Titre : La Lanterne : journal politique quotidien
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1892-06-08
Contributeur : Flachon, Victor. Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 08 juin 1892 08 juin 1892
Description : 1892/06/08 (N5527,A16). 1892/06/08 (N5527,A16).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG33 Collection numérique : BIPFPIG33
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-54
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 10/07/2012
La Lanterne
"—
1
tDMLNISTRATION. RÉDACTION ET ANNONCES
J A PARIS
ILS — Rue Rieher — 18
1
£ es articles, non insérés ne seront pas rendus -
ABONNEMENTS
PARIS
UN MOIS 2 FR.
TROIS MOIS. 5 FR.
SIX MOIS 9 FR.
UN AN 13 FR.
JOURNAL POLITIQUE QUOTIDIEN
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le Numéro :. 5 u centimes
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN MOIS. 2 FR.
TROIS MOIS 6 FR.
SIX MOIS. 11 FR.
UN AN. 20 FR.
SEIZIÈME ANNÉE — NUMÉRO 5527
MERCREDI 8 JUIN 1892
; 20 PRAIRIAL — AN 100 8
- - **•»«»• • - •»" -
■ A NANCY
Les esprits timorés qui, sur les indi-
cations envoyées de Berlin par M. Her-
bette, prétendaient humilier la France
devant le mécontentement éventuel de
Guillaume II, sont loin de compte.
, Toutes les précautions avaient été
prises pour réduire la manifestation de
Nancy aux proportions d'une fête fo-
raine agrémentée par quelques hypo-
crisies d'évêques faisant la parade
sous l'œil attendri du président de la
République.
Les drapeaux aux couleurs amies
avaient été proscrits, les cris natio-
naux interdits ; tout devait se passer à
la muette, sans tambours ni trompettes
A plat ventre devant l'Allemagne :
tel était l'ordre venu d'en haut.
Eh bien! tout cela a été vain : on ne
met pas ainsi la sourdine au patrio-
tisme d'une na&im comme la France.
Pour jeter à bas tout cet échafaudage
d'humiliation imaginé par la peur, il a
suffi de la présence à Nancy d'un prince
étranger, qui a réveillé dans le cœur
de chacun les sentiments qu'on s'était
^efforcé d'y étouffer.
Le grand duc Constantin, cousin de
l'empereur de Russie, est apparu au
milieu de cette fête attristée, et sou-
dain un délire de patriotisme s'est em-
paré de tous les esprits.
Les drapeaux défendus ont été im-
médiatement arborés, et de toutes les
poitrines, contraintes jusqu'alors, est
sorti ce cri retentissant : Vivent la
France et la Russie !
On se serait cru à Cronstadt.
Voilà comment le sentiment popu-
laire parvient à se faire jour en dépit
des platitudes d'un gouvernement qui
mesure à son peu de cœur, le cœur de
la nation.
Eh oui ! Vivent la France et la Russie ;
voilà ce qui se crie aujourd'hui devant
la trouée des Vosges.
Tant pis pour ceux à qui cela déplait
en Europe.
S'ils en ont ombrage, eh bien, qu'ils
nous l'envoient dire, ils trouveront à
qui parler.
Vivent la France et la Russie ! cela
veut dire, à deux pas de la geôle où
gémissent l'Alsace et la Lorraine :
le Droit prime la Force !
Si ce n'est pas la pensée du gouver-
nement, c'est la pensée de la France,
et il faut qu'on sache qu'elle est libre
de dire chez elle ce qu'elle pense.
Décidément, il y a des princes qui
ont de l'esprit : cela leur arrive surtout
quand ils aiment la France.
Guillaume II peut aller maintenant
à Kiel pour y mendier une poignée de
main du tsar.
Nous savons maintenant à quoi nous
en tenir, après la visite à Nancy du
grand-duc Constantin. -
Kronstadt, qu'une politique apeurée
et Indigne de la France avait voulu at-
ténuer en en noyant la signification
dans les eaux de Portsmouth, en atten-
dant qu'on l'eût laissée naufrageir dans
les eaux de Kiel, Cronstadt tient tou-
jours.
, La double alliance,, qui dépassait
les petits esprits du quai d'Orsay et
terrifiait les cœurs faibles qui nous
gouvernent ; la double alliance s'af-
firme avec éclat et regarde dans les
yeux la triple alliance qui, du coup,
S'effondre et s'évanouit.
- L'acte de faiblesse commis par le
gouvernement était gros d'une guerre,
car la pusillanimité appelle les repré-
sailles.
La manifestation de. Nancy, aujour-
d'hui triomphale, répare cette faute et
Consolide la paix.
Car, qui donc en Europe oserait la
troubler, aujourd'hui que l'on sait que
nous avons reconquis notre force et
que, malgré notre gouvernement qui
s'ingénie à nous rapetisser, on nous
l'entend proclamer sans provocation
mais avec fermeté.
Humbles à Nancy, c'était la guerre ;
nous y avons relevé la tête, c'est la
paix, parce que l'on voit que nous som-
mes en mesure de l'imposer.
LA FRANCE ET L'ESPAGNE
Le « modus vivendi »
Madrid, 6 juin. — MM. Navarro Rever.
ter et Gomez ont quitté Madrid ce matin
pour venir à Paris négocier les prochains
tarifs franco-espagnols.
11 se confirme que le but de M. Canovas
serait de proroger indéfiniment le modus
Vivendi français, d'une part, et d'organi-
ser ensuite des modi vivendi semblables
tvec d'autres puissances. Il se réserverait
de négocier plus tard des conventions dé-
finitives. quand, il aura pu juger des ré-
sultats donnés - par les régimes provi-
soires.
Anatole de la Forge est mort.
Cette douloureuse nouvelle nous cause
une émotion que nous ne parvenons pas
à maîtriser : elle sera non moins vive-
ment ressentie dans tout le parti républi-
cain et aussi dans le pays.
En effet, bien qu'ayant des opinions
très nettes et très arrêtées, de la Forge
n'avait pas un ennemi.
C'était dans toute l'acception du terme
un galant homme, et si ses idées pou-
vaient rencontrer des contradicteurs, sa
personne était entourée par tous de res-
pectueuses sympathies.
Cette mort si inopinée est un deuil
cruel pour ce journal où, dans sa verte
vieillesse, il avait tenu à poursuivre la
lutte pour la République et pour la liber-
té, qui a rempli toute son existence.
Douloureusement frappes dans notre
amitié par ce coup inattendu, nous ne le
sommes pas moins comme républicains et
comme Français par la perte de ce pa-
triote.
Il fut un de ceux qui, dans l'année ter-
rible, ne désespérèrent pas de la patrie.
L'inoubliable souvenir de la défense de
Saint-Quentin est présent à tous les
coeurs.
On se rappelle comment, avec une poi-
gnée de braves électrisés par son héroïs-
me, il tint tête à un ennemi victorieux.
Grièvement blessé dans cette journée
mémorable, il ne voulut pas capituler,
lorsque, quelques semaines après, l'enne-
mi revint en nombre, et, plutôt que de se
rendre, il se démit ie ses fonctions pour
aller demander au gouvernement de la
Défense nationale l'emploi de son courage
que la souffrance physique n'avait pas
abattu.
La paix signée, surmontant la douleur
que cette déchéance avait causée à son
cœur de Français, il reprit vaillamment
la plume pour contribuer par la défense
de la République et de la liberté au relè-
vement de la France.
Lui qui avait connu tous les excès de
l'absolutisme impérial pour les. avoir
combattus dans la presse dont il fut pen-
dant cette période un infatigable et bril-
lant champion, il voulait pour la France
enfin constituée en République un régime
de liberté, parce qu'il y voyait la condi-
tion première de la grandeur du pays.
Mais la République telle que la fit le
gouvernement de Versailles était trop ti-
morée pour utiliser son dévouement. Ap-
pelé à un poste important, à la direction
de la presse, il dut bientôt se démettre,
ses idées libérales l'ayant rendu suspect
aux dirigeants d'alors. -
Le réveil d'opinion que suscita l'ordre
moral le poussa à la Chambre où il fut
envoyé par le neuvième arrondissement
de Paris, en remplacement d'Emile de
Girardin.
Rendant hommage à l'intégrité de son
caractère, la Chambre, par un vote pres-
que unanime où tou-tes les opinions étaient
confondues, le porta à la vice-prési-
dence, donnant ainsi le spectacle de l'u-
nion des partis sur le nom d'un homme
d'honneur.
De La Forge était non moins honoré à
l'étranger. Il était populaire en Italie. Lié
avec tous les chefs de la démocratie tran-
salpine, il poursuivait le rêve d'une al-
liance entre la France et l'Italie, rêve qui
eût été réalisé en grande partie par ses
efforts, si, pour le malheur des deux na-
tions, de l'Italie surtout, le gouvernement
de ce pays n'eût renié toutes les tradi-
tions nationales en se faisant l'humble
valet de l'Allemagne.
Mais la réalisatioa-de cette idéedJunion
qui était l'un des plus ardents espoirs
d'Anatole de la Forge, n'est qu'entravée.
Lorsque la Révolution qu'il entrevoyait
et qu'il appelait de ses vœux aura débar-
rassél'Italie d'une dynastie anti-nationale,
l'alliance rêvée par lui se fera spontané-
ment sur le terrain de l'affranchissement
de toutes les tutelles, celle du Vatican
comme celle du Quirinal.
Cœur épris de toutes les causes qui
sont l'honneur de l'humanité, âme che-
valeresque, esprit charmant d'une fer-
meté antique pour tout ce qui tou chait à
l'honneur, de la Forge poussait le dé-
sintéressement jusqu'à l'héroïsme.
Il y a quelques jours à peine, il refu-
sait un poste où il craignait que des in-
firmités que ses scrupules exagéraient ne
vinssent entraver son dévouement.
De la Forge est mort pauvre. Il était
de ceux qui se contentent de servir la
Démocratie, sans lui rien demander.
Honneur à sa mémoire !
M. Eugène Mayer, notre directeur, est
absent de Paris depuis deux jours.
Nous lui avons télégraphié la triste
nouvelle de la mort d'Anatole de la Forge.
Il nous a immédiatement répondu en
nous faisant part du chagrin que lui cau-
sait la fin si soudaine de cet homme pour
lequel ilia-vait tant d'estime et une si pro-
fonde affection.
M. Eugène Mayer rentrera aujourd'hui
Aug la mâtiiiée-
ANATOLE DE LA FORGE
UN VAILLANT PATRIOTE ET UN AR-
DENT RÉPUBLICAIN
Diplomatie et journalisme. — La dé-
fense de Saint-Quentin. — Actes
d'indépendance à la Chambre.
— Arbitre d'honneur.
Anatole de la Forge, ancien député,
ancien vice-président de la Chambre, an-
cien préfet de la Défense nationale, est
mort hier matin à neuf heures en son
domicile 72, avenue de Villiers, d'une
attaque d'apoplexie foudroyante, à l'âge
de soixante-onze ans.
Né à Paris en 1821, au 18 de la rue Ri-
cher, dans la maison même où se trou-
vent les bureaux de la Lanterne, Ana-
tole de La Forge entra fort jeune dans
la diplomatie et remplit une mission en
Espagne en 1846.
Mais il donna bientôt sa démission pour
faire du journalisme, et nous le retrou-
vons à l'Estafette et au Siècle, sous la
deuxième République et l'Empire.
Il se fit remarquer par l'ardeur qu'il
mit à défendre la cause des peuples op-
primés, notamment celle de l'Italie et de
la Pologne, par ses idées libérales et par
plusieurs polémiques fort vives au sujet
du pouvoir temporel du pape.
Le préfet de la Défense nationale
Après la l'évolution du 4 Septembre
1870, le gouvernement de la Défense
nationale nomma M. de la Forge préfet
du département de l'Aisne, alors occupé
par les Prussiens. Comme le chef-lieu
était entre les mains des ennemis, le
nouveau préfet s'établit à Saint-Quentin,
ou il organisa aussitôt larésistance. L'en-
nemi ayant attaqué le 8 octobre cette ville
que protégeaient de simples barricades,
M. de la Forge se mit à la tête des gardes
nationaux, des pompiers et des francs-
tireurs et fit une telle résistance que les
Prussiens battirent en retraite.
Pendant cette journée, le vaillant préfet
reçut une grave blessure à la jambe. Le
ANATOLE DE LA FORGE
gouvernement le félicita de sa brillante
conduite et le nomma officier de la Lé-
gion d'honneur.
Quelque temps après, un corps d'ar-
mée ayant fait un retour offensif et le co-
mité de défense s'étant opposé à ce qu'on
reprît une seconde fois les armes, M. de
la Forge donna sa démission de préfet et
se rendit auprès de Gambetta à Tours.
Le ministre de l'intérieur le nomme
alors préfet des Basses-Pyrénées et il
organisa dans ce département les légions
de mobilisés (fui se distinguèrent à Dijon
pour suivre plus tard la fortune de l'ar-
mée de Bourbaki.
Après la guerre, M. de la Forge donne
sa démission et se retire pour se livrer à
des travaux littéraires. On lui doit l'Ins-
truction publique en Espagne; la Guerre,
c'est la Paix ; l'Autriche devant l'opinion;
Lettre à M. Dupanloup.
Il tenta une rentrée politique comme
candidat républicain dans le 7° arrondis-
sement aux élections de 1877, mais il fut
battu par l'amiral Touchard.
La direction de la presse
Quelque temps après, M. de Mar. ère
le nommait directeur de la presse au mi-
nistère de l'intérieur, mais il crut devoir
adresser à son chef hiérarchique un rap-
port sur la liberté de la presse. Cet acte
d'indépendance ne fut pas goûté en haut
lieu etM. de La Forge donna sa démission.
Le ge arrondissement l'envoya à la
Chambre en 1882, en remplacement d'E-
mile. de Girardin. Réélu en 1885 aux élec-
tions générales de la Seine par 222,334
voix, ses collègues le nommèrent vice-
président de la Chambre des députés par
458 voix sur 497 votants.
Il avait été choisi, en 1883, comme pré-
sident, par la Ligue des patriotes en rem-
placement d'Henri Martin, mais il donna
sa démission lorsque cette société entra
dans le mouvement boulangiste.
Le vice-président de la Chambre
En novembre 1888, ne partageant pas
l'opinion de la majorité de la Chambre
sur certaines questions, il se démit de
ses fonctions de vice-président et per-
sista malgré sa réélection.
La sympathie dont l'entouraient ses
collègues lui avait fait une situation
d'arbitre presque officielle dans les duels
et les affaires d'honneur.
Il ne fut pas réélu en 1889; depuis cette
époque M. Anatole de la Forge vivait
très retiré, nous le voyions fréquemment
à la Lanterne où il venait apporter ses
« Lettres Démocratiques * qui étaient si
appréciés de nos lecteurs.
Ces temps derniers, on lui avait of-
fert la succession d'Etienne Arago qui
était conservateur du musée du Luxem-
bourg, mais Anatole de la Forge qui avait
déjà eu une attaque d'apoplexie et n'en-
tendait plus que très difficilement. cr"t
devoir résigner les fonctions qui lui
étaient offertes comme une retraite ho
norable.
Les circonstances de la mort
Hier matin il s'était levé comme à son
ordinaire à sept heures, sa toilette faite,
il avait déjeuné suivant son habitude,
d'une tasse de café noir, avec sa fille, puis
il s'est rendu dans son cabinet et s'est mis
à travailler.
A neuf heures, alors que la domestique
entrait pour faire le ménage, elle trouva
son maître la tête appuyée sur son bu
reau et comme s'il dormait.
Effrayée, elle appela; un médecin fut
mandé au plus vite, mais quand il arriva
il était trop tard, Anatole de la Forge
avait succombé à une attaque d'apoplexie
foudroyante.
A l'heure où nous écrivons, rien n'est
encore décidé pour les obsèques; né an-
moins on suppose qu'elles n'auront pas
lieu avant jeudi.
LETTRE DÉMOCRATIQUE
UNE SOCIÉTÉ D'ASSISTANCE PAR LE
TRAVAIL
Elle a été fondée il y a un an dans le
quartier de Batignolles-Monceau par des
Républicaines et des Républicains sous
les auspices de la mairie du dix-septième
arrondissement.
Cette société a pour but principal l'as-
sistance au moyen du travail, c'est-à-dire
le relèvement des malheureux par le la-
beur qu'on leur procure.
L'honorable M. Lalance, ancien député
de Mulhouse, en est le président.
On a d'abord songé aux femmes sans
ouvrage, puis la société va organiser
quelque chose de semblable pour les
hommes. Celles-là et ceux-ci, non inscrits
au bureau de bienfaisance, sonc exposés
faute de secours aux p!us cruelles mi-
sères.
Certes, la bonne volonté ne fait pas dé-
faut dans ce riche quartier. On donne
beaucoup aux pauvres mais onydjnne mal
parce qu un grand nombre de nos conci-
toyens distribuent au hasard des sommes
relativement importantes avec lesquelles
on sauverait des familles entières.
La société d'assistance de Batignolles-
Monceau s'efforce de mettre un peu d'or-
dre et de méthode dans la distribution
des secours. Elle se renseigne sur l'hono-
rabilité des indigents les plus dignes
d'être soutenus.
« Ce n'est pas l'intérêt du donateur que
nous prenons, c'est celui du pauvre. Ce
n'est point le superflu du riche que nous
défendons, die excellemment le rapport
de M. le secrétaire général de l'œuvre,
mais bien le nécessaire du malheureux, o
On le voit, les créateurs méritants de
cette œuvre de solidarité démocratique
poursuivent la réalisation de deux idées
utiles : combattre la mendicité profession-
nelle et secourir les vrais pauvres en leur
fournissant un travail régulier.
Nous venons de lire attentivement les
remarquables rapports soumis à l'assem-
blée générale du mois dernier. Ils font le
plus grand honneur à l'intelligence et au
dévouement du comité d'administration,
ainsi qu'à la commission des dames pa-
tronnesses. Ni les uns ni les autres.ne per-
mettent que nous les nommions. Mais
tout en respectant leur modestie exces-
sive, nous croyons remplir un devoir, au
nom des personnes aidées, en remerciant
ici la bienfaisance collective de la Société
d'assistance de Batignolles-Monceau.
La plupart de ses membres actifs sont
nos amis politiques, quelques-uns même
bien connus à La Lanterne, sont nos ar-
dents auxiliaires dans l'œuvre des étrennes
aux enfants moralement abandonnés.
Qu'ils nous laissent à notre tour la sa-
tisfaction de faire appel, pour leurs inté-
ressants protégés, aux cœurs généreux du
dix-septième arrondissement.
Tous voudront apporter une offrande à
cette société naissante qui a déjà fait
tant de bien et qui en fera tant encore
autour d'elle. Sonn .>m aimé est synonyme
de Fraternité.
Saluons-le avec respect, il représente
une vertu nationale. Ses membres, hom-
mes et femmes, consacrent une partie de
leur vie à découvrir les souffrances ca-
chées des pauvres honteux afin de les
soulager.
Quel beau rôle que celui-là!
Nous n'en connaissons pas de plus di-
gne des sympathies populaires.
ANATOLE DE LA FORGE.
[Cet article est le dernier qui ait été écrit
par M. A. de La Forge, notre éminent col-
i aborateur. Comme on vient de le voir, sa
dernière pensée de journaliste a été pour
une œuvre de bienfaisance.] *
LA CRISE EN ITALIE
Les douzièmes provisoires
Rome, 6 juin. --- C'est demain mardi
qu'aura lieu à la Chambre la discussion
du projet relatif aux douzièmes provi-
soires demandés par le gouvernement.
L'opposition demandera le scrutin se-
cret ; par suite, il y a lieu de croire que le
gouvernement sera battu; beaucoup de
députés qui n'auraient pas voté contre lui
au scrutin public n'hésiteront pas à re-
pousser les douzièmes par un vote secret,
pour hâter le moment des élections géné-
rales.
UNE CATASTROPHE
Neuf noyés
(De notre correspondant particulier)
Aix-les-Bains, 6 juin.— Une épouvan-
table catastrophe s'est produite aujour-
d'hui sur le lac du Bourget. Une embarca-
tion, sur laquelle étaient montées onze
personnes, a chaviré à la suite d'un coup
de vent ; neuf d'entre elles ont été noyées.
Les victimes, parmi lesquelles se trou-
vaient deux prêtres, appartenant dit-on à
un cercle catholique.
Les victimes sont de Voiron. Elles fai-
saient partie du patronage catholique de
cette ville et étaient allées en excursion
sous la conduite de l'abbé Prud'homme
qui est au nombre des noyés. On cite
parmi les élèves noyés les fils Reynaud,
Gaillard; Rabatel et Collomb, -
LES FÊTES DE NANCY
LE VOYAGE DU PRÉSIDENT DE LA
RÉPUBLIQUE
LE GRAND-DUC CONSTANTIN REND
VISITE A M. CARNOT
Quelques incidents. — L'évêque Turi-
naz.-La fête fédérale de gymnas-
tique. — L'arrivée du grand-
duc. — Enthousiasme indes-
criptibl e.- Les banquets.
(De notre envoyé spécial)
Nancy, 6 juin. — L'orage d'hier a com.
Nancy, gâté la plus grande partie de
plètement gâté la plus grande partie de
la féte. A la Pépinière, où se tient le con-
cours de gymnastique, une tribune a été
renversée; il y a eu plusieurs blessés,
mais, heureusement, les blessures sont
légères.
Je n'ai pu, à cause de ce temps épou-
vantable et de l'heure, vous signaler deux
incidents assez curieux.
Le premier a eu lieu au cercle mili-
taire où M. Carnot venait d'être reçu
assez froidement. Le président de la Ré-
publique placé à une fenêtre regardait
défiler la retraite aux flambeaux, M. Lou-
cet, ministre de l'intérieur, se trouvait à
côté de lui; passe à pied la fanfare des
dragons : « Tiens, les pompiers, s'écrie
M. Loubet ». (Textuel).
— Pardon, mon cher ministre, lui dit
M. Carnot, en se tordant de rire, ce sont
des dragons.
Cette phrase malheureuse a augmenté,
comme on pense, le froid qui régnait au
cercle militaire.
Le second incident a eu lieu au théâtre.
Les étudiants, vers la fin de la représen-
tation réclamèrent l'hymne russe à la mu-
sique du conservatoire de Nancy qui se
tenait sur la scène. Cette musique qui
avait reçu probablement des ordres for-
mels pour ne pas jouer l'hymne en ques-
tion, a refusé.
Cris, trépignements des étudiants qui
insistent; nouveau refus de la musique
qui se retire. Furieux, les étudiants et les
personnes présentes entonnent l'hymne
russe et le chantent à plusieurs reprises
en agitant leurs bérets ou leurs ehapeaux.
Si le gouvernement allemand n'adresse
pas des félicitations au quai d'Orsay, il
sera véritaulement ingrat.
Ce matin, le temps est moins mauvais
quoique toujours menaçant. La journée
officielle a commencé par la rencontre
attendue avec une certaine curiosité, de
M. CarnJt avec l'évêque de Nancy, le cé-
lèbre Turinaz.
Cette rencontre a eu lieu à la réception
des autorités qui a commence à neuf heu-
res moins le quart.
L'évêque de Nancy
L'évêque de Nancy est un gaillard
d'une belle prestance à allures plutôt
militaires que cléricales, le nez orné
d'un lorgnon est très accusé, la figure
assez jeune encore, a une expression de
dureté extraordinaire. Le personnage est
dodu dans son ensemble sans être trop
gras. Il passe ici pour un original. Ou
l'appelle le général Turinaz à cause de
ses manières brusques qui n'ont rien de
religieux.
Lorsque ce prélat de violet tout habillé
a présenté son clergé tout noir et très
laid d ailleurs, tout le monde a prêté l'o-
reille. On s'attendait à un incident qui n'a
pas eu lieu.
L'évêque, sur un ton manquant com-
plètement d'onction, a déclaré qu'il par-
tageait avec son clergé les sentiments
patriotiques des Lorrains et qu'il observait
la soumission quelles que soient les ins-
titutions du gouvernement et pratiquait
la religion; mais le bon apôtre s'est em-
pressé d'ajouter que pour lui le premier
devoir était d'obéir à Dieu et à la patrie,
ce qui voulait dire en langage de robe
noire, qu'il obéirait d'abord à la religion
avant tout et qu'il serait enchanté de voir
la République à tous les diables. -
Il a terminé en disant que ce qu'il y
avait de plus désirable, c'était l'union de
tous les Français.
M. Carnot, qui jusque-là avait bafouillé
des remerciement incolores aux précé-
dentes autorités, a pris un air Louis XIV
très étudié pour dire d'un ton assez sec,
également très étudié :
J'applaudis, monsieur l'évêque, aux senti-
ments patriotiques que vous venez d'expri-
mer. en votre nom personnel et au nom du
clergé de votre diocèse, pour assurer, à notre
chère France, la force et la grandeur que
souhaitent pour elle tous ceux qui l'aiment.
Rien n'est plus nécessaire que l'union de
tous ses enfants et leur égale soumission à
ses lois.
Sur les derniers mots de soumission aux
lois, le fougueux évêque tourne les talons
et a disparu avec son clergé, décidément
bien laid.
Comme compensation à l'attitude hos-
tile du clergé catholique, le président de
la République a reçu des clergés protes-
tants et israélites deux déclarations fran-
chement et énergiquement républicaines.
Le reste de la réception .s'est passé sans
incident. V. F.
Impressions fâcheuses
v (De notre envoyé spécial)
Nancy, 6 juin. — Le voyage présiden-
tiel, autour duquel on a fait grand bruit
de l'autre côté du Rhin et dont la bêtise
de nos gouvernants a encore souligné la
platitude par les histoires de la revue et
des drapeaux russes, doit être dès aujour-
d'hui réduit à ses véritables proportions
et se bornera à une fête locale, et les
nombreux Alsaciens-Lorrains, qui malgré
les intimidations allemandes sont venus
à Nancy, retourneront au pays annexé
avec un espoir déçu.
Ils emporteront aussi la mauvaise im-
pression laissée par les précautions pri-
ses chez nous pour éviter tout ce qui pou-
vait donner le moindre ombrage à l'Alle-
magne. On n'a pas idée des précautions
prises pour éviter le moindre incident et
du nombre de policiers envoyés de Paris
à Nancy en dehors du service-ordinaire.
On ne peut faire un pas sans rencontrer
un agent de UT Sûreté et même des gros
fonctionnaires de ce service.
Au lieu de s'occuper des manifestations
patriotiques que l'on craignait dans les
hautes sphères gouvernementales, ces
meneurs auraient mieux fait de surveiller
la nuée de pikpokets qui s'est abattue
sur Nancy depuis deux jours et qui prch
filent toujours des voyages présidentiels
pour manifester dans les poches du public.
Plus de deux. cents personnes maudi-
ront M. Carnot, car elles feront remonter
jusqu'à lui la responsabilité morale de la
perte de leur porte monnaie.
Après les réceptions officielles, le pré-
sident de la République est allé faire une
promenade en voiture jusqu'à Malzéville.
Il devait bien ça aux habitants de la
région qui comptant sur la fameuse
revue, avaient fait des frais considérables
pour le recevoir, frais peu en rapport
avec le peu de temps consacré par M.
Carnot à leur rendre visite.
Pendant que le président se "promenait
du côté de Malzéville, les Sokols sont
allés en corps porter une magnifique cou.
ronne à la statue de Jeanne d'Arc. Cette
manifestation patriotique en l'honneur de
la France a été émotionnante et les cris
de : Vive la France r vive les Sokols ! ont
accueilli cet acte de courageuse sympa-
thie.
A onze heures, le président est revenu
à Nancy et a inauguré l'Institut chimique,
puis s'est rendu à la Préfecture où a eu
lieu la réception des maires du départe-
ment.
La fête fédérale
A deux heures, a eu lieu dans le ma»
gnifique jardin de la Pépinière la grande
fête fédérale de gymnastique organisée
par l'Union des sociétés de gymnastique
de France.
Cette fête a été précédée d'un défilé au-
quel ont pris par toutes les sociétés, au
nombre de quatre cent six, sans compter
les délégations étrangères. —
La fête a été superbe d'un bout à l'au-
tre, et les exercices d'ensemble exécutés
par des milliers de gymnastes d'une façoa
merveilleuse ont soulevé d'unanimes ac-
clamations. Les délégations étrangères
des Sokols et des Suisses ont eu un
énorme succès.
En quittant le concours de gymnastque,
M. Carnot, M. Loubet et M. Bourgeois
sont allés inaugurer la statue du célèbre
Claude Gelée, dit le Lorrain.
La statue, œuvre de R dia, est située
dans le jardin de la Pépinière.
C'est M. Bourgeois qui a parlé au nom
du gouvernement. Le ministre de l'ins-
truction publique, dans une courte im-
provisation, couverte d'applaudissements,
a fait l'éloge du peintre et du sculpteur,
en termes des plus heureux.
L'œuvre de Rodin, aimirable dans ses
détails, est malheureusement un peu pe-
tite pour son piédestal et ne ressort pas
à l'endroit où elle est placée. On dirait
un joli bibelot placé sur une immense
étagère. — V. F.
Le grand-duc Constantin
(De notre envoyé spécial)
Nancy, 6-juin. — Un coup de théàtre
vient de se produire : le grand duc Cons-
tantin Constantinowich, cousin du tsar, est
arrivé à trois heures trente à N mcy pour
saluer le président de la République. Une
manifestation spontanée, superbe, a eu
lieu. Détails importants suivent par dé-
pêche.
(De notre envoyé spécial)
, Nancy, 6 juin. - Le grand-duc Constan-
tin Constantinowich, cousin du tsar, qui
était à Contrexéville en train de faire une
cure, est arrivé, comme je viens de vous
le télégraphier, à 3 h. 3U à Nancy, pour
saluer le président de la République.
Ces jjurs-ci, apprenant que M. Carnot
se rendait à Nancy, le grand-duc écrivit
au président de la République pour lui
exprimer son désir de le voir. M. Carnot
lui fit répondre qu'il le remerciait beau-
coup de son attention, mais qu'il le priait
de n'en rien faire ne voulant pas lui oc-
casionner un dérangement. En réalité, on
voulait éviter de froisser les susceptibi-
lités allemandes.
Ce matin, le grand duc télégraphiait que
ce ne serait pas un dérangement, mais un
honneur et qu'il arrivait incognito pour
saluer le président. La dépèche était re-
mise à la préfecture à 10 heures moins un
quart. M. Carnot recevait à ce moment
les officiers de la garnison.
La dépêche fut remise au général Bru-
gère qui fit un mouvement de surprise et
la communiqua à M. Bou geois. Le ministre
de l'instruction publique la fit lire à M.
Loubet. président du Conseil. Dès que M.
Carnot eut fini de recevoir les officiers,
les réceptions furent suspendues pendant
une minute ou deux et le président de la
République reçut communication de la
dépêche.
Le grand-duc annonçait son arrivée
pour trois heures trente. Toutes les dis-
positions furent prises pour recevoir le
cousin du tsar et lui conserver son inco-
gnito.
Le président se rendit au concours da
gymnastique comme si rien n'était, mais
une indiscrétion fit connaître la nouvelle
vers trois heures.
La nouvelle se répandit comme la fou-
dre. Les étudiants quittent leur banquet
et se rendent à la gare avec les journa-
listes; la foule les suit.
Une manifestation spontanée et superbe
a lieu; en un instant, la gare est envahie,
C'est en vain que les employés du che-
min de fer, qui avaient reçu l'ordre de ne
laisser pénétrer personne et le piquet
d'honneur du 6ge de ligne envoyé pour la
circonstance, essayent de s'opposer à
l'invasion. Ils sont repoussés et la foule
s'entasse sur les quais, où se trouvent
déjà le colonel Chamoin, représentant le
président de la République.
Lorsque le grand-duc descend de wa-
gon il est accueilli par une ovation inde's.
cnptible. Les cris de : Vive la Russie r
Vive le grand-duc! éclatent de toutes
parts. Les étudiants agitent les drapeaux
russes ; des Messins déploient le drapeau
lorrain.
Le grand-duc remercie et salue.
Chez M. Carnot
C'est avec peine que le cousin du tsar
peut gagner le landau envoyé par la pré
lecture et sur le siège duquel se tient un
huissier de la présidence de la Républi-
que. Il prend enfin place, et le colonel
Chamoin s'assied à sa gauche.
La voiture se met en marche, les étu-
diants la forcent à aller au pas, ils sont
accrochés au marchepied derrière la voi-
ture. d'autres marchent devant avec des
"—
1
tDMLNISTRATION. RÉDACTION ET ANNONCES
J A PARIS
ILS — Rue Rieher — 18
1
£ es articles, non insérés ne seront pas rendus -
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PARIS
UN MOIS 2 FR.
TROIS MOIS. 5 FR.
SIX MOIS 9 FR.
UN AN 13 FR.
JOURNAL POLITIQUE QUOTIDIEN
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le Numéro :. 5 u centimes
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN MOIS. 2 FR.
TROIS MOIS 6 FR.
SIX MOIS. 11 FR.
UN AN. 20 FR.
SEIZIÈME ANNÉE — NUMÉRO 5527
MERCREDI 8 JUIN 1892
; 20 PRAIRIAL — AN 100 8
- - **•»«»• • - •»" -
■ A NANCY
Les esprits timorés qui, sur les indi-
cations envoyées de Berlin par M. Her-
bette, prétendaient humilier la France
devant le mécontentement éventuel de
Guillaume II, sont loin de compte.
, Toutes les précautions avaient été
prises pour réduire la manifestation de
Nancy aux proportions d'une fête fo-
raine agrémentée par quelques hypo-
crisies d'évêques faisant la parade
sous l'œil attendri du président de la
République.
Les drapeaux aux couleurs amies
avaient été proscrits, les cris natio-
naux interdits ; tout devait se passer à
la muette, sans tambours ni trompettes
A plat ventre devant l'Allemagne :
tel était l'ordre venu d'en haut.
Eh bien! tout cela a été vain : on ne
met pas ainsi la sourdine au patrio-
tisme d'une na&im comme la France.
Pour jeter à bas tout cet échafaudage
d'humiliation imaginé par la peur, il a
suffi de la présence à Nancy d'un prince
étranger, qui a réveillé dans le cœur
de chacun les sentiments qu'on s'était
^efforcé d'y étouffer.
Le grand duc Constantin, cousin de
l'empereur de Russie, est apparu au
milieu de cette fête attristée, et sou-
dain un délire de patriotisme s'est em-
paré de tous les esprits.
Les drapeaux défendus ont été im-
médiatement arborés, et de toutes les
poitrines, contraintes jusqu'alors, est
sorti ce cri retentissant : Vivent la
France et la Russie !
On se serait cru à Cronstadt.
Voilà comment le sentiment popu-
laire parvient à se faire jour en dépit
des platitudes d'un gouvernement qui
mesure à son peu de cœur, le cœur de
la nation.
Eh oui ! Vivent la France et la Russie ;
voilà ce qui se crie aujourd'hui devant
la trouée des Vosges.
Tant pis pour ceux à qui cela déplait
en Europe.
S'ils en ont ombrage, eh bien, qu'ils
nous l'envoient dire, ils trouveront à
qui parler.
Vivent la France et la Russie ! cela
veut dire, à deux pas de la geôle où
gémissent l'Alsace et la Lorraine :
le Droit prime la Force !
Si ce n'est pas la pensée du gouver-
nement, c'est la pensée de la France,
et il faut qu'on sache qu'elle est libre
de dire chez elle ce qu'elle pense.
Décidément, il y a des princes qui
ont de l'esprit : cela leur arrive surtout
quand ils aiment la France.
Guillaume II peut aller maintenant
à Kiel pour y mendier une poignée de
main du tsar.
Nous savons maintenant à quoi nous
en tenir, après la visite à Nancy du
grand-duc Constantin. -
Kronstadt, qu'une politique apeurée
et Indigne de la France avait voulu at-
ténuer en en noyant la signification
dans les eaux de Portsmouth, en atten-
dant qu'on l'eût laissée naufrageir dans
les eaux de Kiel, Cronstadt tient tou-
jours.
, La double alliance,, qui dépassait
les petits esprits du quai d'Orsay et
terrifiait les cœurs faibles qui nous
gouvernent ; la double alliance s'af-
firme avec éclat et regarde dans les
yeux la triple alliance qui, du coup,
S'effondre et s'évanouit.
- L'acte de faiblesse commis par le
gouvernement était gros d'une guerre,
car la pusillanimité appelle les repré-
sailles.
La manifestation de. Nancy, aujour-
d'hui triomphale, répare cette faute et
Consolide la paix.
Car, qui donc en Europe oserait la
troubler, aujourd'hui que l'on sait que
nous avons reconquis notre force et
que, malgré notre gouvernement qui
s'ingénie à nous rapetisser, on nous
l'entend proclamer sans provocation
mais avec fermeté.
Humbles à Nancy, c'était la guerre ;
nous y avons relevé la tête, c'est la
paix, parce que l'on voit que nous som-
mes en mesure de l'imposer.
LA FRANCE ET L'ESPAGNE
Le « modus vivendi »
Madrid, 6 juin. — MM. Navarro Rever.
ter et Gomez ont quitté Madrid ce matin
pour venir à Paris négocier les prochains
tarifs franco-espagnols.
11 se confirme que le but de M. Canovas
serait de proroger indéfiniment le modus
Vivendi français, d'une part, et d'organi-
ser ensuite des modi vivendi semblables
tvec d'autres puissances. Il se réserverait
de négocier plus tard des conventions dé-
finitives. quand, il aura pu juger des ré-
sultats donnés - par les régimes provi-
soires.
Anatole de la Forge est mort.
Cette douloureuse nouvelle nous cause
une émotion que nous ne parvenons pas
à maîtriser : elle sera non moins vive-
ment ressentie dans tout le parti républi-
cain et aussi dans le pays.
En effet, bien qu'ayant des opinions
très nettes et très arrêtées, de la Forge
n'avait pas un ennemi.
C'était dans toute l'acception du terme
un galant homme, et si ses idées pou-
vaient rencontrer des contradicteurs, sa
personne était entourée par tous de res-
pectueuses sympathies.
Cette mort si inopinée est un deuil
cruel pour ce journal où, dans sa verte
vieillesse, il avait tenu à poursuivre la
lutte pour la République et pour la liber-
té, qui a rempli toute son existence.
Douloureusement frappes dans notre
amitié par ce coup inattendu, nous ne le
sommes pas moins comme républicains et
comme Français par la perte de ce pa-
triote.
Il fut un de ceux qui, dans l'année ter-
rible, ne désespérèrent pas de la patrie.
L'inoubliable souvenir de la défense de
Saint-Quentin est présent à tous les
coeurs.
On se rappelle comment, avec une poi-
gnée de braves électrisés par son héroïs-
me, il tint tête à un ennemi victorieux.
Grièvement blessé dans cette journée
mémorable, il ne voulut pas capituler,
lorsque, quelques semaines après, l'enne-
mi revint en nombre, et, plutôt que de se
rendre, il se démit ie ses fonctions pour
aller demander au gouvernement de la
Défense nationale l'emploi de son courage
que la souffrance physique n'avait pas
abattu.
La paix signée, surmontant la douleur
que cette déchéance avait causée à son
cœur de Français, il reprit vaillamment
la plume pour contribuer par la défense
de la République et de la liberté au relè-
vement de la France.
Lui qui avait connu tous les excès de
l'absolutisme impérial pour les. avoir
combattus dans la presse dont il fut pen-
dant cette période un infatigable et bril-
lant champion, il voulait pour la France
enfin constituée en République un régime
de liberté, parce qu'il y voyait la condi-
tion première de la grandeur du pays.
Mais la République telle que la fit le
gouvernement de Versailles était trop ti-
morée pour utiliser son dévouement. Ap-
pelé à un poste important, à la direction
de la presse, il dut bientôt se démettre,
ses idées libérales l'ayant rendu suspect
aux dirigeants d'alors. -
Le réveil d'opinion que suscita l'ordre
moral le poussa à la Chambre où il fut
envoyé par le neuvième arrondissement
de Paris, en remplacement d'Emile de
Girardin.
Rendant hommage à l'intégrité de son
caractère, la Chambre, par un vote pres-
que unanime où tou-tes les opinions étaient
confondues, le porta à la vice-prési-
dence, donnant ainsi le spectacle de l'u-
nion des partis sur le nom d'un homme
d'honneur.
De La Forge était non moins honoré à
l'étranger. Il était populaire en Italie. Lié
avec tous les chefs de la démocratie tran-
salpine, il poursuivait le rêve d'une al-
liance entre la France et l'Italie, rêve qui
eût été réalisé en grande partie par ses
efforts, si, pour le malheur des deux na-
tions, de l'Italie surtout, le gouvernement
de ce pays n'eût renié toutes les tradi-
tions nationales en se faisant l'humble
valet de l'Allemagne.
Mais la réalisatioa-de cette idéedJunion
qui était l'un des plus ardents espoirs
d'Anatole de la Forge, n'est qu'entravée.
Lorsque la Révolution qu'il entrevoyait
et qu'il appelait de ses vœux aura débar-
rassél'Italie d'une dynastie anti-nationale,
l'alliance rêvée par lui se fera spontané-
ment sur le terrain de l'affranchissement
de toutes les tutelles, celle du Vatican
comme celle du Quirinal.
Cœur épris de toutes les causes qui
sont l'honneur de l'humanité, âme che-
valeresque, esprit charmant d'une fer-
meté antique pour tout ce qui tou chait à
l'honneur, de la Forge poussait le dé-
sintéressement jusqu'à l'héroïsme.
Il y a quelques jours à peine, il refu-
sait un poste où il craignait que des in-
firmités que ses scrupules exagéraient ne
vinssent entraver son dévouement.
De la Forge est mort pauvre. Il était
de ceux qui se contentent de servir la
Démocratie, sans lui rien demander.
Honneur à sa mémoire !
M. Eugène Mayer, notre directeur, est
absent de Paris depuis deux jours.
Nous lui avons télégraphié la triste
nouvelle de la mort d'Anatole de la Forge.
Il nous a immédiatement répondu en
nous faisant part du chagrin que lui cau-
sait la fin si soudaine de cet homme pour
lequel ilia-vait tant d'estime et une si pro-
fonde affection.
M. Eugène Mayer rentrera aujourd'hui
Aug la mâtiiiée-
ANATOLE DE LA FORGE
UN VAILLANT PATRIOTE ET UN AR-
DENT RÉPUBLICAIN
Diplomatie et journalisme. — La dé-
fense de Saint-Quentin. — Actes
d'indépendance à la Chambre.
— Arbitre d'honneur.
Anatole de la Forge, ancien député,
ancien vice-président de la Chambre, an-
cien préfet de la Défense nationale, est
mort hier matin à neuf heures en son
domicile 72, avenue de Villiers, d'une
attaque d'apoplexie foudroyante, à l'âge
de soixante-onze ans.
Né à Paris en 1821, au 18 de la rue Ri-
cher, dans la maison même où se trou-
vent les bureaux de la Lanterne, Ana-
tole de La Forge entra fort jeune dans
la diplomatie et remplit une mission en
Espagne en 1846.
Mais il donna bientôt sa démission pour
faire du journalisme, et nous le retrou-
vons à l'Estafette et au Siècle, sous la
deuxième République et l'Empire.
Il se fit remarquer par l'ardeur qu'il
mit à défendre la cause des peuples op-
primés, notamment celle de l'Italie et de
la Pologne, par ses idées libérales et par
plusieurs polémiques fort vives au sujet
du pouvoir temporel du pape.
Le préfet de la Défense nationale
Après la l'évolution du 4 Septembre
1870, le gouvernement de la Défense
nationale nomma M. de la Forge préfet
du département de l'Aisne, alors occupé
par les Prussiens. Comme le chef-lieu
était entre les mains des ennemis, le
nouveau préfet s'établit à Saint-Quentin,
ou il organisa aussitôt larésistance. L'en-
nemi ayant attaqué le 8 octobre cette ville
que protégeaient de simples barricades,
M. de la Forge se mit à la tête des gardes
nationaux, des pompiers et des francs-
tireurs et fit une telle résistance que les
Prussiens battirent en retraite.
Pendant cette journée, le vaillant préfet
reçut une grave blessure à la jambe. Le
ANATOLE DE LA FORGE
gouvernement le félicita de sa brillante
conduite et le nomma officier de la Lé-
gion d'honneur.
Quelque temps après, un corps d'ar-
mée ayant fait un retour offensif et le co-
mité de défense s'étant opposé à ce qu'on
reprît une seconde fois les armes, M. de
la Forge donna sa démission de préfet et
se rendit auprès de Gambetta à Tours.
Le ministre de l'intérieur le nomme
alors préfet des Basses-Pyrénées et il
organisa dans ce département les légions
de mobilisés (fui se distinguèrent à Dijon
pour suivre plus tard la fortune de l'ar-
mée de Bourbaki.
Après la guerre, M. de la Forge donne
sa démission et se retire pour se livrer à
des travaux littéraires. On lui doit l'Ins-
truction publique en Espagne; la Guerre,
c'est la Paix ; l'Autriche devant l'opinion;
Lettre à M. Dupanloup.
Il tenta une rentrée politique comme
candidat républicain dans le 7° arrondis-
sement aux élections de 1877, mais il fut
battu par l'amiral Touchard.
La direction de la presse
Quelque temps après, M. de Mar. ère
le nommait directeur de la presse au mi-
nistère de l'intérieur, mais il crut devoir
adresser à son chef hiérarchique un rap-
port sur la liberté de la presse. Cet acte
d'indépendance ne fut pas goûté en haut
lieu etM. de La Forge donna sa démission.
Le ge arrondissement l'envoya à la
Chambre en 1882, en remplacement d'E-
mile. de Girardin. Réélu en 1885 aux élec-
tions générales de la Seine par 222,334
voix, ses collègues le nommèrent vice-
président de la Chambre des députés par
458 voix sur 497 votants.
Il avait été choisi, en 1883, comme pré-
sident, par la Ligue des patriotes en rem-
placement d'Henri Martin, mais il donna
sa démission lorsque cette société entra
dans le mouvement boulangiste.
Le vice-président de la Chambre
En novembre 1888, ne partageant pas
l'opinion de la majorité de la Chambre
sur certaines questions, il se démit de
ses fonctions de vice-président et per-
sista malgré sa réélection.
La sympathie dont l'entouraient ses
collègues lui avait fait une situation
d'arbitre presque officielle dans les duels
et les affaires d'honneur.
Il ne fut pas réélu en 1889; depuis cette
époque M. Anatole de la Forge vivait
très retiré, nous le voyions fréquemment
à la Lanterne où il venait apporter ses
« Lettres Démocratiques * qui étaient si
appréciés de nos lecteurs.
Ces temps derniers, on lui avait of-
fert la succession d'Etienne Arago qui
était conservateur du musée du Luxem-
bourg, mais Anatole de la Forge qui avait
déjà eu une attaque d'apoplexie et n'en-
tendait plus que très difficilement. cr"t
devoir résigner les fonctions qui lui
étaient offertes comme une retraite ho
norable.
Les circonstances de la mort
Hier matin il s'était levé comme à son
ordinaire à sept heures, sa toilette faite,
il avait déjeuné suivant son habitude,
d'une tasse de café noir, avec sa fille, puis
il s'est rendu dans son cabinet et s'est mis
à travailler.
A neuf heures, alors que la domestique
entrait pour faire le ménage, elle trouva
son maître la tête appuyée sur son bu
reau et comme s'il dormait.
Effrayée, elle appela; un médecin fut
mandé au plus vite, mais quand il arriva
il était trop tard, Anatole de la Forge
avait succombé à une attaque d'apoplexie
foudroyante.
A l'heure où nous écrivons, rien n'est
encore décidé pour les obsèques; né an-
moins on suppose qu'elles n'auront pas
lieu avant jeudi.
LETTRE DÉMOCRATIQUE
UNE SOCIÉTÉ D'ASSISTANCE PAR LE
TRAVAIL
Elle a été fondée il y a un an dans le
quartier de Batignolles-Monceau par des
Républicaines et des Républicains sous
les auspices de la mairie du dix-septième
arrondissement.
Cette société a pour but principal l'as-
sistance au moyen du travail, c'est-à-dire
le relèvement des malheureux par le la-
beur qu'on leur procure.
L'honorable M. Lalance, ancien député
de Mulhouse, en est le président.
On a d'abord songé aux femmes sans
ouvrage, puis la société va organiser
quelque chose de semblable pour les
hommes. Celles-là et ceux-ci, non inscrits
au bureau de bienfaisance, sonc exposés
faute de secours aux p!us cruelles mi-
sères.
Certes, la bonne volonté ne fait pas dé-
faut dans ce riche quartier. On donne
beaucoup aux pauvres mais onydjnne mal
parce qu un grand nombre de nos conci-
toyens distribuent au hasard des sommes
relativement importantes avec lesquelles
on sauverait des familles entières.
La société d'assistance de Batignolles-
Monceau s'efforce de mettre un peu d'or-
dre et de méthode dans la distribution
des secours. Elle se renseigne sur l'hono-
rabilité des indigents les plus dignes
d'être soutenus.
« Ce n'est pas l'intérêt du donateur que
nous prenons, c'est celui du pauvre. Ce
n'est point le superflu du riche que nous
défendons, die excellemment le rapport
de M. le secrétaire général de l'œuvre,
mais bien le nécessaire du malheureux, o
On le voit, les créateurs méritants de
cette œuvre de solidarité démocratique
poursuivent la réalisation de deux idées
utiles : combattre la mendicité profession-
nelle et secourir les vrais pauvres en leur
fournissant un travail régulier.
Nous venons de lire attentivement les
remarquables rapports soumis à l'assem-
blée générale du mois dernier. Ils font le
plus grand honneur à l'intelligence et au
dévouement du comité d'administration,
ainsi qu'à la commission des dames pa-
tronnesses. Ni les uns ni les autres.ne per-
mettent que nous les nommions. Mais
tout en respectant leur modestie exces-
sive, nous croyons remplir un devoir, au
nom des personnes aidées, en remerciant
ici la bienfaisance collective de la Société
d'assistance de Batignolles-Monceau.
La plupart de ses membres actifs sont
nos amis politiques, quelques-uns même
bien connus à La Lanterne, sont nos ar-
dents auxiliaires dans l'œuvre des étrennes
aux enfants moralement abandonnés.
Qu'ils nous laissent à notre tour la sa-
tisfaction de faire appel, pour leurs inté-
ressants protégés, aux cœurs généreux du
dix-septième arrondissement.
Tous voudront apporter une offrande à
cette société naissante qui a déjà fait
tant de bien et qui en fera tant encore
autour d'elle. Sonn .>m aimé est synonyme
de Fraternité.
Saluons-le avec respect, il représente
une vertu nationale. Ses membres, hom-
mes et femmes, consacrent une partie de
leur vie à découvrir les souffrances ca-
chées des pauvres honteux afin de les
soulager.
Quel beau rôle que celui-là!
Nous n'en connaissons pas de plus di-
gne des sympathies populaires.
ANATOLE DE LA FORGE.
[Cet article est le dernier qui ait été écrit
par M. A. de La Forge, notre éminent col-
i aborateur. Comme on vient de le voir, sa
dernière pensée de journaliste a été pour
une œuvre de bienfaisance.] *
LA CRISE EN ITALIE
Les douzièmes provisoires
Rome, 6 juin. --- C'est demain mardi
qu'aura lieu à la Chambre la discussion
du projet relatif aux douzièmes provi-
soires demandés par le gouvernement.
L'opposition demandera le scrutin se-
cret ; par suite, il y a lieu de croire que le
gouvernement sera battu; beaucoup de
députés qui n'auraient pas voté contre lui
au scrutin public n'hésiteront pas à re-
pousser les douzièmes par un vote secret,
pour hâter le moment des élections géné-
rales.
UNE CATASTROPHE
Neuf noyés
(De notre correspondant particulier)
Aix-les-Bains, 6 juin.— Une épouvan-
table catastrophe s'est produite aujour-
d'hui sur le lac du Bourget. Une embarca-
tion, sur laquelle étaient montées onze
personnes, a chaviré à la suite d'un coup
de vent ; neuf d'entre elles ont été noyées.
Les victimes, parmi lesquelles se trou-
vaient deux prêtres, appartenant dit-on à
un cercle catholique.
Les victimes sont de Voiron. Elles fai-
saient partie du patronage catholique de
cette ville et étaient allées en excursion
sous la conduite de l'abbé Prud'homme
qui est au nombre des noyés. On cite
parmi les élèves noyés les fils Reynaud,
Gaillard; Rabatel et Collomb, -
LES FÊTES DE NANCY
LE VOYAGE DU PRÉSIDENT DE LA
RÉPUBLIQUE
LE GRAND-DUC CONSTANTIN REND
VISITE A M. CARNOT
Quelques incidents. — L'évêque Turi-
naz.-La fête fédérale de gymnas-
tique. — L'arrivée du grand-
duc. — Enthousiasme indes-
criptibl e.- Les banquets.
(De notre envoyé spécial)
Nancy, 6 juin. — L'orage d'hier a com.
Nancy, gâté la plus grande partie de
plètement gâté la plus grande partie de
la féte. A la Pépinière, où se tient le con-
cours de gymnastique, une tribune a été
renversée; il y a eu plusieurs blessés,
mais, heureusement, les blessures sont
légères.
Je n'ai pu, à cause de ce temps épou-
vantable et de l'heure, vous signaler deux
incidents assez curieux.
Le premier a eu lieu au cercle mili-
taire où M. Carnot venait d'être reçu
assez froidement. Le président de la Ré-
publique placé à une fenêtre regardait
défiler la retraite aux flambeaux, M. Lou-
cet, ministre de l'intérieur, se trouvait à
côté de lui; passe à pied la fanfare des
dragons : « Tiens, les pompiers, s'écrie
M. Loubet ». (Textuel).
— Pardon, mon cher ministre, lui dit
M. Carnot, en se tordant de rire, ce sont
des dragons.
Cette phrase malheureuse a augmenté,
comme on pense, le froid qui régnait au
cercle militaire.
Le second incident a eu lieu au théâtre.
Les étudiants, vers la fin de la représen-
tation réclamèrent l'hymne russe à la mu-
sique du conservatoire de Nancy qui se
tenait sur la scène. Cette musique qui
avait reçu probablement des ordres for-
mels pour ne pas jouer l'hymne en ques-
tion, a refusé.
Cris, trépignements des étudiants qui
insistent; nouveau refus de la musique
qui se retire. Furieux, les étudiants et les
personnes présentes entonnent l'hymne
russe et le chantent à plusieurs reprises
en agitant leurs bérets ou leurs ehapeaux.
Si le gouvernement allemand n'adresse
pas des félicitations au quai d'Orsay, il
sera véritaulement ingrat.
Ce matin, le temps est moins mauvais
quoique toujours menaçant. La journée
officielle a commencé par la rencontre
attendue avec une certaine curiosité, de
M. CarnJt avec l'évêque de Nancy, le cé-
lèbre Turinaz.
Cette rencontre a eu lieu à la réception
des autorités qui a commence à neuf heu-
res moins le quart.
L'évêque de Nancy
L'évêque de Nancy est un gaillard
d'une belle prestance à allures plutôt
militaires que cléricales, le nez orné
d'un lorgnon est très accusé, la figure
assez jeune encore, a une expression de
dureté extraordinaire. Le personnage est
dodu dans son ensemble sans être trop
gras. Il passe ici pour un original. Ou
l'appelle le général Turinaz à cause de
ses manières brusques qui n'ont rien de
religieux.
Lorsque ce prélat de violet tout habillé
a présenté son clergé tout noir et très
laid d ailleurs, tout le monde a prêté l'o-
reille. On s'attendait à un incident qui n'a
pas eu lieu.
L'évêque, sur un ton manquant com-
plètement d'onction, a déclaré qu'il par-
tageait avec son clergé les sentiments
patriotiques des Lorrains et qu'il observait
la soumission quelles que soient les ins-
titutions du gouvernement et pratiquait
la religion; mais le bon apôtre s'est em-
pressé d'ajouter que pour lui le premier
devoir était d'obéir à Dieu et à la patrie,
ce qui voulait dire en langage de robe
noire, qu'il obéirait d'abord à la religion
avant tout et qu'il serait enchanté de voir
la République à tous les diables. -
Il a terminé en disant que ce qu'il y
avait de plus désirable, c'était l'union de
tous les Français.
M. Carnot, qui jusque-là avait bafouillé
des remerciement incolores aux précé-
dentes autorités, a pris un air Louis XIV
très étudié pour dire d'un ton assez sec,
également très étudié :
J'applaudis, monsieur l'évêque, aux senti-
ments patriotiques que vous venez d'expri-
mer. en votre nom personnel et au nom du
clergé de votre diocèse, pour assurer, à notre
chère France, la force et la grandeur que
souhaitent pour elle tous ceux qui l'aiment.
Rien n'est plus nécessaire que l'union de
tous ses enfants et leur égale soumission à
ses lois.
Sur les derniers mots de soumission aux
lois, le fougueux évêque tourne les talons
et a disparu avec son clergé, décidément
bien laid.
Comme compensation à l'attitude hos-
tile du clergé catholique, le président de
la République a reçu des clergés protes-
tants et israélites deux déclarations fran-
chement et énergiquement républicaines.
Le reste de la réception .s'est passé sans
incident. V. F.
Impressions fâcheuses
v (De notre envoyé spécial)
Nancy, 6 juin. — Le voyage présiden-
tiel, autour duquel on a fait grand bruit
de l'autre côté du Rhin et dont la bêtise
de nos gouvernants a encore souligné la
platitude par les histoires de la revue et
des drapeaux russes, doit être dès aujour-
d'hui réduit à ses véritables proportions
et se bornera à une fête locale, et les
nombreux Alsaciens-Lorrains, qui malgré
les intimidations allemandes sont venus
à Nancy, retourneront au pays annexé
avec un espoir déçu.
Ils emporteront aussi la mauvaise im-
pression laissée par les précautions pri-
ses chez nous pour éviter tout ce qui pou-
vait donner le moindre ombrage à l'Alle-
magne. On n'a pas idée des précautions
prises pour éviter le moindre incident et
du nombre de policiers envoyés de Paris
à Nancy en dehors du service-ordinaire.
On ne peut faire un pas sans rencontrer
un agent de UT Sûreté et même des gros
fonctionnaires de ce service.
Au lieu de s'occuper des manifestations
patriotiques que l'on craignait dans les
hautes sphères gouvernementales, ces
meneurs auraient mieux fait de surveiller
la nuée de pikpokets qui s'est abattue
sur Nancy depuis deux jours et qui prch
filent toujours des voyages présidentiels
pour manifester dans les poches du public.
Plus de deux. cents personnes maudi-
ront M. Carnot, car elles feront remonter
jusqu'à lui la responsabilité morale de la
perte de leur porte monnaie.
Après les réceptions officielles, le pré-
sident de la République est allé faire une
promenade en voiture jusqu'à Malzéville.
Il devait bien ça aux habitants de la
région qui comptant sur la fameuse
revue, avaient fait des frais considérables
pour le recevoir, frais peu en rapport
avec le peu de temps consacré par M.
Carnot à leur rendre visite.
Pendant que le président se "promenait
du côté de Malzéville, les Sokols sont
allés en corps porter une magnifique cou.
ronne à la statue de Jeanne d'Arc. Cette
manifestation patriotique en l'honneur de
la France a été émotionnante et les cris
de : Vive la France r vive les Sokols ! ont
accueilli cet acte de courageuse sympa-
thie.
A onze heures, le président est revenu
à Nancy et a inauguré l'Institut chimique,
puis s'est rendu à la Préfecture où a eu
lieu la réception des maires du départe-
ment.
La fête fédérale
A deux heures, a eu lieu dans le ma»
gnifique jardin de la Pépinière la grande
fête fédérale de gymnastique organisée
par l'Union des sociétés de gymnastique
de France.
Cette fête a été précédée d'un défilé au-
quel ont pris par toutes les sociétés, au
nombre de quatre cent six, sans compter
les délégations étrangères. —
La fête a été superbe d'un bout à l'au-
tre, et les exercices d'ensemble exécutés
par des milliers de gymnastes d'une façoa
merveilleuse ont soulevé d'unanimes ac-
clamations. Les délégations étrangères
des Sokols et des Suisses ont eu un
énorme succès.
En quittant le concours de gymnastque,
M. Carnot, M. Loubet et M. Bourgeois
sont allés inaugurer la statue du célèbre
Claude Gelée, dit le Lorrain.
La statue, œuvre de R dia, est située
dans le jardin de la Pépinière.
C'est M. Bourgeois qui a parlé au nom
du gouvernement. Le ministre de l'ins-
truction publique, dans une courte im-
provisation, couverte d'applaudissements,
a fait l'éloge du peintre et du sculpteur,
en termes des plus heureux.
L'œuvre de Rodin, aimirable dans ses
détails, est malheureusement un peu pe-
tite pour son piédestal et ne ressort pas
à l'endroit où elle est placée. On dirait
un joli bibelot placé sur une immense
étagère. — V. F.
Le grand-duc Constantin
(De notre envoyé spécial)
Nancy, 6-juin. — Un coup de théàtre
vient de se produire : le grand duc Cons-
tantin Constantinowich, cousin du tsar, est
arrivé à trois heures trente à N mcy pour
saluer le président de la République. Une
manifestation spontanée, superbe, a eu
lieu. Détails importants suivent par dé-
pêche.
(De notre envoyé spécial)
, Nancy, 6 juin. - Le grand-duc Constan-
tin Constantinowich, cousin du tsar, qui
était à Contrexéville en train de faire une
cure, est arrivé, comme je viens de vous
le télégraphier, à 3 h. 3U à Nancy, pour
saluer le président de la République.
Ces jjurs-ci, apprenant que M. Carnot
se rendait à Nancy, le grand-duc écrivit
au président de la République pour lui
exprimer son désir de le voir. M. Carnot
lui fit répondre qu'il le remerciait beau-
coup de son attention, mais qu'il le priait
de n'en rien faire ne voulant pas lui oc-
casionner un dérangement. En réalité, on
voulait éviter de froisser les susceptibi-
lités allemandes.
Ce matin, le grand duc télégraphiait que
ce ne serait pas un dérangement, mais un
honneur et qu'il arrivait incognito pour
saluer le président. La dépèche était re-
mise à la préfecture à 10 heures moins un
quart. M. Carnot recevait à ce moment
les officiers de la garnison.
La dépêche fut remise au général Bru-
gère qui fit un mouvement de surprise et
la communiqua à M. Bou geois. Le ministre
de l'instruction publique la fit lire à M.
Loubet. président du Conseil. Dès que M.
Carnot eut fini de recevoir les officiers,
les réceptions furent suspendues pendant
une minute ou deux et le président de la
République reçut communication de la
dépêche.
Le grand-duc annonçait son arrivée
pour trois heures trente. Toutes les dis-
positions furent prises pour recevoir le
cousin du tsar et lui conserver son inco-
gnito.
Le président se rendit au concours da
gymnastique comme si rien n'était, mais
une indiscrétion fit connaître la nouvelle
vers trois heures.
La nouvelle se répandit comme la fou-
dre. Les étudiants quittent leur banquet
et se rendent à la gare avec les journa-
listes; la foule les suit.
Une manifestation spontanée et superbe
a lieu; en un instant, la gare est envahie,
C'est en vain que les employés du che-
min de fer, qui avaient reçu l'ordre de ne
laisser pénétrer personne et le piquet
d'honneur du 6ge de ligne envoyé pour la
circonstance, essayent de s'opposer à
l'invasion. Ils sont repoussés et la foule
s'entasse sur les quais, où se trouvent
déjà le colonel Chamoin, représentant le
président de la République.
Lorsque le grand-duc descend de wa-
gon il est accueilli par une ovation inde's.
cnptible. Les cris de : Vive la Russie r
Vive le grand-duc! éclatent de toutes
parts. Les étudiants agitent les drapeaux
russes ; des Messins déploient le drapeau
lorrain.
Le grand-duc remercie et salue.
Chez M. Carnot
C'est avec peine que le cousin du tsar
peut gagner le landau envoyé par la pré
lecture et sur le siège duquel se tient un
huissier de la présidence de la Républi-
que. Il prend enfin place, et le colonel
Chamoin s'assied à sa gauche.
La voiture se met en marche, les étu-
diants la forcent à aller au pas, ils sont
accrochés au marchepied derrière la voi-
ture. d'autres marchent devant avec des
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