Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1873-01-03
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 03 janvier 1873 03 janvier 1873
Description : 1873/01/03 (A3,N414). 1873/01/03 (A3,N414).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/03/2013
3® Année. — N° 414,
Psix DU Numéro : Paris 15 (ÆffTlMES - DÉPARTEMENTS 20 GENTiMM.
Vendredi 3 janvier 1873,1
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S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de g heures à minuit
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p
JOURNAL REPUBLICAIN CONSERVATEUR
IPÀRIS
Trois mois « 13 fr.
Six mois 25
Un an. 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 fr.
Six mois 32
Un an 6 "I
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et G*
6, place de la Bourse, 6
PARIS
Trois mois 13 IV.
Six mois 25
Un an. 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois 16 fr.
Six mois. 32
Un uu. 62
Annonces, chez MM. LAGllANGE, CERF et C"
6, place (Je la Bourse, 6
Nous .commencerons demain la
publication d'un roman nouveau
de lord Brougham. Il a pour titre :
ALBERT LUNEL
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, le 2 janvier 1873.
La journée politique appartenait hier
aux réceptions officielles. Bien des paroles
d'espoir, d'encouragement et de confiance
ont été prononcées. Acceptons-en l'heu-
reux augure. Nous avons beaucoup à at-
tendre de cette année 1873, année décisive
peut-être. Comptons sur la sagesse du gou-
vernement, et comptons aussi sur nous-
mêmes. La Prusse étant payée, nous au-
rons dans les mains notre propre avenir,
non pas le nôtre seulement, mais celui de
nos enfants, éelui de la France. Sachons
réparer les malheurs, et si le souvenir de
tant d'événements funestes ne doit pas
s'effacer de notre mémoire, puisse-t-il n'y
plus rester du moins comme une inquié-
tude et comme une menace, mais comme
une leçon et Ull. avertissement du passé.
Naturellement, il y a peu de faits au-
jourd'hui que nous devions noter à cette
place.
De Rome, on mande que le pape a reçu
M. de Corcelle et qu'il a envoyé une lettre
autographe de félicitations à M. de Bour-
going. Il n'est pas probable que M. de
Bourgoing en reçoive d'autres.
De Madrid, on signale une nouvelle
prise d'armes carliste, dirigée , comme
nous l'avons dit, par don Alphonse de
Bourbon, et coïncidant avec une recrudes-
cence de l'insurrection de Cuba.1
De Saint-Pétersbourg, on recoit un bul-
letin plutôt satisfaisant de la santé du
grand-duc héritier.
Si nous ajoutons qu'à Marseille, à la
suite d'un conflit dont les causes ne nous
sont pas connues, le maire et trois ad-
joints, frappés d'un vote de blâme par le
conseil municipal, ont remis leur démis-
sion au préfet, nous aurons résumé tou-
tes les dépêches télégraphiques d'hier.
Nous avons publié un arrêté, pris le 28
décembre par M. le préfet de la Seine, dé-
signant pour l'insertion des annonces judi-
ciaires à Paris la Gazette des Tribunaux, le
Droit et deux feuilles spéciales d'affiches.
Semblable arrêté avait été pris déjà l'an
dernier, à la même époque. Le préfet y
vise l'article 23 du décret du 17 févrièr
1852, et déclare d'ailleurs que ces mesures
ne peuvent être que provisoires « en pré-
sence du projet de loi soumis en ce mo-
ment à l'Assemblée nationale. »
Bien que la matière puisse paraître au
public d'assez médiocre importance, nous
devons constater que l'arrêté de M. le pré-
fet de la Seine est illégal et en exprimer
tout notre regret. La législation de 1852
sur les annonces judiciaires a été abrogée
par un décret du 28 décembre 1870, qui est
encore, et très-heureusement, observé dans
toute la France. Pourquoi et de quel droit
faire cette exception à Paris? M. le pré-
fet de la Seine applique d'urgence et provi-
soirement le décret de 1852, en attendant
une loi que l'Assemblée nationale doit voter.
Mais pourquoi ce décret de 1852, décret
abrogé, quand partout ailleurs c'est le dé-
cret de 1870 qui prévaut?
Ce n'est pas que, pour les journaux de
Paris, la décision de M. le préfet de la
Seine soit bien grave ; aucun d'eux, à l'ex-
ception des quatre feuilles spéciales dési-
gnées plus haut, ne recherche les annon-
ces judiciaires, qui sont, à Paris, fort en-
combrantes et de médiocre produit. L'arrêté
passera donc, cette année comme l'année
dernière, probablement sans contestation.
En quoi l'on aura tort peut-être ; car si on
tolère que le gouvernement sorte à Paris
de la légalité, qui l'empêchera d'en sortir
aussi en province ? Et, dans les départe-
ments, on n'ignore pas que les effets d'un
pareil arrêté seraient considérés, à bon
droit, comme déplorables. Tous ceux qui
ont lu, sous l'empire, les discussions des
adresses ou des budgets, se souviennent
des réclamations très-légitimes et très-vi-
ves auxquelles cette question des annonces
judiciaires donnait toujours lieu. Les an-
nonces judioiaires mises à la disposition des
préfets, ce n'est pas autre chose, en provin-
ce, que l'organisation de la presse officieu-
se et la ruine, ou peu s'en faut, de toute
presse indépendante. C'est par les annon-
ces judiciaires que vivent, en effet, la plu-
part des journaux des départements, et,
sans le décret du 28 décembre 1870, un
grand nombre d'entre eux ne pourraient
plus se soutenir, — à moins bien entendu
qu'ils ne sollicitent et n'obtiennent un
monopole dont le préfet dispose.
A un point de vue plus général, ce mé-
pris que l'on marque pour quelques décrets
du gouvernement du 4 septembre ne sem-
blera pas moins regrettable. En voici deux,
par exemple, l'un sur les annonces judi-
ciaires, l'autre sur les décorations civiles
dans l'ordre de la Légion d'honneur, qui
sont violés ouvertement, sans ombre de
prétexte ou de façons. A quoi bon cela,
lorsqu'il était si simple, pour peu qu'on
préférât la législation antérieure, de les
faire abroger par un vote de l'Assemblée ?
--/
Il fallait demander ce vote ; l'AssemJ)lée se
serait prononcée pour ou contre les décrets
du gouvernement de la défense, et le pu -
blic aurait su à quoi s'en tenir. Mais, avec
la conduite qu'on adopte, quelle confusion
ne cause-t-on pas dans les lois ! et quel est
l'embarras où l'on doit jeter les particuliers
et les tribunaux? Serait-ce qu'on estime que
les décrets du gouvernement de septem-
bre, étant révolutionnaires; ne méritent pas
d'être respectés ni d'être obéis? Doctrine à
discuter; mais qu'on les abolisse en bloc,
alors, au lieu de maintenir les uns et de
ne pas prêter d'attention aux autres, ou de
laisser violer dans la Seine ceux quej l'on
fait exécuter dans les 85 autres départe-
ments. Il serait très-facile d'avoir la léga-
lité pour soi, et l'on préfère la mettre
contre soi ! C'est ce qui ne se peut approu-
ver ni même comprendre.
Le Rappel se plaignait, dans son numéro
d'hier matin, d'arrestations récentes, pour
faits relatifs à la Commune ou à l'Interna-
tionale, qui auraient eu lieu, soit à Paris,
soit à Toulouse. A Paris, il s'agissait d'un
ouvrier; à Toulouse, les arrestations, au
dire du Rappel, seraient nombreuses. Nous
croyons que les conséquences de ces me-
sures de police, qu'on ne peut apprécier
sur des données si vagues, sont beaucoup
trop grossies par M. Vacquerie, auteur de
l'article du Rappel. S'il est vrai que l'ou-
vrier parisien dont il parle soit victime
d'une erreur fâcheuse, cette erreur, qu'il
faut regretter, sera facilement réparable.
Quant aux arrestations de Toulouse, si elles
ne sont qu'une conséquence de la loi sur
l'Internationale, loi que nous n'eussions
pas votée, mais qui existe, c'est une affaire
df démêler entre les inculpés et leurs juges
naturels. Il ne paraît, dans tous les cas,
ni nécessaire, ni opportun, ni raisonnable
de jeter feu et flammes à propos de ces
incidents.
EUG. liébert.
———————— t ————————
PAUVRE PARIS!
Depuis huit jours nous avons lu, avec
plus d'attention qu'ils n'en méritent, les
journaux à la mode. On sait bien ce que
nous voulons dire ; de même qu'il y a
des femmes à la mode, il y a aussi des
journaux à la mode ; ces journaux-ci
sont faits pour ces femmes-là et pour
leur entourage. Or, depuis huit jours,
ils n'ont fait entendre que lamenta-
tions.
Pauvre Paris! disaient-ils; est-il vrai
que tu sois tombé si bas ! Naguère, aux
approches dujour de l'an, tu revêtais des
habits de fête, et l'or coulait à flots dans
les magasins ! C'est que la France était
prospère, alors ; c'est qu'on était heu-
reux, calme; c'est qu'on avait un gou-
vernement fort, et qu'on n'était pas
obligé d'avoir ses malles constamment
bouclées en prévision d'une émeute,
d'une guerre civile, d'un cataclysme so-
cial qui vous forcerait de fuir en Bel-
gique !
Aujourd'hui c'est à peine si l'on ose
mettre le nez dehors ; il y a dans l'air de
vagues senteurs de pétrole qui inquiè-
tent ; Paris est morne, Paris est pauvre;
Paris fait peur ; il sent le roussi. Et voilà
pourquoi les magasins sont vides ; il n'y
a de chalands que pour la boutique à
treize
Ainsi parlaient hier encore les Jéré-
mies de boudoirs, ceux qui ne rendent
plus jamais compte d'une représentation
à l'Opéra ou aux Italiens sans un sou-
pir de regret sur le temps passé, où, sui-
vant eux, tout était mieux qu'à présent.
Et, naturellement, c'est la faute à la
République, comme on disait naguère,
c'est la faute à Rousseau, c'est la faute à
Voltaire.
Eh ! bien nous avons voulu savoir ce
qu'il y avait de vrai dans ces doléances,
et toute notre journée d'hier s'est passée
en promenades à travers Paris. Nous
avons vu, nous avons entendu ; et voici
ce que nous avons constaté.
Jamais, à aucune époque, le commerce
petit et grand n'a encaissé de plus belles
recettes que dans ces huit derniers
jours. Interrogez les humbles, ceux qui
débitent en plein vent ou sous quatre
planches mal jointes des étrennes à bon
marché; ils vous répondront que cette
année équivaut pour eux aux meilleures
dont ils aient le souvenir. Entrez chez
les bijoutiers; il faut prendre son tour;
dans les grands magasins de nouveautés,
on s'y étouffe; chez les confiseurs.-
mais là il faut se résigner à un siége en
règle. L'année dernière on avait peut-
être vendu autant de bonbons qu'il s'en
vendra cette année; mais les acheteurs,
en grande majorité, s'étaient contentés
du vulgaire sac en papier glacé. Les
confiseurs, jugeant qu'il en serait de même
en 1872, n'avaient pas pris leurs pré-
cautions, et tous en sont aux regrets au-
jourd'hui, car leurs magasins ont été mis
au pillage, et ils n'ont plus rien, absolu-
ment rien offrir aux clients retardataires,
si ce n'est ce qu'en style du métier on
appelle des rossignols.
La statistique sera faite; il le faut;.
nous comparerons les chiffres avec ceux
des fameuses années de prospérité dont
la note à payer se solde par deux pro-
vinces et cinq milliards ; et puisque l'on
choisit, pour attaquer le régime actuel,
le terrain des affaires, nous serons bien,
aises de publier les comptes de la Répu-
blique.
On se rappelle qu'à l'époque des in-
terpellations Changarnier, des rapports
Batbie, et des catilinaires de Broglie,
nous avons dit que les affaires étaient
arrêtées net par le trouble inopinément
jeté dans les esprits. De tous les coins
de la France où l'on travaille 's'élevaient
des murmures, des plaintes, des protes-
tations; les fabriques, les usines où,
d'ordinaire, on est sur pied jour et nuit
pendant les six semaines qui précèdent
le nouvel an, devenaient tout-à-coup
silencieuses; les commandes données
étaient annulées ; les travaux commencés
étaient suspendus. Savait-on ce qu'on
serait le lendemain?
Et nous constations ce funeste état de
choses; nous disions aux gens de la
droite : De grâce, un peu de répit;
ajournez vos colères, laissez-nous tra-
vailler. Mais alors on nous répondait
par des ricanements ; à entendre les en-
nemis de la République, jamais le pays
n'avait repris tant de confiance, jamais
le commerce n'avait été si florissant que
depuis la déclaration de guerre signifiée
au gouvernement par « le parti de l'or-
dre. » Tout va bien, chantaient en chœur
les gagistes de la monarchie, nos ténors
font merveille. Tout va bien !
Cependant, c'est de là que date le
mouvement dissolutionniste qui a si fort
effrayé nos ducs. Plus d'un, en apposant
sa signature sur une feuille de pétitions,
n'avait aucune préoccupation politique :
il ne se disait pas qu'une autre Assem-
blée établirait plus sûrement telle ou
telle forme de gouvernement ; non. Il
désirait le départ 'de l'Assemblée parce
qu'il avait besoin de calme pour mener à
fin un travail commencé, une entreprise
quelconque, et il se disait : la dissolution
nous donnera quelques mois, quelques
semaines au moins de répit; et ce sera
toujours cela de gagné.
La dissolution fut repoussée. Vint la
prorogation. En fait, pour les dissolu-
tionnistes dont nous venons de parler,
c'était la même chose. Et tout à coup,
changement à vue ; le travail reprend
partout ; pour regagner le temps perdu,
on met les bouchées doubles. Le com-
merce offre à Paris le spectacle qu'on a
pu voir, et l'on est en droit de penser
qu'il en est de même par toute la France.
Mais voilà que ceux qui tout à l'heure
proclamaient que tout allait bien se
lamentent aujourd'hui en jurant leurs
grands dieux que tout va mal. Quand
nous pleurions, ils crevaient de rire ;
nous rions, ils crient comme si on les
écorchait ! Ah ! çà, qui trompe-t-on ici?
SCHNE RB.
COUP D1 IL EN ARRIÈRE
C'est donc aujourd'hui le premier ma-
tin d'une année qui commence, et pour
faire honneur à la solennité du jour, je
me suis mis à ranger mon cabinet de
travail, à mettre à leur place les livres
qui s'étaient accumulés sur mon bureau,
les livres de 1872.
Ils ne sont pas tous là; car je n'achète
ou ne reçois guère que ceux qui ont
quelque rapport à mes études accoutu-
mées. Et cependant, j'en vois assez, épars
sur la table, pour m'affermir dans cette
conviction consolante que l'esprit fran-
çais est encore bien vivant; qu'il n'a pas
été, comme nos bons amis les Allemands
se plaisaient à le croire, enseveli sous les
ruines de la guerre et de la Commune.
Laissons le théâtre, qui appartient à
notre cher La Rounat. Savez-vous le pre-
mier ouvrage qui me frappe les yeux ?
saluez, s'il vous plaît. C'est un des plus
grands monuments qui aient jamais été
élevés à la gloire d'une langue, c'est le
dictionnaire de M. Littré, dont cette an-
née 1872 aura vu l'achèvement. M. Littré
et la maison Hachette ont poursuivi, à
travers tant de secousses et de désastres,
le cours de cette fameuse publication, et
l'ont enfin menée à bon terme. Souve-
nez-vous du mot qu'a dit M. Guizot sur
cette œuvre : le dictionnaire de M. Littré
est un de ces livres que je n'ouvre ja-
mais qu'avec respect.
Il n'y a guère qu'un ouvrage que l'on
puisse comparer à celui-là : c'est le Tré-
sor de la langue grecque, d'Henri Etienne,
qu'a réédité en ces dernières années, au
prix de sacrifices immenses, l'illustre
maison Didot.
Il ne me semble pas qu'une année qui lé-
guera à la postérité un si vaste édifice,
n'eût-elle produit que cela, puisse passer
pour une année absolument perdue.
La littérature militaire a tenu durant
ces douze mois le haut du pavé. Tous
les généraux ont conté leurs campagnes,
et à côté d'eux un nombre infini de vo-
lontaires, d'observateurs curieux, ont cru
devoir faire part de leurs impressions au
public. Un de mes amis, grand collection-
neur, a rassemblé tous ces volumes et
en a composé une manière de bibliothè-
que, qui aura du prix dans une trentaine
d'années, quand la plupart de ces docu-
ments se seront dispersés et évanouis.
Ils ont tous, sans doute, une impor-
tance historique. Mais pour nous, qui
nous attachons plus au mérite littéraire,
il y en a' bien peu qui soient dignes,
comme les Mémoires de Montluc ou les
Commentaires de César, d'être lus pour
l'agrément seul de la narration. Il est
bien entendu que je ne les connais pas
tous, et que les meilleurs peuvent jus-
tement m'avoir échappé. Parmi ceux que
j'ai lus, il faut mettre en première ligne
l'admirable livre du colonel d'Andlau sur
la campagne de Metz. Il est impossible
de rencontrer un récit plus sobre,
plus net, plus concluant, ému tout
ensemble et pittoresque, en certaines
parties : c'est lui qui ira dans la postérité
déposer contre le maréchal Bazaine.
L'un des tableaux les mieux faits qui
aient été donnés du siège de Paris est de
M. Dumesnil. L'auteur a consigné ses
impressions au jour le jour. C'est un
philosophe, un moraliste, un patriote
et un écrivain. Oserai-je rappeler que
moi aussi j'ai écrit un récit de ce siège,
qui pourrait-être appelé : Journal d'un
bourgeois de Paris, et qu'il est arrivé tout
doucement à sa vingt-deuxième édition?
Il s'est publié, comme à l'ordinaire,
un grand nombre de romans cette année
C'est la littérature qui est toujours le
plus à la mode, car c'est celle qui se fait
accepter le plus aisément des femmes.
Il ne me semble pas qu'aucun des livres
qui ont paru en ce genre ait révélé avec
beaucoup d'éclat un nom nouveau. Ce-
pendant l'année 1872 ne le cédera en
rien, même sous ce rapport, à la plupart
de ses aînées.
J'avoue pourtant qu'il s'y trouve à
noter je ne sais quelle recrudescence
dans le goût des sujets scabreux, et dans
le succès que ces productions douteuses
paraissent obtenir dans le public. Ce
n'est pas un fort bon signe de voir l'ef-
froyable nombre d'exemplaires qui se
vendent de récits que je ne veux pas
même nommer de peur de leur faire une
réclame, mais dont la plupart de nos
lecteurs savent les noms au moins par
ouï-dire.
J'engage mes lecteurs à n'en pas con-
naître autre chose; ce sont là des œuvres
malsaines. Il faut, certes; accorder aux
écrivains le privilége d'étudier toutes les
passions, même les plus viles, même
les plus infâmes : c'est là une vérité que
personne ne conteste et que Boileau a
consacrée avec son bon sens ordinaire,
dans les deux vers si connus de son Art
poétique :
Il n'est point de serpent, ni de monstre odieux,
Qui, par l'art imité, ne puisse plaire aux yeux.
Mais cW à la condition ou que la
peinture soit souverainement belle, ou
qu'il en sortira quelque leçon morale.
Mais si l'on sent chez l'auteur un je ne
sais quel désir de piquer; par ces tableaux
lascifs, la curiosité du public, et de bat-
tre monnaie avec sa perversité native,
il ne reste plus que l'horreur et le dé-
goût de ces descriptions honteuses.
C'est de la corruption pure ; c'est le
marquis de Sade, moins le cynisme
grossier du mot propre, ou, si vous. ai-
mez mieux, du mot sale.
Je n'ai jamais, pour* moi, pu pousser
plus avant que la trentième page de ces
œuvres immondes. On assure qu'il y a
du talent là-dedans, et une certaine
science de langage. Je le veux bien, mais
voilà de la science et du talent fort mal
employés. J'admets Rabelais, j'admets
Lafontaine, j'admets les gaillardises
crues de nos vieux conteurs du XVe et
du XVIe siècle ; ces gauloiseries ne ti-
rent pas plus à conséquence que les cul-
butes de l'enfant qui se roule à demi-nu
sur le tapis, et montre une bonne partie
de ce que l'on cache ordinairement avec
soin. Ce qui est plus grave, c'est l'impu-
dence dans la pensée, sous le mystérieux
et irritant demi-jour de phrases conve-
nables et voluptueuses. Cela chatouille
l'imagination, gâte le cœur et excite les
sens. De tous les arts, c'est le plus fu-
neste et le plus condamnable. Si ceux
qui l'exercent savent ce qu'ils font, et
que néanmoins ils passent outre, ils
sont bien condamnables.
La littérature des romans compte par
bonheur cette année des productions qui
sont plus aimables. Je crois qu'il faut
donner une place à part à Julia Tré-
cœur, un récit de M.Octave Feuillet, d'une
simplicité très-saisissante. C'est encore là,
il est vrai, la peinture d'une passion
monstrueuse. Mais l'histoire est conduite
avec un tact si merveilleux et le sujet
est indiqué d'une main si parfaitement
discrète qu'on va jusqu'au bout sans
que le voile qui cache l'inceste se sou-
lève autrement qu'à demi, sans qu'on
soit obligé de reculer avec effroi. Le dé-
nouement est plein d'une grandeur triste
et d'une mystérieuse horreur.
Huit jours après Julia Trécœur parais-
sait Chardonnette, une aimable peinture
de la vie provinciale, où M. Charles
Deulin, l'auteur des Contes d'un buveur
de bière, faisait revivre avec un soin mi-
nutieux et passionné tout un coin de la
vieille Flandre française.
A un mois d'intervalle, Hector Malot,
lé vigoureux élève de Balzac, publiait
coup sur coup deux volumes : Un curé
de campagne et Un miracle, dont je n'ai
besoin que de rappeler les noms aux
lecteurs de ce journal; j'en ai longue-
ment parlé à l'époque où ils parurent.
L'auteur est un des hommes de ce temps
dont je fais le plus de cas. Il a le talent
sain et robuste.
Mme Sand, l'infatigable écrivain, a
continué la longue série de ses romans
par un livre qui a pour titre Nanon. On
n'y retrouve plus la passion brûlante qui j
animait jadis les Valentine et les Lilia
du grand romancier. Mme Sand, avec i
l'âge, s'est assagie. Nanon est @ la peinture
des sentiments et des pensées qui ont
dû germer dans l'âme des humbles et
des petits en cette immortelle année de
89. Le récit est un peu long, mais si in-
téressant! le fleuve de style qui emporte
l'idée est si large et si tranquille !
L'histoire proprement dite a peu don-
né en 1872. M. Guizot continue, avec un
succès merveilleux de vente, son grand
ouvrage : Histoire de France contée à mes
petits-enfants. Le second volume vient
d'en être enlevé. Les parties gue j'en ai
lu ne m'ont pas paru justifier cette
vogue immense ; mais il faudrait avoir
pris connaissance de tout l'ouvrage pour
oser s'inscrire ed faux contre l'opinion du
monde.
Ne parlons point du nouveau volitme
de M. Michelet, Bonaparte et le Directoire.
C'est à peine si, çà et là, quelque magis-
tral coup de griffe révèle la patte du
lion devenu vieux. C'est un livre de dé-
cadence , un livre attristant. Voyez
pourtant la différence du bon sens et de
l'imagination ! C'est dans la jeunesse l'i-
magination qui séduit le plus et frappe
les plus beaux coups ; mais, à mesure que
les années viennent, l'imagination s'exas-
père ou s'énerve, tandis que le bon sens
va s'épurant sans cesse ; et l'on voit, à
côté l'un de l'autre, M. Guizot écrire au
milieu d'un applaudissement universel
un livre peut-être au-dessous de sa ré-
putation, sage néanmoins et très-digne
d'être lu; et M. Michelet donner un livre
qui n'est accueilli que par l'indifférence
glaciale des uns, le sourire de moquerie
des autres.
Ai-je besoin de rappeler aux abon-
nés du XIXe Siècle que le Saint-Jean
Chrysostome de M, Amédée Thierry est
un livre d'histoire excellent? J'en ai
dans le temps parlé avec tous les éloges
qu'il mérite.
En philosophie, je ne vois que deux
ouvrages à citer : la Réforme intellectuelle
de M. Renan, où commence à s'accuser
cet esprit de réaction contre la légende
de 89, que nous voyons gagner du ter-
rain tous les jours, parmi un grand
nombre d'hommes distingués, et le beau
livre de notre maftre Ernest Havet : le
Christianisme et ses origines. Les deux
volumes qui le composent ne sont qu'un
début : l'auteur y marque ce que le
cliristianismé a emprunté à l'antiquité
classique. C'est une œuvre de vaste éru-
dition, de foi profonde et de polémique
ardente. Elle n'a pas obtenu un succès
de vogue bruyante ; mais le temps lui
fera sa plâe'è .•
Il y a des livres qû'VD. de saurait clas-
ser dans aucune catégorie ; ils appar-
tiennent à l'histoire, à l'économie poli-
tique, à là fantaisie tout à la fois, et ce
sont presque toujours des livres écrits
par des journalistes.
Au premier rang, je mettrai l'Alsace,
d'Edmond About. Ce volume, né de cir-
constances exceptionnelles, durera même
après qu'elles auront disparu, comme un
beau portrait de maître survit à l'origi-
nal. L'œuvre est faite de ce métal indes-
tructible que l'on nomme le style.
Le livre de M. Bréal, Quelques mots
sur l instruction publique en France, n'est,
lui, qu'un pamphlet de circonstance,
mais un de ces pamphlets dont le souve-
nir se gardera longtemps encore après
qu'on ne le lira plus. Car il en est sorti
une révolution dans l'enseignement se-
condaire, et cette révolution, quelle que
soit l'opinion que l'on en ait, aura de
longues conséquences dans l'avenir.
Cette brochure capitale en a fait éclore
une nuée d'autres, Je ne veux citer que le
livre de M. Laveleye sur Y Instruction du
peuple. C'est un maître ouvrage, mais j'y
reviendrai si souvent, quand on débattra
à la Chambre la loi sur l'instruction pri-
maire, qu'il est inutile de s'étendre au-
jourd'hui sur son mérite.
J'allais oublier la littérature de voya-
ges. Et cependant c'est cette année qu'a
paru le troisième volume de ce Voyage
autour du Monde si gaîment fait, si joli-
ment conté par un jeune homme de
vingt ans, le comte de Beauvoir. Ces trois
volumes sont déjà à leur sixième édition.
Rien n'est plus français de style et d'al-
lures.
Les Notes sur l'Angleterre de notre ca-
marade Hippolyte Taine doivent égale-
ment être mises au compte de l'année
1872. C'est l'œuvre d'un métaphysicien,
qui est en même temps moraliste et pein-
tre. On m'assure que le livre a encore
obtenu plus de succès en Angleterre
qu'en France. C'est pour lui une bonne
recommandation que les originaux se
soient reconnus dans ces peintures.
Je termine, en recommandant de nou-
veau aux mères de fanjille l'un des
meilleurs, des plus instructifs, des plus
agréables ouvrages qui aient jamais été
écrits : la* Correspondance d'Ampère. Je
suis désolé que ce livre n'ait pas tout le
succès auquel il a droit. On devrait le
mettre entre les mains de toutes les jeunes
filles. Je voudrais que les pensionnats le
donnassent en prix ; qu'il se vendît à un
bon marché fabuleux, pour pénétrer dans
les maisons les plus modestes. C'est un
chef-d'œuvre de sensibilité, d'honnêteté,
de grâce et de grandeur morale. Tout
cela est vrai et poétique en même temps.
Je ne sais rien qui soit plus capable d'at-
tendrir le cœur et d'élever l'âme. C'est
une lecture saine, fortifiante et d'un
charme infini.
C'est, comme auraient dit nos pères,
le plus beau fleuron de l'année 1872.
.Fl\ANCISQU. J5ARGEY.
INFORMATIONS
La municipalité de Dunkerque avait sol-
licité une audience particulière du prési-
dent de la République. Elle voulait prier
le chef de l'Etat de consentir, lors de son
prochain voyage à Calais, à honorer la
ville de Dunkerque de sa préseace, pour
se rendre compte par lui-même de la situa-
tion du port et des travaux qui s'y exé-
cutent.
Reçus il y a quatre jours, à 1 Elysée,
MM. * d'Arras, maire, et Deman, Dagneau
et Lemaire, adjoints, ont eu avec le pré-
sident une entrevue d'une demi-heure.
Après de vives instances, le maire et
ses adjoints ont réussi à obtenir de M. le
président la promesse que si des circons-
tances indépendantes de sa volonté ne ve-
naient pas mettre obstacle à son bon vou-
loir, il ferait son possible* pour se rendre
à Dunkerque, après les essais d'artillerie
qui doivent avoir lieu prochainement à
Calais.
Cette réponse du président démontre
que le voyage de Calais est désormais ar-
rêté. Il aura lieu, comme nous l'avons dit
hier, du 8 au 12 janvier, si des incidents
parlementaires graves n'exigent pas la
présence de M. Thiers à l'Assemblée natio-
nale.
On annonce la publication prochaine
d'une lettre de M. de Beust en réponse
aux assertions de M. de Gramont.
Pendant son voyage à Reims, M. le mi-
nistre de l'instruction publique s'est rendu
à l'Ecole de médecine. Il a promis au di-
recteur de nombreux instruments de phy-
sique. M. Jules Simon comprend la néces-
sité de doter nos écoles de médecine de
tous les instruments qui, déjà, sont adop-
tés chez nos voisins.
II a raconté qu'après la guerre 500 Amé-
ricains s'étaient rendus à Paris pour y faire
leurs études médicales, et que, frappés de
la pauvreté de notre première école, en ce
qui concerne les instruments de physique,
ils avaient résolu d'aller demander à l'Al -
lemagne ce qu'ils n'avaient pu trouver
chez nous.
Pour mettre fin à cet état de choses, 6
millions sont nécessaires. Avec 6 millions
Paris sera en situation de lutter avec tou-
tes les écoles de médecine de l'Europe. Nos
professeurs valent certainement les profes-
seurs allemands. Une question d'argent
doit-elle les empêcher de lutter à armes
égales avec nos vainqueurs d'hier ? Non.
La ville de Paris donnera 4 millions et
l'Etat fera le reste, — du moins M. Jules
Simon l'espère.
Le successeur de M. Roque à la prési-
dence du tribunal civil de Toulon est
nommé.
C'est M. Madon, conseiller à la cour
d'appel d'Aix, qui en est le nouvèau titu-
laire.
Ce poste a été du reste très-recherché, et
M. le garde des sceaux n'a eu que l'em-
barras du choix dans la longue liste des
magistrats qui l'ont sollicité.
On nous écrit de Lyon :
M. Barodet est de retour et rapporte du
gouvernement l'assurance que la mairie
centrale n'est point en danger de mort.
Les gérants de plusieurs journaux poli-
tiques ont reçu un avis officieux de se con-
former aux dispositions de la Ipi qui in-
terdit le compte-rendu des procès en injures
et en diffamation.
On sait que l'interdiction ne s'applique
pas aux procès en diffamation dans les-
quels est admise la preuve des faits dif-
famatoires.
Le mouvement préfectoral annoncé de-
puis quelque temps n'aura lieu que vers
le milieu du mois de janvier. Plusieurs
nominations ont déjà été signées par le
ministre de l'intérieur, notamment celle
du successeur de M. Delcussot, préfet de
Vaucluse, décédé il y a quelques jours.
Tous les préfets sont successivement appe-
lés en ce moment au ministère de l'inté-
rieur, où ils viennent conférer avec M. de
Goulard.On signale aujourd'hui la présence
à Paris des préfets de Tarn-et-Garonne,du
Pas-de-Calais , d'Indre-et-Loire , de la
Côte-d'Or,des sous-préfets de Saint-Nazaire,
deDax, etc.
Le bulletin d'hier, sur l'état du grand-
duc héritier, dit que la fièvre a un peu
diminué et que les forces du malade se
maintiennent d'une manière satisfaisante.
La nuit dernière, le grand-duc a dormi
cinq heures et a beaucoup transpiré.
On nous télégraphie de Marseille :
A la suite d'un vote de blâme du conseil
municipal, le maire, M. Guinot, et MM.
Castells, Rouffie et Isoard, adjoints, ont
envoyé leur démission au préfet.
Il est question d'un prochain voyage du
général de Cissey à Tours. Le ministre de
la guerre a le plus grand désir de se ren-
dre compte de l'installation des troupes du
7° corps , sous les ordres du général
Chanzy.
Le général de Cissey ferait le voyage de
Tours avant celui de Calais, et profiterait
de cette occasion pour passer en revue tout
le 7e corps.
On dit que M. le général de Gondre-
court se rendra au camp d'Avord pour com-
mander la division de cavalerie dès qu'elle
sera formée, et que MM. les généraux de
Percin-Northumberland et Dulyon de ilo-
Psix DU Numéro : Paris 15 (ÆffTlMES - DÉPARTEMENTS 20 GENTiMM.
Vendredi 3 janvier 1873,1
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de g heures à minuit
2» rue Drouot, 1
JjÇS manuscrite non insérés seront rendus
ABONNEMENTS
ADMINISTRATION
Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
: 2, rue Drouot, 2
Les lettres non affranchies seront refusées
ABONNEMENTS
p
JOURNAL REPUBLICAIN CONSERVATEUR
IPÀRIS
Trois mois « 13 fr.
Six mois 25
Un an. 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 fr.
Six mois 32
Un an 6 "I
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et G*
6, place de la Bourse, 6
PARIS
Trois mois 13 IV.
Six mois 25
Un an. 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois 16 fr.
Six mois. 32
Un uu. 62
Annonces, chez MM. LAGllANGE, CERF et C"
6, place (Je la Bourse, 6
Nous .commencerons demain la
publication d'un roman nouveau
de lord Brougham. Il a pour titre :
ALBERT LUNEL
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, le 2 janvier 1873.
La journée politique appartenait hier
aux réceptions officielles. Bien des paroles
d'espoir, d'encouragement et de confiance
ont été prononcées. Acceptons-en l'heu-
reux augure. Nous avons beaucoup à at-
tendre de cette année 1873, année décisive
peut-être. Comptons sur la sagesse du gou-
vernement, et comptons aussi sur nous-
mêmes. La Prusse étant payée, nous au-
rons dans les mains notre propre avenir,
non pas le nôtre seulement, mais celui de
nos enfants, éelui de la France. Sachons
réparer les malheurs, et si le souvenir de
tant d'événements funestes ne doit pas
s'effacer de notre mémoire, puisse-t-il n'y
plus rester du moins comme une inquié-
tude et comme une menace, mais comme
une leçon et Ull. avertissement du passé.
Naturellement, il y a peu de faits au-
jourd'hui que nous devions noter à cette
place.
De Rome, on mande que le pape a reçu
M. de Corcelle et qu'il a envoyé une lettre
autographe de félicitations à M. de Bour-
going. Il n'est pas probable que M. de
Bourgoing en reçoive d'autres.
De Madrid, on signale une nouvelle
prise d'armes carliste, dirigée , comme
nous l'avons dit, par don Alphonse de
Bourbon, et coïncidant avec une recrudes-
cence de l'insurrection de Cuba.1
De Saint-Pétersbourg, on recoit un bul-
letin plutôt satisfaisant de la santé du
grand-duc héritier.
Si nous ajoutons qu'à Marseille, à la
suite d'un conflit dont les causes ne nous
sont pas connues, le maire et trois ad-
joints, frappés d'un vote de blâme par le
conseil municipal, ont remis leur démis-
sion au préfet, nous aurons résumé tou-
tes les dépêches télégraphiques d'hier.
Nous avons publié un arrêté, pris le 28
décembre par M. le préfet de la Seine, dé-
signant pour l'insertion des annonces judi-
ciaires à Paris la Gazette des Tribunaux, le
Droit et deux feuilles spéciales d'affiches.
Semblable arrêté avait été pris déjà l'an
dernier, à la même époque. Le préfet y
vise l'article 23 du décret du 17 févrièr
1852, et déclare d'ailleurs que ces mesures
ne peuvent être que provisoires « en pré-
sence du projet de loi soumis en ce mo-
ment à l'Assemblée nationale. »
Bien que la matière puisse paraître au
public d'assez médiocre importance, nous
devons constater que l'arrêté de M. le pré-
fet de la Seine est illégal et en exprimer
tout notre regret. La législation de 1852
sur les annonces judiciaires a été abrogée
par un décret du 28 décembre 1870, qui est
encore, et très-heureusement, observé dans
toute la France. Pourquoi et de quel droit
faire cette exception à Paris? M. le pré-
fet de la Seine applique d'urgence et provi-
soirement le décret de 1852, en attendant
une loi que l'Assemblée nationale doit voter.
Mais pourquoi ce décret de 1852, décret
abrogé, quand partout ailleurs c'est le dé-
cret de 1870 qui prévaut?
Ce n'est pas que, pour les journaux de
Paris, la décision de M. le préfet de la
Seine soit bien grave ; aucun d'eux, à l'ex-
ception des quatre feuilles spéciales dési-
gnées plus haut, ne recherche les annon-
ces judiciaires, qui sont, à Paris, fort en-
combrantes et de médiocre produit. L'arrêté
passera donc, cette année comme l'année
dernière, probablement sans contestation.
En quoi l'on aura tort peut-être ; car si on
tolère que le gouvernement sorte à Paris
de la légalité, qui l'empêchera d'en sortir
aussi en province ? Et, dans les départe-
ments, on n'ignore pas que les effets d'un
pareil arrêté seraient considérés, à bon
droit, comme déplorables. Tous ceux qui
ont lu, sous l'empire, les discussions des
adresses ou des budgets, se souviennent
des réclamations très-légitimes et très-vi-
ves auxquelles cette question des annonces
judiciaires donnait toujours lieu. Les an-
nonces judioiaires mises à la disposition des
préfets, ce n'est pas autre chose, en provin-
ce, que l'organisation de la presse officieu-
se et la ruine, ou peu s'en faut, de toute
presse indépendante. C'est par les annon-
ces judiciaires que vivent, en effet, la plu-
part des journaux des départements, et,
sans le décret du 28 décembre 1870, un
grand nombre d'entre eux ne pourraient
plus se soutenir, — à moins bien entendu
qu'ils ne sollicitent et n'obtiennent un
monopole dont le préfet dispose.
A un point de vue plus général, ce mé-
pris que l'on marque pour quelques décrets
du gouvernement du 4 septembre ne sem-
blera pas moins regrettable. En voici deux,
par exemple, l'un sur les annonces judi-
ciaires, l'autre sur les décorations civiles
dans l'ordre de la Légion d'honneur, qui
sont violés ouvertement, sans ombre de
prétexte ou de façons. A quoi bon cela,
lorsqu'il était si simple, pour peu qu'on
préférât la législation antérieure, de les
faire abroger par un vote de l'Assemblée ?
--/
Il fallait demander ce vote ; l'AssemJ)lée se
serait prononcée pour ou contre les décrets
du gouvernement de la défense, et le pu -
blic aurait su à quoi s'en tenir. Mais, avec
la conduite qu'on adopte, quelle confusion
ne cause-t-on pas dans les lois ! et quel est
l'embarras où l'on doit jeter les particuliers
et les tribunaux? Serait-ce qu'on estime que
les décrets du gouvernement de septem-
bre, étant révolutionnaires; ne méritent pas
d'être respectés ni d'être obéis? Doctrine à
discuter; mais qu'on les abolisse en bloc,
alors, au lieu de maintenir les uns et de
ne pas prêter d'attention aux autres, ou de
laisser violer dans la Seine ceux quej l'on
fait exécuter dans les 85 autres départe-
ments. Il serait très-facile d'avoir la léga-
lité pour soi, et l'on préfère la mettre
contre soi ! C'est ce qui ne se peut approu-
ver ni même comprendre.
Le Rappel se plaignait, dans son numéro
d'hier matin, d'arrestations récentes, pour
faits relatifs à la Commune ou à l'Interna-
tionale, qui auraient eu lieu, soit à Paris,
soit à Toulouse. A Paris, il s'agissait d'un
ouvrier; à Toulouse, les arrestations, au
dire du Rappel, seraient nombreuses. Nous
croyons que les conséquences de ces me-
sures de police, qu'on ne peut apprécier
sur des données si vagues, sont beaucoup
trop grossies par M. Vacquerie, auteur de
l'article du Rappel. S'il est vrai que l'ou-
vrier parisien dont il parle soit victime
d'une erreur fâcheuse, cette erreur, qu'il
faut regretter, sera facilement réparable.
Quant aux arrestations de Toulouse, si elles
ne sont qu'une conséquence de la loi sur
l'Internationale, loi que nous n'eussions
pas votée, mais qui existe, c'est une affaire
df démêler entre les inculpés et leurs juges
naturels. Il ne paraît, dans tous les cas,
ni nécessaire, ni opportun, ni raisonnable
de jeter feu et flammes à propos de ces
incidents.
EUG. liébert.
———————— t ————————
PAUVRE PARIS!
Depuis huit jours nous avons lu, avec
plus d'attention qu'ils n'en méritent, les
journaux à la mode. On sait bien ce que
nous voulons dire ; de même qu'il y a
des femmes à la mode, il y a aussi des
journaux à la mode ; ces journaux-ci
sont faits pour ces femmes-là et pour
leur entourage. Or, depuis huit jours,
ils n'ont fait entendre que lamenta-
tions.
Pauvre Paris! disaient-ils; est-il vrai
que tu sois tombé si bas ! Naguère, aux
approches dujour de l'an, tu revêtais des
habits de fête, et l'or coulait à flots dans
les magasins ! C'est que la France était
prospère, alors ; c'est qu'on était heu-
reux, calme; c'est qu'on avait un gou-
vernement fort, et qu'on n'était pas
obligé d'avoir ses malles constamment
bouclées en prévision d'une émeute,
d'une guerre civile, d'un cataclysme so-
cial qui vous forcerait de fuir en Bel-
gique !
Aujourd'hui c'est à peine si l'on ose
mettre le nez dehors ; il y a dans l'air de
vagues senteurs de pétrole qui inquiè-
tent ; Paris est morne, Paris est pauvre;
Paris fait peur ; il sent le roussi. Et voilà
pourquoi les magasins sont vides ; il n'y
a de chalands que pour la boutique à
treize
Ainsi parlaient hier encore les Jéré-
mies de boudoirs, ceux qui ne rendent
plus jamais compte d'une représentation
à l'Opéra ou aux Italiens sans un sou-
pir de regret sur le temps passé, où, sui-
vant eux, tout était mieux qu'à présent.
Et, naturellement, c'est la faute à la
République, comme on disait naguère,
c'est la faute à Rousseau, c'est la faute à
Voltaire.
Eh ! bien nous avons voulu savoir ce
qu'il y avait de vrai dans ces doléances,
et toute notre journée d'hier s'est passée
en promenades à travers Paris. Nous
avons vu, nous avons entendu ; et voici
ce que nous avons constaté.
Jamais, à aucune époque, le commerce
petit et grand n'a encaissé de plus belles
recettes que dans ces huit derniers
jours. Interrogez les humbles, ceux qui
débitent en plein vent ou sous quatre
planches mal jointes des étrennes à bon
marché; ils vous répondront que cette
année équivaut pour eux aux meilleures
dont ils aient le souvenir. Entrez chez
les bijoutiers; il faut prendre son tour;
dans les grands magasins de nouveautés,
on s'y étouffe; chez les confiseurs.-
mais là il faut se résigner à un siége en
règle. L'année dernière on avait peut-
être vendu autant de bonbons qu'il s'en
vendra cette année; mais les acheteurs,
en grande majorité, s'étaient contentés
du vulgaire sac en papier glacé. Les
confiseurs, jugeant qu'il en serait de même
en 1872, n'avaient pas pris leurs pré-
cautions, et tous en sont aux regrets au-
jourd'hui, car leurs magasins ont été mis
au pillage, et ils n'ont plus rien, absolu-
ment rien offrir aux clients retardataires,
si ce n'est ce qu'en style du métier on
appelle des rossignols.
La statistique sera faite; il le faut;.
nous comparerons les chiffres avec ceux
des fameuses années de prospérité dont
la note à payer se solde par deux pro-
vinces et cinq milliards ; et puisque l'on
choisit, pour attaquer le régime actuel,
le terrain des affaires, nous serons bien,
aises de publier les comptes de la Répu-
blique.
On se rappelle qu'à l'époque des in-
terpellations Changarnier, des rapports
Batbie, et des catilinaires de Broglie,
nous avons dit que les affaires étaient
arrêtées net par le trouble inopinément
jeté dans les esprits. De tous les coins
de la France où l'on travaille 's'élevaient
des murmures, des plaintes, des protes-
tations; les fabriques, les usines où,
d'ordinaire, on est sur pied jour et nuit
pendant les six semaines qui précèdent
le nouvel an, devenaient tout-à-coup
silencieuses; les commandes données
étaient annulées ; les travaux commencés
étaient suspendus. Savait-on ce qu'on
serait le lendemain?
Et nous constations ce funeste état de
choses; nous disions aux gens de la
droite : De grâce, un peu de répit;
ajournez vos colères, laissez-nous tra-
vailler. Mais alors on nous répondait
par des ricanements ; à entendre les en-
nemis de la République, jamais le pays
n'avait repris tant de confiance, jamais
le commerce n'avait été si florissant que
depuis la déclaration de guerre signifiée
au gouvernement par « le parti de l'or-
dre. » Tout va bien, chantaient en chœur
les gagistes de la monarchie, nos ténors
font merveille. Tout va bien !
Cependant, c'est de là que date le
mouvement dissolutionniste qui a si fort
effrayé nos ducs. Plus d'un, en apposant
sa signature sur une feuille de pétitions,
n'avait aucune préoccupation politique :
il ne se disait pas qu'une autre Assem-
blée établirait plus sûrement telle ou
telle forme de gouvernement ; non. Il
désirait le départ 'de l'Assemblée parce
qu'il avait besoin de calme pour mener à
fin un travail commencé, une entreprise
quelconque, et il se disait : la dissolution
nous donnera quelques mois, quelques
semaines au moins de répit; et ce sera
toujours cela de gagné.
La dissolution fut repoussée. Vint la
prorogation. En fait, pour les dissolu-
tionnistes dont nous venons de parler,
c'était la même chose. Et tout à coup,
changement à vue ; le travail reprend
partout ; pour regagner le temps perdu,
on met les bouchées doubles. Le com-
merce offre à Paris le spectacle qu'on a
pu voir, et l'on est en droit de penser
qu'il en est de même par toute la France.
Mais voilà que ceux qui tout à l'heure
proclamaient que tout allait bien se
lamentent aujourd'hui en jurant leurs
grands dieux que tout va mal. Quand
nous pleurions, ils crevaient de rire ;
nous rions, ils crient comme si on les
écorchait ! Ah ! çà, qui trompe-t-on ici?
SCHNE RB.
COUP D1 IL EN ARRIÈRE
C'est donc aujourd'hui le premier ma-
tin d'une année qui commence, et pour
faire honneur à la solennité du jour, je
me suis mis à ranger mon cabinet de
travail, à mettre à leur place les livres
qui s'étaient accumulés sur mon bureau,
les livres de 1872.
Ils ne sont pas tous là; car je n'achète
ou ne reçois guère que ceux qui ont
quelque rapport à mes études accoutu-
mées. Et cependant, j'en vois assez, épars
sur la table, pour m'affermir dans cette
conviction consolante que l'esprit fran-
çais est encore bien vivant; qu'il n'a pas
été, comme nos bons amis les Allemands
se plaisaient à le croire, enseveli sous les
ruines de la guerre et de la Commune.
Laissons le théâtre, qui appartient à
notre cher La Rounat. Savez-vous le pre-
mier ouvrage qui me frappe les yeux ?
saluez, s'il vous plaît. C'est un des plus
grands monuments qui aient jamais été
élevés à la gloire d'une langue, c'est le
dictionnaire de M. Littré, dont cette an-
née 1872 aura vu l'achèvement. M. Littré
et la maison Hachette ont poursuivi, à
travers tant de secousses et de désastres,
le cours de cette fameuse publication, et
l'ont enfin menée à bon terme. Souve-
nez-vous du mot qu'a dit M. Guizot sur
cette œuvre : le dictionnaire de M. Littré
est un de ces livres que je n'ouvre ja-
mais qu'avec respect.
Il n'y a guère qu'un ouvrage que l'on
puisse comparer à celui-là : c'est le Tré-
sor de la langue grecque, d'Henri Etienne,
qu'a réédité en ces dernières années, au
prix de sacrifices immenses, l'illustre
maison Didot.
Il ne me semble pas qu'une année qui lé-
guera à la postérité un si vaste édifice,
n'eût-elle produit que cela, puisse passer
pour une année absolument perdue.
La littérature militaire a tenu durant
ces douze mois le haut du pavé. Tous
les généraux ont conté leurs campagnes,
et à côté d'eux un nombre infini de vo-
lontaires, d'observateurs curieux, ont cru
devoir faire part de leurs impressions au
public. Un de mes amis, grand collection-
neur, a rassemblé tous ces volumes et
en a composé une manière de bibliothè-
que, qui aura du prix dans une trentaine
d'années, quand la plupart de ces docu-
ments se seront dispersés et évanouis.
Ils ont tous, sans doute, une impor-
tance historique. Mais pour nous, qui
nous attachons plus au mérite littéraire,
il y en a' bien peu qui soient dignes,
comme les Mémoires de Montluc ou les
Commentaires de César, d'être lus pour
l'agrément seul de la narration. Il est
bien entendu que je ne les connais pas
tous, et que les meilleurs peuvent jus-
tement m'avoir échappé. Parmi ceux que
j'ai lus, il faut mettre en première ligne
l'admirable livre du colonel d'Andlau sur
la campagne de Metz. Il est impossible
de rencontrer un récit plus sobre,
plus net, plus concluant, ému tout
ensemble et pittoresque, en certaines
parties : c'est lui qui ira dans la postérité
déposer contre le maréchal Bazaine.
L'un des tableaux les mieux faits qui
aient été donnés du siège de Paris est de
M. Dumesnil. L'auteur a consigné ses
impressions au jour le jour. C'est un
philosophe, un moraliste, un patriote
et un écrivain. Oserai-je rappeler que
moi aussi j'ai écrit un récit de ce siège,
qui pourrait-être appelé : Journal d'un
bourgeois de Paris, et qu'il est arrivé tout
doucement à sa vingt-deuxième édition?
Il s'est publié, comme à l'ordinaire,
un grand nombre de romans cette année
C'est la littérature qui est toujours le
plus à la mode, car c'est celle qui se fait
accepter le plus aisément des femmes.
Il ne me semble pas qu'aucun des livres
qui ont paru en ce genre ait révélé avec
beaucoup d'éclat un nom nouveau. Ce-
pendant l'année 1872 ne le cédera en
rien, même sous ce rapport, à la plupart
de ses aînées.
J'avoue pourtant qu'il s'y trouve à
noter je ne sais quelle recrudescence
dans le goût des sujets scabreux, et dans
le succès que ces productions douteuses
paraissent obtenir dans le public. Ce
n'est pas un fort bon signe de voir l'ef-
froyable nombre d'exemplaires qui se
vendent de récits que je ne veux pas
même nommer de peur de leur faire une
réclame, mais dont la plupart de nos
lecteurs savent les noms au moins par
ouï-dire.
J'engage mes lecteurs à n'en pas con-
naître autre chose; ce sont là des œuvres
malsaines. Il faut, certes; accorder aux
écrivains le privilége d'étudier toutes les
passions, même les plus viles, même
les plus infâmes : c'est là une vérité que
personne ne conteste et que Boileau a
consacrée avec son bon sens ordinaire,
dans les deux vers si connus de son Art
poétique :
Il n'est point de serpent, ni de monstre odieux,
Qui, par l'art imité, ne puisse plaire aux yeux.
Mais cW à la condition ou que la
peinture soit souverainement belle, ou
qu'il en sortira quelque leçon morale.
Mais si l'on sent chez l'auteur un je ne
sais quel désir de piquer; par ces tableaux
lascifs, la curiosité du public, et de bat-
tre monnaie avec sa perversité native,
il ne reste plus que l'horreur et le dé-
goût de ces descriptions honteuses.
C'est de la corruption pure ; c'est le
marquis de Sade, moins le cynisme
grossier du mot propre, ou, si vous. ai-
mez mieux, du mot sale.
Je n'ai jamais, pour* moi, pu pousser
plus avant que la trentième page de ces
œuvres immondes. On assure qu'il y a
du talent là-dedans, et une certaine
science de langage. Je le veux bien, mais
voilà de la science et du talent fort mal
employés. J'admets Rabelais, j'admets
Lafontaine, j'admets les gaillardises
crues de nos vieux conteurs du XVe et
du XVIe siècle ; ces gauloiseries ne ti-
rent pas plus à conséquence que les cul-
butes de l'enfant qui se roule à demi-nu
sur le tapis, et montre une bonne partie
de ce que l'on cache ordinairement avec
soin. Ce qui est plus grave, c'est l'impu-
dence dans la pensée, sous le mystérieux
et irritant demi-jour de phrases conve-
nables et voluptueuses. Cela chatouille
l'imagination, gâte le cœur et excite les
sens. De tous les arts, c'est le plus fu-
neste et le plus condamnable. Si ceux
qui l'exercent savent ce qu'ils font, et
que néanmoins ils passent outre, ils
sont bien condamnables.
La littérature des romans compte par
bonheur cette année des productions qui
sont plus aimables. Je crois qu'il faut
donner une place à part à Julia Tré-
cœur, un récit de M.Octave Feuillet, d'une
simplicité très-saisissante. C'est encore là,
il est vrai, la peinture d'une passion
monstrueuse. Mais l'histoire est conduite
avec un tact si merveilleux et le sujet
est indiqué d'une main si parfaitement
discrète qu'on va jusqu'au bout sans
que le voile qui cache l'inceste se sou-
lève autrement qu'à demi, sans qu'on
soit obligé de reculer avec effroi. Le dé-
nouement est plein d'une grandeur triste
et d'une mystérieuse horreur.
Huit jours après Julia Trécœur parais-
sait Chardonnette, une aimable peinture
de la vie provinciale, où M. Charles
Deulin, l'auteur des Contes d'un buveur
de bière, faisait revivre avec un soin mi-
nutieux et passionné tout un coin de la
vieille Flandre française.
A un mois d'intervalle, Hector Malot,
lé vigoureux élève de Balzac, publiait
coup sur coup deux volumes : Un curé
de campagne et Un miracle, dont je n'ai
besoin que de rappeler les noms aux
lecteurs de ce journal; j'en ai longue-
ment parlé à l'époque où ils parurent.
L'auteur est un des hommes de ce temps
dont je fais le plus de cas. Il a le talent
sain et robuste.
Mme Sand, l'infatigable écrivain, a
continué la longue série de ses romans
par un livre qui a pour titre Nanon. On
n'y retrouve plus la passion brûlante qui j
animait jadis les Valentine et les Lilia
du grand romancier. Mme Sand, avec i
l'âge, s'est assagie. Nanon est @ la peinture
des sentiments et des pensées qui ont
dû germer dans l'âme des humbles et
des petits en cette immortelle année de
89. Le récit est un peu long, mais si in-
téressant! le fleuve de style qui emporte
l'idée est si large et si tranquille !
L'histoire proprement dite a peu don-
né en 1872. M. Guizot continue, avec un
succès merveilleux de vente, son grand
ouvrage : Histoire de France contée à mes
petits-enfants. Le second volume vient
d'en être enlevé. Les parties gue j'en ai
lu ne m'ont pas paru justifier cette
vogue immense ; mais il faudrait avoir
pris connaissance de tout l'ouvrage pour
oser s'inscrire ed faux contre l'opinion du
monde.
Ne parlons point du nouveau volitme
de M. Michelet, Bonaparte et le Directoire.
C'est à peine si, çà et là, quelque magis-
tral coup de griffe révèle la patte du
lion devenu vieux. C'est un livre de dé-
cadence , un livre attristant. Voyez
pourtant la différence du bon sens et de
l'imagination ! C'est dans la jeunesse l'i-
magination qui séduit le plus et frappe
les plus beaux coups ; mais, à mesure que
les années viennent, l'imagination s'exas-
père ou s'énerve, tandis que le bon sens
va s'épurant sans cesse ; et l'on voit, à
côté l'un de l'autre, M. Guizot écrire au
milieu d'un applaudissement universel
un livre peut-être au-dessous de sa ré-
putation, sage néanmoins et très-digne
d'être lu; et M. Michelet donner un livre
qui n'est accueilli que par l'indifférence
glaciale des uns, le sourire de moquerie
des autres.
Ai-je besoin de rappeler aux abon-
nés du XIXe Siècle que le Saint-Jean
Chrysostome de M, Amédée Thierry est
un livre d'histoire excellent? J'en ai
dans le temps parlé avec tous les éloges
qu'il mérite.
En philosophie, je ne vois que deux
ouvrages à citer : la Réforme intellectuelle
de M. Renan, où commence à s'accuser
cet esprit de réaction contre la légende
de 89, que nous voyons gagner du ter-
rain tous les jours, parmi un grand
nombre d'hommes distingués, et le beau
livre de notre maftre Ernest Havet : le
Christianisme et ses origines. Les deux
volumes qui le composent ne sont qu'un
début : l'auteur y marque ce que le
cliristianismé a emprunté à l'antiquité
classique. C'est une œuvre de vaste éru-
dition, de foi profonde et de polémique
ardente. Elle n'a pas obtenu un succès
de vogue bruyante ; mais le temps lui
fera sa plâe'è .•
Il y a des livres qû'VD. de saurait clas-
ser dans aucune catégorie ; ils appar-
tiennent à l'histoire, à l'économie poli-
tique, à là fantaisie tout à la fois, et ce
sont presque toujours des livres écrits
par des journalistes.
Au premier rang, je mettrai l'Alsace,
d'Edmond About. Ce volume, né de cir-
constances exceptionnelles, durera même
après qu'elles auront disparu, comme un
beau portrait de maître survit à l'origi-
nal. L'œuvre est faite de ce métal indes-
tructible que l'on nomme le style.
Le livre de M. Bréal, Quelques mots
sur l instruction publique en France, n'est,
lui, qu'un pamphlet de circonstance,
mais un de ces pamphlets dont le souve-
nir se gardera longtemps encore après
qu'on ne le lira plus. Car il en est sorti
une révolution dans l'enseignement se-
condaire, et cette révolution, quelle que
soit l'opinion que l'on en ait, aura de
longues conséquences dans l'avenir.
Cette brochure capitale en a fait éclore
une nuée d'autres, Je ne veux citer que le
livre de M. Laveleye sur Y Instruction du
peuple. C'est un maître ouvrage, mais j'y
reviendrai si souvent, quand on débattra
à la Chambre la loi sur l'instruction pri-
maire, qu'il est inutile de s'étendre au-
jourd'hui sur son mérite.
J'allais oublier la littérature de voya-
ges. Et cependant c'est cette année qu'a
paru le troisième volume de ce Voyage
autour du Monde si gaîment fait, si joli-
ment conté par un jeune homme de
vingt ans, le comte de Beauvoir. Ces trois
volumes sont déjà à leur sixième édition.
Rien n'est plus français de style et d'al-
lures.
Les Notes sur l'Angleterre de notre ca-
marade Hippolyte Taine doivent égale-
ment être mises au compte de l'année
1872. C'est l'œuvre d'un métaphysicien,
qui est en même temps moraliste et pein-
tre. On m'assure que le livre a encore
obtenu plus de succès en Angleterre
qu'en France. C'est pour lui une bonne
recommandation que les originaux se
soient reconnus dans ces peintures.
Je termine, en recommandant de nou-
veau aux mères de fanjille l'un des
meilleurs, des plus instructifs, des plus
agréables ouvrages qui aient jamais été
écrits : la* Correspondance d'Ampère. Je
suis désolé que ce livre n'ait pas tout le
succès auquel il a droit. On devrait le
mettre entre les mains de toutes les jeunes
filles. Je voudrais que les pensionnats le
donnassent en prix ; qu'il se vendît à un
bon marché fabuleux, pour pénétrer dans
les maisons les plus modestes. C'est un
chef-d'œuvre de sensibilité, d'honnêteté,
de grâce et de grandeur morale. Tout
cela est vrai et poétique en même temps.
Je ne sais rien qui soit plus capable d'at-
tendrir le cœur et d'élever l'âme. C'est
une lecture saine, fortifiante et d'un
charme infini.
C'est, comme auraient dit nos pères,
le plus beau fleuron de l'année 1872.
.Fl\ANCISQU. J5ARGEY.
INFORMATIONS
La municipalité de Dunkerque avait sol-
licité une audience particulière du prési-
dent de la République. Elle voulait prier
le chef de l'Etat de consentir, lors de son
prochain voyage à Calais, à honorer la
ville de Dunkerque de sa préseace, pour
se rendre compte par lui-même de la situa-
tion du port et des travaux qui s'y exé-
cutent.
Reçus il y a quatre jours, à 1 Elysée,
MM. * d'Arras, maire, et Deman, Dagneau
et Lemaire, adjoints, ont eu avec le pré-
sident une entrevue d'une demi-heure.
Après de vives instances, le maire et
ses adjoints ont réussi à obtenir de M. le
président la promesse que si des circons-
tances indépendantes de sa volonté ne ve-
naient pas mettre obstacle à son bon vou-
loir, il ferait son possible* pour se rendre
à Dunkerque, après les essais d'artillerie
qui doivent avoir lieu prochainement à
Calais.
Cette réponse du président démontre
que le voyage de Calais est désormais ar-
rêté. Il aura lieu, comme nous l'avons dit
hier, du 8 au 12 janvier, si des incidents
parlementaires graves n'exigent pas la
présence de M. Thiers à l'Assemblée natio-
nale.
On annonce la publication prochaine
d'une lettre de M. de Beust en réponse
aux assertions de M. de Gramont.
Pendant son voyage à Reims, M. le mi-
nistre de l'instruction publique s'est rendu
à l'Ecole de médecine. Il a promis au di-
recteur de nombreux instruments de phy-
sique. M. Jules Simon comprend la néces-
sité de doter nos écoles de médecine de
tous les instruments qui, déjà, sont adop-
tés chez nos voisins.
II a raconté qu'après la guerre 500 Amé-
ricains s'étaient rendus à Paris pour y faire
leurs études médicales, et que, frappés de
la pauvreté de notre première école, en ce
qui concerne les instruments de physique,
ils avaient résolu d'aller demander à l'Al -
lemagne ce qu'ils n'avaient pu trouver
chez nous.
Pour mettre fin à cet état de choses, 6
millions sont nécessaires. Avec 6 millions
Paris sera en situation de lutter avec tou-
tes les écoles de médecine de l'Europe. Nos
professeurs valent certainement les profes-
seurs allemands. Une question d'argent
doit-elle les empêcher de lutter à armes
égales avec nos vainqueurs d'hier ? Non.
La ville de Paris donnera 4 millions et
l'Etat fera le reste, — du moins M. Jules
Simon l'espère.
Le successeur de M. Roque à la prési-
dence du tribunal civil de Toulon est
nommé.
C'est M. Madon, conseiller à la cour
d'appel d'Aix, qui en est le nouvèau titu-
laire.
Ce poste a été du reste très-recherché, et
M. le garde des sceaux n'a eu que l'em-
barras du choix dans la longue liste des
magistrats qui l'ont sollicité.
On nous écrit de Lyon :
M. Barodet est de retour et rapporte du
gouvernement l'assurance que la mairie
centrale n'est point en danger de mort.
Les gérants de plusieurs journaux poli-
tiques ont reçu un avis officieux de se con-
former aux dispositions de la Ipi qui in-
terdit le compte-rendu des procès en injures
et en diffamation.
On sait que l'interdiction ne s'applique
pas aux procès en diffamation dans les-
quels est admise la preuve des faits dif-
famatoires.
Le mouvement préfectoral annoncé de-
puis quelque temps n'aura lieu que vers
le milieu du mois de janvier. Plusieurs
nominations ont déjà été signées par le
ministre de l'intérieur, notamment celle
du successeur de M. Delcussot, préfet de
Vaucluse, décédé il y a quelques jours.
Tous les préfets sont successivement appe-
lés en ce moment au ministère de l'inté-
rieur, où ils viennent conférer avec M. de
Goulard.On signale aujourd'hui la présence
à Paris des préfets de Tarn-et-Garonne,du
Pas-de-Calais , d'Indre-et-Loire , de la
Côte-d'Or,des sous-préfets de Saint-Nazaire,
deDax, etc.
Le bulletin d'hier, sur l'état du grand-
duc héritier, dit que la fièvre a un peu
diminué et que les forces du malade se
maintiennent d'une manière satisfaisante.
La nuit dernière, le grand-duc a dormi
cinq heures et a beaucoup transpiré.
On nous télégraphie de Marseille :
A la suite d'un vote de blâme du conseil
municipal, le maire, M. Guinot, et MM.
Castells, Rouffie et Isoard, adjoints, ont
envoyé leur démission au préfet.
Il est question d'un prochain voyage du
général de Cissey à Tours. Le ministre de
la guerre a le plus grand désir de se ren-
dre compte de l'installation des troupes du
7° corps , sous les ordres du général
Chanzy.
Le général de Cissey ferait le voyage de
Tours avant celui de Calais, et profiterait
de cette occasion pour passer en revue tout
le 7e corps.
On dit que M. le général de Gondre-
court se rendra au camp d'Avord pour com-
mander la division de cavalerie dès qu'elle
sera formée, et que MM. les généraux de
Percin-Northumberland et Dulyon de ilo-
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