Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1873-01-29
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 29 janvier 1873 29 janvier 1873
Description : 1873/01/29 (A3,N440). 1873/01/29 (A3,N440).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75567023
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/03/2013
3' Année. — N' 440.
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 45 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Mercredi 29 Janvier 1873.
RÉDACTION
IV&dresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
e. rue Drouot. 9
Zes manuscrits non insérés seront rendus
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2, rue Dreuot, 2
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° 6, place de la Bourse,. G
MM. les Souscripteurs des dé-
partements dont l'abonnement ex-
pire le 31 janvier sont instamment
priés de le renouveler dans le plus
bref délai, s'ils ne veulent éprouver
aucune interruption dans la ré-
ception du journal.
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, le 28 janvier 487S.
Nous n'aimons guère en France qu'on
nous parle longtemps des mêmes choses
sans que les discours aboutissent à un ré-
sultat. La commission des trente, avec ses
divagations, nous ennuie, et nous n'y pren-
drons plus quelque intérêt que le jour où
nous apprendrons qu'elle passe aux actes.
De même le lecteur distrait jette à peine
un coup-d'oell sur les mille et une anecdo-
tes qui sont présentées depuis plusieurs
jours comme des preuves authentiques de
la fusion. Est-elle faite ? ne l'est-elle pas ?
Si oui, qu'on nous le montre sans aller
par quatre chemins, qu'on se découvre en-
fin, qu'on se déclare, et qu'on prouve en
marchant que l'on peut marcher. Mais si
rien n'est accompli, qu'on nous fasse grâce
de tant de dissertations platoniques sur
des si, des car et des mais. De quel
intérêt est pour le pays la présence du duc
d'Aumale à la messe de Louis XVI ? Grand
événement, grande démarche, grand acte
accompli, répètent les légitimistes ; et les
orléanistes, d'autre part, nous soufflent à
l'oreille que nous serions bien sots d'en
rien conclure. Bien sots plutôt de cous
occuper un instant de telles affaires ! Du
moins faut-il dire, à notre décharge, qu'on
apprend quelque chose à cette étude de
l'infiniment petit, et que l'occasion est assez
favorable pour observer les mœurs et les ca-
ractères des royalistes.
Ce journal publiait hier encore, dans
une série d'extraits relatifs à la fusion, la
conversation reproduite, avec autorisation
d'un témoin, de M. le duc de Nemours
avec M. le général de Maud'huy. Le duc
aurait dit au général: « La fusion est
chose faite ; nous sommes décidés tous les
sept à reconnaître pour roi le comte de
Chambord et à emboîter le pas derrière lui,
quelque drapeau qu'il ramène. » La ques-
tion du drapeau était donc cette fois abor-
dée. C'était, on s'en souvient, le gros sujet
de désaccord des princes. Comment accor-
der cependant le langage du duc de Ne-
mours avec l'invocation adressée, en pleine
Assemblée, par le duc d'Aumale à son
drapeau chéri, le drapeau de Juillet, de la
Parisienne, et, peur tout dire enfin, le
drapeau tricolore ? Les princes ont trouvé
cette relation désobligeante ; quelle rage
avait-on de les compromettre en des ex-
plications si claires l Un mandataire ou
secrétaire de M. le duc de Nemours fut
chargé d'écrire une lettre rectificative au
journal qui avait donné la conversation
Maud'huy. Nous reproduisons cette pièce,
qui est rédigée selon les règles tradition-
nelles du parti. Le duc de Nemours parle,
et, 'comme dit le bon Chrysale ;
On cherche ce qu'il dit après qu'il a parlé.
Cette fois, il n'y a plus rien à reprendre,
et le public est averti que les d'Orléans ne
sont ni pour ni contre M. le duc de Cham-
bord, ni pour ni contre le drapeau blane,
ni pour ni contre qui que ce soit ou quoi
que ce soit, mais qu'ils se réservent, selon
les temps, les cas et le succès, d'être pour
ou contre. Quant à leur journal, il n'a
garde de commenter, directement au moins,
la lettre rectificative; il faut aller chercher
un commentaire indirect à quelque dis-
tance : c'est un article de politique et d é-
rudition mélangées sur l'Histoire du dra-
peau français de SOI à 1872, ouvrage récent
de M. le comte Louis de Bouillé.
« Est-ce à tort ou à raison, demande le
inumal de Paris, que l'on a opposé réci-
proquement l'un à l'autre le drapeau blanc
et le drapeau tricolore, comme symbolisant
non pas seulement deux partis, mais deux
Frances, la France ancienne et la France
nouvelle, la France de l'ancien régime et
la France de la Révolution? » Voilà la
question posée. S'appuyant ensuite sur les
recherches de M. de Bouillé, son auteur,
le Journal de Paris démontre : que le dra-
peau blanc n'a jamais été le drapeau de
rancienna monarchie, mais simplement
la marque et le signe du commandement,
et que les trois couleurs se trouvent être,
au contraire, les « couleurs héraldiques »
de la maison de France; que le bleu
appartenait à Robert le Fort et aux Ca-
pétiens ; que le rouge était la couleur
de l'oriflamme des croisés, puis des en-
seignes de Louis XI ; que le bleu et le rou-
ge ont été réunis par les Valois; que le
blanc a marqué ensuite l'autorité royale ;
que le bleu, le rouge et le blanc ont été les
couleurs personnelles de Henri IV et -sont
restées ensuite, jusqu'à la chute de l'an-
cienne monarchie, les « couleurs du roi »;
enfin que, même sous la Restauration,
sans qu'on s'en doutât, les trois couleurs
n'ont pas cessé d'être couleurs royales.
Voulez-vous des preuves ? En voici : il y a
une circulaire du 23 avril 1814, qui fait
prendre aux tambours, trompettes et musi-
ciens « le bleu de roi pour l'habit, avec des
galons blancs et écarlates, qui sont la ii-
vrée de la maison régnante. »
Voilà de l'érudition bien placée. Mais
que prouve enfin tout ceci ? LéNc&iûWtfn
du Journal de Paris, c est qu iln yade raison
pour répudier ni le drapeau tricolore, ni
le drapeau blanc. Qu'en faire donc ? Les
rapprocher, les placer côte à côte et les
mener ensemble à l'ennemi. Chaque sol-
dat, d'ailleurs, pourrait avoir ses préféren-
ces, et « chacun donnant sa vie pour son
drapeau, la victoire nous reviendrait peut-
être ! »
A défaut de mieux, aujourd'hui, nous
avons cru devoir donner ces dernières nou-
velles de la fusion. Nous ne savons si le
double drapeau aura jamais l'assentiment
de M. le comte de Chambord, malgré des
démonstrations historiques aussi séduisan-
tes ; mais nous savons très-bien que les
Français, qui ne se soucient pas des cou-
leurs héraldiques de leurs anciens rois, et
qui même ont perdu tout respect de la
livrée royale, trouveront qu'on se moque
d'eux. Il est certain que les « héros de
Juillet », s'il en reste, auront de quoi rire
avec ces histoires. Quant aux princes, qui
voudraient embrasser d'un amour égal la
Révolution et l'ancien régime, les voici
présentement entre deux selles ; ils y peu-
vent rester.
BUG. LIÉBERT.
i —————————————.
L'ITALIE NOUVELLE
LE MALENTENDU
Rome, 22 janvier 1873.
A Rome, aussi bien qu'à Paris, on
rencontre des hommes de bon sens et
de bonne volonté qui rêvent d'allier la
France et l'Italie à l'exemple de la Prusse
et de la Russie , et dans ces conditions
de loyauté que la Russie a toujours ob-
servées.
Si ce projet, inspiré par la nation elle-
même et recommandé aux deux nations
sœurs par leurs intérêts individuels,
n'est pas encore entré dans la pratique;
si beaucoup de Français se tiennes t sur
la réserve et beaucoup d'Italiens sur le
qui vive, la faute n'en est ni à la France,
ni à l'Italie, mais à un déplorable malen-
tendu que nos ennemis communs entre-
tiennent avec art.
Le parti clérical, ennemi déclaré de
l'Italie moderne, met tout en œuvre
pour nous indisposer contre elle ; la
chancellerie de Berlin, avertie qu'elle
aura tôt ou tard un compte à régler avec
nous, fait de son mieux peur nous ôter
les sympathies d'une nation déjà grande
et qui grandit à vue d'œil. Tôt ou tard,
les Italiens sauront que l'Allemagne est
leur ennemie autant qu'elle est la nôtre.
La France républicaine verra que les
manœuvres théocratiques ne menacent
pas seulement Rome, mais Paris. En
attendant que ces vérités éclatent à
tous les yeux, la France et l'Italie sont
condamnées à marcher séparément dans
une obscurité profonde, où elles ris-
quent de se heurter au premier faux pas.
Or, je ne crains pas d'affirmer qu'un
choc serait fatal aux deux Etats ; ni l'un
ni l'autre ne survivrait à une guerre,
même heureuse. Les Italiens qui raison-
nent, et c'est le grand nombre, compa-
rent leur pays à un convalescent en bon-
ne voie de guérison, qui est à peu près
sûr de revenir à la santé, mais que la
moindre imprudence exposerait à une
rechute mortelle. Notre patrie est dans
les mêmes conditions, que les Français
le sachent ou qu'ils l'ignorent. Ils ne le
savent pas assez ; j'en atteste l'aveugle-
ment avec lequel tout un parti, français
de nom, se fourvoie dans la question
italienne.
Est-ce parce que nous sommes les
plus nombreux, les plus riches et vrai-
semblablement les plus forts ? Est-ce
parce que nous sommes les moins sa-
ges ? Je - ne - sais, mais il est certain que
aous traitons cette affaire avec autant
le légèreté que nos voisins y apportent
de réflexion. A peine daignons-nous sa-
voir ce qui se passe en Italie, tandis que
les Italiens sont attentifs à nos moindres
mouvements. La politique française les
occupe autant et plus que leurs querelles
nationales et les luttes de leurs partis.
Que le ministère Lanza vienne à tomber
sous les coups de M. Rattazzi, le pays
ne sera pas sans s'émouvoir, je l'avoue,
mais il se sentirait bien autrement frappé
s'il apprenait que M. Thiers vient de pas-
ser à la droite.
Dans le premier cas, il s'agit d'une sim-
ple question de ménage;' dans le second,
c'est la sécurité nationale qui est ou paraît
être en jeu. Aussi toutes les classes de la
société suivent-elles au jour le jour non-
seulement les débats de l'Assemblée de Ver-
sailles, mais les discussions des journaux
qui reflètent bien ou mal l'opinion pu-
blique. Grâce à leur vigilance, ils nous
connaissent beaucoup mieux que nous
ne les connaissons, et s'ils se trompent
quelquefois sur notre compte, c'est que
nous-mêmes nous avons pris soin de
mettre les apparences contre nous.
On me permettra de citer à l'appui de
ces observations générales un fragment
de conversation qui abonde en détails
précis.
J'étais hier en tête-à-tête avec un des
hommes qui ont le très-laborieux hon-
neur de gouverner l'Italie. Après m'avoir
donné avec infiniment de bonne grâce
certains renseignements que je cherchais,
et éclairci pour moi quelques questions
spéciales, il arriva par une pente rapide
à discuter les griefs réciproques de la
France et de l'Italie. Il mit cartes sur table
en un tour de main, comme il pouvait le
faire devant un vieil ami de sa patrie, et
me dit :
« Ceux qui veulent tourner la France
contre nous n'ont que trois arguments
à leur disposition. Nous rêvons, disent-
ils, la revendication de Nice; nous aspi-
rons à la conquête de Tunis ; nous vou-
lons supplanter la France en Orient dans
le protectorat des établissements catho-
liques.
» Quant à la province de Nice, il est
oiseux de rechercher si les populations
qui l'habitent étaient ou n'étaient pas
plus italiennes de race, de langage et de
cœur que les habitants de la Savoie.
L'annexion, désirée à tort ou à raison par
la France, est un fait accompli dans les
formes légales, et définitif à nos yeux
comme aux vôtres.
p Il a pu causer des regrets qui durent
encore, il pourra soulever des récrimi-
nations périodiques chaque fois que
l'Italie et la France ne seront pas absolu-
ment d'accord; mais soyez persuadé que
pas un Italien, même parmi ceux qui
crient le plus fort, ne voudrait enga-
ger son pays dans la revendication de
Nice, et qu'un gouvernement assez fou
pour entreprendre une telle campagne
serait renversé en huit jours par la ré-
volte du bon sens public. »
Il aurait pu ajouter qu'en 1870, pen-
dant les malheurs de la France, la rup-
ture du traité qui nous a donné Nice et
la Savoie avait été ouvertement con-
seillée, sinon par le gouvernement de
Berlin, au moins par la presse allemande,
et que cette impudente excitation n'avait
pas éveillé dans le royaume un seul
écho.
— « Pour ce qui est de Tunis, reprit-il,
neus y avons des intérêts commerciaux
comme tous les peuples de l'Europe, et
nous les défendons de notre mieux par
l'organe de nos consuls; mais on nous
offrirait la Régence sur un plat d'or que
nous la refuserions avec enthousiasme.
Nous ne sommes pas assez riches pour
nous donner le luxe d'une Algérie.
» Quant au protectorat des Eglises de
l'Orient, nous sommes loin de vous l'en-
vier, car nous savons ce qu'il vous coûte
depuis des sièeles et nous ne voyons
pas ce qu'il a pu vous rapporter. La sin-
gulière ambition qu'on nous prête de ce
côté est en contradiction formelle avec
l'esprit de notre politique. Tous nos ef-
forts tendent à séparer l'Etat de l'Eglise.
Nous tournons donc le dos à l'exploi-
tation de l'Eglise par l'Etat. »
Il insista vivement sur ce point et ré-
péta à plusieurs reprises que sur aucun
terrain, sauf le terrain économique où il
y a place pour tous, l'Italie ne voulait
entrer en lutte avec la France, et que
nul embarras ne nous viendrait de ce
côté.
Cela dit, il changea de ton, et avec une
réserve poussée jusqu'à l'extrême délica-
tesse, il me laissa entendre à demi-mot
que les intentions et les procédés de son
pays mériteraient peut-être une certaine
réciprocité ; que la France, seule entre
toutes les nations de l'Europe, semblait
parfois remettre en question l'unité ita-
lienne, après l'avoir formellement ran-
gée au nombre des faits accomplis ; que
l'Italie n'avait pas d'ennemis, et que
pourtant elle ne jouirait que d'une sé-
curité relative tant qu'elle remarquerait
une apparence de contradiction dans nos
rapports avec elle.
« Un peuple ne peut pas voir sans un
certain déplaisir et sans une vague in-
quiétude qu'un ambassadeur, installé
dans la capitale, à quelques pas du pa-
lais royal, semble ignorer l'existence du
roi et traite le ministre des affaires étran-
gères comme une sorte de Paschal
Grousset. Les menaces périodiques qui
retentissent à la tribune de Versailles et
qui ne sont jamais bien formellement
démenties par la majorité parlementaire
ne sont pas faites pour rassurer les Ita-
liens ; et les déclarations du pouvoir
exécutif, prononcées à bonne intention,
nul n'en doute, ne les rassurent qu'à
demi. L'Italie respecte profondément M.
Thiers : elle l'admire, elle applaudit aux
prodiges que son génie et son patriotisme
ont accomplis depuis deux ans pour le
salut de la France ; mais elle souffre un
peu de l'entendre répéter si souvent
qu'il n'a pas fait l'Italie et qu'elle s'est
faite malgré lui. Votre grand homme
d'Etat se hâte, il est vrai, d'ajouter que
notre existence est un mal irréparable,
que la France n'est pas en mesure de
nous détruire et qu'il y aurait une cou-
pable imprudence à l'entreprendre pour le
moment. Mais pensez-vous, en bonne
foi, que nous devions être charmés d'une
telle assurance ? Est-il bien consolant de
savoir que le voisin nous laisse vivre
parce qu'il a besoin de repos et que son
médecin lui a prescrit jusqu'à nouvel
ordre un régime pacifique? Dire que l'on
n'est point en état de nous nuire, n'est-
ce pas indiquer qu'on tomberait sur nous
si l'on était plus fort ?
» Le gouvernement italien ne croit pas
au mauvais vouloir de la France, mais il
est forcé de prévoir le cas où vos cléri-
caux, qui nous exècrent, prendraient le
haut du pavé ; il n'est pas libre d'oublier
que peu d'années après Waterloo, quand
la santé vous fut rendue, on entreprit
une restauration en Espagne pour se
faire la main. Or, notre pays est ouvert
de tous côtés, nous avons 1,200 lieues
de côtes qui appellent, pour ainsi dire,
les débarquements, et la chaîne des Al-
pes, notre rempart naturel, en est à sa
quatrième brèche. Peut-être cependant
oublierions-nous parfois ce qu'il y a de
précaire dans notre situation, si l'on ne
prenait soin de nous tenir éveillés par
mille petites piqûres.- C'est tantôt le lan-
gage et le ton d'un secrétaire d'ambas-
sade, tantôt un incident comme celui de
YOrénoque, tantôt un mot de M. Dufaure
qui, à propos des couvents français de
Rome, nous traite presque en Asiatiques
et invoque, ou peu s'en faut, l'extrater-
rit&rialité. Nous sommes durs aux coups
d'épingle, et même nous mettons une
certaine coquetterie à les recevoir sans
crier; mais aussi longtemps que la Fran-
ce nous soumettra à ce régime, elle de-
vra trouver naturel que nous n'écartions
pas un seul atout de notre jeu. »
L'atont que l'Italie garde avec tant de
soin et par de si bonnes raisons, c'est,
vous l'entendez bien, l'alliance prus-
sienne. Elle préférerait la nôtre, par
goût, mais nous ne lui laissons pas le
choix. Elle sait que dans le fond nous
valons mieux que les Prussiens; lors-
qu'elle fait profession d'impartialité et
qu'elle affecte une égale reconnaissance
pour nos ennemis et pour nous, c'est
un jeu d'esprit qui l'amuse; elle se
venge ainsi de nos sottises et de nos ma-
ladresses. La campagne de 1859 a été
toute chevaleresque; la France s'y est
jetée de bon cœur, sans arrière-pensée
d'intérêt, sans se douter que le gouver-
nement impérial avait stipulé l'annexion
de Nice et de la Savoie en échange du
sang de nos soldats. La Prusse; en 1866,
s'est servie des Italiens plus qu'elle ne
les a servis. Elle leur a donné Venise,
ils lui ont donné l'Allemagne, qu'elle
n'aurait jamais pu conquérir sans eux.
Dans l'une et l'autre occasion, les Ita-
liens ont bien payé de leur personne;
mais à Magenta et à Solférino ils combat-
taient côte à côte avec nous et parta-
geaient fraternellement notre gloire,
tandis qu'à Custozza et à Lizza ils atti-
raient sur eux le principal effort des
Autrichiens, tenaient tête à l'archiduc
Charles et à l'amiral Tegethef, se faisaient
égorger comme Léonidas aux Thermopyles
et assuraient ainsi la victoire de leurs
alliés.
C'est donc la Prusse, au fond, qui est
leur obligée; mais comme elle est habile,
comme elle a toujours ménagé .leur sus-
ceptibilité et respecté leur libre arbitre,
comme elle cultive leur amitié aussi as-
sidûment que nous entretenons leur dé-
fiance, ils répondent à ses bons procédés
par un luxe de courtoisie, ils poussent à
l'excès une reconnaissance qui n'est pas
due et qu'on ne leur impose point.
Si les hommes d'Etat qui composent le
ministère actuel se contentent d'échan-
ger des politesses avec la Prusse, l'oppo-
sition de gauche, qui est surtout anti-
cléricale, pousse les choses plus loin :
elle prend son point d'appui à Berlin,
elle se fait franchement Gibeline, elle
publie des manifestes où le désintéres-
sement et la générosité germaniques sont
portés aux nues. Ne vous hâtez pas d'en
conclure que les Garibaldi et les autres
radicaux sont devenus les ennemis de
notre République et les amis du despo-
tisme prussien : nous sommes dans un
pays où la tendresse, la fureur et les pas-
sions les plus ardentes s'emploient sou-
vent à masquer un calcul ; l'océan popu-
laire s'y - soulève en tempêtes -- effroyables
surun fond plus tranquille quelemarbre.
L'amour tumultueux des radicaux pour
M. de Bismarck n'est qu'une protesta-
tion à la mode d'Italie contre les cléri-
caux de Yersailles.
L'émotion qui a éclaté d'un bout à
l'autre de la péninsule après la mort de
Napoléon III était sincère assurément;
mais elle n'en était pas moins raisonnée.
Jamais la réflexion ne perd ses droits
chez ce peuple cent fois plus pratique et
plus politique que nous. Les nerfs en-
trent d'abord en jeu; on pleure en ap-
prenant la fin pour ainsi dire foudroyante
d'un homme qu'on a connu, acclamé,
dont le nom rappelle un fait heureux et
glorieux pour la patrie italienne ; on se
rappelle le frémissement de tous les
cœyrs, l'éclat de cette aurore nationale,
l'entrée des Français à Milan, les fanfa-
res de la garde, et les fleurs qui pleu-
vaient de toutes les fenêtres sur le pas-
sage du libérateur. La mort obscure et
triste de l'exilé, la douleur de sa veuve,
le désespoir de son fils, opposés à ces
souvenirs radieux * font un contraste
navrant ; on pleure encore, et, tout en
pleurant, on se dit qu'on a raison, qu'on
est dans son droit, que le monde n'y
trouvera point à redire, et qu'on s'ho-
nore soi-même en affichant un senti-
ment généreux.
Il serait mieux encore, se dit-on, de
consacrer par quelque monument impé-
rissable un élan si naïf et si spontané, et
l'on ouvre une souscription. En souscri-
vant et en pleurant, on éprouve un va-
gue sentiment de délivrance ; on se sent
comme acquitté d'une vieille dette en-
nuyeuse. Hier encore, on avait quelque
part, au-delà des Alpes, trente-six mil-
lions de créanciers. Il paraît commode et
doux de concentrer toute sa reconnais-
sance sur un seul homme qui n'est plus.
C'est dans le même esprit que les Amé-
ricains ont fait un Dieu du pauvre
Louis XVI. On pleure de plus belle, et
si par hasard on apprend que les répu-
blicains français discutent ce déborde-
ment de sensibilité, on redouble, on in-
siste, on retourne contre eux une mani-
festation très-généreuse d'abord, un peu
taquine ensuite, et qui, après avoir été
la récompense de Selferino, devient une
revanche sur VOrênoqué.
Devant ce curieux spectacle, les radi-
caux s'émeuvent à leur tour ; ils se rap-
pellent tout à coup que Napoléon III, en
1849, a fait le siège de Rome ; qu'il y a
tenu garnison jusqu'en 1870 et que, dans
l'intervalle, ses chassepots ont fait mer-
veille à Mentana. Le souvenir de ces ini-
quités leur arrache des larmes ; ils di-
sent que les victimes de Mentana méri-
tent un monument, elles aussi, et voilà
une nouvelle souscription. La-première
a pour but d'honorer Napoléon III à l'ex-
clusion de la France ; la deuxième fera
d'une pierre deux coups en frappant no-
tre ancien maître et nous-mêmes.
Mais après quelques jours de réflexion,
tout s'apaise : les modérés amendent le
style de leurs adresses et ae leurs pro-
clamations ; ils se rappellent que l'os-
suaire de Solferino n'est pas exclusive-
ment bâti avec les os des Bonaparte, et
ils reviennent à de meilleurs sentiments
pour la France. Les radicaux eux-mêmes
se calmant en voyant que la masse sem-
ble avoir oublié les victimes de Mentana,
et nous nous retrouvons en présence
d'un peuple froid, sensé, politique, at-
tentif à ses propres destinées, travaillé
du besoin d'une alliance solide et prêt à
servir loyalement, sans réserve comme
sans rancune, quiconque voudra le ser-
vir. Voudrons-nous seulement l'étudier
et le comprendre?
ABOUT.
* ————————
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 27 janvier 4875.
On ne peut point dire que cela ne soit
pas intéressant. Non, on ne peut pas le
dire. Mais c'est bien ennuyeux ! L'intérêt
réside dans le vote même ; l'ennui gît dans
la discussion.
Ainsi l'on a voté une résolution qui a
pour objet l'établissement de succursales
de la Banque de France dans les départe-
ments où il n'en existe pas, avec obliga-
tion pour la Banque de recevoir des eomp-
tes-courants portant intérèt.- Voilà vingt-
six départements qui ne seront certes pas
fâchés de ce vote, et voilà aussi quatre
cents employés de la Banque, tout au
moins, qui vont faire des rêves de direc-
teurs ou de caissiers. Les cinquante-deux
places ne seront délivrées qu à partir de
janvier 1875. mais quand le rêve est deux,
on ne se plaint jamais de sa longueur.
On a voté aussi l'abrogation de divers
articles du code d'instruction criminelle
en ce qui concerne l'organisation des tri-
bunaux de police. On a failli voter encore
la deuxième délibération d'une proposition
relative aux associations syndicales agri-
coles. — Ce sont là travaux législatifs, les
vrais, tâchant d'améliorer telle ou telle
partie défectueuse de notre législation;
mais nous sommes tellement désaccoutu-
més de ce qui est raisonnable et ordinaire
que nous avons grand peine à nous y ha-
bituer. Et puis, tout cela est étudié d'a-
vance et longuement dans les commis-
sions; l'Assemblée se fie au travail cons-
ciencieux — consciencieux, lorsqu'il ne
touche pas à la politique,—de ses bureaux,
et, peu curieuse d'explications, elle ne songe
qu'à voter un bill d'indemnité.
Sur le premier proj et (Banque de France),
on aurait pu croire qu'il y avait dissenti-
ment, car MM. Roger-Marvaise, de K6-
ridec, de Plœuc, Wolowski, Léon Say, Du-
cuing, André, etc., se succédaient rapide-
ment à la tribune. Ce n'était qu'un mal-
entendu qui a duré une heure et n'a nul-
lement impressionné l'auditoire. L'audi-
toire, malin, savait que cette affaire s'ar-
rangerait; en effet, vieux amendements et
ordres du jour improvisés se sont éva-
nouis tout à coup pour laisser triompher
sans gloire le projet.
Les tribunes sont à moitié vides, la salle
est aux deux tiers vide, les discours sont
tout à fait vides. Les discours sont som-
nolents, les tribunes Millent, la salle dort.
Ceux qui ne sommeillent pas dégagent ce
bruit uniforme, continu, qui étouffe admi-
rablement la voix de l'orateur et berce
doucement ceux qui ne parlent pas. Tin,
tin, tin. Tin, tin, tin. C'est M. Grévy
qui machinalement agite sa sonnette, tout
en causant avec un député.
M. Parent est à la tribune, combat-
tant le projet n° 2 et s'arrêtant toutes les
trois minutes, désolé de ne pouvoir percer
ce bruit et cette indifférence.
Tin, tin, tin ! chante toujours aussi mé-
lancoliquement la sonnette présidentielle :
« Messieurs, si vous avez à converser,
conversez bas. Tin, tin, tin! » Et M. Grévy
reprend sa conversation.
Des membres de la commission des
trente ont montré leur nez dans la salle et
prestement disparu. Laissons M. Bigot,
rapporteur, répondre à M. Parent au mi-
lieu d'une obscurité grise qui ne permet
même pas de distinguer l'orateur, et occu-
pons-nous de ceux qui tiennent en main
les tèmpêtes de l'avenir.
Les membres de la commission des tren-
te n'avaient aucune convocation officielle
pour aujourd'hui lundi. Le lecteur se sou-
vient sans doute du renseignement donné
dans ce journal, à savoir que M. le prési-
dent de la République ne demandait plus
pour le moment, à ces potentats parlemen-
taires, qu'une chose, la rapidité. Or, ce
matin, de bonne heure, des membres de la
majorité de la commission se réunissaient
à Versailles chez leur président, M. de
Larcy; il s'agissait, sans doute, de traiter
en tout petit comité le paragraphe 4 de
l'article 2, c'est-à-dire la fameuse question
des interpellations, ou mieux la question
de la réponse aux interpellations.
Divers amendements à cet article avaient
été déposés, notamment celui de M. Dela-
cour.
Le président de la République pourra être en-
tendu dans les interpellations qui auront pour
objet des actes engageant la politique générale
du gouvernement, soit au dehors, soit au dedans,
lorsque lesdits actes auront été délibérés en
conseil des ministres et contresignés par le pré-
sident du conseil.
Et cet amendement de M. Delacour pas-
sait, à tort ou à raison, pour avoir été
inspiré à son auteur par M. Thiers lui-
même.
Vers dix heures du matin, des télégram-
mes dépêchés par M. de Larcy conviaient
tous les membres de la commission à venir
tenir séance. Là est la seule concession
faite à M. le président de la République'
car la majorité de la commission a re-
poussé l'amendement Delacour.
Mais ce rejet manquait d'unité : le ma-
tin, avant la séance, plusieurs membres dé
la majorité, trouvant sans doute qu'il est
bon ae tendre une corde, mais non pas au
point de la rompre, étaient d'avis d'adop-
ter l'amendement. A la réunion du centre
droit, on s'en était aussi fort occupé et
préoccupé, bien qu'il n'y soit pas fait al-
lusion dans le procès-verbal. (Gros ma-
lins ! ) On se demandait s'il ne valait
pas mieux avoir l'air de faire de bonne
grâce cette concession que de risquer de se
la voir arracher par l'Assemblée même lors
do la discussion publique..,
Quel vent a soufflé sur toutes ces indé-
cisions? Toujours est-il que sur les trois
heures, l'amendement Delacour a été re-
poussé par la majorité de la commission. A
quatre heures et demie, la commission fai-
sait une seconde reprise et exécutait
d autres amendements. Au moment de no-
tre départ, elle exécutait toujours.
Et dans la salle retentissait toujours le
même bruit uniforme, continu, coupé des
mêmes « tin tin tin » mélancoliques et au-
tomatiques. Au dehors, il faisait grand
froid; l'intérieur rappelait étonnamment
les musées et bibliothèques où les bons
vieux viennent. se reposer.
PAUL LAFARGUB.
1 1 ————— VI
LA SALLE DES PAS-PERDUS
Pauvre Yersailles ! pauvre salle des Pas-
Perdus ! Les représentants sp livrent à un
travail législatif, et ils en sont tellement
étonnés qu'ils ont toutes les peines du
monde à croire qu'ils remplissent vérita-
blement leur mandat. Aussi la salle des
séances est vide, mais en revanche, comme
on cause dans les couloirs ! Les succur-
sales de la Banque de France, le travail
des enfants dans les manufactures, qu'est-
ce que cela ?
*
« «
Il faut à nos députés des morceaux plus
succulents. Heureusement, la commis-
sion des trente est réunie. Elle a été con-
voquée par dépêche. Que peut-il y avoir ?
De nouvelles complications évidemment.
Et les conversations - vont leur train. M.
Thiers est-il d'accord avec M. de Larcy?
Ferait-il aussi sa fusion? Les uns l'espè-
rent, les autres le craignent, mais tout fait
prévoir que le pays assistera encore à nn
grand débat entre le pouvoir exécutif et le
pouvoir législatif.
*
« *
A deux heures et demie, heure à laquelle
on commence à arriver, rien n'a encore
transpiré. Et cependant le jeune Amédée
Lefèvre-Pontalis, demandé par un de ses
électeurs, vient dans la salle d'attente
Mais il est muet! Est-ce que par hasard
on aurait juré de garder le secret? Nous
sommes sûrs alors de savoir prochainement
tout ce qui s'est passé dans la commission.
it
* If.
Vers trois heures il y a une suspension
de séance. Cela devient grave! Les grands
politiques cherchent les motifs de cette
suspension qui préoccupe au plus haut
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 45 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Mercredi 29 Janvier 1873.
RÉDACTION
IV&dresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
e. rue Drouot. 9
Zes manuscrits non insérés seront rendus
o
ABONNEMENTS
ADMINISTRATION
Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
2, rue Dreuot, 2
Les lettres non affranchies seront refusées
ABONNEMENTS
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
PARIS
Trais mois. 13 fr.
Six mois. 25
Un an .,. 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois 16 fr.
Six mois. 32
Un an 62
AnnonceII, chez MM. LAGRANGE, CERF et C.
6, place de la Bourse, 6
PARIS
Trois mois 13 fr.
Six moià. 25
Un -un 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois 16 fr.
Six mois. 32
Un an 62
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et Ce
° 6, place de la Bourse,. G
MM. les Souscripteurs des dé-
partements dont l'abonnement ex-
pire le 31 janvier sont instamment
priés de le renouveler dans le plus
bref délai, s'ils ne veulent éprouver
aucune interruption dans la ré-
ception du journal.
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, le 28 janvier 487S.
Nous n'aimons guère en France qu'on
nous parle longtemps des mêmes choses
sans que les discours aboutissent à un ré-
sultat. La commission des trente, avec ses
divagations, nous ennuie, et nous n'y pren-
drons plus quelque intérêt que le jour où
nous apprendrons qu'elle passe aux actes.
De même le lecteur distrait jette à peine
un coup-d'oell sur les mille et une anecdo-
tes qui sont présentées depuis plusieurs
jours comme des preuves authentiques de
la fusion. Est-elle faite ? ne l'est-elle pas ?
Si oui, qu'on nous le montre sans aller
par quatre chemins, qu'on se découvre en-
fin, qu'on se déclare, et qu'on prouve en
marchant que l'on peut marcher. Mais si
rien n'est accompli, qu'on nous fasse grâce
de tant de dissertations platoniques sur
des si, des car et des mais. De quel
intérêt est pour le pays la présence du duc
d'Aumale à la messe de Louis XVI ? Grand
événement, grande démarche, grand acte
accompli, répètent les légitimistes ; et les
orléanistes, d'autre part, nous soufflent à
l'oreille que nous serions bien sots d'en
rien conclure. Bien sots plutôt de cous
occuper un instant de telles affaires ! Du
moins faut-il dire, à notre décharge, qu'on
apprend quelque chose à cette étude de
l'infiniment petit, et que l'occasion est assez
favorable pour observer les mœurs et les ca-
ractères des royalistes.
Ce journal publiait hier encore, dans
une série d'extraits relatifs à la fusion, la
conversation reproduite, avec autorisation
d'un témoin, de M. le duc de Nemours
avec M. le général de Maud'huy. Le duc
aurait dit au général: « La fusion est
chose faite ; nous sommes décidés tous les
sept à reconnaître pour roi le comte de
Chambord et à emboîter le pas derrière lui,
quelque drapeau qu'il ramène. » La ques-
tion du drapeau était donc cette fois abor-
dée. C'était, on s'en souvient, le gros sujet
de désaccord des princes. Comment accor-
der cependant le langage du duc de Ne-
mours avec l'invocation adressée, en pleine
Assemblée, par le duc d'Aumale à son
drapeau chéri, le drapeau de Juillet, de la
Parisienne, et, peur tout dire enfin, le
drapeau tricolore ? Les princes ont trouvé
cette relation désobligeante ; quelle rage
avait-on de les compromettre en des ex-
plications si claires l Un mandataire ou
secrétaire de M. le duc de Nemours fut
chargé d'écrire une lettre rectificative au
journal qui avait donné la conversation
Maud'huy. Nous reproduisons cette pièce,
qui est rédigée selon les règles tradition-
nelles du parti. Le duc de Nemours parle,
et, 'comme dit le bon Chrysale ;
On cherche ce qu'il dit après qu'il a parlé.
Cette fois, il n'y a plus rien à reprendre,
et le public est averti que les d'Orléans ne
sont ni pour ni contre M. le duc de Cham-
bord, ni pour ni contre le drapeau blane,
ni pour ni contre qui que ce soit ou quoi
que ce soit, mais qu'ils se réservent, selon
les temps, les cas et le succès, d'être pour
ou contre. Quant à leur journal, il n'a
garde de commenter, directement au moins,
la lettre rectificative; il faut aller chercher
un commentaire indirect à quelque dis-
tance : c'est un article de politique et d é-
rudition mélangées sur l'Histoire du dra-
peau français de SOI à 1872, ouvrage récent
de M. le comte Louis de Bouillé.
« Est-ce à tort ou à raison, demande le
inumal de Paris, que l'on a opposé réci-
proquement l'un à l'autre le drapeau blanc
et le drapeau tricolore, comme symbolisant
non pas seulement deux partis, mais deux
Frances, la France ancienne et la France
nouvelle, la France de l'ancien régime et
la France de la Révolution? » Voilà la
question posée. S'appuyant ensuite sur les
recherches de M. de Bouillé, son auteur,
le Journal de Paris démontre : que le dra-
peau blanc n'a jamais été le drapeau de
rancienna monarchie, mais simplement
la marque et le signe du commandement,
et que les trois couleurs se trouvent être,
au contraire, les « couleurs héraldiques »
de la maison de France; que le bleu
appartenait à Robert le Fort et aux Ca-
pétiens ; que le rouge était la couleur
de l'oriflamme des croisés, puis des en-
seignes de Louis XI ; que le bleu et le rou-
ge ont été réunis par les Valois; que le
blanc a marqué ensuite l'autorité royale ;
que le bleu, le rouge et le blanc ont été les
couleurs personnelles de Henri IV et -sont
restées ensuite, jusqu'à la chute de l'an-
cienne monarchie, les « couleurs du roi »;
enfin que, même sous la Restauration,
sans qu'on s'en doutât, les trois couleurs
n'ont pas cessé d'être couleurs royales.
Voulez-vous des preuves ? En voici : il y a
une circulaire du 23 avril 1814, qui fait
prendre aux tambours, trompettes et musi-
ciens « le bleu de roi pour l'habit, avec des
galons blancs et écarlates, qui sont la ii-
vrée de la maison régnante. »
Voilà de l'érudition bien placée. Mais
que prouve enfin tout ceci ? LéNc&iûWtfn
du Journal de Paris, c est qu iln yade raison
pour répudier ni le drapeau tricolore, ni
le drapeau blanc. Qu'en faire donc ? Les
rapprocher, les placer côte à côte et les
mener ensemble à l'ennemi. Chaque sol-
dat, d'ailleurs, pourrait avoir ses préféren-
ces, et « chacun donnant sa vie pour son
drapeau, la victoire nous reviendrait peut-
être ! »
A défaut de mieux, aujourd'hui, nous
avons cru devoir donner ces dernières nou-
velles de la fusion. Nous ne savons si le
double drapeau aura jamais l'assentiment
de M. le comte de Chambord, malgré des
démonstrations historiques aussi séduisan-
tes ; mais nous savons très-bien que les
Français, qui ne se soucient pas des cou-
leurs héraldiques de leurs anciens rois, et
qui même ont perdu tout respect de la
livrée royale, trouveront qu'on se moque
d'eux. Il est certain que les « héros de
Juillet », s'il en reste, auront de quoi rire
avec ces histoires. Quant aux princes, qui
voudraient embrasser d'un amour égal la
Révolution et l'ancien régime, les voici
présentement entre deux selles ; ils y peu-
vent rester.
BUG. LIÉBERT.
i —————————————.
L'ITALIE NOUVELLE
LE MALENTENDU
Rome, 22 janvier 1873.
A Rome, aussi bien qu'à Paris, on
rencontre des hommes de bon sens et
de bonne volonté qui rêvent d'allier la
France et l'Italie à l'exemple de la Prusse
et de la Russie , et dans ces conditions
de loyauté que la Russie a toujours ob-
servées.
Si ce projet, inspiré par la nation elle-
même et recommandé aux deux nations
sœurs par leurs intérêts individuels,
n'est pas encore entré dans la pratique;
si beaucoup de Français se tiennes t sur
la réserve et beaucoup d'Italiens sur le
qui vive, la faute n'en est ni à la France,
ni à l'Italie, mais à un déplorable malen-
tendu que nos ennemis communs entre-
tiennent avec art.
Le parti clérical, ennemi déclaré de
l'Italie moderne, met tout en œuvre
pour nous indisposer contre elle ; la
chancellerie de Berlin, avertie qu'elle
aura tôt ou tard un compte à régler avec
nous, fait de son mieux peur nous ôter
les sympathies d'une nation déjà grande
et qui grandit à vue d'œil. Tôt ou tard,
les Italiens sauront que l'Allemagne est
leur ennemie autant qu'elle est la nôtre.
La France républicaine verra que les
manœuvres théocratiques ne menacent
pas seulement Rome, mais Paris. En
attendant que ces vérités éclatent à
tous les yeux, la France et l'Italie sont
condamnées à marcher séparément dans
une obscurité profonde, où elles ris-
quent de se heurter au premier faux pas.
Or, je ne crains pas d'affirmer qu'un
choc serait fatal aux deux Etats ; ni l'un
ni l'autre ne survivrait à une guerre,
même heureuse. Les Italiens qui raison-
nent, et c'est le grand nombre, compa-
rent leur pays à un convalescent en bon-
ne voie de guérison, qui est à peu près
sûr de revenir à la santé, mais que la
moindre imprudence exposerait à une
rechute mortelle. Notre patrie est dans
les mêmes conditions, que les Français
le sachent ou qu'ils l'ignorent. Ils ne le
savent pas assez ; j'en atteste l'aveugle-
ment avec lequel tout un parti, français
de nom, se fourvoie dans la question
italienne.
Est-ce parce que nous sommes les
plus nombreux, les plus riches et vrai-
semblablement les plus forts ? Est-ce
parce que nous sommes les moins sa-
ges ? Je - ne - sais, mais il est certain que
aous traitons cette affaire avec autant
le légèreté que nos voisins y apportent
de réflexion. A peine daignons-nous sa-
voir ce qui se passe en Italie, tandis que
les Italiens sont attentifs à nos moindres
mouvements. La politique française les
occupe autant et plus que leurs querelles
nationales et les luttes de leurs partis.
Que le ministère Lanza vienne à tomber
sous les coups de M. Rattazzi, le pays
ne sera pas sans s'émouvoir, je l'avoue,
mais il se sentirait bien autrement frappé
s'il apprenait que M. Thiers vient de pas-
ser à la droite.
Dans le premier cas, il s'agit d'une sim-
ple question de ménage;' dans le second,
c'est la sécurité nationale qui est ou paraît
être en jeu. Aussi toutes les classes de la
société suivent-elles au jour le jour non-
seulement les débats de l'Assemblée de Ver-
sailles, mais les discussions des journaux
qui reflètent bien ou mal l'opinion pu-
blique. Grâce à leur vigilance, ils nous
connaissent beaucoup mieux que nous
ne les connaissons, et s'ils se trompent
quelquefois sur notre compte, c'est que
nous-mêmes nous avons pris soin de
mettre les apparences contre nous.
On me permettra de citer à l'appui de
ces observations générales un fragment
de conversation qui abonde en détails
précis.
J'étais hier en tête-à-tête avec un des
hommes qui ont le très-laborieux hon-
neur de gouverner l'Italie. Après m'avoir
donné avec infiniment de bonne grâce
certains renseignements que je cherchais,
et éclairci pour moi quelques questions
spéciales, il arriva par une pente rapide
à discuter les griefs réciproques de la
France et de l'Italie. Il mit cartes sur table
en un tour de main, comme il pouvait le
faire devant un vieil ami de sa patrie, et
me dit :
« Ceux qui veulent tourner la France
contre nous n'ont que trois arguments
à leur disposition. Nous rêvons, disent-
ils, la revendication de Nice; nous aspi-
rons à la conquête de Tunis ; nous vou-
lons supplanter la France en Orient dans
le protectorat des établissements catho-
liques.
» Quant à la province de Nice, il est
oiseux de rechercher si les populations
qui l'habitent étaient ou n'étaient pas
plus italiennes de race, de langage et de
cœur que les habitants de la Savoie.
L'annexion, désirée à tort ou à raison par
la France, est un fait accompli dans les
formes légales, et définitif à nos yeux
comme aux vôtres.
p Il a pu causer des regrets qui durent
encore, il pourra soulever des récrimi-
nations périodiques chaque fois que
l'Italie et la France ne seront pas absolu-
ment d'accord; mais soyez persuadé que
pas un Italien, même parmi ceux qui
crient le plus fort, ne voudrait enga-
ger son pays dans la revendication de
Nice, et qu'un gouvernement assez fou
pour entreprendre une telle campagne
serait renversé en huit jours par la ré-
volte du bon sens public. »
Il aurait pu ajouter qu'en 1870, pen-
dant les malheurs de la France, la rup-
ture du traité qui nous a donné Nice et
la Savoie avait été ouvertement con-
seillée, sinon par le gouvernement de
Berlin, au moins par la presse allemande,
et que cette impudente excitation n'avait
pas éveillé dans le royaume un seul
écho.
— « Pour ce qui est de Tunis, reprit-il,
neus y avons des intérêts commerciaux
comme tous les peuples de l'Europe, et
nous les défendons de notre mieux par
l'organe de nos consuls; mais on nous
offrirait la Régence sur un plat d'or que
nous la refuserions avec enthousiasme.
Nous ne sommes pas assez riches pour
nous donner le luxe d'une Algérie.
» Quant au protectorat des Eglises de
l'Orient, nous sommes loin de vous l'en-
vier, car nous savons ce qu'il vous coûte
depuis des sièeles et nous ne voyons
pas ce qu'il a pu vous rapporter. La sin-
gulière ambition qu'on nous prête de ce
côté est en contradiction formelle avec
l'esprit de notre politique. Tous nos ef-
forts tendent à séparer l'Etat de l'Eglise.
Nous tournons donc le dos à l'exploi-
tation de l'Eglise par l'Etat. »
Il insista vivement sur ce point et ré-
péta à plusieurs reprises que sur aucun
terrain, sauf le terrain économique où il
y a place pour tous, l'Italie ne voulait
entrer en lutte avec la France, et que
nul embarras ne nous viendrait de ce
côté.
Cela dit, il changea de ton, et avec une
réserve poussée jusqu'à l'extrême délica-
tesse, il me laissa entendre à demi-mot
que les intentions et les procédés de son
pays mériteraient peut-être une certaine
réciprocité ; que la France, seule entre
toutes les nations de l'Europe, semblait
parfois remettre en question l'unité ita-
lienne, après l'avoir formellement ran-
gée au nombre des faits accomplis ; que
l'Italie n'avait pas d'ennemis, et que
pourtant elle ne jouirait que d'une sé-
curité relative tant qu'elle remarquerait
une apparence de contradiction dans nos
rapports avec elle.
« Un peuple ne peut pas voir sans un
certain déplaisir et sans une vague in-
quiétude qu'un ambassadeur, installé
dans la capitale, à quelques pas du pa-
lais royal, semble ignorer l'existence du
roi et traite le ministre des affaires étran-
gères comme une sorte de Paschal
Grousset. Les menaces périodiques qui
retentissent à la tribune de Versailles et
qui ne sont jamais bien formellement
démenties par la majorité parlementaire
ne sont pas faites pour rassurer les Ita-
liens ; et les déclarations du pouvoir
exécutif, prononcées à bonne intention,
nul n'en doute, ne les rassurent qu'à
demi. L'Italie respecte profondément M.
Thiers : elle l'admire, elle applaudit aux
prodiges que son génie et son patriotisme
ont accomplis depuis deux ans pour le
salut de la France ; mais elle souffre un
peu de l'entendre répéter si souvent
qu'il n'a pas fait l'Italie et qu'elle s'est
faite malgré lui. Votre grand homme
d'Etat se hâte, il est vrai, d'ajouter que
notre existence est un mal irréparable,
que la France n'est pas en mesure de
nous détruire et qu'il y aurait une cou-
pable imprudence à l'entreprendre pour le
moment. Mais pensez-vous, en bonne
foi, que nous devions être charmés d'une
telle assurance ? Est-il bien consolant de
savoir que le voisin nous laisse vivre
parce qu'il a besoin de repos et que son
médecin lui a prescrit jusqu'à nouvel
ordre un régime pacifique? Dire que l'on
n'est point en état de nous nuire, n'est-
ce pas indiquer qu'on tomberait sur nous
si l'on était plus fort ?
» Le gouvernement italien ne croit pas
au mauvais vouloir de la France, mais il
est forcé de prévoir le cas où vos cléri-
caux, qui nous exècrent, prendraient le
haut du pavé ; il n'est pas libre d'oublier
que peu d'années après Waterloo, quand
la santé vous fut rendue, on entreprit
une restauration en Espagne pour se
faire la main. Or, notre pays est ouvert
de tous côtés, nous avons 1,200 lieues
de côtes qui appellent, pour ainsi dire,
les débarquements, et la chaîne des Al-
pes, notre rempart naturel, en est à sa
quatrième brèche. Peut-être cependant
oublierions-nous parfois ce qu'il y a de
précaire dans notre situation, si l'on ne
prenait soin de nous tenir éveillés par
mille petites piqûres.- C'est tantôt le lan-
gage et le ton d'un secrétaire d'ambas-
sade, tantôt un incident comme celui de
YOrénoque, tantôt un mot de M. Dufaure
qui, à propos des couvents français de
Rome, nous traite presque en Asiatiques
et invoque, ou peu s'en faut, l'extrater-
rit&rialité. Nous sommes durs aux coups
d'épingle, et même nous mettons une
certaine coquetterie à les recevoir sans
crier; mais aussi longtemps que la Fran-
ce nous soumettra à ce régime, elle de-
vra trouver naturel que nous n'écartions
pas un seul atout de notre jeu. »
L'atont que l'Italie garde avec tant de
soin et par de si bonnes raisons, c'est,
vous l'entendez bien, l'alliance prus-
sienne. Elle préférerait la nôtre, par
goût, mais nous ne lui laissons pas le
choix. Elle sait que dans le fond nous
valons mieux que les Prussiens; lors-
qu'elle fait profession d'impartialité et
qu'elle affecte une égale reconnaissance
pour nos ennemis et pour nous, c'est
un jeu d'esprit qui l'amuse; elle se
venge ainsi de nos sottises et de nos ma-
ladresses. La campagne de 1859 a été
toute chevaleresque; la France s'y est
jetée de bon cœur, sans arrière-pensée
d'intérêt, sans se douter que le gouver-
nement impérial avait stipulé l'annexion
de Nice et de la Savoie en échange du
sang de nos soldats. La Prusse; en 1866,
s'est servie des Italiens plus qu'elle ne
les a servis. Elle leur a donné Venise,
ils lui ont donné l'Allemagne, qu'elle
n'aurait jamais pu conquérir sans eux.
Dans l'une et l'autre occasion, les Ita-
liens ont bien payé de leur personne;
mais à Magenta et à Solférino ils combat-
taient côte à côte avec nous et parta-
geaient fraternellement notre gloire,
tandis qu'à Custozza et à Lizza ils atti-
raient sur eux le principal effort des
Autrichiens, tenaient tête à l'archiduc
Charles et à l'amiral Tegethef, se faisaient
égorger comme Léonidas aux Thermopyles
et assuraient ainsi la victoire de leurs
alliés.
C'est donc la Prusse, au fond, qui est
leur obligée; mais comme elle est habile,
comme elle a toujours ménagé .leur sus-
ceptibilité et respecté leur libre arbitre,
comme elle cultive leur amitié aussi as-
sidûment que nous entretenons leur dé-
fiance, ils répondent à ses bons procédés
par un luxe de courtoisie, ils poussent à
l'excès une reconnaissance qui n'est pas
due et qu'on ne leur impose point.
Si les hommes d'Etat qui composent le
ministère actuel se contentent d'échan-
ger des politesses avec la Prusse, l'oppo-
sition de gauche, qui est surtout anti-
cléricale, pousse les choses plus loin :
elle prend son point d'appui à Berlin,
elle se fait franchement Gibeline, elle
publie des manifestes où le désintéres-
sement et la générosité germaniques sont
portés aux nues. Ne vous hâtez pas d'en
conclure que les Garibaldi et les autres
radicaux sont devenus les ennemis de
notre République et les amis du despo-
tisme prussien : nous sommes dans un
pays où la tendresse, la fureur et les pas-
sions les plus ardentes s'emploient sou-
vent à masquer un calcul ; l'océan popu-
laire s'y - soulève en tempêtes -- effroyables
surun fond plus tranquille quelemarbre.
L'amour tumultueux des radicaux pour
M. de Bismarck n'est qu'une protesta-
tion à la mode d'Italie contre les cléri-
caux de Yersailles.
L'émotion qui a éclaté d'un bout à
l'autre de la péninsule après la mort de
Napoléon III était sincère assurément;
mais elle n'en était pas moins raisonnée.
Jamais la réflexion ne perd ses droits
chez ce peuple cent fois plus pratique et
plus politique que nous. Les nerfs en-
trent d'abord en jeu; on pleure en ap-
prenant la fin pour ainsi dire foudroyante
d'un homme qu'on a connu, acclamé,
dont le nom rappelle un fait heureux et
glorieux pour la patrie italienne ; on se
rappelle le frémissement de tous les
cœyrs, l'éclat de cette aurore nationale,
l'entrée des Français à Milan, les fanfa-
res de la garde, et les fleurs qui pleu-
vaient de toutes les fenêtres sur le pas-
sage du libérateur. La mort obscure et
triste de l'exilé, la douleur de sa veuve,
le désespoir de son fils, opposés à ces
souvenirs radieux * font un contraste
navrant ; on pleure encore, et, tout en
pleurant, on se dit qu'on a raison, qu'on
est dans son droit, que le monde n'y
trouvera point à redire, et qu'on s'ho-
nore soi-même en affichant un senti-
ment généreux.
Il serait mieux encore, se dit-on, de
consacrer par quelque monument impé-
rissable un élan si naïf et si spontané, et
l'on ouvre une souscription. En souscri-
vant et en pleurant, on éprouve un va-
gue sentiment de délivrance ; on se sent
comme acquitté d'une vieille dette en-
nuyeuse. Hier encore, on avait quelque
part, au-delà des Alpes, trente-six mil-
lions de créanciers. Il paraît commode et
doux de concentrer toute sa reconnais-
sance sur un seul homme qui n'est plus.
C'est dans le même esprit que les Amé-
ricains ont fait un Dieu du pauvre
Louis XVI. On pleure de plus belle, et
si par hasard on apprend que les répu-
blicains français discutent ce déborde-
ment de sensibilité, on redouble, on in-
siste, on retourne contre eux une mani-
festation très-généreuse d'abord, un peu
taquine ensuite, et qui, après avoir été
la récompense de Selferino, devient une
revanche sur VOrênoqué.
Devant ce curieux spectacle, les radi-
caux s'émeuvent à leur tour ; ils se rap-
pellent tout à coup que Napoléon III, en
1849, a fait le siège de Rome ; qu'il y a
tenu garnison jusqu'en 1870 et que, dans
l'intervalle, ses chassepots ont fait mer-
veille à Mentana. Le souvenir de ces ini-
quités leur arrache des larmes ; ils di-
sent que les victimes de Mentana méri-
tent un monument, elles aussi, et voilà
une nouvelle souscription. La-première
a pour but d'honorer Napoléon III à l'ex-
clusion de la France ; la deuxième fera
d'une pierre deux coups en frappant no-
tre ancien maître et nous-mêmes.
Mais après quelques jours de réflexion,
tout s'apaise : les modérés amendent le
style de leurs adresses et ae leurs pro-
clamations ; ils se rappellent que l'os-
suaire de Solferino n'est pas exclusive-
ment bâti avec les os des Bonaparte, et
ils reviennent à de meilleurs sentiments
pour la France. Les radicaux eux-mêmes
se calmant en voyant que la masse sem-
ble avoir oublié les victimes de Mentana,
et nous nous retrouvons en présence
d'un peuple froid, sensé, politique, at-
tentif à ses propres destinées, travaillé
du besoin d'une alliance solide et prêt à
servir loyalement, sans réserve comme
sans rancune, quiconque voudra le ser-
vir. Voudrons-nous seulement l'étudier
et le comprendre?
ABOUT.
* ————————
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 27 janvier 4875.
On ne peut point dire que cela ne soit
pas intéressant. Non, on ne peut pas le
dire. Mais c'est bien ennuyeux ! L'intérêt
réside dans le vote même ; l'ennui gît dans
la discussion.
Ainsi l'on a voté une résolution qui a
pour objet l'établissement de succursales
de la Banque de France dans les départe-
ments où il n'en existe pas, avec obliga-
tion pour la Banque de recevoir des eomp-
tes-courants portant intérèt.- Voilà vingt-
six départements qui ne seront certes pas
fâchés de ce vote, et voilà aussi quatre
cents employés de la Banque, tout au
moins, qui vont faire des rêves de direc-
teurs ou de caissiers. Les cinquante-deux
places ne seront délivrées qu à partir de
janvier 1875. mais quand le rêve est deux,
on ne se plaint jamais de sa longueur.
On a voté aussi l'abrogation de divers
articles du code d'instruction criminelle
en ce qui concerne l'organisation des tri-
bunaux de police. On a failli voter encore
la deuxième délibération d'une proposition
relative aux associations syndicales agri-
coles. — Ce sont là travaux législatifs, les
vrais, tâchant d'améliorer telle ou telle
partie défectueuse de notre législation;
mais nous sommes tellement désaccoutu-
més de ce qui est raisonnable et ordinaire
que nous avons grand peine à nous y ha-
bituer. Et puis, tout cela est étudié d'a-
vance et longuement dans les commis-
sions; l'Assemblée se fie au travail cons-
ciencieux — consciencieux, lorsqu'il ne
touche pas à la politique,—de ses bureaux,
et, peu curieuse d'explications, elle ne songe
qu'à voter un bill d'indemnité.
Sur le premier proj et (Banque de France),
on aurait pu croire qu'il y avait dissenti-
ment, car MM. Roger-Marvaise, de K6-
ridec, de Plœuc, Wolowski, Léon Say, Du-
cuing, André, etc., se succédaient rapide-
ment à la tribune. Ce n'était qu'un mal-
entendu qui a duré une heure et n'a nul-
lement impressionné l'auditoire. L'audi-
toire, malin, savait que cette affaire s'ar-
rangerait; en effet, vieux amendements et
ordres du jour improvisés se sont éva-
nouis tout à coup pour laisser triompher
sans gloire le projet.
Les tribunes sont à moitié vides, la salle
est aux deux tiers vide, les discours sont
tout à fait vides. Les discours sont som-
nolents, les tribunes Millent, la salle dort.
Ceux qui ne sommeillent pas dégagent ce
bruit uniforme, continu, qui étouffe admi-
rablement la voix de l'orateur et berce
doucement ceux qui ne parlent pas. Tin,
tin, tin. Tin, tin, tin. C'est M. Grévy
qui machinalement agite sa sonnette, tout
en causant avec un député.
M. Parent est à la tribune, combat-
tant le projet n° 2 et s'arrêtant toutes les
trois minutes, désolé de ne pouvoir percer
ce bruit et cette indifférence.
Tin, tin, tin ! chante toujours aussi mé-
lancoliquement la sonnette présidentielle :
« Messieurs, si vous avez à converser,
conversez bas. Tin, tin, tin! » Et M. Grévy
reprend sa conversation.
Des membres de la commission des
trente ont montré leur nez dans la salle et
prestement disparu. Laissons M. Bigot,
rapporteur, répondre à M. Parent au mi-
lieu d'une obscurité grise qui ne permet
même pas de distinguer l'orateur, et occu-
pons-nous de ceux qui tiennent en main
les tèmpêtes de l'avenir.
Les membres de la commission des tren-
te n'avaient aucune convocation officielle
pour aujourd'hui lundi. Le lecteur se sou-
vient sans doute du renseignement donné
dans ce journal, à savoir que M. le prési-
dent de la République ne demandait plus
pour le moment, à ces potentats parlemen-
taires, qu'une chose, la rapidité. Or, ce
matin, de bonne heure, des membres de la
majorité de la commission se réunissaient
à Versailles chez leur président, M. de
Larcy; il s'agissait, sans doute, de traiter
en tout petit comité le paragraphe 4 de
l'article 2, c'est-à-dire la fameuse question
des interpellations, ou mieux la question
de la réponse aux interpellations.
Divers amendements à cet article avaient
été déposés, notamment celui de M. Dela-
cour.
Le président de la République pourra être en-
tendu dans les interpellations qui auront pour
objet des actes engageant la politique générale
du gouvernement, soit au dehors, soit au dedans,
lorsque lesdits actes auront été délibérés en
conseil des ministres et contresignés par le pré-
sident du conseil.
Et cet amendement de M. Delacour pas-
sait, à tort ou à raison, pour avoir été
inspiré à son auteur par M. Thiers lui-
même.
Vers dix heures du matin, des télégram-
mes dépêchés par M. de Larcy conviaient
tous les membres de la commission à venir
tenir séance. Là est la seule concession
faite à M. le président de la République'
car la majorité de la commission a re-
poussé l'amendement Delacour.
Mais ce rejet manquait d'unité : le ma-
tin, avant la séance, plusieurs membres dé
la majorité, trouvant sans doute qu'il est
bon ae tendre une corde, mais non pas au
point de la rompre, étaient d'avis d'adop-
ter l'amendement. A la réunion du centre
droit, on s'en était aussi fort occupé et
préoccupé, bien qu'il n'y soit pas fait al-
lusion dans le procès-verbal. (Gros ma-
lins ! ) On se demandait s'il ne valait
pas mieux avoir l'air de faire de bonne
grâce cette concession que de risquer de se
la voir arracher par l'Assemblée même lors
do la discussion publique..,
Quel vent a soufflé sur toutes ces indé-
cisions? Toujours est-il que sur les trois
heures, l'amendement Delacour a été re-
poussé par la majorité de la commission. A
quatre heures et demie, la commission fai-
sait une seconde reprise et exécutait
d autres amendements. Au moment de no-
tre départ, elle exécutait toujours.
Et dans la salle retentissait toujours le
même bruit uniforme, continu, coupé des
mêmes « tin tin tin » mélancoliques et au-
tomatiques. Au dehors, il faisait grand
froid; l'intérieur rappelait étonnamment
les musées et bibliothèques où les bons
vieux viennent. se reposer.
PAUL LAFARGUB.
1 1 ————— VI
LA SALLE DES PAS-PERDUS
Pauvre Yersailles ! pauvre salle des Pas-
Perdus ! Les représentants sp livrent à un
travail législatif, et ils en sont tellement
étonnés qu'ils ont toutes les peines du
monde à croire qu'ils remplissent vérita-
blement leur mandat. Aussi la salle des
séances est vide, mais en revanche, comme
on cause dans les couloirs ! Les succur-
sales de la Banque de France, le travail
des enfants dans les manufactures, qu'est-
ce que cela ?
*
« «
Il faut à nos députés des morceaux plus
succulents. Heureusement, la commis-
sion des trente est réunie. Elle a été con-
voquée par dépêche. Que peut-il y avoir ?
De nouvelles complications évidemment.
Et les conversations - vont leur train. M.
Thiers est-il d'accord avec M. de Larcy?
Ferait-il aussi sa fusion? Les uns l'espè-
rent, les autres le craignent, mais tout fait
prévoir que le pays assistera encore à nn
grand débat entre le pouvoir exécutif et le
pouvoir législatif.
*
« *
A deux heures et demie, heure à laquelle
on commence à arriver, rien n'a encore
transpiré. Et cependant le jeune Amédée
Lefèvre-Pontalis, demandé par un de ses
électeurs, vient dans la salle d'attente
Mais il est muet! Est-ce que par hasard
on aurait juré de garder le secret? Nous
sommes sûrs alors de savoir prochainement
tout ce qui s'est passé dans la commission.
it
* If.
Vers trois heures il y a une suspension
de séance. Cela devient grave! Les grands
politiques cherchent les motifs de cette
suspension qui préoccupe au plus haut
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