Titre : Gil Blas / dir. A. Dumont
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1906-11-05
Contributeur : Dumont, Auguste (1816-1885). Directeur de publication
Contributeur : Gugenheim, Eugène (1857-1921). Directeur de publication
Contributeur : Mortier, Pierre (1882-1946). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 05 novembre 1906 05 novembre 1906
Description : 1906/11/05 (N9878,A27). 1906/11/05 (N9878,A27).
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Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 25/10/2012
trIL BLAS. — LUNDI 5 NOVEMBRE 1906
des succès de fauteuils d'orohestre et déroge,
autrement dit, de places chères. Les petites
places ne sont prises que les samedis, diman-
ches et jours de fêtes. Le public qui ne peut dé-
fenser beaucoup d'argent au théâtre a pris
habitude depuis quelques années d'attendre
pour voir les pièces nouvelles. qu'elles ne
lussent plus nouvelles et qu'on les donnât dans
des théâtres de quartiers, où il est plus chez
lui, où il peut venir comme en pantoufles et où
surtout il a de meilleures places \po'r un prix
inférieur.
Or, ces spectacles des petits théâtres n'ont
pas attiré seulement les publics de quartiers;
ils ont attiré la bourgeoisie, la moyenne bour-
geoisie, qui cherche elle aussi du théâtre au ra-
bais , car, il faut bien le dire, une soirée au
théâtre, à Paris, avec les faux frais qu'elle en-
traîne, devient un plaisir réservé aux seuls
dieux. de la finance.
La commission des auteurs s'est émue de
cette concurrence que les petits théâtres fai-
saient aux grands théâtres. Jusqu'ici, aux ter-
mes de l'article 7 de la convention qui régit les
théâtres, une pièce ne pouvit être représentée
« sur les théâtres placés avant et depuis l'an-
nexion, dans le rayon de l'ancienne banlieue,
sauf aux directeurs desdits théâtres de ban-
lieue, à se conformer aux délais d'usage, c'est-
à-dire à ne monter une pièce qu'après la pre-
mière série des représentations épuisée, et à
obtenir le consentement des auteurs ».
« Après la première série de représentations
épuisée » voulait dire dans ces temps -der-
niers : trois jours après.
Or, la commission des auteurs va, 'dans une
prochaine réunion, imposer un délai de trois
ans pour que l'autorisation de reprendre une
pièce* nouvelle puisse être accordée à un des
petits théâtres visés.
Elle va donc protéger les auteurs contre
eux-mêmes ; car, en laissant représenter une
pièce dans un théâtre de quartier huit jours
après qu'elle quittait un théâtre du boulevard,
ils empêchaient d'avance toute reprise possi-
ble de leur pièce dans les théâtres du boule-
vard. Il y aura en même temps un préjudice
ausé aux auteurs puisqu'ils ne pourront faire
argent de leur œuvre à Paris avant trois ans,
à moins que cette œuvre ne soit reprise dans
un grand théâtre.
C'est surtout l'industrie des petits théâtres
qui va se trouver lésée par la décision en ques-
tion ; ils seront forcés de vivre dorénavant sur
le vieux répertoire qui est démodé et ne fait
plus recette.
La situation de ces petits théâtres est du reste
aussi digne d'intérêt que celle des auteurs, Les
petits théâtres, dans leurs traités avec la So-
ciété des auteurs, vivent sous un vieux régime
il y a les théâtres de banlieue. et les autres.
On est théâtre de banlieue quand on est en
deçà de l'ancienne enceinte de Paris* avant
1860 ; on est théâtre de Paris quand on est en
devions de cette enceinte. Ainsi, le théâtre des
Bouffes-du-Nord, situé sur la limite des bou-
fevards extérieurs, dans l'ancienne enceinte
de Paris, est régi par un règlement draconien,
alors qu'un théâtre situé en face, c'est-à-dire
de l'autre côté du boulevard, est réputé théâ-
tre de banlieue et peut jouer certaines pièces
alors que ces nêmes pièces sont interdites à
son voisin.
Peut-être la commission des auteurs pourra-
t-elle du même coup abolir cette législation su-
rannée et faire rentrer tous les petits théâtres
dans le droit commun.
Quoi qu'il en soit, la décision prochaine de
ia commission des auteurs interdisant les piè-
ces modernes aux théâtres de quartier va por-
ter une perturbation dans cette petite industrie.
Suffiça-t-elîe pour ramener le public aux pla-
ces à bon marché dans les grands théâtres ?
C'est ce que l'expérience démontrera.
Louis Schneider.
RACIDE
SI ROP » £ Sd.DECLAT
Centre GRIPPE • TOUX - RHUMES - INFLUENZA, etc.
-. ■ i-
Le Monde
Parla.
Les réunions d'Auteuil ont ceci d'agréable qu'elles
laissent tout le temps de s'habiller et permettent
q'nrriver très exactement à huit heures pour diner
à l'Elysée Palace décidément adopté par l'élément
mondain de toutes les réunions sportives. Noté
autour des tables fleuries :
Princesse de Lucinge Faucigny, princesse Kots-
thoubey, Mme Autocolsky, comte Balny d'Avri-
eourt, prince et princesse Musurus Bey, vicomte de
:Saint-Geniès, M. de Saint-Hilaire, sir Thomas Su-
therland, etc., etc.
Pour achever la soirée, concert dans le hall ou
se sont fait applaudir : Mlle Bemal, M. Ferrier, et
Mme Carlyle. ,-
— Viennent de rentrer à Paris : comte Ernest
'd'Lvry, comte et comtesse André de Ganay, comte
et comtesse de La Riboisière, Mme Ferdinand'
fJ 0 Idsmi th, Mme et Mlle Hochon, comtesse de
Courcy, M. Marcel Flury Bérard, M. G. 'PeUerin
de La Touche, vicomte de Cholet, prince François
de Broglie, Mme Germain Lefèvre-Pon talés, comte
Maingard.
Hors Paris
De Vcsoul :
Un cross country auquel assistaient le général
de Vibraye et le colonel Lescot, réunissait jeudi
dernier les officiers du 118 chasseurs.
Le départ fut donné à deux heures à Villeparois.
Après un parcours sipiendide dans la vallée du
tlt Bâtard » ruisseau qui a été sauté six fois-avec
vun superbe entrain, après avoir franchi avec une
grande maestria des routes très dures et traversé
les bois dû Sougeiot où plusieurs obstacles avaient
été construits, cette superbe chevauchée, que con-
duisait M. le capitaine Jacques, s'est terminée près
de Colombier.
Deux amazones mesdames Damotte et Boussert,
dont les toilettes élégantes faisaient avec les bril-
lants uniformes un contraste des plus charmants
ont pris part à cette manifestatioh sportive qui a
remporté un succès qui certainement ne peut qu'en-
gager les organisateurs à renouveler semblables
réunions.. -
Chasses.
L'équipage de Bonnelles a fêté avant-hier la Saint-
Hubert.
Après la messe traditionnelle qui a été dite en
J'église de la Celle-les-Bordes, a eu lieu, au chenil,
la bénédiction des chiens.
Puis la chasse à commencé. Le cerf, un superbe
dix-cors s'est fait prendre dans l'étang de l'abbaye
des Vaux-de-Cernay.
Les honneurs du pied ont été faits à la baronne
Henri de Rothschild qui a offert, à la duchesse
d'Uzès et aux personnes qui ont suivi la chasse
un goûter improvisé.
Mariages.
On vient de célébrer, en l'église de Croc'h, en
Bretagne, le mariage de Mlle Yvonne d'Aboville,
fille du vicomte d'Aboville, colonel d'infanterie en
retraite et de la vicomtesse d'Aboville, avec le vi-
comte Louis Le Gouvello, fils du comte Le Gouvello,
lieutenant-colonel d'infanterie en retraite et de la
comtesse Le Gouvello.
Les témoins du marié étaient : le colonel de Par-
seval et le vicomte de Gouvello, capitaine au 148°
d'infanterie ses oncles ; ceux de la mariée : le mar-
quis de Gouvello, son grand-père et le baron Gas-
ton d'Aboville, lieutenant au 138e d'infanterie son
frère.
— On annonce les fiançailles du vicomte René
de La Bintinage, lieutenant au 11e régiment de
chasseurs, fils du vicomte Edouard de La Bintinage,
décédé, avec Mlle Marie Bazin, fille de M. Henry
Bazin, banquier à Dinan.
— Fiancés également : M. Léandre Vaillat, hom-
me de lettres, avec Mlle Suzanne Lavedan, fille de
M. Henry Lavedan, de l'Académie française ; M.
Henry Davillier, banquier, fils de M. Maurice Da-
villier, régent de ia Banque de France, vice-prési-
dent de la Compagnie des chemins de fer de l'Est,
avec Mlle Blanche Marie Tardiveau, fille de M.
Alfred Tardiveau, ancien officier de cavalerie et de
Mme, née Dandron, .décédée ; M. Paul Gillet, atta-
ché d'agent de change, avec Mlle Elise-Louise Ra-
mus, fille de M. Ramus, agent de change près la
Bourse de Paris.
Nécrologie.
— Le docteur Rabot, doyen des médecins de l'Hô-
tel-Dieu de Lyon, est décédé hier.
- On annonce également la mort de M. Albert
Tardy, vice-président du conseil général de la Niè-
vr/e où il représentait le canton de Lormei3.
De Tanville.
LA VIE ÉTRANGÈRE
Les chevaliers de Malte parisiens.
6ait-on qu'il y a à Paris et en France en-
core un certain nombre de chevaliers de Mal-
te ? d'ailleurs fort peu'nombreux. Ils sont à
pérhe quarante, tout comme les membres de
l'Académie française.
Les Baillis Grand-Croix français sont les sui-
vants- :
Mgr le duc d'Orléans ;
Son altesse royale le duc d'Alençon ;
Son altesse royale le duc de Vendôme ;
M. le duc de Mouchy ;
M. le duc de Doudeauville ;
M. le comte de Chabot. Ce dernier est le
président de l'Association française de l'Or-
dre.
Rappelons, ne fusse qu'à titre de curiosité,
les conditions d'admission. Pour faire partie
de l'Ordre de Malte, il faut, en France, huit
quartiers de noblesse authentique, une situa-
tion sociale considérable, une absolue morali-
té, vivre en gentilhomme et faire profession
de foi chrétienne.
L'uniforme de chevalier d'honneur et de dé-
votion se compose d'une tunique en drap rou-
ge, avec revers en velours noir, pantalon bleu
foncé avec bandes en or, épaulettes à graines
d'épinards, l'épie, le chapeau bicorne, bordé
de soie noire, plume noire et cocarde mi-
rouge mi-blanc. Les chevaliers portent au cou
la croix iblanche timbrée d'une couronne
royale en Italie ; en France, en Espagne, la
croix est décorée des quatre fleurs de lys qui
figurent dans les armes des Bourbons.
Actuellement, le Grand-maître de l'Ordre,
Souverain de Saint-Jean de Jérusalem, est le
prince de Thun Hohenstein, qui vient de con-
férer sa grand-croix de l'Ordre à L. L. MM. Hé-
lène et Marguerite de Savoie. Ce qui a été
l'occasion d'une fort curieuse cérémonie au
cours de laquelle le grand-prieur, marquis,
Sommi Picinardi, a remis en grande pompe,
aux deux souveraines, les insignes et les bul-
les d'usage. A Paris, nous possédons, en la
personne dui comte de Khévenhuller-Metscb,
ambassadeur d'Autriche-Hongrie, Ain bailli
grand-croix.
En 1857, l'impératrice Eugénie reçut égale-
ment cette haute dignité.
Mais c'est en Angleterre que l'Ordre a con-
servé le plus l'indépendance et c'est le roi lui"
même qui en est le grand-maître.
En 1888, la reine Victoria, nomma, grand-
bailli, son fils, le prince de Galles, aujour-
d'hui Edouard VII, et c'est encore actuelle-
ment l'héritier, de la couronne'd'Angleterre qui
remplit les mêmes fonctions.
Nos hôtes.
Le prince de Radolin, qui vient de rentrer
à Paris ainsi que la princesse, a repris la di-
rection des services de son ambassade.
* *
De même l'ambassadeur d'Autriche-Hongrie,
après une absence de deuxv mois, est rentré
à Paris, de retour de Vienne, et s'est installé
dans son bel hôtel de la rue de Varenne.
•%
, Le ministre de Perse à Paris a voulu réunir,
à sa table, avant leur départ pour leur pays,
ses jeunes compatriotes qui, après avoir fini
leurs études de médecine dans nos écoles et
nos hôpitaux, retournent exercer en Perse. m
A ce dîner assistaient fFprince Maicom
Khan, ministre de Perse àRome ; le géné-
ral Mjpldr Kham, M. Mohendes Bachi, M. Moi-
nos Saltanech. M. Mbtamanol Mamâlek, etc.
A cette occasion, le ministre de Perse a remis
au docteur Djenil Khan les insignes d'officier
d'instruction publique, de la part du gouver-
nement de la République.
Un anniversaire républicain.
La plus jeune des républiques du Nouveau-
Monde fête aujourd'hui le 36 anniversaire de
son indépendance : il s'agit de la République
de Panama, dont on connaît la courte et bril-
lante histoire, depuis qu'elle a été fondée grâ-
ce à l'esprit d'initiative et de ténacité d'un de
nos compatriotes les plus éminents.
Architectes à vos crayons.
Le gouvernement de Bulgarie met à un con-
cours international un projet de construction
à Sofia d'une nouvelle université. ,
Tous les architectes bulgares et étrangers
qui en feront la demande, recevront franco un
exemplaire du programme de ce concours et
le plan de l'emplacement de la nouvelle uni-
versité.
Les projets doivent être présentés au minis-
tère de l'instruction publique à Sofia, au plus
tard jusqu'au 1 (14) avril 1907.
Trois prix seront décernés aux concurrents :
premier prix, 10.000 fr. ; deuxième prix, 7.000
francs ; troisième prix, 5.000 fr.
Le jury disposera, en outre, de 4.500 fr. pour
l'achat d'autres projets.
Deux architectes étrangers, l'un français et
l'autre allemand, feront partie du jury.
Sainthème.
LA STATUE
DU
Chevalier de la Barre
Un monument de protestation. — Sa raison. — Inau-
guration de la statue. — Discours et défilé
Depuis hier, la statue de bronze du jeune
chevalier de la'Barre est solidement assise sur
un immense bloc de granit, au sommet de
Montmartre et devant la porte de la basilique
du Sacré-Cœur.
L'cmp,lac-emEut est, sans contredit, très ma-
licieusement choisi ; il est vrai que nous ai-
mons et pratiquons les symboles.
Le Sacré-Cœur opprime Montmartre et Mont-
martre, aujourd'hui, se venge du Sa.cré-Cœ.ur,
sans miséricorde.
Cette statue de protestation barre, en effet,
la route aux pèlerins. Avant d'entrer dans le
sanctuaire, ils verront ce jeune homme attaché
au gibet et liront cette rouge inscription :
Au chevalier de la Barre
supplicié à râge de 19 ans,
le 1er juillet 17G6
pour n'avoir pas salué une procession.
C'est à Amiens que fut, en effet, rendue le
28 février 17G6, la sentence qui condamnait le
jeune lieutenant d'infanterie de la Barre à fai-
re amende honorable, en chemise, nu-tête çt
la corde au cou-, puis à avoir la langue cou.pée
et la tête tranchée, enfin son corps et sa tête
devaient être jetés dans un bûcher dont les
cendres seraient dispersées au vent. Avant
l'exécution, devait être faite au condamné ap-
plication de la question ordinaire et extraor-
dinaire.
Pourquoi ces rigueurs ? Parce que, dans la
nuit du 8 août 1-765, un crucifix fut mutilé sur
le Pont-Neuf d'Abbeville.
On accusa de ce délit le chevalier et deux de
ses amis. Il prouva un alibi, puisque le môme
soir, il dînait chez sa tante, abbesse de Wil-
lancourk On changea l'accusation et le jeune
gentilhomme fut traduit devant le tribunal
d Amiens pour avoir chanté « des chansons
exécrables et blasphématoires contre Dieu, ta
Vierge et les Saints », et « n'avoir pas salué
le Saint-Sacrement à la procession du prieuré
de Saint-Pierre, le jour de la Fête-Dieu ».
Voltaire, outré de cete condamnation, insul-
te au bon sens et à la raison, prit la défense
du malheureux garçon, mais ne réussit pas à
le tirer des mains du bourreau.
Le chevalier fut exécuté d'après le program-
me indiqué et son supplice dura à Abbeville
pendant toute la journée du 1er juililet 17G6.
La Convention réhabilita la mémoire du jeu-
ne condamné, par un décret du 25 brumaipe
an II.
Dès 1885, M. Mesureur fit donner à la rue
qui passe derrière le Sacré-Cœur, le nom de
la Barre et aujourd'hui, les comités politiques
de Montmartre ont définitivement édifié sa
statue de bronze devant la basilique. L'année
dernière, une première manifestation avait eu
lieu au mois de juillet devant la maquette du
sculpteur Armand Bloch.
Tous les groupes radicaux, socialistes et li-
bres penseurs de Paris, s'étaient donné rendea-
vous pour un solennel défilé devant la statue.
Avant cette manifestation, l'inauguration de
la statue avait lieu en présence des invités du
comité et des représentants de l'arrondisse-
ment : MM. Gustave Rouanet, député et Dher-
bécourt, le nouveau conseiller municipal dg
Clignancourt.
Une vaste tribune rouge avait été aménagée
en face du Sacré-Cœur, et des discours im-
pétueux furent prononcés dans le vent qui
soufflait en tempête sur Paris. M. Jacques
Frolo, au nom du comité, remit le monument
à la Ville en lui assurant que les libres cito-
yens de Glignâncourt sont disposés à veiller
pour qu'on ne l'enlève pas. Ce serait assez
difficile- : le poids de bronze s'y: oppose. M.
Colly reçoit la statue au nom de la Ville de
Paris.
Et nous entendons ensuite Gustave Rouanet
qui nous raconte les efforts de Voltaire en fa-
veut du malheureux chevalier et sa douleur de
ne pouvoir aboutir.
Il fait une éloquente allusion à une affaire
toute récente et s'écrie :
« Plus heureux que Voltaire, de 1897 à 1906,
nous avons pu obtenir la réparation de cette
iniquité judiciaire. »
Après le discours du citoyen Dherbécourt
qui eut le mérite d'être fort court, s'il fut vio-
lent, le défilé des manifestants commença et
se poursuivit pendant une demi-heure, dans
les cris et les chants révolutionnaires.
Les rouges drapeaux et les bannières flam-
baient au grand vent et dans les rais du soleil
transperçant par moment les nues en caval-
cade.
Estienne.
- !'
tx Cil BlAS" A NICE
(De notre correspondant spécial à Nice)
La saison de Nice commence avec le « Côte
d'Azur » ; or, le « Côte d'Azur » 1906-1907 a
roulé samedi pour la première fois. Le « Côte
d'Azur » est ce train fantastique, mirifique,
imaginé par des génies, conduit par des fées
et qui, partant de Paris à 9 heures du matin,
arrive à Nice à 10 heures et demie du soir l
Près de onze cents kilomètres en treize heures
et demie ! Et ce bolide est pourvu du dernier
confort. On y vit une journée des plus agréa-
bles, comme dans un grand hôtel dont les
fenêtres donneraient sur un paysage mou-
vant. Commodément allongé dans un fauteuil,
vous pouvez admirer les sites les plus pittores-
ques ; d'abord cette Bourgogne féconde, où les
noms des vignobles les plus célèbres se suc-
cèdent sans interruption : Vougeot, Beaune,
Meursault, Mâcon, Romanèche, Thorins ; puis
la région lyonnaise, si curieuse et, tout de
suite, la Provence : Orange, Avignon, Arles,
déjà le soleil éclatant, le ciel éternellement
bleu, et, enfin, passé Marseille, les rives d'or,
ce littoral unique au monde, cette émouvante
chaîne de l'Eistérel ; cette mer de saphir et de
turquoise, majestueuse, troublante comme une
grande courtisane. Et, dans ce train, vous
avez tout ce que vous pouvez désirer : des la-
vatorys luxueux, un restaurant de premier or-
dre, admirabdement organisé par la Compa-
gnie des. Wagone-lit&-, des couloirs faits pour
la promenade. Je connais des voyageurs qui
se divisent en plusieurs groupes et qui vont
se faire des visites, pendant le trajet :
- Venez donc passer une heure avec nous.
Voulez-vous prendre une tasse de thé ?
Le « Côte d'Azur » est le dernier salon où
l'on cause, et je suis persuadé qu'il s'y ébauche
des mariages autant qu'à l'Opéra-Comique.
Permettez-moi de vous dire, une fois de
plus, que nous sommes loin des diligences et
qu'après un tel luxe et un tel souci du con-
fort et de la rapidité, on se demande ce que la
P. L. M. va bien pouvoir offrir à sa clientèle.
*
* A
Les voyageurs qui étaient, hier, dans le
« Côte-d'Azur » ont dû se figurer difficilement
que, deux jours auparavant, tout le littoral
avait été la proie d'une épouvantable tempête.
Sauf, à partir de Saint-Haphaël, la ravissante
station où hivernent plusieurs célébrités pari-
siennes, un certain nombre de poteaux télé-
graphiques renversés ; sauf la ligne de che-
min de fer un peu endommagée, entre Juan-
les-Pins et le golfe Juan, on n'eut rien remar-
que : le soleil brille, il fait chaud ! La muni-
cipalité de Nice a fait tout le nécessaire pour
que la tempête de mercredi ne laissât pas de
traces. Certes, la promenade des Anglais n'a
pas repris encore son aspect habituel : de ci,
de là, il ya des flaques d'eau, des tas de gra-
vier. Les établissements de bain présentent,
un aspect désolé. Les parterres de fleurs sont
abîmés ; quelques bancs sont anéantis.
Mais le soleil brille, il fait chaud !
Il n'y a pas eu un seul accident de personne;
dans quelques heures, on n'y pensera plus et
les yeux de chacun se tournent vers l'avenir,
vers la saison qui vient, la saison, la « sea-
son » qui est commencée.
Car la saison de Nice est virtuellement com-
mencée ; en fait, nous en sommes encore aux
préparatifs. La ville n'a pas encore réparé les
désordres de sa toilette. Le Comité des fêtes
qui préside ici à l'organisation' de la vie so-
ciale et mondaine, se réunit à peine. Le casino
municipal n'est pas encore ouvert. Je l'ai visi-
té l'autre matin. On remet tout à neaf. Les sal-
les de jeu seront encore mieux ornées qu'au
printemps, et les millions vont de nouveau ac-
courir. Une armée d'ouvriers travaille. A la je-
tée-promenade on prépare également des mer-
veilles. Le théâtre des Capucines, qui sera l'at-
traction select, n'en est encore qu'au gros œu-
vre. L'Olympia n'a encore qu'un programme
d'été ; les autres établissements ne tiennent la
période actuelle que pour une période d'atten-
te. Des hôtels sont prêts, mais le personnel
n'est pas encore arrivé. C'est du reste, une al-
faire de quelques jours, et, comme on dit, les
ouvertures ne traîneront pas.
Nous n'avons eu, la semaine dernière pour
notable « mondanité » que la présence à Nice
de « The City of London commercial interna-
tional Association », accompagné par M. Mas-
curaud, sénateur de la Seine, président du
Comité républicain du - commerce et de l'in-
dustrie. M. de Jolly, le distingllé- préfet des Al-
pes-Maritimes, et M. Sauvaii, l'aimable maire
• de Nice, se sont prodigués. Nos hôtes se sont
montrés charmants et charmés. Le préfet des
Alpes-Maritimes leur a offert un dîner magni-
fiquement servi. Mme de Jolly avait à sa droite
M. Collins et à sa gauche M. Mascuraud. Le
préfet avait "è à sa droite Mme Collins et à sa
gauche Mme Bowater, qui n'est pas Mlle -Bob
f\Valt.er. L'entente cordiale s'est manifestée
pendant toute la durée du repas et ceux de nos
compatriotes qui onf assisté au dîner de la
préfecture ,ont pu apprécier le fin humour bri
tannique. Le lendemain, fête municipale à l'O-
lympia. On a joué la Marraine de Charley, une
pièce anglaise. de Cerny, extrêmement amu-
sante, et M. Sauvan a prononcé un speach fort
spirituel et bien dit.
A franchement parler, cette journée de fête
a, pour le public, manqué de chic. Nous som-
mes habitués à des spectacles infiniment plus
relevés et, somme toute, nous étions en pré-
sence d'un débarquement de Cook's. La co-
lonie anglaise de Nice, si élevée, si aristo-
cratique, était à peine représentée. Elle se
prépare, du reste, cette colonie anglaise, a fai-
re assaut d'élégance et de somptuosité. Et
avec qui va-t-elle rivaliser ? Avec la colonie
russe, sans doute, comme toujours ? Non
point : avec la colonie allemande.
Les Allemands sont maintenant les hôtes as-
sidus de la côte d'Azur ; ils commencent mê-
me, parmi les étrangers hivernants, à tenir
le haut du pavé. Leurs compagnies de che-
min de fer ont organisé des trains parfaits.
Il ne faut pas s'en plaindre. Le Monde alle-
mand est d'une éducation supérieure ; les
hommes sont tout à fait affables et, nos gran-
des couturières aidant, les femmes sont infini-
ment distinguées. Cette année, la colonie alle-
mantde donnera des réceptions et des fêtes qui
seront très suivies.
Le rédacteur du Gil Blas suivra tout ce mou-
vement avecun soin et un zèle qui ne se démen-
tiront jamais. Il a organisé des correspondants
un peu partoûT et il sera renseigné d'une fa-
çon exacte et .rapide.
Gil Blas est infiniment goûté sur le litto-
ral méditerranéen ; il compte parmi ses abon-
nés et lecteurs toute élite de la société hiverna-
le. II se devait à lui-même d'avoir un corres-
pondant averti qui soit partout à la fois. Je ne
faillirai pas à mon agréable tâche.
Jacques VerneuiL
P. S. — Monte-Carlo a enlevé à Nice, qui de-
vait l'avoir, le point terminus de la grande
course d'automobiles Paris-Méditerranée, qui
aura lieu cette saison. Nice est fâchée. Nice
a raison d'être fâchée. Mais n'est-ce point un
peu sa faute et le Sporting-Club de Monaco
n'a-t-il pas fait ce que Nice aurait dû faire ?
Nice_iiû^doit- pas s'endormir sur ses lauriers de
l'année dernière.
J. V.
—-———————— .,":
Informations politiques
M. Caillanx et la commission du budget
M. CailLaux, ministre des finances, a adressé
hier soir au président de la commission du budget
la lettre dont il a fait approuver hier le texte par
le conseil des ministres, et qui a pour but de faire
eonnaitre ses vues pour le règlement du budget de
1007. En outre, M. Caillaux se rend ce matin à la
commission du budget pour lui donner des explica-
tions complétant sa lettre.
On se rappelle le désaccord qui existait entre la
commission du budget et M. Poiçcaré et qui avait
pour causes des divergences profondes sur des
questions essentielles.
M. 'Folnef'é demandait un emprunt de 244 mil-
tioais et 100 millions d'impôts nouveaux.
Dans une longue lettre qui, est le véritable exposé
des motifs d'un nouveau budget et qu'il adresse
à M. Berteaux, M. Caillaux indique les raisons qui
lui font admettre le report à l'exercice 1906 des dé-
penses extraordinaires. Il établit qu'à son avis il
n'est nullement nécessaire de procéder à un em-
prunt de liquidation. D'accord sur ce point avec la
commission du budget, il s'en sépare en ce qui con-
cerne les moyens de combler le déficit restant. Par
divers moyoïis et en mettant en œuvres une ori-
ginale combinaison de trésorerie relative au paye-
ment des primes à la marine marchande, le minis-
tre réduit les crédits de près de 42 millions. Il ad-
met, un supplément de recette de plus de 30 mil-
lions. Il demande enfin à de légères augmentations
ou créations de taxe 35 millions environ.
M. Caillaux parvient ainsi à ne faire appel à des
ressources extraordinaires, dont la principale con-
siste en rémission d'obligations à court terme, que
pour une somme de 20 millions inférieure aux dé-
penses exceptionnelles de la guerre et des postes
inscrites dans le budget et destinées à disparaître
dans un avenir très rapproché.
M. Caillaux accepte toutes les réductions de dé-
penses effectuées par*la commission, et en outre il
propose des réductions de crédits s'élevant à
8.850.000 francs eî applicables aux budgets des mi-
nistères des finances, de la marine et des travaux
publics.
En cet état, le total des dépenses tomberait déjà
à 3.825 millions. Il a paru encore possible de le ré-
duire'en réipartissant également sur les prochains
exercices les charges i-ésultant des lois de 1893 et de
1902 sur la marine marchande, de même que le Par-
lement lui-même a égalisé les charges nudgétaires
provenant de la dernière loi de 1900 en fixant un
maximum annuel de constructions. Une annuité de
10 millions serait remise, pour assurer Je service
des primes, à la Caisse nationale des retraites pour
la vieillesse.
Les majorations de recettes que M. Caillaux,
soumet à la commission sont les suivantes :
Successions -.-. Fr. 11.000.000
Remboursements de garanties d'intérêts
et partage de bénéfices 14.000.000
Divers (conlingents des colonies, béné-
fices des chemins de fer de l'Etat,etc.) 5.000.000
-
Total. Fr. 30.550.000
Par suite de mesures diverses le déficit est ra-
mené à Go millions. Une rentrée des 5 millions au
Trésor le ramène à 61 millions qui seraient cou-
verts par une émission d'obligations à courts ter-
mes, émission qui resterait subordonnée à la sul>
vention des recouvrements en 190t. -< -
.- La rente et l'impôt sur le revenu
L'agence Havas communique aux journaux la*
note suivante émanée du ministère des finances ;
,. (c Toutes les informations publiées au sujet de
llmpÓt sur le revenu et sur la question de savoir;
si la rente sera atteinte, et sous quelle forme elle
le serait, sont controuvées.
« La vérité, c'est que le ministre des finances n'a
fait, quant à présent, qu'étudier les grandes lignes'
d'un nouveau projet ; qu'il s'écoulera plusieurs se-
maines, sinon- plusieurs mojs, avant que le projet
soit arrêté dans toutes ses parties et dépo&é sur le
bureau de la Chambre. »
Abolition de la peine de mort
Nous avons dit que le conseil des ministres avait
décidé le dépôt d'un projet portant abolition de lai
peine de mort.
D'après ce projet, la peine de mort serait abolie;
excepté dans les cas où elle a été édictée contre des
militaires en cas de-guerre. Elle serait remplacée
par la peine de l'internement perpétuel ; mais tout
condamné à l'internement perpétuel ne subirait
que six années de cellule, à moins qu'au cours (le,
cet internement il ne se soit rendu coupable d'ùn
crime nouveau, par exemple d'attentat contre la,
vie de ses gardiens.
Au ministère des travaux publics
M. Barthou, ministre des travaux publics et des
postes, a décidé que les vœux présentés par les
associations professionnelles des postes seront doré-
navant discutés en conseil d'administration et soua
la présidence effective du ministre. **
« »
NOUVELLES MILITAIRES
MARINE
L'accident du c. Charles-Martel 'I
L'enquête. — Visite des amiraux aux blessés
foulon, 4 novembre. — L'amiral Germinet, com-
mandant la division de réserve, s'est rendu à bord
pour commencer une enquête, d'où il résulte que
l'explosion a été provoquée soit par un choc contre
une porte en tôle, soit par une chute provenant de
ce que la plaque tournante du rail aérien avait été'
mal placée. En tout cas la cause de l'accident ai
été toute fortuite, absolument indépendante du nom-
bre et de l'instruction du personnel employé à la
manœuvre.
La torpille contenait encore de l'air comprimé à
plus de 30 atmosphères ; e A e a ^olê en éclats.
L'amiral Marquis, préfet maritime, et l'amiral
Touchard, commandant l'escadre, se sont rendus ce
matin à l'hôpital pour visiter les blessés.
Le quartier-maître Auguste Delhomme, le mate-
lot Feuardent et le quartier-maître Marius Galinier,
ont le corps, et particulièrement les bras et la poi-
trine, grièvement contusionnés par les éclats.
L'explosion du réservoir d'ail d'une torpille est
un accident extrêmement scare, mais cependant c'est
un danger permanent sur un navire ; l'air qui ac-
tionne le moteur de la torpille est comprimé à 90
kilos par centimètre carré, et sous cette pression un
choc relativement faible peut causer la rupture du
réservoir dont les éclats sont projetés avec d'autant
plus de force que la pression est plus grande. Dans
la torpille qui a explosé, cette pression était retati-
vement faible ; elle était à peu près du tiers de
ce qu'elle était avant le lancement de l'engin ; c'est
grâce à cette circonstance que les ravages qu'elle a
produits n'ont pas été plus grands.
L'état des blessés. *— Les obsèques du
quartier-maître Varence
Toulon, 4 novembre. — L'état des blessés du
Charles-Merlel est rassurant ; on ne craint plus
pour les jours d'aucun d'eux.
Les obsèques du quartier-maître Varcnce auront
lieu demain, dans l'après-midi.
Le ministre de la marine sera ipeprésentS par Ta-
rn irai Touchard, commandant l'escadre. Le deuil
sera conduit par l'amiral Germinet, commandant
l'escadre de réserve, et par le capitaine de vaisseau
Senès, commandant du Chatles-Marlel.
o j"
ïïn mot pas heureux
M. Milliès-Lacroix, sénateur et ministre des
colonies, est rempli de bonnes intentions II
veut que son ministère, telle la femme de Cé-
sar, ne puisse pas même être soupçonné. in
sait quelles préventions ont souvent couru. l'o-
pinion sur le compte des coloniaux, il a feuil-
leté les dossiers d'enquête et il est résolu à
mettre le fer rouge partout où des tares se ré-
véleraient.
C'est quelque peu en proie a ces pensées et
à ces résolutions, que M. Milliès-Lacroix, au
lendemain de son avènement, réunit autour det
lui les directeurs et chefs de services. Il leun
adressa les recommandations d'usage, effleu-
ra légèrement ses projets, pour lesquels il
comptait sur leur collaboration intelligente,,
active et dévouée, et il termina par ces mots ::
— Je désire dans le ministère, voir régneri
plus d'ordre, plus d'assiduité et plus de. pro-
bité 1
Ce dernier mot produisit sur les (Iirecteur
l'impression d'une douche. Ils se retirèrent
blessés, vexf, froissés, par l'appréciation dé-
sobligeante, implicitement contenue dans la
dernier désir formulé par le ministre.
Le surlendemain, M. Milliès-Lacrôix rcec.
vait la visite du président du syndicat des
fonctionnaires du ministère des colonies, bien:
qu'il ne lui eût pas fait témoigner officielle-
ment le désir de le voir.
Le président, en termes très mesurés, mais
non sans une amertume visible, fit compren-
dre au ministre quel retentissement pénible
sa recommandation avait eu parmi le person-
nel. M. Milliès-Lacroix un peu gêné, ne trou-
va que cette excuse à formuler :
- - Mais je n'ai nullement visé le personnel
du service central.
La réplique n'était pas plus heureuse que lEt
première affirmation.
Le président du syndicat se retira respec-
tueusement, mais la réponse du « patron »'
eut rapidement fait la traînée de poudre rlans
avec trop d'amour sur votre bras ou sur votre
épaule.
Ces causeries philosophiques et érotiques,
morales et amorales se succèdent dans le jar-
din du Luxembourg, une uuit d'hiver. Les
roses, comme les idées, naissent brusques et
fantastiques, enivrantes, délicieuses. Trois
déesses sont descendues dans ce parc voisin
du Sénat, trois déesses échappées du harem
céleste et qui sont plus complaisantes encore
que des mortelles. Vous pensez qu'une telle
interview a de quoi secouer terriblement les
nerfs du journaliste qui la cueille. Nous trou-
vons donc assez naturel, après tant de. surna-
turel et de magie, qu'on le retrouve, le lende-
main, la tête sur sa table, inanimé, avec au-
tour de lui des manuscrits et des reliques de
passante luxueuse et dépravée, un peigne, une
boite à poudre, des bagues, des bracelets, une
robe vide, mais encore toute chaude de la
chair qu'elle habilla. Voltaire a ici collaboré
avec le marquis de Sade.
Ce roman, aussi troublant qu'une fumerie
d'opium, renferme, en effet, les deux ivresses,
celle du cerveau, celle du sexe. Avec son in-
trigue imprécise, qui n'est qu'un prétexte à
discussions et à baisers, il est l'évangile le plus
séduisant, la plus harmonieuse synthèse des
contradictoires doctrines qui se disputent la
tête et les sens de nos jeunes gens.
*m
M. F.-T. Marînetti a de quoi rendre jaloux
Stendhal ;âl est né à Milan et il est poète —
poète français. Non content d'avoir publié deux
volumes de vers d'un lyrisme éperdu sous ces
titres : la Conquête des Etioles et Destruction,
il édite une revue internationale : Poesia, con-
sacrée aux Muses de tous les pays, surtout aux
latines, j'entends la française et l'italienne. II.
a un enthousiasme débordant, une jeunesse
pleureuse, une gentillesse invincible. Il
vient de s'essayer en prose, et c'est un' succès
incontestable parmi les lettrés de toutes natio-
nalilés. Le Roi Bombance. tragédie satirique en
quatre actes, a ce mérite de ne pas prétendre à
être joué. Aucun théâtre, d'aillleurs, ne s'y
risquerait, car l'action formidable se déploie
hors de tous cadres dans un monde symboli*
que, à la fois abstrait et singulièrement maté-
riel. - Comprenez que le roi Bombance est un
roman fantastique dialogué et l'œuvr-f?Ja plus
rabelaisienne qui ait été forgée depuis Rabe-
lais lui-même.
Il faut remarquer que le curé de Meudon a
été, en somme, peu imité : Gargantua. Pan-
tagruel, Panurge, Gargamelle, avec leur fan-
taisie ouljaneièrc, leur énorme symbolisme
saijrique, restent isolés dans le musée de la
littérature. Ces grotesques, si humains, mais
bumains démesurément, ont découragé les
écoliers. Aujourd'hui surtout par l'éloignement
ils apparaissent titanesques. D'ailleurs, nous
faisons petit, à quelques exceptions près. Nous
avons peur des géants. La jeune génération a
courte haleine. — On se limite. On cultive de
grêles jardins. L'orgie est redoutée. Candide,
recroquevillé et lassé de ses frasques, a fait
école. Les muses portent gilet de flanelle et
bonnet de coton. Le nain est bien vu. Le petit
homme fait loi. Aussi, est-ce une joie peu or-
dinaire quand une personnalité se déchaîne,
lorsqu'une tempête verbale ravage les clôtures
soigneusement cultivées. Au lieu de l'arro-
soir, voici l'orage, et ses gouttes lourdes, et
son tonncrreô M. F.-T. Marinetti a brisé l'ou-
tre d'Eole. Il en sort un ouragan.
Ce « Roi Bombance » n'est pas un chef-d'œu-
vre, car il titube comme une silène ivre. Les
mots qu'il emploie nous choquent ou nous
étonnent. Il parle avec l'intestin ; c'est un ven-
triloque impoli. Le vocabulaire rabelaisien est
presque réservé à côté du sien. Le Dieu Cre-
pitus l'inspire. N'importe ! Partons pour le
pays des Bourdes où il règne.. Nous y trouve-
rons de vieilles connaissances, sous une mas-
carade qui fait songer à un mardi gras cabrio-
lant dans une féerie.
La tragédie parodique de M. F.-T. Marinet-
ti affecte des. intentions de satire sociale. De
ce point de vue, elle nous fait songer aux dra-
mes philosophiques, injouables aussi, de Re-
nan. La Tentation de saint Antoine, de Flau-
bert, lui sourira dans les bibliothèques com-
me à un puîné prodigue et le nez taché de
sauce. Edgar Poë et Villiers, en leurs cieux
ironiques, l'encouragent d'un rire bienveillant.
Swift froncera un peu le sourcil et Banville le
traitera d'impertinent.
Comme l'explique fort bien un critique avi-
sé, M. René Wisner :
« Ici tout prend, ainsi que dans les contes
d'enfants, aspect de conmestibles : les châ-
teaux sentent le chocolat, rayonnent de beur-
re, s'adornent de fruits confits ; sous leurs
voûtes succulentes, des ripailles s'y donnent ;
des macaronis s'étirent ; des bouchées à la
reine nagent* dans leurs coquilles d'or :- des
reine nagent, dans leurs coquilles d'or :' des
croûtons surplombent, tels des phares, la mer
des haricots ; les dindes - offrent leurs ailes,
touchées par la grâce des sauces ; le Sauterne
jaunit en sa bouteille poussiéreuse ; le Clos-
Vougeeot rosit sous le maquillage de son éti-
quette. » 1
Les personnages sont Sainte Pourriture,
« grand fantôme spiralique de brume », le Roi
Bombance, au vaste nez bourgeonnant, aux
favoris d'étoupe, son sceptre-fourchette en
main et. sous le menton, une serviette orfra-
zée, sorte d'Ubu Roi sans scepticisme ; Ici Pè-
re Bedaine, chapelain pareil à une bonbon-
ne ; Tourte, Syphon, Béchamel, marmitons
sacrés, cuisiniers du Bonheur Universel ; Va
chenraget, premier conseiller du Roi. surin-
tendant des cuisines ; Pouleinouillet, surin-
tendant des caves, second conseiller ; Estoma-
çreux, chef des affamés ; Anguille, conseiller
de tout le monde comme il faut ; l'Idiot, poète
de son métier, en maillot bleu constellé d'é-
toiles d'or ; un vampire, etc.
Pas de femmes 1
Au début du livre, les Bourdes les ont chas-
sées, afin d'être débarrassées des soucis de
l'amour et de la race et de se consacrer au
« grand problème intestinal du monde. » ici
la satire dévie, car dans l'Etat futur, intestinal
ou non, les femmes joueront un rôle capital.
Et les fonctions digestives ne sont que la moi-
tié du ventre. Passons.
Les estomacs affamés menacent les repus.
Séditions et complots. Ripaille, le cuisinier de
Bombance,' vient de mourir. Les marmitons
sacrés pactisent avec le socialiste Estomacreux.
Le Palais orgiaque est assiégé. Bombance et
ses vassaux périssent. C'est la grande curée ;
mais le Désir est père de la Destruction. Après
avoir avalé Bombance, Anguille, l'Idiot. Be-
daine et les vassaux salés et marinés, les
Bourdes s'entredévoren L'indigestion fait
éclater leur estomac, d'où ressortent ceux
qu'ils ont happés, mais qu'ils ne digèrent
point. Ce sera donc à recommencer, mais in-
versement. Les mangés mangent les man-
geurs, qui les remangeront ; et il en sera ainsi
jusqu'à la consommation des siècles, pour la
plus grande joie de sainte Pourriture.
Au courant de ces agapes d'anthropophages,
le Père Bedaine exprime les tendances criti-
ques de ce livre à la fois antiréactionnaire, an-
ticlérical et antirévolutionnairc.
Ecoutons-le :
Sire, je vais entrer dans le ventre de mon dis-
cours. (Le roi se rendort.) En vérité, l'estomac hu-
main n'a jamais cru que sa faim présente fût. nor-
male !. il a toujours cherché en arrière ou en
avant un festin paradisiaque. Jadis, tout en .rê-
vant des sauces dorées abolies ou disparues, il fai-
sait sa soumission à la médiocrité des pitances !
C'est la civilisation de l'estomac païe-n !.
Le Christ, qui n'entendait rien à l'hygiène, habi-
tué qu'il était à dévorer des sauterelles avec Jean-
Baptiste dans le désert, vint révolutionner la di-
gestion universelle, avec des recettes saugrenues !.
Pour comble de malheur, à la notion de la mer-
veilleuse ripaille déjà savourée, il ajoute la vision
d'un mirobolant dîner futur.
On plaça tout d'abord ce diner sur la terre, puis,
pour plus de sûreté, dans l'au-delà, dîner céleste,
invention d'une astuce merveilleuse !. Les Esto-
macs pendant plusieurs siècles n'en demandèrent
pas davantage, ilélas !-des philosophes, c'est-à-dire
des individus occupés à cuisiner cVkïdigestes n-fcr-
lios et qui s'étaient d'aiîeurs aplati 1 épigaslre con-
tre l'arête de leur table à écrire, voulurent malheu-
reusement ressusciter l'idée fâcheuse dti Christ !.
u Décidément, déclarèrent-ilsl le Festin futur sera
terrestre et non pas^ céleste !. Il se réalisera pro-
chainement dans le temps et l'espace. » Ce fut une
grande imprudence culinaire. Depuis ce temps,
l'Estomac humain attend, ne voit-rien venir, et par-
fois se révolte !.
Cette nuit, les Bourdes se persuadèrent qu'ils sa-
vouraient le Festin Idéal. Les Brutalités adve-
mes ne furent pas autre chose que la colère d'un
enfant déçu.
Bref, le progrès rêvé par l'estomac humain est
vain, parce que le palais et la langue, étant doués
d'une infinité d'apétits et d'aptitudes, sont néces-
sai ement insatiables !. Nulle amélioration, dans
le bonheur digestif n'est possible !. Rien ne con-
tente les estomacs parce que rien le les remplit !.
Les Estomacs gâtés exigent une nourriture plus
délicate et plus variée !. Leur sensibilité est d'au-
tant plus impérieuse qu'on leur obéit. L'abstinence
engourdit l'Estomac universel. l'abondance le
surexcite.
L'Idiot reproche aux Bourdes d'ignorer
« que la splendeur des choses ne vient que de
l'ardeur qu'on a pour elles. que la saveur
d'une pulpe est dans la bouche et non dans la
chose mangée, comme les beautés de la nature
sont dans les yeux qui les contemplent. » Bref,
l'auteur oppose la philosophie de Kant et de
Hegel , l'idéalisme subjectif au grossier maté-
rialisme de Bombance et des Bourdes. Mais
ce système ne peut guère passer pour une
solution sociale. C'est de l'individualisme à
tous crins, de l'égoisme transcendant, qui ne
saurait contenir le débordement d'un socialis-
me collectiviste, barbare, enfantin et inexact,
comme celui que suppose notre jeune Mila-
nais. -
M. F.-T. Marinetti n'a pas dégagé très nette-
ment la morale de son tumultueux drame. Je
sais bien que Sainte Pourriture a le dernier
mot. Toute cette mangeaille finit en fumier,
mais, cela, nous le savons déjà depuis que le
monde est monde. Le bonheur n'est pas dans
notre ventre, nous ne l'ignorons pas. Mais où
est-il ? Le cerveau ne donne guère le bon-
heur. Il apporte des joies et des douleurs com-
me l'intestin ; les unes et les autres sont sou-
vent même plus vives. Pourquoi en ce concert
trop digestif, n'entendons-nous pas la voix du
cœur ? Ce muscle génère les sentiments et il
donne une vie rouge à l'Idéal. Marinetti sem-
ble l'avoir oublié, ou, plutôt, il n'a pas pensé
à nous montrer un joui- l'humarnité meilleure,
et moins infortunée, quand elle sera « organi-
sée » enfin.
Un jour viendra, espérons-le, où toutes les
classes auront leur l=art dans le festin social ;
tous les organes s'équilibreront, l'homme,
n'ayant pas d'autre maître que sa propre har-
monie, réalisera. tout le possible que renferme
en lui ce concept à la fois physiologique et so-
ciologique : l'exercice de nos fonctions accor-
dées entre elles et l'harmonie des classes tra-
vaillant ensemble. Voilà le vrai socialisme, ce-
lui des philosophes. Il est vrai que ce n'est pas
comme l'autre, celui d'Estomacreux — pour
prendre la formule du poète milanais. — un
tremplin électoral.
En somme, malgré les erreurs et les secous-
ses, nous nous avançons péniblement vers cette
société future, nous n'atteindrons sans doute
jamais le but, mais nous nous en approche-
rons toujours plus. En tous cas, je ne vois pas
que depuis l'avènement de la troisième répu-
blique, l'intellectualité, l'art, l'amour aient
perdu leurs droits. Bien au contraire. Rappe-
lons-nous que le vrai roi Bombance ce n'est
pas le socialisme, mais Louis XIV, l'homme
qui posséda au dire des mutlecins, qui firent
son autopsie l'intestin le plus long. Que de
plats y furent engouffrés 1 Il en mourut. Et
voilà un historique symbole des excès de l'as-
siette au beurre.
Mais laissons la parole au jeune Rabelais,
italien. Il fait chanter un joyeux de prolundis
à Sainte Pourriture sur les corps inanimés
mais bientôt renaissant de Bedaine (le prêtre)
et de Bombance (le Roi). En voici un verset :
C'est moi qui accouple les fleurs obscènes, plus
chaudes et délirantes que des vulves ! Et je me
.manifeste dans l'éclosion d'une rose, dans la dé-
composition d'un cadavre, dans le sourire d'un
enfant et dans le hurlement d'une tigresse en
rut !. Quand je parais, le rythme de la vie s'ac-
célère frénétiquement, et la Destruction hMo ses
ravages ! Ne dites pas : « Nous mourrons demain.
Je vis ! J'étais mort ! » Mais dites plutôt : « Je
suis une parcelle du cadavre éternel et vibrant de
la nature !
Le livre se termine par le-t-riomphe du vam-
pire et d'Estomaceux.
LE VAMPIRE, se réveillant un instant pour con-
, tinuer à réciter sa leçon.
D'âge en âge, la race des Bourdes va perfection-
nant ses mâchoires, dans l'art de s'entre-dévorer,
avec une grande agilité.
Voilà le seul progrès possible 1
ESTOMACREUX
Mâchons le- Roi
porteur de lois ;
mâchons Bedaine (le prêtre)
farci de chaînes !
SAINTE POURRITURE
Et mâchez-les donc ! Cela ne calmera pas votre
appétit. Et vous n'aurez pas une once de bonheur
de plus ! Le Bonheur est ailleurs ! (Avec un grand
geste vers l'horizon.) Ptio ! Ptio ! Réveille-toi !.
(En désignant le crâne broyé de VIdiot.) Veux-tu
manger cette blanche cervelle imprégnée d'azur ?.
LE VAMPIRE
Non, elle me dégoûte. comme les autres, petite
mère !. Et j'ai fait une indigestin de Bourdes.
Je suis fatigué. (Il s'endort.
Cette conclusion pessimiste n'est faite pous
satisfaire ni les sociologues, ni les politiciens ;
mais elle est la revanche des idéalistes pressés
qui trouvent que le règne de la Beauté cs5
aussi long à se réaliser — sinon plus - que
le triomphe définitif de la Justice.
***
Nous avons reçu une trop flatteuse lettre de."
M. Henry Ceard, pour qui je n'ai été que juste.
Je la publie, malgré son indulgence, parce
qu'elle met au point les desseins de l'auteur
qui a écrit une belle œuvre d'une portée con-
sidérable.
Mon cher confrère et ami,
Quel article ! quelle tendresse de compréhension
et d'explication de mon gros bouquin et comme t-,
faut que je me raidisse pour rester modeste aprèô
des compliments si cordiaux, une critique si ing
nieuse ! C'est vraiment une joie pour un auteuf
que de se voir pénétré avec cette agacité profonde
et bienveillante démêlant si bien, les origines des
idées, découvrant si intimement les jeux secrets do
l'oeuvre. Ah ! si vous l'aviez vu tout à l'heure
mon monocle dédaigneux ; il était bien troublé car,
en ne me donnant le seul succès que fade jamais
sOUihaité, il s'est mouillé, oui, mon bon, d'une larme.
Oui, vous l'avez merveilleusement analysé et dit :
J'ai tâché d'analyser le « Miserere » des « inteJligcn-
ces incoamplèVi et des volontés découragées qui
s'acharnent à poursuivre de leurs bras trop faibles
et trop courts un idéal aperçu et jamais atteint » J'aï
monté le calvaire avec mes personnages, et quel'
soulagement de trouver en haut de la rude pwila
une amitié comme la vôtre, réconfortante aux pei-
nes, aux espoirs et communiquant le courage de
■ recommencer pour faire mieux encore, jusqu'à des-
sèchement de l'encre dans l'écritoire.
Si j'ai lu Gustave Lebon ! En doutez-vous ? que
n'ai-je pas lu du reste pour ce damné livre, qui,,
en bout de compte, ne vaut que par sa conscience
et son application. Je me réjouis de constater que
ces mérites de bon élève — et combien ai-je eu de
maîtres : Flaubert, Swift, Pouoliet, Spencer, Lelort,
mon ancien chef de clinique à Lariboisière ; Robin,:
un admirable employé du ministère de la guerre,
qui savait tout, -— je me réjouis de constater quei
ces mérites de bon élève ont leur forme d'expansion
et que rien n'est meilleur pour écrire que de savoir,
ou, tout au moins, de chercher à admirer partout,-j
et vous avez senti avec une rare divination que de 'à'!
peut-être vient la force obscure de « Terrains ài
vendre ».
En même temps que moi, vous avez ravi monr
brave et paternel ami Duvand et ce sont ses remer-
ciements mêlés aux miens que je vous adresse avec
effusion, mon cher et grand ami dans les lettres,
HENRY CÉARD.
Terrains à vendre nous prouve que l'écolëj
naturaliste n'est pas morte ; M. Henry Ceard;i
l'a ressuscitée et régénérée au contact de lai
psychologie et de la science. Et il a retrouvée
le style de Flaubert, il s'est même souvenu doj
Chateaubriand* >
Suies BoiSt.
des succès de fauteuils d'orohestre et déroge,
autrement dit, de places chères. Les petites
places ne sont prises que les samedis, diman-
ches et jours de fêtes. Le public qui ne peut dé-
fenser beaucoup d'argent au théâtre a pris
habitude depuis quelques années d'attendre
pour voir les pièces nouvelles. qu'elles ne
lussent plus nouvelles et qu'on les donnât dans
des théâtres de quartiers, où il est plus chez
lui, où il peut venir comme en pantoufles et où
surtout il a de meilleures places \po'r un prix
inférieur.
Or, ces spectacles des petits théâtres n'ont
pas attiré seulement les publics de quartiers;
ils ont attiré la bourgeoisie, la moyenne bour-
geoisie, qui cherche elle aussi du théâtre au ra-
bais , car, il faut bien le dire, une soirée au
théâtre, à Paris, avec les faux frais qu'elle en-
traîne, devient un plaisir réservé aux seuls
dieux. de la finance.
La commission des auteurs s'est émue de
cette concurrence que les petits théâtres fai-
saient aux grands théâtres. Jusqu'ici, aux ter-
mes de l'article 7 de la convention qui régit les
théâtres, une pièce ne pouvit être représentée
« sur les théâtres placés avant et depuis l'an-
nexion, dans le rayon de l'ancienne banlieue,
sauf aux directeurs desdits théâtres de ban-
lieue, à se conformer aux délais d'usage, c'est-
à-dire à ne monter une pièce qu'après la pre-
mière série des représentations épuisée, et à
obtenir le consentement des auteurs ».
« Après la première série de représentations
épuisée » voulait dire dans ces temps -der-
niers : trois jours après.
Or, la commission des auteurs va, 'dans une
prochaine réunion, imposer un délai de trois
ans pour que l'autorisation de reprendre une
pièce* nouvelle puisse être accordée à un des
petits théâtres visés.
Elle va donc protéger les auteurs contre
eux-mêmes ; car, en laissant représenter une
pièce dans un théâtre de quartier huit jours
après qu'elle quittait un théâtre du boulevard,
ils empêchaient d'avance toute reprise possi-
ble de leur pièce dans les théâtres du boule-
vard. Il y aura en même temps un préjudice
ausé aux auteurs puisqu'ils ne pourront faire
argent de leur œuvre à Paris avant trois ans,
à moins que cette œuvre ne soit reprise dans
un grand théâtre.
C'est surtout l'industrie des petits théâtres
qui va se trouver lésée par la décision en ques-
tion ; ils seront forcés de vivre dorénavant sur
le vieux répertoire qui est démodé et ne fait
plus recette.
La situation de ces petits théâtres est du reste
aussi digne d'intérêt que celle des auteurs, Les
petits théâtres, dans leurs traités avec la So-
ciété des auteurs, vivent sous un vieux régime
il y a les théâtres de banlieue. et les autres.
On est théâtre de banlieue quand on est en
deçà de l'ancienne enceinte de Paris* avant
1860 ; on est théâtre de Paris quand on est en
devions de cette enceinte. Ainsi, le théâtre des
Bouffes-du-Nord, situé sur la limite des bou-
fevards extérieurs, dans l'ancienne enceinte
de Paris, est régi par un règlement draconien,
alors qu'un théâtre situé en face, c'est-à-dire
de l'autre côté du boulevard, est réputé théâ-
tre de banlieue et peut jouer certaines pièces
alors que ces nêmes pièces sont interdites à
son voisin.
Peut-être la commission des auteurs pourra-
t-elle du même coup abolir cette législation su-
rannée et faire rentrer tous les petits théâtres
dans le droit commun.
Quoi qu'il en soit, la décision prochaine de
ia commission des auteurs interdisant les piè-
ces modernes aux théâtres de quartier va por-
ter une perturbation dans cette petite industrie.
Suffiça-t-elîe pour ramener le public aux pla-
ces à bon marché dans les grands théâtres ?
C'est ce que l'expérience démontrera.
Louis Schneider.
RACIDE
SI ROP » £ Sd.DECLAT
Centre GRIPPE • TOUX - RHUMES - INFLUENZA, etc.
-. ■ i-
Le Monde
Parla.
Les réunions d'Auteuil ont ceci d'agréable qu'elles
laissent tout le temps de s'habiller et permettent
q'nrriver très exactement à huit heures pour diner
à l'Elysée Palace décidément adopté par l'élément
mondain de toutes les réunions sportives. Noté
autour des tables fleuries :
Princesse de Lucinge Faucigny, princesse Kots-
thoubey, Mme Autocolsky, comte Balny d'Avri-
eourt, prince et princesse Musurus Bey, vicomte de
:Saint-Geniès, M. de Saint-Hilaire, sir Thomas Su-
therland, etc., etc.
Pour achever la soirée, concert dans le hall ou
se sont fait applaudir : Mlle Bemal, M. Ferrier, et
Mme Carlyle. ,-
— Viennent de rentrer à Paris : comte Ernest
'd'Lvry, comte et comtesse André de Ganay, comte
et comtesse de La Riboisière, Mme Ferdinand'
fJ 0 Idsmi th, Mme et Mlle Hochon, comtesse de
Courcy, M. Marcel Flury Bérard, M. G. 'PeUerin
de La Touche, vicomte de Cholet, prince François
de Broglie, Mme Germain Lefèvre-Pon talés, comte
Maingard.
Hors Paris
De Vcsoul :
Un cross country auquel assistaient le général
de Vibraye et le colonel Lescot, réunissait jeudi
dernier les officiers du 118 chasseurs.
Le départ fut donné à deux heures à Villeparois.
Après un parcours sipiendide dans la vallée du
tlt Bâtard » ruisseau qui a été sauté six fois-avec
vun superbe entrain, après avoir franchi avec une
grande maestria des routes très dures et traversé
les bois dû Sougeiot où plusieurs obstacles avaient
été construits, cette superbe chevauchée, que con-
duisait M. le capitaine Jacques, s'est terminée près
de Colombier.
Deux amazones mesdames Damotte et Boussert,
dont les toilettes élégantes faisaient avec les bril-
lants uniformes un contraste des plus charmants
ont pris part à cette manifestatioh sportive qui a
remporté un succès qui certainement ne peut qu'en-
gager les organisateurs à renouveler semblables
réunions.. -
Chasses.
L'équipage de Bonnelles a fêté avant-hier la Saint-
Hubert.
Après la messe traditionnelle qui a été dite en
J'église de la Celle-les-Bordes, a eu lieu, au chenil,
la bénédiction des chiens.
Puis la chasse à commencé. Le cerf, un superbe
dix-cors s'est fait prendre dans l'étang de l'abbaye
des Vaux-de-Cernay.
Les honneurs du pied ont été faits à la baronne
Henri de Rothschild qui a offert, à la duchesse
d'Uzès et aux personnes qui ont suivi la chasse
un goûter improvisé.
Mariages.
On vient de célébrer, en l'église de Croc'h, en
Bretagne, le mariage de Mlle Yvonne d'Aboville,
fille du vicomte d'Aboville, colonel d'infanterie en
retraite et de la vicomtesse d'Aboville, avec le vi-
comte Louis Le Gouvello, fils du comte Le Gouvello,
lieutenant-colonel d'infanterie en retraite et de la
comtesse Le Gouvello.
Les témoins du marié étaient : le colonel de Par-
seval et le vicomte de Gouvello, capitaine au 148°
d'infanterie ses oncles ; ceux de la mariée : le mar-
quis de Gouvello, son grand-père et le baron Gas-
ton d'Aboville, lieutenant au 138e d'infanterie son
frère.
— On annonce les fiançailles du vicomte René
de La Bintinage, lieutenant au 11e régiment de
chasseurs, fils du vicomte Edouard de La Bintinage,
décédé, avec Mlle Marie Bazin, fille de M. Henry
Bazin, banquier à Dinan.
— Fiancés également : M. Léandre Vaillat, hom-
me de lettres, avec Mlle Suzanne Lavedan, fille de
M. Henry Lavedan, de l'Académie française ; M.
Henry Davillier, banquier, fils de M. Maurice Da-
villier, régent de ia Banque de France, vice-prési-
dent de la Compagnie des chemins de fer de l'Est,
avec Mlle Blanche Marie Tardiveau, fille de M.
Alfred Tardiveau, ancien officier de cavalerie et de
Mme, née Dandron, .décédée ; M. Paul Gillet, atta-
ché d'agent de change, avec Mlle Elise-Louise Ra-
mus, fille de M. Ramus, agent de change près la
Bourse de Paris.
Nécrologie.
— Le docteur Rabot, doyen des médecins de l'Hô-
tel-Dieu de Lyon, est décédé hier.
- On annonce également la mort de M. Albert
Tardy, vice-président du conseil général de la Niè-
vr/e où il représentait le canton de Lormei3.
De Tanville.
LA VIE ÉTRANGÈRE
Les chevaliers de Malte parisiens.
6ait-on qu'il y a à Paris et en France en-
core un certain nombre de chevaliers de Mal-
te ? d'ailleurs fort peu'nombreux. Ils sont à
pérhe quarante, tout comme les membres de
l'Académie française.
Les Baillis Grand-Croix français sont les sui-
vants- :
Mgr le duc d'Orléans ;
Son altesse royale le duc d'Alençon ;
Son altesse royale le duc de Vendôme ;
M. le duc de Mouchy ;
M. le duc de Doudeauville ;
M. le comte de Chabot. Ce dernier est le
président de l'Association française de l'Or-
dre.
Rappelons, ne fusse qu'à titre de curiosité,
les conditions d'admission. Pour faire partie
de l'Ordre de Malte, il faut, en France, huit
quartiers de noblesse authentique, une situa-
tion sociale considérable, une absolue morali-
té, vivre en gentilhomme et faire profession
de foi chrétienne.
L'uniforme de chevalier d'honneur et de dé-
votion se compose d'une tunique en drap rou-
ge, avec revers en velours noir, pantalon bleu
foncé avec bandes en or, épaulettes à graines
d'épinards, l'épie, le chapeau bicorne, bordé
de soie noire, plume noire et cocarde mi-
rouge mi-blanc. Les chevaliers portent au cou
la croix iblanche timbrée d'une couronne
royale en Italie ; en France, en Espagne, la
croix est décorée des quatre fleurs de lys qui
figurent dans les armes des Bourbons.
Actuellement, le Grand-maître de l'Ordre,
Souverain de Saint-Jean de Jérusalem, est le
prince de Thun Hohenstein, qui vient de con-
férer sa grand-croix de l'Ordre à L. L. MM. Hé-
lène et Marguerite de Savoie. Ce qui a été
l'occasion d'une fort curieuse cérémonie au
cours de laquelle le grand-prieur, marquis,
Sommi Picinardi, a remis en grande pompe,
aux deux souveraines, les insignes et les bul-
les d'usage. A Paris, nous possédons, en la
personne dui comte de Khévenhuller-Metscb,
ambassadeur d'Autriche-Hongrie, Ain bailli
grand-croix.
En 1857, l'impératrice Eugénie reçut égale-
ment cette haute dignité.
Mais c'est en Angleterre que l'Ordre a con-
servé le plus l'indépendance et c'est le roi lui"
même qui en est le grand-maître.
En 1888, la reine Victoria, nomma, grand-
bailli, son fils, le prince de Galles, aujour-
d'hui Edouard VII, et c'est encore actuelle-
ment l'héritier, de la couronne'd'Angleterre qui
remplit les mêmes fonctions.
Nos hôtes.
Le prince de Radolin, qui vient de rentrer
à Paris ainsi que la princesse, a repris la di-
rection des services de son ambassade.
* *
De même l'ambassadeur d'Autriche-Hongrie,
après une absence de deuxv mois, est rentré
à Paris, de retour de Vienne, et s'est installé
dans son bel hôtel de la rue de Varenne.
•%
, Le ministre de Perse à Paris a voulu réunir,
à sa table, avant leur départ pour leur pays,
ses jeunes compatriotes qui, après avoir fini
leurs études de médecine dans nos écoles et
nos hôpitaux, retournent exercer en Perse. m
A ce dîner assistaient fFprince Maicom
Khan, ministre de Perse àRome ; le géné-
ral Mjpldr Kham, M. Mohendes Bachi, M. Moi-
nos Saltanech. M. Mbtamanol Mamâlek, etc.
A cette occasion, le ministre de Perse a remis
au docteur Djenil Khan les insignes d'officier
d'instruction publique, de la part du gouver-
nement de la République.
Un anniversaire républicain.
La plus jeune des républiques du Nouveau-
Monde fête aujourd'hui le 36 anniversaire de
son indépendance : il s'agit de la République
de Panama, dont on connaît la courte et bril-
lante histoire, depuis qu'elle a été fondée grâ-
ce à l'esprit d'initiative et de ténacité d'un de
nos compatriotes les plus éminents.
Architectes à vos crayons.
Le gouvernement de Bulgarie met à un con-
cours international un projet de construction
à Sofia d'une nouvelle université. ,
Tous les architectes bulgares et étrangers
qui en feront la demande, recevront franco un
exemplaire du programme de ce concours et
le plan de l'emplacement de la nouvelle uni-
versité.
Les projets doivent être présentés au minis-
tère de l'instruction publique à Sofia, au plus
tard jusqu'au 1 (14) avril 1907.
Trois prix seront décernés aux concurrents :
premier prix, 10.000 fr. ; deuxième prix, 7.000
francs ; troisième prix, 5.000 fr.
Le jury disposera, en outre, de 4.500 fr. pour
l'achat d'autres projets.
Deux architectes étrangers, l'un français et
l'autre allemand, feront partie du jury.
Sainthème.
LA STATUE
DU
Chevalier de la Barre
Un monument de protestation. — Sa raison. — Inau-
guration de la statue. — Discours et défilé
Depuis hier, la statue de bronze du jeune
chevalier de la'Barre est solidement assise sur
un immense bloc de granit, au sommet de
Montmartre et devant la porte de la basilique
du Sacré-Cœur.
L'cmp,lac-emEut est, sans contredit, très ma-
licieusement choisi ; il est vrai que nous ai-
mons et pratiquons les symboles.
Le Sacré-Cœur opprime Montmartre et Mont-
martre, aujourd'hui, se venge du Sa.cré-Cœ.ur,
sans miséricorde.
Cette statue de protestation barre, en effet,
la route aux pèlerins. Avant d'entrer dans le
sanctuaire, ils verront ce jeune homme attaché
au gibet et liront cette rouge inscription :
Au chevalier de la Barre
supplicié à râge de 19 ans,
le 1er juillet 17G6
pour n'avoir pas salué une procession.
C'est à Amiens que fut, en effet, rendue le
28 février 17G6, la sentence qui condamnait le
jeune lieutenant d'infanterie de la Barre à fai-
re amende honorable, en chemise, nu-tête çt
la corde au cou-, puis à avoir la langue cou.pée
et la tête tranchée, enfin son corps et sa tête
devaient être jetés dans un bûcher dont les
cendres seraient dispersées au vent. Avant
l'exécution, devait être faite au condamné ap-
plication de la question ordinaire et extraor-
dinaire.
Pourquoi ces rigueurs ? Parce que, dans la
nuit du 8 août 1-765, un crucifix fut mutilé sur
le Pont-Neuf d'Abbeville.
On accusa de ce délit le chevalier et deux de
ses amis. Il prouva un alibi, puisque le môme
soir, il dînait chez sa tante, abbesse de Wil-
lancourk On changea l'accusation et le jeune
gentilhomme fut traduit devant le tribunal
d Amiens pour avoir chanté « des chansons
exécrables et blasphématoires contre Dieu, ta
Vierge et les Saints », et « n'avoir pas salué
le Saint-Sacrement à la procession du prieuré
de Saint-Pierre, le jour de la Fête-Dieu ».
Voltaire, outré de cete condamnation, insul-
te au bon sens et à la raison, prit la défense
du malheureux garçon, mais ne réussit pas à
le tirer des mains du bourreau.
Le chevalier fut exécuté d'après le program-
me indiqué et son supplice dura à Abbeville
pendant toute la journée du 1er juililet 17G6.
La Convention réhabilita la mémoire du jeu-
ne condamné, par un décret du 25 brumaipe
an II.
Dès 1885, M. Mesureur fit donner à la rue
qui passe derrière le Sacré-Cœur, le nom de
la Barre et aujourd'hui, les comités politiques
de Montmartre ont définitivement édifié sa
statue de bronze devant la basilique. L'année
dernière, une première manifestation avait eu
lieu au mois de juillet devant la maquette du
sculpteur Armand Bloch.
Tous les groupes radicaux, socialistes et li-
bres penseurs de Paris, s'étaient donné rendea-
vous pour un solennel défilé devant la statue.
Avant cette manifestation, l'inauguration de
la statue avait lieu en présence des invités du
comité et des représentants de l'arrondisse-
ment : MM. Gustave Rouanet, député et Dher-
bécourt, le nouveau conseiller municipal dg
Clignancourt.
Une vaste tribune rouge avait été aménagée
en face du Sacré-Cœur, et des discours im-
pétueux furent prononcés dans le vent qui
soufflait en tempête sur Paris. M. Jacques
Frolo, au nom du comité, remit le monument
à la Ville en lui assurant que les libres cito-
yens de Glignâncourt sont disposés à veiller
pour qu'on ne l'enlève pas. Ce serait assez
difficile- : le poids de bronze s'y: oppose. M.
Colly reçoit la statue au nom de la Ville de
Paris.
Et nous entendons ensuite Gustave Rouanet
qui nous raconte les efforts de Voltaire en fa-
veut du malheureux chevalier et sa douleur de
ne pouvoir aboutir.
Il fait une éloquente allusion à une affaire
toute récente et s'écrie :
« Plus heureux que Voltaire, de 1897 à 1906,
nous avons pu obtenir la réparation de cette
iniquité judiciaire. »
Après le discours du citoyen Dherbécourt
qui eut le mérite d'être fort court, s'il fut vio-
lent, le défilé des manifestants commença et
se poursuivit pendant une demi-heure, dans
les cris et les chants révolutionnaires.
Les rouges drapeaux et les bannières flam-
baient au grand vent et dans les rais du soleil
transperçant par moment les nues en caval-
cade.
Estienne.
- !'
tx Cil BlAS" A NICE
(De notre correspondant spécial à Nice)
La saison de Nice commence avec le « Côte
d'Azur » ; or, le « Côte d'Azur » 1906-1907 a
roulé samedi pour la première fois. Le « Côte
d'Azur » est ce train fantastique, mirifique,
imaginé par des génies, conduit par des fées
et qui, partant de Paris à 9 heures du matin,
arrive à Nice à 10 heures et demie du soir l
Près de onze cents kilomètres en treize heures
et demie ! Et ce bolide est pourvu du dernier
confort. On y vit une journée des plus agréa-
bles, comme dans un grand hôtel dont les
fenêtres donneraient sur un paysage mou-
vant. Commodément allongé dans un fauteuil,
vous pouvez admirer les sites les plus pittores-
ques ; d'abord cette Bourgogne féconde, où les
noms des vignobles les plus célèbres se suc-
cèdent sans interruption : Vougeot, Beaune,
Meursault, Mâcon, Romanèche, Thorins ; puis
la région lyonnaise, si curieuse et, tout de
suite, la Provence : Orange, Avignon, Arles,
déjà le soleil éclatant, le ciel éternellement
bleu, et, enfin, passé Marseille, les rives d'or,
ce littoral unique au monde, cette émouvante
chaîne de l'Eistérel ; cette mer de saphir et de
turquoise, majestueuse, troublante comme une
grande courtisane. Et, dans ce train, vous
avez tout ce que vous pouvez désirer : des la-
vatorys luxueux, un restaurant de premier or-
dre, admirabdement organisé par la Compa-
gnie des. Wagone-lit&-, des couloirs faits pour
la promenade. Je connais des voyageurs qui
se divisent en plusieurs groupes et qui vont
se faire des visites, pendant le trajet :
- Venez donc passer une heure avec nous.
Voulez-vous prendre une tasse de thé ?
Le « Côte d'Azur » est le dernier salon où
l'on cause, et je suis persuadé qu'il s'y ébauche
des mariages autant qu'à l'Opéra-Comique.
Permettez-moi de vous dire, une fois de
plus, que nous sommes loin des diligences et
qu'après un tel luxe et un tel souci du con-
fort et de la rapidité, on se demande ce que la
P. L. M. va bien pouvoir offrir à sa clientèle.
*
* A
Les voyageurs qui étaient, hier, dans le
« Côte-d'Azur » ont dû se figurer difficilement
que, deux jours auparavant, tout le littoral
avait été la proie d'une épouvantable tempête.
Sauf, à partir de Saint-Haphaël, la ravissante
station où hivernent plusieurs célébrités pari-
siennes, un certain nombre de poteaux télé-
graphiques renversés ; sauf la ligne de che-
min de fer un peu endommagée, entre Juan-
les-Pins et le golfe Juan, on n'eut rien remar-
que : le soleil brille, il fait chaud ! La muni-
cipalité de Nice a fait tout le nécessaire pour
que la tempête de mercredi ne laissât pas de
traces. Certes, la promenade des Anglais n'a
pas repris encore son aspect habituel : de ci,
de là, il ya des flaques d'eau, des tas de gra-
vier. Les établissements de bain présentent,
un aspect désolé. Les parterres de fleurs sont
abîmés ; quelques bancs sont anéantis.
Mais le soleil brille, il fait chaud !
Il n'y a pas eu un seul accident de personne;
dans quelques heures, on n'y pensera plus et
les yeux de chacun se tournent vers l'avenir,
vers la saison qui vient, la saison, la « sea-
son » qui est commencée.
Car la saison de Nice est virtuellement com-
mencée ; en fait, nous en sommes encore aux
préparatifs. La ville n'a pas encore réparé les
désordres de sa toilette. Le Comité des fêtes
qui préside ici à l'organisation' de la vie so-
ciale et mondaine, se réunit à peine. Le casino
municipal n'est pas encore ouvert. Je l'ai visi-
té l'autre matin. On remet tout à neaf. Les sal-
les de jeu seront encore mieux ornées qu'au
printemps, et les millions vont de nouveau ac-
courir. Une armée d'ouvriers travaille. A la je-
tée-promenade on prépare également des mer-
veilles. Le théâtre des Capucines, qui sera l'at-
traction select, n'en est encore qu'au gros œu-
vre. L'Olympia n'a encore qu'un programme
d'été ; les autres établissements ne tiennent la
période actuelle que pour une période d'atten-
te. Des hôtels sont prêts, mais le personnel
n'est pas encore arrivé. C'est du reste, une al-
faire de quelques jours, et, comme on dit, les
ouvertures ne traîneront pas.
Nous n'avons eu, la semaine dernière pour
notable « mondanité » que la présence à Nice
de « The City of London commercial interna-
tional Association », accompagné par M. Mas-
curaud, sénateur de la Seine, président du
Comité républicain du - commerce et de l'in-
dustrie. M. de Jolly, le distingllé- préfet des Al-
pes-Maritimes, et M. Sauvaii, l'aimable maire
• de Nice, se sont prodigués. Nos hôtes se sont
montrés charmants et charmés. Le préfet des
Alpes-Maritimes leur a offert un dîner magni-
fiquement servi. Mme de Jolly avait à sa droite
M. Collins et à sa gauche M. Mascuraud. Le
préfet avait "è à sa droite Mme Collins et à sa
gauche Mme Bowater, qui n'est pas Mlle -Bob
f\Valt.er. L'entente cordiale s'est manifestée
pendant toute la durée du repas et ceux de nos
compatriotes qui onf assisté au dîner de la
préfecture ,ont pu apprécier le fin humour bri
tannique. Le lendemain, fête municipale à l'O-
lympia. On a joué la Marraine de Charley, une
pièce anglaise. de Cerny, extrêmement amu-
sante, et M. Sauvan a prononcé un speach fort
spirituel et bien dit.
A franchement parler, cette journée de fête
a, pour le public, manqué de chic. Nous som-
mes habitués à des spectacles infiniment plus
relevés et, somme toute, nous étions en pré-
sence d'un débarquement de Cook's. La co-
lonie anglaise de Nice, si élevée, si aristo-
cratique, était à peine représentée. Elle se
prépare, du reste, cette colonie anglaise, a fai-
re assaut d'élégance et de somptuosité. Et
avec qui va-t-elle rivaliser ? Avec la colonie
russe, sans doute, comme toujours ? Non
point : avec la colonie allemande.
Les Allemands sont maintenant les hôtes as-
sidus de la côte d'Azur ; ils commencent mê-
me, parmi les étrangers hivernants, à tenir
le haut du pavé. Leurs compagnies de che-
min de fer ont organisé des trains parfaits.
Il ne faut pas s'en plaindre. Le Monde alle-
mand est d'une éducation supérieure ; les
hommes sont tout à fait affables et, nos gran-
des couturières aidant, les femmes sont infini-
ment distinguées. Cette année, la colonie alle-
mantde donnera des réceptions et des fêtes qui
seront très suivies.
Le rédacteur du Gil Blas suivra tout ce mou-
vement avecun soin et un zèle qui ne se démen-
tiront jamais. Il a organisé des correspondants
un peu partoûT et il sera renseigné d'une fa-
çon exacte et .rapide.
Gil Blas est infiniment goûté sur le litto-
ral méditerranéen ; il compte parmi ses abon-
nés et lecteurs toute élite de la société hiverna-
le. II se devait à lui-même d'avoir un corres-
pondant averti qui soit partout à la fois. Je ne
faillirai pas à mon agréable tâche.
Jacques VerneuiL
P. S. — Monte-Carlo a enlevé à Nice, qui de-
vait l'avoir, le point terminus de la grande
course d'automobiles Paris-Méditerranée, qui
aura lieu cette saison. Nice est fâchée. Nice
a raison d'être fâchée. Mais n'est-ce point un
peu sa faute et le Sporting-Club de Monaco
n'a-t-il pas fait ce que Nice aurait dû faire ?
Nice_iiû^doit- pas s'endormir sur ses lauriers de
l'année dernière.
J. V.
—-———————— .,":
Informations politiques
M. Caillanx et la commission du budget
M. CailLaux, ministre des finances, a adressé
hier soir au président de la commission du budget
la lettre dont il a fait approuver hier le texte par
le conseil des ministres, et qui a pour but de faire
eonnaitre ses vues pour le règlement du budget de
1007. En outre, M. Caillaux se rend ce matin à la
commission du budget pour lui donner des explica-
tions complétant sa lettre.
On se rappelle le désaccord qui existait entre la
commission du budget et M. Poiçcaré et qui avait
pour causes des divergences profondes sur des
questions essentielles.
M. 'Folnef'é demandait un emprunt de 244 mil-
tioais et 100 millions d'impôts nouveaux.
Dans une longue lettre qui, est le véritable exposé
des motifs d'un nouveau budget et qu'il adresse
à M. Berteaux, M. Caillaux indique les raisons qui
lui font admettre le report à l'exercice 1906 des dé-
penses extraordinaires. Il établit qu'à son avis il
n'est nullement nécessaire de procéder à un em-
prunt de liquidation. D'accord sur ce point avec la
commission du budget, il s'en sépare en ce qui con-
cerne les moyens de combler le déficit restant. Par
divers moyoïis et en mettant en œuvres une ori-
ginale combinaison de trésorerie relative au paye-
ment des primes à la marine marchande, le minis-
tre réduit les crédits de près de 42 millions. Il ad-
met, un supplément de recette de plus de 30 mil-
lions. Il demande enfin à de légères augmentations
ou créations de taxe 35 millions environ.
M. Caillaux parvient ainsi à ne faire appel à des
ressources extraordinaires, dont la principale con-
siste en rémission d'obligations à court terme, que
pour une somme de 20 millions inférieure aux dé-
penses exceptionnelles de la guerre et des postes
inscrites dans le budget et destinées à disparaître
dans un avenir très rapproché.
M. Caillaux accepte toutes les réductions de dé-
penses effectuées par*la commission, et en outre il
propose des réductions de crédits s'élevant à
8.850.000 francs eî applicables aux budgets des mi-
nistères des finances, de la marine et des travaux
publics.
En cet état, le total des dépenses tomberait déjà
à 3.825 millions. Il a paru encore possible de le ré-
duire'en réipartissant également sur les prochains
exercices les charges i-ésultant des lois de 1893 et de
1902 sur la marine marchande, de même que le Par-
lement lui-même a égalisé les charges nudgétaires
provenant de la dernière loi de 1900 en fixant un
maximum annuel de constructions. Une annuité de
10 millions serait remise, pour assurer Je service
des primes, à la Caisse nationale des retraites pour
la vieillesse.
Les majorations de recettes que M. Caillaux,
soumet à la commission sont les suivantes :
Successions -.-. Fr. 11.000.000
Remboursements de garanties d'intérêts
et partage de bénéfices 14.000.000
Divers (conlingents des colonies, béné-
fices des chemins de fer de l'Etat,etc.) 5.000.000
-
Total. Fr. 30.550.000
Par suite de mesures diverses le déficit est ra-
mené à Go millions. Une rentrée des 5 millions au
Trésor le ramène à 61 millions qui seraient cou-
verts par une émission d'obligations à courts ter-
mes, émission qui resterait subordonnée à la sul>
vention des recouvrements en 190t. -< -
.- La rente et l'impôt sur le revenu
L'agence Havas communique aux journaux la*
note suivante émanée du ministère des finances ;
,. (c Toutes les informations publiées au sujet de
llmpÓt sur le revenu et sur la question de savoir;
si la rente sera atteinte, et sous quelle forme elle
le serait, sont controuvées.
« La vérité, c'est que le ministre des finances n'a
fait, quant à présent, qu'étudier les grandes lignes'
d'un nouveau projet ; qu'il s'écoulera plusieurs se-
maines, sinon- plusieurs mojs, avant que le projet
soit arrêté dans toutes ses parties et dépo&é sur le
bureau de la Chambre. »
Abolition de la peine de mort
Nous avons dit que le conseil des ministres avait
décidé le dépôt d'un projet portant abolition de lai
peine de mort.
D'après ce projet, la peine de mort serait abolie;
excepté dans les cas où elle a été édictée contre des
militaires en cas de-guerre. Elle serait remplacée
par la peine de l'internement perpétuel ; mais tout
condamné à l'internement perpétuel ne subirait
que six années de cellule, à moins qu'au cours (le,
cet internement il ne se soit rendu coupable d'ùn
crime nouveau, par exemple d'attentat contre la,
vie de ses gardiens.
Au ministère des travaux publics
M. Barthou, ministre des travaux publics et des
postes, a décidé que les vœux présentés par les
associations professionnelles des postes seront doré-
navant discutés en conseil d'administration et soua
la présidence effective du ministre. **
« »
NOUVELLES MILITAIRES
MARINE
L'accident du c. Charles-Martel 'I
L'enquête. — Visite des amiraux aux blessés
foulon, 4 novembre. — L'amiral Germinet, com-
mandant la division de réserve, s'est rendu à bord
pour commencer une enquête, d'où il résulte que
l'explosion a été provoquée soit par un choc contre
une porte en tôle, soit par une chute provenant de
ce que la plaque tournante du rail aérien avait été'
mal placée. En tout cas la cause de l'accident ai
été toute fortuite, absolument indépendante du nom-
bre et de l'instruction du personnel employé à la
manœuvre.
La torpille contenait encore de l'air comprimé à
plus de 30 atmosphères ; e A e a ^olê en éclats.
L'amiral Marquis, préfet maritime, et l'amiral
Touchard, commandant l'escadre, se sont rendus ce
matin à l'hôpital pour visiter les blessés.
Le quartier-maître Auguste Delhomme, le mate-
lot Feuardent et le quartier-maître Marius Galinier,
ont le corps, et particulièrement les bras et la poi-
trine, grièvement contusionnés par les éclats.
L'explosion du réservoir d'ail d'une torpille est
un accident extrêmement scare, mais cependant c'est
un danger permanent sur un navire ; l'air qui ac-
tionne le moteur de la torpille est comprimé à 90
kilos par centimètre carré, et sous cette pression un
choc relativement faible peut causer la rupture du
réservoir dont les éclats sont projetés avec d'autant
plus de force que la pression est plus grande. Dans
la torpille qui a explosé, cette pression était retati-
vement faible ; elle était à peu près du tiers de
ce qu'elle était avant le lancement de l'engin ; c'est
grâce à cette circonstance que les ravages qu'elle a
produits n'ont pas été plus grands.
L'état des blessés. *— Les obsèques du
quartier-maître Varence
Toulon, 4 novembre. — L'état des blessés du
Charles-Merlel est rassurant ; on ne craint plus
pour les jours d'aucun d'eux.
Les obsèques du quartier-maître Varcnce auront
lieu demain, dans l'après-midi.
Le ministre de la marine sera ipeprésentS par Ta-
rn irai Touchard, commandant l'escadre. Le deuil
sera conduit par l'amiral Germinet, commandant
l'escadre de réserve, et par le capitaine de vaisseau
Senès, commandant du Chatles-Marlel.
o j"
ïïn mot pas heureux
M. Milliès-Lacroix, sénateur et ministre des
colonies, est rempli de bonnes intentions II
veut que son ministère, telle la femme de Cé-
sar, ne puisse pas même être soupçonné. in
sait quelles préventions ont souvent couru. l'o-
pinion sur le compte des coloniaux, il a feuil-
leté les dossiers d'enquête et il est résolu à
mettre le fer rouge partout où des tares se ré-
véleraient.
C'est quelque peu en proie a ces pensées et
à ces résolutions, que M. Milliès-Lacroix, au
lendemain de son avènement, réunit autour det
lui les directeurs et chefs de services. Il leun
adressa les recommandations d'usage, effleu-
ra légèrement ses projets, pour lesquels il
comptait sur leur collaboration intelligente,,
active et dévouée, et il termina par ces mots ::
— Je désire dans le ministère, voir régneri
plus d'ordre, plus d'assiduité et plus de. pro-
bité 1
Ce dernier mot produisit sur les (Iirecteur
l'impression d'une douche. Ils se retirèrent
blessés, vexf, froissés, par l'appréciation dé-
sobligeante, implicitement contenue dans la
dernier désir formulé par le ministre.
Le surlendemain, M. Milliès-Lacrôix rcec.
vait la visite du président du syndicat des
fonctionnaires du ministère des colonies, bien:
qu'il ne lui eût pas fait témoigner officielle-
ment le désir de le voir.
Le président, en termes très mesurés, mais
non sans une amertume visible, fit compren-
dre au ministre quel retentissement pénible
sa recommandation avait eu parmi le person-
nel. M. Milliès-Lacroix un peu gêné, ne trou-
va que cette excuse à formuler :
- - Mais je n'ai nullement visé le personnel
du service central.
La réplique n'était pas plus heureuse que lEt
première affirmation.
Le président du syndicat se retira respec-
tueusement, mais la réponse du « patron »'
eut rapidement fait la traînée de poudre rlans
avec trop d'amour sur votre bras ou sur votre
épaule.
Ces causeries philosophiques et érotiques,
morales et amorales se succèdent dans le jar-
din du Luxembourg, une uuit d'hiver. Les
roses, comme les idées, naissent brusques et
fantastiques, enivrantes, délicieuses. Trois
déesses sont descendues dans ce parc voisin
du Sénat, trois déesses échappées du harem
céleste et qui sont plus complaisantes encore
que des mortelles. Vous pensez qu'une telle
interview a de quoi secouer terriblement les
nerfs du journaliste qui la cueille. Nous trou-
vons donc assez naturel, après tant de. surna-
turel et de magie, qu'on le retrouve, le lende-
main, la tête sur sa table, inanimé, avec au-
tour de lui des manuscrits et des reliques de
passante luxueuse et dépravée, un peigne, une
boite à poudre, des bagues, des bracelets, une
robe vide, mais encore toute chaude de la
chair qu'elle habilla. Voltaire a ici collaboré
avec le marquis de Sade.
Ce roman, aussi troublant qu'une fumerie
d'opium, renferme, en effet, les deux ivresses,
celle du cerveau, celle du sexe. Avec son in-
trigue imprécise, qui n'est qu'un prétexte à
discussions et à baisers, il est l'évangile le plus
séduisant, la plus harmonieuse synthèse des
contradictoires doctrines qui se disputent la
tête et les sens de nos jeunes gens.
*m
M. F.-T. Marînetti a de quoi rendre jaloux
Stendhal ;âl est né à Milan et il est poète —
poète français. Non content d'avoir publié deux
volumes de vers d'un lyrisme éperdu sous ces
titres : la Conquête des Etioles et Destruction,
il édite une revue internationale : Poesia, con-
sacrée aux Muses de tous les pays, surtout aux
latines, j'entends la française et l'italienne. II.
a un enthousiasme débordant, une jeunesse
pleureuse, une gentillesse invincible. Il
vient de s'essayer en prose, et c'est un' succès
incontestable parmi les lettrés de toutes natio-
nalilés. Le Roi Bombance. tragédie satirique en
quatre actes, a ce mérite de ne pas prétendre à
être joué. Aucun théâtre, d'aillleurs, ne s'y
risquerait, car l'action formidable se déploie
hors de tous cadres dans un monde symboli*
que, à la fois abstrait et singulièrement maté-
riel. - Comprenez que le roi Bombance est un
roman fantastique dialogué et l'œuvr-f?Ja plus
rabelaisienne qui ait été forgée depuis Rabe-
lais lui-même.
Il faut remarquer que le curé de Meudon a
été, en somme, peu imité : Gargantua. Pan-
tagruel, Panurge, Gargamelle, avec leur fan-
taisie ouljaneièrc, leur énorme symbolisme
saijrique, restent isolés dans le musée de la
littérature. Ces grotesques, si humains, mais
bumains démesurément, ont découragé les
écoliers. Aujourd'hui surtout par l'éloignement
ils apparaissent titanesques. D'ailleurs, nous
faisons petit, à quelques exceptions près. Nous
avons peur des géants. La jeune génération a
courte haleine. — On se limite. On cultive de
grêles jardins. L'orgie est redoutée. Candide,
recroquevillé et lassé de ses frasques, a fait
école. Les muses portent gilet de flanelle et
bonnet de coton. Le nain est bien vu. Le petit
homme fait loi. Aussi, est-ce une joie peu or-
dinaire quand une personnalité se déchaîne,
lorsqu'une tempête verbale ravage les clôtures
soigneusement cultivées. Au lieu de l'arro-
soir, voici l'orage, et ses gouttes lourdes, et
son tonncrreô M. F.-T. Marinetti a brisé l'ou-
tre d'Eole. Il en sort un ouragan.
Ce « Roi Bombance » n'est pas un chef-d'œu-
vre, car il titube comme une silène ivre. Les
mots qu'il emploie nous choquent ou nous
étonnent. Il parle avec l'intestin ; c'est un ven-
triloque impoli. Le vocabulaire rabelaisien est
presque réservé à côté du sien. Le Dieu Cre-
pitus l'inspire. N'importe ! Partons pour le
pays des Bourdes où il règne.. Nous y trouve-
rons de vieilles connaissances, sous une mas-
carade qui fait songer à un mardi gras cabrio-
lant dans une féerie.
La tragédie parodique de M. F.-T. Marinet-
ti affecte des. intentions de satire sociale. De
ce point de vue, elle nous fait songer aux dra-
mes philosophiques, injouables aussi, de Re-
nan. La Tentation de saint Antoine, de Flau-
bert, lui sourira dans les bibliothèques com-
me à un puîné prodigue et le nez taché de
sauce. Edgar Poë et Villiers, en leurs cieux
ironiques, l'encouragent d'un rire bienveillant.
Swift froncera un peu le sourcil et Banville le
traitera d'impertinent.
Comme l'explique fort bien un critique avi-
sé, M. René Wisner :
« Ici tout prend, ainsi que dans les contes
d'enfants, aspect de conmestibles : les châ-
teaux sentent le chocolat, rayonnent de beur-
re, s'adornent de fruits confits ; sous leurs
voûtes succulentes, des ripailles s'y donnent ;
des macaronis s'étirent ; des bouchées à la
reine nagent* dans leurs coquilles d'or :- des
reine nagent, dans leurs coquilles d'or :' des
croûtons surplombent, tels des phares, la mer
des haricots ; les dindes - offrent leurs ailes,
touchées par la grâce des sauces ; le Sauterne
jaunit en sa bouteille poussiéreuse ; le Clos-
Vougeeot rosit sous le maquillage de son éti-
quette. » 1
Les personnages sont Sainte Pourriture,
« grand fantôme spiralique de brume », le Roi
Bombance, au vaste nez bourgeonnant, aux
favoris d'étoupe, son sceptre-fourchette en
main et. sous le menton, une serviette orfra-
zée, sorte d'Ubu Roi sans scepticisme ; Ici Pè-
re Bedaine, chapelain pareil à une bonbon-
ne ; Tourte, Syphon, Béchamel, marmitons
sacrés, cuisiniers du Bonheur Universel ; Va
chenraget, premier conseiller du Roi. surin-
tendant des cuisines ; Pouleinouillet, surin-
tendant des caves, second conseiller ; Estoma-
çreux, chef des affamés ; Anguille, conseiller
de tout le monde comme il faut ; l'Idiot, poète
de son métier, en maillot bleu constellé d'é-
toiles d'or ; un vampire, etc.
Pas de femmes 1
Au début du livre, les Bourdes les ont chas-
sées, afin d'être débarrassées des soucis de
l'amour et de la race et de se consacrer au
« grand problème intestinal du monde. » ici
la satire dévie, car dans l'Etat futur, intestinal
ou non, les femmes joueront un rôle capital.
Et les fonctions digestives ne sont que la moi-
tié du ventre. Passons.
Les estomacs affamés menacent les repus.
Séditions et complots. Ripaille, le cuisinier de
Bombance,' vient de mourir. Les marmitons
sacrés pactisent avec le socialiste Estomacreux.
Le Palais orgiaque est assiégé. Bombance et
ses vassaux périssent. C'est la grande curée ;
mais le Désir est père de la Destruction. Après
avoir avalé Bombance, Anguille, l'Idiot. Be-
daine et les vassaux salés et marinés, les
Bourdes s'entredévoren L'indigestion fait
éclater leur estomac, d'où ressortent ceux
qu'ils ont happés, mais qu'ils ne digèrent
point. Ce sera donc à recommencer, mais in-
versement. Les mangés mangent les man-
geurs, qui les remangeront ; et il en sera ainsi
jusqu'à la consommation des siècles, pour la
plus grande joie de sainte Pourriture.
Au courant de ces agapes d'anthropophages,
le Père Bedaine exprime les tendances criti-
ques de ce livre à la fois antiréactionnaire, an-
ticlérical et antirévolutionnairc.
Ecoutons-le :
Sire, je vais entrer dans le ventre de mon dis-
cours. (Le roi se rendort.) En vérité, l'estomac hu-
main n'a jamais cru que sa faim présente fût. nor-
male !. il a toujours cherché en arrière ou en
avant un festin paradisiaque. Jadis, tout en .rê-
vant des sauces dorées abolies ou disparues, il fai-
sait sa soumission à la médiocrité des pitances !
C'est la civilisation de l'estomac païe-n !.
Le Christ, qui n'entendait rien à l'hygiène, habi-
tué qu'il était à dévorer des sauterelles avec Jean-
Baptiste dans le désert, vint révolutionner la di-
gestion universelle, avec des recettes saugrenues !.
Pour comble de malheur, à la notion de la mer-
veilleuse ripaille déjà savourée, il ajoute la vision
d'un mirobolant dîner futur.
On plaça tout d'abord ce diner sur la terre, puis,
pour plus de sûreté, dans l'au-delà, dîner céleste,
invention d'une astuce merveilleuse !. Les Esto-
macs pendant plusieurs siècles n'en demandèrent
pas davantage, ilélas !-des philosophes, c'est-à-dire
des individus occupés à cuisiner cVkïdigestes n-fcr-
lios et qui s'étaient d'aiîeurs aplati 1 épigaslre con-
tre l'arête de leur table à écrire, voulurent malheu-
reusement ressusciter l'idée fâcheuse dti Christ !.
u Décidément, déclarèrent-ilsl le Festin futur sera
terrestre et non pas^ céleste !. Il se réalisera pro-
chainement dans le temps et l'espace. » Ce fut une
grande imprudence culinaire. Depuis ce temps,
l'Estomac humain attend, ne voit-rien venir, et par-
fois se révolte !.
Cette nuit, les Bourdes se persuadèrent qu'ils sa-
vouraient le Festin Idéal. Les Brutalités adve-
mes ne furent pas autre chose que la colère d'un
enfant déçu.
Bref, le progrès rêvé par l'estomac humain est
vain, parce que le palais et la langue, étant doués
d'une infinité d'apétits et d'aptitudes, sont néces-
sai ement insatiables !. Nulle amélioration, dans
le bonheur digestif n'est possible !. Rien ne con-
tente les estomacs parce que rien le les remplit !.
Les Estomacs gâtés exigent une nourriture plus
délicate et plus variée !. Leur sensibilité est d'au-
tant plus impérieuse qu'on leur obéit. L'abstinence
engourdit l'Estomac universel. l'abondance le
surexcite.
L'Idiot reproche aux Bourdes d'ignorer
« que la splendeur des choses ne vient que de
l'ardeur qu'on a pour elles. que la saveur
d'une pulpe est dans la bouche et non dans la
chose mangée, comme les beautés de la nature
sont dans les yeux qui les contemplent. » Bref,
l'auteur oppose la philosophie de Kant et de
Hegel , l'idéalisme subjectif au grossier maté-
rialisme de Bombance et des Bourdes. Mais
ce système ne peut guère passer pour une
solution sociale. C'est de l'individualisme à
tous crins, de l'égoisme transcendant, qui ne
saurait contenir le débordement d'un socialis-
me collectiviste, barbare, enfantin et inexact,
comme celui que suppose notre jeune Mila-
nais. -
M. F.-T. Marinetti n'a pas dégagé très nette-
ment la morale de son tumultueux drame. Je
sais bien que Sainte Pourriture a le dernier
mot. Toute cette mangeaille finit en fumier,
mais, cela, nous le savons déjà depuis que le
monde est monde. Le bonheur n'est pas dans
notre ventre, nous ne l'ignorons pas. Mais où
est-il ? Le cerveau ne donne guère le bon-
heur. Il apporte des joies et des douleurs com-
me l'intestin ; les unes et les autres sont sou-
vent même plus vives. Pourquoi en ce concert
trop digestif, n'entendons-nous pas la voix du
cœur ? Ce muscle génère les sentiments et il
donne une vie rouge à l'Idéal. Marinetti sem-
ble l'avoir oublié, ou, plutôt, il n'a pas pensé
à nous montrer un joui- l'humarnité meilleure,
et moins infortunée, quand elle sera « organi-
sée » enfin.
Un jour viendra, espérons-le, où toutes les
classes auront leur l=art dans le festin social ;
tous les organes s'équilibreront, l'homme,
n'ayant pas d'autre maître que sa propre har-
monie, réalisera. tout le possible que renferme
en lui ce concept à la fois physiologique et so-
ciologique : l'exercice de nos fonctions accor-
dées entre elles et l'harmonie des classes tra-
vaillant ensemble. Voilà le vrai socialisme, ce-
lui des philosophes. Il est vrai que ce n'est pas
comme l'autre, celui d'Estomacreux — pour
prendre la formule du poète milanais. — un
tremplin électoral.
En somme, malgré les erreurs et les secous-
ses, nous nous avançons péniblement vers cette
société future, nous n'atteindrons sans doute
jamais le but, mais nous nous en approche-
rons toujours plus. En tous cas, je ne vois pas
que depuis l'avènement de la troisième répu-
blique, l'intellectualité, l'art, l'amour aient
perdu leurs droits. Bien au contraire. Rappe-
lons-nous que le vrai roi Bombance ce n'est
pas le socialisme, mais Louis XIV, l'homme
qui posséda au dire des mutlecins, qui firent
son autopsie l'intestin le plus long. Que de
plats y furent engouffrés 1 Il en mourut. Et
voilà un historique symbole des excès de l'as-
siette au beurre.
Mais laissons la parole au jeune Rabelais,
italien. Il fait chanter un joyeux de prolundis
à Sainte Pourriture sur les corps inanimés
mais bientôt renaissant de Bedaine (le prêtre)
et de Bombance (le Roi). En voici un verset :
C'est moi qui accouple les fleurs obscènes, plus
chaudes et délirantes que des vulves ! Et je me
.manifeste dans l'éclosion d'une rose, dans la dé-
composition d'un cadavre, dans le sourire d'un
enfant et dans le hurlement d'une tigresse en
rut !. Quand je parais, le rythme de la vie s'ac-
célère frénétiquement, et la Destruction hMo ses
ravages ! Ne dites pas : « Nous mourrons demain.
Je vis ! J'étais mort ! » Mais dites plutôt : « Je
suis une parcelle du cadavre éternel et vibrant de
la nature !
Le livre se termine par le-t-riomphe du vam-
pire et d'Estomaceux.
LE VAMPIRE, se réveillant un instant pour con-
, tinuer à réciter sa leçon.
D'âge en âge, la race des Bourdes va perfection-
nant ses mâchoires, dans l'art de s'entre-dévorer,
avec une grande agilité.
Voilà le seul progrès possible 1
ESTOMACREUX
Mâchons le- Roi
porteur de lois ;
mâchons Bedaine (le prêtre)
farci de chaînes !
SAINTE POURRITURE
Et mâchez-les donc ! Cela ne calmera pas votre
appétit. Et vous n'aurez pas une once de bonheur
de plus ! Le Bonheur est ailleurs ! (Avec un grand
geste vers l'horizon.) Ptio ! Ptio ! Réveille-toi !.
(En désignant le crâne broyé de VIdiot.) Veux-tu
manger cette blanche cervelle imprégnée d'azur ?.
LE VAMPIRE
Non, elle me dégoûte. comme les autres, petite
mère !. Et j'ai fait une indigestin de Bourdes.
Je suis fatigué. (Il s'endort.
Cette conclusion pessimiste n'est faite pous
satisfaire ni les sociologues, ni les politiciens ;
mais elle est la revanche des idéalistes pressés
qui trouvent que le règne de la Beauté cs5
aussi long à se réaliser — sinon plus - que
le triomphe définitif de la Justice.
***
Nous avons reçu une trop flatteuse lettre de."
M. Henry Ceard, pour qui je n'ai été que juste.
Je la publie, malgré son indulgence, parce
qu'elle met au point les desseins de l'auteur
qui a écrit une belle œuvre d'une portée con-
sidérable.
Mon cher confrère et ami,
Quel article ! quelle tendresse de compréhension
et d'explication de mon gros bouquin et comme t-,
faut que je me raidisse pour rester modeste aprèô
des compliments si cordiaux, une critique si ing
nieuse ! C'est vraiment une joie pour un auteuf
que de se voir pénétré avec cette agacité profonde
et bienveillante démêlant si bien, les origines des
idées, découvrant si intimement les jeux secrets do
l'oeuvre. Ah ! si vous l'aviez vu tout à l'heure
mon monocle dédaigneux ; il était bien troublé car,
en ne me donnant le seul succès que fade jamais
sOUihaité, il s'est mouillé, oui, mon bon, d'une larme.
Oui, vous l'avez merveilleusement analysé et dit :
J'ai tâché d'analyser le « Miserere » des « inteJligcn-
ces incoamplèVi et des volontés découragées qui
s'acharnent à poursuivre de leurs bras trop faibles
et trop courts un idéal aperçu et jamais atteint » J'aï
monté le calvaire avec mes personnages, et quel'
soulagement de trouver en haut de la rude pwila
une amitié comme la vôtre, réconfortante aux pei-
nes, aux espoirs et communiquant le courage de
■ recommencer pour faire mieux encore, jusqu'à des-
sèchement de l'encre dans l'écritoire.
Si j'ai lu Gustave Lebon ! En doutez-vous ? que
n'ai-je pas lu du reste pour ce damné livre, qui,,
en bout de compte, ne vaut que par sa conscience
et son application. Je me réjouis de constater que
ces mérites de bon élève — et combien ai-je eu de
maîtres : Flaubert, Swift, Pouoliet, Spencer, Lelort,
mon ancien chef de clinique à Lariboisière ; Robin,:
un admirable employé du ministère de la guerre,
qui savait tout, -— je me réjouis de constater quei
ces mérites de bon élève ont leur forme d'expansion
et que rien n'est meilleur pour écrire que de savoir,
ou, tout au moins, de chercher à admirer partout,-j
et vous avez senti avec une rare divination que de 'à'!
peut-être vient la force obscure de « Terrains ài
vendre ».
En même temps que moi, vous avez ravi monr
brave et paternel ami Duvand et ce sont ses remer-
ciements mêlés aux miens que je vous adresse avec
effusion, mon cher et grand ami dans les lettres,
HENRY CÉARD.
Terrains à vendre nous prouve que l'écolëj
naturaliste n'est pas morte ; M. Henry Ceard;i
l'a ressuscitée et régénérée au contact de lai
psychologie et de la science. Et il a retrouvée
le style de Flaubert, il s'est même souvenu doj
Chateaubriand* >
Suies BoiSt.
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