-ce que vous connaissez ce grand
vilain diable de mot? Procrastination l
Sainte-Beuve a essayé, mais sans y réus-
sir, de le mettre à la mode. !l faut croire
que cet énorme et terrible vocable, de
mine quelque peu rébarbative, aura
effarouché la bonne compagnie, qui aime
pour la conversation de tous les jours
des termes plus aisés et coulants. Et ce- -
pendant c'était un mot nécessaire. Il ex-
prime une idée qui ne peut se rendre
que par une assez longue périphrase.
La procrastination, c'est l'habitude de
remettre au lendemain ce qu'on pourrait
faire le jour même.
L'homme qui est affligé de ce défaut
n'a pas non plus de nom dans la langue.
On l'appelle familièrement musard, qui
vient d'un mot de la vieille langue, mu-
ser, aujourd'hui iombé en désuétude. Le
vaudevilliste Picard, en faisant de Mon-
sieur Musard le -titre d'une de ses plus
jolies comédies, a popularisé ce mot,
dans l'acception où il est pris générale-
ment.
C'est bien dommage que musard n'ait
pas droit de cité dans le langage de la
société polie; on en eût fait musarderie, qui
est plus vif et plus agréable que la pro-
crastination de Sainte-Beuve.
Il est vrai que procrastination a encore
un autre sens où n'atteindra jamais mu-
sarder ie. Il enferme une autre sçrie d'i-
dées, celle précisément à laquelle je pen-
sais quand j'ai commencé d'écrire cet
article.
Il y a sans doute beaucoup de gens
qui ne remettent au lendemain un devoir
à accomplir que par insouciance, par
légèreté d'esprit ou paresse de corps.
Ceux-là sont en effet des musards.
Mais il en est d'autres chez qui h pro-
crastination - est un parti pris ; c'est de -
propos délibéré qu'ils renvoient hommes
et choses à un lendemain qui n'arrive
jamais.
Vous vous rappelez la fameuse ensei-
gne du barbier :
— Demain l'on rasera gratis.
Que de gens sont logés à cette ensei-
gne !
Nous verrons. on verra. j'attends
le rapport. remettez moi une note.
je parlerai au ministre. revenez dans
quelques jours. l'affaire s'instruit.
Autant de formules qui sont la traduc-
tion exacte de la fameuse phrase : de-
main l'on rasera gratis.
Toutes ces façons plus ou moins po-
lies d'éconduire un solliciteur importun
ou de traîner en longueur une affaire
dont la solution embarrasse 'Sont conte-
nues et frétillent à travers les syllabes
de ce grand mot : procrastination.
Je vous contais, il y a quelques se-
maines, le chagrin de ces pasteurs pro- -.
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