Titre : Gil Blas / dir. A. Dumont
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1907-01-03
Contributeur : Dumont, Auguste (1816-1885). Directeur de publication
Contributeur : Gugenheim, Eugène (1857-1921). Directeur de publication
Contributeur : Mortier, Pierre (1882-1946). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 03 janvier 1907 03 janvier 1907
Description : 1907/01/03 (A28,N9937). 1907/01/03 (A28,N9937).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-209
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 30/07/2012
me ANNEE. — NUMERO 9937
PARIS ET DÉPARTEMENTS : Le Numéro 15 Centimes
JEUDI 3 JANVIER 1007
A. PÉRIVIER — P. OLLENDOREE
DIRECTEURS
11, Boulevard des Italiens, 11
PARt6(S"Arr't
TËLtPHONE: 102-74
la Manuscrits ne sont pas rendus.
« Si tu me lis avec attention, tu trouveras ici, suivant le précepte d'Horace,
futile mêlé à Vagréable. »
(Préface de Oil Blas au lecteur).
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ANNONCES et RÉCLAMES c
Chez MM. LAGRANGE, C^RFJfcî?H
8, Place DB LA Bourbu/S ;\lo, j|
Et à VAdministration du
Les Rois
du Diamant
Grande rumeur dans les diverses Bourses
d'Europe : le diamant monte 1
Vous tous qui, comme moi, ne portez pas de
diamant et n'avez pas de crédit chez l'agent
de change, cela ne vous dit nen, sans doute,
que le diamant monte et descende. Mais il pa-
raît, tout de même, que la nouvelle est très,
importante, et, dans les environs de la rue
Vivienne, hier, vers trois heures, on ne ren-
contrait que des groupes d'hommes cossus,
revefus de confortables pelisses se répétant
run à l'autre d'un air affairé : « Le diamant
monte ! »
Il y a eu, en effet, très forte hausse sur la
De Beers, et les pierres resplendissantes du
Gap vont atteindre cette année des prix réser-
vés jusqu'à ce jour aux antiques trésors que
gardait l'Inde merveilleuse.
La raison de cette hausse. ? Je l'ignore. On
ignore toujours les vraies raisons de ces cho-
ses-là. Peut-être un simple caprice de milliar-
daire qui a pesé de tout le poids de son coffre-
fort sur la balance du Stack-Exchange, de
Londres. Peut-être un simple hasard. Peut-
être rien.
Pourtant, si j'en crois mes souvenirs de
l'Afrique Australe, je crois comprendre pour-
quoi la De Beers s'est tout à coup élevée. Des
spéculateurs, des chercheurs de trésors, des
prospecteurs de mines avaient escompté la.
possibilité de trouver, dans les environs- de
Pretoria, le long des rives de l'Elandsriver,
de nouveaux champs de diamant. Les gens de
Kimberley en étaient même quelque peu in-
quiets, car la découverte de diamants incon-
nus eût amené une concurrence désastreuse
pour la De Beers. Et c'est pourquoi, les cours,
depuis longtemps, se maintenaient stationnai-
res, sans oser monter et sans se résigner à
descendre encore.
Or, les recherches tentées dans la région de
l'Elandsriver ont été absolument infructueu-
ses. Pas plus de diamant que dans les fouilles,
du Métropolitain. Et Kimberley a repris toute
sa joie. Et les nouvelles qui nous arrivent de
là-bas nous apprennent que dans la fameuse
cité de Cecil Rhodes, les rois du diamant, hé-
ritiers obscurs du magnifique empereur du
Cap, s'apprêtent à gagner des millions fantas-
tiques !
.-.
De biéns curieux personnages, que les fas-
tueux rois du diamant, tous archi-millionnal-
res aujourd'hui, hier valets de bar ou ba-
layeurs de mines, lesquels, dans les cités neu-
ves de l'Afrique Australe, ne savent en quel-
les fabuleuses folies, ils peuvent dépenser
leurs innombrables livres sterling.
Je ne parle pas, naturellement, du plus
grand de tous, celui vers qui vont tout de
suite nos imaginations d'Européens toutes
remplies encore de souvenirs de l'épopée sud-
africaine : Cecil Rhodes.
Celui-là, en vérité, plane à cent mille cou-
dées au-dessus des spéculateurs vulgaires. Le
diamant comme l'or ne furent pas pour lui
des buts, mais des moyens. Simple dans ses
goûts et grandiose dans ses idées, il n'aimait
pas la fortune pour lui-même. Il en faisait le
levier de ses vastes rêves d'empire:" Il fut un
des aventureux les plus attrayants qu'ait pro-
duit l'active race anglo-saxonne. Il restera
une des figures les plus séduisantes et aussi
les plus énigmatiques que chercheront à devi-
ner les poètes futurs. Si son nom domine
Kimberley, comme il domine Johannesburg,
c'est par la puissance du génie et non pas seu-
lement par la hardiesse des spéculations fi-
nancières. Il fut roi du diamant, comme il fut
roi de l'or, comme il eût été roi dans n'im-
porte quel champ nouveau de la vie moderne.
Ne citons donc son nom que pour le saluer en
passant.
Mais les autres, les vrais spéculateurs, ceux
qui n'eurent de valeur réelle que par la for-
tune rapide qu'ils échafaudèrent, ceux-là, aus-
si, eurent leur heure de célébrité, et quelques-
uns d'entre eux montrèrent des physionomies
pittoresquemerf, caractéristiques.
Le plus étr/nge et le plus populaire, à coup
sûr, fut le fameux Bornato qui jadis clown de
cirque devint en peu d'années un des princes
de la finance mondiale.
Bornato ! Je le revois encore avec sa face
rasée, ses yeux pétillants de malice, ses lèvres
minces de pince-sans rire, son corps souple
et musclé où la plus correcte des redingotes
n'arrivait pas à dissimuler tout à fait les con-
torsions habituelles de l'ancien pitre de music-
hall !
Que de légendes on a racontées sur J'origi-
ne de sa fortune ! Chacun avait une histoire
différente, et lui-même en narrait une nou-
velle chaque jour, car il était resté un fantai-
siste impénitent qui, non seulement, ne cher-
chait pas à cacher l'humilité de ses débuts,
mais qui, plutôt, semblait profiter de toute
occasion pour montrer qu'il était incompara-
ble dans les exercices -de clown et de presti-
digutateur.
Je me rappelle avoir fait avec lui, quelques
années avant sa mort, un voyage d'Europe au
Cap, sur un paquebot de la « Castle Line ».
Il y avait des lords anglais, un futur vice-roi
d'Irlande, des dames blondes et sveltes qu'on
eût dit surgir d'un roman de Walter-Scott,
des bourgeois rouges et cossus venus en droite
ligne de Dickens et quelques nouveaux mil-
lionnaires de l'Afrique Australe que nul ro-
mancier de la classique Angleterre n'avait osé
prévoir. Parmi eux, le plus illustre, le plus
riche, était Barnato.
Dans les premiers moments, les relations
étaient quelque peu froides entre ces héritiers
des pa,irs et ces rois de la finance moderne.'
Mais, peu à peu, Barnato dégela la glace la
plus compacte, et ce diable d'homme, le troi-
sième jour, était véritablement le roi-du pa-
quebot. Impassible, les lèvres vissées, le geste
rare, ayant en quelque sorte toute sa vie dans
les yeux, il passait sur le pont raide comme
un automate ; puis, tout à coup, il imaginait
une fantaisie si imprévue, si endiablée, si ver-
tigineusement acrobatique et en même temps
3i britanniquement correcte, que ce peuple
amoureux de sport et d'excentricité éclatait
en bravos et en rires et que le milliardaire
aux gestes de clown était soudain entouré par
la curiosité générale.
Il faisait jongler, sur le pont, des chaises
comme de simples pelotes ; il prenait, au fu-
moir, les cartes à jouer et les faisait voltiger
comme des papillons sans qu'une "tile tombât
à terre ; au salon, il faisait passer les fleurs
d'un vase à l'autre sans laisser deviner com-
ment : etx à table, il escamotait le beafteck du
bon vieux capitaine à face de loup de mer,
qui riait en faisant craquer toutes les rides de
son visage brûlé à tous les tropiques, et qui.
s'écriait, en se tournant vers moi, par cour-
toisie pour ma langue nq^le. : -,--- -
— Aôh 1 mister Barnato, very rigolo ! very
rigolo 1
Et quel boute-en-train que ce roi du dia-
mant 1 Il organisait des bals sur le pont, bat-
tait la mesure; valsait lui-même en tourbil-
lons étourdissants, et les plus hautaines des
ladies se laissaient emporter dans les ailes
de sa danse folle 1
Vraiment, nous étions tous ses sincères
amis à la fin du voyage, et nous admirions
la prodigieuse vitalité de cet homme qui, étant
devenu un des plus riches du monde, portait
avec orgueil le souvenir de ses obscures an-
nées 1
j'a su depuis que, sous cette joie débor-
dante et entraînante, oBrnato cachait une pro-
fonde mélancolie et cette espèce de spleen
dévorant que tant de riches Anglais gardent
dans leur âme. Il tournoyait et riaitu pour
s'étourdir lui-même, et on eût dit que l'ef-
frayante rapidité de sa fortune lui eût laissé
une agitation de toute son âme, comme les
escalades sur les montagnes laissent à cer-
tains touristes un tremblement perpétuel. Sa
fin fut fantastiquement tragique. L'ancien
clown qui avait amusé tout le monde, le mil-
lionnaire joyeux et boute-en-train qui suffisait
à animer toute une assemblée disparate, un
triste jour, en pleine mer, du haut d'un pa-
quebot, fit sa dernière cabriole dans les va-
gues. Pauvre Bairnato ! Il sut répandre le
plus de bien qu'il put autour de lui et, à
Johannesburg, il est resté populaire. Il est
bien rare d'être devenu riche en quelques
mois et d'avoir laissé de bons souvenirs î
** *
D'autres rois du diamant — presque tous
les autres — furent monis intéressants. Ils
ont été simplement des parvenus, et des par-
venus effrayants de vanité. Les débuts de leur
fortune étaient, pour la plupart, des moins
avouables. Comment avaient-ils gagné leurs
premiers capitaux Par des moyens que feu
Armand Silvestre seul eût pu raconter d'un
style dont il avait le secret. Il y avait des ou-
vriers attachés aux mines de Kimberley qui
s'enrichissaient en cachant où ils le pouvaient
des diamants de la plus belle eau. Puis, ils
s'échappaient, vendaient les pierreries à des
receleurs, s'associaiient, avec l'argent gagné, à
des exploitations de mines nouvelles, et, un
beau jour, on les voyait apparaître, vêtus du
smoking, fumant des gros cigares, buvant du
Champagne, et se donnant l'allure de princes
du sang ! Leur femme, qui, jadis, avaient été
servant-es de bar, se sanglaient en des robes
de soie et jetaient sur leurs épaisses gorges
une part des trésors que leur mari avaient
recélés. Et tout ce monde formait l'étrange
aristocratie des cités naissantes 1
J'ai connu, au Cap, à l'hôtel Mount-Nelson,
un brave homme nommé D., qui était alors
afflgé d'une dizaine de millions, et qui, six
ans auparavant, avait versé du w'isky dans
les hôtels de Kimberley. Moins original que
Barnato, il avait tout à fait oublié les temps
loinianis de ses débuts. Il ne comprenait
pas qu'on pût vivre quand on n'était pas
rcihe.
— Votre journal, me dit-il un jour, est-ce
qu'il vous donne cent mille francs par an ?
— Hélas ! dus-je avouer, moins, beaucoup
moins 1
— Vraiment ! Moins de cent mille francs ?
Et comment faites-vous, à Paris ?
Je lui révélai, avec humilité, qu'à Paris bien
des gens essayaient de subsister avec moins
de cent mille francs.
, Il n'en revenait pas 1
— Et M. Zola ? me dit-il, est-ce qu'il gagne
plus de cent mille francs ?
— Peut-être, dis-je, mais il est peut-être le
seul dans la littérature !
- Ah ! me dit le millionnaire, alors pour-
quoi ne venez-vous pas en Afrique australe,
puisque vous êtes intelligents ?
Je fis quelqus efforts pour lui faire com-
prendre qu'il existait, au monde, des hommes
qui attachaient quelque importance à certai-
nes choses réputées supérieures. Mais je m'ar-
rêtai vite. Je vis tout de suite qu'il me mépri-
sait net.
Je ne nommerai pas ce distingué philoso-
phe. Son fils, certainement sera pair du
Royaume-Uni.
Et, au fond, tout cela est peut-être naturel.
N'est-ce pas par les plus incultes aventuriers
qu'ont débuté, toujours, les glorieux empires
et leurs vénérables aristocraties ?
Castellamare.
■" » m ».
La Politique
Même au Sénat
Il y a des maris qui ne savent pas s'attacher
leur femme ; il y a des gouvernements qui ne
savent pas s'attacher leur majorité.
Le gouvernement actuel semblait avoir tout
pour réussir : l'esprit, le talent, la vigueur de
son chef, la haute valeur de ses ministres.
Son programme convenait admirablement
à la majorité, issue des dernières élections
générales ; il lui a manqué la méthode, la ma-
nière.
Sa faute initiale fut de se constituer en de-
hors des usages, des traditions, presque des
règles parlementaires ; d'ignorer les groupes,
les commissions, les organisations qui sont
l'émanation des assemblées politiques.
Il semble mettre sa coquetterie à passer
sous jambe la majorité.
Certes,, ses succès parlementaires peuvent
faire illusion : qu'on ne s'y trompe pas ; au
Sénat comme à la Chambre, une majorité im-
posante s'est prononcée contre le pape, beau-
coup plus que pour le gouvernement..
Celui-ci ne s'y méprend pas ; il a la hantise
des conspirations ; il voit des pièges, des com-
plots partout.
Il n'en existe assurément pas ; lui seul est
cause de cette désaffection sourde mais pres-
que générale ; lui seul possède les moyens de
ressaisir et de tenir sa majorité.
Et ces moyens n'ont rien de machiavélique :
c'est de devenir un gouvernement parlemen-
taire et de vouloir bien gouverner avec le
Parlement.
Sans cela, sa situation risque de devenir
inextricable : à la Chambre, son programme
est accueilli avec faveur, sa méthode, sa ma-
nière, avec froideur.
Au Sénat, le contraire se passe : ses pro-
jets, en dehors de la question religieuse, sent
mal acueillis, combattus, rejetés.
On l'a vu pour la céruse, pour les retraites,
pour le rachat ; on le présume, après les inci-
dents de la commission des finances, pour le
budget.
Le gouvernement a pourtant un beau rôle,
un grand rôle à jouer. Il le peut, s'il le veut.
Un esprit trop dilettante pourrait seul l'em-
pêcher de vouloir et de pouvoir.
CIL BLAS
Echos
Les Courses.
Aujourd'hui, à 1 h. 45, courses à Marseille.
Pronostics de Gil Blas :
Prix du Frioul. — Eric, pierrot III.
Prix de la Pointe-Rouge. — Etincelle II, Souvenir
Impérial.
Prix du Pharo. — Ecurie Lieux, Fausse Alerte.
Prix de la Société des Steeple-Chases. - Ar-
mide IV, Omar.
-x-
Le Temps d'hier.
Mercredi soir. — La pluie a continué hier jus-
qu'à 3 h. 30 soir fournissant sur notre région de
2 à 3 mm. d'eau. ,
Ce matin le ciel d'emeure couvert. ,
Les vents soufflent avec force d'entre sud et sud-
ouest ; leur vitesse, voisine en moyenne de 13 m.
par seconde, a atteint à 8 h. 25 un maximum de
18 m. soit 65 kiJomètres à l'heure, et depuis 11 h. 30
la pluie tombe de nouveau.
La température poursuit son mouvement ascen-
dant ; la pression barométrique décroît assez ra-
pidement : à midi elle est de 750 mm. 7.
REPUBLIQUE SERBE
Est-ce la Serbie qui n'a pas de chance ? Ou
faut-il dire que ses rois sont véritablement
guignards ?
Dans tous les cas, rien n'est plus lamenta-
ble que les rumeurs qui nous viennent de
Belgrade ou des environs. les nouvelles de
la dernière heure démentent, je le sais bien,
les nouvelles de la première. Et il sera tou-
jours difficile de savoir la vérité exacte, la
vérité vrafe, jusqu'au moment.
Jusqu'au moment où la dynastie des Kara-
georgevitch finira dans l'imbécillité comme
celle des Obrenovitch a fini dans le sang.
Ah ! le malheureux roi de ce malheureux
petit pays !. Ce pauvre Pierre 1er fait de la
peine,. Et la Serbie ne fait pas plaisir.
Il en sera du roi et du royaume ce que l'on
voudra. Mais on doit souhaiter que la Ser-
bie ne se mette pas en république.
Les républiques n'ont déjà pas trop bonne
réputation. Elles ne gagneraient rien, rien du
tout à ce que la pétaudière serbe prît le nom
de république. La république n'est pas faite
pour la Serbie plus que la Serbie n'est faite
pour la république.
Les républiques, pour réussir, ont besoin
d'une certaine barbarie ou d'une certaine civi-
lisation. La France approche de cette civili-
sation qui nous assure une république très
convenable. Maris. franchement, on ne voit
pas très bien une république serbe. Et les
meilleurs républicains de tous les pays sou-
haiteront certainement — puisque aussi bien
c'est l'heure des souhaits — que. ce pays sin-
gulier reste longtemps encore une monar-
chie.
J. Ernest-Chirles.
-x-
Enfin, seul !
M. Loubet n'a reçu personne, ie jour du 1"
janvier. Il a savouré la' joie de rester au coin du
feu, près des siens, et n'a pas subi les compli-
ments traditionnels du corps diplomatique.
Parfois, il souriait :
- A quoi pensez-vous, lui disait-on ?
- Je pense à mon ami Fallières. oui serre
des mains.
X-
Ceux qu'on décore.
On a décoré hier, nous l'avons dit, de nom-
breux médecins : la chirurgie fut particulière-
ment favorisée, dans cette débauche de ru-
bans au corps médical.
Les temps sont lointains, où les chirurgiens
étaient honnis, poursuivis de la haine des ma-
lades et du courroux des médecins ordinaires.
Surtout au début du XVIe siècle,on les condam-
nait à presque mourir de faim, parce qu'ils
avaient dû se recruter en dehors de l'organi-
sation cléricale, depuis que le concile de Tours
avait interdit aux prêtres les opérations san-
glantes, et parce que le travail manuel était
l'objet d'un certain mépris.
Mais Louis XIV eut une fistule. Le chirur-
gien Félix opéra le roi, et celui-ci, reconnais-
sant, lui' donnd' des honoraires trois fois su-
périeurs à ceux des médecins et des titres de
noblesse. Bienheureuse fistule ! Elle releva dé-
sormais le prestige de la chirurgie.
Aujourd'hui, comblés d'honneurs,les chirur-
giens méprisent la partie du corps médical
où l'en ne taille ni rogne : et ils amassent des
fortunes.
-x-
Toujours la moustache.
On continuera encore longtemps à agiter
l'importante question de la couleur de la
moustache et de l'impériale de Napoléon III.
Voici aujourd'hui le témoignage d'un spé-
cialiste, et il semble bien qu'il doit mettre fin
au débat. C'est celui d'Eugène, l'ancien coif-
feur de l'empereur.
« Monsieur,
« Ancien attaché à la famille impériale pen-
dant quatre ans comme coiffeur de dames,
dans ce laps de temps j'avais l'occasion de voir
Sa Majesté presque tous les jours, soit à Pa-
ris, Biarritz, Compiègne ou Saint-Cloud.
« Je peux vous certifier que sa moustache
était châtain ; mais, au-dessus de la lèvre, elle
était un peu jaunie par la fumée de tabac.
« Vendiez agréer, etc.
, « EUGÈNE. »
Gageons qu'il se trouvera un autre coiffeur,
ou un ancien valet de chambre pour contester
cette affirmation.
Il y a quelques années, on a discuté de mê-
me pour savoir quelle était la couleur des yeux
de Napoléon Ier. Tout le monde s'en est mêlé.
On a consulté tous les mémoires du temps, et
constaté que tous les contemporains avaient
vu ces yeux olympiens d'une couleur diffé-
rente.
Et cependant, Dieu sait s'il avait fait les
gros yeux à l'Europe 1
-x-
Les petits Demosthènes.
Les orateurs politiques sont assez nombreux,
qui peuvent improviser un discours sur un su-
jet quelconque. En France, les parlementaires
de cet ordre ne nous manquent pas. Et Gam-
betta, par exemple, se vantait de parler sur
tout et sur l'heure- Il trouva certain jour son
maître. *
Il était en Espagne et déjeunait avec son ami
Emilio Castelar, ancien président de la Répu-
blique espagnole, député aux Cortès.
Au dessert, Castelar dit à Gambetta :
— Au fait, tu ne m'as jamais entendu par-
ler en public. Veux-Lu m'entendre ?. Oui ?
Alors, allons aux Cortès.
— De quoi s'agit-il ? demanda Gambetta.
— Je ne sais pas, répondit Castelar. Je te
parie que je parle deux heures, quel que soit
le sujet, et que je fais triompher mon opinion,
quelle qu'elle soit ?
Ils allèrent donc aux Cortès, Castelar instal-
la son ami dans une tribune, puis monta" au
bureau et demanda au président ce qu'on dis-
cutait :
— Une loi sur les terrains désaffectés dans
les cimetières.
— C'est bien, dit Castelar, je demande la pa-
role. Inscrivez-moi.
Quand l'o-rateur eut fini, Castelar monta à la
tribune, et. çur ce sujet qu'il ne connaissait
pas, dont il ignorait le premier mot, il fit un
discours de trois heures — magnifique.
Il fut acclamé.
— Mon bon ami, lui dit Gambetta, tu as sans
éowle «beaucoup de talent, mais je n'ai pas
compris un mot : j'ignore l'espagnol.
IMPRESSIONS D'UN SPECTATEUR
Articles de Paris: le joueur de Cercle.
C'est généralement un monsieur qui se lève à
midi. 11 déjeune, rhabille lentement et ne sait com-
ment tuer le temps jusqu'à quatre heures. Il ar-
rive au cercle avant la première banque, et c'est
à peine s'il s'inquiète des nouvelles du jour : « Est-
ce qu'on ne va pas bientôt commencer ? » intere
rogc-t-il. Il frémit, il Ipiaffe. Les autres joueurs se
montrent l'un après l'autre ou se serrent la main,
sans se connaître, en se méprisant vaguement ;
mais avec la cordialité d'individus qui ont besoin
les uns des autres.
Le joueur s'installe. Il tripote ses jetons', il a
hâte de recevoir sa carte. Il la-tient enfin, puis
une autre. Grand silence. « En voulez-vous ? »
dit le banquier. Il file ses cartes l'une sur l'autre.
Suprême émotion, indicible jouissance. Il abat, s'y
tient ou en demande. Dans ce dernier cas, nouvelle
émotion ! Espérance ou déception. Le Danquier
auscsi prend une carte. C'est une bûche. 0 joie !
Sensation ! Frémissement ! En deux minutes, le
joueur a souri, grincé, sué, souffert.
Et ainsi de suite jusqu'à huit heures, où l'on va
dîner. Et pendant ces quatre heures, quel argot !
Il Charles, deux cents louis ! — Je me culotte. —
Le tirage à cinq, il n'y a que ça ! (quand il réussit.)
Aussi pourquoi avez-vous tiré à cinq ? (quand ça ne
réussit pas. )—Vous avez tiqué, le banquier a vu que
vous aviez sept.— J'en donne.— J'en prends.- Une
bûche. — Vingt-cinq louis qui tombent.— Charles,
deux cents louis, s.v.p. — Vous savez, un tel est
mort ? — Il. doit savoir maintenant s'il faut tirer à
cinq. — Les cartes passent. — Huit 1 Neuf ! —
Abattez franchement !- Charles, deux cents lauis!»
Le joueur va dîner, décavé, éreinté, nerveux. Il
a perdu, il se couchera de bonne heure, ou bien il
finira sa soirée au théâtre. Bast, neuf heures son-
nent : il n'y tient plus. Il prend congé de ses am-
phitryons, sous un prétexte à peine acceptable, et
le voilà parti pour le « tripot ». C'est de ce nom
qu'il qualifie le paradis où seulement il respire.
Quelquefois, le joueur gagne. Alors, il a un bon
mouvement. Il empoche son argent et s'en va ;
mais, arrivé à la porte : « Encore un coup ! » se
dit-il, et il revient à la table, jusqu'à ce qu'il ait
tout reperdu. Vingt-cinq ans plus tard, on re-
trouve ce décavé dans un cercle. Il n'est plus
joueur, il est commissaire des jeux. — PUCK.
Triple alliance scientifique.
Trois expéditions sont parties simultané-
ment : l'une allemande, l'autre russe, et la
troisième française. Elles sont décidées à s'ap-
puyer et à se prêter tous les concours imagi-
nables.La- science seule,et en particulier l'as-
tronomie, peuvent créer de telles triplices.
Ces trois missions vont en Asie Centrale
observer l'éclipsé de soleil qui doit se pro-
duire le 14 janvier prochain. Elles sont sui-
vies d'un matériel assez considérable. La mis-
sion allemande, en particulier, emporte des
instruments qui pèsent jusqu'à quatre mille
kilogrammes.
Après avoir séjourné deux jours à Tashkend,
capitale de l'Asie centrale russe, l'expédition
russe et la française se rendront à Ura-Tijube :
l'expédition allemande prendra son poste d'ob-
servation à Dzhisak. En dehors de leurs ob-
servations astronomiques, les trois expédi-
tions feront des observations météorologiques
et prendront les divers degrés de la tempéra-
ture de l'air ambiant au moyen d'instruments
automatiques.
-x-
Pour le « Vieux Major ».
Les personnes qui se règlent sur les prédic-
tions météorologiques de ce mystérieux et
ponctuel militaire pour commander leurs vê-
tements et régler leurs villégiatures vont pou-
voir s'édifier sur la valeur de ces pronostics,
en les comparant aux résultats.
Voici, en effet, le bilan météorologique de
l'an dernier.
D'après M. Joseph Jaubert, directeur de
l'Observatoire municipal, la température
moyenne it Paris (Mqntsouris) de l'année qui
vient de prendre fin, a été de 11°1 soit 0°3 au-
dessus de la normale.
Février, mars, avril, juin, septembre et dé-
cembre ont été plutôt froids, les autres mois
chauds, surtout janvier qui avait présenté un
excès de 2°2 ; en janvier 1906, on avait eu
d'ailleurs à Paris des maxima très élevés ;
15 à 16°. Le nombre des jours de gelée a été
de 54 ; l'excès est dû à la fréquence des gelées
en décembre dernier : 18 jours dont 14 consé-
cutifs. Les jours de grande chaleur, c'est-à.
dire ceux pendant lesquels la température at-
teint ou surpasse 30°, ont été de 14, répartis
entre le 27 juin et le 4 septembre ;. cela pou
Paris, car dans la banlieue le chiffre de 30° a
été plus souvent dépassé.
En 1906 la pluie à Paris a été exceptionnel-
lement abondante ; tous les mois, sauf juin,
septembre et octobre, ont fourni un excès
d'eau ; juin a été par contre marqué par une
sécheresse extraordinaire qui n'avait pas été
constatée à Paris depuis 1870. A Montsouris,
en 1906, il est tombé 683 mm. d'eau au lieu de
560 mm. ; au centre de Paris, la quantité re-
cueillie est .un peu plus faible, mais sur quel-
ques points de la banlieue on a eu plus de
700 mm.
Il est rare à Paris de recueillir en une année
plus de 650 mm. d'eau ; on signale six cas
seulement en trente-quatre ans : 1872, 1878,
1885, 1806, 1905 et 1906.
Et la terre a toujours tourné.
-.x-
Les enfants prodigues.
Tandis que la princesse Louise de Cobourg
goûte les joies de notre hospitalité après les
rudes épreuves de l'asile où M. son mari l'in-
terna, les tribunaux viennois sont saisis des
réclamations que ses créanciers élèvent.
Hier encore, Ül' princesse Louise a été con-
damnée à rembourser au comte Festetich une
somme de 55.COO francs que celui-ci lui avait
versée en automne 1905, dans un moment
rembarras financiers. M. Festetich réclamait
le remboursement de 100.000 francs ; mais l'a-
vocat de la princesse déclara que les 45.000
francs restant constituaient des intérêts usu-
raircs, ce que le créancier contestait. Et Iz tri-
bunal a décidé d'ajourner le jugement au su-
jet des 45.000 francs.
Le roi des Beiges, si bon ordonnateur de sa
fortune, souffre cruellement en sa descendan-
ce : « A père économe, filles prodigues. »
X-
Il y a des juges en Espagne.
On n'a pas oublié l'affaire Casa-Riera, cette
singulière histoire d'un forgeron qui voulait
absolument persuader à un noble espagnol
qu'il était mort. Le noble espagnol ne voulut
jamais croire à son propre décès. Et il fit bien,
car les tribunaux français lui donnèrent rai-
son.
Seulement, pîur forcer la conviction du
marquis, le forgeron avait eu recours à des
amis trop zélés, qui avaient cru devoir arran-
ger légèrement des actes de l'état-civil espa-
gnol.
Cette affaire, qui fut bien parisienne, vient
d'avoir son épilogue dans la Péninsule.
L'un des prévenus, Emile Goulère,' convain-
cu d'avoir dressé un faux acte de décès du
marquis Alejandro-Mora Riera ; un autre ac-
cusé .Juan Balada, qui a signé cet acte. et un
troisième, José Huguet, impliqué dans l'affai-
re, ont été condamnés à huit ans de servitude
pénale et aux dépens.
Le Cercle Rubens. -
On annonce comme prochaine, l'ouverture,
dans un quartier voisin de la gare Saint-La-
zare, d'un nouveau cercle — mixte comme tous
les autres — mais dont l'organisation présen-
tera un caractère inédit jusqu'ici.
Il s'appellera le Cercle Rubens — oa n'a pas
osé l'appeler Rubens Club. — Installé dans un
hôtel, qu'entoure un parc assez vaste, il com-
portera une exposition de peinture permanen-
te. Les toiles seront choisies par des personna-
lités essentiellement compétentes en matière
d'art. Le cercle, d'ailleurs, sera très probable-
ment présidé par une haute personnalité ar-
tistique. Les tableaux Feront de toutes les éco-
les.
Chaque semaine, un [ive o'clock réunira tous
les adhérents et adhérentes de l'association,
qui vivra naturellement sous le régime de la
loi de 1901.
Au cours de ces réunions hebdomadaires,
on ne célébrera que le culte de l'art. et du
baccara, l'une des toiles exposées sera mise
en tombola par billets gratuits. Aussitôt après
le tirage, le comité se rendra acquéreur du ta-
bleau et l'offrira au gagnant.
On ne peut dire encore à quelle date exacte-
ment, le cercle ouvrira ses portes, mais les or-
ganisateurs. s'en occupent de manière très ac-
tive et très intelligente.
Le meilleur mode de chauffage, à vapeur
ou à eau chaude, est le système Sulzer frè-
res ; adressez-vous : 16, avenue de la Répu-
blique. Paris. (Téléphone 934-64.)
-x-'
Le garçon de restaurant. — J'ai le regret de
vous dire, monsieur, que je quitte la boîte de-
main.
Le client. — Je le regrette aussi. Vous m'a-
vez toujours bien servi-Qu'est-ce qui vous man-
que ici ? N'êtes-vous pas suffisamment payé ?
— Oh ! si monsieur.
— Alors, quoi ?.
— C'est que, voyez-vous, monsieur, le pa-
tron ne veut pas que j'aille prendre mes repas
au dehors.
Le Diable boiteux.
- -
Propos du Jour
Au sabre
Respectueusement dédié à S. E'. le comte de Ro-
manônes, compatriote du Cid et pacifiste.
Quand de jeunes Français, vont sur le pré et
qu'un des deux ne1 reste pas sur le dos, les gens
qui ne se sont jamais mis en face d'un homme
qu'ils insultaient ou calomniaient, s'esclaffent de
rire.
Et leur plus fort argument est celui-ci : CI On se
« bat bien mieux que ça à l'étranger. »
Eh ! bien ! à l'étranger, voilà comment l'on se
bat : •
M. le comte Lucien dal Torso et Vavocat Gino
Schiavi se sont battus, hier, au sabre, dans une
villa, près de Udine. Ils ont fait quarante-deux re-
prises, et pas môme une goutte de sang n'a élé
versée de part et d'autre. À la fin, les combattants
étant fatigués, aussi bien que les témoins, le com-
bal a pris fin.
Les adversaires ne se sont pas serré la main.
Quarante-quatre reprises sans boire. une goutte
de sang !
Ce n'est pas encore ces lapins-là qui viendront
faire le poil à nos champions : n'est-ce. pas Jo-
seph Renaud, Georges et Paul Breitfmayer, Ar-
mand Lusciez, Marcel et Jacques Boulenger, Bru-
neau de Laborie, Et le brave petit Willy Sultzba-
cher, et tutti quanti !
Quarante-quatre reprises, pour rien ! Et au sa-
bre !
Pourquoi pas à la hache d'Abordage, au fau-
cliard, à l'esponton, à la guisarmt!
Quand on a le foie de cette couleur-là tous les
deux, on peut choisir les armes les plus terribles ;
il n'y a pas de risques !
Notez, que le sabre en est une, et autrement
dangereuse que nos épées de combat. à la condi-
tion de s'approcher.
L'extrémité de la lame en biseau, affûté des
deux côtés, tranchante comme un rasoir, pénètre
bien plus aisément et bien plus profondément que
l'espèce de clou qui termine nos épées et qui
s'émousse pour un rien.
Car ce n'est pas le coup de taille qui est mortel
au sabre, mais le coup de pointe.
C'est ainsi que fut tué Cavallotti, en Italie, d'un
coup d'arrêt dans la bouche. C'est ainsi que j'ai
vu descendre ou estropier, au régiment, pas mal
de mes camarades.
Le coup de pointe de sabre à l'intérieur du poi-
gnet par exemple, tranche les tendons et laisse
les doigts ankylosés et recroquevillés à jamais.
J'en ai tâté de la pointe du sabre. après en
avoir fait goûter aux autres.
C'est péremptoire, comme disait Dumanet. Le
plus difficile se tient pour satisfait, après.
Cela se passait au 13e régiment de chasseurs à
cheval, il y a. assez longtemps, et même trop.
Un de mes camarades s'était montré particulière-
ment désagréable avec les jeunes gens de famille
placés sous ses ordres.
Nous étions égaux en grade — et vous ne sau-
rez jamais lequel, j'ai mes raisons ; - je le pro-
voquai en galant paladin.
Je m'étais déjà battu heureusement et j'avais
fait la guerre.
Je n'en reçus pas moins, ayant chargé im-
prudemment, un fort joli coup de pointe dans
l'avant-bras, qui me dispensa de service pendant
deux mois.
J'y pense chaque fois que le temps change, et
non sans plaisir.
Quant à mon adversaire, un solide fils de fer-
mier, qui tremblait d'émotion avant l'affaire, il
devint un vrai bourreau des crânes — et mon meil-
leur camarade.
Il est vrai que nous n'avions pas fait quarante-
quatre reprises pour rien.
A la 3e, j'avais mon compte — et nous nous ser-
rions la main - gauche pour moi.
Louis d'Hurcourt.
■■ II » n ■
COUPS DE CRAYON
Deux janvier
Ce matin, à six heures, un monsieur en habit a
sonné à la porte d'entrée. Il tenait une bourriche
d'huîtres à la main. Il est arrivé difficilement jus-
qu'à la concierge qui dormait. Il l'a réveillée et
lui a demandé, avec un fort accent britannique, si
elle pourrait lui donner une bouteille de vin blanc
pour boire en mangeant ses huîtres.
Ma concierge, tirée de son sommeil matinal, s'est
levée et l'a mis à la porte avec un vigoureux coup
de pied au bas du dos.
Notre Anglais se demanda sans doute si c'était
là le traitement qu'on accordait à la nation la plus
favorisée: Puis, comme il était complètement gris
et qu'il ne se souciait de rien, il s'assit sur le trot-
toir et se mit à manger ses huîtres en les trem-
pant dans l'eau du ruisseau.
Voilà, si je ne me trompe, ce qu'on appelle faire
la fête.
Comme nous n'avior.s pas assez d'occasions lé-
gales de nous amuser, et qu'il vaut mieux que,
dans une république, même la noce se fasse con-
formément aux lois, nos législateurs nous ont ac-
cordé un jour férié de plus, le lundi inséré entre le
dimanche 30 décembre et le mardi 1er janvier. Nous
avons donc traversé le pont qu'ils noua ont offert.
C'est encore un de ces ponts sur lesquels on danéëj?
Après ces trois jours de repos, nous sommes très
fatigués. Nous ne pourrions pas en supporter da-
vantage. Trois jours à ne rien faire ! Il faut être
d'acier pour y survivre. Comment remplir ces
jours vides ! Les déjeuners s'allongent jusqu'à
l'heure du goûter ; les goûters se traînent jusqu'au
dlner. Et tout le long du jour on mange des cho-
colats qui vous rendent mélancoliques et vous font
vivre sous l'impression qu'une grande calamité
pèse sur vous. Après le dîner, asphyxie obligatoire
dans un quelconque de nos théâties parisiens. Puis
souper, puis le reste.
On n'a pas à se lever de bonne heure le lcmfe.
main, aJors on ne se couche pas.
Heureusement que le jour de l'an n'arrive qu'une
fois chaque année et ne tombe qu'à son tour sur le
mardi.
Claude Anet.
Une Enquête sur l'utilité
des tangues étrangères
(Suite et Fin)
———— (lj
Nos lecteurs voudront bien se souvenir qu«
nous avions posé à nos correspondants la ques-
tion suivante :
Voulez-vous énumérer, dans l'ordre de vos,
préférences, les langues que vous jugez les.
plus utiles ?
Voici comment il a été répondu à cette ques-
tion :
Pour la lre place
*
Anglais .:.,. 317
Allemand 49
Espagnol 9
Italien. ", 3
Pour la 2e place
Allemand 75
Espagnol. 0" 28
Italien. 13
R liSSe.- 2
Portugais 1
Pour la 3e place
Espagnol 44
Italien. 33
Russ~ 7
Hollandais. 2
Portugais 1
Pour la 4e plàce
Italien 33
Russe 4
Hollandais. 1 v.
Portugais 1
L'ordre définitif est donc celui-ci .: 1° An*
glais, 2° Allemand, 3° Espagnol, 4° Italien,
5° Russe, 6° Portugais.
Dans les professions libérales et intellectuel-
les, la balance a été à peu près égale entre
l'anglais et l'allemand. Ce sont les professions
commerciales, industrielles et manuelles qui
ont donné l'avantage au premier de ces idio-
mes.
J'ajoute que deux de mes correspondanfs
attachent une grande importance au Japonais
ce sont MM. le général de Galliffet et Cabart-
Danneville.
A
La dernière question posée était.celle-ci :
En représentant par 100 la valeur intrinsè-
que d'un homme à ses débuts dans la carrière
à laquelle vous appartenez, et qu'il doit par-
courir, voulez-vous exprimer en « pour cent «,
la plus-value représentée par la connaissance
d'une ou plusieurs langues étrangères.
La réponse à cette question devait synthéti-
ser, pour ainsi dire, les rés-ultats de cette en-
quête, et leur donner la valeur palpaple d'une
formule arithmétique. Je ne me dissimule pas
qu'on ne peut lui accorder l'intangible préci-
sion d'une expression mathématique. Mais,
étant donné que les auteurs des réponses par-
lent suivant les aspirations d'une profession
ou d'un-métier don4 ils connaissent mieux que
personne les conditions, les exigences et l'a-
venir,elles représentent tout au moins une sen-
sible approximation sous une forme facilement
saisissable.
Voici les moyennes obtenues dans chaque
catégories de correspondants :
v Pour cent
Honunes politiques 49 W
Avocats 100
'Magistrats 17 50
Ecri vaine. 100
Diplomates 50
Académie des sciences r 58
Académie des sciences morales. 60
Académie des inscriptions 50
Académia des beaux-arts.-. 17 50
Académie de médecine 33
Instruction publique 52 50
Artistes dramatiques et lyriques. 100
Armée 100
Finances et industrie.¡' 30
Chambres syndicales patronales. 50 20
■ Syndicats d'ouvriers et employés. 126 50
La moyenne générale donne 61.76 ûour cent.
-
Ce tableau montre tout d'abord* par l'éléva-
tion des moyennes, l'énorme importance at-
tachée paT tout le monde à la connaissance des
langues étrangères. Il convient de remarquer;
que ces chiffres ont d'autant plus de prix qu'ils
ont été donnés par nos correspondants d'une
façon très réfléchie, comme en témoignent les
missives développées qui les accompagnent
presque tous. Et ce qui montre bien qu'ils se
rapprochent certainement de la vérité, au
moins théorique, c'est que certaines catégories
qui sont presque assimilables, arrivent à peu
le chose près au même résultat : c'est ainsi
que Jes chiffres donnés par l'académie des
sciences, l'académie des sciences morales et
l'académie des inscriptions — par les savants
— sont : 58 — 60 — 50
Mais le même tableau provoque une autre
réflexion résultant d'un fait qui paraîtra à
beaucoup, tout à fait inattendu : La catégorie
qui a fourni la moyenne la plus élevée, 126-50
pour cent, c'est celle des syndicats d'ouvriers
et d'employés. On pensera peut-être qu'il y ai
là une inexpérience dans le maniement du
« pourcentage ». Ce serait une erreur absolue.
Il n'y a qu'à lire les exposés de motifs cons-
ciencieux, documentés et presque toujours lu-
mineux qui accompagnent ces chiffres pour se
rendre compte que les secrétaires des syndi-
cats de la Bourse du travail ont très exacte-
ment dit ce qu'ils voulaient dire. Et, en admet-
tant même que ce chiffre dépasse l'appoint réel
apporté à lw valeur du travailleur pour les lan-
gues étrangères, il montre dans tous les cas,
l'impérieux besoin que celui-ci éprouve de les
connaître, et la puissance de l'intérêt qui- lut
fait voir dans ces notions nouvelles, une âme"
lioration de sa situation.
Je dois dire que résultai ne m'a qu'à-demi
surpris. Je le préssentais, et c'est là une des
raisons qui m'ont fait entreprendre cette en-
quête. Elle avait pour but, en effet, dans mon
esprits non seulement de 'démontrer l'impor-
<1) Voir Oil Blas des 23, 95, 26, 87, 88, 31 décembre
1906 et des 1" et 2 janvier 1907k
PARIS ET DÉPARTEMENTS : Le Numéro 15 Centimes
JEUDI 3 JANVIER 1007
A. PÉRIVIER — P. OLLENDOREE
DIRECTEURS
11, Boulevard des Italiens, 11
PARt6(S"Arr't
TËLtPHONE: 102-74
la Manuscrits ne sont pas rendus.
« Si tu me lis avec attention, tu trouveras ici, suivant le précepte d'Horace,
futile mêlé à Vagréable. »
(Préface de Oil Blas au lecteur).
Prix des Abonnements 1
3 mois 6 mois Un an
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SEINE, SEINE-ET-OISE. 18,50 26 a 50 a
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ANNONCES et RÉCLAMES c
Chez MM. LAGRANGE, C^RFJfcî?H
8, Place DB LA Bourbu/S ;\lo, j|
Et à VAdministration du
Les Rois
du Diamant
Grande rumeur dans les diverses Bourses
d'Europe : le diamant monte 1
Vous tous qui, comme moi, ne portez pas de
diamant et n'avez pas de crédit chez l'agent
de change, cela ne vous dit nen, sans doute,
que le diamant monte et descende. Mais il pa-
raît, tout de même, que la nouvelle est très,
importante, et, dans les environs de la rue
Vivienne, hier, vers trois heures, on ne ren-
contrait que des groupes d'hommes cossus,
revefus de confortables pelisses se répétant
run à l'autre d'un air affairé : « Le diamant
monte ! »
Il y a eu, en effet, très forte hausse sur la
De Beers, et les pierres resplendissantes du
Gap vont atteindre cette année des prix réser-
vés jusqu'à ce jour aux antiques trésors que
gardait l'Inde merveilleuse.
La raison de cette hausse. ? Je l'ignore. On
ignore toujours les vraies raisons de ces cho-
ses-là. Peut-être un simple caprice de milliar-
daire qui a pesé de tout le poids de son coffre-
fort sur la balance du Stack-Exchange, de
Londres. Peut-être un simple hasard. Peut-
être rien.
Pourtant, si j'en crois mes souvenirs de
l'Afrique Australe, je crois comprendre pour-
quoi la De Beers s'est tout à coup élevée. Des
spéculateurs, des chercheurs de trésors, des
prospecteurs de mines avaient escompté la.
possibilité de trouver, dans les environs- de
Pretoria, le long des rives de l'Elandsriver,
de nouveaux champs de diamant. Les gens de
Kimberley en étaient même quelque peu in-
quiets, car la découverte de diamants incon-
nus eût amené une concurrence désastreuse
pour la De Beers. Et c'est pourquoi, les cours,
depuis longtemps, se maintenaient stationnai-
res, sans oser monter et sans se résigner à
descendre encore.
Or, les recherches tentées dans la région de
l'Elandsriver ont été absolument infructueu-
ses. Pas plus de diamant que dans les fouilles,
du Métropolitain. Et Kimberley a repris toute
sa joie. Et les nouvelles qui nous arrivent de
là-bas nous apprennent que dans la fameuse
cité de Cecil Rhodes, les rois du diamant, hé-
ritiers obscurs du magnifique empereur du
Cap, s'apprêtent à gagner des millions fantas-
tiques !
.-.
De biéns curieux personnages, que les fas-
tueux rois du diamant, tous archi-millionnal-
res aujourd'hui, hier valets de bar ou ba-
layeurs de mines, lesquels, dans les cités neu-
ves de l'Afrique Australe, ne savent en quel-
les fabuleuses folies, ils peuvent dépenser
leurs innombrables livres sterling.
Je ne parle pas, naturellement, du plus
grand de tous, celui vers qui vont tout de
suite nos imaginations d'Européens toutes
remplies encore de souvenirs de l'épopée sud-
africaine : Cecil Rhodes.
Celui-là, en vérité, plane à cent mille cou-
dées au-dessus des spéculateurs vulgaires. Le
diamant comme l'or ne furent pas pour lui
des buts, mais des moyens. Simple dans ses
goûts et grandiose dans ses idées, il n'aimait
pas la fortune pour lui-même. Il en faisait le
levier de ses vastes rêves d'empire:" Il fut un
des aventureux les plus attrayants qu'ait pro-
duit l'active race anglo-saxonne. Il restera
une des figures les plus séduisantes et aussi
les plus énigmatiques que chercheront à devi-
ner les poètes futurs. Si son nom domine
Kimberley, comme il domine Johannesburg,
c'est par la puissance du génie et non pas seu-
lement par la hardiesse des spéculations fi-
nancières. Il fut roi du diamant, comme il fut
roi de l'or, comme il eût été roi dans n'im-
porte quel champ nouveau de la vie moderne.
Ne citons donc son nom que pour le saluer en
passant.
Mais les autres, les vrais spéculateurs, ceux
qui n'eurent de valeur réelle que par la for-
tune rapide qu'ils échafaudèrent, ceux-là, aus-
si, eurent leur heure de célébrité, et quelques-
uns d'entre eux montrèrent des physionomies
pittoresquemerf, caractéristiques.
Le plus étr/nge et le plus populaire, à coup
sûr, fut le fameux Bornato qui jadis clown de
cirque devint en peu d'années un des princes
de la finance mondiale.
Bornato ! Je le revois encore avec sa face
rasée, ses yeux pétillants de malice, ses lèvres
minces de pince-sans rire, son corps souple
et musclé où la plus correcte des redingotes
n'arrivait pas à dissimuler tout à fait les con-
torsions habituelles de l'ancien pitre de music-
hall !
Que de légendes on a racontées sur J'origi-
ne de sa fortune ! Chacun avait une histoire
différente, et lui-même en narrait une nou-
velle chaque jour, car il était resté un fantai-
siste impénitent qui, non seulement, ne cher-
chait pas à cacher l'humilité de ses débuts,
mais qui, plutôt, semblait profiter de toute
occasion pour montrer qu'il était incompara-
ble dans les exercices -de clown et de presti-
digutateur.
Je me rappelle avoir fait avec lui, quelques
années avant sa mort, un voyage d'Europe au
Cap, sur un paquebot de la « Castle Line ».
Il y avait des lords anglais, un futur vice-roi
d'Irlande, des dames blondes et sveltes qu'on
eût dit surgir d'un roman de Walter-Scott,
des bourgeois rouges et cossus venus en droite
ligne de Dickens et quelques nouveaux mil-
lionnaires de l'Afrique Australe que nul ro-
mancier de la classique Angleterre n'avait osé
prévoir. Parmi eux, le plus illustre, le plus
riche, était Barnato.
Dans les premiers moments, les relations
étaient quelque peu froides entre ces héritiers
des pa,irs et ces rois de la finance moderne.'
Mais, peu à peu, Barnato dégela la glace la
plus compacte, et ce diable d'homme, le troi-
sième jour, était véritablement le roi-du pa-
quebot. Impassible, les lèvres vissées, le geste
rare, ayant en quelque sorte toute sa vie dans
les yeux, il passait sur le pont raide comme
un automate ; puis, tout à coup, il imaginait
une fantaisie si imprévue, si endiablée, si ver-
tigineusement acrobatique et en même temps
3i britanniquement correcte, que ce peuple
amoureux de sport et d'excentricité éclatait
en bravos et en rires et que le milliardaire
aux gestes de clown était soudain entouré par
la curiosité générale.
Il faisait jongler, sur le pont, des chaises
comme de simples pelotes ; il prenait, au fu-
moir, les cartes à jouer et les faisait voltiger
comme des papillons sans qu'une "tile tombât
à terre ; au salon, il faisait passer les fleurs
d'un vase à l'autre sans laisser deviner com-
ment : etx à table, il escamotait le beafteck du
bon vieux capitaine à face de loup de mer,
qui riait en faisant craquer toutes les rides de
son visage brûlé à tous les tropiques, et qui.
s'écriait, en se tournant vers moi, par cour-
toisie pour ma langue nq^le. : -,--- -
— Aôh 1 mister Barnato, very rigolo ! very
rigolo 1
Et quel boute-en-train que ce roi du dia-
mant 1 Il organisait des bals sur le pont, bat-
tait la mesure; valsait lui-même en tourbil-
lons étourdissants, et les plus hautaines des
ladies se laissaient emporter dans les ailes
de sa danse folle 1
Vraiment, nous étions tous ses sincères
amis à la fin du voyage, et nous admirions
la prodigieuse vitalité de cet homme qui, étant
devenu un des plus riches du monde, portait
avec orgueil le souvenir de ses obscures an-
nées 1
j'a su depuis que, sous cette joie débor-
dante et entraînante, oBrnato cachait une pro-
fonde mélancolie et cette espèce de spleen
dévorant que tant de riches Anglais gardent
dans leur âme. Il tournoyait et riaitu pour
s'étourdir lui-même, et on eût dit que l'ef-
frayante rapidité de sa fortune lui eût laissé
une agitation de toute son âme, comme les
escalades sur les montagnes laissent à cer-
tains touristes un tremblement perpétuel. Sa
fin fut fantastiquement tragique. L'ancien
clown qui avait amusé tout le monde, le mil-
lionnaire joyeux et boute-en-train qui suffisait
à animer toute une assemblée disparate, un
triste jour, en pleine mer, du haut d'un pa-
quebot, fit sa dernière cabriole dans les va-
gues. Pauvre Bairnato ! Il sut répandre le
plus de bien qu'il put autour de lui et, à
Johannesburg, il est resté populaire. Il est
bien rare d'être devenu riche en quelques
mois et d'avoir laissé de bons souvenirs î
** *
D'autres rois du diamant — presque tous
les autres — furent monis intéressants. Ils
ont été simplement des parvenus, et des par-
venus effrayants de vanité. Les débuts de leur
fortune étaient, pour la plupart, des moins
avouables. Comment avaient-ils gagné leurs
premiers capitaux Par des moyens que feu
Armand Silvestre seul eût pu raconter d'un
style dont il avait le secret. Il y avait des ou-
vriers attachés aux mines de Kimberley qui
s'enrichissaient en cachant où ils le pouvaient
des diamants de la plus belle eau. Puis, ils
s'échappaient, vendaient les pierreries à des
receleurs, s'associaiient, avec l'argent gagné, à
des exploitations de mines nouvelles, et, un
beau jour, on les voyait apparaître, vêtus du
smoking, fumant des gros cigares, buvant du
Champagne, et se donnant l'allure de princes
du sang ! Leur femme, qui, jadis, avaient été
servant-es de bar, se sanglaient en des robes
de soie et jetaient sur leurs épaisses gorges
une part des trésors que leur mari avaient
recélés. Et tout ce monde formait l'étrange
aristocratie des cités naissantes 1
J'ai connu, au Cap, à l'hôtel Mount-Nelson,
un brave homme nommé D., qui était alors
afflgé d'une dizaine de millions, et qui, six
ans auparavant, avait versé du w'isky dans
les hôtels de Kimberley. Moins original que
Barnato, il avait tout à fait oublié les temps
loinianis de ses débuts. Il ne comprenait
pas qu'on pût vivre quand on n'était pas
rcihe.
— Votre journal, me dit-il un jour, est-ce
qu'il vous donne cent mille francs par an ?
— Hélas ! dus-je avouer, moins, beaucoup
moins 1
— Vraiment ! Moins de cent mille francs ?
Et comment faites-vous, à Paris ?
Je lui révélai, avec humilité, qu'à Paris bien
des gens essayaient de subsister avec moins
de cent mille francs.
, Il n'en revenait pas 1
— Et M. Zola ? me dit-il, est-ce qu'il gagne
plus de cent mille francs ?
— Peut-être, dis-je, mais il est peut-être le
seul dans la littérature !
- Ah ! me dit le millionnaire, alors pour-
quoi ne venez-vous pas en Afrique australe,
puisque vous êtes intelligents ?
Je fis quelqus efforts pour lui faire com-
prendre qu'il existait, au monde, des hommes
qui attachaient quelque importance à certai-
nes choses réputées supérieures. Mais je m'ar-
rêtai vite. Je vis tout de suite qu'il me mépri-
sait net.
Je ne nommerai pas ce distingué philoso-
phe. Son fils, certainement sera pair du
Royaume-Uni.
Et, au fond, tout cela est peut-être naturel.
N'est-ce pas par les plus incultes aventuriers
qu'ont débuté, toujours, les glorieux empires
et leurs vénérables aristocraties ?
Castellamare.
■" » m ».
La Politique
Même au Sénat
Il y a des maris qui ne savent pas s'attacher
leur femme ; il y a des gouvernements qui ne
savent pas s'attacher leur majorité.
Le gouvernement actuel semblait avoir tout
pour réussir : l'esprit, le talent, la vigueur de
son chef, la haute valeur de ses ministres.
Son programme convenait admirablement
à la majorité, issue des dernières élections
générales ; il lui a manqué la méthode, la ma-
nière.
Sa faute initiale fut de se constituer en de-
hors des usages, des traditions, presque des
règles parlementaires ; d'ignorer les groupes,
les commissions, les organisations qui sont
l'émanation des assemblées politiques.
Il semble mettre sa coquetterie à passer
sous jambe la majorité.
Certes,, ses succès parlementaires peuvent
faire illusion : qu'on ne s'y trompe pas ; au
Sénat comme à la Chambre, une majorité im-
posante s'est prononcée contre le pape, beau-
coup plus que pour le gouvernement..
Celui-ci ne s'y méprend pas ; il a la hantise
des conspirations ; il voit des pièges, des com-
plots partout.
Il n'en existe assurément pas ; lui seul est
cause de cette désaffection sourde mais pres-
que générale ; lui seul possède les moyens de
ressaisir et de tenir sa majorité.
Et ces moyens n'ont rien de machiavélique :
c'est de devenir un gouvernement parlemen-
taire et de vouloir bien gouverner avec le
Parlement.
Sans cela, sa situation risque de devenir
inextricable : à la Chambre, son programme
est accueilli avec faveur, sa méthode, sa ma-
nière, avec froideur.
Au Sénat, le contraire se passe : ses pro-
jets, en dehors de la question religieuse, sent
mal acueillis, combattus, rejetés.
On l'a vu pour la céruse, pour les retraites,
pour le rachat ; on le présume, après les inci-
dents de la commission des finances, pour le
budget.
Le gouvernement a pourtant un beau rôle,
un grand rôle à jouer. Il le peut, s'il le veut.
Un esprit trop dilettante pourrait seul l'em-
pêcher de vouloir et de pouvoir.
CIL BLAS
Echos
Les Courses.
Aujourd'hui, à 1 h. 45, courses à Marseille.
Pronostics de Gil Blas :
Prix du Frioul. — Eric, pierrot III.
Prix de la Pointe-Rouge. — Etincelle II, Souvenir
Impérial.
Prix du Pharo. — Ecurie Lieux, Fausse Alerte.
Prix de la Société des Steeple-Chases. - Ar-
mide IV, Omar.
-x-
Le Temps d'hier.
Mercredi soir. — La pluie a continué hier jus-
qu'à 3 h. 30 soir fournissant sur notre région de
2 à 3 mm. d'eau. ,
Ce matin le ciel d'emeure couvert. ,
Les vents soufflent avec force d'entre sud et sud-
ouest ; leur vitesse, voisine en moyenne de 13 m.
par seconde, a atteint à 8 h. 25 un maximum de
18 m. soit 65 kiJomètres à l'heure, et depuis 11 h. 30
la pluie tombe de nouveau.
La température poursuit son mouvement ascen-
dant ; la pression barométrique décroît assez ra-
pidement : à midi elle est de 750 mm. 7.
REPUBLIQUE SERBE
Est-ce la Serbie qui n'a pas de chance ? Ou
faut-il dire que ses rois sont véritablement
guignards ?
Dans tous les cas, rien n'est plus lamenta-
ble que les rumeurs qui nous viennent de
Belgrade ou des environs. les nouvelles de
la dernière heure démentent, je le sais bien,
les nouvelles de la première. Et il sera tou-
jours difficile de savoir la vérité exacte, la
vérité vrafe, jusqu'au moment.
Jusqu'au moment où la dynastie des Kara-
georgevitch finira dans l'imbécillité comme
celle des Obrenovitch a fini dans le sang.
Ah ! le malheureux roi de ce malheureux
petit pays !. Ce pauvre Pierre 1er fait de la
peine,. Et la Serbie ne fait pas plaisir.
Il en sera du roi et du royaume ce que l'on
voudra. Mais on doit souhaiter que la Ser-
bie ne se mette pas en république.
Les républiques n'ont déjà pas trop bonne
réputation. Elles ne gagneraient rien, rien du
tout à ce que la pétaudière serbe prît le nom
de république. La république n'est pas faite
pour la Serbie plus que la Serbie n'est faite
pour la république.
Les républiques, pour réussir, ont besoin
d'une certaine barbarie ou d'une certaine civi-
lisation. La France approche de cette civili-
sation qui nous assure une république très
convenable. Maris. franchement, on ne voit
pas très bien une république serbe. Et les
meilleurs républicains de tous les pays sou-
haiteront certainement — puisque aussi bien
c'est l'heure des souhaits — que. ce pays sin-
gulier reste longtemps encore une monar-
chie.
J. Ernest-Chirles.
-x-
Enfin, seul !
M. Loubet n'a reçu personne, ie jour du 1"
janvier. Il a savouré la' joie de rester au coin du
feu, près des siens, et n'a pas subi les compli-
ments traditionnels du corps diplomatique.
Parfois, il souriait :
- A quoi pensez-vous, lui disait-on ?
- Je pense à mon ami Fallières. oui serre
des mains.
X-
Ceux qu'on décore.
On a décoré hier, nous l'avons dit, de nom-
breux médecins : la chirurgie fut particulière-
ment favorisée, dans cette débauche de ru-
bans au corps médical.
Les temps sont lointains, où les chirurgiens
étaient honnis, poursuivis de la haine des ma-
lades et du courroux des médecins ordinaires.
Surtout au début du XVIe siècle,on les condam-
nait à presque mourir de faim, parce qu'ils
avaient dû se recruter en dehors de l'organi-
sation cléricale, depuis que le concile de Tours
avait interdit aux prêtres les opérations san-
glantes, et parce que le travail manuel était
l'objet d'un certain mépris.
Mais Louis XIV eut une fistule. Le chirur-
gien Félix opéra le roi, et celui-ci, reconnais-
sant, lui' donnd' des honoraires trois fois su-
périeurs à ceux des médecins et des titres de
noblesse. Bienheureuse fistule ! Elle releva dé-
sormais le prestige de la chirurgie.
Aujourd'hui, comblés d'honneurs,les chirur-
giens méprisent la partie du corps médical
où l'en ne taille ni rogne : et ils amassent des
fortunes.
-x-
Toujours la moustache.
On continuera encore longtemps à agiter
l'importante question de la couleur de la
moustache et de l'impériale de Napoléon III.
Voici aujourd'hui le témoignage d'un spé-
cialiste, et il semble bien qu'il doit mettre fin
au débat. C'est celui d'Eugène, l'ancien coif-
feur de l'empereur.
« Monsieur,
« Ancien attaché à la famille impériale pen-
dant quatre ans comme coiffeur de dames,
dans ce laps de temps j'avais l'occasion de voir
Sa Majesté presque tous les jours, soit à Pa-
ris, Biarritz, Compiègne ou Saint-Cloud.
« Je peux vous certifier que sa moustache
était châtain ; mais, au-dessus de la lèvre, elle
était un peu jaunie par la fumée de tabac.
« Vendiez agréer, etc.
, « EUGÈNE. »
Gageons qu'il se trouvera un autre coiffeur,
ou un ancien valet de chambre pour contester
cette affirmation.
Il y a quelques années, on a discuté de mê-
me pour savoir quelle était la couleur des yeux
de Napoléon Ier. Tout le monde s'en est mêlé.
On a consulté tous les mémoires du temps, et
constaté que tous les contemporains avaient
vu ces yeux olympiens d'une couleur diffé-
rente.
Et cependant, Dieu sait s'il avait fait les
gros yeux à l'Europe 1
-x-
Les petits Demosthènes.
Les orateurs politiques sont assez nombreux,
qui peuvent improviser un discours sur un su-
jet quelconque. En France, les parlementaires
de cet ordre ne nous manquent pas. Et Gam-
betta, par exemple, se vantait de parler sur
tout et sur l'heure- Il trouva certain jour son
maître. *
Il était en Espagne et déjeunait avec son ami
Emilio Castelar, ancien président de la Répu-
blique espagnole, député aux Cortès.
Au dessert, Castelar dit à Gambetta :
— Au fait, tu ne m'as jamais entendu par-
ler en public. Veux-Lu m'entendre ?. Oui ?
Alors, allons aux Cortès.
— De quoi s'agit-il ? demanda Gambetta.
— Je ne sais pas, répondit Castelar. Je te
parie que je parle deux heures, quel que soit
le sujet, et que je fais triompher mon opinion,
quelle qu'elle soit ?
Ils allèrent donc aux Cortès, Castelar instal-
la son ami dans une tribune, puis monta" au
bureau et demanda au président ce qu'on dis-
cutait :
— Une loi sur les terrains désaffectés dans
les cimetières.
— C'est bien, dit Castelar, je demande la pa-
role. Inscrivez-moi.
Quand l'o-rateur eut fini, Castelar monta à la
tribune, et. çur ce sujet qu'il ne connaissait
pas, dont il ignorait le premier mot, il fit un
discours de trois heures — magnifique.
Il fut acclamé.
— Mon bon ami, lui dit Gambetta, tu as sans
éowle «beaucoup de talent, mais je n'ai pas
compris un mot : j'ignore l'espagnol.
IMPRESSIONS D'UN SPECTATEUR
Articles de Paris: le joueur de Cercle.
C'est généralement un monsieur qui se lève à
midi. 11 déjeune, rhabille lentement et ne sait com-
ment tuer le temps jusqu'à quatre heures. Il ar-
rive au cercle avant la première banque, et c'est
à peine s'il s'inquiète des nouvelles du jour : « Est-
ce qu'on ne va pas bientôt commencer ? » intere
rogc-t-il. Il frémit, il Ipiaffe. Les autres joueurs se
montrent l'un après l'autre ou se serrent la main,
sans se connaître, en se méprisant vaguement ;
mais avec la cordialité d'individus qui ont besoin
les uns des autres.
Le joueur s'installe. Il tripote ses jetons', il a
hâte de recevoir sa carte. Il la-tient enfin, puis
une autre. Grand silence. « En voulez-vous ? »
dit le banquier. Il file ses cartes l'une sur l'autre.
Suprême émotion, indicible jouissance. Il abat, s'y
tient ou en demande. Dans ce dernier cas, nouvelle
émotion ! Espérance ou déception. Le Danquier
auscsi prend une carte. C'est une bûche. 0 joie !
Sensation ! Frémissement ! En deux minutes, le
joueur a souri, grincé, sué, souffert.
Et ainsi de suite jusqu'à huit heures, où l'on va
dîner. Et pendant ces quatre heures, quel argot !
Il Charles, deux cents louis ! — Je me culotte. —
Le tirage à cinq, il n'y a que ça ! (quand il réussit.)
Aussi pourquoi avez-vous tiré à cinq ? (quand ça ne
réussit pas. )—Vous avez tiqué, le banquier a vu que
vous aviez sept.— J'en donne.— J'en prends.- Une
bûche. — Vingt-cinq louis qui tombent.— Charles,
deux cents louis, s.v.p. — Vous savez, un tel est
mort ? — Il. doit savoir maintenant s'il faut tirer à
cinq. — Les cartes passent. — Huit 1 Neuf ! —
Abattez franchement !- Charles, deux cents lauis!»
Le joueur va dîner, décavé, éreinté, nerveux. Il
a perdu, il se couchera de bonne heure, ou bien il
finira sa soirée au théâtre. Bast, neuf heures son-
nent : il n'y tient plus. Il prend congé de ses am-
phitryons, sous un prétexte à peine acceptable, et
le voilà parti pour le « tripot ». C'est de ce nom
qu'il qualifie le paradis où seulement il respire.
Quelquefois, le joueur gagne. Alors, il a un bon
mouvement. Il empoche son argent et s'en va ;
mais, arrivé à la porte : « Encore un coup ! » se
dit-il, et il revient à la table, jusqu'à ce qu'il ait
tout reperdu. Vingt-cinq ans plus tard, on re-
trouve ce décavé dans un cercle. Il n'est plus
joueur, il est commissaire des jeux. — PUCK.
Triple alliance scientifique.
Trois expéditions sont parties simultané-
ment : l'une allemande, l'autre russe, et la
troisième française. Elles sont décidées à s'ap-
puyer et à se prêter tous les concours imagi-
nables.La- science seule,et en particulier l'as-
tronomie, peuvent créer de telles triplices.
Ces trois missions vont en Asie Centrale
observer l'éclipsé de soleil qui doit se pro-
duire le 14 janvier prochain. Elles sont sui-
vies d'un matériel assez considérable. La mis-
sion allemande, en particulier, emporte des
instruments qui pèsent jusqu'à quatre mille
kilogrammes.
Après avoir séjourné deux jours à Tashkend,
capitale de l'Asie centrale russe, l'expédition
russe et la française se rendront à Ura-Tijube :
l'expédition allemande prendra son poste d'ob-
servation à Dzhisak. En dehors de leurs ob-
servations astronomiques, les trois expédi-
tions feront des observations météorologiques
et prendront les divers degrés de la tempéra-
ture de l'air ambiant au moyen d'instruments
automatiques.
-x-
Pour le « Vieux Major ».
Les personnes qui se règlent sur les prédic-
tions météorologiques de ce mystérieux et
ponctuel militaire pour commander leurs vê-
tements et régler leurs villégiatures vont pou-
voir s'édifier sur la valeur de ces pronostics,
en les comparant aux résultats.
Voici, en effet, le bilan météorologique de
l'an dernier.
D'après M. Joseph Jaubert, directeur de
l'Observatoire municipal, la température
moyenne it Paris (Mqntsouris) de l'année qui
vient de prendre fin, a été de 11°1 soit 0°3 au-
dessus de la normale.
Février, mars, avril, juin, septembre et dé-
cembre ont été plutôt froids, les autres mois
chauds, surtout janvier qui avait présenté un
excès de 2°2 ; en janvier 1906, on avait eu
d'ailleurs à Paris des maxima très élevés ;
15 à 16°. Le nombre des jours de gelée a été
de 54 ; l'excès est dû à la fréquence des gelées
en décembre dernier : 18 jours dont 14 consé-
cutifs. Les jours de grande chaleur, c'est-à.
dire ceux pendant lesquels la température at-
teint ou surpasse 30°, ont été de 14, répartis
entre le 27 juin et le 4 septembre ;. cela pou
Paris, car dans la banlieue le chiffre de 30° a
été plus souvent dépassé.
En 1906 la pluie à Paris a été exceptionnel-
lement abondante ; tous les mois, sauf juin,
septembre et octobre, ont fourni un excès
d'eau ; juin a été par contre marqué par une
sécheresse extraordinaire qui n'avait pas été
constatée à Paris depuis 1870. A Montsouris,
en 1906, il est tombé 683 mm. d'eau au lieu de
560 mm. ; au centre de Paris, la quantité re-
cueillie est .un peu plus faible, mais sur quel-
ques points de la banlieue on a eu plus de
700 mm.
Il est rare à Paris de recueillir en une année
plus de 650 mm. d'eau ; on signale six cas
seulement en trente-quatre ans : 1872, 1878,
1885, 1806, 1905 et 1906.
Et la terre a toujours tourné.
-.x-
Les enfants prodigues.
Tandis que la princesse Louise de Cobourg
goûte les joies de notre hospitalité après les
rudes épreuves de l'asile où M. son mari l'in-
terna, les tribunaux viennois sont saisis des
réclamations que ses créanciers élèvent.
Hier encore, Ül' princesse Louise a été con-
damnée à rembourser au comte Festetich une
somme de 55.COO francs que celui-ci lui avait
versée en automne 1905, dans un moment
rembarras financiers. M. Festetich réclamait
le remboursement de 100.000 francs ; mais l'a-
vocat de la princesse déclara que les 45.000
francs restant constituaient des intérêts usu-
raircs, ce que le créancier contestait. Et Iz tri-
bunal a décidé d'ajourner le jugement au su-
jet des 45.000 francs.
Le roi des Beiges, si bon ordonnateur de sa
fortune, souffre cruellement en sa descendan-
ce : « A père économe, filles prodigues. »
X-
Il y a des juges en Espagne.
On n'a pas oublié l'affaire Casa-Riera, cette
singulière histoire d'un forgeron qui voulait
absolument persuader à un noble espagnol
qu'il était mort. Le noble espagnol ne voulut
jamais croire à son propre décès. Et il fit bien,
car les tribunaux français lui donnèrent rai-
son.
Seulement, pîur forcer la conviction du
marquis, le forgeron avait eu recours à des
amis trop zélés, qui avaient cru devoir arran-
ger légèrement des actes de l'état-civil espa-
gnol.
Cette affaire, qui fut bien parisienne, vient
d'avoir son épilogue dans la Péninsule.
L'un des prévenus, Emile Goulère,' convain-
cu d'avoir dressé un faux acte de décès du
marquis Alejandro-Mora Riera ; un autre ac-
cusé .Juan Balada, qui a signé cet acte. et un
troisième, José Huguet, impliqué dans l'affai-
re, ont été condamnés à huit ans de servitude
pénale et aux dépens.
Le Cercle Rubens. -
On annonce comme prochaine, l'ouverture,
dans un quartier voisin de la gare Saint-La-
zare, d'un nouveau cercle — mixte comme tous
les autres — mais dont l'organisation présen-
tera un caractère inédit jusqu'ici.
Il s'appellera le Cercle Rubens — oa n'a pas
osé l'appeler Rubens Club. — Installé dans un
hôtel, qu'entoure un parc assez vaste, il com-
portera une exposition de peinture permanen-
te. Les toiles seront choisies par des personna-
lités essentiellement compétentes en matière
d'art. Le cercle, d'ailleurs, sera très probable-
ment présidé par une haute personnalité ar-
tistique. Les tableaux Feront de toutes les éco-
les.
Chaque semaine, un [ive o'clock réunira tous
les adhérents et adhérentes de l'association,
qui vivra naturellement sous le régime de la
loi de 1901.
Au cours de ces réunions hebdomadaires,
on ne célébrera que le culte de l'art. et du
baccara, l'une des toiles exposées sera mise
en tombola par billets gratuits. Aussitôt après
le tirage, le comité se rendra acquéreur du ta-
bleau et l'offrira au gagnant.
On ne peut dire encore à quelle date exacte-
ment, le cercle ouvrira ses portes, mais les or-
ganisateurs. s'en occupent de manière très ac-
tive et très intelligente.
Le meilleur mode de chauffage, à vapeur
ou à eau chaude, est le système Sulzer frè-
res ; adressez-vous : 16, avenue de la Répu-
blique. Paris. (Téléphone 934-64.)
-x-'
Le garçon de restaurant. — J'ai le regret de
vous dire, monsieur, que je quitte la boîte de-
main.
Le client. — Je le regrette aussi. Vous m'a-
vez toujours bien servi-Qu'est-ce qui vous man-
que ici ? N'êtes-vous pas suffisamment payé ?
— Oh ! si monsieur.
— Alors, quoi ?.
— C'est que, voyez-vous, monsieur, le pa-
tron ne veut pas que j'aille prendre mes repas
au dehors.
Le Diable boiteux.
- -
Propos du Jour
Au sabre
Respectueusement dédié à S. E'. le comte de Ro-
manônes, compatriote du Cid et pacifiste.
Quand de jeunes Français, vont sur le pré et
qu'un des deux ne1 reste pas sur le dos, les gens
qui ne se sont jamais mis en face d'un homme
qu'ils insultaient ou calomniaient, s'esclaffent de
rire.
Et leur plus fort argument est celui-ci : CI On se
« bat bien mieux que ça à l'étranger. »
Eh ! bien ! à l'étranger, voilà comment l'on se
bat : •
M. le comte Lucien dal Torso et Vavocat Gino
Schiavi se sont battus, hier, au sabre, dans une
villa, près de Udine. Ils ont fait quarante-deux re-
prises, et pas môme une goutte de sang n'a élé
versée de part et d'autre. À la fin, les combattants
étant fatigués, aussi bien que les témoins, le com-
bal a pris fin.
Les adversaires ne se sont pas serré la main.
Quarante-quatre reprises sans boire. une goutte
de sang !
Ce n'est pas encore ces lapins-là qui viendront
faire le poil à nos champions : n'est-ce. pas Jo-
seph Renaud, Georges et Paul Breitfmayer, Ar-
mand Lusciez, Marcel et Jacques Boulenger, Bru-
neau de Laborie, Et le brave petit Willy Sultzba-
cher, et tutti quanti !
Quarante-quatre reprises, pour rien ! Et au sa-
bre !
Pourquoi pas à la hache d'Abordage, au fau-
cliard, à l'esponton, à la guisarmt!
Quand on a le foie de cette couleur-là tous les
deux, on peut choisir les armes les plus terribles ;
il n'y a pas de risques !
Notez, que le sabre en est une, et autrement
dangereuse que nos épées de combat. à la condi-
tion de s'approcher.
L'extrémité de la lame en biseau, affûté des
deux côtés, tranchante comme un rasoir, pénètre
bien plus aisément et bien plus profondément que
l'espèce de clou qui termine nos épées et qui
s'émousse pour un rien.
Car ce n'est pas le coup de taille qui est mortel
au sabre, mais le coup de pointe.
C'est ainsi que fut tué Cavallotti, en Italie, d'un
coup d'arrêt dans la bouche. C'est ainsi que j'ai
vu descendre ou estropier, au régiment, pas mal
de mes camarades.
Le coup de pointe de sabre à l'intérieur du poi-
gnet par exemple, tranche les tendons et laisse
les doigts ankylosés et recroquevillés à jamais.
J'en ai tâté de la pointe du sabre. après en
avoir fait goûter aux autres.
C'est péremptoire, comme disait Dumanet. Le
plus difficile se tient pour satisfait, après.
Cela se passait au 13e régiment de chasseurs à
cheval, il y a. assez longtemps, et même trop.
Un de mes camarades s'était montré particulière-
ment désagréable avec les jeunes gens de famille
placés sous ses ordres.
Nous étions égaux en grade — et vous ne sau-
rez jamais lequel, j'ai mes raisons ; - je le pro-
voquai en galant paladin.
Je m'étais déjà battu heureusement et j'avais
fait la guerre.
Je n'en reçus pas moins, ayant chargé im-
prudemment, un fort joli coup de pointe dans
l'avant-bras, qui me dispensa de service pendant
deux mois.
J'y pense chaque fois que le temps change, et
non sans plaisir.
Quant à mon adversaire, un solide fils de fer-
mier, qui tremblait d'émotion avant l'affaire, il
devint un vrai bourreau des crânes — et mon meil-
leur camarade.
Il est vrai que nous n'avions pas fait quarante-
quatre reprises pour rien.
A la 3e, j'avais mon compte — et nous nous ser-
rions la main - gauche pour moi.
Louis d'Hurcourt.
■■ II » n ■
COUPS DE CRAYON
Deux janvier
Ce matin, à six heures, un monsieur en habit a
sonné à la porte d'entrée. Il tenait une bourriche
d'huîtres à la main. Il est arrivé difficilement jus-
qu'à la concierge qui dormait. Il l'a réveillée et
lui a demandé, avec un fort accent britannique, si
elle pourrait lui donner une bouteille de vin blanc
pour boire en mangeant ses huîtres.
Ma concierge, tirée de son sommeil matinal, s'est
levée et l'a mis à la porte avec un vigoureux coup
de pied au bas du dos.
Notre Anglais se demanda sans doute si c'était
là le traitement qu'on accordait à la nation la plus
favorisée: Puis, comme il était complètement gris
et qu'il ne se souciait de rien, il s'assit sur le trot-
toir et se mit à manger ses huîtres en les trem-
pant dans l'eau du ruisseau.
Voilà, si je ne me trompe, ce qu'on appelle faire
la fête.
Comme nous n'avior.s pas assez d'occasions lé-
gales de nous amuser, et qu'il vaut mieux que,
dans une république, même la noce se fasse con-
formément aux lois, nos législateurs nous ont ac-
cordé un jour férié de plus, le lundi inséré entre le
dimanche 30 décembre et le mardi 1er janvier. Nous
avons donc traversé le pont qu'ils noua ont offert.
C'est encore un de ces ponts sur lesquels on danéëj?
Après ces trois jours de repos, nous sommes très
fatigués. Nous ne pourrions pas en supporter da-
vantage. Trois jours à ne rien faire ! Il faut être
d'acier pour y survivre. Comment remplir ces
jours vides ! Les déjeuners s'allongent jusqu'à
l'heure du goûter ; les goûters se traînent jusqu'au
dlner. Et tout le long du jour on mange des cho-
colats qui vous rendent mélancoliques et vous font
vivre sous l'impression qu'une grande calamité
pèse sur vous. Après le dîner, asphyxie obligatoire
dans un quelconque de nos théâties parisiens. Puis
souper, puis le reste.
On n'a pas à se lever de bonne heure le lcmfe.
main, aJors on ne se couche pas.
Heureusement que le jour de l'an n'arrive qu'une
fois chaque année et ne tombe qu'à son tour sur le
mardi.
Claude Anet.
Une Enquête sur l'utilité
des tangues étrangères
(Suite et Fin)
———— (lj
Nos lecteurs voudront bien se souvenir qu«
nous avions posé à nos correspondants la ques-
tion suivante :
Voulez-vous énumérer, dans l'ordre de vos,
préférences, les langues que vous jugez les.
plus utiles ?
Voici comment il a été répondu à cette ques-
tion :
Pour la lre place
*
Anglais .:.,. 317
Allemand 49
Espagnol 9
Italien. ", 3
Pour la 2e place
Allemand 75
Espagnol. 0" 28
Italien. 13
R liSSe.- 2
Portugais 1
Pour la 3e place
Espagnol 44
Italien. 33
Russ~ 7
Hollandais. 2
Portugais 1
Pour la 4e plàce
Italien 33
Russe 4
Hollandais. 1 v.
Portugais 1
L'ordre définitif est donc celui-ci .: 1° An*
glais, 2° Allemand, 3° Espagnol, 4° Italien,
5° Russe, 6° Portugais.
Dans les professions libérales et intellectuel-
les, la balance a été à peu près égale entre
l'anglais et l'allemand. Ce sont les professions
commerciales, industrielles et manuelles qui
ont donné l'avantage au premier de ces idio-
mes.
J'ajoute que deux de mes correspondanfs
attachent une grande importance au Japonais
ce sont MM. le général de Galliffet et Cabart-
Danneville.
A
La dernière question posée était.celle-ci :
En représentant par 100 la valeur intrinsè-
que d'un homme à ses débuts dans la carrière
à laquelle vous appartenez, et qu'il doit par-
courir, voulez-vous exprimer en « pour cent «,
la plus-value représentée par la connaissance
d'une ou plusieurs langues étrangères.
La réponse à cette question devait synthéti-
ser, pour ainsi dire, les rés-ultats de cette en-
quête, et leur donner la valeur palpaple d'une
formule arithmétique. Je ne me dissimule pas
qu'on ne peut lui accorder l'intangible préci-
sion d'une expression mathématique. Mais,
étant donné que les auteurs des réponses par-
lent suivant les aspirations d'une profession
ou d'un-métier don4 ils connaissent mieux que
personne les conditions, les exigences et l'a-
venir,elles représentent tout au moins une sen-
sible approximation sous une forme facilement
saisissable.
Voici les moyennes obtenues dans chaque
catégories de correspondants :
v Pour cent
Honunes politiques 49 W
Avocats 100
'Magistrats 17 50
Ecri vaine. 100
Diplomates 50
Académie des sciences r 58
Académie des sciences morales. 60
Académie des inscriptions 50
Académia des beaux-arts.-. 17 50
Académie de médecine 33
Instruction publique 52 50
Artistes dramatiques et lyriques. 100
Armée 100
Finances et industrie.¡' 30
Chambres syndicales patronales. 50 20
■ Syndicats d'ouvriers et employés. 126 50
La moyenne générale donne 61.76 ûour cent.
-
Ce tableau montre tout d'abord* par l'éléva-
tion des moyennes, l'énorme importance at-
tachée paT tout le monde à la connaissance des
langues étrangères. Il convient de remarquer;
que ces chiffres ont d'autant plus de prix qu'ils
ont été donnés par nos correspondants d'une
façon très réfléchie, comme en témoignent les
missives développées qui les accompagnent
presque tous. Et ce qui montre bien qu'ils se
rapprochent certainement de la vérité, au
moins théorique, c'est que certaines catégories
qui sont presque assimilables, arrivent à peu
le chose près au même résultat : c'est ainsi
que Jes chiffres donnés par l'académie des
sciences, l'académie des sciences morales et
l'académie des inscriptions — par les savants
— sont : 58 — 60 — 50
Mais le même tableau provoque une autre
réflexion résultant d'un fait qui paraîtra à
beaucoup, tout à fait inattendu : La catégorie
qui a fourni la moyenne la plus élevée, 126-50
pour cent, c'est celle des syndicats d'ouvriers
et d'employés. On pensera peut-être qu'il y ai
là une inexpérience dans le maniement du
« pourcentage ». Ce serait une erreur absolue.
Il n'y a qu'à lire les exposés de motifs cons-
ciencieux, documentés et presque toujours lu-
mineux qui accompagnent ces chiffres pour se
rendre compte que les secrétaires des syndi-
cats de la Bourse du travail ont très exacte-
ment dit ce qu'ils voulaient dire. Et, en admet-
tant même que ce chiffre dépasse l'appoint réel
apporté à lw valeur du travailleur pour les lan-
gues étrangères, il montre dans tous les cas,
l'impérieux besoin que celui-ci éprouve de les
connaître, et la puissance de l'intérêt qui- lut
fait voir dans ces notions nouvelles, une âme"
lioration de sa situation.
Je dois dire que résultai ne m'a qu'à-demi
surpris. Je le préssentais, et c'est là une des
raisons qui m'ont fait entreprendre cette en-
quête. Elle avait pour but, en effet, dans mon
esprits non seulement de 'démontrer l'impor-
<1) Voir Oil Blas des 23, 95, 26, 87, 88, 31 décembre
1906 et des 1" et 2 janvier 1907k
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