Titre : Gil Blas / dir. A. Dumont
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1910-07-31
Contributeur : Dumont, Auguste (1816-1885). Directeur de publication
Contributeur : Gugenheim, Eugène (1857-1921). Directeur de publication
Contributeur : Mortier, Pierre (1882-1946). Directeur de publication
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Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 31 juillet 1910 31 juillet 1910
Description : 1910/07/31 (N12222,A31). 1910/07/31 (N12222,A31).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-209
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/09/2012
2 - c--- CIL' BEAS. — DZXLVXiCIIE 31 JUILLET 1910 --. -,- ,--.
jrioinphent ; M. Archdeacon les néglige, car
les triomphes ne l'intéressent pas : il a peur
nabitude de les laisser aux autres. Toujours
est-il que les rieurs d'hier, déconcertés,, se sont
tus, et qu'à la nouvelle du troisième apostolat
qu'entreprend cet infatigable en son volume :
Comment ie suis devenu espérantiste, ils pen-
sent : « Ce diable d'homme est capable d'avoir
encore raison ! »
Pour ma part, j'applaudis l'Espéranto, à con-
dition, comme le dit l'auteur, qu'il n'ait pas
« la prétention de supplanter les langues exis-
tantes », expressions du génie différent des
peuples et qui ne doivent se modifier que peu
à peu et naturellement. « L'Esperanto vise sur-
tout, et avant tout, à être un organe universel
li'échange entre les peuples. Il peut et doit
arriver à ce remarquable résultat que chacun
n'ait plus à apprendre que deux langues, sa
langue maternelle et l'esperanto. » Or. sachez
•« qu'un homme peu instruit peut, en six mois,
arriver à écrire plus correctement l'esperanto
que sa propre langue ». Vous me direz, ma-
dame Ponette, votre opinion. La mienne, la
voici : puisque M. Archdeacon est espéran-
liste, nous le serons tous demain !
Avez-vous lu, chère madame, un roman dont
je viens de terminer la dernière page et qui
est de M. Jacques des Gâchons ? Le Chemin
de sable, de ce sable « qui ne garde même pas
l'empreinte de l'effort », c'est la vie. Parmi les
épreuves et les écœurements, François et
Claire, serrés l'un contre l'autre, tiennent bon :
leur foi en eux et en leur amour demeure in-
tacte, en cet amour que de leurs mains arden-
tes et mêlées ils tiennent haut, bien haut, au-
dessus des compromissions et des vilenies.
M. Jacques des Gâchons prend prétexte de son
héros pour nous donner une étude très réussie
du journalisme : l'auteur nous promène du
vieux journal, genre fossile, dont le directeur
incrusté et indécrustable a le même âge que
l'escalier de bois vermoulu, à la rédaction à
l'américaine, trépidante et toute en bluff, d'une
feuille d'information, dont le nom seul, l'Après-
Demain 1, est un programme de génie.
Bref, une jolie critique de notre temps, où
l'on camelote tout.
J'aime moins le Roi de Galade. L'invraisem-
blance ne se suffit pas à elle-même. M. André
Arnyvelde ne paraît pas y avoir songé en écri-
vant, d'une plume alerte, cette histoire d'un
personnage fantaisiste débarqué, d'un pays
imaginaire, parmi notre civilisation. Le pro-
cédé fut souvent exploité, quelquefois très
habilement, d'autres fois moins. C'est qu'il est
malaisé, à moins que d'y employer une origi-
nalité extrême, de divertir les gens de l'éton-
nement d'un bonhomme, fût-il roi de Galade
ou de la lune, devant un train qui passe, un
ascenseur qui monte ou une lampe électrique
qui s'allume.
Que je vous parle maintenant d'un opuscule
dont je ne vous dirai jamais la satisfaction qu'il
m'a donnée : celui que consacre Mme Aurel
à Jean Dolent, le contempteur « des marau-
deurs et des usurpateurs de la célébrité », le
« magique éveilleur d'artistes », qui inventa
Carrière, et qui, parmi « les sauvés », distin-
gua Manet, Cézanne, Puvis de Chavannes, Sis-
ley, Whistler, Mary Cassat, qui fut l'ami de
Moréas, de Morice, de Rachilde, « l'amoureux
d'art » qui « de sa mort même fit de la beauté D.
Figure rare, tempérament exquis, que cet
homme ignoré du vulgaire — sa gloire n'en
est que plus pure ! — qui fut en art, encore
qu'il eût l'élégance de n'y point prétendre, un
juge souverain, et ne s'en tint pas là : « Je
ne regarde pas seulement l'eau couler, disait-
il, je me baigne. » Certes, son oeuvre : Une
volée de merles, l'Insoumis, le Cyclone. n'est
pas à la portée du publie de nos romanciers
de salon. « Il ne ferait pas bon, constate Mme
Aurel, que des humbles la lisent, mais à tous
ceux qui sont nés imprudents elle prête un
charmant réconfort. a D'ailleurs, Jean Dolent
ne voyait de possibilité d'accord avec l'artiste
« que chez l'ouvrière, à cause de la rudesse
de sa vie, et, à l'opposé, chez la dame, la vraie,
à cause de sa sensibilité de race ». Il n'aimaii
pas les bourgeois.
Sur la fin dè cette apologie, Mme Aurel est
surprise par un scrupule : la crainte d'avoir
trahi l'œuvre de Jean Dolent. Qu'elle se ras-
sure : non seulement elle ne l'a pas trahie,
mais elle vient, de toute son ardente piété de
femme, de lui dresser un autel, un autel ma-
gnifique et solitaire, à l'écart de la route —
celui-là même que nous lui devions.
Que vous dirais-je, madame, à l'occasion de
la nouvelle édition, de La Force, de M. Paul
Adam ? Vous connaissez ce roman, l'un des
plus beaux de l'énergique et tumultueux écri-
vain, remueur prodigieux de faits et d'idées,
au style éclatant, à qui sont aussi familières
les antiques civilisations que les trusts améri-
cains. La Force, c'est le roman d'une époque,
de cette époque héroïque et extravagante, où
galopait à travers l'Europe la fabuleuse des-
tinée du « Buonaparté », où la maréchale Le-
febvre « offrait le fricot » à des généraux de
trente ans, époque de « la Force et du Triom-
phe, évidence de Dieu », où l'on divisait l'Eu-
rope « en tartines pour tous les appétits ».
C'est parmi cette ruée folle que s'agite l'am-
bition de l'officier Bernard, dont l'obsession
est de l'atteindre, de le surpasser, Lui, te Ri-
val, l'homme dont la petite silhouette domine
ces temps. Et, en effet, il monte, monte, es-
caladant les grades, jusqu'au jour où, les deux
jambes fauchées par un.boulet, il meurt, héros
comme ils le furent tous, parmi l'applaudisse-
ment des canons et des tambours « exaltant la
gloire de la race et sa force ».
Et puisque nous parlons de rival, je veux
vo.us signaler le nouveau roman de M. Albert-
Emile Sorel. Le Rival, c'est un de ces drames
obscurs qui s'agitent au fond des conscien-
ces. Fils d'un catholique convaincu, membre
de l'Académie française, Robert Villedieu veut,
son père mort, poursuivre son œuvre. Pour
commencer, et par respect de la tradition, il
épousera la jeune fille qu'il doit épouser, dont
l'austérité ne tardera pas d'éteindre successi-
vement toutes ses velléités- de luttes. Mais il
'- ! un fils : celui-là, d'une nature plus indé-
pendante, plus vigoureuse, se lance audacieu-
sement dans le théâtre, s'illustre, et, sans
souci des préjugés de son monde, aime la
femme qui, sur la scène, interpréta ses héroï-
nes. Et le père vieillissant, avec amour, le
suit, ce fils qui, à sa manière, relève le nom,
en qui il voit se réaliser la destinée qu'il por-
tait en soi, qui le venge de sa défaite ! Il s'in-
téresse à lui, se confond avec lui, au point
qu'un jour il s'aperçoit avec stupeur qu'il aime
la même femme que lui ! Ainsi, c'est sa vie,
toute sa vie, que son fils, son rival, lui a
volée ! Et, pour comble d'amertume, sa femme,
dont la sévérité glaça ses jeunes enthousias-
mes, se révèle toute pleine d'indulgence à l'en-
droit de son fils, qui « ose être de son temps
et de sa génération ». Et quand le père infor-
tuné s'écrie, effondré sous la gloire de son
fils : « Je suis bien malheureux ! », l'épouse,
qui inconsciemment l'a tué, "s'étonne : « En
vérité, mon pauvre ami, je ne vous comprends
pas !» Une autre grosse nouvelle, l'Amie, com-
plète le volume. M. A.-E. Sorel y pose un cas
de conscience : un homme, qui a des enfants,
peut-il épouser celle, d'ailleurs digne de son
affection, qu'il eut pour maîtresse du vivant
de sa femme ? Peut-il décemment l'introduire
dans son foyer, parmi ses enfants, étant donné
que leur mère, une pauvre .infirme qui savait
tout, a pardonné et même accepté par avance
cette union ? Non, pense l'auteur, car ce se-
rait interrompre le rythme sacré de la tradi-
tion et compromettre « l'attachement à ce qui
dure, à ce que les siècles cimentent avec les
cendres ». Ce livre de M. Albert-Emile Sorel
est d'une très haute conception, d'allure un
peu hautaine — encore que toujours humain.
Peut-être, parmi de très belles pages, y en
a-t-il de plus rapidement écrites ; mais, toute
au sujet, vous n'y prendrez pas garde.
Comme contraste, je vous invite à lire La
bonne infortune, ou les aventures sentimenta-
les d'un jeune homme pauvre, roman qu'a-
nime, traversée d'amertume, la fantaisie ac-
coutumée de M. Henri Duvernois. Vous y ren-
contrerez une petite dame, pas farouche du
tout, qui, au restaurant, chipe les poivriers —
histoire d'emporter un souvenir — et une au-
tre jeune personne avec laquelle je n'aimerais
pas du tout voyager en chemin de fer !
Vous voilà, chère madame Ponette, rensei-
gnée sur les dernières nouveautés. Quelques-
unes méritent de vous tenir compagnie en un
pays où les montagnes, sans discrétion au-
cune, doivent à la fin devenir bien embêtantes.
Je leur préfère cette belle étendue d'eau qui
sollicite mon imagination et qui, par là, res-
semble à ces gens délicats, dont la conversa-
tion vous met en valeur et vous fait croire que
vous avez de l'esprit. 1)
Hier soir, avant dîner, je suis allé , m'asseoir
sur un rocher, pour lire les poésies posthumes,
qui viennent de paraître, d'une femme morte
récemment vers sa trentième année, et que
peut-être — vous tant au guet de tout ce qui
est rare et précieux — vous avez connue. C'est
de Renée Vivien, la toute blonde et frêle muse
aux violettes, que ije vous parle. A vrai clire,
ses poésies, qu'a recueillies dévotement l'édi-
teur délicat M. E. Sansot et où nous introduit
une chaleureuse préface de M. Paul Fiat, sont
inférieures à leurs aînées. Elles n'en sont pas
moins curieuses, comme dernières manifesta-
tions d'un être que courtisait la mort. Le Coin
de violettes, le Vent des vaisseaux, Haillons,
tel est le triptyque dernier d'un vrai poète, qui
chantait pour soi, a-t-elle dit, et qui méprisait
Le mensonge de ces gloires immédiates.
On retrouve en ces poèmes la sensibilité de
A l'heure des mains jointes et le même souci
de la perfection rythmique. Certains vers sont
les battements mêmes d'un cœur douloureux,
à l'écart des autres et fier :
Nul n'ose m'approcher, car je suis l'Intangible.
Et de ces-poésies, pour qui les lit avec pré-
caution, se dégage la psychologie délicate de
cette femme étrange, égarée dans notre vie
intense :
Le-monde inhospitable est pareil à l'auberge
Où l'on irit mal, où tout est mal, où l'on dort mal.
La lumière du jour, vous le savez, l'offus-
quait, au point qu'elle voulait chez elle une
ombre perpétuelle, parfumée de violettes, ses
fleurs, animée de clartés de cierges. Un spleen
intolérable la tourmentait, comme le regret
inconscient de quelque patrie perdue, qu'elle
cherchait en vain au hasard de ses fuites en
Angleterre, eri Hollande, et jusque sur les ri-
vages de « l'île chimérique », dont elle aimait
le charme païen et « le verger nocturne où
veillaient les amantes » : Lesbos 1
Sa vie fut étrange, sa mort mystérieuse :
celles-là comme une attente anxieuse, celle-ci
comme une délivrance, et survenue à l'âge de
l'ordinaire épanouissement. Elle était de ces
êtres qui surgissent de temps à autre d'on ne
sait où, parmi le rythme banal de la vie, que
blesse la réalité, qui la fuient en de l'artificiel,
qui rte sont point des nôtres.
• • • • • • • •«* *?«'•«
Sur ce, chère madame Ponette, je vous
quitte. J'ai sous les yeux, tandis que je vous
écris, le plus beau spectacle qui soit : la mer
qui s'ensommeille dans la sérénité blonde du
soir, deux mouettes qui passent, lentes,- et
dans mon dos une grosse bretonne — mon hô-
tesse — qui tempête sous le fallacieux prétexte
qu'à tant écrire je ne lui laisserai plus d'en-
cre dans l'encrier qu'il paraît que je lui ai
pris. Mais tout cela — y compris la Bretonne
— ne me tient pas lieu de votre société et j'as-
pire avec impatience au moment qu'elle me
sera rendue.
Votre très vieux et dévoué serviteur
Philodorel
Pour copie conforme :
Pierre Corrard.
Les autres livres qui viennent de paraître :
Maurice Leblanc : « 813 H, 3 fr. 50, Pierre Lafitte,
nouvelle série des aventures d'Arsène Lupin. —
: Les Flèches du jour, 2 fr., Daragon, pamphlets
en vers ; l'auteur ne les signe pas, ce qui nous in-
terdit de le trouver absolument dénué d'esprit. —
Patrice O'Connor : Les Femmes et M. de Juriens,
3 fr. 50, Léon Vanier, roman. — Antoine Yvan :
VIIomme seul, 3 fr. 50, Léon Vanier, roman. -
H Daragon : Le tzar et la tzarine des Bulgares à
Paris. — Yves de Constantin et Félix Marty : 1870,
les organisateurs de la défaite, 3 fr. 50, Librairie
du XXe siècle : Ce n'est pas, selon les auteurs de
cet ouvrage, l'Empire qui fut la cause de notre dé-
faite, mais les ennemis de l'Empire, qui empêchè.
rent la réorganisation de nos cadres et l'augmenta-
tion de noa effectifs.
p. a
A travers Paris
LES VOYAGES IpST^USTIpS
J'ignore si vous aimez la, visite des villes, et si
vous visitez des villes, et si, dans ces visites, vous
suivez les guides :
a En sortant de la gare, on prendra l'avenue
Gambetta, et après avoir traversé le large boulevard
.Emile-Zola, qui est planté de magnifiques platanes,
on remarquera à gauche la Halle aux grains, toute
neuve, qui date à peine d'une dizaine d'années. »
Ceci, comme vous savez, s'applique exactement à
toutes les villes de toutes les provinces de France.
Et ceci donc est très réjouissant.
Pourtant, j'éprouve toujours une désolation pro-
fonde à rouler dans des cités, où certes la cathé-
drale est un joyau, et où sans doute l'hôtel de ville
est fastueux, mais où tout ce que je lis et tout ce
qu'on me dit sur l'hôtel de ville et la cathédrale est
d'une platitude qui écœure et donne une furieuse
envie de reprendre le train illico. J'exècre la visite
des villes.
Et l'exécrant, et croyant à la vérité de quelquès
réciproques, je m'ébaubis que tant de provinciaux
déambulent à travers Paris en cette saison chaude
où l'admiration exige une forte résistance physique.
Or, ces gens admirent. Comment s'y prennent-ils ?
Ils s'en vont bouche bée par les rues; ils pénètrent
avec des airs curieux dans les édifices publics;
quand ils en ressortent, un sourire éclaire leurs vi-
sages. C'est donc qu'on ne les assomme pas, que
même on les traite joyeusement, enfin que Paris est
une ville unique, agréable à visiter!
J'ai tenu à m'en rendre compte, et l'autre jour
j'ai joué au provincial; je me suis fait une âme
naïve et neuve; j'ai « découvert » des monuments
devant lesquels je passe tous les jours.
J'ai commencé par le Panthéon — le Panthéon
dont l'idée est émouvante toute même, quand on a
le temps d'y réfléchir, « Aux grands hommes, la pa-
trie reconnaissante. » DiaUe! les grands hommes
sont là? Entrons là.
Mais une barrière m'arrête, et je lis sur une petite
pancarte : Pour la visite des caveaux, attendre ici
le gardien.
J'attends; et je l'aperçois là-bas le gardien qui
sifflote et se promène à travers le vaste édifice. Il
tourne autour des fûts de colonnes, lentement et
mains au dos, tel un homme qui fait son petit
exercice quotidien, puis il va à la grande porte
humer une bouffée d'air; puis il potine avec la
marchande de cartes postales; puis il astique la
visière de son képi; puis enfin, tout à coup, après
vingt, vingt-cinq minutes, il se met à hurler :
a Les caveaux ! Les tombeaux ! Qui veut voir les
tombeaux? Par ici, les caveaux! » Il me fait signe.
Je m'écarte. Il déplace la barrière; et il commande
au troupeau humain qui s'écrase .sur ses talons :
— Si.ivez-moi!
Il marche avec majesté, d'abord parce qu'il be-
donre, ensuite parce que le Panthéon est un peu à
lui. On avance, s'il avance; on arrête net quand il
arrête net; et s'il lui plaisait soudain de revenir sur
ses pas, tout le monde, docilement, ferait demi-
tour. C'est lui qui dispose des grands hommes du
pays, et vous ne verrez pas leurs caveaux, et vous
ne saurez même pas leurs noms, s'il ne lui agrée pas
de vous éclairer de ses lumières.
Ah! plaise à Dieu qu'il n'éclaire jamais!
— Approchez-vous ! déclame-t-il. Serrez les
rangs 1 Formez le cercle! Bien. Dans ce caveau,
ici, repose Jean-Jacques Rousseau, le grand écri-
vain philosopha, précurseur de la Révolution, au-
teur de Y Emile. On l'a appelé « l'ami de la Nature
et de la Vérité D. Mesdames et rnçssieurs, veuillez
tourner sur place.
On obéit. -
— Arrêtez! Serrez les rangs t Formez le cercle!
Bien. Dans ce caveau, ici, repose Voltaire, le grand
philosophe prosateur, également précurseur de la
Révolution.. Il fut un des premiers à réclamer les
Droits .de l'homme et l'abolition des privilèges féo-
daux. Demi-tour, messieurs et mesdames. En flace,,
ici, repose Soufflot, le grand architecte, l'auteur de
la construction que je vous fais admirer. Elle offre
ceci de remarquable qu'elle supporte l'énorme masse
au-dessus de nous, sans qu'aucune pierre soit ci-
mentée. Les pierres sort posées les unes sur les au-
tres, et séparées par des lamelles de plomb, qui em-
pêchent l'humidité, Mesdames et messieurs, nous
poursuivons tout droit.
On poursuit.
— Dans ce caveau, ici, repose Victor Hugo, le
grand poète, une des gloires nationales, et Emile
Zola, littérateur, le dernier entré au Panthéon
Infortuné Zola! Il n'y a que lui qui n'ait pas
l'épithète de a grand »! Je regarde les visiteurs :
aucun ne sourit; pas un non plus ne semble acca-
blé. Ils sont dans un état de parfait équilibre. Pour
leurs quatre ou cinq sous de pourboire, ils ont en-
tendu une leçon courte mais instructive, qui leur ap-
prend ou leur rappelle avec précision des choses
CI très utiles à savoir ».
Eh oui! voilà. J'ai idée que je comprends mieux
maintenant. Le plaisir du voyage n'est pas seule-
ment dans la découverte d'un certain nombre d'peu-
vres d'art ou d'oeuvres naturelles, qui émeuvent le
cœur ou l'esprit. Il est aussi, et peut-être surtout,
dans cette distribution bon marché de formules pra-
tiques à l'usage. des gens pressés.
Les voyages forment la jeunesse. Ils instruisent
aussi les grandes personnes.
« Jean-Jacques, le grand écrivain philosophe; on.
l'a appelé l'ami de la Nature et de la Vérité! »
— Je vous demande après cela si c'est la peine de
le lire, ou même de le parcourir. Ne sait-on pas de
lui l'essentiel?
Et ainsi, dans une société démocratique, qui, de
plus en plus, est encombrée par les « primaires »,
ces esprits bornés à dessein à qui l'on enseigne un
métier au sortir de nourrice, et qui, en se spéciali-
sant à dix-huit mois, n'ont pas le loisir de se culti-
ver, c'est-à-dire d'apprendre tout ce qu'il est inutile
;pratiquement de savoir, — dans une société de pri-
maires, le gardien du Panthéon prend une allure
singulièrement importante; il devient, si j'ose dire,
d'intérêt public; il remplace avec rapidité l'ensei-
gnement secondaire, et ses formules excellentes ont
la haute valeur d'un manuel pour bachot.
Et s'il est très juste qu'on voyage de plus en plus,
parce que les moyens de communication se multi-
plient, ce n'est pas un paradoxe d'affirmer que les
innombrables « primaires » du pays voyagent aussi
avec l'arrière-pensée de se - donner de l'importance,
et de s'instruire (oh ! le joli mot!) par le moins
d'efforts possible.
.Ces réflexions m'étaient venues, tandis que je
descendais de In montagne Sainte-Geneviève; je me
trouvai soudain dans la rue Saint- Julien-le-Pauvre)
et je pénétrai dans l'église de ce nom. ,
J'allais bien découvrir quelque bedeau pour m'in-
diquer tout ce qu'il faut savoir de cet édifice cu-
rieux.
En effet! J'entre, et la porte sonne pour l'appe-
ler. Et il accourt vite, obséquieux et frétillant. Il
ôte sa calotte pour me saluer, et comme il découvre
un crâne ovoïde d'une "'forme admirable, je calcule
que, seul, ce geste vaut deux sous. Il les aura.
Tout de suite, il m'entraîne vers une sorte de
meuble en bois, pourri; et, d'une traite, il me
débite :
— Ceci servait de chaire de vérité à Saint- Jean
Chrysostome. Ceci contient aujourd'hui des livres
d'arabe et de vieux grec (bon, trois sous pour ceci).
Monsieur remarquera au-dessus le chapiteau le plus
curieux de l'église, qui représente en architecture
le transitoire du roman au gothique. A gauche et en
face, ouvrage de marqueterie de Damas, partie en
cèdre, partie en olivier, partie en. citronnier, et dont
le tout est en bois des îles (oh! six sous! au moins
six sous!) L'autel est du XIVe siècle, les stalles du
XVII0. Mais la forme de l'abbaye au début, on ne
la sait pas. (Bravo! huit sous!) Il y avait une
tour pour le guetteur et un poitrail.! un portail
(douze sous!). mais ils furent démolis en 1615 par
les étudiants qui n'avaient pas réussi à se venger sur
leurs professeurs (quinze sous!). Saint- Julien-Ie-
Pauvre n'entra dans Paris qu'avec l'enceinte du
VIIIe siècle (dix-huit sous!). Et, enfin, il y a par
ici, dans la sacristie, une vieille statue en terre cuite
du Xe siècle, trouveè au XVIIe, et une collectiop.,
complète de cartes postales, représentant tous les
motifs architecturaux de l'église: je les vends dix
centimes pièce, et un franc la douzaine.
Oh! un franc n'est pas de trop! Un franc de
cartes, et 'un franc d'élcquence ! Quel modèle, ce
discours! Je veux l'apprendre par cœur pour le ré-
citer dans les salons, l'hiver prochain, dès qu'on
me parlera de Saint-Julien-le-Pauvre, car, dans les
salons, on parle beaucoup de Saint-Julien-le-Pauvre.
— N'est-ce pas, monsieur, c'est dans ce coin de
Paris si pittoresque (sous entendu : et si immonde,
ou je n'ai jamais voulu mettre les pieds).
— Mais oui, chère madame, on y voit une mar-
queterie de Damas, partie en cèdre, partie en ci-
tronnier, partie en olivier, et dont le tout est en bois
des îlest
Aujourd'hui, que les maîtresses de maison rêvent
de recevoir tous les gens connus, il faut bien qu'elles
invitent leurs grands épiciers (vins fins-poissons-
primeurs), et quand soi-même on n'est pas un grand
épicier, il est charitable pourtant d'avoir l'air d'un
grand épicier pour ne pas humilier le grand épi-
cier. Un bon citoyen démocratique doit toujours pa-
raître un sous-primaire pour donner aux primaires
l'orgueilleuse illusion qu'ils ne le sont pas. Aussi,
le récitatif du bedeau de Saint-Julien-le-Pauvre
m'enchante, et il me sera d'un grand secours la sai-
son prochaine.
Mais au cours d'une causerie, dans le hasard des
interruptions, on peut en venir à parler d'autres
beautés parisiennes que le Panthéon et Saint-Julien-
le-Pauvre. Et alors, pour ne pas être pris de court,
j'ai voulu, le même après-midi, monter aussi aux
tours de Notre-Dame. Merveilleux sujet les tours de
Notre-Dame! Ilj me semble quq c'est beaucoup
plus noble de monter là-haut que sur la colonne
de Juillet. Et puis, on est si royalement récompensé !
Le sonneur (cette fois c'est un sonneur) vous
accueille à la première terrasse par ces mots :
— Défense d'écrire sur les murailles, de sonner
les cloches, et de faire aucune ordure sous peine
d'amende.
Vous le regardez, un peu interloqué qu'il ait
mis en doute votre bonne éducation. Et il continue :
— Je dis ça, c'est pas tant pour monsieur, que
parce que je le dis à tout le monde. Aujourd'hui:.
les genss esquintent, esquintent! Et il y a évidem-
ment des visiteurs qui sont à peu près, mais les au-
tres se plaisent à la dégradation. Si maintenant,
monsieur veut voir les cloches, et vHler les chi-
mères, il n'a qu'à suivre le parapet et entrer par
la petite porte de bois. Je vous donnerai les expli-
cations quand vous reviendrez.
Je ne fais qu'un bond, et je reviens tout de suite.
Je suis trop avide de l'entendre. Il s'y prête de
bonne grâce. Sa phrase est courte et bien, martelée.
— Le gros bourdon, dit-il, que vous venez de
soir, date 'de Louis XIV. On l'a appelé le bour-
don de Sébastopol. Il pèse 18.000 kilos; il a 28
centimètres d'épaisseur, 2 m. 70 de largeur, et il
faut huit hommes pour le sonner. On me donne
ce qu'on veut. C'est mon petit bénéfice.
Bon. Je frappe sur mon gousset, et je ne donne
rien. Un gros monsieur, qui a admiré le gros bour-
don avec moi, glisse cinquante centimes; l'homme
croit que c'est pour nous deux, et j'ai ainsi ma
part de ses remerciements.
Je monte encore cent marches, et me voici en
haut de la tour. Que les sonneurs sont bêtes, mais
que Paris est beau! -
Il fait, après les pluies de la veille, de l'avant-
veille, après les pluies de deux mois, un ciel lavé,
net, et bien bleu, sur qui des nuages ronds; tout
éclatants de blancheur, roulent et se dépassent com-
me s'ils s'amusaient à faire des ombres sur cette
grande ville. Grande et si vieille !. Oh! je n'au-
rais jamais pensé que Paris fût si vieux! Que de
toits aux tuiles rousses, de ces toits rôtis de soleil
et souillés d'eau, qui se serrent les uns contre les
autres dans le fouillis pittoresque du Mirais, et
dans la proue de l'île Saint-Louis, et sur la pente
de cette rive gauche, si originale. Et partout, quelle
que soit la maison, haute ou basse, antique ou mo-
derne, les petites cheminées rouge vif s'alignent
sur la crête des toits, dix par ici, et vingt par là :
est-ce qu'elles marqueraient le nombre des habi-
tants ?. Mais à Paris, grâce à Dieu, il n'y a pas
que des maisons : il y a aussi quelques arbres.
J'aperçois le Luxembourg dont la verdeur paraît
toute neuve et toute fraîche sous le plein soleil que
les nuages ont dégagé; et, là-bas, devant moi, entre
les peifpliers les plus beaux de la ville* la Seine
coule sous ses ponts, puis se dérobe en filart à
gauche, mais l'Arc-de-Triomphe, plus loin, est dé-
coupé sur le ciel d'une façon si étrange, qu'on se de-
mande si ce n'est pas un dernier pont sur le fleuve
i€tréci. L'air est tiède. Je suis tout seul avec
Paris. Comme c'est cIlarmant, et comme c'est amu-
sant !.
- Monsieur. monsieur. me souffle une voix,
avez-vous regardé toutes ces fourmis?
Allons bon! C'est le sonneur qui vient de monter
avec le gros monsieur. Des fourmis? Où ça? Je re-
garde sur les dalles, à mes pieds. Mais il reprend :
- En bas, monsieur, tout en bas, les gens sur la
place. Gros comme des fourmis!.
Et lui, comment donc semble-t-il gros? Je parie
bien que, même du haut du ciel, Dieu le père dis-
tingue sa bêtise énorme!
¡ René Benjamin.
gmi 11 wn—i i ■■!■■■ !■■■■■■ n i■ iwp ■■■■■■
Les règlements ne sont pas pour tout le monde
Le Skjf-Skrapper continue
J'ai été fort surpris, hier, comme je passais ave-
nue des Champs-Elysées, de constater que le fa-
meux gratte-ciel, qui fait l'angle de la rue de
Presbourg et qui dépasse de 80- centimètres la
hauteur réglementaire, n'était- pas encore démoli.
Le soleil dorait, léger et insouciant, la cime de
pierre, et rien ne semblait même indiquer que des
préparatifs fussent faits pour assurer l'exécution
de l'arrêté du conseil de préfecture qui a condam-
né les propriétaires de l'hôtel à ramener le mons-
tre à des proportions plus décentes : aucun écha-
faudage, aucun ouvrier à l'horizon.
Vous vous rappelez la question de l'hôtel A. Le
Gil Blas l'a exposée, il y a quelque temps déjà, et
j'ai dit par quelles vicissitudes avait passé, à l'Hô-
tel de Ville, le naïf contribuable. C'est moi-même
qui avais tenté de mettre le nez dans cette affaire.
Faisant le coin de l'avenue des Champs-Elysées
et de la rue de Presbourg, on a bâti, au mépris de
tout sentiment artistique, un immeuble colossal
qui, non seulement atteint les limites excessives
prévues par le décret de 1900, mais encore les dé-
passe.
Comment l'administration a-t-elle pu être assez
négligente pour laisser se commencer et s'achever
une telle construction ? Comment parvint-on à vio-
ler ainsi toutes les règles ? C'est encore un mys-
tère assez obscur.. Lorsqu'on veut l'éclaircir, on se
heurte à l'étonnement de multiples personnages,
qui, tous, tentent de dégager leur responsabilité.
Toujours est-il qu'on s'aperçut trop tard de l'in-
fraction commise. On n'eut que la ressource d'en
saisir la juridiction compétente, le conseil de pré-
fecture, qui ordonna la démolition de la partie
surélevée. L'arrêt est du 27 novembre 1907.
Les intéressés ayant fait la sourde oreille — évi-
demment parce qu'ils se savaient soutenus — on
réclama la démolition d'office. quitte à récupérer
ensuite sur les propriétaires eux-mêmes les som-
mes ainsi dépensées. Un mémoire du préfet de la
Seine fut introduit devant le conseil municipal
pour obtenir de ce dernier les crédits nécessaires,
se montant à 70.000 francs.
Rien n'y fit, et depuis ce temps, le crédit n'a pas
encore été voté. Pourquoi ?
Personne ne paraît le savoir. M. Emile Massard,
le sympathique conseiller municipal, qui a pris à
cœur depuis si longtemps — depuis toujours —
les au estions intéressant la beauté et les commo-
dités de Paris, adressait, le 3 mai dernier, la lettre
suivante à M. le préfet de la Seine :
3 mai 1910.
Monsieur le préfet,
Dans la séance du 9 juin 1909, j'ai eu l'honneur de
vous adresser une question sur l'observation des lois,
règlements et servitudes concernant le style et la hau-
teur des maisons.
Entre autres choses, vous m'avêz répondu ceci : « On
a signalé une maison, place de l'Etoite, d'une hauteur
excessive. Un procès-verbal a été dressé, un jugement
a été obtenu, et injonction a été signifiée au propriétai-
re de ramener sa construction à la hauteur réglementai-
re. Ce propriétaire ne s'y étant pas conformé, un mé-
moire, dont vous allez être saisi vous demande les cré-
dits nécessaires pour exécuter d'offdce les travaux. »
Vous mettriez le comble à votre obligeance en me
faisant savoir si ce mémoire a été déposé. M. le rap-
porteur général du budget n'en a pas connaissance.
Comme il y a déjà onze mois que cette déclaration a
été faite, on pourrait s'étonner que la promesse formu-
lée faite, tribune n'a pas été tenue.
lée à l'a
Mais je pense que le mémoire, a été déposé, et je vous
demande de vouloir bien me faire dire à quelle date et
quel est son numéro d'ordre.
Avec tous mes remerciements, veuillez agréer, etc.
Et voici le deuxième document, daté du 12 mai
1910, qui est la réponse de M. le préfet :
En réponse à votre lettre datée du 3 de ce mois, qui
m'est parvenue le 11, je m'empresse de vous faire con-
naître que, par mémoire en date du 9' juillet 1909, enre-
gistré sous le numéro 1357, j'ai demandé au conseil mu-
nicipal l'allocation d'un crédit de 70.000 francs, destiné à
pourvoir à réédition d'office de l'arrêté du conseil de
préfecture du z7 novembre 1907, qui a prescrit la démo-
lition des parties de construction non réglementaires de
l'immeuble sis avenue des Champs-Elysées, 133, rue de
Presbourg, 1, et rue Vernet, 1.
Veuillez, agréer, etc.
Le crédit a été demande le 9 juillet 1909. Nous
entrons dans le mois d'août, année 1910. Avouons
qu'on ne s'est guère pressé. Je suis aussi patient
que l'administration. Je m'en fus, au retour de
ma promenade aux Champs-Elysées, frapper à li
porte de M. Massard qui, une fois déjà, on s'en
souvient, m'avait réconforté.
« Vous tombez bien, me dit-il. Je me suis préoc-
cupé à nouveau des lenteurs de l'affaire qui vous
amène. Je viens d'écrire, hier, à mon collèges-M.
Dausset, rapporteur général du budget, pour lui
rappeler l'existence ,d!e ce mémoire, qui, vous Il
savez, date déjà de cannés dernière. On a oublié
de raire cette demande de crédit dans le budget de
1910 ; il est urgent qu'on l'insère dans le budget de
1911 et qu'on arrive enfin aux travaux. Je ne dou-
te pas que mon excellent collègue et ami, M. Daus-
set, n'ait à cœur, lui aussi, l'aboutissement rapide
d'e cette affaire. »
Je buvais les paroles de M. Massard. Ainsi donc,
dans le prochain budget municipal, nous verrons
figurer le fameux crédit, et on songera peut-être en-
suite à exécuter l'arrêté du conseil de préfecture.
Doit-on le croire ?
Je n'ajoute qu'un simple mot. Est-il besoin, pour
en finir avec ce cauchemar, de tant de retards, de
procédures et de chinoiseries ? Est-ce que le pré-
fet de la Seine et la direction des beaux-arts, s'ils
le voulaient, ne pourraient pas, dès maintenant et
sans délai, faire les avances nécessaires à la dé-
molition prescrite ?
La difficulté du remboursement ne fait pas ques-
tion, j'imagine, et l'immeuble est toujours là de-
bout, qui ne s'envolera pas, et qui garantit solide-
ment les frais dans lesquels on s'engagerait. Et
puis. il y a un fait qui domine tout : l'administra-
tion a été la première fautive. C'est son manque
de surveillance qui a permis l'édification de la par-
tie surélevée. Qu'elle répare sa faute avant de s'in-
quiéter du reste, -
Ludovic Hoff.
lA ROSE PARFUIW OE LA FI EUR
LA ROSE HOUBIGANT. 19. Fa Saint-Honoré,
IMPRESSIONS D'UN SPECTATEUR
Chapiro ou le témoin presse
M. CHAPIRO (Prenant une lettre qui vient d'arri-
ner). — Enfin! voilà ce que j'attendais. (regardant
l'en-tête) c'est bien ça : CHAMBRE DES DÉpuTÉs. Pas
de doute, je suis convoqué (décachetant). devant la
commission d'enquête. et pour aujourd'hui. Ils y
ont mis le temps!. (A sa femme qui entre} Tu voise
ma chérie, voici ma convocation. Que dis-tu ?.i
Qu'il faut que j'y aille?. Bien entendu, j'irai, et
tout de suite encore. J'ai hâte de me laver des ac-
cusations qu'on a portées contre moi. Mon chapeau,;
ma canne. Merci.
(S'asseyant et regardant. sa femme). Comme tu ei
jolie aujourd'hui, ma chère femme. (Se carrant
dans un fauteuil) et comme il fait bon être près de
toi. Oui, oui, je sais. l'heure s'avance. Sois
tranquille, je suis convoqué. j'irai. j'ai hâte de
me laver, etc. (Se carrant davantage) Mais c'est
égal. on est bien chez soi. il y a des jours où TODI -
n'a pas envie de sortir. où l'on aimerait lire tran.
quille, sans faux-col., en manches de chemise.
Bon, bon. c'est entendu. Je m'en vais.
(Dehors. Hélant un taxi) Chaiulfeur. à la Cham-
bre h.. Quel chemin faut-il prendre,
Celui que vous voudrez. mais je suis presse. j'ai
hâte de me laver, etc. Tenez, prenez par la Bas-
tille., la porte d'Ivry., l'Arsenal., le Val de
Grâce., la porte Clignancourt., mais faites vite.
J'ai hâte de me laver, etc. (Le taxi s'arrête brus-*
quement) Sapristi. voilà bien ce que je craignais.
la panne, la hideuse panne. Que dites-vous, chrnf-
feur?. Le carburateur est détraqué?. Sapristi de'
sapristi. enfin, ça ne fait rien. j'ai beau être pressé
de me laver, etc., prenez votre temps. vous sa-
vez, j'aime mieux ça qu'un accident. (Le iaxi reptffÍf.
au bout de cinq quarts d'heure). Comme on est bien
dans ces taxis, tout de même!. Et on va vite. il
n'y a plus de distances. (Avec un soupir) pas assez c
de distance (On aperçoit le fronton du Palais-Bour-
bon) Ah 1 Ah! voici la Chambre. enfin. je vaial
donc pouvoir me laver. (Regardant sa montre) Trois
heures. la commission doit être en pleine séance.
(Le taxi s'arrête). Combien vous dois-je, chauf-
feur ?. Sapristi, je n'ai pas de monnaie. Rendez-
moi sur dix francs. et pas de mauvaises pièces, sur-
tout. j'ai beau être pressé de me laver, etc. je tiens
cependant à les vérifier toutes.
(Entrant à la Chambre) La commission d'enquête,
je vous prie?. Comment, elle s'est ajournée au 6
octobre?. (Avec tin soupir de délivrance) au 6 oc-
tobre!. (Feignant la colère) C'est une indignité!.
Une honte!. moi qui n'ai pas déjeuné pour répon-
dre plus vite à ma convocation!. Vous aurez de mes
nouvelles.
(SUT le quai, avec amertume) Et voilà comment on
traite les témoins en France!-..
Puck.
ï.. —i
BANDERILLES
M. Lefort et M. Giraraidèt sont «n controverse, au-
tant dire en dispute, au sujet de la danse: Même, en
dépit du maintien et de la callistliénie que l'un et
l'autre professent, quelques gros mots ne seraient
guère pour étonner, la langue, au bout du compte,
n'étant point rangée parmi les organes qu'il faut
assooiiplir et contraindre aux gestes arrondis.
M. Lefort a inventé une danse d'actualité, la
« Chanteclerette », qualifiée par le vilain jaloux
qu'est M. Giraudet de « danse de plumes ». - C'est'
cuisant. M. Lefort aura de la peine à guérir la bles-
sure d'un trait si cruellement barbelé. Peut-être aussi
lui suffira-t-il d'attendre qiue M. Giraudet lance la
« Lépinette » ou la « Liavache » (s'il est un fémi-
nin digne de Liabeuf), pour fulminer, à son tour,
des censures flétrissant-es et définitives.
A vrai dire, c'est la décadence de la chorégraphie
mondaine, c'est non plus seulement la vulgarisation,
mais la vulgarisation du bel air et des gestes élé-
gants. Le chancre de la surenchère ronge la danse,
comme il dévore les élections et le budget : à force
d'apprendre des pas sauvages et compliqués, les
jeunes filles, 'bientôt, ne sauront plus entrer dans
un salon ni ouvrir leur ombrelle.
Ah ! qui nous rendra, autrement que sous forme
de mascarades occasionnelles, les menuets et les ga-
vottes de nos aïeules?
On ne cherchait point alors à serrer de près des
tailles et des poitrines, à étaiblir des contacts entre
des jôues humides et rougissantes, à .s'adjuger des
records d'enjambées -sensationnelles ou de déhanche-
ments équivoques.
On s'évertuait plutôt àr- qtri serait le plus gïacïexbe
et le plus séduisant, dans une sorte de scène mimée,
où se trouvait réuni ce que la vie de cour offrait de
plus joli et de plus raffiné». Un bon danseur de me-
nuet, une bonne danseuse de gavotte, devaient savoir
marcher, saluer, donner la main et sourire. De telles
danses étaient des madrigaux vécus où chacun tenait
son rôle et où celui-là emportait la palme qui avait
à la fois le plus de réserve, le pitus d'aisanoe et le
plus de galanterie.
Que le diable n'y perdît rien, c'est une autre af-
faire. Du moins la damnation avait-elle une formtt
si élégante et si pleine d'attrait, que les horreurs en
devenaient tout à fait imperceptibles.
La walss allemande a tout gâté par ses étreintes
et ses tourbillons. Ensuite, quelle dégringolade ! Le
boston, le quadrille américain, la mattchich : tout
un assortiment de grâce transatlantique, évoquant
du même coup le Peau-Rouge et le riche éleveur de (
porcs.
Souhaitons, Monsieur GiraïuJdet, de pouvoir dire
bientôt, fût-ce au prix d'un hideux calembour :
« Plaisir d'Armour ne dure qu'un moment. »
Gérard de Beauregard.
LA VILLE ET LE MONDE
Carnet Mondain
PARIS :
Aujourd'hui, M. et Mme Martin-Furth donneront uns
dîner en l'honneur du ministre de Bulgarie et de Mme
S'tancioff.
— Mme Leghait, femme de l'ancien ministre de Bel-
gique à Paris, passera tout l'été dans notre capital.
Elle continuera à recevoir les samedis et lundis à partir
de quatre heures et demie,
IlOnS PARIS
La saison de Noirmoutier, favorisée par un temps
superble, continue à attirer beaucoup de monde. Les
parties de goLf et de tennis se poursuivent avec beau-
coup d'entrain. Reconnu sur la terrasse de la plage :
Comtesse Benoist d'Azy. comtesse de Boigne, mar-
quis et marquise de Gontaut-Saint-Bîancard, comte efl
comtesse de FraquieT, marquis et marquise de Dam-
pierre, commandant et Mme de Navacelle, vicomte G<
de Cholet, M .et Mme R. Delagrave, marquise de Chau-
velin. Mme de Juzencourt, baronne de Lallemand, vi-
comte et vicomtesse Louis des Garets, comtesse de
Montcabrier, comte et comtesse de Cathelineau, Mme
Feuilleton du « GIL BLAS» (No 9)
LES
FEMMES"'DU JOUR
~~2~
ALBERT ERLANDE
LX
Grandier reconduisit son beau-frère e1 en
lui serrant la main :
— Excuse-moi si je lui obéis. si je te tiei*s
rigueur. en apparence. viens me voir à l'u-
sine. Excuse-la, elle aussi. un si grand
changement dans sa vie. tu comprends.
l'est-ce pas.
Des sanglots troublent sa voix.
Quand il revint près de sa femme, elle était
à demi évanouie.
— Manon. Manon.
Elle hoeba la tête :
— Et tout cela, tout cela, gémit-elle, parce-
que au début de ma grossesse. tu t'en sou-
viens. j'étais furieuse. et j'ai écrit quelques
notes méchantes où je déplorais mon Bort.
c'était mal. je comptais les détruire. il les a
trouvées dans mes papiers. il m'a insultée.
— Et tu m'as accusé d'être son complice.
— Pardonne-moi.
n- l'aide à ôter son chapeau et sa jaquette
qu'elle avait gardés, puis il s'agenouille de-
vant elle.
— Tu es jolie.
La lassitude lui donne l'aspect d'une femme
émue. Un sourire écarte ses lèvres enfantines
,et découvre ses dents. Ses paupières se fer-
ment. Le faux éclairage rend ses. joues creu-
ses.
Et Grandier pense en la voyant ainsi qu'elle
pourrait mourir. Il eut peur et pleura sur les
genoux de Manon. Emouvante minute pen-
dant laquelle s'éveilla en lui un sens nouveau
pour l'aimer 1
Et Manon se disait qu'elle pourrait avoir de
la puissance sur les hommes. N'avait-elle pas
triomphé de son frère qui la détestait et pos-
sédait de quoi l'accahler et la confondre et n'a-
vait pas osé.
Ne triompherait-elle pas de son mari dont
les larmes lui paraissaient grotesques.
Et elle se dit aussi que lorsqu'une femme a
igagrié la confiance et touché ia générosité de
l'homme avec qui elle vit sans l'aimer, elle
êst en possession de sa liberté et des armes
dont elle serait bien solte de ne point se ser-
vir.
OCI
Le lendemain, Manon Grandier reçut à son
réveil, la lettre suivante a
Madame,
Je me trouve, après avoir lu votre livre,
dans la situation d'un homme désolé qui n'ar-
rive pas à faire accorder un grand talent avec
les nécessités de nos publications actuelles.
Votre talent est incontestable, et pourtant il
ne cadre pas avec les exigences de nos publi-
cations à 0 fr. 95 et illustrées.
Je viens de relire les Vendangeuses. C'est
plein de fougue et de couleur. Mais votre hé-
roïne est romantique et allez donc remonter le
discrédit (justifié ou non) qui s'attache à tout
ce qui est romantique 1
Aujourd'hui, hélas, on lit peu et on lit mal.
En somme, on parcourt. C'est pourquoi le lec-
teur va droit aux livres ramassés et d'action
une.
Celle des Vendangeuses est complexe, nou-
velle, touffue et demanderait au publie tm tra-
vail que nous ne sommes plus en droit 4'exi-
ger de lui.
Les Vendangeuses restent iceuvre très pre-
nante d'un artiste. Si on tentait sa publication
on pourrait i-éussir. Mais avec notre collec-
tion, il faut jouer à coup sûr, autant que cela
est humainement et commercialement possi-
ble. Un échec est une catastrophe. Il nous faut
un premier tirage à 15.000 exemplaires. Il faut
qu'il s'écoule. Je ne crois pas que cela soit
possible avec les Vendangeuses.
Je vous fais donc retourner, par pli recom-
mandé, votre manuscrit.
Croyez, madame, à une admiration augmen-
tée enCOl'e. par la lecture de votre livre et aux
reqrets que j'ai de ne pouvoir conclure cette
affaire avec. vous.
GROSSOLIN.
Manon faillit perdre les sens. Elle eut l'im-
pression que les jointures de ses membres se
désarticulaient ; une sueur glacée la recouvrit
des pieds à la tête ; la colère la secoua et son
orgueil la remit en possession d'elle-même.
Elle se, lève, prend un tub, déjeune,* s'ha-
bille et. en moins d'une heure, elle est aux bu-
reaux de la Minerve, boulevard des Italiens.
Elle n'avait pas revu Paul-Emile Valcourt
depuis le dîner mémorable du 5 octobre. Vàl-
court s'était contenté d'envoyer prendre de ses
nouvelles.
Après dix minutes d'attente, on l'introduisit.
Dangé avance un siège à Manon qui attend
que Valcourt ait fini de téléphoner.
Il raccroche les récepteurs :
- Eh bien, chère madame ?
— Je vous apporte un roman.
Les deux bras au plafond, il s'écrie f:
- Vous aussi t
- Pourquoi pas ?
Il se promène, dans son bureau, comme un
amiral sur le pont de son navire. Manon le
suit des yeux.
- Et qu'est-ce que c'est que ce roman ?
•— Les Vendangeuses.
— Je n'en veux pas f Grossolin m'en a par-
lé. C'est très beau. mais ce n'est pas ça !.
— Prenez-lé pour Vos éditions. à bon mar-
ché.
- NtJâ éditions !«. feeia hn nous ne publia
rons que des œuvres parues chez nous. en
feuilleton. Et comme vous êtes une amie, je
vais vous annoncer une chose : Nous rema-
nions notre affaire d'éditions. parfaitement.
Nous la montons sur un pied colossal. Je rou-
lerai, je ruinerai Grossolin et les autres. car
écoutez bien ceci.
Il devient charlatanesque :
- Nos volumes ne coûteront pas 1 fr. 50 ;
pas même 1 fr. 35 ; ni 1 franc ; ni 0 fr. 95,
mais 80 centimes. Nous les vendrons 80 cen-
times, et cartonnés et illustrés. Tirage à
35.000. \u moment où vous êtes entrée.
j'acceptais le premier ouvrage. Ne me de-
mandez pas l'auteur. C'est étonnant. ça
bouleversera les foules. Vous verrez. vous
applaudirez., oui. mais rien à conclure ave3
vous, pour l'instant du moins, désolé, désolé.
Il arpente le cabinet directorial, les mains
dans les poches de son veston, la boutonnière
fleurie d'œillets blancs. Quelle compacte sil-
houette forment ces épaules athlétiques, d'où
sort une petite tête de serpent rejetée en ar-
rière !
Manon considère cet homme qui, dix jours
auparavant, lui demandait presque de devenir
sa maîtresse, l'honorait entre toutes, à la face
de Paris et qui la chassait, aujourd'hui, avec
désinvolture.
Elle se lève. Il la reconduit avec mille poli-
tesses et, la porte fermée, il se campe devant
Dangé et rit :
— Vous avez été roulant, patron.
— Mon petit, elle est d'une maigreur. On ne
s'évanouit pas publiquement avec une ossatu-
re pareille. Puis. je suis arrivé à mes fins,
grâce à ce sacré banquet. Madame la mar-
quise de Maubrun a rappliqué. nous Ten-
chaînerons. elle est enchaînée ! Elle en fera
une grimace, notre Manon, quand elle lira le
Phœnix. Quel titre et quel symbole ! Le Phœ-
nix. la France qui ressuscite de ses cendres
avec toutes ses croyances, ses légendes, toutes
les blagues. C'est une croisade que ce bou-
quin. Nous avons déjà des abonnés dans le
Faubourg. et parmi les évêques. bravo !.
Il se livre à une improvisation lyrique. dé-
crète qu'avant peu il sera à la tête du plus
grand journal du monde.
[Dix pages ; deux romans littéraires, un
roman prodigieux ; un service de dépêches
prodigieux ; une armée de rédacteurs politi-
ques qui combattra pour la bonne cause !.
— Quelle est-elle ? N'interrogez pas encore
Valcourt. Attendez]
- Au travail.
Il s'agit aussi de fonder et d'organiser une
maison d'édition qui défiera la concurrence,
attirera tous les écrivains.
Valcourt a la fantaisie de laisser un nom. Il
est homme à y parvenir.
Manon ne sait à qui proposer son roman.
Elle n'a plus d'espoir qu'en son éditeur AI-
denheim, rue Laffitte.
C'est un petit vieillard maigre avec un front
énorme, des yeux imperceptibles et brillants
entre des paupières bouffies ; cheveux rares,
barbe en pointe, longues mains nerveuses sor-
tant de manches trop courtes.
Ancien banquier, vieux garçon, immensé-
ment riche, il a acheté la maison Wurtz et La-
chaux, l'a remontée, en a fait un des premiers
comptoirs de Paris.
Les classiques étrangers en usage dans les
lycées et collèges, des traités de sport compo-
saient le fond de sa librairie. Leur vente assu-
rée lui permettait de s'occuper d'oeuvres litté-
raires.
Manon Grandier, Marie Impéria, Laugier
Varennes lui avaient confié leurs premières
œuvres.
Il habitait, quai Malaquais, un vaste appar-
tement encombré de livres, de bibliothèques
et d'estampes.
Il vivait aussi simplement qu'un étudiant
ou qu'un bohème, aimaiM'art, les artistes, la
littérature. Il lisait tout ce qui paraissait et il
suffisait d'avoir eu quelques strophes impri-
mées dans une petite revue, pour n'être pas
un inconnu pour Aldenheim.
Il écoute Manon lui affirmer que leur inté-
rêt commun exige qu'il publie au plus tôL les
Vendangeuses.
- Non. Il faut attendre.
— Quoi ? La résurrection de mon onclei
Gardaillan ?
— Non. que la librairie triomphe de la:
crise.
— Où l'ont plongée les éditions à bon mar*
ché, interrompt vivement Manon.
— Parfaitement, réplique Aldenheim, de sa)
voix douce et têtue.
— Pourquoi ne lancez-vous pas une colIec-
tion.
- Je vais en lancer une,
- A combien ?
--- Je ne peux rien dire. Cependant. j'en-
suis un amateur de livres moi. Dans moni
nom il y a ALDE — (il sourit). Eh bien. si
Grossolin et auLres ont croulé le livre à 3 fr. 50
avec le livre à 19 sous ; moi je croulerai le li-
vre à 19 sous avec le, livre à 6 francs ! Oui à' :
6 francs. vous verrez et je tuerai les prix..,.
les prix de littérature.
Manon craint qu'il ne soit devenu fou.
— Et vous ne publierez pas encore un petif !
à 3 fr. 50, pour moi ?.
— Non. non.
Elle eut beau supplier. Il M inébranlable,;
« A qui s'adresser ? » A des éditeurs 'de troiV:
sième ordre, sans capitaux, inconnus du pu-»;
blic, mal vus par les libraires, timides, recu- j
lant devant la réclame et qui lui demanderont!
certainement de faire les frais de son livre !..OI:
On la croit riche.
La voilà plus empruntée qu'une débulanté..
Bali ! Comme Lamartine, elle sera son pro-
pre éditeur. Elle fera un manifeste pour an-
noncer au monde à quelles extrémités en,
étaient réduits les grands poètes !
Où prendre l'argent ? Elle vendra une ba-
gue, enverra des prospectus à ses connaissant
ces. Cela ne manquera pas 'd'une certaine aK
lure, voire de grandeur 1
pf mitre.I
jrioinphent ; M. Archdeacon les néglige, car
les triomphes ne l'intéressent pas : il a peur
nabitude de les laisser aux autres. Toujours
est-il que les rieurs d'hier, déconcertés,, se sont
tus, et qu'à la nouvelle du troisième apostolat
qu'entreprend cet infatigable en son volume :
Comment ie suis devenu espérantiste, ils pen-
sent : « Ce diable d'homme est capable d'avoir
encore raison ! »
Pour ma part, j'applaudis l'Espéranto, à con-
dition, comme le dit l'auteur, qu'il n'ait pas
« la prétention de supplanter les langues exis-
tantes », expressions du génie différent des
peuples et qui ne doivent se modifier que peu
à peu et naturellement. « L'Esperanto vise sur-
tout, et avant tout, à être un organe universel
li'échange entre les peuples. Il peut et doit
arriver à ce remarquable résultat que chacun
n'ait plus à apprendre que deux langues, sa
langue maternelle et l'esperanto. » Or. sachez
•« qu'un homme peu instruit peut, en six mois,
arriver à écrire plus correctement l'esperanto
que sa propre langue ». Vous me direz, ma-
dame Ponette, votre opinion. La mienne, la
voici : puisque M. Archdeacon est espéran-
liste, nous le serons tous demain !
Avez-vous lu, chère madame, un roman dont
je viens de terminer la dernière page et qui
est de M. Jacques des Gâchons ? Le Chemin
de sable, de ce sable « qui ne garde même pas
l'empreinte de l'effort », c'est la vie. Parmi les
épreuves et les écœurements, François et
Claire, serrés l'un contre l'autre, tiennent bon :
leur foi en eux et en leur amour demeure in-
tacte, en cet amour que de leurs mains arden-
tes et mêlées ils tiennent haut, bien haut, au-
dessus des compromissions et des vilenies.
M. Jacques des Gâchons prend prétexte de son
héros pour nous donner une étude très réussie
du journalisme : l'auteur nous promène du
vieux journal, genre fossile, dont le directeur
incrusté et indécrustable a le même âge que
l'escalier de bois vermoulu, à la rédaction à
l'américaine, trépidante et toute en bluff, d'une
feuille d'information, dont le nom seul, l'Après-
Demain 1, est un programme de génie.
Bref, une jolie critique de notre temps, où
l'on camelote tout.
J'aime moins le Roi de Galade. L'invraisem-
blance ne se suffit pas à elle-même. M. André
Arnyvelde ne paraît pas y avoir songé en écri-
vant, d'une plume alerte, cette histoire d'un
personnage fantaisiste débarqué, d'un pays
imaginaire, parmi notre civilisation. Le pro-
cédé fut souvent exploité, quelquefois très
habilement, d'autres fois moins. C'est qu'il est
malaisé, à moins que d'y employer une origi-
nalité extrême, de divertir les gens de l'éton-
nement d'un bonhomme, fût-il roi de Galade
ou de la lune, devant un train qui passe, un
ascenseur qui monte ou une lampe électrique
qui s'allume.
Que je vous parle maintenant d'un opuscule
dont je ne vous dirai jamais la satisfaction qu'il
m'a donnée : celui que consacre Mme Aurel
à Jean Dolent, le contempteur « des marau-
deurs et des usurpateurs de la célébrité », le
« magique éveilleur d'artistes », qui inventa
Carrière, et qui, parmi « les sauvés », distin-
gua Manet, Cézanne, Puvis de Chavannes, Sis-
ley, Whistler, Mary Cassat, qui fut l'ami de
Moréas, de Morice, de Rachilde, « l'amoureux
d'art » qui « de sa mort même fit de la beauté D.
Figure rare, tempérament exquis, que cet
homme ignoré du vulgaire — sa gloire n'en
est que plus pure ! — qui fut en art, encore
qu'il eût l'élégance de n'y point prétendre, un
juge souverain, et ne s'en tint pas là : « Je
ne regarde pas seulement l'eau couler, disait-
il, je me baigne. » Certes, son oeuvre : Une
volée de merles, l'Insoumis, le Cyclone. n'est
pas à la portée du publie de nos romanciers
de salon. « Il ne ferait pas bon, constate Mme
Aurel, que des humbles la lisent, mais à tous
ceux qui sont nés imprudents elle prête un
charmant réconfort. a D'ailleurs, Jean Dolent
ne voyait de possibilité d'accord avec l'artiste
« que chez l'ouvrière, à cause de la rudesse
de sa vie, et, à l'opposé, chez la dame, la vraie,
à cause de sa sensibilité de race ». Il n'aimaii
pas les bourgeois.
Sur la fin dè cette apologie, Mme Aurel est
surprise par un scrupule : la crainte d'avoir
trahi l'œuvre de Jean Dolent. Qu'elle se ras-
sure : non seulement elle ne l'a pas trahie,
mais elle vient, de toute son ardente piété de
femme, de lui dresser un autel, un autel ma-
gnifique et solitaire, à l'écart de la route —
celui-là même que nous lui devions.
Que vous dirais-je, madame, à l'occasion de
la nouvelle édition, de La Force, de M. Paul
Adam ? Vous connaissez ce roman, l'un des
plus beaux de l'énergique et tumultueux écri-
vain, remueur prodigieux de faits et d'idées,
au style éclatant, à qui sont aussi familières
les antiques civilisations que les trusts améri-
cains. La Force, c'est le roman d'une époque,
de cette époque héroïque et extravagante, où
galopait à travers l'Europe la fabuleuse des-
tinée du « Buonaparté », où la maréchale Le-
febvre « offrait le fricot » à des généraux de
trente ans, époque de « la Force et du Triom-
phe, évidence de Dieu », où l'on divisait l'Eu-
rope « en tartines pour tous les appétits ».
C'est parmi cette ruée folle que s'agite l'am-
bition de l'officier Bernard, dont l'obsession
est de l'atteindre, de le surpasser, Lui, te Ri-
val, l'homme dont la petite silhouette domine
ces temps. Et, en effet, il monte, monte, es-
caladant les grades, jusqu'au jour où, les deux
jambes fauchées par un.boulet, il meurt, héros
comme ils le furent tous, parmi l'applaudisse-
ment des canons et des tambours « exaltant la
gloire de la race et sa force ».
Et puisque nous parlons de rival, je veux
vo.us signaler le nouveau roman de M. Albert-
Emile Sorel. Le Rival, c'est un de ces drames
obscurs qui s'agitent au fond des conscien-
ces. Fils d'un catholique convaincu, membre
de l'Académie française, Robert Villedieu veut,
son père mort, poursuivre son œuvre. Pour
commencer, et par respect de la tradition, il
épousera la jeune fille qu'il doit épouser, dont
l'austérité ne tardera pas d'éteindre successi-
vement toutes ses velléités- de luttes. Mais il
'- ! un fils : celui-là, d'une nature plus indé-
pendante, plus vigoureuse, se lance audacieu-
sement dans le théâtre, s'illustre, et, sans
souci des préjugés de son monde, aime la
femme qui, sur la scène, interpréta ses héroï-
nes. Et le père vieillissant, avec amour, le
suit, ce fils qui, à sa manière, relève le nom,
en qui il voit se réaliser la destinée qu'il por-
tait en soi, qui le venge de sa défaite ! Il s'in-
téresse à lui, se confond avec lui, au point
qu'un jour il s'aperçoit avec stupeur qu'il aime
la même femme que lui ! Ainsi, c'est sa vie,
toute sa vie, que son fils, son rival, lui a
volée ! Et, pour comble d'amertume, sa femme,
dont la sévérité glaça ses jeunes enthousias-
mes, se révèle toute pleine d'indulgence à l'en-
droit de son fils, qui « ose être de son temps
et de sa génération ». Et quand le père infor-
tuné s'écrie, effondré sous la gloire de son
fils : « Je suis bien malheureux ! », l'épouse,
qui inconsciemment l'a tué, "s'étonne : « En
vérité, mon pauvre ami, je ne vous comprends
pas !» Une autre grosse nouvelle, l'Amie, com-
plète le volume. M. A.-E. Sorel y pose un cas
de conscience : un homme, qui a des enfants,
peut-il épouser celle, d'ailleurs digne de son
affection, qu'il eut pour maîtresse du vivant
de sa femme ? Peut-il décemment l'introduire
dans son foyer, parmi ses enfants, étant donné
que leur mère, une pauvre .infirme qui savait
tout, a pardonné et même accepté par avance
cette union ? Non, pense l'auteur, car ce se-
rait interrompre le rythme sacré de la tradi-
tion et compromettre « l'attachement à ce qui
dure, à ce que les siècles cimentent avec les
cendres ». Ce livre de M. Albert-Emile Sorel
est d'une très haute conception, d'allure un
peu hautaine — encore que toujours humain.
Peut-être, parmi de très belles pages, y en
a-t-il de plus rapidement écrites ; mais, toute
au sujet, vous n'y prendrez pas garde.
Comme contraste, je vous invite à lire La
bonne infortune, ou les aventures sentimenta-
les d'un jeune homme pauvre, roman qu'a-
nime, traversée d'amertume, la fantaisie ac-
coutumée de M. Henri Duvernois. Vous y ren-
contrerez une petite dame, pas farouche du
tout, qui, au restaurant, chipe les poivriers —
histoire d'emporter un souvenir — et une au-
tre jeune personne avec laquelle je n'aimerais
pas du tout voyager en chemin de fer !
Vous voilà, chère madame Ponette, rensei-
gnée sur les dernières nouveautés. Quelques-
unes méritent de vous tenir compagnie en un
pays où les montagnes, sans discrétion au-
cune, doivent à la fin devenir bien embêtantes.
Je leur préfère cette belle étendue d'eau qui
sollicite mon imagination et qui, par là, res-
semble à ces gens délicats, dont la conversa-
tion vous met en valeur et vous fait croire que
vous avez de l'esprit. 1)
Hier soir, avant dîner, je suis allé , m'asseoir
sur un rocher, pour lire les poésies posthumes,
qui viennent de paraître, d'une femme morte
récemment vers sa trentième année, et que
peut-être — vous tant au guet de tout ce qui
est rare et précieux — vous avez connue. C'est
de Renée Vivien, la toute blonde et frêle muse
aux violettes, que ije vous parle. A vrai clire,
ses poésies, qu'a recueillies dévotement l'édi-
teur délicat M. E. Sansot et où nous introduit
une chaleureuse préface de M. Paul Fiat, sont
inférieures à leurs aînées. Elles n'en sont pas
moins curieuses, comme dernières manifesta-
tions d'un être que courtisait la mort. Le Coin
de violettes, le Vent des vaisseaux, Haillons,
tel est le triptyque dernier d'un vrai poète, qui
chantait pour soi, a-t-elle dit, et qui méprisait
Le mensonge de ces gloires immédiates.
On retrouve en ces poèmes la sensibilité de
A l'heure des mains jointes et le même souci
de la perfection rythmique. Certains vers sont
les battements mêmes d'un cœur douloureux,
à l'écart des autres et fier :
Nul n'ose m'approcher, car je suis l'Intangible.
Et de ces-poésies, pour qui les lit avec pré-
caution, se dégage la psychologie délicate de
cette femme étrange, égarée dans notre vie
intense :
Le-monde inhospitable est pareil à l'auberge
Où l'on irit mal, où tout est mal, où l'on dort mal.
La lumière du jour, vous le savez, l'offus-
quait, au point qu'elle voulait chez elle une
ombre perpétuelle, parfumée de violettes, ses
fleurs, animée de clartés de cierges. Un spleen
intolérable la tourmentait, comme le regret
inconscient de quelque patrie perdue, qu'elle
cherchait en vain au hasard de ses fuites en
Angleterre, eri Hollande, et jusque sur les ri-
vages de « l'île chimérique », dont elle aimait
le charme païen et « le verger nocturne où
veillaient les amantes » : Lesbos 1
Sa vie fut étrange, sa mort mystérieuse :
celles-là comme une attente anxieuse, celle-ci
comme une délivrance, et survenue à l'âge de
l'ordinaire épanouissement. Elle était de ces
êtres qui surgissent de temps à autre d'on ne
sait où, parmi le rythme banal de la vie, que
blesse la réalité, qui la fuient en de l'artificiel,
qui rte sont point des nôtres.
• • • • • • • •«* *?«'•«
Sur ce, chère madame Ponette, je vous
quitte. J'ai sous les yeux, tandis que je vous
écris, le plus beau spectacle qui soit : la mer
qui s'ensommeille dans la sérénité blonde du
soir, deux mouettes qui passent, lentes,- et
dans mon dos une grosse bretonne — mon hô-
tesse — qui tempête sous le fallacieux prétexte
qu'à tant écrire je ne lui laisserai plus d'en-
cre dans l'encrier qu'il paraît que je lui ai
pris. Mais tout cela — y compris la Bretonne
— ne me tient pas lieu de votre société et j'as-
pire avec impatience au moment qu'elle me
sera rendue.
Votre très vieux et dévoué serviteur
Philodorel
Pour copie conforme :
Pierre Corrard.
Les autres livres qui viennent de paraître :
Maurice Leblanc : « 813 H, 3 fr. 50, Pierre Lafitte,
nouvelle série des aventures d'Arsène Lupin. —
: Les Flèches du jour, 2 fr., Daragon, pamphlets
en vers ; l'auteur ne les signe pas, ce qui nous in-
terdit de le trouver absolument dénué d'esprit. —
Patrice O'Connor : Les Femmes et M. de Juriens,
3 fr. 50, Léon Vanier, roman. — Antoine Yvan :
VIIomme seul, 3 fr. 50, Léon Vanier, roman. -
H Daragon : Le tzar et la tzarine des Bulgares à
Paris. — Yves de Constantin et Félix Marty : 1870,
les organisateurs de la défaite, 3 fr. 50, Librairie
du XXe siècle : Ce n'est pas, selon les auteurs de
cet ouvrage, l'Empire qui fut la cause de notre dé-
faite, mais les ennemis de l'Empire, qui empêchè.
rent la réorganisation de nos cadres et l'augmenta-
tion de noa effectifs.
p. a
A travers Paris
LES VOYAGES IpST^USTIpS
J'ignore si vous aimez la, visite des villes, et si
vous visitez des villes, et si, dans ces visites, vous
suivez les guides :
a En sortant de la gare, on prendra l'avenue
Gambetta, et après avoir traversé le large boulevard
.Emile-Zola, qui est planté de magnifiques platanes,
on remarquera à gauche la Halle aux grains, toute
neuve, qui date à peine d'une dizaine d'années. »
Ceci, comme vous savez, s'applique exactement à
toutes les villes de toutes les provinces de France.
Et ceci donc est très réjouissant.
Pourtant, j'éprouve toujours une désolation pro-
fonde à rouler dans des cités, où certes la cathé-
drale est un joyau, et où sans doute l'hôtel de ville
est fastueux, mais où tout ce que je lis et tout ce
qu'on me dit sur l'hôtel de ville et la cathédrale est
d'une platitude qui écœure et donne une furieuse
envie de reprendre le train illico. J'exècre la visite
des villes.
Et l'exécrant, et croyant à la vérité de quelquès
réciproques, je m'ébaubis que tant de provinciaux
déambulent à travers Paris en cette saison chaude
où l'admiration exige une forte résistance physique.
Or, ces gens admirent. Comment s'y prennent-ils ?
Ils s'en vont bouche bée par les rues; ils pénètrent
avec des airs curieux dans les édifices publics;
quand ils en ressortent, un sourire éclaire leurs vi-
sages. C'est donc qu'on ne les assomme pas, que
même on les traite joyeusement, enfin que Paris est
une ville unique, agréable à visiter!
J'ai tenu à m'en rendre compte, et l'autre jour
j'ai joué au provincial; je me suis fait une âme
naïve et neuve; j'ai « découvert » des monuments
devant lesquels je passe tous les jours.
J'ai commencé par le Panthéon — le Panthéon
dont l'idée est émouvante toute même, quand on a
le temps d'y réfléchir, « Aux grands hommes, la pa-
trie reconnaissante. » DiaUe! les grands hommes
sont là? Entrons là.
Mais une barrière m'arrête, et je lis sur une petite
pancarte : Pour la visite des caveaux, attendre ici
le gardien.
J'attends; et je l'aperçois là-bas le gardien qui
sifflote et se promène à travers le vaste édifice. Il
tourne autour des fûts de colonnes, lentement et
mains au dos, tel un homme qui fait son petit
exercice quotidien, puis il va à la grande porte
humer une bouffée d'air; puis il potine avec la
marchande de cartes postales; puis il astique la
visière de son képi; puis enfin, tout à coup, après
vingt, vingt-cinq minutes, il se met à hurler :
a Les caveaux ! Les tombeaux ! Qui veut voir les
tombeaux? Par ici, les caveaux! » Il me fait signe.
Je m'écarte. Il déplace la barrière; et il commande
au troupeau humain qui s'écrase .sur ses talons :
— Si.ivez-moi!
Il marche avec majesté, d'abord parce qu'il be-
donre, ensuite parce que le Panthéon est un peu à
lui. On avance, s'il avance; on arrête net quand il
arrête net; et s'il lui plaisait soudain de revenir sur
ses pas, tout le monde, docilement, ferait demi-
tour. C'est lui qui dispose des grands hommes du
pays, et vous ne verrez pas leurs caveaux, et vous
ne saurez même pas leurs noms, s'il ne lui agrée pas
de vous éclairer de ses lumières.
Ah! plaise à Dieu qu'il n'éclaire jamais!
— Approchez-vous ! déclame-t-il. Serrez les
rangs 1 Formez le cercle! Bien. Dans ce caveau,
ici, repose Jean-Jacques Rousseau, le grand écri-
vain philosopha, précurseur de la Révolution, au-
teur de Y Emile. On l'a appelé « l'ami de la Nature
et de la Vérité D. Mesdames et rnçssieurs, veuillez
tourner sur place.
On obéit. -
— Arrêtez! Serrez les rangs t Formez le cercle!
Bien. Dans ce caveau, ici, repose Voltaire, le grand
philosophe prosateur, également précurseur de la
Révolution.. Il fut un des premiers à réclamer les
Droits .de l'homme et l'abolition des privilèges féo-
daux. Demi-tour, messieurs et mesdames. En flace,,
ici, repose Soufflot, le grand architecte, l'auteur de
la construction que je vous fais admirer. Elle offre
ceci de remarquable qu'elle supporte l'énorme masse
au-dessus de nous, sans qu'aucune pierre soit ci-
mentée. Les pierres sort posées les unes sur les au-
tres, et séparées par des lamelles de plomb, qui em-
pêchent l'humidité, Mesdames et messieurs, nous
poursuivons tout droit.
On poursuit.
— Dans ce caveau, ici, repose Victor Hugo, le
grand poète, une des gloires nationales, et Emile
Zola, littérateur, le dernier entré au Panthéon
Infortuné Zola! Il n'y a que lui qui n'ait pas
l'épithète de a grand »! Je regarde les visiteurs :
aucun ne sourit; pas un non plus ne semble acca-
blé. Ils sont dans un état de parfait équilibre. Pour
leurs quatre ou cinq sous de pourboire, ils ont en-
tendu une leçon courte mais instructive, qui leur ap-
prend ou leur rappelle avec précision des choses
CI très utiles à savoir ».
Eh oui! voilà. J'ai idée que je comprends mieux
maintenant. Le plaisir du voyage n'est pas seule-
ment dans la découverte d'un certain nombre d'peu-
vres d'art ou d'oeuvres naturelles, qui émeuvent le
cœur ou l'esprit. Il est aussi, et peut-être surtout,
dans cette distribution bon marché de formules pra-
tiques à l'usage. des gens pressés.
Les voyages forment la jeunesse. Ils instruisent
aussi les grandes personnes.
« Jean-Jacques, le grand écrivain philosophe; on.
l'a appelé l'ami de la Nature et de la Vérité! »
— Je vous demande après cela si c'est la peine de
le lire, ou même de le parcourir. Ne sait-on pas de
lui l'essentiel?
Et ainsi, dans une société démocratique, qui, de
plus en plus, est encombrée par les « primaires »,
ces esprits bornés à dessein à qui l'on enseigne un
métier au sortir de nourrice, et qui, en se spéciali-
sant à dix-huit mois, n'ont pas le loisir de se culti-
ver, c'est-à-dire d'apprendre tout ce qu'il est inutile
;pratiquement de savoir, — dans une société de pri-
maires, le gardien du Panthéon prend une allure
singulièrement importante; il devient, si j'ose dire,
d'intérêt public; il remplace avec rapidité l'ensei-
gnement secondaire, et ses formules excellentes ont
la haute valeur d'un manuel pour bachot.
Et s'il est très juste qu'on voyage de plus en plus,
parce que les moyens de communication se multi-
plient, ce n'est pas un paradoxe d'affirmer que les
innombrables « primaires » du pays voyagent aussi
avec l'arrière-pensée de se - donner de l'importance,
et de s'instruire (oh ! le joli mot!) par le moins
d'efforts possible.
.Ces réflexions m'étaient venues, tandis que je
descendais de In montagne Sainte-Geneviève; je me
trouvai soudain dans la rue Saint- Julien-le-Pauvre)
et je pénétrai dans l'église de ce nom. ,
J'allais bien découvrir quelque bedeau pour m'in-
diquer tout ce qu'il faut savoir de cet édifice cu-
rieux.
En effet! J'entre, et la porte sonne pour l'appe-
ler. Et il accourt vite, obséquieux et frétillant. Il
ôte sa calotte pour me saluer, et comme il découvre
un crâne ovoïde d'une "'forme admirable, je calcule
que, seul, ce geste vaut deux sous. Il les aura.
Tout de suite, il m'entraîne vers une sorte de
meuble en bois, pourri; et, d'une traite, il me
débite :
— Ceci servait de chaire de vérité à Saint- Jean
Chrysostome. Ceci contient aujourd'hui des livres
d'arabe et de vieux grec (bon, trois sous pour ceci).
Monsieur remarquera au-dessus le chapiteau le plus
curieux de l'église, qui représente en architecture
le transitoire du roman au gothique. A gauche et en
face, ouvrage de marqueterie de Damas, partie en
cèdre, partie en olivier, partie en. citronnier, et dont
le tout est en bois des îles (oh! six sous! au moins
six sous!) L'autel est du XIVe siècle, les stalles du
XVII0. Mais la forme de l'abbaye au début, on ne
la sait pas. (Bravo! huit sous!) Il y avait une
tour pour le guetteur et un poitrail.! un portail
(douze sous!). mais ils furent démolis en 1615 par
les étudiants qui n'avaient pas réussi à se venger sur
leurs professeurs (quinze sous!). Saint- Julien-Ie-
Pauvre n'entra dans Paris qu'avec l'enceinte du
VIIIe siècle (dix-huit sous!). Et, enfin, il y a par
ici, dans la sacristie, une vieille statue en terre cuite
du Xe siècle, trouveè au XVIIe, et une collectiop.,
complète de cartes postales, représentant tous les
motifs architecturaux de l'église: je les vends dix
centimes pièce, et un franc la douzaine.
Oh! un franc n'est pas de trop! Un franc de
cartes, et 'un franc d'élcquence ! Quel modèle, ce
discours! Je veux l'apprendre par cœur pour le ré-
citer dans les salons, l'hiver prochain, dès qu'on
me parlera de Saint-Julien-le-Pauvre, car, dans les
salons, on parle beaucoup de Saint-Julien-le-Pauvre.
— N'est-ce pas, monsieur, c'est dans ce coin de
Paris si pittoresque (sous entendu : et si immonde,
ou je n'ai jamais voulu mettre les pieds).
— Mais oui, chère madame, on y voit une mar-
queterie de Damas, partie en cèdre, partie en ci-
tronnier, partie en olivier, et dont le tout est en bois
des îlest
Aujourd'hui, que les maîtresses de maison rêvent
de recevoir tous les gens connus, il faut bien qu'elles
invitent leurs grands épiciers (vins fins-poissons-
primeurs), et quand soi-même on n'est pas un grand
épicier, il est charitable pourtant d'avoir l'air d'un
grand épicier pour ne pas humilier le grand épi-
cier. Un bon citoyen démocratique doit toujours pa-
raître un sous-primaire pour donner aux primaires
l'orgueilleuse illusion qu'ils ne le sont pas. Aussi,
le récitatif du bedeau de Saint-Julien-le-Pauvre
m'enchante, et il me sera d'un grand secours la sai-
son prochaine.
Mais au cours d'une causerie, dans le hasard des
interruptions, on peut en venir à parler d'autres
beautés parisiennes que le Panthéon et Saint-Julien-
le-Pauvre. Et alors, pour ne pas être pris de court,
j'ai voulu, le même après-midi, monter aussi aux
tours de Notre-Dame. Merveilleux sujet les tours de
Notre-Dame! Ilj me semble quq c'est beaucoup
plus noble de monter là-haut que sur la colonne
de Juillet. Et puis, on est si royalement récompensé !
Le sonneur (cette fois c'est un sonneur) vous
accueille à la première terrasse par ces mots :
— Défense d'écrire sur les murailles, de sonner
les cloches, et de faire aucune ordure sous peine
d'amende.
Vous le regardez, un peu interloqué qu'il ait
mis en doute votre bonne éducation. Et il continue :
— Je dis ça, c'est pas tant pour monsieur, que
parce que je le dis à tout le monde. Aujourd'hui:.
les genss esquintent, esquintent! Et il y a évidem-
ment des visiteurs qui sont à peu près, mais les au-
tres se plaisent à la dégradation. Si maintenant,
monsieur veut voir les cloches, et vHler les chi-
mères, il n'a qu'à suivre le parapet et entrer par
la petite porte de bois. Je vous donnerai les expli-
cations quand vous reviendrez.
Je ne fais qu'un bond, et je reviens tout de suite.
Je suis trop avide de l'entendre. Il s'y prête de
bonne grâce. Sa phrase est courte et bien, martelée.
— Le gros bourdon, dit-il, que vous venez de
soir, date 'de Louis XIV. On l'a appelé le bour-
don de Sébastopol. Il pèse 18.000 kilos; il a 28
centimètres d'épaisseur, 2 m. 70 de largeur, et il
faut huit hommes pour le sonner. On me donne
ce qu'on veut. C'est mon petit bénéfice.
Bon. Je frappe sur mon gousset, et je ne donne
rien. Un gros monsieur, qui a admiré le gros bour-
don avec moi, glisse cinquante centimes; l'homme
croit que c'est pour nous deux, et j'ai ainsi ma
part de ses remerciements.
Je monte encore cent marches, et me voici en
haut de la tour. Que les sonneurs sont bêtes, mais
que Paris est beau! -
Il fait, après les pluies de la veille, de l'avant-
veille, après les pluies de deux mois, un ciel lavé,
net, et bien bleu, sur qui des nuages ronds; tout
éclatants de blancheur, roulent et se dépassent com-
me s'ils s'amusaient à faire des ombres sur cette
grande ville. Grande et si vieille !. Oh! je n'au-
rais jamais pensé que Paris fût si vieux! Que de
toits aux tuiles rousses, de ces toits rôtis de soleil
et souillés d'eau, qui se serrent les uns contre les
autres dans le fouillis pittoresque du Mirais, et
dans la proue de l'île Saint-Louis, et sur la pente
de cette rive gauche, si originale. Et partout, quelle
que soit la maison, haute ou basse, antique ou mo-
derne, les petites cheminées rouge vif s'alignent
sur la crête des toits, dix par ici, et vingt par là :
est-ce qu'elles marqueraient le nombre des habi-
tants ?. Mais à Paris, grâce à Dieu, il n'y a pas
que des maisons : il y a aussi quelques arbres.
J'aperçois le Luxembourg dont la verdeur paraît
toute neuve et toute fraîche sous le plein soleil que
les nuages ont dégagé; et, là-bas, devant moi, entre
les peifpliers les plus beaux de la ville* la Seine
coule sous ses ponts, puis se dérobe en filart à
gauche, mais l'Arc-de-Triomphe, plus loin, est dé-
coupé sur le ciel d'une façon si étrange, qu'on se de-
mande si ce n'est pas un dernier pont sur le fleuve
i€tréci. L'air est tiède. Je suis tout seul avec
Paris. Comme c'est cIlarmant, et comme c'est amu-
sant !.
- Monsieur. monsieur. me souffle une voix,
avez-vous regardé toutes ces fourmis?
Allons bon! C'est le sonneur qui vient de monter
avec le gros monsieur. Des fourmis? Où ça? Je re-
garde sur les dalles, à mes pieds. Mais il reprend :
- En bas, monsieur, tout en bas, les gens sur la
place. Gros comme des fourmis!.
Et lui, comment donc semble-t-il gros? Je parie
bien que, même du haut du ciel, Dieu le père dis-
tingue sa bêtise énorme!
¡ René Benjamin.
gmi 11 wn—i i ■■!■■■ !■■■■■■ n i■ iwp ■■■■■■
Les règlements ne sont pas pour tout le monde
Le Skjf-Skrapper continue
J'ai été fort surpris, hier, comme je passais ave-
nue des Champs-Elysées, de constater que le fa-
meux gratte-ciel, qui fait l'angle de la rue de
Presbourg et qui dépasse de 80- centimètres la
hauteur réglementaire, n'était- pas encore démoli.
Le soleil dorait, léger et insouciant, la cime de
pierre, et rien ne semblait même indiquer que des
préparatifs fussent faits pour assurer l'exécution
de l'arrêté du conseil de préfecture qui a condam-
né les propriétaires de l'hôtel à ramener le mons-
tre à des proportions plus décentes : aucun écha-
faudage, aucun ouvrier à l'horizon.
Vous vous rappelez la question de l'hôtel A. Le
Gil Blas l'a exposée, il y a quelque temps déjà, et
j'ai dit par quelles vicissitudes avait passé, à l'Hô-
tel de Ville, le naïf contribuable. C'est moi-même
qui avais tenté de mettre le nez dans cette affaire.
Faisant le coin de l'avenue des Champs-Elysées
et de la rue de Presbourg, on a bâti, au mépris de
tout sentiment artistique, un immeuble colossal
qui, non seulement atteint les limites excessives
prévues par le décret de 1900, mais encore les dé-
passe.
Comment l'administration a-t-elle pu être assez
négligente pour laisser se commencer et s'achever
une telle construction ? Comment parvint-on à vio-
ler ainsi toutes les règles ? C'est encore un mys-
tère assez obscur.. Lorsqu'on veut l'éclaircir, on se
heurte à l'étonnement de multiples personnages,
qui, tous, tentent de dégager leur responsabilité.
Toujours est-il qu'on s'aperçut trop tard de l'in-
fraction commise. On n'eut que la ressource d'en
saisir la juridiction compétente, le conseil de pré-
fecture, qui ordonna la démolition de la partie
surélevée. L'arrêt est du 27 novembre 1907.
Les intéressés ayant fait la sourde oreille — évi-
demment parce qu'ils se savaient soutenus — on
réclama la démolition d'office. quitte à récupérer
ensuite sur les propriétaires eux-mêmes les som-
mes ainsi dépensées. Un mémoire du préfet de la
Seine fut introduit devant le conseil municipal
pour obtenir de ce dernier les crédits nécessaires,
se montant à 70.000 francs.
Rien n'y fit, et depuis ce temps, le crédit n'a pas
encore été voté. Pourquoi ?
Personne ne paraît le savoir. M. Emile Massard,
le sympathique conseiller municipal, qui a pris à
cœur depuis si longtemps — depuis toujours —
les au estions intéressant la beauté et les commo-
dités de Paris, adressait, le 3 mai dernier, la lettre
suivante à M. le préfet de la Seine :
3 mai 1910.
Monsieur le préfet,
Dans la séance du 9 juin 1909, j'ai eu l'honneur de
vous adresser une question sur l'observation des lois,
règlements et servitudes concernant le style et la hau-
teur des maisons.
Entre autres choses, vous m'avêz répondu ceci : « On
a signalé une maison, place de l'Etoite, d'une hauteur
excessive. Un procès-verbal a été dressé, un jugement
a été obtenu, et injonction a été signifiée au propriétai-
re de ramener sa construction à la hauteur réglementai-
re. Ce propriétaire ne s'y étant pas conformé, un mé-
moire, dont vous allez être saisi vous demande les cré-
dits nécessaires pour exécuter d'offdce les travaux. »
Vous mettriez le comble à votre obligeance en me
faisant savoir si ce mémoire a été déposé. M. le rap-
porteur général du budget n'en a pas connaissance.
Comme il y a déjà onze mois que cette déclaration a
été faite, on pourrait s'étonner que la promesse formu-
lée faite, tribune n'a pas été tenue.
lée à l'a
Mais je pense que le mémoire, a été déposé, et je vous
demande de vouloir bien me faire dire à quelle date et
quel est son numéro d'ordre.
Avec tous mes remerciements, veuillez agréer, etc.
Et voici le deuxième document, daté du 12 mai
1910, qui est la réponse de M. le préfet :
En réponse à votre lettre datée du 3 de ce mois, qui
m'est parvenue le 11, je m'empresse de vous faire con-
naître que, par mémoire en date du 9' juillet 1909, enre-
gistré sous le numéro 1357, j'ai demandé au conseil mu-
nicipal l'allocation d'un crédit de 70.000 francs, destiné à
pourvoir à réédition d'office de l'arrêté du conseil de
préfecture du z7 novembre 1907, qui a prescrit la démo-
lition des parties de construction non réglementaires de
l'immeuble sis avenue des Champs-Elysées, 133, rue de
Presbourg, 1, et rue Vernet, 1.
Veuillez, agréer, etc.
Le crédit a été demande le 9 juillet 1909. Nous
entrons dans le mois d'août, année 1910. Avouons
qu'on ne s'est guère pressé. Je suis aussi patient
que l'administration. Je m'en fus, au retour de
ma promenade aux Champs-Elysées, frapper à li
porte de M. Massard qui, une fois déjà, on s'en
souvient, m'avait réconforté.
« Vous tombez bien, me dit-il. Je me suis préoc-
cupé à nouveau des lenteurs de l'affaire qui vous
amène. Je viens d'écrire, hier, à mon collèges-M.
Dausset, rapporteur général du budget, pour lui
rappeler l'existence ,d!e ce mémoire, qui, vous Il
savez, date déjà de cannés dernière. On a oublié
de raire cette demande de crédit dans le budget de
1910 ; il est urgent qu'on l'insère dans le budget de
1911 et qu'on arrive enfin aux travaux. Je ne dou-
te pas que mon excellent collègue et ami, M. Daus-
set, n'ait à cœur, lui aussi, l'aboutissement rapide
d'e cette affaire. »
Je buvais les paroles de M. Massard. Ainsi donc,
dans le prochain budget municipal, nous verrons
figurer le fameux crédit, et on songera peut-être en-
suite à exécuter l'arrêté du conseil de préfecture.
Doit-on le croire ?
Je n'ajoute qu'un simple mot. Est-il besoin, pour
en finir avec ce cauchemar, de tant de retards, de
procédures et de chinoiseries ? Est-ce que le pré-
fet de la Seine et la direction des beaux-arts, s'ils
le voulaient, ne pourraient pas, dès maintenant et
sans délai, faire les avances nécessaires à la dé-
molition prescrite ?
La difficulté du remboursement ne fait pas ques-
tion, j'imagine, et l'immeuble est toujours là de-
bout, qui ne s'envolera pas, et qui garantit solide-
ment les frais dans lesquels on s'engagerait. Et
puis. il y a un fait qui domine tout : l'administra-
tion a été la première fautive. C'est son manque
de surveillance qui a permis l'édification de la par-
tie surélevée. Qu'elle répare sa faute avant de s'in-
quiéter du reste, -
Ludovic Hoff.
lA ROSE PARFUIW OE LA FI EUR
LA ROSE HOUBIGANT. 19. Fa Saint-Honoré,
IMPRESSIONS D'UN SPECTATEUR
Chapiro ou le témoin presse
M. CHAPIRO (Prenant une lettre qui vient d'arri-
ner). — Enfin! voilà ce que j'attendais. (regardant
l'en-tête) c'est bien ça : CHAMBRE DES DÉpuTÉs. Pas
de doute, je suis convoqué (décachetant). devant la
commission d'enquête. et pour aujourd'hui. Ils y
ont mis le temps!. (A sa femme qui entre} Tu voise
ma chérie, voici ma convocation. Que dis-tu ?.i
Qu'il faut que j'y aille?. Bien entendu, j'irai, et
tout de suite encore. J'ai hâte de me laver des ac-
cusations qu'on a portées contre moi. Mon chapeau,;
ma canne. Merci.
(S'asseyant et regardant. sa femme). Comme tu ei
jolie aujourd'hui, ma chère femme. (Se carrant
dans un fauteuil) et comme il fait bon être près de
toi. Oui, oui, je sais. l'heure s'avance. Sois
tranquille, je suis convoqué. j'irai. j'ai hâte de
me laver, etc. (Se carrant davantage) Mais c'est
égal. on est bien chez soi. il y a des jours où TODI -
n'a pas envie de sortir. où l'on aimerait lire tran.
quille, sans faux-col., en manches de chemise.
Bon, bon. c'est entendu. Je m'en vais.
(Dehors. Hélant un taxi) Chaiulfeur. à la Cham-
bre h.. Quel chemin faut-il prendre,
Celui que vous voudrez. mais je suis presse. j'ai
hâte de me laver, etc. Tenez, prenez par la Bas-
tille., la porte d'Ivry., l'Arsenal., le Val de
Grâce., la porte Clignancourt., mais faites vite.
J'ai hâte de me laver, etc. (Le taxi s'arrête brus-*
quement) Sapristi. voilà bien ce que je craignais.
la panne, la hideuse panne. Que dites-vous, chrnf-
feur?. Le carburateur est détraqué?. Sapristi de'
sapristi. enfin, ça ne fait rien. j'ai beau être pressé
de me laver, etc., prenez votre temps. vous sa-
vez, j'aime mieux ça qu'un accident. (Le iaxi reptffÍf.
au bout de cinq quarts d'heure). Comme on est bien
dans ces taxis, tout de même!. Et on va vite. il
n'y a plus de distances. (Avec un soupir) pas assez c
de distance (On aperçoit le fronton du Palais-Bour-
bon) Ah 1 Ah! voici la Chambre. enfin. je vaial
donc pouvoir me laver. (Regardant sa montre) Trois
heures. la commission doit être en pleine séance.
(Le taxi s'arrête). Combien vous dois-je, chauf-
feur ?. Sapristi, je n'ai pas de monnaie. Rendez-
moi sur dix francs. et pas de mauvaises pièces, sur-
tout. j'ai beau être pressé de me laver, etc. je tiens
cependant à les vérifier toutes.
(Entrant à la Chambre) La commission d'enquête,
je vous prie?. Comment, elle s'est ajournée au 6
octobre?. (Avec tin soupir de délivrance) au 6 oc-
tobre!. (Feignant la colère) C'est une indignité!.
Une honte!. moi qui n'ai pas déjeuné pour répon-
dre plus vite à ma convocation!. Vous aurez de mes
nouvelles.
(SUT le quai, avec amertume) Et voilà comment on
traite les témoins en France!-..
Puck.
ï.. —i
BANDERILLES
M. Lefort et M. Giraraidèt sont «n controverse, au-
tant dire en dispute, au sujet de la danse: Même, en
dépit du maintien et de la callistliénie que l'un et
l'autre professent, quelques gros mots ne seraient
guère pour étonner, la langue, au bout du compte,
n'étant point rangée parmi les organes qu'il faut
assooiiplir et contraindre aux gestes arrondis.
M. Lefort a inventé une danse d'actualité, la
« Chanteclerette », qualifiée par le vilain jaloux
qu'est M. Giraudet de « danse de plumes ». - C'est'
cuisant. M. Lefort aura de la peine à guérir la bles-
sure d'un trait si cruellement barbelé. Peut-être aussi
lui suffira-t-il d'attendre qiue M. Giraudet lance la
« Lépinette » ou la « Liavache » (s'il est un fémi-
nin digne de Liabeuf), pour fulminer, à son tour,
des censures flétrissant-es et définitives.
A vrai dire, c'est la décadence de la chorégraphie
mondaine, c'est non plus seulement la vulgarisation,
mais la vulgarisation du bel air et des gestes élé-
gants. Le chancre de la surenchère ronge la danse,
comme il dévore les élections et le budget : à force
d'apprendre des pas sauvages et compliqués, les
jeunes filles, 'bientôt, ne sauront plus entrer dans
un salon ni ouvrir leur ombrelle.
Ah ! qui nous rendra, autrement que sous forme
de mascarades occasionnelles, les menuets et les ga-
vottes de nos aïeules?
On ne cherchait point alors à serrer de près des
tailles et des poitrines, à étaiblir des contacts entre
des jôues humides et rougissantes, à .s'adjuger des
records d'enjambées -sensationnelles ou de déhanche-
ments équivoques.
On s'évertuait plutôt àr- qtri serait le plus gïacïexbe
et le plus séduisant, dans une sorte de scène mimée,
où se trouvait réuni ce que la vie de cour offrait de
plus joli et de plus raffiné». Un bon danseur de me-
nuet, une bonne danseuse de gavotte, devaient savoir
marcher, saluer, donner la main et sourire. De telles
danses étaient des madrigaux vécus où chacun tenait
son rôle et où celui-là emportait la palme qui avait
à la fois le plus de réserve, le pitus d'aisanoe et le
plus de galanterie.
Que le diable n'y perdît rien, c'est une autre af-
faire. Du moins la damnation avait-elle une formtt
si élégante et si pleine d'attrait, que les horreurs en
devenaient tout à fait imperceptibles.
La walss allemande a tout gâté par ses étreintes
et ses tourbillons. Ensuite, quelle dégringolade ! Le
boston, le quadrille américain, la mattchich : tout
un assortiment de grâce transatlantique, évoquant
du même coup le Peau-Rouge et le riche éleveur de (
porcs.
Souhaitons, Monsieur GiraïuJdet, de pouvoir dire
bientôt, fût-ce au prix d'un hideux calembour :
« Plaisir d'Armour ne dure qu'un moment. »
Gérard de Beauregard.
LA VILLE ET LE MONDE
Carnet Mondain
PARIS :
Aujourd'hui, M. et Mme Martin-Furth donneront uns
dîner en l'honneur du ministre de Bulgarie et de Mme
S'tancioff.
— Mme Leghait, femme de l'ancien ministre de Bel-
gique à Paris, passera tout l'été dans notre capital.
Elle continuera à recevoir les samedis et lundis à partir
de quatre heures et demie,
IlOnS PARIS
La saison de Noirmoutier, favorisée par un temps
superble, continue à attirer beaucoup de monde. Les
parties de goLf et de tennis se poursuivent avec beau-
coup d'entrain. Reconnu sur la terrasse de la plage :
Comtesse Benoist d'Azy. comtesse de Boigne, mar-
quis et marquise de Gontaut-Saint-Bîancard, comte efl
comtesse de FraquieT, marquis et marquise de Dam-
pierre, commandant et Mme de Navacelle, vicomte G<
de Cholet, M .et Mme R. Delagrave, marquise de Chau-
velin. Mme de Juzencourt, baronne de Lallemand, vi-
comte et vicomtesse Louis des Garets, comtesse de
Montcabrier, comte et comtesse de Cathelineau, Mme
Feuilleton du « GIL BLAS» (No 9)
LES
FEMMES"'DU JOUR
~~2~
ALBERT ERLANDE
LX
Grandier reconduisit son beau-frère e1 en
lui serrant la main :
— Excuse-moi si je lui obéis. si je te tiei*s
rigueur. en apparence. viens me voir à l'u-
sine. Excuse-la, elle aussi. un si grand
changement dans sa vie. tu comprends.
l'est-ce pas.
Des sanglots troublent sa voix.
Quand il revint près de sa femme, elle était
à demi évanouie.
— Manon. Manon.
Elle hoeba la tête :
— Et tout cela, tout cela, gémit-elle, parce-
que au début de ma grossesse. tu t'en sou-
viens. j'étais furieuse. et j'ai écrit quelques
notes méchantes où je déplorais mon Bort.
c'était mal. je comptais les détruire. il les a
trouvées dans mes papiers. il m'a insultée.
— Et tu m'as accusé d'être son complice.
— Pardonne-moi.
n- l'aide à ôter son chapeau et sa jaquette
qu'elle avait gardés, puis il s'agenouille de-
vant elle.
— Tu es jolie.
La lassitude lui donne l'aspect d'une femme
émue. Un sourire écarte ses lèvres enfantines
,et découvre ses dents. Ses paupières se fer-
ment. Le faux éclairage rend ses. joues creu-
ses.
Et Grandier pense en la voyant ainsi qu'elle
pourrait mourir. Il eut peur et pleura sur les
genoux de Manon. Emouvante minute pen-
dant laquelle s'éveilla en lui un sens nouveau
pour l'aimer 1
Et Manon se disait qu'elle pourrait avoir de
la puissance sur les hommes. N'avait-elle pas
triomphé de son frère qui la détestait et pos-
sédait de quoi l'accahler et la confondre et n'a-
vait pas osé.
Ne triompherait-elle pas de son mari dont
les larmes lui paraissaient grotesques.
Et elle se dit aussi que lorsqu'une femme a
igagrié la confiance et touché ia générosité de
l'homme avec qui elle vit sans l'aimer, elle
êst en possession de sa liberté et des armes
dont elle serait bien solte de ne point se ser-
vir.
OCI
Le lendemain, Manon Grandier reçut à son
réveil, la lettre suivante a
Madame,
Je me trouve, après avoir lu votre livre,
dans la situation d'un homme désolé qui n'ar-
rive pas à faire accorder un grand talent avec
les nécessités de nos publications actuelles.
Votre talent est incontestable, et pourtant il
ne cadre pas avec les exigences de nos publi-
cations à 0 fr. 95 et illustrées.
Je viens de relire les Vendangeuses. C'est
plein de fougue et de couleur. Mais votre hé-
roïne est romantique et allez donc remonter le
discrédit (justifié ou non) qui s'attache à tout
ce qui est romantique 1
Aujourd'hui, hélas, on lit peu et on lit mal.
En somme, on parcourt. C'est pourquoi le lec-
teur va droit aux livres ramassés et d'action
une.
Celle des Vendangeuses est complexe, nou-
velle, touffue et demanderait au publie tm tra-
vail que nous ne sommes plus en droit 4'exi-
ger de lui.
Les Vendangeuses restent iceuvre très pre-
nante d'un artiste. Si on tentait sa publication
on pourrait i-éussir. Mais avec notre collec-
tion, il faut jouer à coup sûr, autant que cela
est humainement et commercialement possi-
ble. Un échec est une catastrophe. Il nous faut
un premier tirage à 15.000 exemplaires. Il faut
qu'il s'écoule. Je ne crois pas que cela soit
possible avec les Vendangeuses.
Je vous fais donc retourner, par pli recom-
mandé, votre manuscrit.
Croyez, madame, à une admiration augmen-
tée enCOl'e. par la lecture de votre livre et aux
reqrets que j'ai de ne pouvoir conclure cette
affaire avec. vous.
GROSSOLIN.
Manon faillit perdre les sens. Elle eut l'im-
pression que les jointures de ses membres se
désarticulaient ; une sueur glacée la recouvrit
des pieds à la tête ; la colère la secoua et son
orgueil la remit en possession d'elle-même.
Elle se, lève, prend un tub, déjeune,* s'ha-
bille et. en moins d'une heure, elle est aux bu-
reaux de la Minerve, boulevard des Italiens.
Elle n'avait pas revu Paul-Emile Valcourt
depuis le dîner mémorable du 5 octobre. Vàl-
court s'était contenté d'envoyer prendre de ses
nouvelles.
Après dix minutes d'attente, on l'introduisit.
Dangé avance un siège à Manon qui attend
que Valcourt ait fini de téléphoner.
Il raccroche les récepteurs :
- Eh bien, chère madame ?
— Je vous apporte un roman.
Les deux bras au plafond, il s'écrie f:
- Vous aussi t
- Pourquoi pas ?
Il se promène, dans son bureau, comme un
amiral sur le pont de son navire. Manon le
suit des yeux.
- Et qu'est-ce que c'est que ce roman ?
•— Les Vendangeuses.
— Je n'en veux pas f Grossolin m'en a par-
lé. C'est très beau. mais ce n'est pas ça !.
— Prenez-lé pour Vos éditions. à bon mar-
ché.
- NtJâ éditions !«. feeia hn nous ne publia
rons que des œuvres parues chez nous. en
feuilleton. Et comme vous êtes une amie, je
vais vous annoncer une chose : Nous rema-
nions notre affaire d'éditions. parfaitement.
Nous la montons sur un pied colossal. Je rou-
lerai, je ruinerai Grossolin et les autres. car
écoutez bien ceci.
Il devient charlatanesque :
- Nos volumes ne coûteront pas 1 fr. 50 ;
pas même 1 fr. 35 ; ni 1 franc ; ni 0 fr. 95,
mais 80 centimes. Nous les vendrons 80 cen-
times, et cartonnés et illustrés. Tirage à
35.000. \u moment où vous êtes entrée.
j'acceptais le premier ouvrage. Ne me de-
mandez pas l'auteur. C'est étonnant. ça
bouleversera les foules. Vous verrez. vous
applaudirez., oui. mais rien à conclure ave3
vous, pour l'instant du moins, désolé, désolé.
Il arpente le cabinet directorial, les mains
dans les poches de son veston, la boutonnière
fleurie d'œillets blancs. Quelle compacte sil-
houette forment ces épaules athlétiques, d'où
sort une petite tête de serpent rejetée en ar-
rière !
Manon considère cet homme qui, dix jours
auparavant, lui demandait presque de devenir
sa maîtresse, l'honorait entre toutes, à la face
de Paris et qui la chassait, aujourd'hui, avec
désinvolture.
Elle se lève. Il la reconduit avec mille poli-
tesses et, la porte fermée, il se campe devant
Dangé et rit :
— Vous avez été roulant, patron.
— Mon petit, elle est d'une maigreur. On ne
s'évanouit pas publiquement avec une ossatu-
re pareille. Puis. je suis arrivé à mes fins,
grâce à ce sacré banquet. Madame la mar-
quise de Maubrun a rappliqué. nous Ten-
chaînerons. elle est enchaînée ! Elle en fera
une grimace, notre Manon, quand elle lira le
Phœnix. Quel titre et quel symbole ! Le Phœ-
nix. la France qui ressuscite de ses cendres
avec toutes ses croyances, ses légendes, toutes
les blagues. C'est une croisade que ce bou-
quin. Nous avons déjà des abonnés dans le
Faubourg. et parmi les évêques. bravo !.
Il se livre à une improvisation lyrique. dé-
crète qu'avant peu il sera à la tête du plus
grand journal du monde.
[Dix pages ; deux romans littéraires, un
roman prodigieux ; un service de dépêches
prodigieux ; une armée de rédacteurs politi-
ques qui combattra pour la bonne cause !.
— Quelle est-elle ? N'interrogez pas encore
Valcourt. Attendez]
- Au travail.
Il s'agit aussi de fonder et d'organiser une
maison d'édition qui défiera la concurrence,
attirera tous les écrivains.
Valcourt a la fantaisie de laisser un nom. Il
est homme à y parvenir.
Manon ne sait à qui proposer son roman.
Elle n'a plus d'espoir qu'en son éditeur AI-
denheim, rue Laffitte.
C'est un petit vieillard maigre avec un front
énorme, des yeux imperceptibles et brillants
entre des paupières bouffies ; cheveux rares,
barbe en pointe, longues mains nerveuses sor-
tant de manches trop courtes.
Ancien banquier, vieux garçon, immensé-
ment riche, il a acheté la maison Wurtz et La-
chaux, l'a remontée, en a fait un des premiers
comptoirs de Paris.
Les classiques étrangers en usage dans les
lycées et collèges, des traités de sport compo-
saient le fond de sa librairie. Leur vente assu-
rée lui permettait de s'occuper d'oeuvres litté-
raires.
Manon Grandier, Marie Impéria, Laugier
Varennes lui avaient confié leurs premières
œuvres.
Il habitait, quai Malaquais, un vaste appar-
tement encombré de livres, de bibliothèques
et d'estampes.
Il vivait aussi simplement qu'un étudiant
ou qu'un bohème, aimaiM'art, les artistes, la
littérature. Il lisait tout ce qui paraissait et il
suffisait d'avoir eu quelques strophes impri-
mées dans une petite revue, pour n'être pas
un inconnu pour Aldenheim.
Il écoute Manon lui affirmer que leur inté-
rêt commun exige qu'il publie au plus tôL les
Vendangeuses.
- Non. Il faut attendre.
— Quoi ? La résurrection de mon onclei
Gardaillan ?
— Non. que la librairie triomphe de la:
crise.
— Où l'ont plongée les éditions à bon mar*
ché, interrompt vivement Manon.
— Parfaitement, réplique Aldenheim, de sa)
voix douce et têtue.
— Pourquoi ne lancez-vous pas une colIec-
tion.
- Je vais en lancer une,
- A combien ?
--- Je ne peux rien dire. Cependant. j'en-
suis un amateur de livres moi. Dans moni
nom il y a ALDE — (il sourit). Eh bien. si
Grossolin et auLres ont croulé le livre à 3 fr. 50
avec le livre à 19 sous ; moi je croulerai le li-
vre à 19 sous avec le, livre à 6 francs ! Oui à' :
6 francs. vous verrez et je tuerai les prix..,.
les prix de littérature.
Manon craint qu'il ne soit devenu fou.
— Et vous ne publierez pas encore un petif !
à 3 fr. 50, pour moi ?.
— Non. non.
Elle eut beau supplier. Il M inébranlable,;
« A qui s'adresser ? » A des éditeurs 'de troiV:
sième ordre, sans capitaux, inconnus du pu-»;
blic, mal vus par les libraires, timides, recu- j
lant devant la réclame et qui lui demanderont!
certainement de faire les frais de son livre !..OI:
On la croit riche.
La voilà plus empruntée qu'une débulanté..
Bali ! Comme Lamartine, elle sera son pro-
pre éditeur. Elle fera un manifeste pour an-
noncer au monde à quelles extrémités en,
étaient réduits les grands poètes !
Où prendre l'argent ? Elle vendra une ba-
gue, enverra des prospectus à ses connaissant
ces. Cela ne manquera pas 'd'une certaine aK
lure, voire de grandeur 1
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